Mercure galant, Voyage des ambassadeurs de Siam en France, septembre 1686 (seconde partie) [tome 12].
Mercure galant, Voyage des ambassadeurs de Siam en France, septembre 1686 (seconde partie) [tome 12]. §
[Débarquement de l’amabassade de Siam et de l’abbé de Choisy en France]* §
Comme ces Ambassadeurs s’estoient chargez d’un grand nombre de Balots, & qu’avec ceux de Mr le Chevalier de Chaumont, de Mr l’Abbé de Choisy, & de leur suite, il y en avoit cens trente-deux, dont plusieurs estoient extremement gros, on resolut de les faire venir par Mer jusques à Roüen, pendant que les Ambassadeurs viendroient par terre, & prendroient une autre route.
[Ils viennent à la Tragedie qu'on represente tous les ans au College de Loüis le Grand, & tout ce qui s'est passé à cet égard] §
[...] Ils estoient encore à Berny, lors qu'ils furent priez par le Pere de la Chaise, de venir à la Tragedie du College Loüis le Grand, intitulée Clovis. Ils luy répondirent, qu’ils ne croyoient pas qu’ils dussent voir personne, ny aller en quelque Maison que ce fust avant que d’avoir rendu leurs respects au Roy ; mais que puis qu’une Personne aussi sage, les assuroit que cela se pouvoit, ils y assisteroient avec plaisir, ne doutant point qu’allant au College, ils ne fissent une chose agreable aux deux grands Roys. Le jour que la Tragedie se devoit representer, ils partirent de Berny dés six heures du matin dans des Carosses dont les rideaux estoient tirez, & vinrent incognito se reposer a l’Hostel des Ambassadeurs, qui estoit tout meublé pour les recevoir le jour de leur Entrée. L’heure de la Tragedie approchant, les Jesuites du College leur envoyerent quatre Carosses, avec les livrées de quelques Princes Etrangers qui y sont en Pension, parmy lesquels estoient celles du Fils naturel du Roy d’Angleterre, des Enfans de Mr le Grand General de Pologne, & du Fils de Mr le grand General de Lithuanie. Estant arrivez au lieu qui leur estoit destiné, ils furent surpris de la grandeur & de la beauté du Theatre où l’Action se devoit representer, & ils ne furent pas moins étonnez de la grande multitude de personnes de la premiere qualité, & d’une infinité de peuple qui s’y trouva, sans qu’il y eust la moindre confusion. Ils admirerent l’air dégagé des Acteurs, & la beauté des Danses, & ils prirent un tres-grand plaisir à voir danser les Enfans de Mr le Duc de Villeroy, & de Mrs de Coëtquin, de Sourches, & de la Mareliere, aussi-bien que Mr le Chevalier d’Avaux, tous Pensionnaires, & qui charmerent toute l’Assemblée.
Il est necessaire que je vous fasse icy un court détail du Balet, afin de vous faire mieux comprendre ce qu’ils dirent de ce Divertissement.
Ce Balet avoit quatre Parties, & chaque Partie cinq Entrées.
On voyoit dans la premiere partie ce qu’Hercule a fait pour sa propre gloire.
Dans la seconde, ce qu’il a fait pour le bonheur & pour l’utilité de ses Peuples.
Dans la troisiéme, ce qu’il a entrepris pour la conservation de ses Amis, & de ses Alliez.
Dans la quatriéme, ce qu’il a executé pour l’honneur des Dieux.
Le Temps faisoit l’ouverture du Balet. Il estoit accompagné des Siecles. Ce Dieu, aprés avoir attendu pendant plusieurs années un Heros que le Ciel luy avoit promis, & qui devoit effacer la gloire de tous ceux qui avoient paru jusques alors, apprenoit enfin de Mercure, qu’Hercule estoit ce Heros qui devoit étonner toute la terre par le nombre, & par la grandeur de ses belles actions.
Les travaux d’Hercule estant rapportez à ceux du Roy dans ce Balet, on y voyoit ce Monarque terrasser la Flandre, appaiser les Troubles au dedans, & au dehors de son Royaume, dompter la Triple Alliance, passer le Rhin, entrer en Hollande, défendre les Duels, donner la Paix, rendre le Commerce florissant, joindre les Mers, donner du secours à Candie, à la Hongrie, aussi-bien qu’à la Suede, foudroyer Alger & Tripoli, delivrer les Captifs, proteger ses Alliez, affoiblir l’Impieté, soûtenir la vraye Religion, & détruire l’Heresie.
Il y a longtemps qu’on n’a fait de Balet dont le dessein ait esté si beau, & qui ait mieux remply l’esprit. Lors qu’on en expliquoit les differentes Entrées aux Ambassadeurs, ils prévenoient, sans avoir sçeu l’Allegorie que l’on avoit voulu faire, tous ceux qui leur parloient d’Hercule, & disoient Que cet Hercule devoit representer le Roy, puis qu’il triomphoit de tous ses Ennemis, & portoit la victoire par tout où il passoit. Ils loüerent fort la Collation qu’on leur presenta, & la trouverent d’une beauté surprenante, & d’une magnificence extraordinaire. Plusieurs personnes de la premiere qualité, comme Princes, Ducs, Ambassadeurs, & autres, les vinrent voir pendant cette Tragedie. Il les reçeurent sort obligeamment, & répondirent à chacun selon son Employ, son rang & sa qualité.
[Visite de l’abbé de Dangeau, ami de Choisy, à l’ambassade de Siam]* §
Mr l’Abbé de Dangeau qui connoissoit parfaitement leur merite, & leur esprit, parce qu’il est intime Amy de Mr l’Abbé de Choisy, & que cet Abbé luy a mesme adressé une fort belle Relation de son Voyage de Siam, qui n’a point esté imprimée, plein de la réputation de ces Ambassadeurs, & d’estime pour leurs belles qualitez, les alla voir à Berny, où ils le retinrent à souper.
[Arrivée des ambassadeurs à Rambouillet.]* §
Le Roy ayant arresté que ces Ambassadeurs seroient leur entrée à Paris le 12. du mois passé, ils furent conduits à Ramboüillet, qui est une Maison fort agréable au bout du Fauxbourg S. Antoine. C’est en ce lieu là qu’on va ordinairement recevoir les Ambassadeurs des Rois, & ceux des Souverains qui sont traitez comme Testes couronnées. Outre les Carosses du Roy, de Madame la Dauphine, de Monsieur, de Madame, & des Princes & Princesses du Sang, il y en eut beaucoup d’autres qu’envoyerent plusieurs Personnes de marque, qui sont obligées à la Couronne de Siam, comme Mrs de Chaumont, de Lionne, de Choisy, les Jesuites, & les Missionnaires des Missions Etrangeres.
[Ce qu'ils ont fait & dit à Paris depuis le jour de leur Entrée, jusques à celuy qu'ils ont eu Audience du Roy, où l'on voit ce qui s'est passé à Nostre-Dame le jour qu'il y ont esté, & quantité d'autres choses curieuses] §
[Les Ambassadeurs furent conduits dans Paris en carrosse, suivis de] douze Trompetes du Roy à cheval. [...]
Comme les Ambassadeurs n'avoient point encore eu Audience, ils crurent ne devoir point paroistre en public avant que d'avoir salüé Sa Majesté, & ainsi ils demandèrent qu'on ne laissast entrer personne pour les voir manger. L'ordre en fut donné, & la connoissance qu'on en eut, empescha les curieux de se présenter à la porte de leur Hostel ; mais quoy qu'ils eussent résolu de n'en point sortir jusqu'au jour de l'Audience, on jugea néanmoins à propos de leur faire voir la Procession qu'on fait tous les ans à Nostre-Dame le jour de l'Assomption, parce qu'elle édifie beaucoup, & que ne se faisant qu'une fois l'année, ils s'en retourneroient sans la voir s'ils ne pernoient pas cette occasion. On laissa à Mr l'Abbé de la Mothe, grand Archidiacre, le soin de faire les honneurs du Chapitre. Il résolut qu'avant que de faire entrer les Ambassadeurs dans l'Eglise, ils viendroient se reposer chez luy, & qu'ils y feroient collation en attendant que l'Office fust prest à commencer. Il fit tout préparer pour cela, mais inutilement, car la foule se trouva si grande dans le Cloistre, qu'il fut impossible d'approcher son logis, de sorte qu'il falut aller droit à l'Eglise. On les conduisit d'abord devant le Grand Autel, où voyant que Mr l'abbé de la Mothe, & Mr Stolf s'agenoüilloient ; ils se mirent aussi à genoux. On monta ensuite au Jubé que Mr l'Abbé de la Mothe avoit fait préparer pour eux, & où l'on n'avoit laissé entrer personne. Ils considèrent toute l'Eglise avec une application que je ne puis vous représenter. Ils en demandèrent la hauteur, & la largeur, & témoignèrent mesme qu'on leur feroit un grand plaisir si on leur en donnoit le plan. La Musique leur parut très belle, & ils firent par leur Interprètes plusieurs questions à Mr l'Abbé de la Mothe, qui les éclaircit de ce qu'ils souhaitoient là-dessus. [...]
[Tout ce qui s'est fait le jour qu'ils ont esté à l'Audience du Roy à Versailles. Les Ceremonies qui ont esté observées avec les complimens qu'ils ont faits à la plupart des Princes & Princesses de la Maison Royale] §
[...] On avoit ordonné que pour faire honneur à [la Lettre du Roy de Siam], il y auroit au pied de l'Escalier, en dehors trente-six Tambours, & vingt-quatre Trompetes. Les trois Ambassadeurs marchoient de front avec Mr de la Feüillade, & l'on portoit auprès d'eux les marques de leur dignité, qui sont de grande Boëtes rondes cizelées avec des couvercles relevez. C'est le Roy de Siam qui les donne, & l'on ne paroist jamais devant luy sans les avoir. Elles sont differentes auqqi-bien que les Couronnes, & font connoistre le rang de ceux à qui elles apartiennent. Les Cours du Chasteau estoient toutes remplies de monde pour voir passer les Ambassadeurs. Ils trouvèrent deux hayes des Cent Suisses, sur le grand Escalier, dont les Eaux joüoient & faisoient plusieurs napes dans le milieu. Ils traversèrent au bruit des Fanfares des vingt-quatre Trompetes qui suivirent. Quand on fut en haut de l'Escalier, le premier Ambassadeur prit dans la Machine où l'on avoit mis la Boëte d'or qui renfermoit la Lettre du Roy son Maistre, & le donna à porter au troisième Ambassadeur, puis l'on entra dans la première Salle des Gardes. Les Gardes du Corps estoient en haye, & fort serrez des deux costez des deux premières Salles du grand Appartement du Roy. Mr le Duc de Luxembourg les receut à la porte de la premiere avec trente Officiers des Gardes fort lestes & en juste au-corps bleu. Le compliment de Mr de Luxembourg estant finy, il accompagna les Ambassadeurs avec tous les Officiers de sa suite, jusques au bout de la Galerie où estoit le Trône du Roy, les Timballes & les Trompetes qui estoient entrez avec les mesmes Ambassadeurs pour accompagner la Lettre du Roy de Siam, & luy faire plus d'honneur, jouèrent jusques au bout de la seconde Salle où les Gardes du Corps estoient en haye, & ne passerent point dans le reste de l'Apartement, que tous ceux que je vous ay marquez traverserent. Il entrerent ensuite dans le Salon qui est au bout de l'Appartement, & par lequel on va dans la Galerie [au bout de laquelle se trouvait le trône du roi qui les reçut entouré de tous les princes et princesses de la Maison royale.] [...]
[Ce qui s’est passé à la Comedie Françoise le premier jour que les Ambassadeurs y ont esté] §
[...] Quelques jours aprés, Madame du Repaire estant venuë le voir disner, on luy dit qu’elle estoit Sœur de Mr le Marquis d’Uxelles, dont il avoit reçeu tant d’honneur au Camp. Il luy fit aussi tost compliment, & luy presenta les plus beaux fruits de la table ; & quoy qu’il eust coûtume d’en presenter aux Personnes les plus distinguées, & aux plus belles Dames, il n’en presenta ce jour-là à aucune. On s’en étonna, mais on remarqua enfin qu’il ne l’avoit fait, qu’afin que Madame du Repaire eust l’avantage d’estre seule distinguée. Ayant vû jouer la Comedie du Bourgeois Gentilhomme, il comprit tout le sujet de la Piece sur ce qu’on luy en expliqua, & dit à la fin qu’il auroit souhaité qu’il y eust eu dans le dénoüement de certaines choses qu’il marqua. Mr de la Grange dit dans son Compliment, Qu’ils avoient esté souvent honorez de la presence de plusieurs Ambassadeurs, qui poussez par leur curiosité estoient venus admirer leurs Spectacles, mais qu’ils n’avoient jamais eu l’avantage de voir chez eux des Personnes, dont la qualité de l’Ambassade dans toutes ses circonstances eust plus attiré d’admirations, & que c’estoit ce qui leur arrivoit ce jour-là par leur presence ; que toute la France estoit pleinement informée de l’estime particuliere que nostre Auguste Monarque faisoit de leur merite, & qu’aussi s’empressoit-on à leur rendre de toutes parts les honneurs dûs à leur Caractere, chacun allant au devant de ce qui leur pouvoit estre agreable, qu’il auroit esté à souhaiter pour la Troupe, qu’un peu d’habitude de la Langue Françoise leur eust rendu la Piece intelligible, afin qu’ils en eussent pû sentir la beauté, ce qui leur auroit fait mieux comprendre le zele avec lequel ils s’estoient portez à leur donner quelque plaisir ; qu’ils prioient leurs Interpretes de le leur faire entendre, aussi bien que le desir qu’ils auroient de contribuer encore à leur divertissement pendant leur sejour à Paris. Ce discours receut beaucoup d’applaudissemens, & l’Ambassadeur ayant rencontré M. de la Grange lors qu’il sortoit de la Comedie, luy dit en François, Je vous remercie, Mr le Marquis, parce qu’il avoit joué le rôle du Marquis dans la Piece.
[Ce qui s’est passé à la Comedie Italienne la premiere fois qu’ils ont esté à ce Theatre] §
[...] Quand ils allerent à la Comedie Italienne, & qu’on leur voulut faire remarquer la Salle qui est tres-belle, ils dirent qu’elle estoit à Paris & que cela suffisoit, Paris estant capable de produire tout ce qu’on peut s’imaginer de plus beau. Voicy à peu prés le sujet du Compliment Italien que leur fit Mr Ginthio. Il dit, Que c’étoient de sages & illustres Ministres, qui portoient imprimée sur leur front la grandeur de leur Roy, qu’ils estoient venus en France du fond des Indes pour nous découvrir les merveilles de l’Asie, que leur Royaume estoit divisé en onze Provinces qu’on pouvoit appeller autant de Royaumes, & que tout estoit d’un si grand exemple dans le Gouvernement de Siam, que si les Ecoles de la Prudence & de la Politique estoient necessaires en France, ils pourroient en donner les premiers enseignemens ; à quoy il ajoûta, qu’il les prioit de souffrir qu’au nom de toute la Troupe, il leur rendist graces de l’honneur qu’il leur avoit plû de faire à leur Theatre, & qu’à leur retour à Siam ils daignassent dire à leur Souverain Seigneur, que les Nations les plus éloignées donnent un tribut de loüanges à sa grandeur, & reverent sa Puissance, d’autant plus considerable qu’elle a merité l’estime de nostres Monarque, toûjours Invincible LOUIS XIV & que cependant ils attendroient d’eux de nouveaux ordres pour leur donner de nouvelles marques de leur zele & de leur obeïssance. Ce Compliment fut interpreté en François par Mr Veneroni, Interprete du Roy en Langue Italienne, qui parle Portugais aussi-bien que l’Interprete des Ambassadeurs qui est né à Siam, & Fils d’un Portugais qui s’y est habitué.
[Ce qu'ils ont dit de Montmartre]* §
[...] Comme ils veulent voir Paris par tous les endroits d'où l'on en peut remarquer quelques parties principales, ils ont esté sur la Montagne de Montmartre. Ils ont dit Que Siam avoit autant d'étenduë que Paris, mais que cependant à cause de la hauteur des Maisons, Paris estoit six fois aussi grand que Siam. Ils allèrent au Couvent & firent compliment à Madame de Montmartre. Ils y entendirent Vespres, trouvèrent beaucoup de douceur dans le chant des Religieuses, & remarquèrent qu'elle avoient point levé leur Voile pour les regarder. [...]
[Ce qui s'est passé à Meudon pendant une journée entiere qu'ils ont employée à visiter ce Chasteau] §
[...] Ils se reposèrent chez Mr Girardo, Capitaine du Chasteau, où ils furent divertis par Mesdemoiselles Girardo, ses Filles, qui dansent, & qui joüent fort bien du Clavessin [...]
[Description de tout ce qu'il y a de curieux à voir dans le palais de Thuileries, où les Ambassadeurs ont esté]* §
[...] Il parut à la porte par laquelle on entre dans cet autre Palais, & y receut les Ambassadeurs. Ils s’attacherent d’abord à regarder un Theatre qui est dans le gros Pavillon du bout, & qui n’est la que pour les repetitions des Opera de Sa Majesté. On traversa ensuite tous les Appartemens. Je ne vous parle ny de la Peinture ny de la Dorure dont ils sont tout remplis. Comme Corps de Logis est double, on tourna delà dans une fort belle Galerie qui regne le long de ces Appartemens. Il y a dans cette Galerie dix ou douze Cabinets d’un tres-grand prix, dont la pluspart ont esté faits aux Gobelins. Ces Cabinets ont chacun leur nom. Les Colomnes de ceux qui en ont sont de Pierres precieuses. Il y a des Figures d’or, & des Miniatures d’une beauté surprenante. Il y avoit trop à voir, & trop de foule pour les pouvoir examiner comme ils le meritent. On traversa quelques Antichambrer & la Salle des Gardes, puis on passa par dessus la Te rasse pour aller à la Salle des Machines. Les Ambassadeurs s’arresterent quelque temps sur la Terrasse pour regarder le Jardin, qui leur plut beaucoup. Ils entrerent ensuite dans la Salle des Machines, qui pour la Peinture, la Sculpture, la Dorure, la grandeur & la construction, est le plus bel Ouvrage de cette nature qu’on ait jamais veu. Il y a plusieurs rangs de Balcons en saillie, qui produisent un effet admirable. Rien n’est plus beau que le Theatre qui est plus profond que la Salle n’est longue. Cette Salle est du dessein de feu Mr de Vigarani, Gentilhomme Modenois. Celle de Modene qu’il avoit faite, passoit pour la plus belle de l’Europe, avant qu’on eust veu la Salle des Thuilleries, qui fut bâtie pour le Mariage de Sa Majesté. Mr de Vigarani le Fils qui est au Roy, & qui depuis ce temps-là a eu toûjours l’honneur d’estre à son service, y fit travailler avec Mr de Vigarani son Pere, aussi bien qu’au premier Balet Intitulé Herculé, qui y fut dancé aprés le Mariage de ce Prince. Les Machines en estoient si grandes, & si surprenantes, qu’il y en avoit qui enlevoient jusqu’à cent Personnes à la fois.
[Ils vont à l’académie Royale de Peinture & de Sculpture. Description de cette Academie] §
[...] Au sortir de cette Salle on descendit par le Grand Escalier, & aprés que les Ambassadeurs l’eurent consideré ainsi que la Façade du Bastiment, & qu’ils eurent remercié Mr de Congis qui les avoit accompagnez par tour, ils furent conduits à l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture, dont Mr de Louvois est le Protecteur. Tout le monde sçait ce qu’elle doit à ses soins. Elle est à l’entrée de la ruë de Richelieu dans une des Galleries du Palais Royal. Les Ambassadeurs furent reçûs en descendant de Carosse, par M. le Brun qui est Chancelier & Directeur de cette Academie, & par Mrs Girardon, Des jardins, de Seve, le Hongre, Beaubrun, & Coëpel qui en sont les principaux Officiers, & les plus illustres dans leur Art. Ils estoient accompagnez de plusieurs autres, & d’un grand nombre d’Academiciens qui ne sont point du Corps des Officiers. Les Ambassadeurs virent d’abord dans la premiere Salle plusieurs Tableaux & plusieurs Basreliefs de marbre, faits par les Etudians qui travaillent tous les ans pour les Prix que le Roy donne. Ils entrerent ensuite dans la Sale, où les Ecoliers dessinent d’aprés les Modeles, & où ils travailloient alors aprés un Groupe de deux hommes nuds, qui estoient au milieu de cette Sale. Le premier Ambassadeur fit une chose qui surprit toute l’Assemblée, & qui le fit admirer. Il prit les desseins de la pluspart des Ecoliers, les considera les uns aprés les autres, & montra celuy qu’il croyoit le meilleur. Mr le Brun lit qu’il avoit jugé juste, & pour faire voir qu’il ne le flatoit point, il donna le dessein à examiner à ceux de l’Academie, qui estoient autour de luy. On entra de la dans la grande Sale, où Mrs de l’Academie tiennent leurs Assemblées Elle est toute remplie de Tableaux, faits par les plus excellens Peintres que nous ayons, & de Bustes, de Bas-reliefs, & de Médailles de Marbre, travaillez par les plus habiles Sculpteurs. On peut dire que ce sont autant de Chefs-d’œuvres, puis que ce sont en effet les Chefs-d’œuvres, de tous les Peintres, & de tous les Sculpteurs qui sont reçeus à l’Academie, où chacun est obligé de donner ou un Tableau, ou un Ouvrage de Sculpture pour y estre reçû. Les Ambassadeurs estant au milieu de tant de belles choses, en examinerent le plus grand nombre qu’ils pûrent, & firent tant de questions, que la pluspart des Academiciens se trouverent occupez en mesme temps à leur répondre. Ils virent dans le mesme lieu l’Hercule, & la Flore, qui sont des Figures de dix pieds de haut, & demanderent si ces Figures estoient d’Italie. On leur dit que ce n’estoit là que des Modelles ; qu’il y en avoit de semblables en Italie qui estoient de Marbre, & qu’on en faisoit aussi de Marbre à Paris, pour le Roy, qui devoient estre bien-tost achevées. Aprés cela ils approcherent des fenestres qui donnent dans la Court de l’Academie, & s’attacherent à regarder un Cheval de bronze qui est au milieu sur un piedestal, & un Modelle de plastre de l’Empereur Marc-Aurele à cheval. De cette Sale ils passerent dans celle où sont les Portraits des personnes de l’Academie, que ceux qui ont esté reçeus ont choisy de faire pour leurs Tableaux de reception. En entrant le premier Ambassadeur reconnut de loin celuy de Mr le Brun, & s’attacha ensuite à quelques autres, dont la peinture sembloir donner du relief aux Figures. Ils sortirent aprés avoir consideré tous ces Tableaux, & dirent à ces Mrs, Qu’ils ne s’étonnoient pas si l’on voyoit tant de belles choses en France, puis qu’il y avoit un si grand nombre d’habiles Gens. Ils furent reconduits jusques à leur Carosse par tous ceup qui avoient esté les recevoir, à la reserve de Mr le Brun, qui estoit party un peu avant eux, afin de les aller attendre aux Gobelins.