Mercure galant, juillet 1680 [tome 9].
Air nouveau §
Le fameux Autheur dont je vous ay déja envoyé tant d’Airs nouveaux, a fait encor celuy-cy.
images/1680-07_155.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Sur ces Rives fleuries, doit regarder la page 156.Sur ces Rives fleuries,Le charmant murmure des eaux,Le doux chant des Oyseaux,Ne font qu’entretenir mes tristes resveries.>Mon cœur au milieu des plaisirs,Toûjours amoureux, toûjours tendre,Pousse de languissans soûpirsQu’il n’ose faire entendre.
Paroles à mettre en air §
Ces autres Paroles semblent assez propres à estre notées.
Paroles à mettre en air.
Un cœur Bien néEst toûjours tendre ;En matiere d’amour il a beau se défendre ;Apres en avoir bien donné,Il est enfin contraint d’en prendre.
[Concert fait à Dijon chez M. de Malateste Conseiller au Parlement] §
Quoy que les deux Quatrains que vous allez voir ne soient pas faits pour estre chantez, comme la Musique en a fourny le sujet, il est assez juste qu’ils trouvent icy leur place. Je me souviens de vous avoir déjà parlé d’un Concert qui se fait à Dijon, chez Mr de Malateste, Conseiller au Parlement, & que Son Altesse Serénissime voulut bien honorer de sa présence, la derniere fois qu’il y alla tenir les Etats. On continuë toûjours ce Concert, & il se fait reglement un jour de chaque Semaine. Il est composé de tout ce qu’il y a dans la Ville d’Officiers, de Dames de qualité, de Gens habiles & connoisseurs qui s’y assemblent, soit pour écouter, soit pour y tenir quelque Partie, & on n’y chante que des Pieces Italiennes, & les Opéra de Venise, que Mr de Malateste fait venir à ses dépens. Je n’entreprens point de vous parler de tous ceux qui y font paroistre le talent qu’ils ont, parmy lesquels Mr de Villiers se fait particulierement admirer. C’est un Gentilhomme tres-sçavant dans la Musique, qui chante bien, & qui charme par la délicatesse & la facilité qu’il s’est acquise à toucher le Theorbe. Je viens au sujet des deux Quatrains, qu’un fort galant Cavalier a faits pour un Officier de considération, qui ayant beaucoup d’estime pour une Dame, qu’on peut appeller le plus bel ornement de ce Concert, a quelquefois le plaisir d’accorder sa voix avec la sienne. La Dame, qui est Femme d’un Secretaire du Roy, a infiniment du mérite & de l’esprit. Elle brille dans la conversation, & possede si parfaitement la Musique, qu’il n’y a point de Piece Françoise ou Italienne, quelque difficile qu’elle soit, dont elle ne vienne à bout sur le champ avec un agrément merveilleux. C’est par là que l’on a fait dire à cet Officier.
Philis, vostre voix charme, & vostre esprit engage.On ne voit point d’Objets qui vous valent icy,Et souvent le hazard me donne l’avantageDe parler avec vous, & de chanter aussy.
Nos voix sont de concert quand nous chantons ensemble,Du plaisir que je sens tout le monde est jaloux.Cependant pour vouloir trop m’entendre avec vous,Nous ne sommes, Philis, jamais d’accord ensemble.
Ce malheur qui est commun à bien des Amans, est le sujet de beaucoup de plaintes. Un Cavalier priant une belle Heritiere de la Ville d’Alais, d’avoir un peu de retour pour luy, (vous voyez, Madame, que ce mot retour doit signifier correspondance de sentimens) voicy ce que la Belle luy repondit.
Puis que vous dites nuit & jourQue je n’ay pour vous nul retour,Et que vous criez tant que je suis insensible,Je veux bien vous donner un moyen infailliblePour trouver du retour, si vous le désirez,Haissez-moy, Tircis, & vous en trouverez.
[Relation d’Alep] §
Je vous ay déjà fait part de plusieurs Relations d’Alep, dont vous m’avez toûjours témoigné estre satisfaite. En voicy une nouvelle sur un Fait particulier. Elle est, ainsi que les autres, de Mr de Langes de Montmiral, Gentilhomme d’Orange ; ancien Avocat au Parlement de Paris. C’est un Homme qui n’a pas moins d’érudition que de mérite, & que Mr le Commandeur d’Arvieux a fait Cady à Alep, pour tous les François & les autres Nations qui sont sous la protection & sous l’Etendart de France.
À Mr l’Abbé de ***
À Alep, Capitale de Syrie,
le 20. May 1680.
Comme vous estes curieux de nouveautez, je me persuade, mon cher Abbé, que vous serez bien aise d’apprendre, de quelle maniere on enterra icy dernierement un Grand du Païs, dont je croy vous avoir déjà parlé dans quelqu’une de mes Lettres, & qui s’estoit fait des Amis particuliers de Mr le Commandeur d’Arvieux.
Il s’appelloit Mustafa Efendi, & avoit la Charge de Nakip, ou des Chef des Emirs ou des Cherifs, c’est à dire, de ceux qui sont descendans de la Race de Muhhammed en ligne directe ou collaterale, masculine ou feminine, & qui porte le Turban ou la Sesse de Coton vert, pour se distinguer des autres Musulmans.
Il mourut subitement d’apoplexie, & son deceds ne tarda guére à estre annoncé. À peine avoit-il rendu l’esprit, qu’on pria publiquement pour luy dans toutes les Mosquées de cette Ville. Il y en a une au milieu du grand Kham où nous sommes logez, & sur laquelle donne une des Fenestres de ma Chambre.
Si tost qu'il fut mort, on l'ongnit, & on le parfuma de Camfre & d'autres bonnes Herbes odoriférantes.
Apres que le Corps eust esté lavé deux fois par l'Imam, & par le Muerin, c'est à dire, par le Curé, & par celuy qui crie sur le Minaret ou la Tourelle de sa Mosquée, ou si vous voulez de sa Paroisse, il fut revestu d'une Chemise bien blanche, & de Calçons de toile aussi blanche, & ensevely dans une piece de toile neuve de Lizard, qu'ils appellent Kesin ou Suaire.
On le mit ensuite dans une espece de Biere ou de Cercueil couvert d'une Etofe blanche, & par dessus, d'un Drap noir, sur lequel estoient imprimées plusieurs Prieres, & pour l'usage ou le loüage duquel il faut payer mille aspres.
Sur la teste du Cercueil estoit un gros Turban, ou plûtost une grosse Sesse verte, pour marquer la Qualité & la Charge du Defunt.
Tant qu’on le laissa dans son Hôtel, il y eut aupres du Corps quatre Sopthas ou Prestres de leur Loy, qui lûrent incessamment l’Alcoran.
Quoy qu’il n’eust expiré que le matin, on le porta en terre dés le mesme jour, dans l’ordre qui suit.
Neuf vieilles Bannieres précedoient la Marche. Immédiatement apres suivoit un Chœur de Musiciens Afriquains, j’entens d’Alger, de Tunis, & de Tripoly, qu’on nomme en Arabe Mograbis, dont je vous assure que la Musique n’avoit pas plus de degrez de bonté qu’il luy en falloit.
Ce Chœur estoit suivy d’un autre de Chaiks ou de Prestres des Mosquées de cette Ville, chantans des Cantiques funebres avec le mesme agrément que les premiers.
Les Musiciens de l’un & de l’autre de ces Chœurs, se tenoient tous par la main, formant de temps en temps une espece de branle, & crioient tous comme des enragez jusqu’à s’égosiller.
Cette Musique fut suivie de celle des Pleureuses Bedoüines, qu’on loüe en pareil rencontre, lesquelles gagnerent bien leur argent pendant tout le chemin, à force de lamenter, de crier, & de pleurer aussi amerement que si elles eussent eu une veritable douleur.
[…]
[Envoyé de Sa Majesté] §
Le Roy ayant envoyé Mr du Pré pour estre son Résident à Geneve, il y a esté reçeu avec toutes sortes d’honneurs, & de marques de respect. Depuis qu’il est arrivé, cette République pleine de reconnoissance pour les bontez de Sa Majesté, a pris tous les soins possibles d’en faire éclater sa joye par les divertissemens publics qui luy ont esté donnez. Le dessein en ayant esté fourny par Mr Lect, autrefois Envoyé Extraordinaire vers le Roy, ce fut luy qui eut ordre de le faire executer. Voicy le détail de cette Feste.
Le Jeudy 4. de ce Mois, douze Conseillers allerent sur les six heures du matin prendre Mr le Résident dans son Hôtel avec six Carrosses, dans l’un desquels il fut conduit au Port du Moulard, ou Mr de Normandie Conseiller & l’un des Majors de la Ville, se trouva a la teste d’une Compagnie de cinquante jeunes Hommes des mieux faits & des meilleures Familles de Geneve. Ils estoient sous les armes, tous tres-propres, & dans un mesme équipage. Comme ils devoient luy servir de Gardes, ils bordoient le Port pour faciliter son embarquement, & le garantir de l’embarras que luy pouvoit causer la foule du Peuple. Il monta au bruit des Trompetes & des Tambours, dans la Frégate qu’on luy avoit préparée avec des ornemens extraordinaires. La Compagnie de ses Gardes monta dans une autre. Si-tost qu’il fut à la rame la Ville le salüa, ainsi que toute l’Artillerie du Port. Les Frégates rendirent le salut, & suivirent leur route sur le Lac.
Quatre petits Bateaux destinez pour le divertissement de la Pesche, l'attendoient à une petite lieuë du Port. Ceux qui devoient luy en donner le plaisir, ne l'eurent pas plûtost apperçeu, qu'ils jetterent sur l'eau cinquante botes de jonc, de la longueur d'un pied & de trois à quatre pouces de diamettre, sur lesquelles on avoit roulé plusieurs brasses de ficelle. Au bout de chacune de ces ficelles, il y avoit un petit Poisson qui a son fer, & sert d'hameçon. Ce petit Poisson est tiré du Rhône & porté au Lac, où estant vû de quelque grosse Truite ou d'un Brochet, il est soudain englouty. Alors la Truite se sentant blessée par l'hameçon, fait tourner sur l'eau le petit paquet de jonc, & devide la ficelle qui marque sa prise. C'est un genre de Pesche tres-divertissant. Pendant qu'on s'y occupoit, on servit un Déjeuner magnifique, où rien ne manqua, soit pour la propreté & le bon ordre, soit pour l'assaisonnement des Mets, & la diversité des Boissons tres-bien rafraîchies. En suite deux Bateaux pescherent au grand filet quantité de Truites & de Brochets, d'une grosseur surprenante. À ce divertissement succeda celuy d'aller attaquer une Troupe de jeunes Canards, qu'on avoit découverts dés le matin, dans un espace de Roseaux que le Lac produit. On les tua tous, & en suite, on alla à la chasse des grands Oiseaux de Riviere, où l'on tira plusieurs fois au vol. Les Chiens qui estoient dressez pour l'eau, donnerent un plaisir extraordinaire. On repassa aux botes de jonc. La pesche y estoit fort grande. On vint de là débarquer à une avenuë d’Arbres fort hauts, qui continuë du bord du Lac jusqu’au Chasteau Rozet, qui est à un quart de lieue de la Ville, & à la portée du Canon du Lac. C’est une des plus belles Maisons du Païs. Il y a un Parterre magnifique, avec des Jets d’eau, & de longues Allées couvertes. On y trouva le Dîné servy dans une Chambre fort propre, toute semée de fleurs, & ombragée dans tous ses jours. Il y avoit deux Tables, la premiere de dix Couverts, & la seconde, de douze. La place de Mr le Résident estoit distinguée. Mr Sarrazin, Seigneur de la Pierre, Conseiller au Parlement de Grenoble, fut de la Partie, ainsi que deux Officiers François que Mr le Résident avoit amenez, sur la priere que luy avoient faite les Magistrats, de prendre avec luy telles Personnes qu’il souhaiteroit. Les deux Tables furent servies à cinq Services chacune, dans un tres-grand ordre, & avec autant de délicatesse que de somptuosité. Les Vins & les Liqueurs de toute sorte y estoient en profusion. Deux Hommes du Conseil, tres-proprement habillez, des mieux faits, & des premieres Familles de Geneve, servirent Mr le Résident à table. Il y avoit un Maistre-d'Hôtel, & un Inspecteur.
Mr du Tremblay Syndic, que nous avons veu depuis peu Envoyé en Cour, commença la Santé du Roy, & invita l'une & l'autre Table au respect qui estoit dû à ce grand Monarque. Tout le monde se leva le Verre à la main, & on n'eut pas si-tost commencé à boire, que Mr le Résident fut fort agreablement surpris de six Mortiers qu'on avoit posez dans le Jardin. Le grand bruit qu'ils firent l'obligea de quiter la Table, pour aller à la Fenestre, d'où il voyoit le feu. Les Frégates qui avoient moüillé l'Ancre sous le Château Rozet, répondirent aux Mortiers ; apres quoy les Canons de la Ville se firent entendre Bastion par Bastion. On dût ce grand ordre aux soins de Mr le Fort, Conseiller & Major, qui estoit à cheval, & alloit de Baterie en Baterie. Si-tost que tout ce bruit fut finy, une Bande de Violons & d’autres Instrumens, qui estoient cachez dans une Chambre voisine, commencerent à joüer. L’Harmonie dura jusqu’à la Santé de la Reyne, où le mesme bruit fut entendu, & les Violons, dans les intervales. La mesme chose pour les Santez de Monseigneur & de Madame la Dauphine.
Apres le Dîné, Mr de Normandie, suivy des cinquante jeunes Gens qui servoient de Gardes, vint prendre Mr le Résident, & l’accompagna au bord du Lac. Dans le temps qu'il approchoit du Rivage, un Brigantin ayant une Baniere & un Equipage à la Turque, monté d'une Compagnie de faux Turcs tres-bien armez, & de grande taille, & de quatre petites Pieces de Canon, vint fondre à sa veuë sur la Frégate de ces jeunes Gens qui estoit à l'Ancre. Le Capitaine qui la commandoit luy lâcha toute sa Baterie, mais le Brigantin ne s'étonna pas. Il fit tirer son Canon & décharger sa Mousqueterie, & ayant accroché cette Frégate, les faux Turcs monterent dessus le Sabre à la main, la firent attacher à la queuë de leur Brigantin, leverent l'Ancre, & obligerent la Chiourne de travailler à se mettre au large. Les Gardes qui virent qu'on enlevoit leur Frégate, se saisirent de six Bateaux garnis de leurs Avirons, & de quelques Armes, & en formerent une petite Escadre. Le Capitaine prit l'Aisle droite avec trois Bateaux, & donna la gauche avec les trois autres Bateaux à son Lieutenant. Aussitost ils s'avancerent pour joindre les Turcs. Mr le Résident s'estant embarqué, voulut soûtenir cette Jeunesse, & obligea ces faux Turcs à combatre contre les six Bateaux, qui leur firent essuyer diverses décharges de Mousqueterie. Ce grand feu contraignit les Turcs à relâcher la Frégate, & à se jetter dans leur Brigantin, où il se tirerent d'embarras à force de Rames ; mais enfin apres plus de deux heures de combat, ils furent forcez de mettre Pavillon bas. Cela fait, on servit une tres-superbe Collation, pendant laquelle les fanfares des Trompetes, le bruit des Tambours, & le son des Violons, se faisoient entendre comme à l’envy. On revint au Port avec une Escorte d'un nombre infiny de Bateaux remplis de monde, que la beauté de la Feste avoit attirez. En abordant, Mr le Résident fut de nouveau salüé par le Canon. On le conduisit chez luy avec les mesmes cerémonies qui avoient été observées le matin en l'allant prendre. Estant arrivé, il reçeut les Complimens de plusieurs Personnes ; à quoy il répondit avc toute l'honnesteté possible, & mesme par des libéralitez, à ceux qui avoient servy à la Feste.
[Feste de l’Inquisition faite à Madrid] §
Il s’est fait depuis un mois une Feste si extraordinaire à Madrid, qu’avant que de vous en parler, j’ay crû devoir vous représenter le Lieu où la cerémonie s’en est passée. Vous le pouvez voir gravé dans cette PlancheII. C’est la grande Place où se font les fameuses Festes de Taureaux, & de Cañas. Elle est moins belle & moins grande, que n'est icy la Place Royale ; mais les Maisons en sont bien plus hautes, chacune ayant six ou sept Etages tous pleins de Balcons de fer. Cela doit faire un fort bel effet, quand ils sont remplis de monde. Le Toit est continué par tout sans qu'il y ait aucuns Pavillons. C'est ce qui est cause qu'il y a moins d'air. La Place est mal nette, à cause que ceux qui y logent, sont tous Marchands & petites Gens. Ainsi les Portiques en sont vilains. Le vuide y sert de Marché, & il n'y a ny Fontaine, ny Statuë, pour la facilité des Spéctacles. Celuy qui fournit le Sujet de cet Article, n'avoit point esté veu à Madrid depuis pres de cinquante ans. C'est une Feste que Messieurs de l'Inquisition ont accoûtumé d'y celebrer une fois sous le Regne de leurs Reynes. Les dépenses que l'on fait monter à deux & trois cens mille Piastres, pour cette sorte de Cerémonie, sont cause qu'on envoye tous les ans les Juifs à Valladolid ou ailleurs, pour les y punir sans appareil, car on ne met guére à l'Inquisition que ceux qui sont soupçonnez de Morisme, ou de Judaïsme. Il y en a que l'on mene par les Ruës avec une Coroça, qui est une maniere de Bonnet pointu & fort haut, de papier jaune & rouge. Le Conseil, & les Officiers de l'Inquisition, marchent devant sur leurs Mules, les Familiers ensuite, & les Encoroçados sont au milieu. On donne le Sanbenito à d'autres. C'est une espece d'Etole qu'on les oblige de porter au col. Le Président de l'Inquisition s'appelle Inquisidor general, & les Conseillers, Inquisidores. Comme leur employ est de s'informer de la mauvaise vie, & de la doctrine des Gens, ils envoyent par tout des Espions, & sur les raports qui leur sont faits (apparemment ils prennent grand soin d'en examiner la verité) ils font arrester un Misérable. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'au lieu que dans les crimes d'un autre nature il faut déclarer au Prisonnier de quoy on l'accuse, & que jamais un Homme n'est crû en parlant contre luy-mesme, on attend au regard de l'Inquisition que ceux qui sont arrestez déclarent qu'ils sont coupables, & on les retient toûjours s'ils ne s'accusent de rien. Ainsi c'est sur leur propre témoignage qu'on les punit, puis qu'on ne leur nomme, ny ne confronte jamais les Témoins qui ont déposé contre eux. Pour obliger la Noblesse à maintenir cette sorte de Justice, on a donné de grands Privileges à tous les Gentilshommes qui veulent se faire ce qu'il appellent Familiers de la sainte Inquisition. Leur fonction est de prester mainforte pour prendre les Accusez, & les conduire en prison, y ayant cela de particulier qu'on les y mene, & mesme au Suplice, sans que le Condamné soit lié, à cause du grand nombre de Gentilshommes qui l'environnant de toutes parts, ne luy laissent pas le pouvoir de s'échaper. Ce minsitere apporte de grands avantages à ceux qui y sont nommez ; & un Gentilhomme reçeu Familier de l'Inquisition, se tire aisément de toute sorte d'affaires. Si on le veut prendre, il se reclame de l'Inquisition, où il a ses Causes commises, & il faut soudain que toute autre Jurisdiction cede. Les Inquisiteurs entreprennent son Procés, & le traînent en longueur, pour forcer les Parties d'accommoder. Pendant ce temps, le Familier qui s'est fait écroüer Prisonnier de l'Inquisition, a la liberté de se promener par tout. Ainsi ceux qui ont de méchantes affaires, demeurent souvent des dix années, & quelquefois mesme toute leur vie, prisonniers de l'Inquisition. Il y en a dix Tribunaux en Espagne, sçavoir à Tolede, Grenade, Seville, Cordoue, Murcia, Guenca, Logroño, Lerena, Valladolid, & par dessus tous ceux-là, il y a le Souverain qui est à Madrid. C'est de ce qui a esté fait par ce dernier, que je prétens vous entretenir. La résolution ayant esté prise de faire un Auto d'Inquisicion c'est à dire de punir publiquement, & avec toutes les Cerémonies requises, ceux qu'elle avoit condamnez, on éleva dans la grande Place un Theatre d'environ neuf à dix pieds de hauteur. Il estoit large de quatre-vingts, & appuyé contre le Bastiment des Religieuses de S. Pierre. Le devant de ce Theatre regardoit la Place, & il estoit fermé à droit & à gauche par une montée de trente degrez. Plus haut, & contre le Bastiment, estoit attaché le Balcon du Roy, & ceux de toute la Cour, à costé ou au dessus. Les degrez estoient tous tapissez d'un costé depuis le bas jusqu'en haut, avec un grand Dais & un Siege magnifique pour l'Inquisiteur General. Entre le Balcon du Roy & la distance de ces degrez, il y avoit un Autel dans le milieu, orné de six Chandeliers. L'autre costé des degrez n'estoit point du tout tapissé, comme estant l'endroit où l'on devoit faire s'asseoir les Juifs que l'on avoit condamnez. Dans le milieu, entre ces degrez & le Balcon de Sa Majesté, estoient trois Chaires à présider, pour lire la Sentence des Criminels. Le Peuple estant accouru en foule pour estre témoin de cette Cerémonie, on la commença le Samedy 29. de Juin, jour de S. Pierrre, par une Procession qui sortit de l’Inquisition sur les cinq heures du soir. Les Ruës où elle passa, & la grande Place mesme, estoient toutes tapissées, comme dans le Jour le plus solemnel. D'abord parut une Compagnie d'environ trois cens Charbonniers, habillez le plus proprement qu'ils pûrent. Ils portoient Mousquets, Piques, Halebardes, & marchoient cinq à cinq pour faire écarter la foule. On voyoit en suite l'Etendart de l'Inquisiteur, porté par le Duc de Medina-Celi, Favory & Premier Ministre du Roy. Il estoit suivy de tous les Seignuers de la Cour, derriere lesquels tous les Religieux de la Ville, les Enfans Trouvez, & autres, alloient deux à deux ; & en suite dans le mesme ordre, puis de cinq à six cens Officiers de l'Inquisition, aussi parez qu'ils auroient pu l'estre pour quelque Entrée du plus grand éclat. Apres eux marchoient deux Inquisiteurs portant chacun une grande Croix, l'une verte, & l'autre blanche ; & une Compagnie de Soldats vestus de noir & de blanc pour marques de deüil, fermoit cette grande Marche. Pendant que la Procession passa, toutes les Cloches sonnerent comme au jour des Morts, sans qu’un si lugubre son empeschast les fanfares des Trompetes qui se faisoient entendre en divers endroits. On prit sa route devant le Palais du Roy, pour arriver à la Place, où l’on mit la Croix verte sur l’Autel que l’on avoit préparé. Elle marquoit l’espérance pour la conversion des Condamnez. On alla de là hors la Ville ; & la Croix blanche, qui signifioit le châtiment, fut mise au lieu désigné pour le Bucher. Dés cette nuit, les Jacobins, comme estant premiers Inquisiteurs, s'emparerent du Theatre, & y dirent Matines. Les Messes y furent commencées à minuit, ainsi que dans toutes les Eglises de Madrid ; & à sept heures précises du matin, le Roy s'estant rendu à son Balcon avec les deux Reynes, la seconde Procession commença d'entrer dans la Place. Elle dura trois heures & demie à passer. Il y en avoit une partie à pied, une partie à cheval, & le reste en mule. C'estoit toute la Justice ordinaire, celle de l'Inquisition, plusieurs Seigneurs, & les Criminels. L'Inquisiteur General, le Président de Castille, & le Marquis de Lova Protecteur de l'Inquisition, marchoient derniers. Les Charbonniers estoient à la teste de la Procession comme le precédent, & apres eux, trente-deux Statuës de Juifs morts ou fugitifs, condamnez à estre brûlez, avec les os des Morts mis dans de petites Cassetes. Soixante & sept Criminels, tant Hommes que Femmes, Juifs, Sorciers, ou Hypocrites, suivoient ces Statuës les uns condamnez au foüet, & les autres à une penitence de sept ans. Ensuite venoient l'un apres l'autre, avec quatre Confesseurs chacun, & deux Sergens de l'Inquisition, sept Femmes & quinze Hommes condamnez à estre brûlez vifs. Le tout estant arrivé sur le Theatre, l'on y commença la Messe à onze heures, & apres qu'on eut chanté l'Evangile, le Roy presta serment à l'Inquisiteur, qui luy fit promettre qu'il ne se mesleroit jamais de l'Inquisition ; apres quoy les Sentences de chaque Juif furent leuës. La Messe qui commença & acheva la Cerémonie, dura jusqu’à neuf heures & demie du soir. Dés qu’elle fut dite, on remit les Juifs entre les mains de la Justice ordinaire, pour exécuter la Sentence, avec ordre, pour ceux qui renonceroient à la Loy Juifve, de les étrangler avant que de les jetter au feu. La Reyne fit donner grace à une Femme qui s'estant convertie, marquoit un grand repentir de ses erreurs. On la remena à l'Inquisition, & les vingt & un autre furent conduits au Bucher avec des Flambeaux, & sur des Astres. Ils y arriverent entre onze heures & minuit ; & une heure apres, toutes les Exhortations estant faites, quatorze qui se convertirent furent étranglez, & on brûla vifs six Hommes & une femme qui voulurent mourir Juifs dans la Loy de Moïse. Il y en eut deux ou trois qui se jetterent eux-mesmes dans le feu, & qui y demeurerent sans branler avec une constance merveilleuse. Comme on ne faisoit que leur attacher les mains derriere le dos avec des cordes, & qu'on les jettoit en suite dans le Bucher avec leurs habits ; les autres, à qui les cordes brûlées laisserent incontinent les mains libres, se debatoient dans le feu, & en sortirent jusques à trois fois. Le lendemain, cette Festes se conclud sur le châtiment de ceux qui avoient esté condamnez au foüet. On sera surpris que des Criminels paroissent devant leur Roy sans obtenir graces, puis qu'en France ils seroient sauvez par la veue de leur Souverain. Vous voyez par là combien les deux Nations sont opposées. La Juive, à qui la Reyne fit pardonner, accusa plus de dix huit Familles qu'on arresta aussitost, & que l'on a fait mener dans les Prisons de Valladolid & de Tolede, où l'on doit faire la mesme justice.
Air nouveau §
Je vous envoie une seconde Chanson. Elle est de Mr Daniel, Neveu de Mr de Bacilly.
images/1680-07_298.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah, Printemps, vos douceurs, doit regarder la page 298.Ah, Printemps, vos douceursNe font plaisir qu’aux Fleurs.Depuis vostre retour ma douleur est extréme.Tircis a quitté ce sejour,Je ne vois plus l’Objet que j’aime ;Et cependant je sens augmenter mon amour.Ah, Printemps, vos douceursNe font plaisir qu’aux Fleurs.Je voyois chaque jour d’une ardeur mutuelleCe Berger sensible à son tour,Répondre à mon amour fidelle,Mais je ne le vois plus depuis vostre retour.Ah, Printemps, vos douceursNe font plaisir qu’aux Fleurs.
[Depart du Roy de Fontainebleau, avec la suite de son Voyage] §
La Cour, dans les derniers jours qu’elle a passez à Fontainebleau, a continué de prendre les mesmes divertissemens qu’elle y avoit pris pendant tout le mois de Juin. On a fait diverses Chasses. Les unes ont esté des Parties galantes avec les Dames, & les autres des Parties de vigueur, où l’on se faisoit un plaisir de la fatigue. Voicy ce qui arriva d'une de ces Chasses sur la fin de l'autre Mois. Un Loup d'une grosseur extraordinaire, ayant esté poursuivy par les Chiens du Roy, vint tout furieux vers les Bois de Dannemois aupres de Courance. Deux Païsans se trouvant à sa rencontre, il se jeta sur l'un d'eux. L'autre pour sauver son Compagnon, prit le Loup par le gosier & par une pate. Le premier estant dégagé, saisit le Loup par d'autres endroits. Ils furent mordus tous deux, & tâcherent inutilement de luy couper le col avec leurs couteaux. En mesme temps, un Gentilhomme du voisinage, appellé Mr de Bissemont, fut attiré par ses Chiens au lieu du combat. Il cria aux Païsans de lâcher le Loup. La crainte qu'ils eurent qu'il ne s'échapast, les fit s'obstiner à le tenir, & enfin le Gentilhomme qui estoit adroit, tourna son Fusil si justement, qu'il tua le Loup entre leurs mains. Les playes que ses morsures leur avoient faites, n'estoient pas considérables, & on les en eust aisément guéris, sans une espece de rage qui les attaqua, & dont ils moururent en fort peu de jours. Le Curé du Lieu présenta leurs Veuves à la Cour, quand elle quitta Fontainebleau, & le Roy leur donna des marques de la compassion qu'il a pour les Malheureux.
Les Divertissemens les plus ordinaires, outre la Chasse, ont esté les Promenades, tantôst sur le Canal, tantost en Carrosse autour du mesme Canal, & souvent plus loin, quand le temps le permettoit. Ces Promenades estoient presque toûjours accompagnées de Collations. Je vous dirois, magnifiques, si vous ignoriez ce qu’est la Cour de Loüis le Grand. Chaque Comédie qu’on y a représentée, a eu des Entr’actes de Musique, où Mademoiselle Rebel s’est fait admirer dans les beaux Airs qu’elle y a chantez. […]
Le Samedy 13. Leurs Majestez, accompagnées de Monseigneur & de Madame la Dauphine, partirent de S. Germain, & allerent coucher à Beauvais. […] Monsieur & Madame partirent le mesme jour de Paris, pour joindre Leurs Majestez, & passerent à Pierrefite, ou Mr Forcadel Secretaire du Roy, les régala d’une superbe Collation, & d’un Concert des mieux entendus. […]
[Madame l’Abbesse de S. Dizier fait faire un Service pour feu M. L’Evesque de Châlons] §
Madame l’Abbesse de S. Dizier, voulant signaler son respect & la venération pour la mémoire de feu Mr l’Evesque & Comte de Chalons, aussibien que sa reconnoissance des biens faits, qu’elle & la Communauté en ont reçeus, a fait faire depuis quelques jours dans son Eglise un Service tres-solemnel, pour cet illustre Prélat, à trois Messes hautes, chantées par la Musique de la grande Eglise de la Ville. Mr l’Abbé Jacob prononça en suite l’Oraison Funebre, & fit un fort beau Discours sur les vertus & les rares qualitez de ce grand Homme. L’Assemblée fut tres nombreuse ; tout ce qu’il y a d’Ecclesiastiques, & de Personnes considérables de l’un & de l’autre sexe aux environs s’y estant trouvé.