1691

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1691 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11]. §

Avis §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. [I-IV].

 

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure longtemps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

Idylle. A Monsieur Coypel le Fils. Jacob et Laban §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 24-39.

 

Mr Coypel le jeune, en qui le mérite dans sa Profession est hereditaire, a donné l’idée des Vers suivans par un excellent Tableau, dans lequel il represente la colere de Jacob trompé par Laban, lors qu’il luy supposa Lia dans son lit à la Place de Rachel. Ces Vers sont de Mr de Senecé, Premier Valet de Chambre de la feuë Reine. Tous ses Ouvrages ont tant de justesse & de bon goust, & sont si generalement approuvez, qu’estant au dessus des loüanges que je leur pourrois donner, je me contente de vous dire que vous les lirez avec plaisir.

IDYLLE.
A Monsieur Coypel le Fils.
JACOB ET LABAN.

Non, non, vous n’êtes point du sang des Patriarches,
 De ce sang fidelle, & pieux,
 Et dans vos trompeuses démarches
Je ne reconnois point nos illustres Ayeux.
Je sçais que la Beauté dont mon ame est éprise
Par sept ans de travaux ne pouvoit estre acquise,
Un siécle eût été peu pour plaire à ses beaux yeux,
Mais cependant, Cruel, vous me l’aviez promise !
***
Helas ! le tendre Amour dont je me sens brûler,
Devoit-il donc périr par un lâche artifice ?
Estoit-il reservé pour l’affreux Sacrifice
 Où vous venez de l’immoler ?
Pouviez-vous me percer par un trait plus funeste ?
Pouviez-vous plus avant pousser la trahison ?
Arracher à mon cœur tout l’espoir qui luy reste !
 L’unir à tout ce qu’il deteste.…
 O Ciel ! soûtenez ma raison.
Par choix, ou par surprise, elle est enfin ma Femme,
 Il faut l’aimer. Et le pourray-je, helas !
Pourray-je (Malheureux !) maistre de tant de flame,
De sa charmante Sœur oublier les appas ?
Ah ! Laban ! ah ! perfide ! Auteur de mon trépas,
Trop de douceur me livre aux maux que vous me faites.
Vous m’auriez respecté si j’en avois moins eu,
Ma bonté m’avilit, Barbare que vous êtes.
Que n’aviez vous à faire au barbare Esaü !
***
Ainsi le cœur outré d’un cruel stratagême
 Jacob exhale sa douleur,
 Et privé de Rachel qu’il aime
Des nôces de Lia déplore le malheur.
 Du juste couroux qui l’inspire
 Sa vertu modere le feu.
 La Sagesse craint d’en trop dire,
Et l’Amour outragé craint d’en dire trop peu.
Ses yeux étincelans lancent des traits de flame,
De ses bras étendus le geste est menaçant.
Ses cheveux herissez par l’horreur qu’il ressent
Elevent sur son front le trouble de son ame ;
Jusque dans ses habits paroît l’émotion
Qu’excite dans son cœur l’amoureuse furie,
 Et la volante draperie
Va dans les Airs émeus peindre sa passion.
Le faux Vieillard, sur une pierre assis,
D’un froid desesperant écoute ces reproches.
La fureur de Jacob fait sur son sens rassis
Moins d’effet, que le Flot brisé contre les Roches.
Toujours aux trahisons le Scelerat est prompt,
 Les marques n’en sont point douteuses ;
La timide pudeur n’ose aborder son front,
Et craint de s’abîmer dans ses rides affreuses :
Sa longue barbe grise à replis ondoyans
Des replis de son cœur couvre la turpitude.
 Son air moqueur, ses yeux rians,
Moins par temperament encor que par étude,
A son Gendre abusé sont des témoins crians
 De sa criminelle habitude.
***
Jeune homme, luy dit-il, tu parois déchaîné
 D’une maniere bien terrible !
Est ce un si grand outrage, un affront si sensible
 De t’avoir fait mon Fils aîné ?
D’un si bon Serviteur je ne puis me défaire.
Que feroient mes Troupeaux privez de ton secours ?
 Pour mériter l’objet de tes Amours
 Sept ans de plus ne sont pas une affaire.
Il faut recommencer. En vain tes airs mutins
Osent nous annoncer de funestes desastres.
Va, je ne te crains point, & je commande aux Astres
 Qui reglent tes destins.
***
La Charmante Rachel, présente à la querelle,
Couvre ses interêts sous un air indolent,
 Et par un maintien nonchalant
Deguise de son mieux une peine cruelle.
Mais ses efforts sont vains, & son cœur peu discret
 Traçant trop bien sur son visage
Des mouvemens qu’il souffre une parlante image,
Aux yeux interessez divulgue son secret.
Jacob, bien qu’occupé de sa douleur pressante,
N’en est pas moins sensible aux traits de sa beauté.
 Qu’elle palisse, il la trouve touchante,
 Qu’elle rougisse, il en est enchanté.
La tristesse à ses yeux la rend encor plus belle.
 Sa fermeté la luy fait admirer,
Par tout, nouveau sujet de soupirer pour elle ;
Par tout, nouveau sujet de se desesperer.
Il cherche en vain ses yeux : leur paupiere trop lente
 Les luy couvre soigneusement,
De l’Amour desolé, de la pudeur tremblante
 C’est le dernier retranchement ;
 Helas ! dans le mal qui le presse
S’il voyoit ces beaux yeux, sources de son malheur,
Qu’il seroit consolé d’y voir tant de tendresse ?
Qu’il seroit affligé d’y voir tant de douleur !
***
Un peu plus loin sous un épais feüillage,
La jalouse Lia, qui malgré les amours
 S’embarqua dans le Mariage,
 Prête l’oreille à leurs discours.
Le Soleil fait la guerre à sa prunelle tendre ;
 Sa main qui cherche à la défendre
 La protege inutilement.
Des mots interrompus luy font assez comprendre
De son Epoux trompé le fier ressentiment.
Sur un heureux hymen elle avoit fait son compte,
 Elle voit ses projets tombez,
Et commence à payer par l’excés de sa honte
 Les plaisirs qu’elle à dérobez.
***
Dans les tristes momens de cette vive scene
De Jacob, de Rachel tout partage la peine.
Les arbres dépoüillez de leur vert effacé,
Eprouvent les rigueurs d’un hiver avancé.
Les ruisseaux sont troublez, & leurs ondes obscures
Murmurent au Trompeur d’éloquentes injures.
Des languissantes fleurs les attraits sont pâlis.
La Rose de nouveau prend la couleur du Lis,
Les Oiseaux de leurs chants avouant l’impuissance,
Déplorent ce malheur par un triste silence,
Mais sur tout le Troupeau du Berger affligé.
Entre dans la douleur où son Maistre est plongé.
On n’y voit plus d’Agneaux briller par leurs courbettes ;
Il n’est plus de Brebis qui paissent les herbettes.
Laban par sa presence augmente leur ennuy,
Un Loup leur paroistroit moins terrible que luy.
Le Mâtin qui les garde enflamé de colere,
Sur le traistre Vieillard lance un regard severe,
Et plein d’un zele ardent pour le triste Berger,
Montre d’affreuses dents prestes à le vanger.
***
 Coypel, la force m’abandonne.
 Ma Plume cede à ton Pinceau.
Ma Muse tremblante s’étonne
Du dessein trop hardy de peindre ton Tableau.
Ton Art a sur le mien de trop grands avantages.
Pourrois-je en disputant conserver quelque espoir ?
Ta toile & tes couleurs d’un coup d’œil nous font voir
Ce que je ne sçaurois décrire en quatre pages.
La force, la grandeur de tes expressions
Comblent d’étonnement l’impuissante Nature,
 Et tes passions en peinture
 Ont surpassé ses passions.
***
Poursuy dans l’exercice où la gloire t’attache.
Du sçavant Raphaël imite le dessein.
Aux graces de l’Albane, au grand goust du Carache,
 Joins l’élegance du Poussin.
S’il est vray ce qu’on croit, que les Muses propices
Sur l’avenir douteux éclairent les esprits,
J’augure qu’on verra tes Ouvrages sans prix
Des Curieux futurs faire un jour les delices.
Mais ne te presse point d’arriver à ce bien,
Et songe, que pour estre au dessus de l’envie,
Dans tous les Arts (& sur tout dans le tien)
 Il faut qu’il en coute la vie.

[Description des réjoüissances faites à Alep pour la prise de Nice & de Mons] §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 39-56.

 

Les Conquestes du Roy font effet par tout, & quoy qu'il y ait déjà long-temps que la fameuse Ville de Mons & celle de Nice ayent reconnu la puissance de ses Armes, vous ne serez pas fâchée d'apprendre les réjoüissances que leur prise a fait faire dans Alep. Mr Jullien, Consul de France, en ayant receu l'heureuse nouvelle, fit assembler chez luy tout ce qu'il y avoit alors de Marchands François en cette Ville-là, & tous unanimement delibererent de faire paroistre par une Feste d'éclat quelle augmentation de gloire les Armes de Sa Majesté s'estoient acquise. On resolut pour cela de prendre les moyens les plus seurs auprés des Grands du Pays, afin d’empescher la Populace de les troubler dans cette entreprise, & il fut arresté par tous les Marchands que Mrs Garnier & Sauron, Deputez de la Nation, se joindroient à Mr Jullien, Consul, pour executer ce grand projet. On commença par faire élever sur un Dome qui fait l'entrée de sa Maison, un grand Pavillon blanc, chargé de trois Fleurs de Lis d'or, pour annoncer au Peuple qu'on feroit dans quatre jours une Feste des plus éclatantes qu'on eust jamais faites dans Alep. Le 17. de Juin dernier, on exposa le S. Sacrement dans sa Chapelle, qui est desservie par les Peres Jesuites. Tous les Ordres Missionnaires & Marchands François s'y rendirent. On y chanta la Grand'Messe, & le Pere Deschamps, Superieur des Jesuites y fit un Discours tres-éloquent, sur les nouvelles Conquestes du Roy, sur la protection qu’il donne par tout à la Religion Catholique, & sur l’étroite obligation où sont les François de prier Dieu pour la santé de sa Personne sacrée. On employa le reste du jour & toute la nuit Suivante à preparer tout ce qu'on jugea le plus necessaire pour rendre la réjoüissance des plus magnifiques, & on profita si utilement de la disposition de la maison du Consul, qu'il n'y eut pas le moindre coin qui ne portât quelque marque de la Fête qui se devoit faire le lendemain. [L'auteur décrit la décoration]. Le lendemain au matin, les Députez & Marchands François se rendirent chez le Consul, dans une fort grande propreté. Chacun d'eux avoit avec luy un homme habillé exprés, couvert d'un Doliman blanc, avec des Charchoux d'étoffe de soye à bottes jaunes, & un bonnet à la Polonaise, de mesme que les Chatters dont les Pachas sont suivis lors qu'ils font leur entrée dans leur Gouvernement. La marche commença sur les neuf heures, pour aller chanter le Te Deum à la Paroisse desservie par les Peres de Terre-Sainte. Un Balouk-bachi, qui est comme un Capitaine des Gardes du Gouvernement, marchoit le premier, suivy de tous les Valets ou Chatters des Marchands qui alloient deux à deux jusqu'au nombre de quarante. Après eux marchoit le Chaoux du Moutselem, avec son baston de commandement garny d'argent, un Croissant au bout, suivy du Zague ou Huissier du Consul, portant son bâton haut, terminé d'une Fleur-de-Lys d'argent. Ce Zague, précedoit ses six Janissaires Mitrez, qui alloient ensuite avec leurs habits de ceremonie. Au devant de luy marchoient deux jeunes François habillez à la Romaine, portant, l'un un Drapeau de taffetas blanc, & l'autre un Guidon bleu, chargé de Fleurs de Lis d'or. Mr de Sainte-Marie, Capitaine de Vaisseaux du Roy, qui se trouva alors à Alep, marchoit aprés le Consul, à la droite de son Vice-Consul de Tripoli. Les Députez & Marchands suivoient deux à deux, & à leur costé estoient plusieurs Officiers du Moutselem, pour les garantir de la foule, à cause de la multitude étonnante de peuple qui se trouva dans les ruës, sans compter ceux qui se mirent aux fenestres, & sur les terrasses des maisons. Lors que l'on fut arrivé dans cet ordre à la Paroisse, le Pere Gardien de Terre-Sainte y celebra la grand'Messe, & fit un sçavant Discours sur le sujet de la Feste. On entonna le Te Deum. L'Exaudiat fut chanté, & après la Benediction du Saint-Sacrement, donnée au bruit de quinze Morterets qu'on avait fait descendre du Chasteau, on retourna au mesme ordre chez le Consul de France, où l'on avoit préparé une table de quarante couverts. Elle fut servie splendidement & l'on y but la santé du Roy, & de la Maison Royale, au bruit des Morterets & des cris de Vive le Roy. Au moment qu'on servit le fruit, les Juifs d'Europe qui sont là sous la protection de Sa Majesté, firent une galanterie digne d'estre remarquée, en faisant couler parmy ce fruit plusieurs bassins de diverses confitures d'une grandeur prodigieuse. Cela fut accompagné des mesmes cris de Vive le Roy, ce qui surprit agreablement toute l'Assemblée. Le repas se fit avec une grande joye des Conviez, & l'édifiaction de toute la Ville, dont les principaux venoient en foule jüir de la veuë de cette magnificence, n'en pouvant joüir par le goust, à cause qu'il estoit le temps de leur Romadan. Sur les quatre heures après midy, l'on se prepara à la Cavalcade que l'on avoit resolu de faire pour aller rendre des actions de graces à Dieu dans les Eglises des Maronites Grecs, & Armeniens. Le Moutselem & le Themin voulant montrer la part qu'ils prenoient à ce qui faisoit le sujet de cette rejouïssance, envoyerent au Consul de France six Chevaux de main richement enharnachez. L'heure du départ estant venuë les Tambours, les Timbales, & autres Instrumens joints au bruit des Morterets, donnerent avis de la marche au Peuple. [...] On alla descendre à l'Eglise des Maronites, où tous leurs Prestres se trouverent à la porte, revestus de leurs Chapes, avec beaucoup de Flambeaux allumez pour conduire au Maistre Autel tous ceux qui estoient de la Cavalcade. Après beaucoup de Prieres en leur langue pour la prosperité de nostre Auguste Monarque, le Pere Gardien, qui s'y estoit rendu avec tous les Religieux Missionnaires entonna le Te Deum, qui fut suivi de l'Exaudiat. Le Patriarche des Grecs, revestu de ses habits Pontificaux, accompagné d'un Evesque & de tous ses Prestres, vint recevoir le Consul de France, avec la Croix & la Banniere, & un grand nombre de Flambeaux allumez à la sortie de l'Eglise des Maronites, en chantant aussi des Prieres en leurs Langue pour la conservation de la Personne Sacrée de Sa Majesté [...]. [...]

Daphnis. Eglogue §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 75-84.

 

Voicy un Eloge d’une autre nature. Un Mort illustre en a fourny le sujet à Mr de Combes qui estant de l’Assemblée de quelques Personnes de Lettres & distinguées de Toulouse, s’y est acquis une estime generale, & la réputation de l’un des Favoris du Parnasse. Mr de Louvois est l’illustre Mort dont je vous parle.

DAPHNIS.
EGLOGVE.
DAMON, ACANTE.

DAMON.

Acante, qui receus des Muses de Sicile
Les tendres chalumeaux du celebre Virgile ;
Toy, que chacun admire en ce sombre vallon,
Autant que sur le Pinde on admire Apollon,
Et dont les airs divins cent fois dans nos boccages
Ont fait à nos Troupeaux oublier les herbages,
N’as-tu rien à chanter sur la mort de Daphnis,
Ce Pasteur si fameux, & si cher à LOUIS ?

ACANTE.

Damon, ne m’enfle point par ces vaines loüanges.
A de simples Bergers elles semblent étranges.
Si j’avois par mes soins merité les faveurs,
Que le Cigne du Mince obtint des Doctes Sœurs,
Du seul nom de Daphnis j’aurois remply nos Plaines.
Maintenant que quittant les dépoüilles humaines
Il a pris vers le Ciel un vol audacieux,
Et qu’il boit le Nectar à la Table des Dieux,
J’accuserois sans cesse aux bords de nos rivieres
L’inflexible rigueur des Parques meurtrieres,
Qui nous ont enlevé l’honneur de nos Forets ;
Mais ce n’est pas à moy de pousser ces regrets.
Pan prefere ces lieux aux côteaux d’Arcadie ;
C’est icy qu’on entend sa douce melodie
Et naguere qu’errant en ces lieux desolez,
Où je frapois les airs de mes cris redoublez,
Dans un antre ecarté je trouvay les Naiades,
Les Faunes, les Silvains, Pan, & les Oréades,
Qui pleuroient le trépas de ce fameux Pasteur,
Cent bestes oubliant leur premiere fureur,
Et les Rocs escarpez, & les Pins, & les Hestres,
Accouroient pour oüir ces Deitez champestres.

DAMON.

Si tu veux repeter de si belles chansons,
Je te donne à choisir la fleur de mes moutons.
Ces feüillages épais, qu’un doux Zephire agite,
Et le bruit des ruisseaux, tout à chanter t’invite.

ACANTE.

Damon, je chanteray ; non pour le prix offert ;
Mon cœur à l’interest ne fut jamais ouvert,
Et je n’ay d’autre espoir, en poussant cette plainte,
Que d’alleger l’ennuy dont nôtre ame est atteinte.
Sourdes Divinitez, dont les pâles Mortels
En vain de mille vœux ont chargé les Autels,
Est-ce un Arrest du Sort, ou si c’est par envie
Que du sage Daphnis vous abregez la vie ?
Depuis ce jour fatal, aux bords de ces ruisseaux
On n’a veu nuls Bergers conduire leurs Troupeaux.
Des tristes Moissonneurs les bandes éplorées
Dedaignent dans les champs les Javelles dorées,
Et l’on n’entend icy que les cris des Hiboux,
Et l’Echo, qui répond aux hurlemens des Loups.
Daphnis, tu fus l’honneur de ces climats fertiles.
C’est toy, qui leur donnois des vandanges tranquilles.
C’est toy, qui deffendois les Troupeaux alarmez,
Des Griffes des Lyons, & des Ours affamez.
D’arbres chargez de fruit tu couvrois ces montagnes.
Tu meurissois les Bleds de ces vastes Campagnes,
Tu commandois aux vents, aux neges, aux glaçons,
De respecter des Fleurs les brillantes moissons,
Et des fiers Enchanteurs, que l’Eumenide enfante,
Tu rendois par tes soins la malice impuissante.
Habitans de ces lieux, jadis si pleins d’appas,
Pleurez du grand Daphnis le funeste trépas.
Mais non, ne pleurez point, vos larmes seroient vaines.
Qu’à jamais l’allegresse habite dans ces plaines.
Daphnis le veut ainsi. Daphnis n’est plus mortel.
Qu’en cette Forêt sombre on luy dresse un Autel.
Le Laboureur tremblant pour sa chere esperance
De luy seul desormais obtiendra l’abondance,
Et le Berger soigneux d’avoir de beaux troupeaux,
Tous les ans à ce Dieu doit offrir quatre Agneaux.
Il regle les saisons, il preside aux tempêtes.
Les orages en vain gronderont sur vos têtes.
Leur fureur épargnant vos bleds & vos raisins,
Ira se décharger sur vos pâles Voisins.
Vous reverrez les jours de Saturne & de Rhée ;
Et Daphnis en ces lieux fait redescendre Astrée.

DAMON.

Acante, les Bergers qui frequentent ces bords
N’ont point de quoy payer tes celestes accords,
Et je n’aime point tant le doux bruit des Fontaines,
Ny des tendres Zephirs les plaintives haleines.
Pendant que les ruisseaux aimeront les Vallons,
Et les Daims fugitifs l’âpre sommet des monts ;
Et pendant qu’au Printems l’Abeille diligente
De Flore pillera la richesse odorante,
Nos Bergers de Daphnis chanteront les vertus,
Et nous l’invoquerons comme Pan & Bacchus

[Nouvelle médaille]* §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 156-157.

 

La Médaille que vous trouverez gravée icy, a esté frappée à l’occasion du mariage du Prince de Neubourg avec la Princesse de Toscane. D’un costé sont les Armes de Florence entre celles de Baviere & de Neubourg, avec des cornes d’abondance, & ces paroles, Sic undique floret. On voit de l’autre le Grand Duc assis, tenant en main le baston de commandement, & faisant la reveuë de ses Troupes au bord de la mer, où paroissent les Vaisseaux & les Galeres qu’il envoyoit au secours des Venitiens contre les Turcs. On y lit ces mots, Fidei triumphus ; & il y a dans le rond de la Medaille. Magno Etruriæ Principi, Italicæ ac Germanicæ felicitatis Fautori.

La Conspiration des Planetes & de la Comete contre le Soleil §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 161-168.

 

LA CONSPIRATION
des Planetes, & de la Comete
contre le Soleil.
HISTOIRE ALLEGORIQUE.

Du bel Astre du jour la lumiere feconde
 De ses rayons éclairoit tout le monde,
  Et chaque Peuple avec ardeur
S’empressoit à l’envi sur la terre & sur l’onde,
De rendre hommage à sa Grandeur.
  Les Planetes seditieuses,
De l’éclat de leur Chef devinrent envieuses,
Et pour luy dérober l’honneur de tant de vœux,
Formérent le dessein d’assembler tous leurs feux.
***
Déja plus d’une fois cette cruelle guerre
 Avoit troublé le repos de la terre,
  Mais à la gloire du Soleil,
Qui sçut autant de fois briser comme le verre
 Ce fragile & foible appareil.
La Troupe factieuse en conçut de l’ombrage,
 Elle implora le secours des Enfers,
  Et pour mieux exciter leur rage
  Leur fit voir qu’avec l’Univers
  Pluton seroit réduit aux fers
  S’il ne prévenoit cet orage.
***
Soudain les Habitans de ces sombres Manoirs
 Où le Soleil a causé tant d’alarmes,
  Courant avidement aux armes,
Méditent contre luy les crimes les plus noirs.
La Discorde à l’instant députe des Furies
  Vers differentes Nations,
  Ministres de ses passions,
Et du flambeau du jour mortelles ennemies,
 Pour les unir dans l’injuste attentat
 D’en dissiper, ou d’en ternir l’éclat.
Afin d’y réüssir, voicy de quelle intrigue
  Usa l’audacieuse Ligue.
***
Prés d’un Marais fangeux certaine Exhalaison
  Brilloit d’une fausse lumiere,
  Et s’élevant sur l’horison
  D’une contenance assez fiére,
 Se promettoit à l’abri des vapeurs
 Qu’elle emprunta de cette Grenoüilliere,
De parer du Soleil les trop vives ardeurs,
 Mesme engageant chaque Planete
  A luy faire part de ses feux,
  Elle aspiroit à devenir Comete ;
Le succés répondit quelque temps à ses vœux.
***
  A prés avoir trouvé Bellonne
Prête à favoriser sa vaine ambition,
Elle usurpa des Airs la haute region,
Et remplit l’Univers que son audace étonne
  De trouble & de confusion.
Ce desordre obligea nos Etoiles errantes
  Pour se signaler à leur tour
 De s’éloigner de leur sejour,
Et pour leurs dignitez dés lors indifferentes,
On les vit faire en corps une honteuse Cour
A ce Spectre nouveau, dont les clartez mourantes
 Se dissipoient devant l’Astre du jour.
***
 Dieux ! eust-on crû que des Esprits Celestes,
  En qui tout doit paroître grand,
Eussent conçû des desseins si funestes
  Et si contraires à leur rang ?
  Mais les mouvemens de l’envie
  Aveuglent les esprits jaloux,
Et l’ardeur de servir un injuste couroux,
Leur tient lieu bien souvent du plaisir le plus doux
  A qui l’honneur se sacrifie.
***
Elles s’offrirent donc d’un zele turbulent
  D’estre les fidelles ministres
  De ce Meteore insolent,
Qui presageoit déja mille accidens sinistres,
 Et qui vouloit disputer au Soleil
  La gloire d’estre sans pareil ;
  Mais à peine sur les Complices
Cet Astre eut détourné ses penetrans regards,
  Que dispersez de toutes parts
On les vit se soustraire à de justes supplices.
***
  Telle la Biche au pied leger,
Fuit devant le Chasseur qu’elle voit approcher,
  Et telle la timide Aurore,
Ecartant de la nuit les flambeaux languissans,
Se retire au grand jour qui commence d’éclore
 Avec des rayons plus perçans.
***
La Comete prit soin de la cause commune,
 Unique objet de sa fortune,
 Et trouvant des monts escarpez,
 Qu’elle croyoit impenetrables
 Aux foudres les plus redoutables,
Elle vint rallier quelques feux dissipez
 Vers ces masses épouvantables.
***
Inutile & foible secours !
Le Soleil rompt l’obstacle, & d’un rapide cours
Il perce ces hautes montagnes,
 Comme il éclaire les campagnes,
La fiere Exhalaison prévoyant son malheur,
D’un Combat dangereux aussi-tost se dégage,
 Manque de force & de courage,
 Et se retire avec douleur
 Dans le fond de son marécage.
***
Ainsi l’on voit les Oiseaux de la nuit
Troubler les airs de mille cris funebres,
 Et se cacher à petit bruit
 Dans l’obscurité des tenebres,
 Quand le flambeau du jour nous luit.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 168-192.

 

La beauté est un grand charme dans une jeune Personne, mais rien ne contribuë tant à luy attirer l’estime de tout le monde, qu’une conduite pleine de sagesse. Il est mesme rare que quelque bonheur n’en soit la suite, & c’est ce qui est arrivé depuis quelque temps à une Demoiselle toute aimable, qui ayant de la naissance, estoit demeurée sans aucun bien avec une Mere, à qui beaucoup de vertus & un vray merite, avoient donné des Amis considerables. Le plus important estoit un Magistrat éclairé, dont le credit luy avoit épargné plusieurs affaires, & conservé sans procés le peu que la mort de son Mary luy avoit laissé pour subsister. Comme elle avoit infiniment de l’esprit & les sentimens fort raisonnables, il estoit bien-aise de la voir de temps en temps, & remarquant que la beauté de sa Fille augmentoit de jour en jour, quoy qu’elle ne fust encore que dans sa dixiéme année, il luy conseilla de luy faire apprendre toutes les choses qui peuvent donner du prix à une jolie personne. La Dame luy répondit que ce seroit sa plus forte joye, mais que son peu de fortune ne permettoit pas qu’elle fist cette dépense. Il estoit fort riche & liberal, & l’ayant priée de vouloir se reposer sur luy de ce soin, peu de jours aprés il luy envoya trois Maistres, l’un pour la danse, & les deux autres pour la Musique & le Luth. Elle avoit beaucoup de voix, & un si heureux genie, qu’en moins de deux ans elle fit en tout des progrés inconcevables. Le Magistrat fut ravy d’avoir trouvé un si bon sujet pour la liberalité où il s’estoit resolu, & comme il aimoit le chant plus que toutes choses, rien ne luy faisoit plus de plaisir que de la venir entendre. Il ne congedia aucun de ses Maistres, qu’aprés qu’il les eut fait demeurer d’accord qu’ils ne pouvoient plus luy rien apprendre. Insensiblement elle se trouva dans l’âge de dix huit ans, & la bone éducation jointe à un excellent naturel l’avoit renduë une Demoiselle si accomplie, que tous ceux qui la voyoient ne luy pouvoient donner assez de loüanges. Elle dansoit admirablement, touchoit le Luth avec une delicatesse surprenante, & on estoit charmé de sa voix quand elle vouloit chanter. Tous ces talens dans une belle Personne, avoient de quoy donner une forte envie de la connoistre. Aussi auroit-elle eu une grosse Cour si elle eust voulu se l’attirer, mais les visites chez elle n’estoient souffertes que fort rarement, & dés la moindre apparence d’assiduité, la Mere parloit d’un air à faire sentir qu’à moins de s’expliquer pour le mariage, les soins d’un Amant ne luy plaisoient pas. Si sa beauté échauffoit les cœurs, son manque de bien les refroidissoit, & on aimoit mieux renoncer à ce qui estoit agréable aux yeux, que de s’embarquer mal à propos. Enfin un homme de trente ans ou environ, mais assez mal fait, & qui avoit l’air tout-à-fait Bourgeois, fut plus hardy que les autres. La Mere l’ayant prié aprés deux ou trois visites, de la dispenser d’en recevoir davantage, de peur qu’estant remarquées, elles ne donnassent lieu à faire des contes qui pourroient nuire à sa Fille, il parla de l’épouser. Il avoit sept à huit mille livres de rente, & estoit pour vû d’un Employ fort lucratif, qui ne pouvoit qu’augmenter encore sa fortune en peu de temps. Cette declaration l’obligeant à ne luy rien déguiser, elle ne luy cacha point que sa Fille n’avoit pour tout bien que ce qu’il luy vouloit trouver de merite, & qu’il devoit prendre ses mesures là-dessus. Comme il l’avoit sceu avant que de s’estre declaré, il ne demanda aucune chose, & la pria seulement de sçavoir d’elle s’il seroit assez heureux pour ne luy déplaire pas. La Belle s’opposa d’abord de tout son pouvoir à la proposition que luy fit sa Mere. Elle se sentoit une aversion particuliere pour l’Amant dont il estoit question, & en general le Mariage ne la touchoit pas ; mais enfin elle luy fit voir si fortement quel malheur c’est que d’estre sans bien, & qu’elle seroit blâmée de tous ses amis de laisser perdre une occasion si favorable, que si elle n’eut point la force de dire à sa Mere qu’elle acceptoit le party, elle témoigna du moins par son silence que sa volonté regleroit la sienne. La Dame alla aussi-tôt consulter le Magistrat. Outre qu’il estoit de ses Amis, sa Fille luy estoit trop obligée des soins qu’il avoit pris d’elle dés ses plus tendres années, pour conclure rien que par son conseil. Il connoissoit l’Amant dont on luy parla, & non seulement il fut d’avis que l’on fist l’affaire, mais qu’on la fist sans aucun retardement. Elle estoit tres-avantageuse pour la Belle, & il falloit promptement mettre l’Amant hors d’estat de consulter sa raison. Sa passion l’entraînoit, & il auroit esté dangereux qu’on en eust laissé rallentir la violence. Il fit dresser le Contrat de Mariage qui réjoüit d’autant moins la Belle, qu’il refusa bien des choses que luy demanda la Mere, & s’échapa même jusqu’à dire d’une maniere un peu brusque, qu’elle devoit bien se contenter de ce qu’il prenoit sa Fille pour rien. Ce reproche qu’il osoit luy faire, n’ayant encore que le nom d’Amant, luy fit prevoir ceux qu’elle auroit à essuyer lors qu’il seroit son Mary, & toute sage & modeste qu’elle estoit, elle ne pouvoit digerer sans peine, qu’il comptast pour rien mille belles qualitez qui auroient esté d’un prix inestimable, si elles avoient esté appuyées de la fortune. Ce defaut où elle n’avoit aucune part, & qui pourtant la contraignoit de s’assujettir à un Amant qui se montroit si peu digne d’elle, la fit tomber dans de si chagrines reflexions, qu’elle ne fut plus capable de joye. Ainsi le Magistrat l’estant venu voir pour la feliciter sur son Mariage, il fut fort surpris de la trouver toute en larmes. Il pria sa Mere de trouver bon qu’il l’entretinst en particulier, afin de tâcher à luy remettre l’esprit, mais toutes les raisons qu’il luy apporta, ne la purent arracher à son chagrin. Celuy qu’elle devoit épouser luy estoit devenu insupportable, & elle en regardoit la necessité comme une chose qui la devoit rendre la plus malheureuse personne du monde. Le Magistrat combattit en vain son aversion. Il ne put la surmonter, & lors qu’elle luy eut dit plus d’une fois que rien ne luy pouvoit arriver de plus funeste que ce Mariage, elle ajousta que si par un redoublement de bonté, aprés l’avoir obligée de tant de manieres dans un âge où elle ne pouvoit sentir assez ses bienfaits, il vouloit bien luy donner de quoy s’enfermer dans un Convent, elle croiroit luy devoir plus que la vie. Le Magistrat étonné du dessein qu’elle formoit, luy demanda si elle se croyoit assez de vocation pour ne se pas repentir de prendre le Voile. La Belle luy répondit, que si elle avoit de quoy vivre dans le monde independante, elle auroit peine à prendre un engagement pour toute sa vie, mais que s’il falloit choisir entre un Convent & l’Amant qu’on luy vouloit donner pour Mary, elle n’auroit point à balancer. Le Magistrat ne luy voulut point donner de réponse positive. Il dit seulement qu’il ne seroit pas long-temps sans la revoir, qu’il songeroit à ce qu’elle venoit de luy proposer, & qu’il esperoit qu’elle seroit contente de luy. La Belle qui le connoissoit fort genereux, ne douta point qu’il ne la tirast du fâcheux estat où elle estoit, & le pria de ne rien dire à sa Mere de leur conversation, pour éviter les obstacles que sa tendresse l’obligeroit d’apporter à sa resolution de quitter le monde, ce qu’elle vouloit executer sans l’en avertir. Depuis ce moment, elle parut plus tranquille, quoy que son Amant qui se prevaloit du Contract signé, prist des airs d’autorité qui le faisoient haïr toûjours davantage. Deux jours aprés, le Magistrat luy apporta sa réponse, qui fut toute autre qu’elle n’avoit creu. La vie heureuse qu’elle luy avoit marqué qu’elle meneroit si elle pouvoit ne dependre de personne, l’avoit fait resoudre à la mettre en cet estat. Il n’avoit point eu d’enfans en quinze ans de Mariage, & on asseuroit que sa Femme, dont la santé estoit foible & languissante, n’en auroit jamais, de sorte que dix mille écus ostez de son bien, qui estoit tres-grand, luy avoient paru fort peu de chose. Il les donna à la Belle, afin qu’elle pust choisir un Mary qui luy convinst, sans qu’aucun autre motif que celuy de satisfaire son cœur l’engageast au Mariage. Vous pouvez juger à quels sentimens de reconnoissance une generosité si peu attenduë, porta la Mere & la Fille. Il souhaitta qu’elle fust secrette, & pour empescher qu’on ne jugeast mal de voir tout à coup du bien à cette aimable personne, on publia qu’il luy estoit mort un Oncle en Province, qui luy avoit laissé cette somme. Pour faire croire la chose elle prit le deüil, & ce ne fut pas un petit sujet de joye pour l’Amant, de voir un tel bonheur arrivé à sa Maistresse. Il est vray qu’il n’eut pas long-temps à la goûter. La Belle qui n’aspiroit qu’à se tirer d’affaire avec luy, luy fit connoistre bien-tost qu’il n’estoit pas né pour elle. Il tâcha de la gagner en se contraignant à des complaisances qu’il n’auroit pas euës, si elle n’eût pû se passer de sa fortune, mais ses efforts furent inutiles, & le Mariage fut rompu. La pretenduë succession de la Belle, dont le bruit courut, ajoûtant un charme nouveau à sa personne, elle eut des Adorateurs en assez grand nombre. Comme elle étoit delicate sur le choix, elle rejetta les uns, ne leur trouvant point d’assez bonnes qualitez, & ne voulut point écouter les autres, parce que leur bien n’avoit pas dequoy luy faire une fort grande fortune. Il luy suffisoit qu’elle en eust assez pour vivre à son aise avec sa Mere, & cette vie luy parut si douce, qu’elle resolut enfin de ne se point marier. Elle aimoit à se faire des Amis, ce qui luy estoit aisé, ayant un veritable merite, & quelques soins empressez qu’on luy marquast, elle ne voyoit personne que sur ce pied-là. Elle passa cinq ou six années de cette sorte, toujours pleine de reconnoissance pour le Magistrat, qui perdit enfin sa Femme. Aprés quelque temps passé dans le veuvage, on luy proposa divers partis fort considerables, parce qu’il estoit parfaitement honneste homme, & que le rang qu’il tenoit pouvoit faire envie. Il n’avoit d’ailleurs que quarante cinq ans, & son alliance pouvoit estre utile de toutes manieres. Comme il paroissoit n’écouter pas volontiers les propositions qui luy estoient faites, une Dame fort qualifiée qui luy vouloit donner une de ses Nieces, s’adressa à la Belle, que l’on sçavoit estre fort de ses Amies. Elle se chargea de luy en parler, ce qu’elle fit dans la premiere visite ; mais elle fut fort surprise de recevoir pour réponse qu’il l’écouteroit avec plaisir, si elle se resolvoit à parler pour elle-mesme. La Belle rougit, & parut déconcertée. Ce trouble ne pouvoit déplaire au Magistrat, qui ayant conceu beaucoup d’estime pour elle par la regularité de sa conduite, & par le mépris qu’elle avoit fait d’une infinité d’Amans, avec qui elle avoit creu ne devoir pas vivre heureuse, luy demanda serieusement si elle vouloit consentir à l’épouser, la priant pourtant, que lors qu’il se sentoit disposé à la préferer à tous les partis qu’on luy offroit, elle n’écoutast aucun sentiment de reconnoissance, & ne changeast point de condition, pour peu que son cœur y repugnast. Son étonnement fut tel qu’elle eut de la peine à s’en remettre. Cependant il falloit donner une réponse, & comme elle étoit toute penetrée des bontez du Magistrat, & que la chose ne luy aportoit pas moins d’avantage que de gloire, il vous est facile de juger qu’elle accepta le party avec une extrême joye. Le mariage se fit peu de temps aprés, & il n’y eut jamais d’union pareille à celle qui les rend heureux.

[Ouverture du Parlement, & tout ce qui s'est passé en cete occasion] §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 192-193.

 

Le Parlement assiste tous les ans à une messe solemnelle le lendemain de la Saint Martin, comme je vous l'ay souvent marqué. Cette Messe se chante en Musique dans grande Salle du Palais, ornée pour cet effet, & elle est toujours celebrée par un Evêque, que le Parlement prie de faire cette fonction. Elle l'a esté cette année par Mr Floriot, Tresorier de la Sainte Chapelle, qui officie avec les mesmes ceremonies que les Evesques. [...]

[Mr l’Abbé d’Auvergne est receu Chanoine du grand Chapitre de Strasbourg] §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 239-243.

 

Je vous ay parlé plusieurs fois de Mr l’Abbé d’Auvergne, lors qu’il a soutenu en Sorbonne. Ce jeune Prince ayant esté nommé par le Roy Chanoine de Strasbourg, prit possession de ce Canonicat le 10. de ce mois, & on n’y observa aucune autre ceremonie, si non, que le plus ancien des Comtes, (c’est ainsi qu’on appelle les Chanoines du grand Chapitre) le vint prendre dans la Sacristie, & le conduisit à un autre endroit qui pourroit servir à tenir le Chapitre, & où pourtant on ne le tient point. Là cet ancien Chanoine, qui est Mr le Comte de Mandrecheit l’Ainé, luy fit faire sa Profession de Foy, & le Serment d’observer les Statuts du Chapitre, & entre autres choses, de ne recevoir jamais personne à estre Chanoine, qui ne soit descendu de Comtes de tous les seize quartiers. Cela se fit en presence de tous les Officiers du Chapitre. Ensuite on le conduisit à la place qu’il devoit occuper au Choeur, & il alla aprés chez Mr le Comte de Mandrecheit, où se tenoit le Chapitre, selon la coûtume de le tenir chez l’ancien Chanoine. L’habit de ces Comtes est fort noble. Ils ont une Robe de velours cramoisy, avec des boutonnieres or & soye, devant, derriere, & à costé. Par dessus est le Surplis, & au dessus une Aumusse de petit gris bordé d’Hermine. C’est à proprement parler un Camail, ou petit Mantelet, comme celuy des Evesques. Ils n’ont qu’un petit bonnet de Velours noir sur la teste. Mr l’Abbé d’Auvergne est le premier François qui soit entré dans ce Chapitre, & de la maniere qu’il a commencé, on peut dire, qu’on y en trouvera peu qui s’acquitent mieux de leur devoir. Il y a vingt quatre Chanoines, dont deux seulement sont Capitulaires. Ordinairement ce sont Princes d’Allemagne, ou Comtes de l’Empire qui seront remplacez à l’avenir par ceux de nos Princes ou autres Grands Seigneurs, qui pourront faire leurs preuves.

[Mr Pavillon est nommé à l’Academie Françoise à la place de Mr de Benserade] §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 273-279.

 

Le Jeudy 22. de ce mois, l'Academie Françoise s'estant assemblée au nombre de vingt cinq, pour remplir la place qui estoit demeurée vacante par la mort de Mr de Benserade, après avoir écouté les propositions qui luy furent faites de plusieurs sujets considerables, se choisit elle mesme Mr Pavillon. Il y avoit long-temps que sa réputation & ses ouvrages, avoient fait desirer à tous ceux qui la composent de le mettre de leur Corps, mais la modestie, & l'empressement qu'il avoit de songer plutost à ses amis qu'à luy-mesme, les avoit empêchez jusque-là de se satisfaire. Le Roy à qui il fut proposé comme celuy qui avoit eu le plus de suffrages, luy a donné son agrément, & toute la Cour, & Paris y ont applaudi. [...]

[Derniers Vers de Mr Pavillon] §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 279-283.

 

Je vous envoye les derniers Vers qu’on a veus de luy. Ils prouvent parfaitement bien, qu’il n’est point necessaire de se retirer du monde pour bien travailler à son salut, pourveu que l’on y demeure dans l’obeïssance que l’on doit à Dieu, & qu’on soit exact à suivre ses loix, sans s’abandonner à son caprice.

Heureux qui se trouvant trop foible & trop tenté,
Du monde enfin se débarasse !
 Heureux qui plein de charité,
Pour servir le prochain, y conserve sa place !
Differens dans leur veuë, égaux en pieté,
 L’un espere tout de la Grace,
L’autre apprehende tout de sa fragilité.
***
Ce monde que Dieu mesme exclut de son partage,
 Non pas le monde qu’il a fait.
C’est ce que l’homme impie ajoûte à son Ouvrage,
Qui fait que son Auteur l’abandonne & le hait.
Observez seulement le peu qu’il vous ordonne,
 Et sans cesse le benissant,
Usez de son present, mais tel qu’il vous le donne,
Et vous n’aurez plus rien qui ne soit innocent.
***
Crois-tu que le plaisir qu’en toute la Nature
 Le Premier Estre a répandu,
 Soit un piege qu’il a tendu
 Pour surprendre sa Creature ?
 Non, non ; tous ces biens que tu vois
Te viennent d’une main & trop bonne & trop sage,
Et s’il en est quelqu’un dont les divines Loix
 Ne te permettent pas l’usage,
Examine-le bien, ce plaisir pretendu,
 Dont l’appas tâche à te seduire,
Et tu verras, ingrat, qu’il ne t’est deffendu,
 Que parce qu’il pourroit te nuire.
***
 Sans ses loix & l’heureux secours
 Qu’elles te fournissent sans cesse,
 Comment avec tant de foiblesse,
Pourrois-tu conserver & tes biens & tes jours !
Exposé chaque instant à mille & mille injures,
Rien ne rasseureroit ton cœur épouvanté,
Et ses justes Decrets contre qui tu murmures,
 Font ta plus grande seureté.
***
 Voudrois-tu que la Providence
Eust reglé l’Univers au gré de tes souhaits,
 Et qu’en te comblant de bienfaits,
Dieu t’eust encor soustrait à son obeissance ?
 Quelle étrange societé
Formeroit entre nous l’erreur & l’injustice,
Si l’homme independant n’avoit que son caprice
 Pour conduire sa volonté !

[La Duchesse de Medo, nouvelle galante et historique]* §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 285-286.

 

Le sieur Quinet, Libraire dans la grande Salle du Palais, a mis en vente un autre Livre nouveau qui doit donner beaucoup de plaisir à tous ceux qui le liront. C’est une Nouvelle Galante & Historique, en deux Volumes, sous le titre de, La Duchesse de Medo. Les sentimens en sont fins & delicats, & les Dames qui ont de la peine à se deffendre d’aimer, trouveront par cette lecture dequoy se fortifier contre leur foiblesse, en voyant une Personne combatuë d’une forte passion, dont sa raison la fait toûjours triompher, malgré tout ce qu’elle en souffre.

Voicy les noms de ceux qui ont expliqué la derniere Enigme sur le Jeu de Cartes, qui en estoit le vray mot.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 292-293.

Je vous envoye une Chanson que j'entens chanter à tout le monde. C'est un témoignage qu'elle plaist. Lors que vous aurez jetté les yeux dessus, vous en jugerez mieux que personne.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 293.
Dans l'état ou je suis que mon cœur est a plaindre !
L'honneur & le danger partagent mes soupirs ;
Mais tandis que la gloire occupe mes desirs,
Cruel Amour, helas ! combien tu me fais craindre !
images/1691-11_292.JPG

Avis §

Mercure galant, novembre 1691 [tome 11], p. 321.

 

AVIS.

On donnera le 15. Decembre prochain, la suite de l’Histoire de la Vie du Prince d’Orange. Le Recueil des six premiers Entretiens en forme de Pasquinades, & tout remply de Figures, ne se vend que quarante sols.