Mercure galant, août 1685 [tome 8].
Mercure galant, août 1685 [tome 8]. §
[Madrigal de M. Vignier]* §
Les bontez du Roy n’en sont pas demeurées à ce que je vous ay dit, touchant les Esclaves de toutes les Nations de l’Europe, qu’il a voulu que les Algeriens ayent rendus. L’affaire de Tripoli en est une suite glorieuse, mesme pour les malheureux qui ne sont pas nez ses Sujets. C’est ce qui a obligé M. Vignier à faire le Madrigal suivant. Il est adressé aux Peres de la Mercy, que leur Institution engage à employer tous leurs soins pour le rachapt des Esclaves.
Mes Peres, vivez en repos,Cherchez un plus doux exercice ;Ne vous exposez plus à la mercy des flots,LOUIS LE GRAND fait vostre Office.Alger de son dessein vit le commencement ;A Tripoli presentement,Des Esclaves Chrestiens il a finy les peines ;Ses Bombes, ses Canons,Sçavent bien mieux rompre leurs chaisnes,Que ne faisoient vos Patagons.
[Ouvrage de M. Cantenac] §
Je vous envoye un Ouvrage en Vers qui ne vous déplaira pas. Il est de Mr de Cantenac, assez connu par diverses Pieces qu’il a faites autrefois. Celle-cy qui est contre l’Amour, marque son changement de profession.
Fier Tyran des Mortels, dont l’aveugle puissancePrecipite la mort, & regle la naissance,Qui viens avec adresse, & des traits enchanteursPar la foiblesse humaine, à l’empire des cœurs ;Dieu des plaisirs du monde, & source de mes peines,Je t’abandonne, Amour, & je brise tes chaînes.Je connois ta malice, & trompé mille fois,Je m’endurcis enfin au mépris de tes loix.Inhumain, dont la loy charmante à la nature,Met les sens en desordre, & l’ame à la torture,Tes biens comme un éclair qu’on voit si tost finir,Sont les signes certains de la foudre à venir.Le dégoût qui les suit en fait voir l’imposture,Ce n’est qu’un faux brillant, qu’un plaisir en peinture,Qu’un sot amusement, qu’une vaine douceur,Qui des sens ébloüis est le charme & l’erreur.D’un faux bien toutefois l’ame préoccupée,S’égare en le cherchant, & veut estre trompée.Et les foibles Amans passent leurs tristes joursEn de vaines langueurs & de folles amours.L’un soûpire en tremblant, & son esprit maladeVoudroit mourir cent fois pour une douce œillade.Un autre pleure, prie, & meurt à tout propos ;Et perdant sa raison, sa bourse & son repos,Passe à poursuivre un bien qu’il ne sçauroit atteindre,La nuit à se morfondre, & le jour à se plaindre.Quelqu’autre moins captif d’un objet plus humain,Fait consister sa gloire à luy baiser la main,Et s’enchaînant des nœuds de quelque tresse blonde,Préfere sa folie à l’empire du monde.Par combien de perils, d’erreurs & de tourmensVient-on au dernier but des plus heureux Amans ?Mais tous ces feux legers, qu’un moment à fait naistre,Pareils à ceux de l’air, sont moins à disparoistre,Et j’en prens à témoin tant d’Epoux malheureux,Qui fatiguent leur ame à rallumer leurs feux.Ces Martyrs immolez au chagrin domestique,Trouvent que leur fortune est un bien chimerique.Ainsi voit-on des fleurs qui brillent au Printemps,Tromper par leur odeur le plus doux de nos sens ;Et de leur riche émail n’estant plus embellies,Se flestrir par la main qui les avoit cueillies.D’où vient donc ce panchant d’une amoureuse ardeurQue la Nature imprime au fond de nostre cœur ?L’homme agit-il en brute, & sa raison perduëNe peut-elle combattre un poison qui la tuë ?Ou si c’est un venin dont on ne peut guerir,D’où vient qu’il nous fait naître aussi bien que mourir ?Ah, que ce plaisir coûte, & que ses tristes charmesOnt remply l’Univers de malheurs & de larmes !Ils ont donné des fers aux plus fiers Conquerans.Des Rois les plus benins, ils ont fait des Tyrans,D’un Sage un Idolatre, & d’un Saint un Perfide,D’un Epoux un Bourreau, d’un Fils un Parricide,Et soüillant la Nature en leurs noirs attentats,Ont d’un fleuve de sang inondé les Etats.Quand le Ciel en couroux prepare son tonnerreAux transports criminels des amours de la terre,Le bruit du châtiment est à peine entendu,Et l’on court plus au mal, plus il est défendu.Un plaisir n’est plus doux dés qu’il est legitime,Le crime en est le charme, & le charme le crime.Par l’orgueil des humains que rien ne peut dompter,Les loix ont fait le crime, & ne peuvent l’oster.En l’erreur de l’amour, la Nature est à plaindre.Faloit-il tant de loix, où les doit-elle enfraindre ?Si rien sur ce panchant ne la peut retenir,Pourquoy nous le donner, ou pourquoy le punir ?Mais ces desirs ardens des fureurs amoureuses,Sont d’un crime plus grand les suites malheureuses,Et le Ciel a permis pour punir nôtre orgueil,Qu’un plaisir d’un moment fust pour nous un écueil ;Que l’homme en ses desirs, esclave de soy mesme,De l’Amour fist un vice, & soüillast ce qu’il aime :Et que rompant le frein de sa foible raison,D’un remede innocent il se fist un poison.Pour moy, qui vois l’écueil, & qui crains le naufrage,Echapé de la mer, je gagne le rivage.Adieu, superbe Iris, je triomphe à mon tour,L’Amant qui peut vous fuir, est maître de l’Amour.
[Autre du mesme Autheur] §
Voicy une autre piece du mesme Autheur, faite sur le grand Tonneau de Heidelberg, qui contient plus de 1200. muids, que feu Monsieur l’Electeur Palatin, Pere de Madame, a fait construire.
L’Univers étonné vante encor des miracles,Et des Temples fameux d’où sortoient les Oracles,Où les Dieux adorez sur d’indignes Autels,Abusoient les esprits des profanes Mortels.Admire icy, Passant, de plus rares merveilles,C’est le Thrône pompeux du grand Dieu des Bouteilles,De ce Dieu bien faisant qui charme tous les cœurs,Et répand son esprit sur ses adorateurs.Le puissant Jupiter en sa gloire supréme,Nous paroist redoutable au moment qu’il nous aime,Et la Foudre à la main, verse de deux tonneauxSur les Humains tremblans, & les biens & les maux.Mais de ce seul Tonneau dont Bachus fait son Temple,Le bien est ordinaire, & le mal sans exemple,Et ce Dieu qui folâtre, assis parmy les Jeux,Presente un prompt remede à tous les malheureux.Icy l’on voit bannir les soins de la fortune,Et des tristes Amans la langueur importune.Les folles passions, & les mornes soucis,Quelque obstinez qu’ils soient, s’y trouvent adoucis.Mieux que l’ancien Vaisseau qui brava le Deluge,Ce grand Vase aux mortels serviroit de refuge,Et les plus fiers assauts du perfide Clement,N’en approchent jamais, ou le font vainement.C’est icy, chers Beuveurs, le Temple de la Gloire,Quittez tout autre soin, & ne songez qu’à boire ;Et d’une vaste coupe arrosez à plein fondsVos poulmons alterez, & vos ventres profonds.Celebrez à l’envy dans le plaisir Bachique,D’un Ouvrage si beau l’Inventeur magnifique.Faites voler sa gloire en cent Climats divers,Luy mesme est un miracle aux yeux de l’Univers.
[Lettre en Vers & en Prose] §
Plusieurs Ouvrages galans que vous avez veus de M. Vignier, vous ont assez divertie, pour me donner lieu de croire, que vous lirez la Lettre suivante avec plaisir. Il l’a écrite au commencement de ce mois à une Dame de ses Amies.
images/1685-08_047.JPGA MADAME DE M.…
J’ay, Madame, une extréme passion de vous aller voir dans vostre belle Maison de campagne ; mais les pluyes continuelles qu’il fait s’y opposent, & me retiennent icy,
Où beaucoup de monde m’assureQu’il fait plus beau cent fois,Quand le mauvais temps dure,Que dans vos Prez & dans vos Bois.Ce dernier mois a esté si déreglé, que des gens aussi superstitieux que vous en connoissez, se laisseroient facilement persuader, que quelques Constellations favorables à Nosseigneurs du Parlement en sont la cause, & diroient
Peut-estre que l’Esté pretend,De ne faire ses diligences,Pour donner à chacun le plaisir qu’il attend,Que quand on aura les Vacances.Mais, Madame, cela ne m’accommoderoit pas ; je ne pourrois joüir de ce beau temps sans chagrin. Tous ces Messieurs partiront en foule de Paris pour n’en perdre aucun moment. Vous en aurez plusieurs dans vostre Voisinage qui voudront en profiter ; & si je sortois d’icy dans le mesme temps, je vous trouverois assiegée d’une partie de ces graves Magistrats, qui sçavent si bien se défaire de leurs habits longs, & paroistre avec des Cravates aussi Cavaliers que nous.
Ainsi soit aux Champs, soit en Ville,Le soin que je prendrois seroit fort inutile.C’est pourquoy, Madame,
Je croy qu’il vaut mieux que j’attende.Que l’âpre Saison des frimasQue tous ces Messieurs n’aiment pas,Les rameine où je les demande.Le mauvais temps que tout le monde craint,Ne peut faire la guerreAux fleurs de vostre teint,Comme aux fleurs de vôtre Parterre.Vous vous connoissez trop bien en Musique, pour n’estre pas contente de l’Air nouveau que je vous envoye. Il est d’un fort sçavant Homme, estimé de tout le monde.
AIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Dans un Bois la jeune Iris, doit regarder la page 51.Dans un Bois la jeune IrisSur la verdure nouvelle,Carressoit l’autre jour sa plus chere Brebis ;Tircis y vint, & s’assit auprés d’elle.Par les plus doux transports que l’amour fasse naistre,Ils exprimoient tous deux mille tendres desirs,La Brebis troubloit leurs plaisirsIris l’envoya paistre.Amour, je me suis plaint cent foisDes rigueurs de tes loix,Ton feu m’estoit insupportable ;Mais je me trompois bien.Un cœur est miserableDepuis qu’il n’aime rien.
[Arrests & Declarations] §
[...] depuis l'Interdiction de l'Exercice de la religion Pretenduë Reformée, & la démolition des Temples en divers lieux du Royaume, soit parce qu'ils y avoient esté établis au prejudice de l'Edit de Nantes, soit parce qu'on avoit contrevenu aux Edits & Declarations de Sa Majesté, les Pretendus Reformez viennent & abordent de differens Bailliages & Senéchaussées aux Temples qui subsistent, quoy qu'ils en soient éloignez de trente lieuës ; en sorte que cette affluence de Peuple cause des attroupemens dans les lieux où l'Exercice est permis, du scandale dans ceux où ils passent, par les irreverences qu'ils commettent devant les Eglises, & des querelles avec les Catholiques, par leur marche tant de nuit que de jour, pendant laquelle ils chantent leurs Pseaumes à haute voix, au prejudice des défenses qui en ont esté faites par divers Arrests & Declarations. Comme ces Assemblées tumultueuses pourroient avoir de fâcheuses suites, Sa Majesté, qui veut empescher la continuation de ces desordes, A declaré qu'il luy plaist, Qu'aucunes Personnes de la Religion Pretenduë Reformée ne puissent dorenavant aller à l'Exercice aux Temples qui se trouveront dans l'étenduë des Baillages & Senéchaussées où elles n'ont pas leur principal domicile, ny fait leur demeure ordinaire pendant un an sans discontinuation, avec de tres-expresses Defenses aux Ministres & Anciens de les y recevoir, à peine d'interdiction de l'Exercice, & démolition des Temples, & contre les Ministres, d'estre privez pour toûjours des fonctions de leur Ministère dans le Royaume. La prudence veut, que dans un Etat bien policé, on empêche tout ce qui approche de l'attroupement, & cela fait voir avec combien d'équité cette Declaration a esté donnée. [...]
[Suite des Conversions faites dans le Bearn, pendant le mois de Juin] §
[Devant le nombre croissant des conversions en Béarn, notamment dans la ville de Salies dont il est fait mention au début de cet article,] M. Foucault a fait deux choses. La premiere, a esté d'engager les Seigneurs Catholiques qui ont des terres où il y avoit des Religionnaires, d'aller incessamment travailler à leur Conversion, en quoy ils ont agy si efficacement, qu'ils les ont presque tous ramenez à l'Eglise. M. le Président de Gassion, Mrs Dorogne, de Candau, de S. Macary, & Senay, Conseillers du Parlement de Navarre, Mrs les Marquis de Moneins, Senéchal du Pays de Soulle, de la Taulade, Lieutenant de Roy, de Navarreux, Mrs les Barons de Bœil & d'Assat, & beaucoup d'autres Officiers & Gentilshommes, ont utilement employé le credit qu'ils ont dans leurs Paroisses, pour seconder les intentions du Roy. Sur tout la Famille de M. le Baron Darbomave, n'a rien épargné dans une occasion si importante de ce qui pouvoit signaler son zele pour la Religion Catholique, & pour le service de Sa Majesté. La seconde chose que M. Foucault a faite, a esté de se rendre incontinent dans les Villes & les Paroisses qui appartiennent au Roy, comme aussi dans celles dont les Seigneurs font profession de la Religion Prétenduë Reformée, & pendant trois semaines qu'il a employées à visiter, à exhorter, & à faire instruire les Religionnaires, il s'est fait des Conversions sans nombre dans tous les lieux où il a esté. Mais ce qu'il y a de bien glorieux pour le Roy dans ce grand mouvement de Religion, c'est la soumission que les Habitans d'Oleron, qui est la plus grande Ville de la Province, ont témoignée à ses Ordres, faisant voir par là qu'ils estoient persuadez qu'ils ne pouvoient manquer en suivant les volontez d'un Prince, dont toutes les entreprises paroissent visiblement soûtenuës du Ciel. Ce sage & zelé Commissaire qui les fit assembler en sa presence, ne leur eut pas plûtost fait connoistre que l'intention de Sa Majesté estoit qu'ils se fissent instruire des Principes de l'Eglise Romaine, qu'ils demanderent quinze jours pour le faire, & ce terme estant expiré, ils députerent vers luy M. Colomits, l'un d'entr'eux, pour luy dire qu'ils estoient résolus d'embrasser la Religion de leur Souverain. C'est ce qu'ils firent tous avec leurs Femmes & leurs Enfans, entre les mains de M. l'Evesque d'Oleron, & le premier Juillet ils assisterent tous à la Messe pontificalement celebrée par ce Prelat, & entendirent la Prédication du Pere Carriere Jesuite, ayant à leur teste M. Goulard Ministre, qui s'estoit converty quinze jours auparavant, & qui leur avoit rendu raison des Motifs de son Abjuration. Ils vinrent aussi le soir à l'Eglise, où l'on chanta le Te Deum, en Action de graces de cette importante Conversion. M. l'Evesque y porta le Saint Sacrement en Procession, & y donna la Benédiction aux nouveaux Convertis, & aux autres Catholiques, dont l'Eglise se trouva pleine, & pour mieux solemniser le jour heureux de la réünion de tous les Habitans d'Oleron sous une mesme Communion, les Jurats firent faire des Feux de joye, & M. Foucault alluma le Bucher de celuy qui élevé à la Place publique, au bruit du Canon & de la Mousqueterie, & aux acclamations de Vive le Roy. Huit jours avant le retour des Prétendus Réformez d'Oleron à l'Eglise, M. Foucault retourna à Pau, où dans une Assemblée des Principaux de la Ville, il leur fit connoistre les Motifs pressans qu'ils avoient de suivre au plûtost l'exemple de ceux d'Oleron. Ils luy demanderent quinze jours pour achever de se faire instruire. Je n'ay pas bien sceu quels moyens il employa pour réüssir dans cette derniere entreprise ; mais il est certain que dés l'onzième jour, les Habitans de Pau luy envoyerent quatre Députez d'entr'eux. M. Vidal ancien Avocat porta la parole, & luy dit Que leur Eglise, si on pouvoit encore luy donner ce nom, venoit de les députer pour luy faire connoistre, qu'aprés avoir meurement examiné les Poincts qui les avoient tenus si long-temps separez de la Communion Romaine, ils avoient ouvert les yeux à la vérité ; qu'ils estoient resolus de donner au Roy, la satisfaction de les voir rentrer en son Auguste Regne dans le sein de l'Eglise Catholique, Apostolique & Romaine [...]
Cet Acte de Déliberation si solemnel, fut suivy le Dimanche 15. Juillet, de leur Abjuration, auquel on fit une Procession, où le Parlement & tous les Corps de la Ville assisterent. Le Te Deum y fut chanté, & les acclamations de Vive le Roy, furent accompagnées du bruit du Canon du Château, & suivies d'un Feu d'artifice, & de la décharge de la Mousqueterie. On peut dire que la Conversion des Pretendus Reformez de la Ville de Pau a esté generale, puis qu'il n'y reste presentement que deux Familles de Gentilshommes, & une d'un Marchand, qui témoignent vouloir perserverer dans la Religion Pretenduë Reformée, avec les Femmes de trois Officiers du Parlement, & de quatre autres Bourgeois. [...]
[Tout ce qui s'est passé passé à la Reception de M. de la Haye, Ambass[adeur] à Venise] §
M. de la Haye, choisi par Sa Majesté, pour succeder à M. Amelot dans l'Ambassade de Venise, ayant résolu de faire son Entrée publique le 8. du mois passé, le Sénat auquel il en fit donner avis le 27. juin par M. Menault, Chanoine de Saint Aignan d'Orleans, Secretaire de l'Ambassade, députa M. Jules Assanio Giustiniani Chevalier, que nous avons veu Ambassadeur de la Republique à la Cour de France, pour aller le recevoir à l'Isle du Saint Esprit, avec soixante Senateurs. Ce jour estant arrivé, M. l'Ambassadeur accompagné de M. Menault, & du Consul de toute la Nation, s'embarqua dans sa premiere Gondole. Elle estoit d'une Sculpture dorée, & garnie d'un Velours rouge Cramoisy, remply de Franges d'or, avec la couverture brodée d'or fort richement. Ses deux Fers estoient les plus magnifiques & les plus beaux qui eussent jamais paru à Venise. Il fut suivy de quatre Gondoles dans lequelles se mirent ses Gentilshommes, Officiers, Pages, & Valets de pied. Les trois premieres de ces quatre autres Gondoles estoient aussi d'une Soulphare dorée, l'une garnie d'un Velours noir à ramage, avec une Crespine tres-riche, l'autre d'une Velours Cramoisy aussi à ramages, & la troisiéme d'un Velours noir tout uny. La derniere estoit plus commune. Ces cinq Gondoles avoient chacune quatre Rameurs vétus de livrées. Tous les Gentilshommes du Cortége, & autres des principaux de la Nation qui demeurent à Venise, suivirent avec leurs Gondoles à Rames, au nombre de plus de soixante. M. l'Ambassadeur estant arrivé à l'Isle du Saint Esprit, y fut receu par les Cordeliers qui l'habitent. Ils l'accompagnerent dans leur Eglise, précedé de tout son Cortége, & aprés qu'il y eut fait sa Priere, ils le conduisirent dans un appartement préparé & meublé par ordre de la Republique, où il receut aussitost des Complimens de la part de M. l'Ambassadeur d'Espagne, de la Nonciature, & du Résident de Mantouë.
M. le Chevalier Giustiniani ayant mis pied à terre en cette Isle, avec les soixante Senateurs, tous en Habits de cerémonie, & venus chacun dans une Gondole à quatre Rames, M. l'Ambassadeur descendit dans l'Eglise, à la porte de laquelle M. Menaut se rendit accompagné de trois Gentilshommes, pour y recevoir ce Chevalier. Il luy fit un Compliment de peu de paroles, & M. l'Ambassadeur le voyant paroistre, s'avança jusqu'au milieu de l'Eglise, où M. le Chevalier Giustiniani se trouva en mesme temps. Les Complimens furent reciproques, & M. l'ambassadeur répondit tres-obligeamment à ce que ce Chevalier luy dit de la part du Senat. M. de la Haye, auquel M. Giustiniani donna la main, sortit de l'Eglise, suivy immediatement du Secretaire de l'Ambassade, avec le premier Senateur, & du Consul accompagné d'un autre Senateur, & ainsi tout le reste du Cortége. Il monta le premier dans la Gondole du Chevalier ayant toûjours la droite, & il n'y entra après eux que le Secretaire de la Republique en Veste violette. L'Ancien Senateur fit entrer M. Menault dans la sienne, où il luy donna la droite, comme les autres Senateurs à tout le Cortége. On se rendit au Palais de l'Ambassadeur, jusque dans la Chambre d'Audience, qui estoit garnie d'une Tapisserie de Velours Cramoisy à fond d'or tres-riche, avec le Portrait du Roy sous un Dais de pareille étoffe. M. le Chevalier Giustiniani l'y complimenta tout de nouveau, & M. l'Ambassadeur luy répondit avec beaucoup d'éloquence. Il luy donna la main, & l'accompagna hors de la porte de son Palais, jusques proche sa Gondole [sic], suivy de tous les Senateurs, & du Cortége dans le mesme ordre. Les Violons, Trompettes, Haut-Bois, & Tambours sonnerent en differens endroits du Palais jusqu'à quatre heures de nuit, & pendant ce temps là on distribua quantité de Confitures, d'Eaux fraisches, & de Liqueurs à tous ceux qui s'y trouverent, tant en Masque que sans Masque, sur tout aux Nobles & Gentishommes qui y vinrent en grand nombre masquez & démasquez.
Le lendemain 9. Juillet, M. le Chevalier Giustiniani & les Senateurs s'estant assemblez à dix heures du matin dans l'Eglise de la Madonna del Horto, proche le Palais de M. l'Ambassadeur [sic], envoyerent le Secretaire de la Republique en Veste violette luy faire compliment, & prendre son heure pour aller à l'Audience. Il répondit qu'il estoit tout prest, & cependant on fit mettre toute la Livrée hors le Palais, & le Cortége devant la Porte. M. Menault estoit à la teste, & receut M. Giustiniani qui vint par terre, suivy des Senateurs deux à deux depuis l'Eglise jusques au Palais. Il l'accompagna jusques au milieu de l'Escalier, où M. l'Ambassadeur l'ayant receu, il le conduisit à la Chambre d'Audience. Aprés quelques complimens de part & d'autre, on remonta en Gondole comme le jour précedent jusqu'au Palais de Saint Marc, & l'on y mit pied à terre à la Piazzetta. De là après avoir traversé la Court du palais, on monta l'Escalier des Geans, & M. l'Ambassadeur s'étant rendu à la porte du College, elle s'ouvrit, le Doge & le College estant debout. M. de la Haye ayant fait les réverences ordinaires, s'assit à sa droite, & se couvrit. Il luy presenta la Lettre du Roy ; le Doge la donna au Secretaire de la Republique pour en faire la lecture, aprés quoy M. l'Ambassadeur fit sa Harangue au Senat, & la prononça d'une maniere tres noble. Le Doge répondit à ce Discours en des termes qui marquoient une entiere venération pour le Roy, & une estime particuliere pour la Personne de M. l'Ambassadeur, qui se retira ensuite toûjours à la droite de M. le Chevalier Giustiniani, qui le conduisit dans sa Gondole comme auparavant, & l'accompagna jusques dans la Chambre d'Audience. Là s'estant de nouveau complimentez, M. l'Ambassadeur luy donna la main, & l'ayant conduit jusqu'à sa Gondole, il salua tous les Senateurs qui passerent devant luy en s'en retournant. Ensuite il monta en haut suivy de tous les Gentilshommes de son Cortége qu'il fit disner avec luy. Quatre Tables furent servies en mesme temps avec beaucoup de magnificence. Il y eut quatre Services, & les Vins & les Liqueurs ne furent point épargnez. L'on avoit préparé dés le matin un grand Bufet remply d'argenterie dans le Portique, & de l'autre costé une grande Table couverte de toute sorte de Fleurs, de Fruits, & de Confitures à la Françoise. Après le repas, les Violons & autres Instrumens recommencerent à joüer, & on distribua à tout le monde des Eaux, des Liqueurs, & des Confitures comme le jour précedent. La Feste finit à quatre heures de nuit sans estre troublée par aucun desordre. [...]
[Histoire] §
Vostre aimable Amie, dont vous me demandez des nouvelles, a fait un Voyage de deux mois, & est de retour icy depuis peu de jours. En rendant visite dans un Convent de Province, on luy a fait voir une Personne fort bien faite, qui mene une vie tres-exemplaire, aprés avoir couru dans ses premieres années, le peril du plus grand desordre où une Fille soit capable de tomber. Son Pere la voulant contraindre d’épouser un Homme d’un âge fort avancé, elle resista à ses volontez, & comme il avoit l’affaire à cœur, & qu’il estoit violent quand il s’emportoit, il s’oublia tellement dans les mauvais traitemens qu’il luy fit souffrir, que perdant enfin patience, elle résolut de fuir déguisée en Homme. Elle prit l’habit d’un de ses Freres, avec tout l’argent dont elle put se saisir, & cét habit démentant son sexe, elle s’éloigna du lieu où estoit son Pere, sans qu’il pust sçavoir ce qu’elle estoit devenuë. Elle passa quelque temps à voyager, & la fin de son argent la réduisant à chercher employ, elle s’enrolla dans un Regiment d’Infanterie, où elle servit cinq années entieres en simple Soldat, avec beaucoup plus d’exactitude qu’aucun de ses Camarades ; mais sa gorge commençant à paroistre, un Sergent soupçonna qu’elle estoit Fille. Il luy en dit quelque chose, & la crainte de voir éclatter son déguisement, l’engagea à deserter. Elle s’enrolla dans le Regiment de Tournaisis, & elle y servit avec tant d’application, & de bravoure pendant deux autres années, qu’elle se fit distinguer dans toutes les occasions qui se presenterent. Elle se battit mesme dans un combat singulier où elle eut tout l’avantage ; & quoy qu’elle ne pust se défendre d’avoir de la liaison avec quelques-uns de ceux de son Regiment, elle se tint toûjours si bien sur ses gardes, que personne ne s’apperceut de son sexe. Enfin son malheur voulut qu’étant dans un lieu de Garnison, elle inspira de l’amour à la Fille de son hoste. Elle creut qu’elle en seroit quitte pour se divertir secrettement des avances que luy faisoit cette Fille. Elle y répondoit d’une maniere qui donnoit lieu à des conversations assez agréables, & ne s’imaginant pas que la pudeur permist à la Belle de pousser les choses, elle rioit des vaines prétentions qu’elle avoit formées, sans pouvoir croire qu’elle deust jamais les expliquer. En effet il se passa quelque temps sans que les marques que cette Fille luy donnoit de son amour, l’engageassent à autre chose qu’à des complaisances, & à quelques petits soins qu’elle luy rendoit avec plaisir ; mais enfin la passion de la belle fut si violente, que ne pouvant plus la moderer, elle découvrit à son prétendu Amant, la résolution qu’elle avoit prise de l’épouser en secret, si son Pere à qui elle le pria de la demander, ne vouloit pas consentir à leur Mariage. L’aimable Guerriere qu’une déclaration si peu attenduë mettoit dans un fort grand embarras, se creut obligée de faire cesser cét amour aveugle qui l’exposeroit à des persecutions continuelles, si elle ne luy faisoit pas connoistre l’impossibilité où elle estoit d’y répondre. Elle exigea d’elle tous les sermens qu’elle jugea necessaires pour l’obliger au secret, & luy dit ensuite qu’elle estoit Fille comme elle, ce qu’elle ne justifia que trop bien pour le repos de la Belle. La connoissance qu’elle eut de son sexe la mit dans un desespoir inconcevable. Elle ne pouvoit luy pardonner, d’avoir entretenu son erreur un seul moment ; & quelques conseils que luy donnast sa raison, elle se trouva incapable de s’en servir. Ainsi bien loin de luy garder le secret, elle prit plaisir à le publier, & son amour se tournant en haine, elle fit croire qu’elle n’avoit déguisé son sexe que pour s’abandonner avec moins de retenuë au libertinage & à la débauche. Le Commandant fut instruit de tout. Il la fit venir, & elle luy avoüa ce qui l’avoit obligée à fuir de la Maison de son Pere, le conjurant de s’informer de tous ceux qui avoient eu quelque pratique avec elle, s’ils avoient trouvé le moindre déreglement dans sa conduite. Son innocence fut justifiée, & elle demanda avec tant d’instance qu’on la mist dans un Convent, qu’elle y fut menée quelques jours aprés. C’est où vostre Amie l’a veuë. Elle a appris d’elle-mesme tout ce que je viens de vous conter. Vous jugez bien qu’on donna avis au Pere de toute son Avanture, & qu’il ne s’opposa pas au dessein d’une retraite qui ferme la bouche à la médisance.
[Relation contenant toutes les particularités du Mariage de M. le D[uc] de Bourbon] §
Je vous ay promis que je rechercherois avec soin toutes les particularitez qui regardent le Mariage de Monsieur le Duc de Bourbon, & de Mademoiselle de Nantes, afin de vous en donner une Relation exacte ; mais il est bien difficile qu'il n'échape quelques circonstances de tout ce qui a précedé, accompagné, & suivy l'Union de ces deux Augustes Personnes. Le Roy ne fait rien qui ne marque sa Grandeur ; Monsieur le Duc est galant & magnifique, & tous ceux qui touchent de prés au jeune Prince & à la jeune Princesse que le Mariage vient d'unir, aiment la belle dépense. La Liberalité leur est naturelle ; ils n'épargnent rien lors qu'il s'agit d'affaires d'éclat, & il semble que le bon goust soit né avec eux. Jugez aprés cela, s'il m'a pû estre facile de ramasser toutes les circonstances qui ont rapport à ce Mariage ; mais il y a plus encore, c'est qu'il s'est fait avec un tel agrément, & tant de joye de toute la Cour, que chacun en son particulier a contribué autant qu'il a pû, à l'éclat de cette Feste, par des Habits magnifiques, par des marques de réjoüissance, & mesme par de somptueux repas, accompagnez de divertissemens. [...]
La Cerémonie des Fiançailles se fit le 23. de Juillet dans le grand Salon de l'Appartement du Roy. Toute la Maison Royale s'y trouva, aussi bien que tous les Princes, & Princesses du Sang qui y avoient esté invitées. Monsieur le Duc de Bourbon & Mademoiselle de Nantes, y furent conduits par M. le Marquis de Blainville, Grand Maistre des Cerémonies, qui avoit auparavant esté prendre ce Prince & cette Princesse, chacun dans leur Appartement. [...]
Monseigneur le Dauphin, Monsieur le Duc de Chartres, Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Monsieur le Duc du Maine, & Monsieur le Comte de Thoulouze se rangerent à la droite du Roy. Madame la Dauphine, Madame, Mademoiselle, Madame la Grande Duchesse de Toscane, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, Mademoiselle de Bourbon, Mademoiselle d'Anguien, Mademoiselle de Blois, & Madame de Verneüil veuve d'un Prince legitimé de France, se placerent à la gauche. Je n'entreray dans aucun détail de leurs habits, la déscription en seroit seule aussi longue que toute ma Relation. Imaginez-vous tout ce que la Broderie, & les plus riches Brocards d'or, tous differemment ornez de Pierreries, peuvent former de plus éclattant, & vous aurez encore de la peine à vous bien representer le brillant effet que produisoit l'éboüissant amas de ces diverses richesses, tant il sembloit que chacun eust pris plaisir à se parer à l'envy pour faire honneur à la Feste, & pour marquer la satisfaction qu'il avoit de ce Mariage. Tous ces Princes & ces Princesses formerent un cercle, & Monsieur le Duc de Bourbon & Mademoiselle de Nantes, se rangerent auprés de la Table, au bout de laquelle estoit le Roy. M. le marquis de Seignelay, Secretaire d'Etat & de la Maison du Roy, fit la Lecture du Contract, M. Colbert de Croissy, Ministre & Secretaire d'Etat, estant present. M. de Seignelay presenta ensuite la plume à Sa Majesté, qui le signa, aprés quoy il fut signé par Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame, Monsieur le Duc de Chartres, Mademoiselle, Madame la Grande Duchesse de Toscane, Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Madame la Duchesse, Monsieur le Duc de Bourbon, Madame la princesse de Conty, Mademoiselle de Bourbon, Mademoiselle d'Anguien, Mademoiselle de Condé, Monsieur le Duc du Maine, Monsieur le Comte de Thoulouse, Mademoiselle de Nantes, Mademoiselle de Blois, & Madame la Duchesse de Verneüil. Aprés que le Contract eut esté signé, M. l'Evesque d'Orleans, premier Aumônier du Roy, fit la Ceremonie des Fiançailles. Il estoit en Camail & en Rochet avec l'Etole. Cette Ceremonie achevée, on se rendit à Trianon, où le Roy donna à Souper à toute la Maison Royale, & aux Seigneurs & Dames de la Cour. Il y eut auparavant une Promenade sur le Canal, que l'on trouva tout couvert de Chaloupes, Gondoles, Yacs, & autres sortes de Bâtimens parez. La Chaloupe où se mit le Roy, estoit garnie de Damas bleu, avec de grandes Crespines d'or. Les Carreaux estoient de mesme, & les Tapis de Perse, à fonds d'or. La Chaloupe de Monseigneur le Dauphin, estoit de Damas cramoisy, & enrichie de frange d'or. Monsieur en avoit une de Damas vert, avec des franges or & argent. Celle de Madame estoit aurore, avec des franges d'argent. Toutes ces Chaloupes avoient des Carreaux de mesme Damas, avec de riches Tapis. La Musique estoit dans un Vaisseau qui suivoit la Chaloupe du Roy, & cette Chaloupe de Sa Majesté etoit environnée de toutes les autres. Les hommes suivoient à cheval le long du Canal, magnifiquement vestus. On y voyoit un grand nombre de Carosses, & une affluence de peuple extraordinaire. Pendant cette Promenade, on eust le plaisir d'entendre tout ce qu'il y a de plus belle Musique dans tous les Opera de M. de Lully. On arriva sur les neuf heures du soir à Trianon. Le Roy monta par le degré du Jardin, dont les Berceaux estoient éclairez par quantité de Chandeliers de cristal. Il y avoit dans les quatre Cabinets qui les terminent, quatre Tables de vingt-cinq couverts chacune. Le Roy en tenoit une, & Monseigneur le Dauphin, Monsieur & Madame, tenoient les trois autres. Il y en avoit aussi deux dans le Chasteau pour les Seigneurs. [...]
La Cerémonie des Epousailles se fit le lendemain 24. Juillet à une heure aprés midy. M. de Saintot alla prendre Monsieur le Duc de Bourbon dans son Appartement, & le mena à celuy de Mademoiselle de Nantes. Il les conduisit ensuite dans la Galerie, où Madame la Dauphine attendoit le Roy. On alla de là à la Chapelle, chacun en son rang. [...]
Je ne vous parleray point icy des places que chacun occupa dans la Chapelle, vous les ayant déjà marquées dans les Relations du Mariage de la Reyne d'Espagne, & celuy de Madame de Savoye. La Musique de la Chapelle chanta plusieurs Motets pendant la Messe, & à l'Offertoire M. le Marquis de Blainville Grand Maistre des Cerémonies, avertit Monsieur le Duc de Bourbon d'aller à l'Offrande. Ce Prince aprés avoir fait une révérence à l'Autel, & une au Roy, baisa l'Anneau de l'Evesque, & luy presenta un Cierge garny de plusieurs pieces d'or, qu'il avoit receu du Grand Maistre des Cerémonies, celuy-cy l'ayant pris des mains de M. Duché, Controlleur Genéral de l'argenterie en année. Les mesmes Cerémonies furent observées pour Madame la Duchesse de Bourbon, qui alla ensuite à l'Offrande. Aprés le Pater, Mrs les Abbez du Breüil & Milon, Aumôniers du Roy, tous deux en Rochet & en Manteau long, étendirent un Poële de Brocard d'argent sur la teste de Monsieur le Duc & de Madame la Duchesse de Bourbon, pendant que M. l'Evesque d'Orleans acheva la Cerémonie des Epousailles. La Messe estant finie, le Curé de la Paroisse de Versailles presenta au Roy le Registre des Mariages, qui fut signé par Sa Majesté, Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame, Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Madame la Duchesse, & Monsieur le Duc & Madame la Duchesse de Bourbon. Au sortir de la Messe, on remonta dans le mesme ordre qu'on estoit venu, excepté que Mademoiselle de Nantes, pour lors Madame la Duchesse de Bourbon, prit son rang aprés Madame la Duchesse. A huit heures du soir, le Roy se trouva dans son grand appartement, où toute la Cour se rendit. Je ne vous parle point de la magnificence de cét appartement ; elle est genéralement connuë, & je vous en ay envoyé une description particuliere. On alla ensuite sur le grand degré de Marbre. Toutes les Dames se partagerent dans les deux Tribunes, & tous les Hommes sur les Rampes. La Musique estoit en bas, & divertit jusques à dix heures qu'on alla souper. La Table estoit dans la grande Salle des Gardes du Corps. Ceste Salle estoit tenduë d'une riche Tapisserie rehaussée d'or, qui representoit l'Histoire d'Henry III. [...]
Il y eut quatre Services, & le grand nombre de mets & de Conviez n'empescha pas le bon ordre, & que l'abondance ne parust avec la magnificence. Au sortir de la Table, on revint dans le grand Appartement du Roy, où M. l'Evesque d'Orleans benit le lit, puis on deshabilla les Mariez. Le Roy donna la chemise à Monsieur le Duc de Bourbon, aprés qu'elle luy eut esté presentée par Monsieur le Duc, & Madame la Duchesse la presenta à Madame la Dauphine, qui la donna ensuite à Madame la Duchesse de Bourbon. Le Roy fit l'honneur à cette Princesse de la visiter le lendemain dans le mesme Appartement de Sa Majesté, où elle avoit couché. Elle y receut le mesme honneur de Monseigneur le Dauphin, & le[s] Complimens de toute la Cour, & le soir elle alla souper chez Monsieur le Prince, où on luy donna le divertissement d'entendre chanter les Vers que M. l'Abbé Genest avoit composez sur son Mariage, & dont je vous feray part à la fin de cette Relation. La Musique estoit de M. de la Lande, l'un des Maistres de Musique de la Chapelle du Roy.
Le Jeudy, Monseigneur le Dauphin donna un grand Soupé dans son Appartement, & l'on chanta ensuite l'Idille que je vous ay envoyé en vous parlant du divertissement de Sceaux.
Le Samedy le Roy alla disner à Marly. Il y mena Madame la Duchesse de Bourbon, Madame la Princesse de Conty, & les Dames qui estoient necessaires pour le petit Balet, que l'on y dança le soir devant Madame la Dauphine, qui y vint souper avec un grand nombre de Dames. Les Vers de ce divertissement estoient de M. Morel, Valet de Chambre de cette Princesse, & la Musique de M. de la Lande. Madame la Duchesse de Bourbon, & Madame la Princesse de Conty, dancerent des entrées dans les Intermedes, & l'une & l'autre s'y firent admirer par leur bonne grace, & par la justesse de leur dance.
Le Dimanche Monsieur donna une grande Feste à Saint Cloud. Il y eut Collation, Musique, Jeu, Promenade, bal, Souper, & Comédie. Il s'est fait encore beaucoup d'autres Festes devant & aprés ce Mariage, & qui y ont toutes rapport par la joye que la Cour a fait paroistre, & par les marques d'amitié que le Roy a données aux Mariez. [...]
Epithalame pour les Nopces de Monsieur le duc de Bourbon et de Mademoiselle de Nantes §
L'Epithalame qui suit est de M. l'Abbé Genest, dont je viens de vous parler. Il a fait quantité d'autres beaux Ouvrages, dont les grand succez sont connus de tout le monde.
EPITHALAME
POUR LES NOPCES
DE MONSIEUR
LE DUC DE BOURBON,
ET DE
MADEMOISELLE DE NANTES***TROUPE DE DIVINITEZ DE VERSAILLES, TROUPE DE JEUNES NYMPHES, TROUPE DE JEUNES NYMPHES.
UN DIEU chante.Voicy les momens desirez.Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée ;Allumez vos flambeaux sacrez.Heureux Amans ! Nuit fortunée !Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée.CHOEUR.
Heureux Amans ! Nuit fortunée !Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée.LE DIEU.
Couronné de fleurs immortellesTriomphez avec les Amours ;Amenez des plaisirs qui renaissent toûjours,Des tendresses toûjours nouvelles.***Chantez, Silvains, Nymphes, chantez,La jeune Epouse & ses Beautez,Le jeune Epoux & sa Conqueste.Jamais en de si beaux lieuxUne si belle FesteN'assembla les Dieux.CHOEUR.
Jamais en de si beaux lieuxUne si belle FesteN'assembla les Dieux.Le DIEU & LE CHOEUR.
Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée.Quels doux plaisirs préparez-vousA ces jeunes Epoux ?Heureux Amans ! Nuit fortunée !Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée.LES DIVINITES DE VERSAILLES
dansent, & l'on chante ce Menuet.Rien n'est si douxQue l'Himen qui vous lie,Rien n'est si douxPour deux jeunes Epoux.O sort heureux ! ô douceur infinePour deux coeurs l'un de l'autre charmez !O sort heureux ! ô douceur infineQuand ces Noeuds par l'Amour sont formez.UNE JEUNE NYMPHE
se détache de sa Troupe, & chante.Feste que l'on trouve si belle,Que tu nous sembles cruelle !Tu viens ravir à nos jeux innocensLa DeesseDe la Jeunesse.Tu viens ravir à nos jeux innocensSes Attraits encore naissans.***Verrons-nous sans verser des larmesQu'on nous enleve son coeur ?Qu'on livre si-tost ses charmesAux transports d'un jeune Vainqueur ?Quelle rigueur !Feste que l'on trouve si belle,Que tu nous sembles cruelles !LE CHOEUR.
Feste que l'on trouve si belle,Que tu nous sembles cruelle !UN JEUNE SILVAIN
se détache aussi de la Troupe, & chante.Nymphes, si l'éclat de ses yeuxAlloit embellir d'autres lieux,Vostre douleur seroit plus juste.Mille Estats, mille RoisAuraient brigué l'honneur de vivre sous ses loix ;Mais LOUIS par un plus beau choixVeut qu'elle orne sa Cour Auguste.Ce Roy, l'Arbitre des Mortels,L'arreste sur ces bords par des noeuds eternels.L'Amour le seconde,L'Olimpe aplaudit ;Et c'est le plus beau Sang du mondeQui se mesle & se réünit.LE CHOEUR.
L'Amour le seconde,L'Olimpe aplaudit ;Et c'est le plus beau Sang du mondeQui se mesle & se réünit.UNE NYMPHE.
Comme en la plaine odoranteLa Rose, Reine des fleurs,Est vive & rianteTant qu'une chaleur brûlanteN'offense point ses couleurs ;De mesme une Beauté tendreConserve un éclat charmant,Tant qu'elle sçait se défendreDes ardeurs d'un jeune Amant.UN SILVAIN.
Comme en ces lieux où la glaceDure trop long-temps,Flore sans appas & sans graceLanguit au milieu du Printemps ;Ainsi la Beauté la plus rareLanguit & ne peut charmer,Si l'Amour ne la pare,Et de ses feux ne la vient animer.CHOEUR DES NYMPHES.
Feste que l'on trouve si belle,Que tu nous sembles cruelle !UNE NYMPHE.
Un jeune coeur doit este epouvantéDes noeuds où l'Himen engage.Peut-on quitter l'avantageD'une douce liberté ?Un jeune coeur doit estre epouvantéDes noeuds où l'Himen engage.Pense-t-on dans l'EsclavageTrouver la felicité ?Un jeune coeur doit estre epouvantéDes noeuds où l'Himen engage.UN SILVAIN.
Nymphes, vous aurez vostre tour ;Quand par ces plaintesVous blâmez l'Himen & l'Amour,Ce sont des feintes.Le sort que vous déplorez,En secret vous le desirez.UN AUTRE SILVAIN.
Entre la crainte & le desir,Une jeune Beauté curieuse & timideTremble au nom d'un Epoux qu'on parle de choisir,Mais elle écoute avec plaisir.En attendant que le choix se decide,Son coeur laisse échapper plus d'un soûpirEntre la crainte & le desir.UNE NYMPHE.
Folle erreur !SILVAIN.
Feintes vaines !UNE NYMPHE.
Trompeurs Jugemens !SILVAIN.
Faux sentimens !UNE NYMPHE.
Redoutables chaines !SILVAIN.
Noeuds charmans !ENSEMBLE.
Noeuds cruels ! Redoutables chaînes !Noeuds charmans ! Agreables chaînes !LE DIEU qui a chanté le premier.
Cedez Nymphes, rendez-vous.Unissons tous nos voix, & chantez avec nous.***De ces jeunes Amans le parfait assemblageDes Destins & des Dieux est l'immortel ouvrage.Celebrons ce noeud glorieux,C'est l'Ouvrage immortel des Destins & des Dieux.LES NYMPHES & LES SILVAINS.
Celebrons ce noeud glorieux,C'est l'Ouvrage immortel des Destins & des Dieux.LES NYMPHES & LES SILVAINS dansent.
***LES NYMPHES
Divins accords ! celestes flames !LES SILVAINS.
Heureux liens ! douces ardeurs !LES NYMPHES.
Jamais des noeuds plus beaux n'ont attaché deux ames.LES SILVAINS.
Jamais de plus beaux feux n'ont embrazé deux coeurs.TOUS ENSEMBLE.
Jamais des noeuds plus beaux n'ont attaché deux ames.Jamis de plus beaux feux n'ont embrazé deux coeurs.UN SYLVAIN, UNE NYMPHE.
Quelles splendeurs les environnent !Que de Ris & de Jeux accompagnent leurs pas !Que d'attraits, de charmes, d'appas !De quels dons précieux les Graces les couronnent !UN SYLVAIN & UNE NYMPHE.
A voir tant d'agrémensNos yeux doutent toûjours,Si ce sont des Amans,Ou deux Amours.UN SYLVAIN & UNE NYMPHE.
Nos yeux doutent toûjoursA voir tant d'agrémens,Si ce sont des Amours,Ou deux Amans.TOUS ENSEMBLE
Repetent ce couplets des deux façons,
& l'on danse dans les intervalles.LE DIEU.
Nous qu'un sort immortel fixe sur ces rivages,Songeons qu'en leurs Deserts inconnus & sauvagesNous estions ensevelis.Mais aujourd'huy l'Olimpe mesmePourroit-il surpasser cette splendeur suprêmeDont nos bords sont embellis ?UNE NYMPHE.
Rendons grace au Heros, qui de ces grands spectaclesCharme nos esprits & nos yeux.UN SILVAIN.
Celebrons, benissons le Regne glorieuxOù naissent tant de Miracles.UNE NYMPHE.
LOUIS est le maistre des Rois,Il soûmet tout à l'Empire François.On le craint, on l'implore, on le revere, on l'aime.Sa Bonté seule arreste ses Exploits :Plus grand par ses Vertus que par son Diadême.Vainqueur des Nations, & Vainqueur de luy-mesme.LOUIS est le Maistre des Rois.UN SILVAIN.
Semblable au Dieu qui lance le tonnerre,LOUIS est le maistre des Rois.Tous les Dieux de la TerreObeïssent à sa voix ;Ils viennent à genoux reconnoistre ses Loix.Semblable au Dieu qui lance le Tonnerre,LOUIS est le maistre des Rois.UNE NYMPHE.
De cette Majesté sur son front reverée.La jeune Epouse a pris des traits,Et les Graces l'ont paréeDe leurs divins AttraitsUN SILVAIN.
Le jeune Epoux animéD'un Sang par la gloire enflamé,Plein des grands Noms de sa Race,Du choix de ce grand Roy, de ses Bontez charmé,Sent redoubler sa belle audace,Et meslera bien-tost au gré de tous ses voeuxLes Lauriers de Bellonne aux Mirthes amoureux.CHOEUR.
Heureux Amans ! heureuse destinée !Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée.TOUT [sic] DANSE.
UNE NYMPHE & UN SILVAIN
chantent l'un aprés l'autre.A quoy sert la resistance ;A quoy servent les rigueurs,L'Amour doit sous sa puissanceTost ou tard ranger vos coeurs,Sans le craindre,Sans vous plaindre,Cedez, cedez à ses traits vainqueurs.CHOEUR.
Heureux Amans ! heureuse destinée !Venez, charmant Himen, venez, doux Himenée.UNE NYMPHE & UN SILVAIN.
Venez, jeunes Amans, que ces noeuds pleins d'attraitsQui commencent si-tost ne finissent jamais ;Que tous les jours les Destins favorablesRedoublent vos contentemens.Vivez, vivez toûjours amans,Tous les jours plus aimez, tous les jours plus aimables,Que vos plaisirs soient aussi durablesQu'ils sont charmans ;Que les siècles pour vous ne soient que des momens,Vivez, vivez, heureux Amans.LES TROIS CHOEURS.
Vivez, vivez, heureux Amans,Qu'une flame si belleSoit immortelle,Que ces vives ardeursA jamais, à jamais triomphent dans vos coeurs.
[Devises] §
Voicy deux Devises de M. Magnin, qui ont esté faites sur ce Mariage. Deux Palmiers inclinez l’un vers l’autre, & sur lesquels le Soleil darde ses rayons.
HANC MENTEM SOL
IPSE FECIT.Par un esprit secret l’un vers l’autre inclinez,S’ils paroissent épris d’une ardeur innocente,De ces doux mouvemens la cause est éclatante,C’est l’aspect du Soleil qui les leur a donnez.
AUTRE DEVISE.
Le Soleil formant l’Arc-en-Ciel courbé sur deux Lys.
HOC FOEDERE LILIA
NECTIT.Sous ce Signe qui les assemble,Par les soins de l’Astre du jour,La Gloire, la Paix & l’Amour,Semblent s’interesser à les unir ensemble.
[Relation contenant ce qui s'est passé pendant le sejour que Monseigneur le Dauphin a fait à Annet] §
Le 10 de ce mois, Monseigneur le Dauphin partit de Versailles, pour aller prendre à Anet le divertissement de la Chasse. Il arriva sur les onze heures. Sa Table estoit préparée dans un Salon qui est des plus beaux. Elle estoit de quinze ou seize Couverts. On servit si-tost que ce Prince fut entré, & à peine le disné fut-il finy qu'il monta à Cheval, pour aller chasser avec les Chiens de M. le Grand Prieur. On laissa courre un gros Cerf, qui après avoir donné beaucoup de plaisir, vint se faire prendre à la Riviere, à cent pas du Château. On l'apporta dans la Court où l'on en fit la curée. La nuit estant venue, Monseigneur alla entendre un Concert composé d'une douzaine de Personnes des plus illustres. Je ne dis rien du Soupé qui fut magnifique. Ce Prince avoit envoyé les Officiers à Anet. Quoy que M. le Duc de Vendôme mangeast avec luy, il avoit sa Table servie délicatement, & dont M. l'Abbé de Chaulieu faisoit tres-bien les honneurs. Le lendemain Monseigneur le Dauphin alla courre le Loup avec ses Chiens, & ceux de M. le Duc de Vendôme. Cette Chasse fut parfaitement belle. Aprés qu'on eut pris le Loup, dont la curée se fit encore dans la Court du Chasteau, on revint disner, & l'on alla ensuite tirer dans le Parc, où l'on trouva beaucoup de Gibier. Il y eut encore Musique le soir, ainsi qu'aux deux jours suivans. On passa le 12. à tirer matin & soir. Le 13. il y eut chasse du Loup, & le 14. on courut le Cerf. Monseigneur retourna ce jour là à Versailles, où il arriva sur les cinq heures.
Voicy quatre Couplets de Chanson faits in promptu l'un des quatre soirs qu'il y eut Musique. Ils sont sur l'air des Zephirs de M. de Chambonniere. Les deux premiers furent faits par un Homme, que son esprit ne distingue pas moins que sa naissance & ses Charges, & les deux autres par un Abbé fort connu, & fort estimé dans le beau monde.
Superbe Anet, ornement de la France,De nos Dauphins séjour jadis chéry,Nostre LOUIS plus grand que vôtre Henry,Vient embellir ces lieux de sa presence,Redoublez donc vostre magnificence.Il faut charmer les yeux & les oreilles,Chantres fameux, preparez luy des Airs ;Que sa loüange éclate en vos Concerts.Peintres, Sculpteurs, n'épargnez pas vos veilles,Faites luy voir de nouvelles merveilles.Lieux où jadis la Reyne de Cythere,Vint établir son Empire & sa Cour,Souvenez-vous seulement en ce jour,Que ce Heros à qui vous devez plaire,A plus d'appas que l'Amour & sa Mere.Tous nos Bergers que sa presence attire,Vont ranimer leurs amoureux desirs ;Nos Champs verrons renaistre ensuite les plaisirs,Et l'on verra sous cét heureux Empire,Chaque Amarille avecque son Titite.
[Lettre d’un Academ. À Ricovrati] §
Je vous ay mandé que M. le Duc de Saint Aignan avoit esté aggregé à l’Académie de Padouë, avec de fort grands honneurs. Voicy ce que M. Patin luy a écrit là dessus de la part de ceux qui composent cette illustre Académie.
Monseigneur,
L’honneur que vostre Grandeur veut bien faire à l’Academie des Ricovrati, a fait le mesme effet dans toutes ses parties, que je l’avois d’abord ressenty, lors que mes Amis me l’ont fait sçavoir. On y estoit pleinement informé de vos heroïques qualitez. On y sçavoit qu’elles vous font aller de pair avec ce Jules Cesar, qu’on ne reconnoit pas moins dans la Republique des Lettres, que dans l’Empire du monde ; mais on n’y avoit osé esperer qu’un Duc & Pair de France, un Protecteur de l’Academie d’Arles, & un Homme consideré de Loüis le Grand, eust voulu mesler son Nom avec le nostre, & se venir délasser sous les Lauriers de nostre petit Parnasse, aprés en avoir tant recueilly sur l’Olimpe. Auguste ne dédaigna pas autrefois d’estre Consul d’une petite Ville en Sicile, & je ne sçay que cét exemple de genereuse modestie, qui ait quelque rapport à la vostre. Nôtre Academie l’a admirée, & m’a donné charge en mesme temps de remercier V.G. de l’honneur qu’elle luy fait de vouloir bien accepter le titre d’Academico Ricovrato, dont elle luy envoye le témoignage. Elle prend cette occasion de la prier d’estre fortement persuadée que l’Academie Françoise ny celle d’Arles n’auront jamais pour V.G. ny plus d’estime ny plus de respect qu’elle en a pour vous, & que celles là ne l’emporteront sur la nostre, que par de plus grandes & de plus frequentes occasions de reconnoissance. Je suis, Monseigneur,
D. V. G.
Le tres-humble & tres-obeïssant serviteur
Patin.
Les loüanges que l’on donne icy à M. de Saint Aignan, ne doivent pas vous surprendre. On a raison de loüer ce Duc, & on le peut faire par tant d’endroits, que si l’on parloit de luy aussi souvent que ce qu’il fait de loüable donne sujet d’en parler, on ne finiroit jamais sur ce qu’il en faudroit dire. Il a fait depuis un mois diverses Chansons, & d’autres Ouvrages galants In promptu, pour les plus Augustes Personnes de la terre. On les a écoutez avec beaucoup de plaisir ; mais comme ils ont esté faits pour des divertissemens de Cabinet, & que ce qu’on fait pour ces lieux là en sort rarement, ils ne sont pas venus jusqu’à moy.
Theses d’une invention singuliere §
M. du Four, Professeur en Rhétorique au College d’Harcourt, fit soûtenir le 10. de ce mois des Théses fort singulieres. M. Ricard fut le soûtenant. C’est un jeune Gentilhomme de Provence, âgé seulement de quatorze ans. Il répondit sur toute la Rhétorique, sur la Tragédie, sur le Blason, sur la Sphére, sur la Geographie, sur l’Histoire Sainte & Prophane, sur les Contradictions de l’Ecriture touchant la Chronologie, & sur d’autres matieres également curieuses & utiles. Il satisfit avec tant de feu & de netteté d’esprit à toutes les objections qui luy furent faites, qu’on ne fut pas étonné de luy voir faire à l’arrivée de M. le Nonce, une courte, mais fort exacte récapitulation de tout ce qu’il avoit répondu aux difficultez qu’on luy avoit opposées. L’Assemblée estoit composée de plusieurs Prélats, & de quantité d’autres Personnes considerables, qui avoüerent qu’on ne pouvoit posseder plus solidement toutes ces matieres.