Mercure galant, septembre 1680 (première partie) [tome 11]
[Tout ce qui s’est passé à Rome touchant la Reception faite à M. le Prince de Radzevill Ambassadeur d’Obedience de Pologne] §
Le Dimanche 4. de l’autre Mois, Mr le Prince Radzevill, arrivé incognito à Rome dés la fin de May, y fit sa Cavalcade publique, en qualité d’Ambassadeur d’Obédience de Pologne. Les Roys ont accoûtumé d’envoyer de pareilles Ambassades une fois pendant leur Regne, pour témoigner au S. Siege une obeïssance filiale au nom du Roy & du Royaume, & ce fut une fonction que fit l’Amirante de Castille sous Innocent X. au nom de celuy d’Espagne. Le Roy de Pologne, voulant s’acquiter de ce devoir, crût ne le pouvoir faire avec plus d’éclat, qu’en jettant les yeux sur Mr le Prince Radzevill. Outre son mérite particulier qui le distingue par tout, il est un des plus considérables Seigneurs de ce Royaume ; & pour dire tout en un seul mot, il a l’avantage d’estre Beaufrere de Sa Majesté. Vous pouvez croire qu’un Roy aussi éclairé & aussi judicieux que l’est celuy de Pologne, n’a pû choisir qu’un digne sujet pour le faire entrer dans son Alliance. Le jour marqué pour la Cavalcade estant arrivé, (on donne ce nom aux Entrées qu’on fait à cheval, à la diférence de celles où il ne se trouve que des Carrosses, & où l’on voit ordinairement plus de confusion que de beauté,) cet illustre Ambassadeur se rendit avec toute sa Maison à la Vigne du Pape Jule, qui est un Palais à un demy-mille de la Porte del Popolo. C’est de là que partent les Ambassadeurs, lors qu’ils font leur Entrée à Rome. Le Pape y envoya Mr Mathei son Majordome, pour le complimenter de sa part, & l’accompagner dans sa Cavalcade. Elle commença à vingt & une heure & demie d’Italie, & à cinq ou environ de France. [Description du cortège] Cette CompagnieI estoit composée de trente-six Chevaux-Legers, de trois Hautbois, d’un Timbalier, & de six Trompetes. Ces derniers précedoient les Valets de pied de Mr l’Ambassadeur, qui estoient en fort grand nombre, & vestus superbement. Il n'y a rien de plus beau que sa Livrée. Les Habits sont de Velours rouge cramoisy, garnis de Bandes aussi de Velours, jaunes, bleuës & noires, chaque Bande bordée d'un Galon d'or, avec des Rubans de diférentes couleurs, & des Cravates de Point de Venise. En suite venoient trois Chameaux couverts de Housses de soye de diférentes couleurs, avec une grosse Broderie d’or. Ils estoient montez par des Etiopiens qui tenoient des Flutes, & trois Turcs à cheval les conduisoient. Apres eux parut la Cavalerie-Legere du Pape, composée de deux cens Chevaux-Legers, de leurs Officiers & Trompetes. Ils précedoient les Estafiers de Mrs les Cardinaux, montez sur les Mules de Leurs Eminences, & ayant un Chapeau rouge qui pendoit sur leurs épaules. L'Ecuyer de Mr l'Ambassadeur suivoit, habillé superbement à la Polonoise, & monté sur un Cheval du Païs richement enharnaché. On voyoit derriere luy douze Polonois aussi à cheval, menant chacun un Cheval de main enharnaché à la Turque, les Selles couvertes de grandes Plaques de vermeil doré, avec des Housses enrichies de perles & d'or. Chaque Selle armée d'un Sabre, d'un Bouclier, ou d'une Masse d'armes. Les Fers des Chevaux estoient d'argent, & quelques-uns d'or, appliquez de telle sorte, que la plus grande partie se détacha, au profit de ceux qui les pûrent ramasser. Il faut observer que les Chevaux Polonois n'ont que de petites Selles, sans croupiere ny poitrail, une Bride extrémement déliée, & que les Etriers sont fort courts. En suite on voyoit paroistre douze Tambours du Peuple Romain, portant chacun l'Etendard de Mr l'Ambassadeur ; & derriere eux, la Chambre du Pape, composée de Gens à Soutanes rouges. Ils estoient suivis d'une Troupe de Polonois, qui faisoit trois files ; les uns vestus richement, selon l'usage de la Nation, avec des Echarpes de soye tissuë d'or, le Sabre au costé, & le Casque en teste ; leurs Chevaux couverts de Housses de broderie à bords d'argent, & sur le front, des Enseignes de pierreries, avec des Plumes de diférentes couleurs. Les autres montez comme ces premiers, avoient des Bonnets bordez d'une Peau de Renard noir, avec des Aigretes & une Attache d'Emeraudes & de Diamans, & derriere les épaules, une grande aîle de Plumes blanches. Cette Milice s'appelle Hussars, & est la terreur de la Cavalerie Ottomane. Les derniers ne diféroient de ceux-cy, qu'en ce qu'au lieu de la grande aîle de Plumes blanches, une Peau entiere de Tygre leur pendoit sur les épaules. Ils tenoient une Masse d'or enrichie de grosses Turquoises, & d'autres Pierres de prix. Ces derniers sont Soldats Hussars, & ils portoient ces Masses, pour marque du Generalat qu'a Mr l'Ambassadeur sur la Lituanie. Plusieurs Chevaliers Romains estoient meslez avec cette Troupe, apres laquelle marchoient en bon nombre les Chevaliers Titrez de Pologne, & les autres Gentilshommes de Mr l'Ambassadeur. Mr le Comte Stanislas Ckovalski Majordome, s'y faisoit particulierement distinguer, tant par la richesse de son Habit, que par la beauté de son Cheval. On y distinguoit aussi fort aisément Mr le Marquis Stanislas Gonsague Myskouski, magnifiquement vestu à la Françoise, d'un Brocard d'or couleur de musc, avec un Manteau doublé de Toile d'or, enrichy d'une fine Broderie, & un Tour de Diamans à son Chapeau. Il montoit un Cheval des plus superbes, & estoit accompagné de six Estafiers de ses Livrées, toutes brillantes de lames d'or & d'argent sur un fond bleu, avec des Plumes incarnates. Le Capitaine des Suisses marchoit apres, avec la Garde du Pape, divisée en deux aisles, qui prenoient au milieu la Personne de Mr l'Ambassadeur ; puis deux Massiers de Sa Sainteté, avec les Maistres des Cerémonies dans leur Habit violet & noir ; & enfin Mr le Prince Radzevill, au milieu de Mr Matei & de Mr Brancacci, qui sont les plus anciens d'entre les Prélats. Il estoit sur un Cheval Polonois richement enharnaché, avec une Selle à la Françoise, couverte d'or & de Pierreries meslées sur une fine broderie, & une Housse de brocard d'or enrichy de Diamans. Tout le Harnois estoit de mesme parure. Des Emeraudes & d'autres Pierres prétieuses, tenoient dans la Bride la place des Boucles, le reste estant d'or massif, travaillé à l'Arabesque. Les Etriers & les Fers du Cheval, estoient aussi d'or ; & afin qu'il ne manquast rien à ce superbe Animal, une grande Rose de Diamans qui attachoit des Aigretes luy couvroit le front. Mr l'Ambassadeur estoit en Manteau, vétu d'un brocard à grandes Fleurs or & argent, le fond couleur de gris de musc, tout couvert de Broderie d'or enrichie de Perles, avec des Boutonnieres de gros Diamans, une Garniture de Rubans couleur de Rose, un Chapeau gris retroussé d'une riche Agrafe, une Plume blanche, & du Ruban de la couleur de la Garniture. À l'Etrier de Mr l'Ambassadeur, marchoient douze Pages portant ses Livrées, mais entierement couvertes de galon d'or, & derriere le Cheval, on voyoit suivre trente Janissaires & Spahis, ceux-cy habillez d'un Satin verd, traînant jusqu'à terre à la mode de Turquie, & ceux-là de Satin jaune, avec une hache en main, & une espece de Mitre blanche sur la teste, qui est le Bonnet dont ils ont accoûtumé de se servir. On voyoit encore plusieurs Prélats, Evesques & Archevesques, Protonotaires Apostoliques, avec leurs Manteaux & Chapeaux Pontificaux, & une infinité d'autres qui accoururent en foule pour faire honneur à la Cavalcade. Elle estoit fermée par six Carrosses à six Chevaux de Mr l'Ambassadeur, & par quelques autres à deux. Le premier estoit d'un Velours rouge, relevé de grosse Broderie d'or, peint & doré jusqu'aux extrémitez des Roües, & orné de grandes Figures dorées d'une tres-belle Sculpture, doublé d'un Brocard à fond d'or, semé de fleur d'argent, & d'un fort beau rouge-cramoisy. Le second estoit de l'Etofe de la doublure de ce premier, & aussi riche en dorure & en sculpture. Il n'y avoit rien de si beau que les Chevaux qui estoient Frisons, Polonois, ou Turcs. Mr le Prince Radzevill estant arrivé à la Porte de son Palais, s’y arresta quelque temps, jusqu’à ce que Mr Mateï, & tous les autres Prélats qui l’avoient accompagné, eussent pris congé de luy. Le concours du Peuple estoit si grand, qu’on fut obligé de luy permettre l’entrée des Apartemens dont il admira les riches Meubles. J’ay oublié de vous dire que le Pape ayant voulu voir cette Cavalcade, elle avoit pris un grand tour, afin de passer devant le Palais de Montecavallo.
Le Jeudy suivant 8. du Mois, Sa Sainteté ayant fait intimer le Consistoire pour l’Audience publique, où Mr l’Ambassadeur devoit estre admis, les Cardinaux se rendirent au Palais sur les neuf heures du matin. [Description de la cérémonie, p. 170-177]
Le Consistoire ayant duré environ une heure, & toutes la Suite de Mr l’Ambassadeur ayant esté reçeuë à baiser les pieds de Sa Sainteté, il fut mené par le Majordome à l’Apartement où on l’estoit venu prendre, & reconduit de la mesme sorte quelque temps apres à celuy du Pape. Il y trouva deux Tables dressées. L'une estoit pour le S.Pere, au fond de la Chambre, sur une Estrade couverte d'un Tapis de Velours rouge, avec un Dais, & un Fauteüil de mesme parure. L'autre estoit pour Mr l'Ambassadeur, dressée à costé, plus basse d'un pied que l'autre, avec une Chaise à dos de bois peint. Chaque Table fut servie à quatre Services, avec cette diférence, que celle du Pape estoit couverte de dix Plats, & l'autre de neuf, toutes deux pleines de Triomphes & d'Ornemens de toiles tres-fines, qui dans la maniere adroite dont on les avoit pliées, faisoient paroistre les Armes de sa Sainteté. Sitost qu'Elle entra, Mr l'Ambassadeur fit une genufléxion, & l'accompagna jusqu'à l'endroit où son Dîné estoit préparé, où apres qu'elle eut lavé la main, il luy présenta la Serviete à genoux, & attendit la Benédiction de la Table, pour aller s'assoir à celle qui luy avoit esté préparée. Il mangea couvert, servy par les Officiers du Palais. Ce Repas fut accompagné d’un Concert de Voix & de divers Instrumens. Sa Sainteté but à la Santé du Roy & de la Reyne de Pologne, & chaque fois qu'elle but, Mr l'Ambassadeur se leva. Toute sa Suite, au nombre de trois cens Personnes, fut aussi traitée en plusieurs Tables. L'apresdînée il visita le Cardinal Ludovisio, comme Doyen, & se rendit de là au Palais de la Reyne de Suede. Pendant tout le jour il y eut une Fontaine de Vin, qui descendoit de la Colomne Antonine, & le soir tout son Palais fut illuminé d'un nombre infiny de Flambeaux de Cire blanche, & on tira un Feu d'artifice. Le Dimanche II. du Mois il alla au Cours, où il parut avec tous ses Carrosses, & sa Livrée, les uns habillez à la Françoise, & les autres à l'usage de son Païs. Une seconde Fontaine de Vin coula tout le jour. On fit joüer un nouveau Feu d'artifice ; & tout son Palais ainsi que la Colomne Antonine, fut encore illuminé.
[Nouvelles Compagnies nommées Soldats Gardiens des Vaisseaux] §
Mr le Marquis de Seignelay, dont tant de choses marquent tous les jours son entiere & continuelle application pour le service du Roy, & sur tout en ce qui regarde la Marine, a étably au Port de Toulon deux Compagnies de Cent Hommes chacune, qu’on nomme Soldats Gardiens des Vaisseaux. L'une est commandée par le Capitaine du Port, & l'autre par Mr le Chevalier de Levy Ayde-Major des Armées navales de Sa Majesté. Ce dernier voulant faire quelque chose qui répondit au zele qu'il a pour ce Grand Monarque, a choisy cent Hommes qui avoient déja servy à la Marine, tous d'une taille bien prise & bien dégagée, & ayant chacun cinq pieds, ou cinq pieds & demy de hauteur. De ce nombre il y a vingt-cinq Sergens, vingt-cinq Caporaux, & cinquante Soldats, qu'il a habillez d'un tres-beau Drap de Berry gris-blanc, doublé de Ratine bleuë, avec les Culotes & les Bas rouges. Il a fait mettre sur toutes les coutures des Justes-à-corps des Sergens, un Galon d'argent de la largeur de deux doigts, & deux tout autour des Manches. Ils ont chacun un Baudrier de Peau d'Elan, & un Galon d'or dessus, les Gans de mesme, leurs Chapeaux bordez aussi de Galon d'argent, avec une veritable Pluche blanche, l'Epée d'argent haché à Gardes unies. Les vingt-cinq Caporaux sont habillez à proportion, à la réserve des Plumes qu'ils ont bleuës & blanches, & assortissantes au reste. Les Soldats en ont de bleuës. Les deux Tambours, les quatre Hautbois & les Fifres, sont si bien choisis, qu’à l’exception de ceux du Roy, il n’y en a point de plus habiles. Ils sont vestus de veritable Ecarlate doublée de bleu, & un gros Galon d’argent par tout. Ce fut dans cet équipage que Mr le Chevalier de Levy passa dernierement en reveuë devant Mr de Vauvray Intendant de la Marine à Toulon. Il estoit à la teste de sa Compagnie, à laquelle il fit faire l’Exercice au bruit du Tambour. Il reçeut l’approbation qui luy estoit deuë, & tous ceux qui s’y trouverent tomberent d’accord que Sa Majesté n’avoit pas de plus belles Troupes.
[Prise de possession de l’Archevesché de Roüen] §
Je vous parlay la derniere fois du Sacre de Mr le Coadjuteur de Roüen. J’ay aujourd’huy à vous faire part des Cerémonies de sa Prise de possession le 26. de l’autre mois. Il arriva à Gaillon, accompagné de Mr le Coadjuteur d’Arles, de Mr l’Evesque de Lisieux, & de Mr l’Abbé de Grignan, nommé à l’Evesché d’Evreux. Ils y furent reçeus par Mr l’Archevesque de Roüen avec une magnificence digne de ce grand Prélat. L’empressement qui parut dans toutes ses actions, fit assez connoistre combien il estoit sensible à l’honneur que le Roy luy avoit fait, en luy donnant Mr l’Abbé Colbert pour Coadjuteur. Mr le Blanc Intendant de la Generalité de Roüen, & Mr de Mascarani Grand-Maistre des Eaux & Forests, s'estoient déja rendus à Gaillon, & ils furent les premiers qui firent leurs complimens au nouveau Prélat qu'on y attendoit. L'exactitude de l'un & de l'autre à remplir tous les devoirs de leurs Charges est si connu, qu'il me seroit inutile de vous en rien dire, aussi-bien que de Gaillon, que vous sçavez estre un des plus beaux Lieux du monde, & la Maison de plaisance de Mrs les Archevesques de Roüen. Mr le Coadjuteur en partit le lendemain apres midy avec Mr de Lisieux, & estant arrivé sur les cinq heures au Port S. Oüen à deux lieuës de Roüen, il y trouva plus de trente de ses Chanoines, & plusieurs Personnes de qualité, qui estoient venuës au devant de luy. En suite il rencontra Mr Pelot, Premier Président du Parlement, & plusieurs des plus considérables de toutes les autres Compagnies, qui luy ayant fait un Cortege de plus de cinquante Carrosses, l'accompagnerent jusque dans le Palais Archiépiscopal. Quoy qu'il fust déja tard, lors qu'il entra dans la Ville, les Ruës & les Places ne laisserent pas d'estre remplies d'un monde infiny, qui fit paroistre une joye extraordinaire du digne choix qu'avoit fait Sa Majesté.
Le Mercredy 28. ilII donna audience sur les neuf heures du matin aux Députez du Chapitre. Mr du Hamel, Chanoine & Archidiacre de Nostre-Dame, porta la parole. Pour vous donner une juste idée de son mérite, il me suffira de vous apprendre que Mr l'Archevesque de Paris, quand il l'estoit de Roüen, l'avoit choisy par préference sur tout le Chapitre, pour le faire son Grand Vicaire à Pontoise. Mr du Hamel ménagea si bien les Personnes de ce Païs par ses manieres honnestes & obligeantes, qu'il se rendit maître de leur esprit, & leur procura la paix, que des intérests particuliers avoient troublée depuis fort longtemps. Aussi estoit-il si estimé de cette illustre Prélat, que jamais il n'en parloit sans dire que Mr du Hamel faisoit merveilles par tout, soit qu'il parlast ou pontifiast, & qu'il auroit de la joye qu'il fust Pontife achevé. Ce sont ses termes. Il s'acquit dans la mesme Place les bonnes graces de Mr le Cardinal de Boüillon ; & ce Prince qui ne fait rien qu'avec un entier discernement, voulant luy marquer la bienveillance particuliere dont il l'honore, l'a choisy aussi pour son Grand-Vicaire. Tant d'éclatans témoignages vous disent assez quel est le caractere de Mr du Hamel, & avec combien de succés il dût s'acquiter de la commission qu'il avoit de parler pour le Chapitre. Cette Audience finie, Mr le Coadjuteur se rendit à S. Herbland, où il fut reçeu par le Curé de cette Paroisse. Il y quita sa Chaussure, & s'estant mis en Rochet & en Camail, il s'avança les pieds nus vers l'Eglise Cathédrale, accompagné des Prieurs & Religieux de l'Abbaye de S. Oüen, tous en Chapes. Je dis, des Prieurs, car les Anciens & les Réformez marchent ensemble, & les uns & les autres ont leur Prieur. On avoit naté tout le passage depuis S. Herbland jusqu'à Nostre-Dame. Mr de Gremonville qui en est Doyen, estoit à la Barriere du Parvis avec tout les Chanoines & Chapelains, revêtus de riches Chapes. Il n'y en a peut-estre point dans toute l'Europe de plus magnifiques, ny dont le travail soit plus estimé. Apres qu'il eut présenté l'Eau-benite, & donné la Croix à baiser à Mr le Coadjuteur, le Prieur des Anciens de S. Oüen, s'adressant à tout le Chapitre, luy dit, Nous vous donnons vostre Archevesque vivant, vous nous le rendrez mort. Ce qui donne lieu à ces paroles, c'est que quand les Archevesques de Roüen sont morts, on expose leurs Corps en parade à S.Oüen, avant leur enterrement. Cette Cerémonie achevée, Mr le Doyen luy présentant son Eglise, luy demanda sa protection, & luy fit faire le Serment accoûtumé sur les Evangiles. Mr le Coadjuteur reprit sa Chaussure à l'Autel de S. Pierre, apres avoir offert un Ecu d'or à celuy des Voeux. Enfin ayant esté reçeu dans le Chapitre comme Chanoine, & conduit dans la Chaire Pontificale du Chœur comme Archevesque, il entendit la Messe qu’on chanta avec Musique, & donna en suite à tout le Chapitre un magnifique Repas, qui fut servy en trois Tables diférentes. Le lendemain, les Compagnies le vinrent complimenter. Mr de Vernoville Président à Mortier, porta la parole pour le Parlement. Vous sçavez, Madame, qu'il mesle tout l'agrément d'un Cavalier avec la gravité d'un Magistrat ; & qu'outre toutes les qualitez qu'on peut souhaiter dans un tres-bon Juge, il a toutes celles qui font un fort galant Homme. La Harangue de ce digne Président, & la Réponse de Mr le Coadjuteur, furent également admirées ; l'une, par le tour aisé des pensées & des expressions, & par l'air noble dont elle fut prononcée ; & l'autre, par la justesse qui y régnoit, quoy qu'elle n'eust pû estre l'effet d'aucune méditation. Mr de Machonville - d'Anviray, Président de la Chambre des Comptes ; Mr d'Hoquille le Fils, Premier Président de la Cour des Aydes ; & Mr de Brevedent, Lieutenant General, parlerent en suite, chacun pour sa Compagnie. Ils le firent tous avec succés, & donnerent occasion à Mr le Coadjuteur de faire paroistre avec éclat toute la présence d'esprit qu'il faut avoir, pour faire sur l'heure à tant de diférens Compliement autant de diférentes Réponses, toutes proportionnées aux Personnes de ceux qui parloient, & appliquées juste à ce qui luy avoit esté dit.
Air nouveau §
La Chanson nouvelle que j’adjoûte icy, est de l’Illustre qui m’en donne tous les mois.
images/1680-09a_215.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Beaux Lieux frais & charmans, doit regarder la page 215.Beaux Lieux frais & charmans, où le chant des OyseauxSe mesle au murmure des Eaux,Pardonnez si je suis vostre aimable présence.Ah, je craindrois, par vos charmes surpris,De soulager les maux que me cause l’absenceDe mon aimable Iris.
[Mort de trois Musiciens du Roy, d’un Musicien de l’Opéra] §
Mrs Tiphaine, Beaulieu, & Valmont, sont morts aussi presque en mesme temps, c’est à dire, depuis le retour de Sa Majesté. La chose mérite d’estre remarquée. Ils estoient Prestres tous trois, tous trois de la Musique du Roy, & tous trois Basses. Le Mois estoit fatal aux Musiciens, puis que ceux que je viens de vous nommer ont esté suivis de Mr de Nouveau, l’aîné, qui chantoit à l’Opéra.
[Honneurs Funebres rendus à la memoire de M. d’Evreux] §
Je viens d’apprendre les honneurs qu’on a rendus à la mémoire de feu Mr l’Evesque d’Evreux. Apres qu’il fut mort, on porta son Corps à l’Abbaye de S. Taurin, où le Chapitre le mit en dépost suivant la coûtume entre les mains des Religieux. Il l’alla reprendre le lendemain au matin sur les 7. heures, accompagné d’un tres grand nombre de Prestres, & des Capucins, Jacobins, Cordeliers & Freres de la Charité. Quatre des plus anciens Chanoines portoient les coins du Drap mortuaire. Le Présidial & Bailliage suivoit en Corps, les deux Présidens menant les deux Fils de Mr le Comte de Coligny. La Ville marchoit apres à la teste de laquelle estoit Mr de Langlade Lieutenant General, avec les deux Avocats du Roy, & Mr de la Musse, son Procureur General dans ce Bailliage. Les Echevins avoient des Habits conformes à cette lugubre Cerémonie, & estoient accompagnez de leurs Hallebardiers, dont on en voyoit six revétus de Bablours noirs, qui les couvroient depuis la teste jusques aux pieds. Chacun tenoit une Torche aux Armes mi-parties, du Defunt Evesque & de la Ville. Tout le reste estoit en Crêpe, & une foule presque inombrable de Peuple fermoit cette marche. On arriva à la Cathédrale dans cet ordre, le tout précedé des Enfans gris & bleus de la Ville, & de plus de six cens Pauvres, chacun un Cierge à la main. Le Corps ayant esté deposé sous une Chapelle ardente dressée magnifiquement au pied du grand Autel, le Chapitre prit sa place, & tous les autres en suite. Apres la Messe que l’on chanta en Musique, il fut inhumé sous cette Chapelle ardente, avec toute la pompe qui estoit deuë au mérite du Defunt. On vint de là dans la Nef, pour y entendre l’Oraison Funebre.
[Mariage de M. de Sayve Président à Mortier au Parlement de Grenoble] §
Comme le monde est tout remply de diversitez, il y a eu de la joye en Dauphiné, tandis qu’on a esté en chagrin ailleurs. Cette joye estoit causée par le Mariage de Mr de Sayve, Marquis d’Ornacica, & Président à Mortier au Parlement de Grenoble, qui épousa Mademoiselle de la Tour Vidaud, le Jeudy 5. de ce Mois. La Cerémonie s’en fit à deux heures du matin par Mr l’Evesque de Grenoble, avec une égale satisfaction des deux Parties. Le Mariage se consomma chez Mr le Procureur General de ce mesme Parlement, Pere de la Mariée, qui reçeut le lendemain les visites de tout ce qu’il y a de Gens de qualité, dans la Ville. Vous sçavez qu’ils y sont en tres grand nombre, & qu’elle passe pour une des plus polies du Royaume. Le soir, tous ceux de la Nôce se rendirent chez le Pere de l’Epoux, & furent reçeus par le Quartier sous les armes en tres bon ordre, & au son des Violons, des Fifres & des Tambours. L’un des Officiers de cette Milice porta la parole, & fit à la Mariée un Compliment tres galant. Apres la décharge des Mousquets, la grande Bande de Violons se fit entendre, & l’on servit sur deux Tables un Repas à cinq Services, avec autant de magnificence que de propreté.
On voit peu de Mariages aussi accomplis que celuy dont je vous parle. Mr le Président de Sayve, quoy que jeune, a de tres-grandes lumieres, une prudence admirable, & une intégrité digne de la réputation de ses Ayeux qui ont exercé de pareilles Charges. Il est Fils de Mr Chevrieres, second Président dans le mesme Parlement, qui passe pour un des plus grands Hommes de la Robe, & Frere de Mr le Comte de S. Valier, Capitaine des Gardes de la Porte du Roy, & de Mr l'Abbé de S. Valier., Aumônier ordinaire de sa Majesté. Ce sont trois Freres, en trois diférens états, dont il s'acquitent chacun tres-dignement. Pour vous donner une entiere connoissance de cette Maison, j'ajoûteray que Mr le Président de Chevrieres a aussi marié trois de ses Filles ; la premiere à Mr le Marquis de Buous, de l'illustre Famille de Ponterez, alliée à celle de Grignan en Provence, autrefois Guidon des Gendarmes de la Reyne Mere, & Syndic de la Noblesse de cette Province ; la seconde à Mr le Président de Bochaine, l'un des plus sçavans & des plus équitables Magistrats de l'Europe, Frere de Mr de S. André, Premier Président au mesme Parlement de Grenoble, qui s'est acquité avec tant de gloire de son Ambassade de Venise ; & la troisiéme à Mr le Comte de Montoison, de la Maison de Clermont, connuë à toute la Terre. Il y a peu que je vous parlay de cette derniere.
[Mariage de Mademoiselle de la Tour Vidaud] * §
Mademoiselle de la Tour Vidaud, dont je vous apprens le Mariage, a toutes les qualitez qui peuvent rendre recommandable une Personne de son Sexe, & de sa naissance. Elle joint une modestie toute charmante, & une pieté exemplaire, à beaucoup de beauté & de bonne grace. C’est une Brune qui a l’air fort doux, & la taille haute & dégagée. Elle parle avec autant de prudence que d’esprit, écrit parfaitement bien, sçait mille choses dignes de l’éducation qu’on luy a donnée, & joüe du Lut merveilleusement. Mr le Procureur General son Pere, est un des plus polis & des plus genéreux Hommes de la Province, aimé universellement de tous les honnestes Gens. Le choix qu'en a fait Sa Majesté pour remplir l'importante Charge qu'il exerce, fait assez connoistre combien Elle est persuadée de son mérite. Madame sa Femme est de la Maison de Seve, fameuse non seulement dans le Lyonnois, mais dans le Conseil du Roy où ce nom est estimé.
[Cerémonies faites à la Benediction de Madame l’Abbesse de Chelles] §
Le Dimanche 25. du dernier mois, Dame Catherine de Roussille de Fontange, nommée par le Roy à l’Abbaye de Chelles, y fut beniste par Mr l’Archevesque de Paris, en présence de l’une des plus illustres & des plus nombreuses Assemblées qu’on ait veuës depuis longtemps. Elle estoit composée de Mr le Cardinal de Bonzi, de Mr l'Archevesque de Sens, de Mrs les Evesques de Bayeux, de Sarlat, du Mans, de Montauban, & d'Evreux ; de Mrs les Abbez de Brissac, de Fontange, & de Polignac ; de Mrs les Ducs de Gesvres, de S. Simon, & de Brissac ; de Mr le Comte de Brancas, de Mr le Prince de Mekelbourg, & de Mr le Prince de Saxe son Neveu ; de Mr le Marquis de S. Remy, de Madame la Princesse de Lislebonne, & de Mesdemoiselles ses Filles ; de Mesdames les Duchesses de Vantadour, de Fontange, de Vitry, & de Villars, de Madame de Louvoys, & de Madame la Princesse de la Rocheguyon sa Fille ; de Mesdemoiselles de la Rochefoucaud, de Madame la Maréchale de la Ferté, de Madame de Brancas, de Mesmoiselles d'Aumont, de Mayenne, Fille de Mr de Mazarin, de Rane & Femelon, de Mesdames les Marquises de Bournonville & de Castres ; de Madame de Bourlon, de Madame l'Abbesse de Montmartre, & de Madame la Princesse d'Harcourt sa Parente ; de Madame l'Abbesse de Farmoustier, & de Mesdames de Beringhen ses Niéces ; de Madame l'Abbesse de Bly, & de plusieurs autres Personnes de qualité dont on n'a pû me dire les noms. Il y avoit deux Tribunes, l’une pour les Dames, & l’autre pour la Musique du Roy, qui estoit conduite par Mr du Mont. L'Eglise estoit toute ornée de riches Tapisseries de soye relevées d'or & d'argent ; & le Grand-Autel, remply de Vazes d'argent, de six beaux Chandeliers, & d'une fort grande Croix. Je ne parle point des Lustres, des Girandoles, & des Flambeaux disposez par tout en tres-bon ordre. Depuis l'Autel jusqu'au fond du Chœur, il y avoit des Tapis de pied. Tout le Chœur estoit couvert d'un seul Tapis de Perse de soye. Madame l'Abbesse de Chelles avoit Mesdames les Abbesses de Montmartre & de Farmoustier pour Assistantes. Les trois Prie-Dieu destinez pour elles, & le Trône de la nouvelle Abbesse, estoient couverts de Tapis de Perse à fond d'or, avec des Carreaux de Velours bleu tous brodez d'or. On ne peut rien voir de plus magnifique qu'estoit le Dais qu'on avoit mis sur le Trône de Mr l'Archevesque de Paris. Le Fauteüil & le Carreau estoient de mesme parure, tout cela un peu moins riche à l'égard du Trône de Madame l'Abbesse de Chelles. Voicy quelle fut la Cerémonie.
Ce Prélat venant à l'Autel se préparer, la nouvelle Abbesse le salüa en passant, ainsi que Mesdames de Montmartre & de Farmoustier, dont la premiere estoit à sa droite, & l'autre à sa gauche. Ensuite elles se mirent à genoux sur les Prie-Dieu, tous trois rangez sur la mesme ligne, au haut du Chœur des Religieuses. On en avoit fait oster la Grille, afin de laisser le passage libre. On commença la Messe jusqu'au Graduel. Alors les trois Abbesses vinrent à l'Autel, précedées de leurs Crosses. Les deux Assistantes se mirent à genoux sur le premier degré du Marchepied, & Madame de Chelles sur le second, tenant dans sa main le Serment qu'elle devoit prononcer. Il estoit écrit sur du parchemin, & scellé de son Sceau. Apres qu'elle l'eut prononcé entier, & presté serment sur les Evangiles, elle le donna à Monsieur de Paris, qui le mit sur l'Autel. En suite elle se prosterna un peu à costé sur des Carreaux, pendant que ce Prélat qui estoit dans son Fauteüil fit quelques prieres, lesquelles finies, elle vint de nouveau se mettre à genoux devant luy. Il luy mit sur la teste un Voile noir, qu'on nomme une Truffe, & que les Assistantes luy accomoderent. Cela fait, il luy donna le Livre de la Regle de Saint Benoist, puis la Crosse & l'Anneau en suite ; apres quoy, les trois Abbesses se leverent, salüerent Monsieur de Paris & les Evesques présens, & retournerent à leurs Prie-Dieu, les deux Assistantes précedées de leurs Crosses, & la nouvelle Abbesse portant elle-mesme la sienne de la main droite, & tenant le Livre de la Regle dans la main gauche. Elles demeurerent à genoux jusqu'à l'Offertoire. Dans ce temps la nouvelle Abbesse vint jusqu'au pied de l'Autel, & là à genoux, elle présenta à Monsieur de Paris deux grands Flambeaux de cire blanche ; deux Pains, l'un doré, & l'autre argenté ; deux petits Barils, l'un aussi doré, & du Vin rouge dedans, l'autre argenté, remply de Vin blanc ; & sur les uns & les autres estoient les Armes de Monsieur l'Archevesque, & celles de Madame de Fontange. Cette Cerémonie achevée, elle retourna sur son Prie-Dieu, toûjours conduite par le Maistre des Cerémonies, & y demeura jusqu'à ce qu'elle vint faire ses devotions au pied de l'Autel, avant la fin de la Messe. Aussi-tost qu'elle fut dite, Monsieur l'Archevesque de Paris, avec tous ses Assistans, entra dans le Chœur des Religieuses, où il conduisit la nouvelle Abbessse depuis son Prie-Dieu jusques à son Trône, & là, luy ayant donné la main pour luy aider à monter, il la fit asseoir dans son Fauteüil, se mit debout à sa droite, & luy donna sa Crosse. En suite les Abbesses assistantes estant à sa gauche toutes deux, & Madame de Chelles tenant toûjours sa Crosse à la main droite, elle embrassa toutes ses Religieuses, qui venant deux à deux les unes apres les autres, apres avoir salüé Monsieur de Paris, les deux Assistantes, puis leur Abbesse, se mettoient à genoux sur son Trône. Ce fut de là que Monsieur l'Archevesque, qui estoit toûjours demeuré debout pendant ces embrassemens, donna sa Benediction à cette grande Assemblée. La nouvelle Abbesse se mit à genoux comme les autres, pour la recevoir. Le Régal suivit. Il fut magnifique. On servit cinq Tables en deux diférentes Salles, quatre de vingt-quatre Couverts, & une de quinze. L'abondance, la délicatesse, la propreté, tout s'y trouva dans le plus haut point. Les Salles où l'on mangea estoient tenduës de tres-riches Tapisseries. La nouvelle Abbesse a donné pour présent à la Sacristie de Chelles une Lampe de dix-sept marcs d'argent, dont la cizelure est admirable.
[Feste de S. Loüis solemnisée par M. de l’Académie de Villefranche] §
Le mesme jour que se fit cette BenedictionIV, la Feste de S. Loüis fut solemnisée avec grande pompe par l’Académie de Villefranche, Capitale du Beaujollois, qui a choisy ce grand Saint pour son Patron. Ceux qui la composent avoient fait inviter quelque temps auparavant, tout ce qu’il y a de Personnes de qualité & de sçavoir dans la Ville, & dans tout le voisinage, pour assister aux Discours qui devoient estre prononcez à la gloire de S. Loüis, & à l’avantage de Sa Majesté. Le Lieu destiné pour l’Assemblée, fut la Salle de Mr Bessie du Peloux, Secretaire de l’Académie, qui est une des plus magnifiques & des plus spacieuses de tout le Païs. Elle fut disposée avec le somptueux appareil que méritoit la grandeur de l’Action, & la dignité de la Compagnie. Le Portrait du Roy estoit élevé sous un riche Dais de Velours rouge à franges d’or, sur un Fauteüil de la mesme Etofe. De l’autre costé estoit celuy de Mr l’Archevesque de Lyon, Protecteur de l’Académie, sur un grand Tapis de Satin violet. Le jour de la Feste, à dix heures du matin, les Académiciens, qui sont déjà au nombre de quinze, se trouverent dans la grande Eglise, aux Places qui leur avoient esté préparées. La Messe & les Prieres pour le Roy, furent chantées en Musique. À deux heures apres midy, tous les Corps de Ville se rendirent dans la Salle dont je vous viens de parler. Le Bailliage, l'Election, les Echevins, la Prevosté, les Corps Ecclesiastiques, & les Réguliers, y prirent les Places qui leur estoient destinées. Il y eut mesme grand nombre de Dames, qui y vinrent dans une tres-grande parure, avec plusieurs Gentilhommes. On distribua d'abord des Copies imprimées des Reglemens & Statuts de l'Académie ; & un peu apres, les Académiciens, tous en habits de cerémonie, sortirent d'une Biblioteque qui est proche de cette grande Salle, & se placerent sur des Fauteüils le long d'une Table, couverte de riches Tapis de Turquie. Trois d'entr'eux, sçavoir, Mr Terrasson Directeur, Mr Bessie du Peloux Secretaire, & Mr Mignot de Bussy Lieutenant General du Bailliage de la Province, discoururent sur le Sujet que l'Académie leur avoit donné. Ce Sujet estoit, Le Triomphe des Passions. La matiere fut traitée avec beaucoup d'éloquence ; & la grace des Orateurs, jointe à la beauté des expressions dont ils se servirent, charma toute l'Assemblée.
[Reception faite à Mayenne au General des Capucins] §
Le R. Pere General des Capucins, dont je croy vous avoir déjà parlé, devant arriver à Mayenne au Bas Maine le 30. d’Aoust sur le midy. On n’en fut pas sitost averty, que pour reconnoître les services que cette Ville reçoit continuellement de ceux de cet Ordre, on fit assembler les Processions pour aller à sa rencontre. Elles le joignirent à un quart de lieuë de Mayenne, & le conduisirent solemnellement au Convent des Capucins, où il fut en suite visité par toutes les autres Communautez de Religieux & Religieuses. Mrs de Ville allerent le haranguer, & luy firent le Présent qu’ils ont coûtume de faire dans des occasions de cerémonie. Les Officiers de l’Election, de la Barre Ducale, Grenier à Sel, Maréchaussée, accompagnez des Députez de la Noblesse & de la Bourgeoisie, les suivirent tous en Corps, & le haranguérent aussi apres eux. Ce ne furent que marques de réjoüissance dans toute la Ville. Le son des Tambours, Fifres, Trompetes, Violons, & autres Instrumens, se mesla au carillon de toutes les Cloches ; & on luy auroit rendu de plus grands honneurs le lendemain, si ayant appris que la Maison de Ville s’estoit assemblée pour en résoudre, il ne se fust par retiré secretement dés le point du jour.
[La Fille Veuve] §
La vie est pleine de revers si impréveus, qu’on ne doit presque jamais s’assurer sur son bonheur. Ce que je vay vous conter nous le fait connoistre. Deux jeunes Amans s’aimant depuis longtemps avec toute la tendresse imaginable, virent enfin arriver le jour heureux où leur passion devoit estre satisfaite. La joye qu'ils en eurent fut d'autant plus-grande, que depuis plusieurs années, divers obstacles leur avoient fait essuyer les plus cruelles traverses qu'on ait jamais éprouvées. Rien n'avoit esté capable de les desunir. Plus on s'estoit opposé à leur amour, plus il avoit paru violent, & leur constance, vertu fort rare aujourd'huy, ayant fléchy leurs Parens, leur avoit fait obtenir le consentement qui pouvoit finir leurs peines. Le Mariage fut celebré le Lundy 2. de ce Mois ; & comme il devoit estre consommé à Garge, Maison de plaisance qui apartenoit à l’un des deux, dans le voisinages de S. Denys, tous ceux de la Nôce s’y rendirent. Ce ne fut que joye pendant tout le jour. Il y eut un grand Soupé, & les Violons ensuite. […]
Air nouveau §
Quoi qu’en disent les Amans, il y a un remede contre l’Amour, quand on est d’humeur à s’en servir. Vous le trouverez marqué dans les Paroles qui suivent. Outre que la pensée en est agreable, & l’expression heureuse, vous devez d’autant plus les estimer, qu’elles ont esté mises en Air par une jeune Personne de vostre Sexe. On l’appelle Mademoiselle d’O. Elle est du Quartier S. Paul, dont elle fait un des plus beaux ornemens, & tres-digne Fille d’une Mere qui ayant esté dans son Printemps la plus aimable du monde, conserve dans son Eté tous les agrémens que peuvent avoir celles de son âge.
images/1680-09a_340 copyOf_341.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Le moment de l’absence, doit regarder la page 341.Le moment de l’absence est un moment heureux,Pour qui veut surmonter un panchant dangereux.N’allez pas négliger un temps si favorable,Tircis peut revenir aimable.
[Divertissements] * §
L'unique Troupe des Comédiens François, continuë à joüer tous les jours, & les grandes Assemblées qu'elle attire au Theatre de Guenégaud, font assez voir combien elle est estimée. Elle se prépare à donner quelques Représentations de l'Inconnu. Comme elle est composée d'un tres-grand nombre d'Acteurs par la jonction qui s'est faite des deux Troupes, il y a sujet de croire qu'elle sera paroistre cette galante Comédie avec tous ses agrémens.