Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1678 (tome I)
Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1678 (tome I). §
Aux Dames §
Aux Dames.
CE n’est point vous faire un Présent, Mesdames, que de vous donner l’Extraordinaire, c’est vous rendre un Ouvrage qui vient de vous. Il est tout plein, ou de ce que vous avez produit vous mêmes, ou de ce que vous avez fait produire aux autres. Quelle joye ne ressent pas le Mercure de voir que vos Plumes ayent travaillé à l’embellir ! Il n’a pû se taire de ce bonheur ; & si aprés s’estre borné pendant plus d’un An à paroître reglément dans le monde tous les mois, il emprunte aujourd’huy un nouvel éclat pour s’y montrer à des temps extraordinaires, il ne le fait que dans le dessein de publier vos faveurs. Il croit même que ce n’est qu’en les publiant qu’il peut s’acquiter de celles qu’il a reçeuës, & s’en attirer de nouvelles. Il prétend vous faire passer son indiscretion pour une marque de sa reconnoissance, & pour vous engager à le combler toûjours des mêmes bontez, il vous jure qu’il sera éternellement indiscret. Il n’y en a aucune entre vous qui ne sçache par l’expérience qu’elle en a veu faire à ses Amans, que quand on aime, il est fort naturel de ne pouvoir s’empescher de le publier, & que ceux dont le cœur est bien engagé, croiroient beaucoup perdre, s’ils perdoient le plaisir de dire que leur cœur est engagé. Le Mercure a suivy cet exemple. Il n’a pû estre aussi remply d’estime pour le beau Sexe qu’il l’estoit, sans en instruire le Public ; & cette passion qui est de la nature de celles que vous inspirez, c’est à dire, tres-forte & tres-agreable, n’a pû se taire ny se renfermer. Si vous soufrez que le Mercure Galant vous fasse des Déclarations d’amour à sa maniere, il vous dira que luy à qui il passe entre les mains assez d’Ouvrages spirituels, & qui se mesle un peu de ce mestier-là, il fait bien plus de cas de vous que des Hommes ; & je trouve qu’il a raison.
Le Mercure Galant va plus loin, & ce n’est point une exagération d’Amant. Il prétend que les Hommes vous ont l’obligation de toute la politesse de leur Esprit, & que vous leur en inspirez plus que la plus heureuse naissance ne leur en sçauroit donner ; car enfin
Voila, Mesdames, les sentimens passionnez que le Mercure Galant a pour vous. Il vous répond de sa constance, & vous assure que si chaque Amant en a autant pour chacune de vous, qu’il en aura pour tout le beau Sexe, vous ne vous plaindrez jamais d’aucune infidelité ; mais aussi il veut estre récompensé de l’attachement qu’il a pour vous, & il vous demande à toutes en general, ce que chaque Belle en particulier fait quelquefois acheter si cher à un Amant, je veux dire un peu d’estime pour luy, & s’il se peut, un peu d’empressement de le voir.
Préface §
Préface.
SI la France a de tout temps passé de l’aveu mesme des autres Nations, pour le Royaume du monde où les Personnes d’esprit, les Gens galans, & les vrais Braves se trouvent en plus grand nombre, on a toûjours regardé Paris comme la Ville où il s’en rencontre le plus, & dans laquelle tout ce que les Provinces ont de plus illustre vient prendre des Leçons pour se polir. Ainsi il ne faut pas s’étonner si ces Villes sont à l’égard du reste du monde, ce que Paris est à leur égard, c’est à dire, les plus polies de toutes celles qui ont quelque Nom. L’Esprit n’y regne pas seulement, mais la modestie, quoy qu’il soit rare de la trouver avec le merite, dont la présomption est presque toûjours inséparable. Il est certain que la plûpart des Gens de Province ont si peu de cette vanité ordinaire à ceux qui se piquent de bel Esprit, qu’ils sont les premiers à s’abaisser & à se traiter de Provinciaux. Cependant beaucoup de leurs Lettres qui rendent témoignage de cette modestie, le rendent en même temps de la délicatesse de leur goût pour les bonnes choses, & il est bien juste de parler à leur avantage lors qu’ils témoignent s’estimer si peu. La pensée qu’ils ont qu’ils ne sçavent rien parce qu’ils ne demeurent pas à Paris, leur fait apprendre avec tant de soin tout ce qui s’y passe, qu’ils en sont beaucoup mieux informez que quantité de Personnes de Paris même. Si j’y mis dans le Mercure ou quelques vieilles Pieces, ou quelque Air qui n’ait pas esté nouveau, ce sont eux qui m’en ont donné le premier Avis. C’est par eux que j’ay commencé à recevoir d’agreables Explications sur les Enigmes ; & ceux qui voudront se donner la peine d’examiner tous les Volumes du Mercure, outre qu’ils y trouveront un tres-grand nombre d’Ouvrages achevez qui ont esté faits en Province, remarqueront que la plûpart des Festes Galantes en viennent. Elles ont fait honneur à la France, & j’en ay décrit quelques unes que plusieurs Souverains n’auroient pas voulu desavoüer. Joignez à cela que ceux qui ont excellé dans quelque genre d’ecrire ont presque tous esté de Province. Cela se justifie par la plûpart de nos plus considerables Autheurs qui en sont, aussi bien qu’un assez grand nombre de ceux qui ont esté choisis pour étre Arbitres de la Langue dans l’Académie Françoise. Comme ils sont connus de tout le monde, il seroit inutile de les nommer. Les Lettres qui me sont venuës de tous les endroits du Royaume ayant donné lieu à cet Extraordinaire, me servent aujourd’huy à faire voir qu’il n’y a pas seulement de beaux Esprits de profession, mais qu’il s’en trouve beaucoup parmy ceux qui ne se mélent d’écrire que pour leur divertissement. Cela est si vray, que si leurs Ouvrages estoient meslez avec les Productions de nos Autheurs, on pourroit avoir peine à les reconnoître. On verra dans cet Extraordinaire que la plûpart donnent un tour à leurs Vers aussi agreable & aussi aisé que spirituel. Il est vray qu’ils les ont presque faits tous sur l’Explication des Enigmes. Ainsi l’on trouvera beaucoup de Pieces sur une même matiere. Cependant ce qui pourroit ennuyer quelques Esprits mal tournez doit attacher davantage des Esprits bien faits, & il y a dequoy admirer dans la mesme chose le tour diférent que chacun luy donne. Ce sont des Explications des mesmes Enigmes qu’on ne peut mieux comparer qu’aux Visages qui sont tous formez des mesmes parties sans qu’on en ait jamais vû aucun qui ait entierement ressemblé à l’autre. Ceux qui ont fait ces Explications doivent recevoir un fort grand plaisir de celles des autres ; & comme on n’en peut faire sur les Enigmes en figures qui ne soient remplies de choses aussi utiles à sçavoir que curieuses, s’il doit estre agréable à toute sortie d’Esprits de se divertir en s’instruisant, il doit l’estre beaucoup plus aux Interessez qui par amitié ou par alliance prennent quelque part dans la gloire de ceux qui nous en fournissent les moyens. Quoy qu’il n’y ait rien de plus difficile qu’une belle Lettre, je suis assuré qu’on en trouvera quelques unes de tres-belles dans ce Volume. Il y en a beaucoup du beau Sexe, & on ne doit pas douter qu’elles n’ayent de la délicatesse & un tour fin, puis que tout ce qui vient de ce côté-là a toûjours un caractere spirituel. Comme toute la France se plaît à ce qui exerce l’esprit, l’Extraordinaire en ouvrira une carriere tres-ample. Chacun y pourra trouver de la matiere à son goust, puisqu’il contiendra trois choses qui ne seront jamais dans le Mercure ; une Lettre en Chiffres, dont on laissera la Clef à chercher, une Question Galante sur laquelle on pourra dire son sentiment ; une Histoire Enigmatique qui aura son sens envelopé ; & une autre Histoire Etrangere. On prie chacun d’estre court. On le sera necessairement sur la Lettre en Chiffres, puisque l’Explication n’en peut estre que de peu de lignes. La Question proposée demande quelque étenduë, car il faut établir, raisonner, prouver, & resoudre. Pour l’Histoire Enigmatique, quoy qu’elle pust estre expliquée par un seul Mot, si on avoit l’avantage de le trouver, on pourra faire un petit Discours sur chacune en forme d’Histoire, pour expliquer plus agreablement ses pensées. Ceux qui expliquent en Prose les Enigmes que le Mercure propose en Vers, sont priez de n’en mander que le Mot, parce qu’on ne fait imprimer que les Explications qu’on envoye en Vers, de peur que trop de Prose sur le mesme sujet n’ennuyât. Il n’en est pas de mesme des Enigmes en figures, dont on fera imprimer les Explications en Prose & en Vers, parce qu’elles sont toûjours accompagnées de quelque trait d’érudition ou d’Histoire, & que peu de Personnes leur donnant le mesme sens, la diversité qui s’y rencontre fait trouver de l’agrément dans chacune. Celles qui seront en Vers ne laisseront pas d’estre préferées aux autres. Chacun pourra envoyer des Questions galantes qu’on proposera ; & les diférens Ouvrages que tant de choses attireront, produiront à l’avenir un agreable mélange dans l’Extraordinaire, & seront cause qu’on n’y trouvera plus tant d’Explications d’Enigmes de suite. On donnera dans le premier qui paroistra, celles qui auront esté faites sur les Enigmes des Mois de Mars, d’Avril, & de May, & elles seront précedées par des Lettres tres-curieuses en forme de Dissertation, sur la maniere dont les Enigmes en figures doivent estre faites. On tâchera de donner ce second Extraordinaire le quinziéme de Juillet, pour regagner le temps, & remettre chaque Extraordinaire dans son Quartier. Jusqu’icy les seules Enigmes ont fait recevoir cinq à six cens Lettres par mois ; & comme on en recevra sur la Question proposée dans chaque Extraordinaire, sur la Lettre en Chiffres, & sur l’Histoire Enigmatique, cela iroit à un nombre infiny & à des sommes tres-considérables, s’il falloit en payer le port. C’est pourquoy on prie ceux qui écriront, d’adresser leurs Lettres à quelque Amy, qui les rendra franches au Sieur Blageart Imprimeur du Mercure Galant, ou d’en acquiter le port dans les lieux d’où elles seront envoyées. Ce sera peu de chose pour chaque Particulier ; & tous ces Ports de Lettres payez par un seul, font une somme qui diminuë beaucoup le plaisir de les recevoir. La priere qu’on fait de n’envoyer à l’avenir aucune Lettre qui ne soit franche, est d’autant plus juste, que beaucoup de Gens qui n’ont jamais fait de Vers, envoyent leurs coups d’essay, sans songer qu’à moins d’un tres-heureux naturel, il en faut quelquefois faire dix mille, avant que de réüssir à en faire un bon. On verra par quelques Lettres de ce Volume, qu’on n’a pas esté moins content des Articles qui instruisent dans le Mercure, que de ceux qui divertissent. Ainsi quand on voudra envoyer de petits Traitez d’érudition, on les mettra dans les Extraordinaires, pourveu qu’ils ne soient pas trop longs, afin que l’utile y soit meslé avec l’agreable. On a déja commencé à le faire dans celuy-cy, où l’on trouvera d’abord en huit ou dix petites Lettres tout ce qui se peut dire de plus curieux sur les Enigmes & sur la maniere dont il les faut faire. Beaucoup de Personnes ont expliqué celles qui ont esté proposées dans le Mercure. Quoy que je me sois contenté de les nommer sans rien dire de chacun d’eux, il ne faut pas croire qu’ils ne sçachent que trouver un Mot d’Enigme. Ce sont Gens d’esprit qui sçavent tous écrire agreablement en Prose & en Vers, & qui n’ont pas seulement envoyé un Mot comme plusieurs ont crû, mais des Explications tres-ingénieuses. Je n’avance rien dont la preuve ne se trouve dans cet Extraordinaire. Il ne faut que lire les Lettres qui le composent pour en demeurer d’accord. À l’égard des Modes, il contient toutes celles de l’Hyver & du Printemps. Si l’on souhaite encor quelque chose de plus particulier pour la connoissance qu’on en donnera à l’avenir, on n’épargnera rien pour satisfaire le Public sur le moindre avis qu’on en recevra, & on ne manquera point à luy rendre compte par ordre dans chaque Extraordinaire de tout ce qui aura paru de nouveau depuis le commencement d’une Saison, jusqu’à ce qu’une autre luy ait succedé.
On donnera un Volume du Mercure Galant, le premier jour de chaque Mois sans aucun retardement. Tous les Volumes de l’année 1678. à commencer par celuy de Janvier, ne se donneront plus à l’avenir chez le Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, Rue S. Jacques, à l’entrée de la Ruë du Plastre, qu’au prix de Vingt sols en feüilles, & au Palais à Trente sols relié en Veau, & à Vingt-cinq sols en Parchemin. Les dix Volumes de l’Année 1677. se donneront toûjours au prix ordinaire, c’est à dire vingt sols en Veau, & quinze en Parchemin au Palais, & dix sols en feüilles chez ledit Sieur Blageart.
Et pour l’Extraordinaire, il se distribuera au mesme lieu au prix de cinquante sols en feüilles, de cinquante-cinq sols relié en parchemin, & de soixante sols relié en veau.
Lettre sur les Enigmes de ce temps, À Monsieur le D.D.S.A. §
VOUS le voulez, Madame, & il n’y a pas moyen de m’en dispenser. Le commerce que les Lettres que je vous écris, me donnent avec le Public, attire vostre curiosité. Il est juste de vous en rendre compte, & de vous faire voir une partie de ce qu’on m’écrit sur les Ouvrages des Particuliers, que je prens soin de recüeillir pour vous tous les Mois. Les Enigmes ont êté la matiere sur laquelle on s’est le plus generalement expliqué. On ne s’est pas contenté d’en chercher le sens. La plûpart de ceux qui l’ont trouvé, me l’ont envoyé en Vers, & je puis dire que de longtemps rien n’a esté si fort à la mode. Ce que je vous ay dit des Devises dans ma Lettre de Fevrier, a esté cause qu’on m’a demandé quelques Remarques sur les Enigmes, & pour satisfaire ceux qui s’en sont faits une occupation d’eux-mesme, & leur faire connoistre que bien loin d’étre une bagatelle, elle a fait autrefois le plaisir des plus grands Hommes de l’Antiquité, j’avois commencé des Recherches sur ce sujet, lors qu’il m’est tombé entre les mains plusieurs Lettres qui m’ont épargné une plus grande suite de soins. Elles sont si belles & si pleines d’érudition, que je suis obligé de vous avoüer qu’il me seroit impossible de rien trouver qui les égalât. Lisez-les, je vous prie. Elles viennent d’Aix en Provence. L’Autheur ne m’en est pas connu, mais elles sont si finement & si sçavamment écrites, que vous partagez sans doute avec moy l’estime particuliere qu’elles me donnent pour luy. Je n’ay pû sçavoir à qui elles sont adressées. Il y a lieu de croire que c’est à l’Illustre Duc dont je vous ay entretenuë si souvent.
Lettres
sur les Enigmes
de ce temps,
À Monsieur le D.D.S.A.
Lettre I.
AUjourd’huy que les Enigmes sont à la mode, par le rang considérable que le Mercure Galant leur donne regulierement dans ses Nouvelles de chaque Mois, vostre curiosité, Monsieur, est de saison, de vouloir apprendre l’art d’en faire un juste discernement, & toutes les autres choses qui en peuvent donner une connoissance plus particuliere que celle que l’on a communément : mais malgré tout le panchant que j’ay de vous écrire au plutost ce que mes Livres m’en ont appris, je ne trouve pas qu’il soit possible de renfermer dans une seule Lettre ce qui se presente déja à mon esprit, sans conter sur les nouvelles découvertes que l’on a coûtume de faire en écrivant. Il faut mesme un temps raisonnable pour vous dire que l’on ne doit pas faire entrer au rang des Enigmes tout ce qui a quelque apparence d’être Enigme. L’Apologue ne l’est point ; l’Apologue, ce voile ingénieux dont le Sage Esope, dont le Divin Socrate, pour ne nommer pas tous les autres Anciens, couvroient la verité, toutesfois il en a quelque air. Il ne presente d’abord que des Figures éloignées du sens que l’on représente ; mais ces Figures se démélent plus facilement que celles de l’Enigme ; on ne s’en approche point, sans y découvrir quelques-uns de leurs secrets, car ils en ont souvent pour toute sorte de Personnes. Ce sont des Miroirs, on ne les regarde point, sans y voir quelque chose de soy même. L’Enigme est beaucoup plus mysterieuse. Elle est neantmoins semblable à ces traits incomparables d’Eloquence, en ce que tout le monde les trouve d’une facilité si naturelle, qu’il n’y a personne qui ne presume qu’ils se seroient presentez à luy s’il avoit eu la même chose à exprimer, quoy qu’ils soient en effet le desespoir de tous ceux qui s’efforcent le plus à les imiter. C’est ce qui rend une belle Enigme une chose fort rare. Elle doit avoit tout l’art du fameux Gygés. Il se trouvoit exposé au milieu du monde avec des traits fort visibles, cependant on ne le voyoit point. Vous jugez bien déja, Monsieur, qu’il faut plus d’une Lettre, je ne dis plus pour finir, mais pour commencer mesme cette matiere ; & à vous dire vray, quand on est éloigné de vous, il y a du plaisir à trouver des prétextes à vous écrire souvent. Cette lettre n’est donc que la premiere de quelques autres que j’auray à vous envoyez, & vostre curiosité sur les Enigmes vous coûtera au moins le temps de les lire.
Lettre II.
JE trouve, Monsieur, que ne voulant vous faire connoistre que les Reflexions de nos Sçavans sur les Enigmes, il arrivera que je vous parleray encor aujourd’huy de toute autre chose, il ne faut pas vous en étonner. C’est la méthode des habiles Gens. Ils n’avancent jamais une Definition sans l’avoir preparée, & cette préparation est de démesler ce qu’une chose n’est pas, avant que de prononcer précisement sur ce qu’elle est. On ne doit pas s’en plaindre. Ils payent avec interest l’attention qu’on se plaist à leur donner. Je ne vous promets pas de vous satisfaire avec la même abondance, mais vous ne demandiez des nouvelles que sur les Enigmes, & vous en aurez sur les Emblêmes, aussi bien que sûr l’Apologue. Ces Emblêmes sont encore des voiles ingénieux de nos pensées, mais ces voiles ne sont jamais plus propres à l’Emblême que lors qu’ils sont si fins qu’ils servent seulement à faire mieux paroistre toutes les beautez d’une chose. Ce sont de ces toiles déliées, de ces crespes, de ces gazes qui donnent un nouvel éclat aux couleurs, & de l’embellissement à la lumiere mesme. La Peinture nous parle par leur moyen de la Morale & de la Nature, en donnant de la couleur & du corps à nos pensées. C‘estoit la premiere Ecriture des Hommes qui ne s’exprimoient que par des Images naturelles qui pouvoient estre de l’intelligence de tout l’univers & de tous les Siecles. Il seroit à desirer, pour la gloire des Egyptiens, ces premiers Peuples du monde, ces Fondateurs des Sciences, que leur posterité eust mieux compris leur Ecriture. On n’auroit pas crû qu’ils adoroient des Animaux, puis que les Images qu’ils en consacroient dans leurs Temples, n’estoient que de mistérieuses manieres de representer la Divinité. C‘est de cette premiere source que nous avons encor des Emblêmes, dont Alciat a fait un Recüeil fort curieux. Les Grecs, qui plus que toutes les autres nations du Monde ont aimé les fictions, tourenerent en Contes toute la profonde sagesse de ces premiers Hommes. Il n’y eut plus rien de régulier dans les Enblémes. Ils firent un mélange incroyable de toutes choses. L’ingénieux Ovide en a recüeilly ses Livres des Métamorphoses. On réüssiroit plutost à déchiffrer quelque Grimoire, qu’à comprendre les Mysteres qui y sont peut-estre, ou qui peut-estre n’y sont pas. Je ne sçay si ce Poëte tout spirituel qu’il estoit y avoit entendu quelque chose. Les Enigmes ne sont pas du genre de ces fictions, ny de celuy des Emblêmes. Ce ne sont pas des fictions vagues, incertaines, imaginaires, comme les Fables des Grecs que le sage Plutarque comparoit aux Toiles des Araignées, qui les forment d’elles-mesmes, qui les étendent en l’air, & qui n’ont rien de solide. Mais à propos de cette Comparaison, en voicy une autre du mesme Autheur (il y estoit admirable) qui est fort propre pour les belles Emblêmes. Il veut qu’elles ressemblent à l’Arc-en-Ciel. Ce n’est qu’une apparence charmante des plus belles couleurs ; mais c’est le Soleil mesme qui fait cette apparence. C’est sa lumiere qui forme toutes ces couleurs, comme c’est la verité qui se peint elle-mesme dans l’Emblême & qui en fait toute la beauté. Il faut une troisiéme Comparaison pour l’Enigme. Elle enferme tout l’éclat de la Verité dans un nüage. Il ne m’ennuye pas, Monsieur, de vous écrire, mais je dois craindre qu’il ne vous ennuye de lire une Lettre trop longue ; c’est ce qui m’oblige de n’entrer pas aujourd’huy dans un autre sujet.
Lettre III.
JE vous deviendrois insuportable, Monsieur, si pour traiter exactement des Enigmes, je m’arrestois encor sur le seul Article des Préliminaires. Je vois bien qu’il faut estre plus expéditif. Je crains neantmoins de ne l’estre pas encor aujourd’huy. Car enfin, admirez un peu la bizarrerie de nostre imagination. Nous masquons presque dans nos Discours toutes choses. Nous parlons des Esprits comme s’ils estoient des Corps ; & nous parlons aussi des Corps, comme s’ils estoient des Esprits. Sans mentir, nous sommes de merveilleuses Gens. Nous allons chercher la verité dans tous les Siecles, & dans tous les Climats du monde ; à peine l’a-t-on trouvée, qu’on se fait un plaisir, & mesme une necessité de la voiler. Nous parlions de l’Apologue, de l’Embléme. Mais qui est-ce qui pourroit conter toutes les manieres ou sçavantes, ou spirituelles, ou galantes, dont on se sert pour n’exposer pas communément la beauté de ses pensées aux Profanes ? Voit-on dans les Poëtes, ou la Mer, ou les Fontaines, ou la Guerre, ou la Paix ? C’est Neptune en colere, ce sont des Naïades, c’est Bellone au front d’airain, c’est une Filles du Ciel couronnée d’Oliviers & de Myrthes. Ce n’est pas un grand effort d’Esprit, de ne nommer plus les beautez d’un Discours, qu’un amas de fleurs dont il est parfumé, qu’un coloris merveilleux qui en fait un admirable Tableau. On n’aime pas plutost une belle Personne, qu’on ne l’embellisse encor de lys & de Roses. On ne bannira jamais l’Allégorie, ny la Métaphore de la Poësie, ou du Discours des Hommes. Elles animent trop agreablement les expressions. Au reste ce seroit un scrupule fort extraordinaire de les prendre pour des mensonges. Quoy, ces agreables Portraits de la Verité, ou plutost cette Verité elle-mesme, mais cette Verité qui paroist avec toute sa force & avec tous ses charmes, peut-elle ne se faire pas sentir à tout ce qui est un peu raisonnable ? Cependant je ne songe pas que ma Lettre est déja longue, & que je n’ay point encor parlé de la Devise, cette galante invention née pour la Cour & pour les Tournois. On y voit briller la Verité, qui surprend & qui frape agreablement l’Esprit, dont sans cela j’aurois comparé la lumiere à celle de l’Eclair. Elle n’a pas toute l’étenduë de la Comparaison, mais elle en a toute la beauté. Il n’y a rien de plus achevé que les traits de cette Comparaison qu’on n’acheve pas. Ce sont comme ces goutes d’Essence, qui contiennent toute la force d’un long Discours. Ce ne sont que des semences de pur Esprit, qui produisent leur fruit aussitost qu’elles y sont reçeuës. Mais je voulois d’abord entrer en matiere. Voila pourtant la mesure d’une Lettre déja remplie. Si vous ne m’entendiez bien, Monsieur, il faudroit adjoûter que l’Enigme est un voile plus épais que l’Allégorie, & plus étendu que la Devise. Mais il n’importe pas d’oublier ce détail. Il faut icy pratiquer l’Art de la Devise, & laisser à l’Esprit quelque chose à faire. Cet Esprit se plaist à se conduire par sa lumiere. C’est assez qu’on luy ait découvert le terme où l’on vouloit le mener.
Lettre IV.
ENfin, Monsieur, toutes mes digressions sont finies, & apres avoir erré tantost sur l’Apologue, ou sur l’Embléme, tantost sur l’Allégorie, ou sur les Devises, me voila arrivé à définir l’Enigme. Aujourd’huy que l’on n’aime que ce qui est commode, & que l’on est accoûtumé à des études si délicates, que l’ont se trouve dégoûté de ce qui paroist un peu fort, ce ne sera pas apparemment faire bien valoir mon sujet, que d’avoüer que l’essence, que la nature de l’Enigme est d’estre une question obscure, difficile, & dont le nœud est si caché, qu’on ne peut le délier sans peine. On a eu sans doute plus d’égard que moy à cette humeur paresseuse de nostre Siecle, dans presque toutes les Enigmes qui y ont paru. On les a faites si aisées, si libres, que leur secret ne coustoit rien à trouver. Mais peut-estre seroit-il assez important de faire changer par cette espece de Jeu, l’extréme passion que l’on a pour la commodité, jusqu’à vouloir monter sans peine sur le Parnasse, comme si cette fameuse Montagne n’estoit plus en nos jours qu’une Plaine & une Campagne rase. On ne peut dire combien les Lettres ont esté désolées par cette molle & délicate maniere de traiter toutes choses. Je ne prétens pas continuer longtemps sur ce ton. Il est plus à l’usage des Satyres, qu’au mien. Et d’ailleurs je ne suis pas assez Misantrope, Monsieur, pour ne pas faire de grandes exceptions à ce que je dis. Je ne suis pas aussi tellement entesté des Enigmes, que la lumiere me soit une chose odieuse. Mais l’Esprit n’en joüit jamais avec plus de plaisir, que quand elle luy a cousté quelque peine. Un peu d’application, de travail, le fortifie. Ces sages Grecs se servoient des Enigmes, comme d’un exercice tres-propre à donner à l’Esprit cette impression de force, de liberté, de vigueur, que la Promenade, ou la Danse, ou la Paume, donnent au Corps. Apres le Repas, ils se proposoient de ces Questions embarassantes, & ils accoûtumoient leur Esprit à ne considerer point l’application comme une gesne, ou une torture, mais comme un jeu, un divertissement. Sçavez-vous que ce jeu cousta pourtant la vie au grand Homere ? L’avanture en est bizarre. De misérables Pescheurs qu’il rencontra par hazard, & ausquels il demanda ce qu’ils avoient pris, luy répondirent, Qu’ils avoient laissé ce qu’ils avoient pris, & qu’ils apportoient avec eux ce qu’ils n’avoient pû prendre. Il ne pût démesler cette Enigme. Le sens qu’on luy donna, luy parut si peu digne de luy, qu’il mourut de cette confusion d’avoir esté contraint de l’apprendre de ces chétives Gens. J’en aurois trop moy-mesme de vous dire ce que c’estoit. Quand vous seriez en defaut sur cela, comme Homere, je suis seûr que vous n’en mourriez pas de déplaisir. Nous ne prenons plus un si grand interest à la gloire, que l’explication des Enigmes peut faire acquerir. Vous aurez demain une Lettre sur la maniere de faire de belles Enigmes.
Lettre V.
SI l’on veut avoir une intelligence un peu exacte de quelque Ouvrage d’Esprit, on ne peut guéres y réüssir, que l’on ne consulte Aristote. C‘est une chose fort malhonneste, de ne rien faire de beau, que les Autheurs ne l’empruntent de ce Philosophe, & de se déclarer neantmoins contre la gloire qu’il s’est conservée jusqu’à nos jours. Il parle de l’Enigme dans sa Poëtique. Elle y est avec tous les plus illustres Ouvrages de l’Esprit, la Tragédie, & le Poëme héroïque. C‘est luy-mesme, Monsieur, qui commande, car c’est un des Legislateurs du Parnasse, que l’Enigme soit une Question obscure, que son secret soit presque impénetrable. Je vous l’ay déjà dit. Mais il adjoûte un moyen de former cette obscurité. Car enfin c’est une obscurité d’art & de méthode, comme celle des ombres d’un Tableau, qui servent à faire sortir les Figures, à donner un plus grand éclat au coloris. Il prétend donc qu’il n’y a rien qui cache mieux le sens de l’Enigme, que de l’exprimer par des Images opposées, par un mélange de raports diferents, & par ces Antitheses, qui sont une des plus éclatantes Figures de la Rhétorique. La fameuse Enigme de Thébes, Monsieur, servira de Commentaire à son Texte.
Quel est cet Animal, dont voicy le destin ?Rampant à quatre pieds, on me voit le matin ;À midy j’en ay deux, sur le soir un troisiéme ;La nuit m’enleve tout, & n’ay rien de moy-mesme.Oedipe devina que c’estoit l’Homme. Car il rampe dans son Enfance, qui est le matin de sa vie. Il s’éleve sur ses deux pieds dans son midy, dans un temps plus avancé. Au déclin de sa vie, qui est pour luy bien pres de cette longue nuit qu’est la mort, qui luy enleve tout, il a besoin de soûtenir d’un bâton les démarches de son Corps tout chancelant. Mais Oedipe eust esté plus heureux, s’il eust deviné que la récompense de son Explication luy seroit funeste. Il y a longtemps que les Oedipes, ces habiles Connoisseurs des fortunes d’autruy, sont en possession d’ignorer leur propre destinée. Je ne sçay pas celle de cette Lettre. Elle est fort succincte. Je crains pourtant qu’avec toute sa bréveté, elle ne vous paroisse encor trop longue.
Lettre VI.
VIrgile merite bien, Monsieur, qu’on le consulte aussi sur la maniere de faire une belle Enigme. Il en propose dans ses Eclogues. Tout l’artifice de la plus remarquable consiste dans une Equivoque. Quelle croix ç’a esté pour ses Interpretes que cette Equivoque ! Je ne sçay, Monsieur, si c’est que la Doctrine des Equivoques n’a esté familiere que depuis peu, qu’ils n’ont pas crû que ce Poëte, dont la Morale est fort réguliere, s’en fust permis l’usage ; mais quand nous appludirions à la plus grande severité du monde, il faudroit pourtant avoüer que dans l’Enigme, dont la fin est d’éluder la penetration de l’Esprit, l’Equivoque non seulement est permise, mais qu’elle y est de precepte ; car enfin on ne propose pas des Enigmes pour dire clairement la verité, pour découvrir d’abord sa pensée. On veut qu’elle couste quelque chose à celuy qui écoute. Il se fait mesme un plaisir de la chercher, & c’est un plaisir aussi pour l’Autheur de l’Enigme de voir qu’il l’a cherchée par une méthode fort éloignée, & qu’il a donné des Explications contraires, au lieu de celles qu’il estoit aisé de rencontrer dans l’expression mesme. Il est vray qu’il n’y a point de commerce entre les Langues sur la beauté de cette Figure. Chaque Langue a ses Equivoques qu’elle ne communique guere à une autre ; car le moyen, par exemple, de traduire celle dont il s’agit ? Cœli du Vers de Virgile estoit le Genitif du nom de Cœlius. Il l’est aussi de celuy qui signifie le Ciel. Voila le jeu du Poëte le plus sérieux & le plus sage qui ait jamais esté ; mais un jeu que l’on ne sçauroit joüer également en nostre Langue ; car il n’est pas ordinaire qu’un Homme s’y appelle du Ciel, comme en nomme tous les jours de la Riviere, du Pré, de la Haye. Cependant vous entendez bien, Monsieur, que c’estoit un Divertissement pour Virgile, comme il l’avoüa luy-mesme à un de ses Amis, de voir que cette espace du Ciel, qu’il disoit n’estre que de trois aunes, estoit pris par les uns pour le fond d’un Puits, par les autres pour le dessous d’une Cheminée, d’où l’on n’en découvre pas davantage ; au lieu de le prendre pour l’espace ou Cœlius, ce Prodigue qui avoit mangé tout son bien, estoit réduit dans le Tombeau. Voila l’espace du Ciel dont Virgile parloit ; mais si cette Equivoque ne convient pas à nostre Langue, nous en avons un assez grand nombre d’autres dont on peut se servir pour former des Enigmes de ce genre. Car enfin, Monsieur, il n’est pas une seule Nation sur la Terre où la fécondité des pensées ne soit plus grande que celle des expressions. Ainsi le mesme terme y est tantost pour une autre. La place mesme & la situation qu’il a dans le Discours luy fait acquerir souvent une nouvelle force, ou luy fait perdre la force qui luy est naturelle. Il n’est pas necessaire de vous avertir icy, Monsieur, qu’il n’y a pas dans toute la Rhétorique une figure dont l’intempérance soit sujete à de plus fâcheux inconveniens. Je ne dis pas seulement qu’on doit la bannir de la société civile, avec autant de soin que le Mensonge. Je dis mesme qu’elle n’entre pas aujourd’huy dans la plaisanterie, qu’elle ne la des-honore beaucoup. Elle est abominable en galanterie, & il y a longtemps qu’on ne l’y souffre pas ; mais elle a ses momens heureux où elle a de la beauté, & on la trouvera toûjours avec plaisir dans une Enigme semblable à celle dont je vous ay entretenu.
Lettre VII.
JE sors presentement, Monsieur, du sçavant Festin des sept Sages, c’est à dire de lire un Traité de Plutarque, qui nous a donné un de ses Ouvrages sous ce titre. J’y ay appris une nouvelle maxime de faire des Enigmes sans antitheses & sans équivoques. Tout le secret est de proposer habilement une Question ; mais cette habileté-là est fort diférente de celle que Socrate faisoit paroistre dans ses Interrogations. Ce Philosophe prétendoit que toute la science d’un habile Maistre consistoit, non à donner une lumiere, car il croyoit impossible cette transmigration de lumiere, mais à la découvrir dans celuy qui écoute ; de se servir de celle qu’on y trouve, pour éclairer ce qu’il y a de nuit & de tenebres dans l’Ame. Ce qu’il nommoit quelquefois servir de Sage-Femme aux Esprits, qui ne peuvent produire au dehors leurs propres conceptions, sans quelque secours étranger. Il conduisit de cette sorte l’Esprit mesme de quelqu’un de vulgaire, de lumiere en lumiere, par ses Interrogations qu’il faisoit avec tant de justesse, qu’il n’estoit pas possible de ne pas voir l’objet qu’elles présentoient à l’Esprit, au point de veuë, que personne n’a jamais mieux entendu que luy. Il faut suivre une méthode contraire pour l’Enigme. Il est vray en cette rencontre, comme en beaucoup d’autres, que par diférentes voyes on arrive à la mesme fin. Socrate alloit à la Sagesse par la facilité de la lumiere. Il est bon quelquefois pour montrer le prix de la Sagesse, que la lumiere qui y conduit, couste quelque chose. Il faut donc proposer la Question par l’endroit où l’Ame a coûtume d’estre la plus tenébreuse. Or on a communément un grand fond d’obscurité sur le prix, & l’excellence des choses, quand l’Esprit en fait la comparaison. Ce discernement se fait si mal, que l’on peut luy attribuer cette bizarre varieté des Hommes dans le choix qu’ils font de toutes choses. Il est donc assez rare de sçavoir résoudre précisement une Question où il s’agit de comparer ensemble plusieurs choses, & de satisfaire par la justesse & l’exactitude de la Réponse tous les gousts diférens du monde. Mais je philosophe peut-estre trop. Au moins quelques exemples des Enigmes qui furent proposées à ce Festin de Plutarque, donneront de l’éclaircissement à mes Remarques. Qu’y a-t-il de plus fort, demandoit le sage Thalés ? Chacun répondoit selon quelque veuë particuliere qui se présentoit à son Esprit, sur la Force. Mais ce Philosophe s’élevant jusques à une idée universelle, qui fust celle de tous les Hommes, répondit que c’estoit le Destin, puis qu’enfin il surmonte toutes choses, & qu’il est impossible de le surmonter. C‘est encor luy-mesme qui demanda ce qui estoit le plus commun. Au lieu d’une Réponse, on en trouvoit mille. On ne fut satisfait que de celuy qui répondit que c’estoit l’Esperance, qui est un bien que la Fortune n’enleve pas aux plus malheureux. Mais à propos de tous ces Sages, il me souvient de cette Question, qui a le plus de sagesse au monde ? Elle fut réponduë, sans desobliger tous ces Sages qui estoient de ce Repas, & qui faisoient grosse chere de ces subtilitez. On donna la préference de la Sagesse au Temps, qui est le Pere de tous les Arts, & l’Inventeur de toutes les Sciences. Il y a dans ce traité de Plutarque un tres-grand nombre de ce genre d’Enigmes, qui a esté longtemps l’entretien de ces Anciens Grecs, & de ces sages Egyptiens plus anciens de beaucoup que les Grecs. Apparemment ils s’accoûtumoient par cette méthode à se former des idées universelles, dont la verité ne dépendist ny du goust de leur Siecle, ny de celuy de leur Païs. On sçait aujourd’huy plus que jamais, combien il est important à la Sagesse de délivrer son Esprit des phantômes des opinions singulieres. Vous sçavez l’avanture heureuse de celuy qui adoroit avec tant de devotion une Idole. Elle est dans un Apologue d’Esope. Voyant que tous les honneurs qu’il luy rendoit estoient perdus, de dépit il la jetta de grande force contre terre, & aussitost qu’il l’eut ainsi brisée, il s’enrichit de l’or dont le dedans de l’Idole estoit plein. Il faut renoncer à l’Idole de l’Opinion, la mettre en pieces, la briser, & on trouvera le tresor de la verité, de la Sagesse.
Lettre VIII.
QUelles Lettres, Monsieur, pourroient expliquer toutes les diférentes manieres dont on peut faire les Enigmes ? Je ne prétens pas les dire toutes dans celles que j’ay l’honneur de vous écrire, je prétens mesme vous en avoir assez dit ; mais quoy que l’on donne un rang fort honneste aux Enigmes, & qu’on les voye aujourd’huy dans les Nouvelles d’un Siecle florrissant, je puis néantmoins vous assurer qu’elles estoient dans une estime bien plus haute aux premiers Siecles de l’Univers. Elles entroient au nombre des Affaires où l’Etat estoit interessé. Jocasse la Princesse de Thébes, fut la récompense de celle d’Oedipe. Esope estoit recherché par tous les Princes de son temps, à cause de l’intelligence particuliere qu’il avoit du sens de toutes les Enigmes. Sans mentir c’estoit un Siecle qui nous paroist presque fabuleux, que celuy de ces anciens Roys de Babylone & d’Egypte. Le croirez-vous, Monsieur, sur la bonne foy de Planude qui en a écrit fort sérieusement l’Histoire ? Ces Princes s’envoyoient alors les uns aux autres des Enigmes à répondre, à condition de se payer un tribut selon ce qu’ils répondroient bien ou mal aux questions proposées. Voila toute leur guerre, en laquelle Lycerus Roy de Babylone remportoit toûjours de grands avantages sur Nectanabo Roy d’Egypte ; car apres qu’Esope eut quitté la Cour du Roy de Lydie, par la passion de voyager, qui estoit celle de tous les grands Hommes de ce temps-là, il se fit bien-tost distinguer dans celle de Babylone par la merveilleuse subtilité de son Esprit. Ce fut luy qui démesla dans un Repas avec une heureuse présence d’esprit une Enigme, par laquelle Nectanabo s’estoit flaté de remporter enfin la victoire sur Lycerus. Il y a, disoit-il, un grand Temple qui est appuyé sur une Colomne, & cette Colomne est entourée de douze Villes, chacune de ces Villes a trente Arc-boutans, & il y a deux Femmes, l’une blanche, l’autre noire, qui en mesurent le tour. C’estoit là sans doute une fort mysterieuse peinture & assez peu réguliere. Il y avoit assez de confusion pour embarrasser les yeux & fatiguer l’esprit. Le Temple, dit d’abord le Phrigien, est le Monde ; la Colomne, l’Année ; les Villes en sont les Mois, & les Arcs-boutans les Jours, autour desquels la Lumiere & la Nuit se promenent alternativement. Ce qui irritoit le plus les Egyptiens, est que cet Ingénieur des Chaldéens estoit un personnage d’une étrange figure. C’estoit de l’Enigme d’un Homme. Oserois je hazarder cette expression pour vous dire qu’il en avoit si peu l’apparence, qu’on ne l’auroit pas pris pour un Homme sans estre un peu Devin comme luy ? Ils aimerent pourtant en braves Gens la Sagesse jusques dans un tel ennemy. Nectanabo le combla de Presens. Il n’y eut pas jusques à Rhodopé, celle qui des liberalitez de ses Amans fit élever une des trois Pyramides qui subsistent encor, qui ne témoignât de l’estime pour les subtilitez d’Esope, le traitant tel qu’il estoit d’une maniere fort diférente de celle dont l’éloquent Demosthene fut depuis reçeu à Corynthe ; lors que voyant que dans cette rencontre il ne pouvoit pas persuader, il ne voulut pas acheter un repentir ; mais la passion de voir & d’apprendre le fit renoncer à toute la gloire qu’il avoit acquise à la Cour de ces Princes, & aux faveurs de la belle Rodopé. Je n’ose mesler icy la triste avanture de ce Voyageur. Il fut pendu comme un Voleur à Delphes, aux yeux d’Apollon. Quel desordre ? Les Delphiens furent condamnez de rendre de grands honneurs à la Memoire de ce sage Suplicié. Mais, Monsieur, tout cela n’est pas de mon sujet, & ne doit point entrer dans mes Lettres.
Tout ce que vous venez de lire est si juste, le stile en est si aisé, & il y a tant à profiter des sçavantes Remarques qu’on y trouve, que je ne doute point qu’elles ne vous fissent aimer les Enigmes, quand vous ne vous en seriez pas fait jusqu’icy un amusement d’esprit agreable.
Pour l’Autheur du Mercure Galant §
Tout ce que vous venez de lire est si juste, le stile en est si aisé, & il y a tant à profiter des sçavantes Remarques qu’on y trouve, que je ne doute point qu’elles ne vous fissent aimer les Enigmes, quand vous ne vous en seriez pas fait jusqu’icy un amusement d’esprit agreable. Elles sont de quelque utilité pour le rendre plus vif & plus prompt, & la Lettre qui suit vous fera voir qu’on s’en est quelquefois servy pour le disposer à des Connoissances plus relevées. Comme elle m’a esté adressée sans Nom, je ne puis que vous donner le plaisir de sa lecture.
Pour
l’Autheur
du
Mercure Galant
ON vous écrivoit il y a quelque temps, Monsieur, que je prenois plaisir aux Enigmes, & que j’en trouvois l’Explication sans peine. On cherchoit mesme à faire valoir ce talent en moy, en vous apprenant mon âge ; mais il faut que je vous oste la surprise que vous aurez pû avoir d’une chose qui paroist assez rare en une Fille de seize ans, & qui devient aisée à croire par les soins qu’on a eus de moy dés mon enfance. On a tâché de me donner toutes les lumieres qui peuvent élever l’Esprit & le rendre plus agreable ou plus penetrant, & je n’avois pas dix ans, que mon Pere m’exerçoit non seulement à expliquer des Enigmes, mais encor à démesler en tous lieux la Verité des apparences qui la cachent, & il eust voulu faire de moy, s’il eust pû, quelque chose qui tinst des Magiciens & des Prophetes. Le succés d’une si excellente nourriture n’a pas répondu à ses souhaits. Je le perdis que je n’avois pas encor treize ans, & c’estoit alors qu’il alloit achever de me découvrir les secrets d’une Philosophie simple & naturelle qui s’accommode de tout ce qui fait trouver la vie plus douce, é qui rebute tout ce qui n’est pas accompagné d’agrément ou d’esprit. Lors qu’il me donnoit quelques Enigmes à deviner, je me souviens que c’estoit toûjours en me disant qu’il y avoit de meilleures choses à faire, mais que cela pourroit m’accoûtumer à mieux observer tout ce qui s’offre à nos yeux, & que si l’étude de ce qui est difficile & où il faut assembler plusieurs choses à la fois pour penetrer ce que c’est, donne de la force & de l’étenduë à l’Esprit, il aimoit bien mieux que je m’exerçasse de cette sorte sur des choses réelles, que sur les chimériques comme tant de Gens faisoient. On ne voit guere d’Enfans si bien élevez, & c’est si peu la mode de leur donner cette sorte d’éducation, que mon Pere se cachoit aux autres des plus rares Leçons que j’en recevois. Ce n’est pas que je n’aye quelque reputation de sçavoir un peu plus que les plus spirituelles de nostre voisinage. Il m’échappe mesme assez souvent des choses qui me feroient passer pour Sçavante, si l’on ne me trouvoit d’ailleurs assez bien faite ; car la pluspart des Gens sont si dupes, qu’on ne se rend guere suspecte de science quand on a un peu d’adresse, qu’on est habillée comme les autres, qu’on sçait égayer la Compagnie, & qu’avec une belle taille on a le teint, les yeux & la bouche d’une jolie Personne. Peu s’en faut que je ne vous aye fait mon Portrait mais il n’est pas question de cela, & je ne voulois guere vous parler que de vostre derniere Enigme. Il me semble qu’elle ne convient pas mals à un Parterre. On croit que je n’ay pas si bien deviné cette fois qu’à l’ordinaire, & nous le sçaurons bien-tost. Nous songeons cependant, Monsieur, à vous proposer dans quelque temps des façons de parler douteuses. Vous pourrez seul décider nos difficultez si vous voulez ; mais si vostre modestie vous en empesche, vous n’estes qu’à deux pas de l’Académie Françoise. Je vous parle aussi en cet endroit de la part d’une Dame qui vous écrivit il y a plus d’un mois ; & comme elle a lû fort curieusement les plus belles choses de nostre Langue, & qu’elle la sçait fort bien, les plus polis pourront profiter des Décisions que vous donnerez. Nous nous réjoüissons, Monsieur, de tant de Chef-d’œuvres que vous nous faites esperer des plus beaux Esprits & des meilleurs Ouvriers, & nous croyons que ce grand Prince qui gouverne & qui commande si bien, & qui ne pense qu’à rendre son Siecle heureux & illustre, voit avec plaisir que vous répandiez de tous costez le merite & les lumieres de ceux qui luy obeïssent. Son Regne déja si glorieux de ce qu’il a fait luy-mesme, ne recevra pas peu d’éclat des Inventions de tant de grands Hommes ; & de leur costé les beaux Arts, & les belles Connoissances, n’ont jamais esté en si grand honneur que de nos jours, car outre l’affection & la retraite mesme en son Palais dont Loüis le Grand les honore, un jeune Héros qui se forme sur le plus haut modele du Monde, aimant ce que vous donnez tous les mois, va laisser sur le Mercure & sur les Ouvrages de ceux qui l’embellissent avec vous, un bonheur & une gloire qui ne leur pouvoit venir d’ailleurs, & qui ne finira jamais.
Il me semble, Madame, que la Beauté ne devroit point estre le partage d’une Fille qui a autant d’esprit que vous en voyez dans cette Lettre. Ce sont de trop grands avantages dans une mesme Personne.
À Monsieur le President de Boissieu §
Lisez cependant ce que vous allez trouver écrit sous le nom de l’Hermite de S. Giraud. La Lettre m’a esté envoyée avec un Billet particulier qui m’apprend que ce spirituel Solitaire s’appelle Mr Allard ; qu’il est President en l’Election de Grenoble, & Autheur de quelques Ouvrages Genealogiques. C‘est à Mr le President de Boissieu qu’il adresse l’Explication de l’Enigme que je vous ay envoyée avec les Nouvelles du Mois de Decembre. Il tourne d’une maniere si ingénieuse les veritez qu’il publie de ce grand Homme que j’affoiblirois l’Eloge qu’il en fait, si j’entreprenois d’y rien adjoûter.
À Monsieur
le Président
de Boissieu.
MONSIEUR,
Vous m’avez témoigné de tant de satisfaction de ce que le sens de l’Enigme du 9. Tome du Mercure Galant n’avoit pas tout à fait échapé à ma connoissance, que je ne puis m’empescher de vous écrire les sentimens que j’ay sur celle du dixiéme Tome.
Il me semble que ce ne doit estre le premier Jour de l’Année, que les Avares & les Ingrats redoutent, que les honnestes Gens, les Amans & les Personnes bienfaisantes attendent avec impatience pour donner des marques de leur generosité, & qui est reçeu avec joye de bien des Gens, à cause des Etrennes qu’on leur donne. Le Regne de ce jour là est toûjours d’éclat, mais il dure peu. Le jour qui suit, qui veritablement est son Cadet, en avance la fin. Il meurt pour renaistre, l’Année qu’il demeure à revenir se peut appeller un long temps. Ses Heures sont bornées par celles du Jour, & il est aussi vieux que le Monde.
Voila, Monsieur, toute l’Explication que j’ay pû donner à cette Enigme. Peut-estre la trouverez-vous assez juste pour meriter vostre approbation. Je ne sçay si l’Autheur du Mercure Galant voudroit bien l’avoüer. Ces sortes de Jeux donnent bien de l’occupation par tout où ses Ouvrages sont veus, & il seroit à souhaiter qu’il nous fist part de toutes les Lettres qu’on luy écrit sur ses Enigmes ; ce ne seroit peut-estre pas le moindre ornement de son Livre. En tout cas il nous apprendroit par là que chaque Province a ses Sçavans & ses beaux Esprits. Pour vous, Monsieur, que toute l’Europe connoist, vous n’avez pas besoin de l’avantage qu’il procure aux autres. Vostre illustre naissance, vostre merite & vostre profond sçavoir qui vous ont attiré l’admiration de tout le monde, vous ont acquis tant de reputation, que celle que vous pourriez tirer de quelque endroit du Mercure Galant n’en seroit pas plus grande. Je souhaiterois neantmoins que l’Autheur qui sçait loüer si à propos, & qui n’a pas oublié Messieurs de Montauban, de Montanegre & de la Cordinniere, trois de nos Illustres Dauphinois, voulust parler de vous avec les Eloges que vous merite ; Qu’il voulust dire que l’origine que vous tirez des anciens Comtes d’Alinges, & cette suite d’Illustres Ayeux que vous comptez dans vostre Race, la font l’une des plus considérables du Royaume ; Que tant de rares & excellens Ouvrages que vous avez donnez au Public, rendent vostre memoire immortelle ; Que ce fameux Génie qui vous a fait paroistre avec éclat dans Rome lors de l’Ambassade de feu Monsieur le Duc de Créquy, & avec tant d’honneur dans la premiere Place d’un Corps Souverain, vous a acquis une estime generale ; Que vous estes connu du Roy & des Ministres, & qu’il ne tient qu’à vous de paroistre dans la Pourpre à la teste d’un des plus Augustes Parlemens de France. J’ay dit tout cela dans quelques-uns de mes Ouvrages ; mais la plume d’un Solitaire & d’un Homme peu connu comme moy, n’est point assez forte pour aller aussi loin que va le Mercure, & celuy qui le compose donnant l’Immortalité à ceux qui la meritent, je suis persuadé que vous serez bien-tost l’objet d’un de ses Eloges.
L’Hermite de S. Giraud.
[Air de M. Fleury]* §
Un peu d’interruption, Madame. Vous continuërez à lire plus volontiers quand vous vous serez divertie à chanter un Air qui a esté fait sur le Printemps. Il est de saison, & vous n’en trouverez point qui ne le soient dans les Lettres extraordinaires que vous recevrez de moy. Vous ne sçavez peut-estre pas que tous les Maistres de Musique commencent toûjours chaque Saison de l’Année par des Chansons qui y conviennent, & qu’ils ne donnent que dans ce temps-là. Ainsi vous en aurez un sur l’Esté dans l’Extraordinaire de Juillet, comme vous en avez aujourd’huy sur le Printemps. Ce premier Air de la composition de M. Fleury, non pas de celuy qui jouë si bien du Theorbe, mais de celuy qui se fait admirer par la maniere dont il touche le Clavessin. C‘est l’unique Ecolier qui montre de tous ceux qu’a eus feu Monsieur Hardel, qui est mort depuis quelques jours. La perte d’un si grand Maistre ne pouvoit estre mieux reparée que par un si habile Ecolier. Voicy les Paroles sur lesquelles il a fait ce que vous verrez noté en suite.
Ah, le beau temps,Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Ah le beau temps, doit regarder la page 61.Bergere !Ah, le beau temps !Allons sur la fougereNous donner de l’Amour les plaisirs innocens.Ah, le beau temps,Bergere !Pour les Bergers contents !
Lettre I §
Je reviens aux Lettres. Il y en a beaucoup dont je retranche des choses fort spirituellement tournées, mais elles me flatent trop pour me laisser en pouvoir de vous les envoyer entieres. Je rougis mesme de ce que j’y laisse de trop avantageux pour moy, & je l’aurois suprimé comme le reste, s’il ne faisoit connoistre qu’on peut tirer quelque utilité du soin que je prens de recüeillir tout ce qui est digne d’estre sçeu. J’ay reçeu ces Lettres de toutes les Provinces du Royaume, sans que je sçache par qui la pluspart m’ont esté écrites. Il y en a mesme une Italienne. Vous ne serez pas fâchée d’apprendre qu’on sçait jusqu’à Rome le commerce que vous m’avez permis avec vous. Si la mesme matiere est traitée dans quelques-unes, au moins le tour en est diférent. J’y ai meslé quelques Explications en Vers des Enigmes que je vous ay proposées. Ceux qui ont crû voir trois Femmes dans la Figure qui représente l’Ecran, doivent avoir pris Mars pour Minerve. Vous vous en souviendrez, s’il vous plaist, afin de n’y estre point embarrassée.
Lettre I.
IL me semble, Monsieur, que pour peu qu’on en sçache plus que les autres, c’est assez la mode de vous écrire, & je croy qu’on se trouve bien de vous donner à connoistre ce qu’on sçait faire en Vers & en Prose. De trois Personnes que nous sommes qui voulons vous faire quelquefois penser à nous, j’ay laissé passer devant moy les plus éloquentes, & peu de Gens parmy nos Voisins pourroient disputer de Bel-Esprit avec celle dont vous reçeutes la premiere Lettre, & peut-estre encor moins avec l’autre qui vous a écrit depuis, & qui ne se mesle pas moins de déveloper les choses les plus obscures, que de gagner & d’enchanter tous ceux qui l’approchent. Nous luy avions pourtant bien prédit qu’elle n’avoit pas réüssy dans l’Enigme de Decembre comme dans les autres. Elle s’en défioit elle-mesme, & commençoit à croire que le mot de cette Enigme estoit la Mode ; mais elle n’eut pas le moindre soupçon que ce fust le premier Jour de l’Année. Si elle estoit présomptueuse de ses Connoissances, nous l’eussions fort assurée que puis qu’elle se trompoit en une chose qui n’estoit pas si difficile, nous devions estre moins crédules pour les Prédictions qu’elle fait quelquefois, & que si elle expliquoit mal les Enigmes, elle pouroit bien plutost faire de fausses Centuries. Cela veut dire que parmy nous à qui elle se communique tout-à-fait, nous ne faisons pas moins de cas de ses Propheties, que vous faites à Paris de l’Almanach de Milan. Si-tost qu’elle eut veu le Mot de l’Enigme, elle dit de son air ordinaire ; Voila un grand affront & j’en devrois mourir comme celuy qui se noya pour n’avoir pû comprendre un Secret de la Nature ; & en mesme temps pour se conbler, elle chercha l’Enigme du Mois dernier. Elle la leut deux ou trois fois, & nous assura que c’estoit L’Académie Françoise. Je la voulus aussi lire, & je fus convaincuë qu’elle en avoit trouvé le vray sens. C‘est avoir bien viste réparé son malheur à l’égard de l’autre Enigme. Cette petite disgrace n’empescha pas que le talent qu’elle a d’éclaircir les choses les plus embarassées, ne reçeust force loüanges d’un excellent Homme qui prend quelque soin d’elle, & qui vous sera d’usage à quelque heure pour orner le Mercure Galant de mille choses curieuses qu’il a remarquées dans ses Voyages depuis quarante ans, & que les autres Voyageurs ont negligées. Jugez, Monsieur, si une Histoire naïve des plus belles Femmes du monde, & si des Entretiens de leur Esprit, de leurs Divertissemens, & du tour qu’elles donnent aux choses qui viennent d’elles, avec une peinture fidelle & charmante du procedé des plus galans Hommes de l’Europe & de l’Asie, & mesme de quelques-uns de l’Affrique, & des bonnes & mauvaises Coustumes de ces Païs-là, ne tiendroient pas agreablement leur place parmy ce que vous pouvez donner de plus curieux au monde. La Musique de la Chine, dit-il quelquefois, est plus excellente que la nostre. Ils ont de meilleurs Comediens que nous. Nos Medecins n’y seroient pas soufferts, & il y a bien d’autres choses où ils excellent sur nos plus grands Maistres ; mais pour ce qui est de la vie, de la bienseance, & de ce qu’il y a de plus élevé dans la Nature, quoy que j’aye veu là, & parmy les autres Nations, des Personnes d’ailleurs assez fines & d’autres fort sages, & qu’on en trouve presque par tout qui font plusieurs choses de fort bonne grace, ce ne sont pourtant d’ordinaire que des Gens de Païs & d’habitude qui ne connoissent pas bien eux-mesmes ce qu’ils ont de meilleur ; & à a Chine ny ailleurs je n’ay veu personne à qui cette jeune Fille ne pust faire des Leçons. Il montre en mesme temps une de celles qui vous ont écrit. Elle vous envoyera dans quelques mois des Remarques qu’elle fait sur les plus belles Poësies du Mercure. Leurs Autheurs en devront estre les plus contens, car elle découvre quelquefois dans leurs Ouvrages des beautez qu’Ils n’y ont pas toûjours observées eux-mesmes, & si elle fait quelque Censure, ils en recevront de l’honneur. Ils verront qu’on ne s’y prend guere d’une façon si galante, & qu’elle laisse toûjours quelque nouvelle grace sur tout ce qu’elle touche. J’ay remarqué qu’elle disoit peu de choses d’ordinaire des Livres & des Personnes si elle n’en avoit beaucoup d’endroits à loüer. Tout ce qui vient d’elle est également bien reçeu, le blâme & les loüanges, tant elle sçait bien préparer tout ; & si l’on se plaint quelquefois d’elle, c’est pour son silence, parce qu’on craint que ce ne soit une marque que les choses n’aillent pas si bien qu’elle eust souhaité. Nous vous envoyons nos Lettres sans les signer, & sans qu’elles soient datées du lieu d’où nous vous écrivons. Nous continuërons d’en user de la mesme sorte, si vous ne le desirez autrement. Il n’importe guere de sçavoir si nous sommes des environs de Xaintes, de Nantes, ou de Blois, & si la Riviere qui embellit nos Prairies, nos Bois & nos Cabanes, & qui en rend le séjour si doux & si agreable, s’appelle la Charante ou la Loire. Quant à moy je n’en sçay pas encor assez pour meriter de voir mon Nom dans un Livre comme le Mercure.
Lettre II §
Lettre II.
À Thoüars.
JE n’ay encor leu que quatre Tomes de vostre Mercure Galant. Ce sont les quatre derniers, mais c’est assez, Monsieur, pour pouvoir juger favorablement des autres. On ne pouroit pas trouver un plus seur moyen pour avoir, comme vous avez, des correspondances dans toutes les Provinces, s’il falloit estre aussi ingénieux que vous l’estes, pour instruire les Provinciaux sans sortir de leurs Cabanes, & leur rendre Paris commun sans les obliger d’y aller faire de la dépense. Apres cela vous ne vous attendez pas, Monsieur, que les Dames de cette Ville ont dessein de vous quereller par ma plume. Cependant il n’y a rien de plus vray, & il m’a esté impossible de n’en pas accepter la commission. Ces Dames se plaignent de ce que vous avez parlé presque de tous les environs de cette Ville, sans avoir pensé à elles. Vous ne sçavez peut-estre pas, Monsieur, que Thoüars est une ancienne Ville, arrosée par une Riviere qui s’appelle Thoüe, dont elle tire son nom, & qu’elle est embellie par un magnifique Chasteau que le Seigneur de la Trimoüille y ont fait bastir. Mais pour vous faire concevoir une plus forte idée de cette Ville vous sçaurez qu’on y a envoyé sept Compagnies du Regiment d’Anjou en Quartier d’Hyver. Voyez s’il ne faut pas que la Ville soit bonne. Vous comprenez bien, Monsieur, que nos Dames ont quelque raison de se plaindre de vous, & qu’à l’imitation de celles de Saumur leurs Voisines, elles ont fort bien fait de m’établir leur Secretaire, pour vous dire que quoy que le nom de Thoüars veüille dire Forteresse de Thoüe, cependant ce n’est pas une Ville si forte que l’Amour n’y puisse entrer. En efet, Monsieur, je vous assure qu’on n’y avoit jamais tant parlé de Guerre que depuis qu’on y a mis en Garnison les Troupes dont je vous viens de parler. L’Amour é les Jeux avoient jusques-là fait toute l’occupation des Compagnies, & donné lieu à de petites Intrigues dont on vous feroit part, s’il se trouvoit icy quelqu’un qui écrivist assez bien pour cela. Il ne me reste plus qu’à vous dire, Monsieur, que nous avons icy des Dames qui ont extrémement de l’esprit, & le goust tres-bon. La meilleure marque que je puisse vous en donner, c’est qu’elles en prennent à la lecture de vostre Mercure Galant, jusque-là qu’il y en a eu qui ont condamné la trop grande vertu de la Comtesse du Mois de Janvier, & qui luy auroient conseillé la vangeance. Elles se sont mises en peine pour deviner vos Enigmes ; mais en verité, Monsieur, elles ne veulent point passer pour Sorcieres. Il n’y en a qu’une d’elles qui s’est mis dans l’esprit de trouver celle des quatre Vers, qui commence par Jamais par moy lieux bas ne furent habitez, & elle veut que ce soit une Etoille. Voila, Monsieur, un peu plus que m’acquiter de ma Commission. Je souhaite que nos Dames donnent bientost lieu à quelque Histoire veritable, afin de vous en faire part, & vous assurer encor une fois que quoy qu’Inconnu, je suis, &c. B.
Lettre III §
Lettre III.
À Ham.
PArce que je présume, Monsieur, que des trois Explications que je donne aux trois Enigmes de vostre Mercure de Frevrier, il s’en poura trouver une bonne, il ne m’est pas possible de ne vous les pas envoyer. Les voicy donc. Il me semble assez juste de dire de la premiere en Vers, que c’est le Baston de Mareschal de France. Ce que la seconde nous marque paroît convenir au Papier, ou à la Lettre missive ; & je crois avoir trouvé le sens de Pandore & d’Epimethée, quand je dis que ce n’est autre chose que le Depart du Roy, & l’Ouverture de la Campagne ; ce qui à mon sens est tout-à-fait exprimé par l’ouverture de la Boëste & la sortie de toutes sortes de maux, qui figurent ceux dont nous voyons aujourd’huy la Flandre accablée. Quoy qu’il en soit, Monsieur, je suis vostre, &c.
De Croix, Procureur
du Roy, de Ham.
Lettre IV §
Lettre IV.
À Paris.
ENfin, Monsieur, j’ay obtenu d’une belle Personne de mon Quartier la permission de vous envoyer un Quatrain de sa façon. Je l’avois priée de souffrir que je vous la nommasse, mais elle ne me l’a voulu accorder qu’à condition que je ne vous la ferois connoistre que sous le nom de la Belle Dégrail. Au reste c’est une Demoiselle d’une naissance illustre, & dont la Famille a donné depuis peu des Chefs au Corps de la Justice. Elle est jeune, bien-faite, & on peut dire que la beauté de l’Esprit ne cede point en elle à celle du Corps. Le jour mesme que le dernier Mercure parut, elle commença de l’ouvrir dans une Compagnie qui se trouva chez elle, & leut l’Enigme de la page 332. Chacun s’empressa d’en deviner le Mot. Moy mesme je fis comme les autres, & ne réüssis pas mieux ; mais la Belle Dégrail riant de la peine qu’elle me voyoit prendre, me dit tout d’un coup, & avec un certain air qui enleve ceux qui la regardent.
À quoy bon si longtemps chercher qui vous l’enseigne,Ce Mot qui porte tout, & ne refuse rien ?Vous l’avez entendu, si vous m’écoutez bien,Ce Mot si propre à tout, Tircis, c’estu ne Enseigne.Ce fut alors que pour vous témoigner le ressentiment de toute nostre Compagnie qui prend un plaisir singulier à la lecture du Mercure, je proposay de contribuer desormais à le grossir, comme nous avons contribué jusqu’à cette heure à son debit, & de commencer par ce Quatrain que je ne vous envoye. Ma proposition ne fut combatuë que par la Belle Dégrail, qui se rendit neantmoins, mais sous les conditions que je vous ay marquées. Elle m’a pourtant permis encor de vous dire qu’elle entretient quelque connoissance & quelque habitude avec des Personnes de Crespy en Valois, d’où elle voit que vous recevrez des Mémoires. Apres cela je vous laisse, en vous priant de souffrir que je me dise vostre, &c.
De Beauregard.
Lettre V. Sur les deux Enigmes du Tome de Janvier §
Lettre V.
Sur les deux Enigmes du Tome de Janvier.
À Périgueux.
JE ne prens pas ainsi les Enigmes d’emblée,Et ce n’est pas à moy d’en pénetrer le sens ;Consultez pour cela la Royale Assemblée,Qui seule des Sçavans merite tout l’encens.Pour l’Enigme qui suit, elle est trop relevée,Et je suis trop petit pour y pouvoir toucher ;Mais j’espere d’en approcher,Et pour y réüssir du fond de ma Valée,Je m’élève aussi haut que le Coq d’un Clocher.Ayant esté assez heureux, Monsieur, pour deviner la plûpart de vos Enigmes précedens, j’ay crû que je pouvois vous envoyer l’Explication de celles-cy, & je l’aurois fait plutost, si je n’avois pas reçeu si tard vostre Mercure de Janvier. J’attens celuy de Fevrier pour sçavoir si cette Explication est juste, & suis, Monsieur, tout à vous.
I. Conseiller au Présidial
de Périgueux.
Lettre VI §
Lettre VI.
À Moulins.
VOstre Mercure vivra toûjours, Monsieur ; Vous vous estes tres-bien acquité de ce qu’on attendoit de vous & de luy au commencement de cette Année. Vous avez donné au Public des Estrennes fort agreables. Il n’est point d’Amant qui ne se soit fait un plaisir de le recevoir pour en faire un autre à sa Maistresse en le luy présentant. C’est le plus joly travail qu’il pouvoit luy offrir. Une chose pourtant m’y déplaist, aussi-bien que dans tous les autres. C’est que vous nommez tous ceux qui ont eu des avantures guerrieres, & vous estre fort reservé sur les amoureuses. Tout ce que vous dites de galant est par Enigmes. Tout de bon, Monsieur, cela n’est pas bien, & il seroit juste que la Balance fust égale entre Mars & l’Amour. Si vous osez dire, Monsieur un tel a vaincu tel Ennemy, pourquoy ne dites-vous pas avec la mesme liberté, Monsieur un tel a eu une galanterie avec Mademoiselle une telle ? Je trouverois cela fort raisonnable. Je crains que vous ne le trouviez pas de mesme, & je doute si ma remontrance aura effet. Je vous imiteray donc Monsieur ; & puis que vous ne voulez pas qu’on sçache les Noms de ceux dont vous publiez les galanteries, vous ne sçaurez pas non plus le mien. Celuy que je prens à la fin de cette Lettre m’estant commun avec tous les honnestes Gens qui lisent le Mercure, vous ne m’y reconnoistrez pas sans doute, & vous aurez de la peine à me distinguer dans le nombre de ceux qui se disent vos tres, &c. Il n’y a pourtant personne qui soit plus vostre Serviteur que moy.
Lettre VII §
Lettre VII.
LE Sonnet que vous trouverez dans cette Lettre a esté envoyé du fond de l’Allemagne depuis huit ou dix jours. Vous voyez par là, Monsieur, quelque chose qu’on dise, qu’il y encor de bons François en ce Païs-là, & que nous n’y sommes pas si décreditez, qu’il ne s’y rencontre toûjours quelqu’un qui veüille bien prendre nostre party. Ces Vers viennent de la Cour d’un Grand Prince qui est demeuré neutre depuis le commencement de la Guerre, & qui ayant beaucoup de discernement, aime avec passion les Gens d’esprit. Ils ont esté faits par un Gentilhomme qui n’est pas un des moindres ornemens de sa Cour, & valent bien la peine d’estre publiez. On a crû ne pouvoir mieux s’adresser pour cela qu’à l’Autheur du Mercure Galant. Ses Ouvrages sont veus par toute l’Europe, & on est persuadé qu’il n’y a point de meilleur moyen pour mettre une Piece en crédit, que de le prier de luy ménager une place dans les Mémoires qu’il donne tous les Mois au Public. Je suis, Monsieur, quoy que je n’aye pas l’honneur d’estre connu de vous, avec tous les sentimens d’estime imaginables, vostre, &c.
De Saveuse.
Sur le Projet de Paix.
Sonnet.
LE Ciel prend le party d’un Monarque invincible,À la confusion de tous ses Ennemis ;Leurs desseins confondus, & leurs cœurs plus soûmis,Les rendent aujourd’huy d’une humeur plus paisible.Contre luy trop longtemps ils ont fait leur possible ;Mais sans faire pourtant ce qu’ils s’estoient promis,Ils gagneront bien plus d’estre de ses Amis,Et d’éviter les maux d’une Guerre nuisible.LOUIS dont les bontez ne peuvent s’épuiser,Leur en offre un moyen qui va l’éterniserAutant qu’ont déja fait son Bras & son Courage.Il consent au repos quand ils n’en peuvent plus.Que pourroient-ils de luy souhaiter davantage,Qu’une Trève, ou la Paix, apres estre vaincus ?
Lettre VIII §
Lettre VIII.
De Provence à Tarascon.
JE croy, Monsieur, que vous avez résolu avec vos Enigmes, de nous faire tourner la cervelle à nous autres pauvres faineants & petits Esprits de Province. Il n’en est pas un parmy nous, petit ny grand, qui ne se rompe la teste à les deviner, & c’est un plaisir de voir dans nos petites Societez des Personnes de l’un & de l’autre Sexe se debatre tous les jours à qui leur donnera un meilleur sens. En verité, Monsieur, vous perdez le plus agreable fruit de vostre travail, de n’estre pas témoin des plaisantes & crotesques choses qui se disent de temps en temps à cette occasion, & des combats que nous faisons entre nous à tout propos pour soûtenir chacun nostre sentiment. Mais enfin comme il n’est point de si chétif coin de Province où parmy tant d’Esprit rebours il ne s’échape par hazard quelque honneste Homme & d’un peu d’esprit, je croy vous devoir dire à la gloire de nostre petite Troupe, qu’à l’égard de vostre premier Enigme plusieurs de nos Messieurs tomberent d’accord que rien n’y convenoit mieux que l’Armée des Conféderez ; que les Orgues, la Riviere glacée, & le Nuage, ont esté dits icy comme ailleurs, & que pour cette derniere vous devez attribuer l’honneur de l’avoir trouvée, à un Gentilhomme de cette Ville, qui a tres-bien imaginé le Carnaval. Ce sens me paroist fort juste, & je le croy celuy de l’Autheur.
L’Inconnu Indien.
Lettre IX §
Lettre IX.
IL y a de tres-honnestes Gens dans la Province de Languedoc, qui font toutes leurs délices de la lecture de vos Livres, & qui ne cherchent des Nouvelles de Guerre & de Ruelle dans le Mercure Galant. Aussi, Monsieur, rencontre-t-on dans vos Ecrits dequoy se satisfaire de quelque humeur qu’on se trouve. Ceux qui ont le goust fin, quoy qu’ils soient Gens à prendre le temps comme il vient, se plaignent neantmoins à present de sa lenteur, & trouvent que les premiers jours de chaque Mois tardant trop à venir, diférent trop le plaisir qu’il se proposent des nouveaux Tomes que vous promettez. Je crains que leur impatience & leurs vœux ne hastent la chose du monde la plus réguliere, & que vous n’ayez déja fait imprimer dans vostre neuviéme Volume l’Explication de l’Enigme que vous avez donnée dans le huitiéme. À tout hazard j’ay résolu de vous envoyer ma conjecture.
Je suis Dave, & non pas Oedipe,J’abandonne au hazard mon Explication.Quelqu’autre la prendroit pour une bonne Nipe ;Pour moy, je ne veux pas estre sa Caution.Vous verrez bien, Monsieur, que j’ay raison de m’en défier, car je n’ay pû trouver aucun autre sujet de cet Enigme que la derniere lettre du Nom que prend pour cette heure vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur,
L’Inconnu.
Lettre X §
Lettre X.
ON ne peut, Monsieur, vous sçavoir trop de gré des soins que vous prenez pour rendre utiles & agreables au Public les belles Relations que vous luy donnez tous les Mois, & je croy que ce seroit en diminuer le prix, que d’entreprendre de l’exprimer. Il n’y a, selon mon sens, que le grand succés du Mercure qui puisse bien parler à l’avantage de son Autheur. Quelques-uns icy trouvent à redire que vous parliez si avantageusement de tout le monde ; mais je ne suis pas l’avis de ces Gens que la Satire a gastez. Outre que je vois que vous ne donnez d’ordinaire les grands aplaudissemens qu’aux Sujets qui en sont dignes, il ne me paroit pas qu’un Historien en doive user autrement, quand il raconte des évenemens si nouveaux, & je soûtiens que cette maniere de parler obligeamment dans vostre Histoire, de tous ceux que vous y nommez, est profitable plutost que desavantageuse. La raison en est évidente. Ceux dont vous dites du bien, & qui le méritent en effet, trouvent dans la justice que vous leur rendez, un second motif aux belles Actions où leur propre inclination les porte ; & ceux que vous traitez favorablement, s’ils ne voyent pas la veritable peinture de ce qu’ils ont fait, au moind voyent-ils dans ce Portrait un peu flaté la belle Image de ce qu’ils ont dû faire ; d’où ils doivent conclure, que si quelques Actions médiocres ont esté reçeuës de si bonne grace, les grandes sont regardées avec une parfaite admiration. Les Critiques ont bau condamner ce genre d’écrire, je suis seur que l’évenement fera voir, à la ocnfusion de ceux qui le desaprouvent que ce style obligeant qui engage, & qui plaist à ceux qui se trouvent marquez dans cette Histoire, est capable de faire plus de fruit dans le monde que les Censures bilieuses & les virulentes Satires des autres qui irritent ceux qu’elles representent, & ne les corrigent presque jamais.
Comme je suis dans un Païs reculé où le Mercure vient tard, & où mesme avant les précautions que vous avez prises dans ce dernier, il venoit souvent contrefait, je ne pûs lire le précedent que le 22. Janvier, & encor dans une Edition fausse, où l’on avoit obmis l’Avertissement que vous donnez à ceux qui cherchent à vous écrire. C‘est ce qui est cause que je ne l’ay pas fait plutost.
Au reste, Monsieur, vous avez tellement rendu à la mode le Genre Enigmatique, qu’on s’en sert à tout. Si un Galant veut faire une déclaration à une Belle, il ne sçauroit s’empescher d’employer ce style dans son Madrigal ; & s’il la veut consoler de quelque perte, la violence de sa passion ne l4engage pas plus fortement à luy dire quelques mots de sa peine en la consolant, que la Mode le pousse à luy en parler en Enigme. Les deux Pieces qui suivent font la preuve de ce que j’avance. Je voudrois vous pouvoir faire connoistre aussi lentement l’estime que je fais de vous, & avec quel zele je suis vostre tres-humble Serviteur,
D. L. G.
À Iris.
IRis, depusi deux mois il est né dans mon seinCertain petit Poupon le plus joly du monde.Il doit vivre longtemps, car il paroist fort sain ;Il est gras, potelé, sa tresse sera blonde.Vous l’aimeriez, tant il est beau.D’une main il tient un Flambeau,De l’autre un Arc de bonne grace.Sur l’épaule il porte un Carquois ;Quand nous luttons, il me terrasse,N’est-ce pas estre fort pour n’avoir que deux mois ?Outre sa force redoutableQui fait craindre en croissant qu’il devienne indomptable,Chacun déja juge à le voir,Que sa ruse dans peu passera son pouvoir.Je tiens de tres-bon lieu que vous estre sa Mere,Et viens vous demander ce qu’il en faudra faire.Je ne puis étouffer ce Fruit qui vient de vous ;Mais vous pouvez l’instruire, apres l’avoir fait naistre,À ne prendre pour moy qu’un air traitable & doux ;Alors de tres-grand cœur je le laisseray croistre.À la mesme.
UN Rossignol est mort l’autre a pris la volée.Sans regreter tant ces Oyseaux,Sans en estre si desolée,Sans mesler vos regrets au murmure des eaux,Acceptez un Oyseau d’une forme nouvelle,Plus charmant mille fois qu’un Fils de Philomelle.Il a des bras, il a des mains,Il a pour son bec une bouche,Tout son Corps est formé comme les Corps humains,Et fait comme un Poupon étendu fut sa couche.Cependant ce n’est qu’un Oyseau,On le reconnoist à ses aisles,Que l’adresse d’aucun PinceauNe sçauroit vous peindre assez belles.Ecoutez ses douces Chansons,Il en sçait de toutes façons :Mais pour rendre sur tout son ramage agreable,Recevez-le chez vous d’un accueil favorable ;Alors ma foy, jamais il ne prendra l’essor,Ny jamais, belle Iris, vous n’en verrez la mort.
Lettre XI §
Lettre XI.
NOs Dames ont toûjours le mesme empressement de voir vostre Mercure ; & ce que vous avez adjoûté au dernier Tome, augmente l’obligation que vous ont tous les honnestes Gens des Provinces. Cependant, Monsieur, j’ose vous dire que le Mercure du Mois de Janvier n’a pas eu pour moy tut l’agrément des autres, & je n’y ay pû voir sans quelque chagrin les Vers que j’ay envoyez au commencement de l’Année à Madame la Comtesse de Montrevel. Je les fis avec si peu d’aplication, & j’employay si peu de temps à instruire mon petit Amour, qu’il estoit difficile que osn compliment fust juste. J’ay remarqué en vous le donnant, qu’on l’a redressé en quelque chose ; mais celuy qui a rendu ce service à mon Cupidon, auroit esté plus obligeant, s’il se fust passé de le produire. Vostre nouveau Mercure a d’ailleurs mille agrémens. L’Année 1677. en finissant son cours, s’explique de la maniere du monde la plus spirituelle. La grande Prairie ne peut témoigner son dépit plus ingénieusement, & rien n’est mieux imaginé que l’Empire de la Poësie. Tous ces Ouvrages ont des beautez particulieres. Rien n’est mieux tourné, ny plus naturel. Quant à la grande Enigme, je n’en trouve pas le Monstre plus dangereux que celuy de Psyché, & je croy que parmy tant de Bras & de testes, il ne nous cache que l’Académie Françoise. Beaucoup de Gens le croyent, & nos Dames l’assurent. Ce qui pourroit me flater à cet égard, est qu’il ne m’a échapé jusqu’icy aucune de vos Enigmes, & que j’ay heureusement toûjours rencontré le véritable Mot. Cette facilité m’a poussé à faire les deux que je vous envoye. C’est à dire vray un peu de vanité pour un Homme qui n’a eu habitude qu’avec les Muses des Alpes. Le territoire n’est pas heureux pour les Vers, mais vous avez donné lieu à cette vanité. Mes folies n’auroient esté connuës que d’une Philis Provinciale, si vous ne m’eussiez point placé dans vostre Mercure. Nos Dames ne demandent point d’autre raison de la bonté d’un Ouvrage, que la place qu’il tient dans les vostres. Elles sont tellement persuadées de vostre délicatesse, que vostre choix suffit pour attirer leur approbation, & je suis à leur sens un habile Homme depuis que mes Vers ont paru dans vostre Livre. La bonté avec laquelle Madame la Comtesse de Montrevel a reçeu mon Présent, avoit déja autorisé ma Poësie, & m’avoit acquis quelque estime dans l’esprit de ceux qui connoissent la délicatesse du sien, mais quand l’opinion qu’on a de vostre discernement, n’acheveroit pas de me justifier par tout, je vous dois du moins beaucoup pour tout ce qu’elle a fait pour moy en ce Païs. Je n’espere plus de pouvoir répondre à cette obligation, ne voyant pas qu’un Homme comme moy puisse faire autre chose que vous dire inutilement, je suis vostre, &c.
De Montaney,
Conseiller
au Présidial de Bourg
en Bresse.
Lettre XII §
Lettre XII.
VOstre Mercure, Monsieur, fait le divertissement de tous les honnestes Gens. La maniere dont il est écrit, & cette certaine Urbanité, s’il est permis de se servir de ce terme, si rare dans les autres Ouvrages, & qui regne par tout dans le vostre, y font trouver tous les jours de nouveaux agrémens. Je ne suis point surpris qu’on ait de l’ambition pour y occuper quelque place, je la trouve au contraire tres-raisonnable, & j’estime davantage mes Amis depuis qu’ils se sont laissez toucher d’une envie si noble. Les Enigmes non moins poliment écrites, qu’ingénieusement imaginées, que vous y proposez, font naistre une émulation dans les Compagnies, qui contribuë beaucoup au plaisir. Dans une de celles où je me suis trouvé on expliqua l’Enigme de la Demoiselle de Vernon, sur un Jaquemart, sur un Coq au haut d’un Clocher, & sur le Soleil, & je reçeus hier de Blois les Explications que je vous envoye. J’aurois deû, Monsieur, commencer cette Lettre par des excuses de ne vous les pas porter moy-mesme ; mais j’espere que celle que j’ay déja pris la liberté de vous écrire me fera obtenir le pardon d’une faute qui porte sa punition avec soy ; car je vous proteste que je me fais une extréme violence, dans la crainte de vous importuner, si je vous faisois perdre quelque moment d’un temps qui vous est si précieux.
Lettre XIII §
Lettre XIII.
PArmy ceux qui se divertissent le plus de tant d’agreables nouvelles que vous nous apprenez dans le Mercure Galant, je suis d’un des Quartiers de France où l’on a le plus de curiosité de voir ce Livre. Nous y lisons quelquefois le Nom de nos Amis, apres qu’ils ont fait quelque chose de remarquable, & nous les toruvons bien plus braves & plus honnestes Gens quand vous leur avez rendu justice, que nous ne faisions auparavant. Un d’eux m’écrivoit il y a quelque temps qu’il avoit bien moins de joye d’avoir fait son devoir dans une occasion assez dangereuse, que de ce qu’il sçavoit que je l’estimerois plus qu’à l’ordinaire, des loüanges que vous luy aviez données. Jamais dessein ne fut plus approuvé que celuy que vous avez de faire connoistre le mérite par tout où il se trouve, autant parmy les Autheurs que parmy les Guerriers ; & bien qu’il y en ait quelquefois de secret & de caché, personne n’aura plus sujet de se plaindre en cela de son malheur, puis qu’on n’a qu’à recourir à vous pour estre connu. En effet, peut-on exceller en quoy que ce soit, & n’estre pas assuré qu’en s’adressant à une Personne si bienfaisante & si juste, on verra bientost tout le royaume, & les Païs Etrangers mesme, instruits de ce qu’on sçait faire ? Avec le temps, Monsieur, & par vostre moyen, nous connoistrons les plus rares Ouvriers, & il n’y aura plus guére de talent extraordinaire qui soit obscur & inconnu, car peu à peu vous verrez que ceux qui n’ont pas d’empressement à se produire d’eux-mesmes aront des Amis qui vous parleront en faveur de ces Personnes trop modestes. Quoy que je sois d’un Sexe où la Science & les belles Connoissances sont assez rares, je les aime assez neantmoins pour me réjoüir autant que les plus sçavans, qu’il se soit trouvé un Ecrivain assez officieux pour instruire tout le monde de tout ce qui se fait de plus curieux & de plus achevé. Combien y a-t-il peu de Gens qui connoissent les excellens Maistres en toutes sortes d’Ouvrages ? Pour moy je croirois volontiers qu’on ne sçauroit guére faire une perquisition plus necessaire, ny qui fust plus agreablement reçeuë. Cependant un peu d’exactitude & de severité ne siéroit pas mal dans les rangs que vous leur donnez. Mais à porpos de choses bien faites & de ceux qui en sçavent faire, nous avons trouvé la Nouvelle des Vendangeurs & des Vendangeuses fort bien écrite, & nous sommes trois ou quatre qui voudrions bien avoir quelque Livre d’un style si naïf & qui nus a tant plû Il n’y a aucune de nous qui ne soit tres-fort persuadée que ce n’est pas là un coup d’essay, & que celuy qui s’est si bien acquité d’une Relation si galante, pourroit faire des nouvelles plus agreables que toutes celles qu’on a veuës, quand on y mettroit celles de Bocace dont nous avons lû quelques-unes des plus belles & des plus honnestes : Celle-cy qu’on nous a donné est bien d’un meilleur air. On n’en pouvoit pas mieux représenter tous les Personnages ; ce seroit avoir bien peu de goust & de discernement à mon avis, que de passer legerement par dessus sans s’appercevoir qu’elle de main de Maistre. Bous nous obligeriez beaucoup, Monsieur, si vous nous en pouviez donner d’autres de la façon de celuy qui l’a faite, & si vous nous vouliez apprendre qui il est. Une autre fois nous nous ferons connoistre aussi à vous, car je ne vous parle pas plus pour moy que pour trois ou quatre Personnes qui ne sont pas moins éloquentes que belles. Nous sommes toutes extrémement reconnoissntes de certaines choses que vous avez touchée encor plus en galant Homme qu’en fidelle Historien, d’une Famille dont nous sommes venuës, & beaucoup plus reconnoissantes encor du soin que vous avez eu de faire valoir deux de nos plus proches Parens qui sont aussi bons ailleurs qu’à la Guerre, & peut-estre qu’à quelque heure vous vous en appercevrez. Pour ce qui est des Enigmes, une Fille qui n’a pas quinze ans, mais qui a l’esprit admirable, nous oste toûjours la peine de les deviner ; elle les cherche fort curieusement dés que nous avons reçeu le Livre : Elle n’a pas si-tost lû deux ou trois fois celle qu’elle trouve, qu’elle nous dit ce que c’est. La derniere est sur la lettre V ; cela fut bientost démeslé, & Monsieur de Chandoré n’y sçauroit aller plus viste.
Lettre XIV §
Lettre XIV.
À Moulins.
TOute la France vous est obligée, Monsieur, de l’honneur que vous luy faites dans les Païs Etrangers. Les glorieuses & presque incroyables Conquestes de nostre Invincible Monarque ont forcé les Nations les plus envieuses de nostres gloire, d’avoüer que rien ne peut égaler la bravoure de nos François ; mais vostre Mercure leur apprenant en détail les actions de valeur & de conduite de nos Braves, leur fait remarquer combien nostre France est fertile en Héros. Ils y voyent avec étonnement que les belles Lettres n’y fleurissent pas moins que les Armes, & que Mars & les Muses y sont d’une si parfaite intelligence, que la plûpart de nos Guerriers se servent également bien de l’Epée & de la Plume, & que de la mesme main qu’ils rompent les Escadrons & forcent les Villes des Ennemis, ils écrivent des Billets aussi tendres & des Vers aussi galants, que s’ils avoient employé toute leur vie à ces sortes de galanteries. J’ay veu avec plaisir combien à Rome les honnestes Gens qui aimant nostre Langue & la gloire de nostre Nation, estiment vostre Mercure ; & j’ay appris avec une joye extréme, en arrivant en Provence, que vous n’avez pas travaillé pour des Ingrats, qu’on vous rendoit justice, & que vous Lettres avoient une approbation generale de tout ce qu’il y a de Gens d’esprit. Quoy que je sois bien éloigné d’estre de ce nombre, je ne laisse pas de prendre part au plaisir que vous leur donnez. À mon arrivée à Lyon j’ay devoré les derniers Tomes que je n’avois pas veus. Si j’avois pû les lire plus-tost je vous aurois envoyé une Explication de vostre grande Enigme, que j’ay crû estre la Grammaire. Elle ne seroit plus de saison, & dans quelques jours vostre second Tome m’aprendra le veritable Mot. Je crois avoir trouvé celuy de la petite.
Pour vous en dire ma pensée,Jamais la Girouette en lieux bas n’est placée,Son Corps se meut au moindre vent,Elle tourne les yeux du Couchant au Levant ;Enfin quoy qu’ïnsensible elle est aussi légereQue mon infidelle Bergere.S’il se passe quelque chose de nouveau à Bourbon, où je dois me rendre dés que la belle Saison y amenera les Malades, je vous en feray part ; car pour ne vous estre pas connu, je n’en suis pas moins vostre, &c.
Lettre XV §
Lettre XV.
IL y a longtemps, Monsieur, que je resiste à la tentation de vous faire un remercîment du plaisir de la lecture de vostre Livre ; ais ayant veu dans le dernier de l’Année que vous en receviez de toutes parts, je n’ay pû m’empescher de vous apprendre que vostre agreable Ouvrage fait beaucoup plus de bien que vous ne pensez, & qu’il est d’une utilité plus importante que celle de divertir & de plaire, en debitant des Pieces galantes, ou en faisant l’éloge de ceux qui se signalent à la guerre. Vous sçaurez donc, Monsieur, que sans faire le reformateur, & sans parler de morale, vostre Mercure galant a fait plus de reforme que les meilleurs Sermons de l’Avent, puis qu’il a bany de beaucoup de Compagnies la médisance & la cruelle raillerie, & qu’il a fait voir qu’on pouvoit estre fort agreable, en disant toûjours du bien de tout le monde. Vous avez corrigé des Femmes qui ne pardonnoient à Personne, qui piquoient leurs meilleurs Amis, qui trouvoient des defauts en toutes choses, qui ne voyoient dans les plus parfaites que le costé qui n’estoit pas achevé, & enfin qui ne croyoient pas qu’On pust rire sans tourner quelqu’un en ridicule. Une Veuve tres-bien faite estoit de ce caractere. Sa Famille est nombreuse. Elle a de la qualité & du rang. Elle n’est ny du jeu ny de la promenade ; mais bornant tout son plaisir à visiter & à estre visitée, elle ne faisoit autre chose que debiter de Quartier en Quartier les Nouvelles de la Ville dont elle est toûjours informée la premiere. Elle y ajoûtoit régulierement une glose malicieuse, comme si elle avoit un interest particulier à décrier chaque Famille. Elle sçait par cœur le foible des Genealogies. Elle tient registre de tous les fâcheux accidens qui ont rendu des Personnes malheureuses. Elle n’oublie jamais ce qui peut ternir le mérite, obscurcir la naissance, ou rabaisser la dignité. Enfin elle ne dit du bien de personne, à moins qu’il ne luy serve à offencer un autre plus vivement. Cette Dame que tant de malignité environne, ne s’est pourtant pû défendre de loüer vostre Livre. D’bord elle a trouvé qu’il donnoit trop de loüanges, qu’il y avoit mille agreables malices à débiter dans les Nouveles, & qu’on pouvoit inocemment ne pas toûjours dire du bien de ceux de qui on parle ; mais ayant veu que son sentiment n’estoit pas approuvé, que les Gens d’esprit & de bon sens prenoient vostre party contre elle, que l’on blâmoit la raillerie, que chacun avoit interest à la bannir, elle a commencé à se dégoûter de ce plaisir ; & entendant partout qu’on loüoit l’Autheur du Mercure de son honnesteté & de la maniere civile & obligeante avec laquelle il traite tout le monde, elle s’est insensiblement accoûtumée à ne plus médire. Ainsi, Monsieur, ce que le Confesseur n’avoit pû faire avec penitences en plusieurs années, vostre Livre l’a fait en badinant, si j’ose le dire ainsy. Il a bien fait encor plus de merveilleuses conversions. Il a pacifié des Familles, réüny des Ménages qui grondoient, adoucy des Peres de qui la mauvaise humeur empeschoit les Enfans d’entrer en commerce avec eux, parce que ces Gens sauvages auroient tary toutes les sources de la joye par un pénible travail des affaires de longue haleine, ou par des refléxions chagrines. Le Mercure Galant est venu au secours de ce Malheureux. Il leur a fourny agreablement à tous des sujets de conversation de plaisir et de joye. Mesme ces petits Ménages grondeurs, où la dépense & le détail des frais qui se font est la matiere la plus ordinaire de l’entretien, qui par là retombent incessament dans l’ennuy & la mélancolie, ont enfin appris à parler de choses plus agreables. Ils se contentoient autrefois de ******* qui ne servoit pas à leur polir l’Esprit, ny à leur rendre l’humeur moins sauvage, comme fait vostre aimable Mercure, où chacun apprend mille agreables & galantes Nouvelles, sans qu’on y puisse rien critiquer. Les plus severes n’y sçauroient trouver à redire, eux qui se revoltent au seul titre de Roman ou de Comédie. Vostre Ouvrage, Monsieur, est donc plus utile que vus ne l’avez peut-estre crû. Je ne vous dis qu’une partie de ses bons effets, une autrefois je vous en diray quelques autres. J’adjoûte que l’Enigme de vostre dernier Livre estoit facile à deviner à ceux qui le leûrent le premier jour de l’Année.
Lettre XVI §
Lettre XVI.
À Paris.
L’On m’ordonne de vous écrire & de vous gronder, Monsieur ; ce sont bien des affaires tout-à-la-fois pour un Homme qui n’est ny assez spirituel pour vous faire un joly Billet, ny assez mal-honneste pour vous brusquer. Il faut pourtant obeïr ; & si je ne le fais, j’encourray l’indignation de la pus aimable Societé du monde. Fâcheuse alternative qu’on ne peut prendre que d’un mauvais costé ! Je me fixe au premier, monsieur, & je vous prie en mesme temps de trouver bon que mes Amis tous injustes qu’ils sont, soient plus contens de moy que vous. Ils veulent que je vous dise que vous avez tort d’avoir diferé jusqu’à L’Année 1677. à nous donner le Mercure Galant, à moins que cette Année ne soit vostre Année favorite, & que vous n’ayez voulu la distinguer des autres par un endroit qui vous distingue si fort vous-mesme du commun des habiles Gens. On ne voit pas torp bien pourquoy vous n’avez pas ouvert plutost une Carriere où vous deviez cueillir tant de Lauriers, & semer de si doux plaisirs à ce qui s’appelle le beau Monde. Il y a déja longtemps que le Roy est victorieux & conquérant, qu’il est le Prince le plus accomply de l’Univers, & vostre plume a manqué tout ce temps-là à ses Exploits & à ses Vertus. Il y a déja longtemps aussi que les Avantures de Paris, de la Cour, & de la France, ont besoin d’un Historien ; & cependant vous vous estes tû, vous à qui le silence sied si mal. En verité, Monsieur, vous avez grand tort. Encor une fois, c’est un reproche que je vous fais de la part de Personnes qui ont plus de droit de vous le faire que moy, parce que la délicatesse & la vivacité de leur Esprit leur en donne davantage aux belles choses. Je ne sçay pas si le soin que vous avez eu de nous choisir un Courrier aussi illustre qu’est celuy de Jupiter & des Dieux, pour nous apporter vos jolies Nouvelles, ne vous pourra point un peu disculper ; mais je crains pour vous que non, puis qu’enfin cela ne nous dédommage point de vostre dur silence, & qu’au contraire nous n’en connoissons que mieux le bien dont il nous a privez. Selon moy, Monsieur, il y a dix ans que vous devriez avoir commencé à donner le Mercure au Public ; parce qu’îl y a dix ans que je commence à prendre goust aux productions d’Esprit, & à les savourer. Les autres disent quinze, les autres vingt, & chacun à proportion qu’il est plus ou moins avancé dans l’âge du bon sens. En effet, Monsieur, c’est un Ouvrage qui plaist à tout le monde. Il a une force magique pour gagner les cœurs de tous ceux qui le lisent ; en sorte mesme que tel qui dit mille & mille biens de vous, ne fait point de difficulté de dire en mesme temps qu’il faut que vous soyiez Magicien ; & pour moy j’adjoûte que vostre Magie est contagieuse, puis qu’apres avoir enchanté les Gens, elle les rend eux-mesmes Magiciens. Vous n’en disconviendrez pas sans-doute, si vous faites refléxion au grand nombre de Devins que vos Enigmes ont produits. Je ne sçay pas si le mal seroit venu jusqu’à moy, qui ne m’entendis jamais à deviner ; mais il me semble que j’ay trouvé celle du Tableau. C‘est le Temps. Celle des trois Femmes qui est entre l’Homme & les deux autres, est l’Heure. L’Homme qui est à sa droite, & qui tient en main un Maillet élevé & prest à tomber sur elle, c’est le Marteau qui frape & qui fait sonner l’heure. Le Cupidon qui est aux pieds de cette Femme, comme éperdu & effaré, ayant son Caruqois renversé par terre, & ses Fleches brisées, marque la ruine & la destruction de toutes choses, qui est causée par le Temps. Il n’est rien plus fort que l’Amour, & neantmoins le Temps ne laisse pas d’en venir à bout, à plus forte raison de toute autre chose. La seconde Femme qui est au costé gauche de la premiere, & qui la suit, c’est l’Ombre qui suit chaque Heure, ou bien encor une autre Heure. Elle montre avec sa main Minerve, le symbole de la Sagesse, qui est derriere tous ces diférens Personnages, & qui semble les suivre & venir apres eux, pour marquer que le Temps amene la Sagesse & la Prudence avec luy. Mais, Monsieur, au lieu du Temps qui amene la Sagesse, ne seroit-ce point la Sagesse elle mesme ? Voicy comment. Ses trois grands Ennemis sont la Beauté, la Jeunesse, & l’Amour, qui font faire tous les jours mille folies. Le Vieillard qui tient en main un Marteau élevé, & qui est en posture d’homme qui menace & qui veut fraper, represente Saturne ou le Temps, qui détruit ces choses en la personne de cette jeune Belle éplorée & de Cupidon desarmé & comme tout éperdu, qui est à ses pieds. La seconde Femme qui en montre une troisiéme derriere elle, sçavoir Minerve, figure la Vieillesse, qui semble dire aux jeunes & belles Personnes, aussi-bien qu’aux Amans, qu’ils doivent se consoler de leur perte, puis que la Sagesse en doit estre la récompense & le prix. Voila, Monsieur, dequoy choisir. Je ne sçay lequel des deux Mots sera le plus à vostre gré ; mais je sçay bien que vos interests paroissent trop meslez avec ceux de la Sagesse, pour appréhender que vous la rebutiez tout-à-fait. Pour moy qui ne suis pas de si bonne intelligence avec elle, je me tiens au Temps, quoy que je n’aye pas trop sujet d’estre satisfait du présent & du passé, mais j’espere que l’avenir me sera plus favorable. Je suis, Monsieur, avec toute l’estime que je dois, vostre, &c.
L’Abbé Droüyn.
Lettre XVII §
Lettre XVII.
AUtheur, dont chacun est le zelé Partisan,Quand on reçoit vostre Enigme en Etrenne,Sans se donner beaucoup de peine,On songe en mesme temps au premier Jour de l’An.Ce sens est naturel, je le crois veritable ;Peut-estre aussi qu’il n’en est rien :Mais au moins si j4en puis croire le vray-semblable,Chaque Vers à ce Mot se rapporte fort bien.Le détail seroit une affaire,Je n’entreprens point de le faire,Je laisse à qui sçaura cette ExplicationD’en faire l’application ;Je me sers seulement de cette conjoncture,Pour vous offrir icy mon petit compliment,D’avoir placé frot honorablementMa Devise en vostre Mercure.Elle n’estoit belle que par le choixQue ma Muse avoit osé faireDu plus auguste & du plus digne FrereDu plus auguste & du plus grand des Roys.C‘est vostre, &c.
Gauthier.
Lettre XVIII §
Lettre XVIII.
À Lyon.
JE ne doute pas, Monsieur que bien des Gens ne se soient meslez d’expliquer vostre Enigme. Je ne sçay s’ils auront heureusement rencontré, mais la conjoncture du Mois où elle paroist, m’en facilite le dénoüement, car je pense que son premier jour en est la clef, aussi-bien que de l’Année. Parmy tant de nuages, on ne laisse pas de voir luire un tres beau Jour de l’An, & il ne perd rien de son éclat dans les agreables obscuritez dont vous l’envelopez. Vos expressions sont si heureuses & si justes, qu’on ne peut rien dire qui y vienne mieux. Les Enigmes ne sont pas les seuls ornemens de vos Ouvrages. Pour moy, je compte pour rien tous les momens que je dérobe à vostre Mercure. De bonne-foy, il est si insinuant, qu’on ne peut luy refuser toute l’approbation qu’on luy donne. Je m’avise un peu tard d’en dire ma pensée, aussi-bien que de vostre Enigme, dont je n’ay pû vous envoyer plutost l’Explication. Je desespere que vous luy puissiez faire l’honneur de la citer. Celuy que vous me ferez de croire que je suis entierement dévoüé à vostre service, me sera une assez douce consolation, & me tiendra lieu de tout, parce que dans la verité je n’ay pas de plus forte passion que de rendre justice à vos Ouvrages, & d’estre vostre, &c.
Lettre XIX §
Lettre XIX.
À Langres.
JE croy ne m’estre pas inutilement appliqué à l’Explication des Enigmes du dernier Tome de vostre Mercure ; & si les Mots que j’ay à vus proposer ne sont pas les véritables, ils y conviennent ce me semble assez bien pour me permettre de m’en flater. Ce Corps que tant de testes, de bras, & de pieds, devroient rendre tres-monstrueux, ne l’est aucunement ; & bien loin de là, c’est un Corps des plus accomplis, non seulement de la France, mais mesme de tout le monde. Cela n’a rien de surprenant, puis que c’est un Corps composé de quarante des plus beaux Esprits du Royaume. En un mot c’est l’Academie Françoise. Quant au mot de l’Enigme qui n’a que quatre Vers, ce n’est à mon avis autre chose qu’un de ces Coqs qu’on met au dessus des Clochers. Il tourne sans estre animé, & regarde de tous costez sans rien voir. Pour l’Enigme en figure, elle est bien plus mysterieuse. Je l’explique sur la Constance, qui est representée par Vénus nuë & dépoüillée de tous les ornemens étrangers. Cette Déesse est Mere de l’Amour. Aussi arrie-t-il souvent que la Constance fait naistre cette passion ; & combien a-t-on veu d’Amans qui n’estans pas heureux dans les commencemens, le deviennent par la perséverance ? Faveur pourtant tres-signalée, & qui n’est reservée qu’aux plus fortunez. Heureux ceux qui peuvent en servir d’exemple !
Heureux l’Amant dont la constanceRéduit à ses desirs une fiere Beauté !Un cœur si longtemps disputé,Qui cede à la perséverance,Est la plus digne récompenseDont on puisse payer un amour rebuté.Vénus est assise, c’est à dire dans la posture la plus ferme & la moins sujette à estre ébranlée. Aussi ne l’est-elle pas par les menaces ny par les soûmissions des deux Personnes qui sont à ses costez ; & comme elle regarde avec intrépidité le coup dont il semble que l’on veüille la fraper, elle ne témoigne aussi nulle complaisance pour les respects de l’autre qui est à genoux devant elle. Le Dieu d’Amour & celuy de la Guerre sont dans cette peinture, parce que c’est dans ces deux occasions où la constance éclate davantage, & rien ne la met à de plus difficiles épreuves que les peines de l’Amour & les dangers de la Guerre. Mais cette vertu sort toûjours victorieuse de tous les deux. Si les Histoires feintes, je veux dire les Romans, nous donnent de fameux exemples de l’un, l’Histoire veritable de nostre incomparable Monarque nous fournit de grandes épreuves de l’autre, en nous faisant voir un Roy qui par sa fermeté triomphe de tant de Puissances unies contre la sienne.
Je suis ravy, Monsieur, d’avoir eu cette occasion de vous témoigner en particulier ma reconnoissance pour les présens que vous faites au Public. C’est une obligation à laquelle tout le monde doit prendre part, puis qu’il n’y a personne qui ne profite de vostre travail. Il est dans une approbation generale, & vous pouvez vous assurer d’avoir celle de tous les honnestes Gens de ce païs. Vostre Livre y est lû avec bien du plaisir. S’il s’y fait quelque chose qui mérite de vous estre mandé, j’auray soin de vous en faire part. Cependant soyez persuadé que parmy tous ceux qui ont pour vous l’estime qui vous est deuë, il n’y en a point qui ait une plus forte inclination que moy à estre, &c.
D.L.
Lettre XX. Illustrissimo signore §
Lettre XX.
Illustrissimo Signore.
Vengono in queste parti di Toscana portate sulle ale del Mercurio Galante le glorie del suo Autore, il di cui fertile ingenio come partorisce ogni mese tanti gratiosi ragguaglij, ne nascono ancora al suo merito infiniti ammiratori tanto piú che maggiormente si accresce in noi il desiderio di haverlo, che si vedono in esso piu distinte le relationi de gloriosi successi dell’ Invittissimo Re dé Galli, che tiene hormai arrolata sotto li suoi stendardi la Vittoria per rendersela inseparabile dalle sue armi, onde possa dirsi naturalizzata Francesce, che se da ci„o ne risalta nelli nostri animi un contento estremo, vien’ ancora accompagnato dal gusto che proviamo da quei scherzi di spirito, di che è ripieno tanto in Versi che in Prosa, & fra gl’altri dalle ingeniose Enimme che ei propuone & particolarmente quella del primo Giorno di quest’ anno, il dit cui senso è al mio parere l’Academia Francese de Belli Spiriti, composta di quaranta huomini, che sono tanti Heroi letterati che possono tener i primi luoghi sul Parnasso & publicar la fama delle Muse Francesi. Ma perche le Muse Italiane non siano gelose di tanti applausi, vuol bene eh’jo li mandi questo Sonetto de loro parte, per non voler essere loro mute in cosi belle occasione, venendo à comparire alla Francese per esser meglio accolte dal Mercurio & essendoselu jo de piú partiali di vero cuore le faccio riverenza & mi sotto scrivo. Di V.S. Illustrissima.
Devotissimo Servitore
vero,
LO SCONOSCIUTO.
Les Muses
italiennes,
aux Muses
françoises.
MUses, qui joüissez d’une heureuse abondance,Pour fournir de matiere à vos accens divers,Depuis que le Mercure a pris naissance en France,Vous allez de vos chants remplir tout l’Univers.Quoy, faudra-t-il toûjours vous prêter audience ?Ne sçauroit-on avoir de part en vos Concerts ?Le Parnasse n’est pas le sejour du silence,Il faut bien aujourd’huy que nous meslions nos Airs.Nostre méthode plaist, elle est tendre & polie ;Mais pour ne point troubler vostre douce harmonie,Nous prendrons vos accens pour mieux unir nos voix ;Et nous partagerons par des accords de mêmeAvec vous le plaisir que vous sentez extrême,De chanter que LOUIS est le plus grand des Roys.
Lettre XXI §
Lettre XXI.
À Paris.
APres avoir consideré vos Enigmes, j’ay crû, Monsieur, que la premiere ne signifie autre chose que cet illustre & sçavantissime Corps de l’Académie Françoise, composé de quarante doctes Chefs de diverse qualité, sçavoir, Ducs & Pairs, Evesques, Presidens, Conseillers, Ecclesiastiques, & Gens d’épée. Si j’ay deviné le Mot, il suffira pour moy ; J’auray le plaisir de voir les belles Explications que les Sçavans vous en auront données. Je trouve que la seconde Enigme nous cache le Soleil. Je vous en donne l’Explication en ce Sixain.
L’Enigme qu’un beau Quatrain fonde,Cache sous un nuage un Astre sans pareil,Assurément c’est le Soleil,Qui sans vie, & bien loin des quatre parts du Monde,D’un mouvement reglé poursuit son premier cours.Quoy que sans vouloir voir, il regarde toûjours.Ou si vous aimez mieux ces quatre Vers.
Vostre Quatrain EnigmatiqueCache comme un nuage un Astre sans pareil.Si j’en croy l’Esprit Prophétique,Au travers des broüillards j’apperçoy le Soleil.L’Enigme en figure m’a embarassé. Je l’ay laissé à de plus habiles Gens que moy. J’en ay toutefois tiré une Explication que je me suis contenté de communiquer à quelques-uns de mes Amis, en attendant que vous nous en disiez le secret. Je suis, &c.
Desnes.
Lettre XXII §
Lettre XXII.
À Paris.
IL y a deux jours, Monsieur, que je pris la liberté de vous écrire un Billet, où je vous disois ma pensée sur l’Enigme en taille douce de vostre dernier Mercure. Depuis ce temps-là j’ay lû une seconde fois celles que vous y proposez en Vers, & si je ne me trompe, plus heureusement que la premiere, puis que j’en ay trouvé les Mots. Ce sont l’académie & le Coq d’un Clocher. Elles sont si justes & si claires, qu’elles n’ont pas besoin d’explication, & je m’étonne comment elles ne m’ont point sauté d’abord aux yeux. Il faut pourtant que vous permettiez à ma Muse familiere de s’égayer un peu, & de vous dire à sa façon ce qu’elle en pense.
Cette Enigme est l’AcadémieOù le Mérite met les petits & les grands :Comme elle est en tous lieux chere aux habiles Gens,L’Ignorance est son ennemie.Ses Membres sont au nombre de quarante,Qui bien que différens, forment un mesme Corps,Et qui font mieux que la Troupe sçavanteConnoistre les Vivans, & revivre les Morts.De nostre Langue elle est l’Arbitre Souveraine ;Aussi LOUIS la traite-t-il en Reyne,Il la soûtient par ses bienfaits,Et pour comble d’honneur, la place sous le Dais.D’Arles & de Soissons elle se dit la Mere ;Mais quoy qu’elle ait donné mille Ouvrages divers,Qu’on admire par tout & sa prose & ses Vers,Elle n’a pas encor achevé sa Grammaire.Je vous donne le bonjour, Monsieur, & suis, &c.
L’Abbé Droüyn.
Lettre XXIII §
Lettre XVIII.
JE suis l’Homme du monde le plus malheureux, Monsieur. J’ay une envie prodigieuse de me faire imprimer, & je n’en sçaurois venir à bout. Je m’estois donc donné l’honneur de vous écrire une grande Lettre il y a trois semaines, où je vous demandois un peu d’Immortalité ; mais je n’en ay point reçeu, quoy que pourtant j’en aye attendu jusqu’à l’arrivée de vostre Mercure où je ne me suis point veu. Cela, comme vous pouvez croire, m’a jetté dans une fort grande consternation, car je m’estois flaté de l’espérance d’estre bientost Mr l’Autheur, & formant mille projets là-dessus, j’avois commencé à renoncer à mes anciennes connoissances, parce que je ne voulois plus voir que les Gens à Stances, Sonnets, Madrigaux, & le reste. J’ay esté vilainement trompé, & je me trouve obligé de demeurer encor dans la foule, ou de n’avoir point du tout d’Amis. Tirez-moy de détresse, je vous en suplie, Monsieur. Faites dire un mot pour moy à vostre Mercure. Je ne veux que cela pour m’ériger en Bel Esprit, & je suis assuré qu’on ne verra pas plutost mes Ouvrages avec ceux de l’incomparable Madame des Houlieres, & les grands Poëtes Mrs de Fontenelle & Ferrier, que sans autres preuves de ce que je vaux, on me viendra rendre visite comme à un Homme extraordinaire, & pour me faire plaisir, aussitost on mettra le Mercure sur le tapis. Les uns dirons que ce que j’ay fait emporte le prix par dessus le reste. Les autres qui voudront paroistre plus raffinez, loüeront mon Ouvrage, faisant semblant d’ignorer qu’il soit de moy. Alors un Amy aposté, dira, C’est Monsieur, en me montrant au doigt, qui a fait cela. Et l’autre répondra ; Quoy, c’est Monsieur ? Ah, je n’en sçavois rien. Ainsi mes loüanges ne doivent point paroistre suspectes, & c’est un simple effet du mérite de la Piece. Toutes ces belles choses, Monsieur, sans celles que je ne dis pas, ne valent-elles pas bien la peine que vous prendrez de faire mettre mes petites badineries dans vostre Livre ? Je vous en envoy une. Je ne sçay comment l’appeller, car elle tient un peu de l’Elegie. Aussi avois-je d’abord résolu d’en faire une, & pour cet effet je m’estois un peu attendry contre mon ordinaire ; & m’imaginant que j’estois hay de ma Maistresse, que je nommois Iris (ce qui est un vray conte, car je n’ay jamais esté amoureux depuis que j’ay l’honneur de me connoistre) j’avois commencé là-dessus d’un ton plaintif ; mais quand je fus au 7. ou 8. Vers, comme je n’avois pas un grand fond de douleur, les tendres sentimens disparurent aussitost. Je suivis ma pente naturelle, qui est de badiner, de sorte que je réduisis ce que j’avois fait dans une espece de Stances, si cela peut avoir ce nom-là ; en tout cas, Monsieur, vous en serez le Parrain, & vous pourrez l’appeller comme il vous plaira. Je leur souhaite à ces pauvres Enfans de mon Esprit, plus de prosperitez qu’à leurs aisnez, qui se sont perdus pour n’avoir pas sçeu vostre adresse. S’ils se pouvoient trouver chez le Maistre de la Psote, je donnerois bien quelque chose, &qu’on allast les y chercher, car j’aurois bien de la joye de voir toute ma petite famille ensemble. Je condamne pourtant celuy qui se nomme la Parque, à estre jetté au feu, pour avoir osé, luy indigne, loüer le plus grand Roy du Monde. Pour son grand Frere qui l’a accompagné, à la bonne heure, qu’on le voye, pourveu qu’il parle plus juste une autre fois, & qu’il dise,
Que l’on grave son No où le leur le sera,& non pas,
Que son Nom soit gravé où le leur le sera.Mais parlons d’autre chose. Vostre derniere Enigme me paroist si difficile, que si j’estois Juge, je croy que je ferois mourir celuy qui la devineroit, comme estant Sorcier. Pour moy, je me rends. Je ne sçay ce que c’est. J’espere que vous nous en instruirez bientost. J’attens vostre Mercure prochain avec grande impatience. Les autres m’avoient bien mis en goust, mais le dernier m’a achevé, c’est…. Mais arrestez-vous, ma plume, on ne m’imprimeroit point, si vous écriviez des loüanges ; & de peur de n’estre pas maistresse de vous-mesme, finissez viste, & dites à l’Autheur du Mercure que je suis plus que personne son tres, &c.
L.
Je croyois, Monsieur, vous envoyer mes prétenduës Stances ; mais comme je ne sçay presque ce que c’est que faire des Vers, elles ont un certain goust de Prose que je n’ay pû souffrir, & qui m’empesche de vous les faire voir. J’ay mis en leur place un petit Inpromptu que je viens de faire, par lequel des Gens qui ne me connoistroient pas, jureroient que je suis amoureux. Le voicy, Monsieur. Si vous le jugez à propos, vous le mettrez en quelque coin de vostre Mercure.
De toutes les autres BergeresHelas que me sert l’amitié ?Leurs douceurs pour moy sont ameres,Et je me ris de leur pitié.Rien ne peut soulager ma peine,Que la cruelle Célimene ;Mon mal fut sa seule rigueur,Mon seul remede est la douceur.Mon dessein estoit de faire noter ces Vers ; mais comme j’aurois peut-estre esté trop longtemps sans les donner au Public, j’ay crû les devoir mettre icy, de crainte que si un galant Homme mouroit, on n’imputast sa mort au chagrin de n’avoir pas esté imprimé.
Lettre XXIV §
Lettre XXIV.
À Lyon.
PUis que les Enigmes du Mercure exercent si agreablement l’Esprit, je ne puis vous cacher, Monsieur, le plaisir que j’ay reçeu à chercher le sens de celle du Mois de Janvier, qui m’a paru fort spirituelle. Il me semble qu’on peut l’appliquer assez justement à l’Académie Françoise. Vous en jugerez par les Vers suivans. Je seray peut-estre plus heureux dans cette Explication, que je ne le fus dans celle de l’Enigme des Conféderez, qui n’eut pas le bonheur d’aller à vous. Ce n’est pas que je prenne à cœur un silence qui ne pouvoit estre qu’avantageux aux petits Ouvrages que je vous envoyois ; mais je ne me console pas d’en estre encor réduit à vous assurer que je suis vostre, &c.
Da…
Explication de l’Enigme du Mois de Janvier 1678.
Je suis cette fameuse & sage Académie,Sur qui du beau Parler la grace est affermie.Des Quarante Sçavans qui composent mon Corps,En faveur du bon sens, j’assemble les efforts.Le langage poly qui brille dans leur bouche,De l’antique François a banny l’air farouche,Et de mon noble Employ l’illustre autoritéDans les Mots que j’admets choisit la pureté.De Gens de tous états dignement occupée,J’ay l’éclat de la Plume, & celuy de l’Epée,Et l’on voit dans ce rang des Esprits les plus beaux,Présidens, Cordons bleus, Evesques, Cardinaux.Ce Grand chez qui souvent j’annonce mes Oracles,C’est l’auguste LOUIS, cet amas de Miracles,Qui d’un heureux concours fait admirer en soyLe Modelle parfait d’un Héros & d’un Roy.J’appelle mes Enfans ces celebres OuvragesQui de tous les Sçavans s’attirent les suffrages,Et qui peuvent prétendre au droit de tout charmer,Aussitost qu’une fois j’ay pû les estimer.Les deux Filles que j’ay, l’une c’est l’Eloquence,L’Autre est l’Art de Rimer avecque bienséance :Dans ces deux beaux talens je sçay me signaler,Quoy que j’en sois encor à l’Art de bien parler.
Lettre XXV §
Lettre XXV.
Fragment d’une Lettre de Richelieu, dans laquelle il est marqué que plusieurs Dames de cette magnifique Ville ont deviné les Enigmes de l’Académie Françoise & du Coq. Voicy ce qui suit & ce que cette Lettre en dit.
POur l’Estampe, on luy donne icy plusieurs sens. Les uns veulent que ce soit la Triple Alliance étonnée ; les autres, la Jalousie ; & les autres, la Paix. Mais pour moy,
Quand le tout en un point j’assemble,Dedans cette Enigme il me sembleApercevoir le Depart de mon Roy,Dont les apprests cette CampagneJettent la terreur & l’effroyDans la Holande & dans l’Espagne,On nous les peint dans ce TableauPar ces deux Femmes étonnéesQue ce Héros de son MarteauEtourdit toutes les Années ;Car enfin ce Roy glorieux,Quand une fois à partir il s’apreste,Leur donne à tous martel en teste,Et les fait trembler en tous lieux.Mais l’Amour voyant que la GuerreSoustrait à son Empire un grand nombre d’Amans,Tend à mon Roy les mains, & craignant son tonnerre,Luy demande la Paix avec mille agrémens.Il auroit pû toucher le cœurDe ce redoutable Vainqueur,Sans l’obstination ce l’Espagne oprimée,Qui ne pouvant dompter son effroyable orgueil,Conserve encor pres du CercueilSa vaine gloire accoûtumée.Ainsi l’Amour tout nu, sans Armes, sans Carquois,A beau pleurer, gémir, crier à haute voix,Mon Prince est sourd à tous ses charmes ;Et jettant l’œil sur le Dieu Mars,Charmé de sa posture, il suit ses Etendards,Et fiérement méprise & l’Amour & ses larmes.Nous verrons dans le Tome de ce Mois, si le Depart du Roy est le vray sens de l’Enigme du Tableau. Je l’attens avec impatience, & suis vostre, &c.
Lettre XXVI §
Lettre XXVI.
Je vous écris d’une Ruelle où vous ne sçauriez croire combien l’on parle de vous. Vostre Mercure, Monsieur, est un Homme si galant & si genéreux, que vous ne devez pas vous étonner qu’il vous fasse regner dans des Provinces éloignées. En effet, de vous dire que vostre Livre soit le divertissement de tout le monde, c’est ce que vous sçavez déjà ; mais il faut vous dire plus, c’est une partie si essentielle à nous plaisirs, que nous ne sçaurions nous en passer ; & je suis chargé particulierement d’une tres-belle Compagnie, de vous en faire compliment, de vous conjurer de continuer toûjours ce qu’elle appelle sa consolation. L’on n’est jamais trop assuré de ce qui plaist ; & pour y contribuer, je sçay qu’il ne tient pas à celles de qui je parle d’avoir chacune une demy-douzaine d’Avantures. Vous voyez, Monsieur, par là, le bruit que vous faites dans nos Provinces. L’on attend le Mercure comme l’on attend son Revenu. Quand on le tient, on le lit tout d’une haleine ; on le relit cinq ou six fois ; on ne saute pas une ligne ; tout y plaist, & sur tout vos Enigmes. Elles attachent extrémement, & moy qui m’y applique avec plaisir, je suis bien aise de vous en dire ma pensée. Je suis bien trompé si la premiere est autre chose que l’Académie Françoise. La seconde est une Giroüette ; Et pour la troisiéme en figure, je vous avouë que je ne l’ay pas devinée. Mais ce bel endroit de vostre Lettre n’est pas le seul qui aye plû à nostre belle Assemblée. Le Ruisseau & les Prairies ont touché particulierement une jeune Personne tout esprit & toute beauté, qui témoigna qu’elle auroit bien du plaisir si elle voyoit leur Diférent terminé. On jetta les yeux sur une jeune Poëte, qui apres s’estre défendu quelque temps, fut enfermé dans un Cabinet, où il fit les Vers que voicy.
Le Diférend
des Prairies
terminé.
Ma foy, je vous trouve admirables,Prairies, qui que vous soyez,De nous venir conter des FablesDans les Vers que vous employez.Il semble que Ruisseau ne peut couler sans crime,S’il ne vous aime éperdûment,Et cependant dans son estimeJe sçay que vous n’entrez que fort legerement.L’une fait la Maistresse, & l’autre la Rivale ;Pour celle-là Ruisseau s’est égaré,Et sur un ton énamouréElle luy fait compliment pour régale.L’autre jalouse & pleine de dépit,Prétend s’attirer le crédit,Quoy que pour toutes deux la chance soit commune,Car ce Ruisseau ne vous aima jamais,Et jamais semblable fortuneN’a dû s’attirer vos souhaits.Mais pour qui donc couler, direz-vous en colere ?Ruisseaux sont-ils indifférens ?Sont-ils comme ces fiers TorrensQui ne coulent que pour mal faire ?Eh vrayment non, ils aiment comme nous,Ou bien si vous voulez, ils aiment comme vous,Et celuy-cy ne sort de sa taniereQue pour une belle Riviere.Ainsi pendant que vainementVous en disputez la conqueste,Ce Ruisseau qui s’est mis une autre amour en teste,Rit & s’échape promptement.Il court à sa belle Maistresse,Qui luy fait accueil, le reçoitComme un Aant digne de la tendresseQu’à qui sçait bien aimer une Maistresse doit.Ils se meslent, ils s’entrelassent,Ils se caressent, ils s’embrassent,Et vont dormir sous un BerceauFormé de jonc & de bruyere :Ainsi cette Riviere aime son cher Ruisseau,Le Ruisseau sa Riviere,Et toûjours le Ruisseau la Riviere aimera,Tant que Riviere elle sera.Nous avons trouvé dans ces Vers beaucoup de génie, & un caractere si aisé, que nous avons esté bien aise de vous les envoyer. Toute la Compagnie vous prie de les recevoir, & moy en particulier, qui suis vostre, &c.
D***
À Lyon le 12. Fevrier, & du
Mercure le Tome II. 1678.
Lettre XXVII §
Lettre XXVII.
À Lyon.
C‘est de l’Enigme des Conféderez qu’il est parlé dans cette Lettre.
AVoüez-le, monsieur. Vous vous estes flaté de pouvoir dépaïser nos Provinciales, en les conduisant d’un plein saut de l’Alphabet aux recherches de la Philosophie. Vous n’avez pas fait sans-doute refléxion, que depuis que Mr de Lesclache est venu dans nostre Ville, nous sommes toutes devenuës sçavantes, au grand chagrin mesme de la plûpart de nos marys, qui à peine en sçavent autant que nous. Il ne faut pourtant pas faire les fines. Avec toute nostre érudition, nous avons eu quelque peine à donner dans le sens de vostre Enigme ; & si nous avons esté assez heureuses pour penétrer dedans, ç’a esté par une avanture semblable à celle de ce Peintre, qui par hazard réüssit merveilleusement à representer l’écume d’un Cheval, en jettant le dépit de son Pinceau contre sa Toille, apres avoir longtemps essayé inutilement à la peindre suivant la force de son idée. Vous jugerez si le desespoir nous aura esté aussi heureux, quand nous aurons dit que la plus spirituelle de nous ne pouvant souffrir la raillerie d’une de ses Compagnes, qui luy reprochoit que son bel Esprit luy manquoit bien au besoin, puis qu’elle ne pouvoit répondre à vostre défy, est entrée dans une colere qui l’a fait sauter aux nuës. S’estant trouvée tout-à-coup sur ces Chariots volans, elle n’a pas crû en devoir descendre sans avoir examiné si elle ne découvriroit point dans ce Païs toutes les convenances qui sont renfermées dans vostre Enigme.
Il luy semble que le Nuage est véritablement ce vaste Corps qui a plus de bras que le fabuleux Briarée, avec lequel il couvre plusieurs Provinces.
Les parties de ce Corps rejoüissent extrémement la veuë, quoy qu’elles soient sans proportion ; & leur irrégularité paroist d’autant plus agreable, qu’elle est plus éclairée contre l’ordinaire des autres beautez.
La grandeur & l’épaisseur de ce Corps en fait la foiblesse, puis qu’il cesse de se pouvoir soûtenir en l’air quand il est fort épais. Sa chute est souvent accompagnée des frayeurs du Tonnerre.
Ses parties s’unissent en s’entrechoquant par l’impétuosité des vents : elles se séparent quelquefois sans douleur, & se rejoignent quand il leur plaist.
Enfin le Soleil & la Foudre, dont l’un en est le Pere, & l’autre l’Enfant, deviennent son plus cruel ennemy, puis que l’un par ses rayons les dissout, & que l’autre luy déchire les entrailles qui luy ont donné naissance.
Si nostre Explication est mal pensée, nous serons étonnées comme si nous estions tombées des nuës : mais enfin, Monsieur, le Roy vous a donné le privilege de tourmenter quelquefois la cervelle des Dames qui se piquent d’esprit.
Si quelques-unes en souffrent, il est d’un grand secours aux autres, à qui il fait passer tous les Mois une couple d’heures le plus agreablement du monde. Nous nous engagerions volontiers à en faire l’éloge, si son débit extraordinaire n’y réüssissoit beaucoup mieux que ne pourroient faire les Ecolieres d’Apollonius, qui sont toutes vos tres-humbles Servantes.
Lettre XXVIII §
Lettre XXVIII.
D’un Village entre Tours & Saumur, ce 14. Fevrier 1678.
JE suis peut-estre, Monsieur, la premiere Fille de Village qui vous aye écrit, de mesme que je crois estre la premiere qui ait entrepris d’expliquer les Enigmes que vous mettez dans vos Mercures. Je vous assure que j’y ay toûjours réüssy, à l’exception de celle du Trictrac dont je ne pûs penétrer le sens. J’ay toruvé l’Illustre Corps de Messieurs de l’Académie Royale des Beaux Esprits dans la premiere de vostre dernier Mercure. Tout y vient si juste, qu’il ne se peut rien de mieux. Pour la seconde Enigme, elle est trop élevée pour moy, & j’avoüe de bonne-foy que je ne suis pas si hardie que la Belle à qui le Public la doit. Celle qui est en figure doit estre reservée aux Sçavans, & j’attens le Mois de Fevrier pour sçavoir sans peine ce que toutes mes resveries me pourroient faire découvrir. J’avois résolu de vous faire part d’une petite Histoire arrivée dans nostre Village depuis quinze jours ; mais apres l’avoir écrite, j’ay eu des raisons pour la suprimer. Ce n’a pas esté sans chagrin, puis que je me vois privée par là du plaisir de vous rien envoyer, à moins que je ne sçeusse que des Fruits de nostre incomparable Païs seroient bien reçeus de l’Autheur du Mercure Galant, à qui je suis tres-humble Servante.
Lettre XXIX §
Lettre XXIX.
PUis que vous estes le grand Océan où se viennent rendre les Fleuves & les Ruisseaux, pour estre derechef rendus à toute la Terre, & que vous recevez des Matereaux de toutes parts, pour en dresser tous les Mois un Edifice agreable aux yeux des Curieux, vous ne rebuterez pas, Monsieur, ce qui peut vous venir de la Marne, & ce que quelque petit coin de la Champagne pourroit vous fournir de propre à vos Ouvrages. L’Avanture arrivée nouvellement en ces Quartiers, & dont je vous envoye les Memoires, a semblé digne à plusieurs d’y avoir place, & c’est ce qui m’a fait vous l’envoyer. Si vous jugez qu’elle mérite de tenir quelque rang dans le Mercure, je vous l’abandonne absolument, & suis, &c.
Lettre XXX §
Lettre XXX.
À Châlons sur Saône.
COmme il n’y eust peut-estre personne en France qui ressentit plus de chagrin que moy de l’interruption du Mercure Galant en 1673. il n’y a personne aussi, Monsieur, qui ait reçeu plus de joye du rétablissement d’un Dessein qu’on ne doit pas estimer moins profitable que galant. L’utilité de vostre Ouvrage se découvre, & paroist mesme plus grande de jour en jour. Vous ne sçauriez croire combien la lecture de ce Livre a déroüillé & déroüille tous les jours d’Esprits dans les Provinces. On se raffine insensiblement le goust en examinant les beautez des Pieces choisies que l’on y trouve ; & les Esprits se subtilisent par les divers tours qu’ils sont obligez de se donner pour trouver le Mot d’une Enigme. Le mien ne s’est pas employé inutilement à cette recherche. Plusieurs de mes Amis me sont témoins que je devinay le Trictrac & la lettre V ; & le dixiéme Tome du Mercure que nostre Libraire reçeut seulement hyer vient de m’apprendre que j’avois aussi trouvé le Mot de l’Enigme du neuviéme, en disant que c’estoit l’Armée Ennemie. Ceux en présence de qui j’avois trouvé ce Mot vers le milieu du Mois passé, m’ont felicité de ce que j’estois si heureusement tombé dans la pensée d’un aussi grand Homme que Monsieur le Duc de S. Aignan ; & je vous assure, Monsieur, que cela ne m’a pas causé une joye médiocre. Je ne sçay si je seray aussi heureux dans l’Explication de celle du dixiéme Tome. Du moins elle m’a cousté plus de méditation que les trois précedentes, car je devinay le Trictrac à la premiere lecture de l‘Enigme, & l’Armée Ennemie à la seconde ; au lieu qu’il m’a fallu repasser sur celle-cy plus de douze fois avec attention, avant que d’y pouvoir appliquer un Mot, encor n’osay-je m’assurer que ce Mot soit le veritable, comme j’avois fait celuy de cette derniere Enigme, ayant voulu gagner quelque chose de considérable, contre un de mes Amis, que le Tome suivant nous apprendroit que j’aurois heureusement deviné. Quoy qu’il en soit, Monsieur, je me hazarde à vous dire que le sens de l’Enigme dont je vous parle doit estre le premier Jour de l’Année, ou si vous voulez, le Jour des Etrennes. Cependant faites-moy la grace de ne pas regarder cette Lettre comme d’un Devineur d’Enigmes, mais comme d’un Curieux qui a esté bien aisé de se servir de l’Explication bonne ou mauvaise qu’Il vous envoye, comme d’une occasion favorable à vous témoigner en son particulier les sentimens de reconnoissance, & les obligations que vous doivent avoir toutes les Personnes bien nées, pour les soins que vous prenez de satisfaire leur curiosité. Voilà l’essentiel de ma Lettre, qui vous assurera de la forte estime que j’ay pour vous, & du zele ardent avec lequel je veux estre vostre, &c.
Miconet, Avocat à
Châlons sur Saône.
Rondeau
qui sert d’Explication à l’Enigme
du Coq.
C’est le Coq d’un Clocher. Voyons comment.Toûjours en haut il change au premier vent,Bien que son Corps n’ait jamais eu de vie ;Je tiens l’Enigme, ou du moins en partie,Il faut trouver le reste promptement.Il a les yeux tantost vers l’Orient,Tantost ils sont tournez vers l’Occident,Sans que de voir il ait aucune envie,C‘est le Coq d’un Clocher.Ce que je dis n’est que mon sentiment,Il est pemris d’en penser autrement,Chacun croira selon sa fantaisie ;Mais quoy qu’on pense, ou quoy que l’on me die,Je répondray toûjours assurément,C’est le Coq d’un Clocher.
Lettre XXXI §
Lettre XXXI.
De Villedavray.
J’Avons prins la libarté que de vous récrire ce pety mot de Lettre à cause de vostre Marcure. Je l’avons déja ly tras foüas, & j’alons vous dire comman. À celle fin que vous le sçachiais. Un gran Monsieu y a environ quatre Moüas, passant par not Lieu pour s’en aller à Varsaille, son Carosse rompisit var cheux nous, & en attendis qu’on le racommodoit, je le voyains qui liset vostre Marcure. Mais qu’arriva-ty ? Nostre Charron ayan mis des chevilles il remonty dans son Carosse avec tant de haste, que parsangué son Livre nous demeury. Je le lismes donc parmy nous autres, & je le trouvismes si biau, que du depusi j’en ons acheté des autres. Stuila ou ste Prairie au bout de son roulet ne dit quasi plus rien, & stuicy que j’avons dont je som tous émarveilé. Ste petite Gazette est divartissante, & ce biau gran Comba où stimage est si belle, est queuque chose de fort biau. Je le lisions encor Dimanche apres Vespres ; & quand j’en fusmes à ces Enimes, chacun tâchy à deviner. Le gran Rubart diset commeça, C’est un Sapire. Piarre Malet diset, Noufra sn’est pas un Sapire, c’est bian putost la Patuisane d’un Gard’ Manche ; Et à la fin la grosse Margo s’approchy afin de deviner à son tour. Pargué, dit-elle, les vela bien ampesché, & c’est un Baston de Marichal de France ; parguenne y vous creve les yeux. Lé grans Seigneux t-achons-y pas de l’avoir ? & faisons-ty pas trambler quan c’est qui sont Marichaux à l’Armée ? Je disme tant de choses sur l’autre que rian pus. Je disme de la Toille à pointure, je disme une grande feüille de Papier, & enfin je disme jusqu’à une Enseigne de Paris. C‘est parsangué l’un de tout ça, car je nous en maslons queuque foûas, & j’en avons déja deviné une. Je n’aurions pas pris la hardiesse que de vous récrire ce mot de Lettre, si ne fut la gageure qui est entre Colin la Fosse, & moy Collecteur. Il m’a soûtin que c’estet du Papier, & moy que c’est une Enseigne. La gageure est grosse ; vous nous direz par vostre parmission quesqu’a gagné. Je vous demandon escuse de l’importunation. Je sçavon bian que je ne som pas de vostre égalité, c’est pourquoy je som
Vos tres-humbles & tres-obeïssans
Serviteurs, Les Païsans, Habi-
tans & Manas de Villedavray,
par les mains du Collecteur.
Lettre XXXII §
Lettre XXXII.
PLus on lit vostre Livre, Monsieur, & plus on y remarque de beautez diférentes. Je trouve que le Titre est trop particulier pour tant de Sujets qu’il renferme. Il pourroit à bon droit estre appellé le Livre universel, non seulement parce qu’il traite de tout ce que l’Esprit est capable d’inventer, mais aussi parce qu’il donne des lumieres pour mettre en pratique tut ce que la Théorie ne peut executer. Cependant comme ce Titre a quelque chose de trop sérieux, & que l’on s’en est déja servy pour la Science Universelle, qu’on ne peut mieux trouver que dans le vostre, il semble que celuy de l’Art, pour ne pas dire de l’Ecole du beau Monde, seroit celuy qui luy conviendroit le mieux ; car où peut-on mieux apprendre la maniere de s’y introduire, que par sa lecture qui fait l’entretien des Compagnies ? Les Nouvelles, les Histoires, les Avantures, les bonnes Pensées, les Modes, enfin tout ce que la Galanterie peut inventer de plus poly & de plus spirituel, tant en Vers qu’en Prose, & où rencontrer tout cela ensemble dans un seul Livre.
En verité, Monsieur, vous avez trouvé un Secret qui est merveilleux ; car on peut dire que vous faites aujourd’huy ce que fit autrefois l’Amour du débroüillement du Cahos. Il est inutile de vous en parler, c’est une chose que tout le monde sçait ; mais il est constant que vous tire les Esprits malgré eux à la découverte des choses dont ils ne se seroient peut-estre jamais avisez, & que de grossiers & terrestres vous en faites de tres-spirituels.
Je ne veux point d’autre preuve que les Pieces diferentes que l’on vous envoye, & que vous recevez si honnestement, ayant assez d’indulgence pour n’en rebuter aucune ; & c’est ce facile accés que vous leur donnez, qui vous pourra un jour faire connoistre le profit que vostre Livre fait dans le Monde, & qui a déja fait dire de vous, à l’occasion de ce qu’on disoit de Monsieur Baptiste, que comme il avoit rendu le Monde Musicien, vous le rendiez tout galant & tout spirituel.
Lettre XXXIII §
Lettre XXXIII.
À Villars en Bourbonnois.
QUoy que vostre Mercure de Fevrier ait peut-estre déja paru, il n’est pas encor venu jusqu’à moy. J’attens, Monsieur, avec impatience, qu’on me l’envoye de Lyon pour y apprendre le sens de vos Enigmes. Lors que je vous écrivis de Moulins ce que je pensois des deux qui sont en Vers, je n’avois fait aucune refléxion sur celle qui est en figure ; mais une belle Dame ayant prétendu que c’estoit le Mariage, m’a obligé de luy fournir des Rimes pour expliquer plus agreablement sa pensée. La voicy à peu pres.
Voyez-vous, belle iris, cet Homme si sauvageQui menace cet Amour ?Vous le connoistrez quelque jour ;C’est, si je ne me trompe, oüy, c’est le Mariage.Il doit à cet Enfant ses plaisirs les plus doux,L’Ingrat, & cependant voyez comme il le frape,Il va l’assommer de ses coups,C‘est merveille s’il en échape.La Déesse sa Mere en vain, le croiriez-vous,Aux yeux de ce Tyran étale tous ses charmes ;Des appas si touchans, ses plaintes, ny ses larmes,Ne peuvent du cruel appaiser le couroux.La Nuit, ténébreuse Déesse,Qui préside à cet attentat,En frémit, en est en détresse,Et plaint du Dieu mourant le pitoyable état.Pallais, qui n’aime que la guerre,Du pacifique Enfant voyant la trousse à terre,Veut qu’au lieu du Carquois son Casque soit placé,Dés qu’ Amour sera trépassé.Mais qu’a-t-elle à la main, cette Déesse fiere,À qui tous nos Amans font aujourd’huy la cour ?C’est un Cercueil, c’est une Biere,C’est le Suaire de l’Amour.Ainsi Tirsis d’Aminte ayant fait la conqueste,Dés qu’Hymen les eut joints, méprisa ses appas.Peu de Guerriers ont l’amour dans la testePendant le regne de Pallas.
Lettre XXXIV §
Lettre XXXIV.
QUoy que je ne sois pas de S. Maixent en Poitou, & que cette Ville soit fameuse par les Histoires qu’on fait de la naïveté de ses Habitans, je n’ay point appréhendé de vous écrire de ce lieu-là. On luy fait injustice, j’y connois quantité d’honnestes Gens, & vous sçavez, Monsieur, qu’il y en a par tout. J’avois bien un autre sujet de craindre, & je l’aurois encor, si parmy tant de jolies choses qui sont dans le Mercure, je n’eusse veu que vous y avez aussi mis quelqu’une de celles que je vous ay envoyées. En verité, Monsieur, je ne puis avoir trop de reconnoissance du soin que vous prenez de me tirer de l’obscurité où je passe ma vie, & je vous en remercie de tout mon cœur. Vous m’avez appris que je ne suis pas le seul qui ait crû que la Mode pouvoit estre le Mot de l’Enigme du dixiéme mercure. J’ay veu & leu fort legérement & à la haste celles du dernier, & je ne me suis aresté qu’à la seconde dont je me suis souvenu, parce qu’elle n’est que de quatre Vers. Voicy ce que j’en pense.
Quand la Nuit de ses sombres voilesCouvre les objets du Jour,Le Ciel tout brillant d’EtoillesFait mieux remarquer son tour,Et dans sa vaste carriereTout remply de majesté,Il a plus de lumiere,Il a plus de beauté.C‘est alors qu’on le voit tel que Vernon le chante,Et nous le represente ;C‘est alors que du Ciel on dit ces veritez ;Jamais par luy plus bas lieux ne furent habitez,Son Corps est agissant sans vie,Et l’on luy voit tourner les yeux de tous costez,Quoy que de regarder il n’ait aucune envie.Le Solitaire d’aupres deS. Maixent en Poitou.
Lettre XXXV §
Lettre XXXV.
À la Rochelle.
JE croirois faire tort au Mestier dont je suis, & la curiosité de l’Autheur du Mercure Galant, si je negligeois de luy faire part de ces Pieces d’un Amy, qui sans se piquer de Poësie ny de bel Esprit, peut montrer que tous les Péagers ne sont ny de mauvaise vie comme on les croyoit au temps des Juifs, ny ennemis des belles Lettres. Cet Amy qui est renfermé dans l’Isle de Ré, ignore que je dispose de ses Ouvrages, & il prend si peu d’interest à ce qui se dit dans le monde, que je ne sçay s’il ne me sçaura pas mauvais gré de le déterrer ainsi, & de le faire sortir des resveries que luy inspire la veuë d’une Mer sauvage. Si l’on juge à propos de donner à ces petites Pieces une place dans le Mercure, l’on sçait mieux que personne le moyen de les y introduire ; & celuy qui sçait distribuer la gloire & le rang à tout le monde, n’a besoin d’aucun avis sur cela. On se contente de luy fournir la matiere, & de l’assurer que si ces Vers sont bien reçeus, ils seront suivis de beaucoup d’autres.
Sonnet.
TIrannique respect, froids mouvemens de crainte,Qui retenez mon feu dans un profond secret,C‘est trop m’épouvanter du vain nom d’Indiscret,C‘est trop cacher l’ardeur dont mon ame est atteinte.Il faut me declarer, & dans ma triste plainte,Faire voir de mes maux le sensible portrait ;Quel que soit le succés, je seray sans regret,Si ma douleur cruelle y peut estre dépeinte.Mon mal triomphe icy de ma discretion,Je ne suis plus à moy, mais à ma passion,Et c’est elle qui regne en ce desordre extrême.Tout ce que ma raison peut encore en cecy,C‘est qu’apres avoir dit, Philis, que je vous aime,Je ne le diray plus, si vous m’aimez aussi.
Lettre XXXVI §
Lettre XXXVI.
À Paris du Palais Royal.
Vus ne serez pas fâché sans-doute, Monsieur, d’apprendre que la plûpart des Conversations roulent presentement sur les divers Sujets qui composent vostre Mercure. Jamais les Historietes n’ont esté plus agreablement racontées. N’attendez pas que je vous donne icy les loüanges que vous méritez. Outre que vous avez témoigné qu’elles ne vous plaisoient pas, il faudroit pour cela une auttreplume que la mienne ; & le seul dessein que j’ay en vous écrivant, est de vous dire qu’il y a deux ou trois jours que je me trouvay dans une Compagnie où la lecture du Mercure de Decembre donnoit un fort grand plaisir. Chacun se réjoüissoit de la résolution que vous aviez prise de l’embellir, & il y en eut beaucoup qui trouverent que pour mettre cet Ouvrage dans son entiere perfection, vous deviez donner les Armes de ceux dont vous parlez. Ils adjoûterent que cela seroit tres-utile pour le Public, & fort agreable pour bien des Gens qui voudroient ne rien ignorer, puis qu’en mesme temps que vous leur appendriez la Genéalogie des Familles, vous leur en feriez connoistre les Armes. Toute la Compagnie demeura d’accord que le Mercure en seroit encor plus estimé. J’en suis persuadée, & trouve dans la Science du Blazon tant de choses qui doivent plaire à nostre Sexe, que si vous m’en vouliez croire, vous adjoûteriez les Armes des Villes à celles des Familles qu’on vous demande. Apres qu’on eut raisonné lon-temps là-dessus, il fut question de trouver quelqu’un qui vous donnast avis de ce qu’on avoit pensé. Je me chargeay volontiers de cette commission. Je m’en acquite ; & si sans trop d’embarras vous pouvez faire entrer dans vostre Mercure l’embellissement que je vous porpose, je vous prie de ne le refuser pas au Public, à nostre Compagnie, & à moy qui suis vostre tres-humble Servante,
D.G.
Explication de la premiere Enigme
du Mercure de Janvier 1678.
J’Ay developé, ce dit-on,Graces au fameux Pelisson,L’embarras de plus d’une Amie ;Car s’il n’avoit jamais écrit,Qui pourroit enfin m’avoir ditQue l’Enigme est l’Académie ?De la Place Royale.Explication de la seconde Enigme du
mesme Mois, sur la Lune.
LEs Lieux bas ne sont point habitez par la Lune,Son Corps agit & ne vit pas.On voit tourner ses yeux suivant l’erreur commune,Et pourtant les objets n’arrestent point ses pas ;Et puis’que son Corps est sans vie ;Elle ne peut former l’envieDe regarder les choses d’icy bas.
Lettre XXXVII §
Lettre XXXVII.
À Troyes.
JE vous envoyay, Monsieur, l’Explication sur l’Enigme des Armes des Conféderez assez tard. Je la fis sur le Melon, & je voy qu’elle ne vous a pas déplû, puis que vous avez bien voulu en parler dans vostre derniere Lettre. Cela m’engage par la part que j’ay dans la liberté commune, à tâcher d’expliquer vostre Tabeau du Volume de Janvier. Voyez si j’ay rencontré le Mot, quand je prétens que cette belle Femme nuë nous represente l’Enclume, sur laquelle il ne se trouve aucune matiere. Elle tend les bras pour se défendre de l’outrage que luy veut faire ce brusque Forgeron qui est prest de la fraper en cet état. Cet Amour qui semble vouloir empescher le coup, est le Feu qui prend part à la défense de l’Enclume de tout son pouvoir. Il s’aigrit, il s’anime, il sort impétueusement par l’effort qu’on luy fait, & tâche par son éclat d’arrester la violence dont on la menace. Le Carquois que cet Amour foule aux pieds, figure les cendres qui sont ordinairement sous le Feu. Cette Fille qui paroît à costé toute épouvantée, est l’Eau inséparable de la Forge où se passe l’action. Elle n’a pas moins de pitié de l’Enclume que le Feu en a, mais elle resiste avec moins d’éclat. Ce Soldat est un autre Forgeron qui tire la corde des Soufflets representée par la Hallebarde qu’il tient d’une main. Le Bouclier qu’il tient de l’autre, nous fait connoistre le Fer, qui est la matiere dont on se sert dans les Forges.
Lettre XXXVIII §
Lettre XXXVIII.
À Bruxelles.
COmme vous écrivez à tout le monde, pour ainsi dire, par le moyen de vostre Mercure Galant, il est à croire, Monsieur, que vous voulez bien que tout le monde vous écrive aussi sur le mesme sujet, & cela sans distinction d’Amis ou d’Ennemis. En effet, on n’y en doit mettre aucune, quand c’est d’une semblable matiere qu’il s’agit. L’Enigme que vous avez mise dans vostre Mercure de Decembre, me donne lieu de prendre cette liberté pour vous faire sçavoir comme je l’entens. Voicy ce que je m’en suis imaginé Il me semble, Monsieur, que cette Enigme ne peut signifier autre chose que le premier Jour de chaque Année, qu’on appelle communément le nouvel An, & que les demandeurs d’Etrennes n’aiment pas moins que les donneurs le haïssent. Il fait du bien aux uns, & du mal aux autres ; & s’il réjoüit ceux qui reçoivent, il afflige en mesme temps ceux qui sont sujets à l’ingratitude, ou à l’avarice. Il est certain que ces derniers ne s’accommodent pas trop bien de la coûtume de ce jour-là, qui les met dans l’obligation de faire des libéralitez où leur inclination répugne. C‘est tout le contraire pour les Amans, puis que cette mesme coûtume leur donne lieu d’écrire des Billets, d’envoyer des Vers, & de faire des présens, & peut-estre des déclarations d’amour à leurs Belles. Au reste, l’on peut dire avec raison que ce jour-là est de grand éclat & de peu de durée, puis que le bruit des Tambours & des Trompettes, des Hautbois & des Violons, que l’on entend ordinairement en cette Feste, ne dure que jusques à la fin de cette journée, & que le jour d’apres que l’on appelle son cadet, ne manque jamais de la terminer. Mais si elle meurt, c’est pour renaistre ; & si elle disparoist, ce n’est que pour revenir un An apres avec le mesme éclat & les mesmes cérémonies. N‘est-il point vray aussi que ce jour-là est bien vieux, puis qu’il ne l’est pas moins que le Monde, & qu’ils sont nez ensemble, s’il est permis de parler ainsi ? On a cependant raison de dire que ses heures sont bornées, puis qu’elles ne peuvent aller au dela de vingt-quatre heures, qui estant comptées toutes ensemble, ne font qu’un certain nombre de jours, quoy que celuy dont il s’agit soit chargé d’une fort grande quantité d’années. Voila, Monsieur, comme j’entens vostre Enigme ; cela est pardonnable à un Flamand, qui peut-estre n’entend pas trop bien le François ; & puis n’est-ce point beaucoup de pouvoir dire fiérement dans quelque conversation, J’ay écrit aujourd’huy au galant Autheur du Mercure Galant, & je l’ay assuré que je ne suis pas moins son admirateur que son tres, &c.
B.B.B.
Il est bon aussi, Monsieur, que vous sçachiez que vostre Enigme du Trictrac a esté déchiffré icy à l’ouverture du Livre par une Femme de qualité ; mais pour celuy de vostre Corps sans teste, nous avoüons franchement, elle & moy, qu’il a pensé nous faire tourner la nostre : neantmoins, nous faisons une partie de ce Corps monstrueux, & voila, Monsieur, ce qui prouve fort bien que l’on ne se connoist point soy-mesme. L’on parle de mettre une teste de Leopard sur ce Corps si diforme, & l’on dit que cela augmentera de beaucoup ses forces & sa fierté.
Lettre XXXIX §
Lettre XXXIX.
À Bruxelles.
QUand ce ne seroit que pour faire un peu d’honneur aux pauvres Flamans, que vous autres François tournez si souvent en Ridicules, & particulierement sur le Chapitre du Langage, je veux continuer à vous faire part de mes conjectures sur vos Enigmes, & tâcher à vous faire connoistre par ce moyen-là que nous ne pensons point justement si mal que nous parlons. Je dis donc, Monsieur, & je puis le dire hardiment ce me semble, que la premiere Enigme de vostre premier Mercure de cette Année nous cache cet Illustre Corps de l’Académie Françoise, qui fait tant de bruit & tant de bien de tous costez ; & à compter depuis le premier Vers jusques au dernier, j’en trouve le raport si clair & si juste, que je ne crois point qu’il soit necessaire d’en faire icy l’explication, car il est certain qu’elle saute aux yeux, pour ainsi dire, au mesme instant que l’on a trouvé le Mot ; mais sur tout les quatre derniers Vers qui parlent de cette premiere Leçon que ces sçavans Hommes n’ont point encor passée, me paroissent tournez fort ingénieusement, & je les explique de ce fameux Dictionnaire auquel on travaille depuis si longtemps, & que l’on attend avec beaucoup d’impatience. Quant à vostre petite Enigme de Vernon, elle a esté déchiffrée sans aucune peine par la mesme Femme de qualité qui avoit déja déchiffré si aisément l’Enigme du Trictrac, & elle soûtient que l’on veut parler de ces petits Coqs que l’on met ordinairement sur nos Clochers en forme de Giroüettes. Dites-nous, s’il vous plaist, Monsieur, avons-nous bien deviné elle & moy, & pouvons-nus nous vanter d’entendre passablement le François ? Nous ne prendrons pas la mesme vanité au sujet de vostre Enigme en figure, car nous avoüons de bonne-foy que nous nous rendons, comme l’on dit ordinairement ; mais peut-estre que nous serons plus heureux, quand nous aurons veu par vostre Mercure du Mois de Fevrier de quelle maniere on aura expliqué vostre Tableau énigmatique, & principalement si vous voulez bien nous faire sçavoir si cette sorte d’Enigmes se doit expliquer par un Mot, par une Sentence, ou pas une Moralité, car à mon avis il y peut entrer de tout cela sans aucune contrainte. Au reste, Monsieur, je vous fais excuse de la longueur & de la familiarité de ma Lettre, & au pis aller elle vous fera connoistre qu’on liticy vos Mercures avec plaisir & avec attention, & qu’on en parle de la mesme maniere, mais particulierement vostre, &c.
B.B.B.
L’on vous connoist, Monsieur, & l’On vous obéit comme vous voyez sur le Chapitre des loüanges que vous méritez ; car autrement j’en remplirois tout ce vuide, & encor ne dirois-je point tout ce que je pense de vous.
Lettre XL §
Lettre XL.
À Paris.
LA justice que vous m’avez renduë touchant l’Enigme de l’Académie Françoise, ne m’auroit rien laissé à desirer, si vous vous estiez souvenu que j’avois aussi expliqué celle du Coq sur le Clocher. J’espere, Monsieur, que vous ne prendrez pas ce petit reproche en mauvaise part, & que vous me ferez la grace de considérer que la belle ambition ne sied pas mal à un jeune Homme de mon âge. Vostre Volume du Mois de Fevrier a tant de varietez agreables, que j’ay pris un singulier plaisir à le lire. J’ay tâché de déveloper les Enigmes que j’y ay trouvées, & croy que celle en Tableau est l’Ecusson, que cet Ecusson est la Boëste de Pandore, & qu’Epimethée & Pandore qui la tiennent l’un & l’autre dnas une égale distance, en sont les deux Supost. Pour la premiere Enigme en Vers, je ne doute point que ce ne soit un Baston de Mareschal de France, & la seconde une Enseigne. Vostre premier Tome m’apprendra si j’ay aussi-bien deviné que je me le persuade. Que je sois trompé ou non, je me tiendray avantageusement payé de mes peines, si vous voulez bien me croire vostre, &c.
Baiséle jeune.
Lettre XLI §
Lettre XLI.
À Brie-Comte-Robert.
JE m’estois imaginé jusqu’à présent, Monsieur, que le Mercure n’estoit fait que pour recevoir les Ouvrages des Hommes, mais j’ay perdu cette pensée en lisant tous les Tomes que vous en avez donné au Public. Je n’en ay lu aucun dans lequel je n’aye trouvé quelque nom de Fille, soit dans l’Explication des Enigmes, soit dans quelque Composition particuliere. C’est ce qui me fait prendre aujourd’huy la plume ; car à vous dire le vray, si je me fusse persuadé qu’il eust esté permis à celles de mon Sexe de se faire voir dans le Mercure, il y a long temps que je vous aurois envoyé quelques Vers, ou que je me serois expliquée avec vous sur les Enigmes que vous proposez. Mais il vaut mieux tard que jamais, & puis que les Dames s’étudient aussi à faire éclater leur Esprit si publiquement (je dis publiquement, n’y ayant rien qui soit ublic que le Mercure) je ne vous cacheray point que je serois fort trompée si vostre premiere Enigme du Mois de Fevrier ne nous marquoit pas un Baston de Mareschal. Je croy que cette Explication si juste, que j’attens avec impatience le nouveau Mercure pour sçavoir si j’ay heureusement rencontré pour la premiere fois que je me mesle de deviner. Je suis vostre, &c.
Portats, Fille de Monsieur
Portats Gouverneur de
Brie-Comte-Robert.
Lettre XLII §
Lettre XLII.
CE n’est pas tout, Monsieur, que de penser apres vous. L’affaire est de penser comme vous. Si je ne découvre pas le veritable sens de l’Enigme dont j’entreprens de chercher le Mot, j’espere que sa subtilité me justifiëra du manque de succés. Apres cela j’ose vous dire que si les Figures de vostre Tableau ne representent pas la Jalousie, elles y ont assez de raport pour le faire croire. Il semble que Vucain s’estant trouvé dans la Chambre de Vénus dans un temps où l’on se seroit bien passé de luy, il ait raison de se mettre en colere, & qu’il s’y mette en effet. Je trouve qu’un Mary est jaloux en forme, quand estant aussi mal-fait que Vulcain, il a une Femme aussi belle que Vénus, & dont le Galant est du mérite de Mars. Estre Jaloux & Forgeron, c’est avoir un double privilege d’emportement. Aussi Vulcain effraye-t-il jusqu’à Mars avec son action menaçante. Mais il semble pourtant n’en vouloir qu’à l’Amour, parce qu’il sçait que c’est luy seul qui a lié la Partie.
Contre luy devroit-il avoir tant de colere ?Un Enfant croit bien faire alors qu’il sert sa Mere ;Mais Vulcain ne voit pas en son mortel ennuy,Que l’Amour est plus fort que luy.L’exemple de Vulcain devroit adoucir la peine de tous les Jaloux ; & quand on a un Dieu pour compagnon, on se peut aisément consoler. Je ne sçay s’il s’en trouvera beaucoup de ce sentiment ; mais laissons-les resver aux maux que leur cause une imagination trop vive, & qui ne cherche qu’à les tourmenter. Si mon sentiment s’est trouvé faux sur vostre Enigme, il n’est rien de si veritable que ceux d’estime u j’ay pour vous, & que je suis vostre, &c.
De Roux.
Lettre XLIII §
Lettre XLII.
À Troyes.
VOstre Mercure, Monsieur, a tant de galanterie, qu’Il en inspireroit à la gravité mesme. J’ay fait d’abord quelque difficulté de m’y rendre ; & le sérieux que demande mon employ, m’y fournissoit plus d’un obstacle. Mais enfin tout cela s’est évanoüy, lors que j’ay consideré que plusieurs Personnes que vous nommez n’en ont pas de fort éloignez du mien, & que les Muses peuvent sans indécence habiter aussi bien des Cloistres, que paroistre sur des Theatres. Toutes ces refléxions m’ont laissé persuader par vostre Mercure, & d’autant plus, que c’est une occasion pour vous témoigner que je suis vostre tres, &c.
N. Denise, Chanoine
& Official de Troyes.
Cette Lettre estoit accompagnée de l’Explication qui suit sur l’Enigme de Pandore.
MUse, à quoy bon rester sur cent mots partagée ?Pandore nous figure une Ville assiegée,Et cette Boëte est un MortierQui jette sur la Ville en diférentes PlacesToutes ces fumantes Carcasses,Si-tost qu’il reçoit feu par ce vieux Bombardier.Ces Carreaux figurez pres des pieds de Pandore,Sont, Paté, Demy-Lune, & Bastion encore.Ce Pavillon est nostre Camp,Ce Banc entrecoupé nous sert de Baterie ;Enfin suivant ma resverie,Mercure sous Pandore aux François donne un Gand.
Lettre XLIV §
Je reviens aux Lettres, dont je n’ay interrompu la suite que pour vous donner à déchifrer. Il y en a qui contiennent d’agreables incidens. La premiere que vous allez voir est du nombre. Les autres sont sur diférentes matieres.
Lettre XLIV.
Il est donc bien vray, Monsieur, que vous avez reçeu les deux Billets que nous vous avons écrits, & que vous avez mesme donné des loüanges à ce qui nous sembloit fort provincial. Vous inspirez par l’Ouvrage que vous donnez tous les Mois au Public, une certaine envie de faire quelque chose d’agreable qui nous fait aisément succomber à la tentation que nous avons de vous écrire. Et le moyen de s’en dispenser apres le soin que vous prenez de nous faire valoir dans vostre Mercure ? Il n’y a rien de plus obligeant pour des Personnes inconnuës & éloignées de vous de pres de cent lieuës, qui ne pouvoient se promettre que vous en feriez tant pour elles. En verité, Monsieur, il faut que vous ayez autant de bonté que vous paroissez Galant. Nous en sommes si touchées ma Cousine & moy, que nous ne ferons point difficulté de vous avoüer que vous avez presque deviné, quand vous avez crû nous connoistre, au moins pour ce qui regarde nostre Maison qui est scituée sur l’une des deux Rivieres dont vous parlez. Elle est sur le haut d’un Côteau entouré de Plaines, de Bocages, de Ruisseaux & de Prairies, où coulent doucement des Fontaines d’une eau tres-vive & tres-claire qui nous font souvenir assez souvent des Driades & des Hamadriades dont les Poëtes font de si agreables Peintures. Ce fut dans ce lieu charmant que ma Cousine & moy nous allâmes jusqu’à un Bois qui n’est pas fort éloigné du Côteau que nous habitons. Le jour qui estoit le plus beau du monde, quoy que dans la plus rigoureuse saison de l’année, sembloit destiné aux plaisirs de la Promenade, & rien ne nous avoit paru plus propre à faire passer la migraine qui tourmentoit cruellement ma belle Parente. Apres nous estre un peu promenées, nous nous reposâmes au pied d’un Chesne, vis à vis de la Riviere, où mon aimable Cousine ayant un de ses bras appuyé sur mes genoux & soûtenant sa teste de l’une de ses mains, me fit voir dans une douce langueur où son mal l’avoit fait tomber, que les Beautez les plus vives & les plus enjoüées ne sont pas toûjours les plus touchantes. Je m’occupois pour la divertir à la lecture de vostre dernier Mercure, & j’avois à peine lû l’Histoire des deux Cousines que vous faites trouver si ingénieusement dans un Bain, quand un bruit qui paroissoit venir d’assez loin, me fit quitter mon Livre & suspendit la douleur de ma Compagnie. Ayant tourné la teste l’une & l’autre vers l’endroit d’où il venoit, nous fûmes surprises de voir de l’autre costé de la Riviere deux Hommes bien montez, courans à toute bride, déguisez par de grands Bonnets fourrez qui leur couvroient le visage, dont le dernier portoit une Dame masquée en croupe. Nous revenions à peine de nostre premiere surprise, que nous entendismes un nouveau bruit. Il estoit causé par quatre Cavaliers qui joignirent aussi-tost les premiers, qu’ils parurent défier au combat en tirant leurs Epées ; mais les deux qui se crûrent trop foibles pour resister aux autres, se defirent de la Dame, la mirent à terre, & se retirerent avec autant de vîtesse que nous leur en avions remarqué quand ils estoient arrivez. Ceux qui les obligerent à fuir estans descendus de cheval, prierent cette Dame d’y monter ; mais nous connûmes par ses cris qu’elle s’y opposoit de toute sa force, & nous comprîmes mesmes qu’elle se seroit jettée dans la Riviere, sur le bord de laquelle se passoit cette Avanture, si on ne l’eust pas retenuë. Elle faisoit de grands efforts pour s’échaper, quand un de ces Messieurs se jetta à ses genoux, & par ses actions supliantes nous fit connoistre que l’amour avoit grande part à cette affaire. Mais quelque grace qui nous parust dans tout ce qu’il faisoit, & malgré toute l’éloquence que sa passion luy donnoit, & dont on doit croire qu’il se servit de son mieux, la Dame ne paroissoit pas persuadée ; mais enfin un vieux Cavalier de la Troupe luy tint un langage qui sans doute luy réüssit, car soit qu’il parlast avec plus d’autorité, soit qu’il eust plus de bonheur que celuy que nous crûmes le plus amoureux, nous vismes diminuer le desespoir de la Dame qui se résolut un peu apres à monter en croupe, & à s’abandonner à sa destinée. Il nous a esté impossible de rien démesler de plus de ce mistere. Si nous en pouvons découvrir la suite, nous vous en ferons part, comme nous faisons du malheur qui m’arriva de laisser mon Livre au pied de l’Arbre où nous nous estions reposées ; mais ma Cousine y perdit aussi sa migraine, & la joye que j’en eus me consola de ma perte.
Cette belle journée estoit pour nous une journée d’avantures. Nous trouvâmes en entrant dans nostre Chasteau un Carosse à six Chevaux, dont nous ne pûmes connoistre d’abord les Livrées ; & quand nous fûmes dans la Salle, nous vismes trois Bergeres masquées conduites par trois Bergers qui ne cedoient point aux plus galants de ceux qui menoient paistre leurs Troupeaux aux bords de Lignon, dans les heureux temps d’Astrée. Les Bergers estoient habillez avec tant de magnificence & de propreté, que vous n’auriez point douté en les voyant, qu’ils ne passassent tous les autres de leur Province. Je ne sçay mesme si dans vos quartiers vous en trouveriez aisément qui eussent quelque avantage sur eux. Les Bergeres avoient de petits Habits à la poitevine, dont les Corps estoient de toille d’argent de couleur de feu, enrichis de dentelles d’or fraisées, & cet ajustement donnoit à ces aimables Villageoises un air qui ne déplairoit pas sans-doute aux plus délicats de vos Courtisans. Les Couvrechefs jaunes qui faisoient leur coôeffure, ne diminuoient rien des charmes qui paroissoient dans leurs visages, malgré le soin qu’elles prenoient de les cacher sous de petits Masques de Venise. Vous pouvez juger de l’agreable surprise où nous fûmes ma Cousine & moy. Nous n’en pouvions attendre qu’une suite heureuse. Aussi ne manqua-t-il rien à cette Avanture de tout ce qui la pouvoit rendre plus divertissante. Ces Masques, suivant la coûtume du Païs, proposerent de joüer un Momon. Ils le mirent mesme sur la Table dans une Boëte aussi galante que magnifique. Je fus la plus hardie de la Compagnie. Je jettay ma Bourse sur la Table pour joüer, & joüay heureusement, soit que la Fortune l’eust ainsi voulu, ou que celuy qui avoit fait le défy eust cherché à perdre. La Boëte fut ouverte, & on trouva dedans une Taupe. C‘est, selon moy, un des plus vilains Animaux qu’on puisse voir. Il ne se cacheroit pas toûjours sous terre, s’il n’estoit convaincu luy-mesme de sa laideur. Mon gain me cousta un Souper. Je le donnay de mon mieux, & ne fust point fâchée de régaler des Gens qui avoient pris tant de soin de nous divertir. En attendant le Souper, on dança des Menüets. Cette belle Troupe avoit amené avec elle six Haubois, qui ne gasteroient assurément aucune des Simphonies où on les voudroit employer. Les Sabots de nos Bergers & de nos Bergeres, qu’un autre apelleroit des Souliers de bois, & qui n’estoient pas moins galans & moins magnifiques que les Souliers de vos Dames les mieux mises, ne les empescherent pas de dançer avec toute la propreté de celles que vous admirez tous les jours dans vostre grande Ville. Il fallut lever le Masque quand on servit le Souper. C’est là que nous vismes des Beautez qu’On ne peut assez loüer. Il sembloit que la Nature eust pris plaisir à faire exprés des Visages pour parer les plus belles Personnes qu’on vit jamais. Je ne vous dis rien de la bonne mine des Bergers. Ils estoient dignes de servir d’escorte à de si aimables Bergeres, & on peut dire avec verité qu’il auroit esté difficile de faire une plus charmante Assemblée. Nostre Repas dura deux heures. Nous dançâmes en suite toute la nuit, & je n’eus d’impatience dans toute cette Feste que de voir arriver le temps de vous l’écrire. Vous voyez, Monsieur, qu’au moins nous vous faisons part de nos plaisirs de la maniere que nous le pouvons, en reconnoissance de ceux que vous nous procurez par vos Ouvrages, & de la bonté particuliere que vous avez bien voulu avoir pour deux Cousines qui sont vos tres, &c.
Lettre XLV §
Lettre XLV.
À Paris.
COmme la moindre faveur merite une reconnoissance, je me trouve engagé à vous faire paroistre la mienne, par l’honneur que je reçois de vostre souvenir. C’est un devoir, Monsieur, dont je m’acquite avec joye. J’avois desiré de vous expliquer de bouche d’estime que j’ay pour vous. Je révere naturellement les Sçavans, & l’amour que j’ay toûjours eu pour l’étude des beaux Arts, m’a porté souvent à chercher accés aupres de ceux dont j’avois longtemps admiré les Ouvrages dans le silence du Cabinet. Quoy que ces Personnes soient des Esprits du premier ordre, avec lesquels la jeunesse où je suis encor semble ne me devoir pas souffrir de commerce, j’ay eu assez de bonheur pour entretenir quelquefois ces Génies éminens, & pour leur témoigner la joye que j’avois d’estre né dans ces heureux temps, où la profondeur de leur érudition & la beauté de leur langage leur ont attiré tanr de loüanges & d’adorateurs. J’aurois eu la mesme curiosité pour Ciceron & pour Demosthenes, si j’avois esté de leur temps, & mon amour n’eust pas esté moindre pour Virgile & pour l’incomparable Homere ; mais je ne me plains point de ma destinée. Nostre âge n’est inférieur en rien aux Siecles passez. Il a porté & porte encor des Hommes aussi fameux que les plus fameux Personnages de l’Italie & de la Gréce ; & n’en connoissons-nous pas, Monsieur, parmy ceux qui ont achevé leur course, & parmy ceux qui vivent encor, qui ont surpassé dans tous les genres d’écrire les plus Celebres d’entre les Orateurs, les Historiens & les Poëtes des temps passez ? Si la Fortune devient favorable à mes desirs, je pourray bien vous querellez un jour en bons termes de ce que vous ne voulez pas que l’on vous exprime par de justes loüanges le plaisir qu’on prend à lire vos Livres. Vous estes ingénieux à divertir l’esprit de vos Lecteurs par cent petites Histoires les plus agreables du monde, & vous ne voulez pas que l’on vous cajole un peu sur l’industrie de vostre Esprit qui a trouvé le moyen de faire sçavoir à tout le monde ce qui se passe par tout le monde.
Je connois de jeunes Demoiselles que leur humeur enjoüée n’a pas empeché de joindre à une vivacité d’esprit merveilleux, une connoissance entiere des beaux Arts, lesquelles sont toûjours tres-curieuses de ces Narrations de Balets & de Divertissemens que vous raportez. Elles disent, Monsieur, que les Provençales ont tiromphé dans leur Mascarade, & qu’il n’y a rien de si galant & de si spirituel. Elles ont lû & relû cet endroit, & elles ont assuré qu’on ne pouvoit trop aimer ces belles Personnes. La Gazette Galante leur a paru encor tres-bien inventée, & elles l’ont admirée plus d’une fois. Le Combat de la Loüange & de la Satire est quelque chose de bien fin, l’invention en est subtile, & quiconque l’aura lû, avouëra avec ces jeunes Demoiselles, que l’Autheur de ce Combat, soit qu’il l’ait donné en attaquant ou pour se defendre, doit estre regardé comme le victorieux & le maistre du champ de Bataille. Je n’aurois jamais fait, Monsieur, si je voulois vous écrire tout le bien qu’elles disent de vostre Mercure, & avec quel empressement elles l’attendent tous les Mois. Ces aimables Personnes m’ont ordonné d’expliquer les Enigmes de l’nziéme Tome. Elles ont crû qu’ayant esté assez heureux pour trouver l’Académie Françoise dans une Enigme, j’aurois encor le mesme bonheur dans les deux dernieres que vous venez de nous proposer. L consequence n’est pas infaillible, mais leur volonté a esté plus forte que mes raisons, & en leur pouvant resister, je me suis mis en chemin pur chercher le Mot de la seconde. Je l’ay je croy trouvé par celuy de l’Enseigne.
Dans la premiere, Monsieur, il me semble que j’y vois briller l’éclat des Fleurs de Lis, & que ce Baston de couleur bleuë qui en est tout parsemé, doit estre un Baston de Mareschal de France, l’objet des vœux de tous les Braves de nos Armées. Le sort de ce Baston est sans doute bien éclatant, puis qu’il est destiné pour estre le prix glorieux des nobles fatigues de nos Héros. Ce Baston est comme un foudre qui donne la Paix à l’Etat, & porte la Guerre aux Etrangers, qui rassure le Royaume, qui donne la terreur aux Ennemis, & fait enfin trembler toute la Terre.
Il faut estre aussi importun que je le suis, pour vous arrester si long-temps par une Lettre ; & il faut estre aussi honneste que vous l’este, Monsieur, pour avoir la patience de la lire. Peut-estre avec tant de paroles n’auray-je rencontré que du vent, sans trouver le Mot ; mais puis que dans vostre Mercure vous me donnez la liberté de vous écrire, j’ay crû que vous ne trouveriez pas mauvais que je m’en servisse, quand ce ne seroit que pour vous assurer que je suis vostre, &c.
Lagrené de Vrilly.
Lettre XLVI §
Lettre XLVI.
À Richelieu.
JE pris dernierement la liberté, Monsieur, les sentimens de nos Dames de Richelieu sur les Enigmes du Mois de Janvier ; mais comme elles en ont fort heureusement découvert le vray sens, & que vous n’en avez pourtant point fait de mention dans vostre dernier Volume, je me suis persuadé pour l’honneur de ces Dames qui ont & de la qualité & de l’esprit, que ma Lettre ne vous a pas esté mise entre les mains, puis que vous paroissez trop exact & torp obligeant, pour ne leur pas rendre la mesme justice que vous avez renduë à tant d’autres, qui n’ont pas eu plus d’esprit & de penétration qu’elles à en découvrir tout le mistere. Cependant comme je n’avois pas réüssy dans le soin que j’avois pris de vous faire sçavoir leur pensée, je les avois priées de choisir un autre que moy pour vous écrire à l’avenir leurs intentions ; mais ces Dames qui n’aiment pas beaucoup l’éclat, & qui se contentent de deviner les Enigmes, sans songer plus loin, se sont servies du pouvoir qu’elles ont sur moy, pour m’obliger à ne pas quiter l’employ qu’elles m’ont donné de leur Secretaire aupres de vous. Je leur obeïs, & pour le faire exactement, je vay vous apprendre de quelle maniere elles expliquent vos deux dernieres Enigmes en Vers, & celle du Tableau de Pandore. Je commence par la premiere. Elles soûtiennent,
Quand on devroit encor les passer sous silence,Que ce qu’on lit au premier Madrigal,Avec raison ne se peut dire en France,Que d’un Baston de Mareschal.Pour la seconde Enigme elle leur a fait si peu de peine, que dés la premiere lecture qu’elles en firent, elles y trouverent un sens que je croy estre le veritable :
Car quoy que l’Autheur en effet,Poiur paroistre obscur se contraigne,Il nous a dépeint un Enseigne,Bien mieux qu’aucun Peintre n’eust fait.Le Tableau de Pandore n’est rien à leur sens que la Pomme qui a produit sur la Terre toutes les Miseres que nous y voyons,
Ou pour mieux m’expliquer c’est la chute de l’HommeQui causa la fatale PommeQu’Eve offrit à son cher Epoux,D’où tout incontinent sortirentLes fâcheux Maux qui les saisirent,Et qui sont venus jusqu’à nous.Et en effet Eve presentant ce malheureux Fruit à Adam dans le Paradis Terrestre, luy donna l’envie d’en goûter, comme Pandore inspira à Epimethée une curiosité semblable, quand elle luy mit entre les mains la Boëte funeste d’où sortirent tous les Maux que les anciens Poëtes ont feint. Car enfin il n’est que trop assuré que ces Anciens-là nous ont fait par cette Fable un Portrait naïf de la chute de l’Homme. Par Pandore ils nous ont representé la Nature humaine dans l’état d’innocence, & sa chute par la curiosité d’Epimethée, qui est le Peché. Ce que Jupiter fit lors qu’il envoya à cet Homme cette Boëte tres-précieuse au dehors, mais où en effet tous les Maux estoient cachez au-dedans ; la Providence Divine l’a fait, quoy que diferamment à l’égard d’Adam qui reçeut d’Evecette malheureuse Pomme qui nous a tous perdus, & qui estant tres-agreable à voir, cachoit neantmoins dans soy toutes les miseres que nous ressentons. La seule diference qu’il y a, c’esr que l’une n’est qu’une fiction, & que l’autre est une realité que nous n’experimentons que trop, & que l’Ecriture Sainte nous oblige de croire.
Mais pour rendre justice aux Personnes qui ont deviné toutes ces enigmes, je vous diray que la premiere l’a esté par Madame de Grand-Pré que vous connoissez. La seconde par Madame de Reveillon que vous ne connoissez pas, & qui est une des plus aimables Personnes du monde ; & la troisiéme par cinq ou six autres Dames, qui toutes vous estiment comme elles doivent, aussi bien que celuy à qui elles ont donné commission de vous en assurer, & qui sera toute sa vie vostre tres, &c.
De Grammont.
Lettre XLVII §
Lettre XLVII.
À Arles.
MOnsieur, Il faudroit que l’Académie Royale fust inspirée de ce mesme Dieu qui a donné son Nom à vostre Livre, pour vous remercier dignement des loüanges qu’il nous a données. Il faudroit avoir son éloquence & sa galanterie pour vous exprimer comme il faut toute nostre reconnoissance. Mais comment remplir nos devoirs en cette rencontre ? La maniere de faire la chose surpasse le bienfait. Vous nous avez fait connoistre à toute l’Europe, avant mesme que nous fussions connus de vous. On dira peut-estre que c’est nostre bonne fortune qui l’a fait, ou pour mieux dire vostre génie bienfaisant, & que c’est luy qui sçait faire quand il veut des Portraits qui passent de bien loin les Originaux. On peut dire encor que vous redressez souvent la Nature, & que vous n’avez pas simplement dit de nous tout ce que nous sommes, mais encor ce que nous devons estre. Qu’on en dise ce qu’on voudra ; que les Oyseaux & les raisonnables ; que les Sçavans & les Envieux s’en entretiennent, il sera toûjours vray de dire que de la mesme main dont vous encensez les Dieux de la Terre, & dont vous avez accoustumé de montrer les Braves & les Héros, vous avez encor dépeint les Académiciens de la Ville d’Arles. On dira que vous les avez comptez entre les miracles de Sa Majesté, & qu’il faut estre Impie ou Libertin pour douter de la verité des Miracles. Quoy qu’il en soit, Monsieur, si nous croyions pouvoir estre aussi heureux en matiere d’Impression que vous l’estes, nous ferons bien-tost connoistre à toute la terre que nous sommes ravis de vous estre obligez, & qu’apres l’alliance de l’Académie Françoise, la protection e Monsieur le Duc de S. Aignan, & les continuelles graces que nous recevons du Roy, nous n’estimerons rien tant que vostre amitié, & que vous voulons toûjours estre vos &c.
Les Académ. De l’A.R. d’A.
Estoublon, Sec. Perp.
Reponse §
Reponse.
MEssieurs, Si le Mercure estoit du prix que vous luy donnez, il seroit bien récompensé par l’obligeante Lettre que vous m’avez fait la grace de m’écrire. Je n’ay point pretendu de remerciëment quand j’ay entretenu le Public de l’Illustre Compagnie dont tous ensemble vous formez le Corps. J’ay cherché seulement à me faire honneur en luy apprenant qu’elle ne m’estoit pas inconnuë. Je diray plus encor, quelque succés que mon Livre eut paru avoir, je suis persuadé qu’on auroit crû que beaucoup des choses y auroient manqué, si on n’y avoit point lû vos Illustres Noms. Les plus éclairez m’auroient sans doute accusé de l’estre peu sur ce qui est le plus digne d’estre estimé, s’ils avoient apris par d’autres, ce que j’aurois negligé de leur apprendre de vous dont le Nom seul peut donner du poids à mon Ouvrages. Cette matiere mesme n’estoit pas difficile à trouver, & quoy que rien ne soit si rare qu’une Assemblée où il y ait autant de merite qu’il s’en rencontre dans la vostre, ce merite est si connu & fait un bruit si éclatant dans le monde, qu’il faudroit n’en estre point du tout pour ignorer que vostre Académie est remplie d’excellens Hommes qui ne cedent en rien en délicatesse & en érudition aux Siecles les plus heureux de l’Antiquité. Ces Illustres Romains de qui vous tirez vostre origine, nous ont laissé avec leurs Esprits fins & polis, un amour pour les belles choses qui vus donne aujourd’huy la preference sur la plûpart des Nations, aussi-bien que la valeur & le courage qui vous ont distinguez dans tous les temps. Il y a bien des Siecles qu’on a reconnu en vous ce que nous admirons aujourd’huy, & les Histoires sont remplies des marques de consideration que vous avez reçeuës de Rome ans son état le plus florissant ; c’est par elles que nous sçavons que dans le temps où elle faisoit paroistre son estime avec un plus entier des-interessement à ceux qu’elle croyoit qui la meritoient, elle a donné à vostre magnifique Ville le Nom de la petite Rome Gauloise. Je ne vous apprendrois rien, quand je vous dirois tout ce que les Autheurs en rapportent ; vous ne l’ignorez pas, & je vous en parle seulement pour vous faire voir que c’est par le témoignage de plusieurs Siecles que je vous connois. Ceux d’Arles se sont rendus fameux dans l’un & dans l’autre Empire, & il vous en reste de glorieux Monumens. Apres cela, Messieurs, vous jugerez bien que je me serois fait grand tort, si je m’estois tû sur les choses que j’ay crû devoir publier de vous ; je vous ay seulement rendu justice, & vous me la rendez en me faisant l’honneur de me croire, Messieurs, Vostre tres, &c.
Lettre XLVIII §
Lettre XLVIII.
À Vendosme.
JE croirois dérober quelque chose à vostre gloire, Monsieur, & à celle d’une Demoiselle des environs de cette Ville qui n’a pas moins d’esprit que de naissance & de beauté, si je souffrois plus longtemps qu’elle vous demeurât inconnuë. Elle lit tous les Mois le Galant Ouvrage que toute la France doit à vos soins ; & au hazard de faire souffrir la modestie qui l’oblige à cacher les talens qui l’élevent au-dessus de la plûpart de celles de son Sexe, je vous envoye un Rondeau qu’elle a fait pour servir d’Explication à vostre premiere Enigme du Mois de Fevrier. Elle a si heureusement deviné toutes les premieres depuis le Trictrac, jusqu’à celle de l’Academie, que je ne doute point qu’elle n’ait également réüssy à l’égard de cette derniere. Elle me sçaura mauvais gré, sans doute, du vol que je luy ay fait de ses Vers ; mais vous luy en avez fourny la matiere par vostre Enigme, & il est juste de vous faire voir une Production où vous avez part.
Lettre XLIX §
Lettre XLIX.
À Fleury.
JE ne sçay pas bien, monsieur, le nom de l’Animal dont on fait les Bufles & les Baudriers, & il n’y a pas lieu de s’en étonner, puis que l’usage en est reservé tout entier à vostre Sexe ; mais il me semble que vostre premiere Enigme du Mois de Fevrier ne doit s’entendre que de cet Animal, soit Cerf, soit Elan, ou Bufle. Il habite dans les Bois. Il doit mourir avant qu’il puisse servir. Quand on l’a tué, on l’apporte à la Ville pour luy donner sa premiere préparation en le lavant, puis une autre en le corroyant. En suite le faisant passer par diférens Ouvriers, il acquiert de Maison en Maison toûjours de nouvelles perfections, jusqu’à ce qu’il ait celles d‘estre en usage parfait de Bufle & de Baudrier. C’est pour lors qu’il est tres-utile à l’Etat, qu’il est desiré d’un chacun à la Cour, mesme de nostre Illustre Monarque, qui se sert si bien d’un Baudrier pour porter l’Epée (digne marque de son Empire) & d’un Bufle pour relever encor cette Majesté toute guerriere si bien séante à Loüis le Grand, & si formidable à ses Ennemis. Enfin tout son usage est pour l’Armée, & quand il est porté par un Homme qui a du cœur, il est la terreur de toute la Terre.
La Solitaire de Fleury.
Lettre L §
Lettre L.
À Troyes.
JE vous envoye, Monsieur, ce que j’ay pensé sur les trois Enigmes que vous proposez dans vostre dernier Mercure. Pandore peut estre la figure du Vin ; Epimethée, celle d’un Homme yvre, comme Noé ou Silene : Et que peut-on entendre autre chose par les maux qui sortent de la Boëte, que les fumées & les chimeres qui montent à la teste d’un Homme qui est enyvré ? La premiere Enigme en Vers me paroist estre un Baston de Mareschal de France ; & la seconde, l’Argent monnoyé, ou les Medailles.
Lettre LI §
Lettre LI.
VOus sçavez, Monsieur, que Mars & les Muses n’ont jamais bien vescu ensemble. Loüis le Grand à qui rien n’est d’impossible, accommode aujourd’huy les fatigues & la fierté de l’un avec le repos & la douceur des autres. Jamais Guerre n’a esté si avantageuse que celle-cy ; Mars & Apollon y trouvent également leur compte, puis qu’elle fait autant de Sçavans que de bons Capitaines. Aussi est-il bien juste qu’à mesure que la gloire de nostre Invincible Monarque augmente, le Ciel fasse naistre des Personnes qui la puissent publier. Pour moy je suis devenu Poëte par une espece de miracle aussi grand que ceux que le Roy fait en Flandres. Il ne vous sera pas difficile, Monsieur, de connoistre que le Sonnet que je vous envoye, est un coup d’essay. Aussi esperay-je que vous ne regarderez pas tant l’art que le sujet qui en fait tout le prix & toute la beauté ; c’est pas là seulement qu’il se peut permettre d’estre inseré dans vostre Mercure, où vous meslez si bien les Actions de valeur avec les avantures de Galanterie, qu’elles surprennent.
Le Jeune Solitaire de
Langon, dans la Province de
Guyenne, à sept lieües de Bor-
deaux, sur le bord de la Ga-
ronne.
Lettre LII §
Lettre LII.
Du Prieuré de Nostre-Dame
de la Charité sur Loire.
PArmy le peu de relâche que m’accorde tres-peu souvent la cruauté d’une goute universelle qui me tient à la torture, je viens, Monsieur, de lire avec beaucoup de plaisir vostre Mois de Fevrier de cette Année, & j’ay tellement esté ravy de l’ingénieuse Description de vostre combat de la Loüange & de la Satire, que j’ay mille fois autant estimé digne de la premiere, cette agreable Production de vostre génie, que son ennemie est odieuse à la Vertu & aux grands Esprits. Le mien, Monsieur, est trop borné pour en rien attendre qui contribuë à vostre éloge. Aussi je ne me hazarderay pas à l’entreprendre. Je vous diray seulement ce que j’ay pensé sur l’Enigme de Pandore. La Boëte qu’elle apporte, signifie la Guerre. Jupiter nous marque un Dieu qui vange la Rebellion de la Nature humaine figurée par la triste Epimethée, qui reçoit cette Boëte de la main de la fausse Divinité. Elle est d’or à l’extérieur ; & pendant qu’elle est fermée par l’Amour & l’union des Peuples, ils ne s’en promettent que des trésors, des avantages, & de la gloire. Mais depuis que la revolte des premiers Hommes eut fait une guerre ouverte aux Volontez du Createur, sa main irrité ne leur a fait naistre que des calamitez, des disgraces, des infortunes, & des malheurs, avec la mort, qui sont les maux qu’on voit sortir de la Boête de Pandore, ou plutst les funestes suites de la Guerre, laquelle en ses préludes se montre d’or, par l’esperance des Palmes, des Lauriers, des Conquestes, des Victoires, des Triomphes, & des Trophées qui animent les Guerriers mais lors qu’elle est ouverte & allumée par les diférentes passions, qui comme le Rideau suspendu & volant au gré des vents en vostre Figure Enigmatique, aveugle leur raison, elle enfante mille maux qui nous sont representez par ceux qui sortent de la Boëte de Pandore.
Lettre LIII §
Lettre LIII.
À Paris.
JE me promenois tantost dans la grande Salle du Palais, & je me promenois fort doucement, car, Monsieur, vous allez voir qu’ïl y a bien de mon adresse. J’ay veu à mes pieds un petit morceau de papier. Comme dans nostre Art il faut faire profit de tout, & chercher toûjours, j’ay fait voltiger en l’air ce morceau de papier avec un petit Souflet que je porte toûjours sous le Manteau. Aussi tost j’ay apperceu qu’il y avoit quelque chose gravé d’un costé, je l’ay ramassé. Or j’avois entendu dire que Monsieur Jean Flamel mourut autre fois, & que quand il fut mort, on luy fit resser une Epitaphe avec des Figures sous lesquelles estoit cachée la Pierre Philosophale ; tellement que qui auroit pû les deviner, l’auroit trouvée. J’ay donc dit, que peut-estre elle seroit cachée sous ces Figures-cy aussi bien que sous les autres. Je les ay regardées, considerées, & examinées. D’abord j’ay reconnu Pandore à sa beauté : c’est nostre Art, la belle Chymie. Je me suis veu dans Epimethée, car, Monsieur, que d’obligations j’ay à la Fortune, & qu’on est heureux, quand on doit l’estre : Il me ressembloit comme deux gouttes d’eau. Courage, mon Esprit, courage, luy ay-je dit, voilà la Chymie ; me voilà, il ne nous manque plus que la Pierre philosophale. Elle sera sans doute dans cette Boëte, dans cette Boëte bien-heureuse. Qu’ay-je fait ? J’ay pris mon Souflet des deux mains, j’ay souflé dans la Boëte de toute ma force, & aussitost la Boëte s’est renversée. À la verité j’ay ressenty dans ce mesme moment-là de grands mots par tout le corps ; mais n’importe, j’ay relevé la Boëte, & en mesme temps (car, Monsieur, on n’a point les beaux Secrets sans peine) il en est sorty une fumée épouvantable. J’ay regardé dedans, j’y ay veu l’espérance, & voilà la Pierre Philosophale que le Chymiste a trouvée.
Lettre LIV §
Lettre LIV.
À Troyes.
JE voudrois, Monsieur, que vous puissiez estre témoin de ce qui se passe tous les Mois dans une belle Compagnie de cette Ville, lors qu’on y apporte vostre Mercure. Vous verriez dans le même temps tout ce que l’empressement, la joye, & le chagrin peuvent produire. Chacun veut le premier regarder l’endroit qui le touche. L’un veut apprendre s’il a deviné l’Enigme du Mois precedent, & si son nom est dans le Mercure. L’autre cherche celles que vous donnez de nouveau à expliquer, pour avoir l’avantage d’estre le premier à le faire. D’autres veulent chanter les Chansons, d’autre lire les Histoires, & d’autres examiner les Tailles-douces. Les Curieux de Nouvelles se jettent avec le dernier empressement sur les Articles de Guerre. Chacun demande à la fois ce que le Volume contient, avant qu’aucun en soit éclaircy ; & ceux qui n’y trouvent point ou les Ouvrages qu’ils vous ont envoyez, ou leurs noms pour avoir deviné les Enigmes, divertissent toute la Compagnie par leur chagrin. Enfin, Monsieur, tout ce qui se passe en un quart d’heure, est si réjoüissant pour ceux qui s’attachent à le considerer, qu’il m’est impossible de vous en faire une peinture qui en puisse approcher. Il faut avoûer que l’occupation que donne le Mercure est utile de plus d’une maniere. Le temps qu’on employe à le lire, à faire des reflexions sur les Articles qu’il contient, à deviner les Enigmes, & à travailler à quelques petits Ouvrages dignes d’y estre placez, occupe si agreablement celuy qu’on employeroit au jeu, à la médisance, & peut-estre mesme à la débauche, qu’on ne sçauroit assez exagerer l’obligation que toute la France a au Mercure, puis qu’il ne nous fait pas suelement passer les heures avec plaisir, mais encor qu’il nous donne lieu d’acquerir de l’Esprit. Il nous apprend toûjours quelque chose que nous ignorions, & est cause que nous sommes instruits en peu de temps de ce que les autres n’ont souvent appris qu’en beaucoup d’années. Sçavez-vous bien comment cela se fait, Monsieur ? C‘est que chacun disant son sentiment sur les Enigmes en figures, ne les cite que pleines d’érudition, & des morceaux d’Histoires ; & que les Avis de plusieurs habiles Gens dits en mesme temps, apprennent tout d’un coup ce qui leur a cousté beaucoup de veilles. Ne vous imaginez pas que toutes ces loüanges soient sans interest ; on ne les done au Mercure que vous exciter à continuer un Ouvrage qui produit tant de bons effets, & à nous donner l’Extraordinaire, où nous esperons voir bien des Gens de nostre Ville. Nous croyons qu’il nous fera connoistre tous les beaux Esprits de France ; nous entendons les beaux Esprits Cavaliers qui ne se meslent pas ordinairement d’écrire, & qui ne se font point imprimer, car ceux de profession sont assez connus. Vous devez sçavoir le fort & le foible de l’Esprit des premiers mieux que personne du monde ; c’est à vous qu’ils se confient, vous en sçavez la foiblesse & l’étenduë, comme un Directeur sçait le fort & le foible d’une conscience. Si pour vous animer à travailler, il ne reste plus qu’à vous féliciter sur le grand debit de vostre Livre, je vous puis dire que vous avez contentement sur cet Article, & que monsieur Malbert Directeur des Postes de Champagne nous disoit dernierement que le Mercure grossissoit tous les ordinaires la Masle du Courrier qui vient en cette Province. Plaignez vous aprés cela, Monsieur ; mais je ne croy pas que vous soyez si injuste que d’accuser le Siecle de mauvais goust. Je suis persuadé du contraire, & que vous ne refuserez pas de me faire la grace de croire vostre tres, &c.
Lettre LV §
Lettre LV.
De Châlons en Champagne.
LE hazard m’ayant fait tomber aujourd’huy entre les mains le dernier Tome du Mercure Galant, je l’ay ouvert, Monsieur, avec une extréme curiosité. Je suis tombé heureusement sur les noms de ceux qui s’estoient meslez d’expliquer les ingénieuses Enigmes du Volume de Janvier, où parmy une sçavante multitude, j’ay remarqué avec plaisir qu’un bel Esprit de Troyes & un venérable Chanoine de Rheims, avoient eu assez d’assurance pour prendre la liberté de vous écrire, & de vous envoyer ce qu’ils avoient pensé de ces admirables Enigmes. J’ay achevé de lire la Page entiere ; j’ay retourné le feüillet avec un empressement sans pareil les Pages suivantes qui traitent du mesme sujet, dans l’espérance que j’avois d’y remarquer quelque galant Homme de Châlons ; mais helas, ç’a esté en vain que j’ay cherché, je n’y ay trouvé personne, & dés ce moment j’ay senty mon cœur brûler d’une noble envie de faire connoistre que mon Païs où regne avec admiration toute la galanterie de Champagne, ne vouloit rien ceder à ces deux fameuses Villes dans l’art d’expliquer des Enigmes. Je me suis appliqué un bon quart-d’heure à la lecture des deux Enigmes de Fevrier, où enfin j’ay trouvé deux Mots que je ne puis me dispenser de vous envoyer, dans l’espérance que vous serez assez charitable pour les placer dans vostre Extraordinaire du 15. Avril. Une Ville toute entiere vous en aura obligation. Vostre charmant Mercure qu’on n’y voit que rarement, se trouvera par tout. Quantité de beaux Esprits qui ne s’éveillent qu’avec le temps vous envoyeront souvent de rares Productions, & moy que vous connoistrez par le nom du Petit Medecin, je seray eternellement l’admirateur de vostre style enjoüé, & le plus humble de vos Serviteurs,
Le Petit Medecin.
Les deux Mots que je croy estre ceux de vos Enigmes, sont le Baston de Mareschal de France, & la Lettre.
Lettre LVI §
Lettre LVI.
À Paris.
JE croy que la Guerre, l’Ambition, le Procés, & l’Indigence, peuvent estre la source de toutes sortes de maux. Si le détail n’en estoit point trop long, ou plutost si j’en pouvois trouver la fin, je ferois voir qu’il n’y en a point au monde qui ne soient sortis & qui ne sortent tous les jours de ce que je viens de nommer ; & comme l’Amour produit tres-souvent ces quatre choses, on peut justement dire que tous les maux du monde viennent de luy, qu’il est renfermé dans la Boëte de Pandore, & qu’ainsi le mot de l’Enigme est l’Amour. Ce fut luy qui alluma entre les Grecs & les Troyens cette Guerre dont le feu ne s’éteignit que dans l’embrasement de Troye. Ce fut luy qui arma les Sabins contre Rome naissante, & qui troublant le repos de la Republique Romaine, fit devenir publique la querelle particuliere de César & d’Antoine. C’est luy qui n’étant pas ordinairement satisfait d’une dépense, si elle n’est outrée, dissipe les plus puissans heritages, & cause par là une indigence & des Procés qui engendrent mille autres maux. C’est l’Amour qui met souvent des desordres dans les Familles, & le Barreau retentit tous les jours des plaintes qu’on fait contre luy. Je ne diray point que le desir de plaire à une Maistresse qu’il fait naistre dans le cœur d’un Amant, excite dans ce mesme cœur une ambition de s’élever pour en estre plus favorablement reçeu, qui fait souvent répandre du sang sans qu’on sçache le sujet qui le fait verser. Pourquoy dirois-je toutes ces choses ? On les sçait, puis que les Histoires en sont remplies. Il n’est donc pas necessaire que je grossisse cette Lettre, pour prouver que l’Amour est le Mot de l’Enigme de Pandore, & il ne me reste plus qu’à vous assurer que je suis vostre, &c.
De Roux.
Lettre LVII §
Lettre LVII.
À Caën.
VOus avez déja veu, Monsieur, des Ouvrages de Mr Couture de Caën ; & l’explication de l’Enigme dont le mot estoit le premier Jour de l’Année, que je vous adressay, & que vous avez mise dans le Mercure qui a precedé celuy-cy, m’est un témoignage convaincant que vous estimez ce bel Esprit. Cela estant, je m’assure que vous ne trouverez pas mauvais que je vous fasse part d’une Lettre qu’il a écrite à une Dame de la premiere qualité de Basse Normandie, où il fait voir l’estime qu’il a pour tout ce que vous donnez au Public, & explique les trois Enigmes de vostre dernier Tome. Cela est admirable en luy, qu’estant encor fort jeune, il gouste parfaitement les bonnes choses, & possede quasi toutes les Langues de l’Europe. Je souhaiterois avoir la sienne, Monsieur, pour vous exprimer combien en mon particulier je vous suis redevable des bonnes heures que vos Livres me font passer.
Du ***
JE ne sçay, Madame, si vous avez remarqué que l’Autheur du Mercure Galant suit si ponctuellement l’ordre des Saisons, qu’on ne peut pas dire qu’il laisse échaper lam oindre occasion de paroistre le meilleur Oeconome du monde. Dans son dernier Mercure par exemple il nous avoit donné l’Ecran pour Enigme. Estoit-il rien qui fust plus de saison ? Il y avoit ajoûté l’Académie Françoise, veritable modele de toutes les agreables Assemblées qui se faisoient dans le temps du Carnaval. Il est vray que pour les jours gras il auroit pû nous servir quelque mourceau plus friand en soy qu’un Coq ; mais la belle Madame la Marquise de Leinville de qui il le tenoit, donnoit un grand relief à ce Mets. Pour moy qui ne me pique point d’une délicatesse si raffinée, j’avoüe que la maniere dont il estoit appresté, me l’a fait trouver fort à mon goust.
Je ne m’accommode pas si bien de ce qu’il nous présente dans celuy-cy. La premiere Enigme, si je ne me trompe, est la Feüille de Papier, qui figure la maigreur, la pâleur, & la secheresse des Visages de ce temps-cy. La seconde est la Pique, qui sert d’autant plus utilement le Roy dans ses Armées, qu’elle tombe en de meilleures mains, & qui porte cette marque de l’Empire de France, que le fer est taillé en Fleur de Lys. Cette armure ne convient-elle pas encor fort bien au commencement de cette glorieuse Campagne ? Pour ce qui est de l’Enigme en figure, c’est bien un autre Baston que la Pique. C’est le Carême. Cette belle Dame qui fait un présent si précieux, mais si contraire à la santé, nous figure l’Eglise qui l’impose aux Hommes representez par Epimethée pour les punir de leurs crimes. Toutes ces maladies qui sortent en foule de cette Boëte, font voir assez clairement les diférentes indispositions que causent les viandes de Carême. S’il n’est pas tout-à-fait selon la verité, que ce soit de là qu’elles naissent, du moins pouvons-nous dire qu’il n’est pas contre les sentimens communs.
Demandez à la jeune Iris,Qu’est devenu ce teint de Roses & de Lys,D’où luy vient ce visage blême ;La jeune Iris vous répondra,J’en suis en une peine extréme ;Mais qu’est-ce que l’on y fera ?C’est le Carême.Je ne m’en trouve pas mieux que cette belle Personne, & Mr N*** l’Hypocrate de nostre Village, ne raisonne pas autrement qu’elle. Vous ne connoissez que trop la suffisance affectée de l’Homme ; mais, Madame, voicy ce qui vous fera voir le caractere du Genie dans son naturel. Je luy disois ce matin que je me trouvois fort mal depuis cinq ou six jours ; que j’avois une inflâmation de poitrine qui m’exerçoit étrangement ; & que enfin l’on pouvoit raisonner avec luy de la cause de ces sortes d’indispositions.
Pline, Hipocrate & Galien,M’a-t-il dit, dans leur temps, la connurent fort bien ;Sur tout Galien dit en l’Article septiéme,Que la cause des Fluxions,Des Fiévres, de la Toux, des Inflammations,C’est le Caresme.N’est-il pas vray, Madame, que cette citation est fort à propos, & fort bien placée, & que s’il rencontroit toûjours aussi heureusement, il ne guériroit pas moins de monde par ses bons mots, que par ses mauvaises Ordonnances ? Pour moy, j’avoüe que celuy-cy m’a déchargé la rate sans le secours de l’Apoticaire. Ainsi voulant pousser la conversation plus loin, je me suis encor plain d’un furieux mal de teste qui m’interdisoit jusqu’à la moindre application. Luy me voyant un Livre entre les mains, m’a demandé quel il estoit, & si je pouvois faire une pareille lecture, sans m’appliquer. C’est, luy ay-je répondu, le Mercure Galant. J’y cherche le sens d’une Enigme. Les autres endroits de cet Ouvrage, sont plus capables de délasser l’esprit, mais cette Enigme est d’une toute autre nature. J’avois deviné celles des Tomes précedens, mais franchement je me rends à celle-cy. Il faut, Madame, rendre justice à mon Medecin. Son grand esprit dans cette rencontre a infiniment servy au peu que vous m’avez tant de fois dit que j’en ay. Comme donc en poursuivant mes plaintes je luy disois, je suis dans une appréhension mortelle que mon mal n’ait quelque mauvaise suite, j’épouve déja que
L’Esprit se sent des foiblesses du Corps,Monsieur, je n’avois de ma vieFait en vain de si grands efforts.De quelque longue maladieNe serois-je point menacé ?Monsieur, m’a-t-il dit tout de mesme,N’en soyez point embarassé,C’est le Caresme.Ce c’est le Caresme, m’a semblé si juste en cet endroit de nostre entretien, que j’ay fait une plus particuliere reflexion sur le Tableau de Pandore, & qu’enfin graces à Mr. N. j’ay trouvé sans beaucoup de peine ce que je vous en écris. Je pourrois encor y ajoûter que l’esperance qui demeura seule au fond de la Boête, represente admirablement bien celle qui nous reste de voir bientost la fin d’une saison si fâcheuse aux malades comme moy, & de recouvrir ce qu’elle nous a fait perdre d’enbonpoint. Vous voyez, Madame, que je suis redevable de mes lumieres à un Aveugle, & que s’il eust mieux raisonné, je n’aurois peut-estre pas si bien deviné. J’en suis fort reconnoissant ; car enfin, de conter cela pour rien, c’est à mon avis ne connoistre pas le prix des choses. Je vous prie, Madame, quand vous serez de retour à la Campagne, de le féliciter nommément là-dessus, & de me croire avec tout l’attachement possible, vostre tres, &c.
Couture.
Lettre LVIII §
Lettre LVIII.
À Coutance.
NOus venons enfin, Monsieur, de recevoir le Tome du Mercure, où vous nous avez si obligeamment placez. Nostre Societé de Coutance m’ordonne de vous en faire de tres-humbles remercîmens, & Mr le Président de Pierreville a prié Mr l’Abbé de la Roque son Beaufrere qui est à Paris, de vous en faire les complimens. Nostre Compagnie, Monsieur, est encor médiocre, mais l’honneur que vous luy faites, ne manquera pas de contribuer à son augmentation, & la maniere dont vous en parlez, nous engage à ne vous pas laisser ignorer quelles sortes de Personnes la composent. Je vay vous en dire seulement les noms : Mr le Président de Pierreville ; Mr l’Abbé de la Mothe, Chanoine & Archidiacre du Cotantin ; Mr l’Abbé des Viviers, Aumônier du Roy ; Mr Corbet, Chanoine & principal du College, (Mr le Président de l’Isle qui est mort depuis un mois, avoit sa place apres ces Messieurs, comme ils m’ont fait la grace de me la donner apres ;) Mr de Vandôme Conseiller du Roy au Présidial ; Mr de la Fevrerie ; Mr Langevin, Professeur de Philosophie ; Mr de S. André, Docteur en Medecine, Autheur des Entretiens sur l’Acide & sur l’Alkali, Mr le Vavasseur, Prestre ; & Mr du Bosc, Professeur. Ce seroit trop à dérober à vos continuelles occupations, que de vous faire le portrait de ces Messieurs. Je vous diray seulement que Mr de la Ferrerie, dont le bel esprit est icy estimé, fit ces jours passez les trois Pieces que je vous envoye. Si vous les trouvez dignes d’entrer dans le Mercure, il vous en envoyera de semblables de temps en temps, sans parler de celles que ces autres Messieurs vous préparent. J’y joints une Fable que je viens de faire à l’imitation de celles de vos derniers Tomes, & croyois y mettre une autre sorte de Conte intitulé les Amans malheureux, mais il est de plus de trois cens Vers, & il vous faut des Pieces plus courtes. Je grossis d’ailleurs ce Paquet d’un Cahier de Refléxions que vous me permettrez, Monsieur, de vous presenter. Je ne sçaurois plus desavoüer qu’elles soient de moy, mes Amis en ayant reconnu le stile & les lettres de mon nom à la vingtiéme Page. Je me dispose à en faire faire la seconde édition, qui sera augmentée de plus de la moitié. Elles furent examinées à une de nos Conférence où il n’y avoit point de Discours, car quelques-uns de ces Messieurs n’en ont point encor fait. Voicy les Sujets de ceux qui ont esté prononcez. Les Sciences renduës illustres par les soins du Roy ; L’Eloge de l’Histoire de France ; La maniere de bien employer le temps ; Quel caractere d’esprit doit avoir un Académicien ; Le Triomphe de l’Eloquence, de la Raison & de l’Expérience, de la Beauté & de la Diformité, de la Jeunesse & de la Vieillesse. On espere, Monsieur, mettre au premier jour Monsieur de Servigny, Fils de Monsieur de Pontrilly Président au Présidial, à la place de Monsieur de l’Isle Président des Elûs, ce jeune Gentilhomme estant au mesme rang dans le Catalogue qu’estoit cet Illustre Mort. Je suis vostre, &c.
Masseville.
Monsieur le Président de Pierreville aura sans-doute de la joye de voir ce que je viens de lire dans vostre dernier Volume, de Monsieur Miromesnil, qui est Frere de Madame la Présidente sa Femme.
Fragment d’une lettre du Païs de Maine §
Fragment d’une Lettre du Païs
du Maine.
J’Ay bien de diférentes pensées sur vostre Plance de Vénus & de Vulcain. Je me contenteray de vous en dire une au hazard. Je me persuade que c’est la constance ou la fermeté d’esprit & de courage figurée par ce Bastiment solide, & dont la base est angulaire. Ce Soldat debout appuyé sur son Bouclier d’une main, & sur sa Pique de l’autre, est une marque de stabilité, ne pouvant vaciler de costé ny d’autre. Cette Vénus dans sa molesse, est dans une posture stable. Si elle estoit pourtant entierement couchée, l’on ne pourroit pas la renverser ; alors elle seroit plus ferme ; mais en l’état qu’elle est, elle ne peut pas tomber de haut, estant assise contre terre. Il n’y a que ce pauvre petit Aveugle à plaindre, dont les armes sont renversées, & qui me paroist foible ; c’est pourquoy il est obligé de chercher à tastons un Baston pour s’appuyer. Vous voyez de quelle maniere il tend les bras. S’il pouvoit attraper ce gros Homme qui tient un Maillet, il auroit un bon appuy ; car y a-t-il Rocher plus ferme que cet Homme ? Il voit une Divinité en état de toucher les choses insensibles, qui a épuisé le carquois de l’Amour pour le fléchir ; cependant il demeure ferme, & veut mesme avec son Maillet émousser & écraser toutes les Fleches qu’on peut darder contre luy. Voila, Monsieur, une de mes imaginations. Elle ne vous est pas expliquée en termes choisis, mais ce défaut est pardonnable à une Fille qui ne cherche qu’à vous dire ce qu’elle pense, & qui est vostre tres, &c.
Sans vous Je n’aime rien.
Lettre LX §
Avoüez, Monsieur, que ces Explications sont fort agreablement tournées, pour une Personne du sexe de Mademoiselle Loyseau, qui ne fait que commencer à noüer commerce avec les Muses. Voicy un Madrigal qui vous fera juger de son mérite. Il luy a esté envoyé depuis quelques jours par un galant Homme qui en est fort touché.
Soyez, charmante Iris, plus traitable, ou plus fiere,Augmentez vos bontez, ou vostre humeur severe,Et declarez par là si je dois espererDe ne plus un jour endurer,Cet aveu sera le remedeDu tendre amour qui me possede.Que dis-je, le remede ? Et je voudrois guérirDes maux que peut causer une flamme si belle ?Non, mon cœur, c’est un crime, on ne peut trop souffrir.Quand Iris deviendroit mille fois plus cruelle,Plutost que vostre amour change jamais pour elle,Apprenez qu’il vaut mieux mourir.
Lettre LXI §
Lettre LXI.
À Sedan.
VOstre Mercure, Monsieur, est fourny d’une si agreable diversité de Nouvelles, que tout le monde, de quelque âge, sexe, ou condition qu’il soit, le cherche avec empressement, & le lit avec une avidité inoüye, & j’en voy plusieurs qui souhaiteroient qu’on fist travailler incessamment à un nouveau Calendrier qui nous mist une trentaine de Mois dans l’Année, afin que l’on vist plus souvent un nouveau Tome de vostre façon. Cela ne vous paroistra pas hors d’apparence à l’égard du beau Sexe pour qui vous travaillez principalement ; mais vous aurez quelque peine à croire que des Barbons & des Sçavans du plus gros calibre, ayent appris dans vos Préfaces avec des transports de joye, qu’il y aura tous les trois Mois un Extraordinaire du Mercure, sans préjudice des Volumes qui sont destinez à chaque Mois. C’est pourtant une verité, Monsieur. Je connois dans cette Frontiere quelques Personnes herissées de Science, & enfoncées dans l’étude de la profonde Erudition, qui sont ravies de ce nouveau Suplément, & qui voudroient voir toutes les Semaines un de vos Mercures, avoüant de bonne foy que jamais délassement d’Esprit n’a esté preparé avec tant de délicatesse que celuy que vous leur préparez sans y penser, car ils s’imaginent que vous ne travaillez que pour les beaux Esprits, du nombre desquels on a toûjours banny ces Gens qui se guindent vers les Sciences de l’autre monde. Comme j’ay quelque habitude avec eux, ils m’ont chargé de vous assurer de leur reconnoissance, & quoy qu’on dise ordinairement que l’on est obligé qu’à ceux qui nous ont eu en veuë quand ils ont fait quelque chose dont nous avons sçeu tirer du profit, ils soûtiennent neantmoins qu’ils vous sont extrémement redevables, puis que vostre travail leur sert d’une agreable & utile recreation. Je dis utile, Monsieur ; car ceux au nom de qui je vous parle, sont encor si retranchez au dela du monde, quoy que vostre Livre les ait humanisez en quelque façon, qu’ils content pour bagatelle le bel Esprit, à moins qu’il soit accompagné de quelque solidité scientifique ; de sorte que si vostre Mercure ne faisoit que les divertir, ils croiroient faire tort à leur gravité, s’ils vous faisoient faire leurs complimens : mais à cause des instructions qu’ils y trouvent sur plusieurs choses qui sont du ressort des Sciences, ils croyent qu’il est indispensablement de leur devoir de vous témoigner leur gratitude. C‘est à vous, Monsieur, à juger du prix de ce compliment. Vous faites des refléxions si judicieuses sur les choses qui vous passent par les mains, que ce seroit une extréme temerité à moy de vouloir vous faire prendre garde au merveilleux effet de vos Livres, & aux éloges qu’ils tirent des Gens mesme du Païs Latin, tous infatuez qu’ils sont de l’ancienne Rome, & de la doctrine des Universitez. Si vous croyez, Monsieur, que cette espece d’Hommes qui se veut servir de moy pour vous assurer de l’estime que l’on fait parmy eux de la maniere dont vous parlez de toutes choses, & du caractere d’honneste Homme, & de l’Esprit du monde qu’ils remarquent également dans vos Ouvrages, mérite quelque considération, vous n’aurez qu’à continuer sur le pied que vous avez commencé. Vous sçavez si bien deviner ce que le Lecteur doit demander qu’on luy éclaircisse, qu’il suffit que vostre Dame continuë à vous proposer ses difficultez, ou que vous les préveniez dans l’occasion mesme, comme vous le faites souvent. Je suis chargé de vous dire de la part de nos Docteurs, qu’ils vous remercient, 1. De ce que vous instruisez le Public de plusieurs Points d’érudition que les Gens du monde ne viendroient jamais chercher dans leurs Livres, à cause qu’ils manquent des ornemens dont vous assisonnez vostre Mercure ; d’où il arrive que la Science se répand dans la plus belle partie du monde à la faveur d’une si charmante Compagnie, ce qui n’arriveroit jamais par leur moyen, quelque peine qu’ils se donnent pour étendre les bornes de la Republique des Lettres. 2. Ils vous remercient de ce que vous les instruisez eux-mesmes dep lusieurs choses qu’ils ont oubliées, où qu’ils n’ont jamais rencontrées dans leur immense Lecteur. L’un avoit oublié l’étymologie de l’Obelisque, & la diférence de la Pyramide, & sa destination originaire. Il ne songeoit à rien moins qu’à chercher tout cela dans ses Livres, lors que vous luy en avez épargné la necessité. Un autre n’avoit jamais bien sçeu ce que c’est que l’Acte de Resumpte, ny les Ceremonies de la Reception d’un Duc & Pair au Parlement. Un troisiéme n’avoit pas le loisir de lire la longue Dissertation du P. Bouhours sur la Devise, & moins encor le gros Livre du P. le Moine sur le mesme sujet. Il a pû neantmoins apprendre en lisant trois de vos Pages ce qu’il y a de plus essentiel dans cet Art-là. Au reste, Monsieur, il y a un de nos Sçavans à qui vous avez donné une extréme envie de connoistre les circonstances personnelles de ceux qui font du bruit dans le monde. Il ne trouve rien de plus beau que de sçavoir en lisant le Mercure, qu’un Tel & un Tel sont d’une telle Maison, & c’est pour cela qu’il en est l’idolâtre. Sa curiosité, & celle de quelques-uns de ses Confreres, va jusqu’à souhaiter qu’on luy dise la Province d’où sont les Familles, & il se donna mille peines l’autre jour pour avérer si Messieurs de Valbelle sont Provençaux, ce qu’il ne voyoit pas assez clairement par tout ce que vous rapportez de curieux sur leur Maison. Je croy, Monsieur, qu’il vous sera facile de satisfaire toûjours en cela, comme vous le faites tres-souvent, ceux qui souhaitent de connoistre la Patrie des grands Hommes, soit dans les Armes, soit dans les Lettres ; car vous sçavez bien qu’il y a eu toûjours une grande émulation là-dessus entre les Nations & les Provinces, & que les Autheurs se batent souvent pour justifier la naissance de quelque Personne dans tel ou tel Lieu, parce que plusieurs Viles ou Provinces se la veulent attribuer.
Dés que je me vis engagé à vous écrire, je m’avisay de chercher quelqu’un qui expliquast vos Enigmes du Mois de Fevrier, & je crûs qu’il pourroit bien y avoir assez d’Esprit à Sedan pour cela, puis que je voy par vostre Mercure que des Villes qui ne sont pas plus celebres vous fournissent quantité d’Explications. Je n’ay trouvé personne qui ait pû mordre à la Figure énigmatique, mais j’en ay trouvé qui croyent que la premiere Enigme en Vers est un Baston de Mareschal de France, ils m’ont assez satisfait dans la maniere dont ils y appliquent tous les Vers. Ils ont voulu en faire autant de la seconde sur une Lettre, mais ils ne trouvoient pas leur conte, mesme selon leur goust ; ainsi je ne voudrois pas garantir leurs sens. Je vous demande mille pardons, Monsieur, de ce que j’ose vous adresser une si longue Lettre, pendant que de toutes parts on vous en envoye de si jolies, & que vous n’avez pas trop de vostre temps pour lire toute cette affluence de bonnes Pieces, & pour mettre en œuvre les diférens matéreaux de vostre Livre. Faites-moy la justice de croire que je suis un de ceux qui le lisent avec autant de plaisir pour un Ouvrage si utile au Public, & si glorieux à la France, que d’estime pour vostre Personne ; & que sans connoistre mon nom, vous avez en moy un tres, &c.
Lettre LXIII §
Lettre LXIII.
Du Païs du Maine,
Ce 6. Mars 1678.
JE suis, Monsieur, fort surprise, qu’apres vous avoir toûjours entendu parler dans vos Lettres à l’avantage du beau Sexe, vous ayez voulu en tracer une aussi funeste Image que celle que vous nous proposez sur vostre Enigme de Pandore. Si le temps de penitence où nous sommes, ne vous servoit d’excuse, j’aurois bien de la peine à vous le pardonner. Je veux croire que ce que vous en faites n’est que pour nous faire rentrer en nous-mesmes. Les Cendres que nous avons prises au commencement du Caresme, nous avoient assez humiliées, sans vostre Tableau, qui n’a pas produit à mon égard tout l’effet que vous en avez pû attendre. Il m’a fait faire des refléxions, qui loin de m’humilier, augmentent l’estime que j’avois déja de moy-mesme, & me font connoistre combien nostre Sexe vaut mieux que le vostre. Elles m’ont fait voir que Dieu dans la Création du Monde avoit fait tous ses Ouvrages de bien en mieux, & qu’ainsi la Femme ayant esté le dernier qu’il ait fait, il doit estre estimé le plus parfait : aussi l’avoit-il formé d’une matiere animée, & dans le lieu de delices. Vous direz bien que Dieu a formé l’Homme de la bouë, mais je vous défie de dire le lieu. Il faut donc que vous demeuriez d’accord que la Femme est plus parfaite que l’Homme. Elle merite bien vostre estime, puis que Dieu mesme l’a tant estimée, que de choisir une si noble matiere & un lieu si agreable pour la produire, comme son chef-d’œuvre. Ne vous lassez point, je vous prie, de la loüer, & ne vous arrestez plus à nous mettre devant les yeux une Pandore. Vostre pensée est subtile, & vous estes adroit, car vous voulez dire que c’est la Femme, pour ensuite tirer cette fâcheuse conséquence ; donc il faut mépriser le beau Sexe (c’est ainsi que vous l’appellez) puis que de la femme sont sortis tous les maux. C’est à mon sens aller un peu viste. Est-ce que dans vostre propre pensée les Hommes ne font pas un bien ? À vostre avis, d’où vient l’Homme ? ne vient-il pas de la Femme ? Et l’Homme estant l’abregé de tout ce qu’il y a de bien dans la Nature, tous les biens viennent donc de la Femme. Je ne voy point de repartie. Relevez vostre estime pour le beau Sexe. Cependant je dis que le Mot de vostre Enigme est la Femme figurée par Pandore. Vous la suposez dans le Paradis Terrestre, parce que Pandore estant assise, est dans un état de repos, & le repos est la marque du Paradis. Je ne veux pas dire que ce soit par malice que vous employez la Figure de cette Déesse à nous representer le Serpent qui séduit la Femme. Ce Vase nous fait entendre le Fruit défendu, duquel l’Homme ayant mangé, tous les maux ont suivy, comme le travail, les maladies, & tous les pechez. Aussi estoit-il, à ce que vous dites, defendu à Pandore d’ouvrir sa Boëte, de laquelle sortent tous les maux, comme le Rapt, representé par cette petite Figure enlevée ; le Vol par cette Figure aislée ; la Concupiscence et les ardeurs de la Fievre, figurée par ces fumées & par ce demy corps.
Pour vos deux Enigmes en Vers, le Mot de la premiere me paroist estre le Baston de Mareschal de France, & celuy de la seconde, une Enseigne. Le sens y vient si naturellement, qu’elles n’ont point besoin d’explication. J’espere aller bientost à Paris, où je vous demanderay une heure d’audience pour celle qui ne prendra point jusque-là d’autre nom en vous écrivant, que celuy de
Sans vous je n’aime rien.
Lettre LXIV §
Lettre LXIV.
À Paris.
LE Printemps est encor si peu avancé, qu’il commence à peine de nous donner des Fleurs. Cependant, Monsieur, voicy un Fruit précoce que je vous envoye. C’est un Air composé par une aimable & jeune Personne qui n’en avoit point encor fait. L’illustre Monsieur Sicard vous est connu. L’aimable Personne dont je vous parle est sa Fille, & je croy qu’il ne vous faut rien de plus pour vous persuadez de ce qu’elle sçait déja dans la Musique. Son merite ne se borne pas à ce seul talent, & j’ay à vous apprendre qu’elle chante, qu’elle jouë du Lut, de la Viole & du Clavessin, qu’elle est bien faite, & que tout cela se peut dire d’elle sans qu’on se rende suspect de flaterie. Les Vers qui suivent dont ceux qu’elle a choisis pour faire son coup d’essay.
L’Aimable Flore est de retour,Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, L’aimable Flore est de retour, doit regarder la page 391.Les Jeux, les Zephirs & l’AmourAnnoncent les douceurs de la Saison nouvelle.Le Printemps regne dans ces lieux,Mais helas ! je n’en suis pas mieux,Puis qu’Iris m’est toûjours cruelle.Ces Paroles meriteroient par elles mesmes d’avoir place dans vostre Mercure, & je ne doute point que vous ne les y fassiez paroistre notées avec plaisir, apres ce que je viens de vous dire de l’Admirable Mademoiselle Sicard. Adieu, Monsieur, vous voulez bien que je continuë à me conserver la qualité que j’ay prise d’abord avec vous de vostre tres-invisible Servante.
Lettre LXV §
Lettre LXV.
IL faut, Monsieur, qu’à vous qui nous apprenez tout, je vous apprenne une chose qu’il y a grande apparence que vous ignorez. Les deux Lettres d’Apollon & de l’Amour à la jeune Iris, dont vous ne nous avez point nommé l’Autheur, & que vous avez mises dans vostre dernier Volume de l’Année 1677. sont de Monsieur de Fontenelle. Nous y avions remarqué un tour de Poësie aisé & galant qui nous avoit persuadez que celuy qui les avoit faites avoit de grandes habitudes sur le Parnasse, & il m’est tombé une Lettre entre les mains qui m’a heureusement fait trouver ce que je cherchois. Je vous l’envoye, parce qu’elle vous fera connoistre que malgré la Guerre vostre Mercure Galant est leu par tout. Cette Lettre est de Monsieur de S. Aman, qui pour un Hollandois parle assez bien nostre Langue pour meriter que vous l’écoutiez. Il fit amitié avec Monsieur de Fontenelle pendant quelques mois de sejour qu’il fut obligé de faire à Roüen pour ses affaires. Ils ont entretenu commerce depuis ce temps-là, & voicy ce qu’il luy a écrit ces derniers jours.
J’avois déja lû, Monsieur, vos deux Lettres en Vers d’Apollon & de l’Amour, lors que vous me les avez envoyées, car nous avons icy le Mercure Galant tous les Mois. À vous dire le vray, je vous trouve un peu Coquet, & il semble que veüillez me faire entendre que ce Troupeau de vos Amis, dispersé en diverses Parties de l’Europe, n’est que trop-bien remplacé par ces yeux si bien fendus, par ce beau teint & par cette taille si bien prise. Seroit-ce tout de bon que vous seriez entesté, & voudriez vous essayer de faire entrer dans vos Vers un peu de ce certain caractere doux & aisé dont l’Amour se vante dans sa Lettre à Iris ? À la bonne heure, mais aussi souvenez-vous que
Vous ne ferez jamais de Piece réguliere,Si ce petit Broüillon vous inspire vos Vers.En effet s’il vous arrive jamais d’estre amoureux, vous ne ferez rien moins que des Vers amoureux, puis que la Poësie n’est qu’une feinte, & que l’on conteste la qualité de Poëte à un des plus beaux Génies de l’Antiquité, parce qu’il a dit des veritez, & qu’il rapporte les choses dans les déguiser. Ce n’est pas pourtant que je voulusse vous faire peur de l’Amour, mais vous me paroissez d’une certaine humeur à sacrifier & Amis & Amitié aux pieds d’une Maistresse. Vous meritez bien que je vous parle comme je fais, pour vous punir ce que vous me traitez de Batave. Je ne vous le cele point, vous m’avez fâché, & si je ne craignois point de vous faire un affront plus grand que celuy que vous m’avez fait, je vous appellerois Normand deux ou trois bonnes fois de suite. Cependant ce n’est pas tant vostre reproche qui m’a fâché que la peine qu’il m’a donéne, car j’avois lû vos Vers dans le Mercure, j’en avois avec la plus grande tranquilité du monde, admiré la pureté & le génie, j’estois ravy de vous voir si bien soutenir le caractere d’Apollon & de l’Amour ; mais apres avoir reçeu vostre injurieuse Lettre, j’ay esté forcé de vous faire voir qu’une oreille Batave est aussi délicate qu’une Françoise. Il a donc fallu vous critiquer, & Dieu sçait quelle peine ce m’a esté. D’abord je vous diray que quelque haute opinion que j’aye de vos Vers, je n’ay point balancé à leur preferer ceux de la Belle, & sa réponse ou son jugement que j’ay lû dans le Mercure. Je n’ay rien veu de plus juste ny de plus joly que ces deux petits Ouvrages, & je ne sçay à quoy je ne les prefererois pas. La belle veine que celle qui les a produits ! je vous trouve plus heureux d’en avoir fait la découverte, que ceux qui ont les premiers trouvé les riches veines du Potose. Pour ce qui est du Compliment d’Apollon, il me semble qu’il se fait par tout trop connoistre pour le Maistre de la Maison, & que le Dieu du Parnasse auroit pû salüer céte Etrangere qui abordoit à son Costeau d’une maniere un peu plus civile, & sans luy faire sentir si souvent chez moy que les Personnes qui se meslent de sçavoir vivre ont tant de soin d’éviter. Je croy aussi que vous vous faites tort de croire que vostre Belle ne sçache pas encor le nom d’Amour, & que vous ne luy faites pas moins de tort à elle même. Comme le dépit m’a inspiré cette Critique, j’en ay un tres-grand, de ne pas trouver la moindre chose à critiquer dans les Vers de l’Amour, & de vous laisser passer aussi vostre Sonnet d’Apollon & de Daphné sans vous reprocher autre chose que ce qu’on reproche à Virgile à l’égard de Didon, qui est que vous scandalisez la chasteté de Daphné qui passe pour autant Nymphe de bien qu’il y en ait eu dans la Chrestienté de son temps. J’ay encor cent choses à vous dire, & le Papier est tout prest de me manquer. N’avez vous rien entre les mains qui soit digne de vous ? car je n’imagine jamais que vous vous borniez à ces petites Pieces Galantes, vous devenez déja grand, il y a long-temps que vous nous dites, Afflabor majore Deo, & cependant vous n’en faites rien. C’est maintenant qu’il faut monter sur vos grands Chevaux ; En verité vous perdez quelque chose de ne m’avoir pas aupres de vous, je vous servirois du moins à vous haster d’aller. Je suis vostre, &c.
S. Aman.
À la Haye, le
15. de Mars.
Voila, Monsieur, une Lettre qui justifie ce que je vous dis. Mettez toûjours dans vostre Mercure des Pieces de cette force, quoy que vous n’en connoissez pas les Autheurs, & vous le ferez toûjours souhaiter. C’est l’avis que vous donne vostre tres, &c.
Lettre LXVI §
Lettre LXVI.
D’Ars en l’Isle de Ré, le
3. Avril 1678.
QUoy que vostre Mercure, Monsieur, fasse bruit dans toute l’Europe, vous auriez de la peine à croire que l’Isle de Ré si éloignée du monde & de la politesse, pust en faite ses delices, si je ne vous assurois pas que je suis le moindre de ceux qui en admirent tous les jours les beautez, & qui souffrent de cette modestie cruelle qui impose silence à ceux qui vous veulent rendre justice. J’espere m’en plaindre plus amplement un de ces jours, en vous envoyant quelques pensées qui ont esté conçeuës sur les bords d’une Mer sauvage, & je me contente aujourd’huy de vous faire part de celles qui me sont venuës sur les deux Enigmes du Mois de Février, dont l’une, si je ne me trompe, est le Baston de Mareschal de France, & l’autre, l’Enseigne d’une Maison. Voicy, Monsieur, comme j’explique la premiere.
C’est un baston, n’en doutez pas,Mais un Baston de conséquence,Et dont éprouvent la puissanceL’Allemage & les Païs-Bas.En veut-on sçavoir davantage ?C’est un baston de MareschalQui ne fait jamais plus de malQu’entre les mains d’un Homme sage.J’explique la seconde de cette sorte.
L’Enseigne souffre tout ainsi que le Papier,Elle montre son double visage.On l’expose aux Passans pour en tirer usage,En sortant de chez l’Ouvrier.Sans cette cruauté ce seroit pitié d’elle,Elle perdroit jusqu’à son nom,Qui nous sert de marque fidelleQuand nous cherchons une Maison.Je sçay, Monsieur, que je me presente un peu tard, grace à mon peu d’habitude avec le monde, & à la Mer qui m’environne ; mais cecy n’estant qu’un jeu d’Esprit, la perte n’en sera pas grande ny pour vous ny pour moy, qui suis vostre, &c.
De L’Isle, Subdelegué de
Monsieur l’Intendant de la
Province en l’Isle de Ré.
Lettre LXVII §
Lettre LXVII.
À Bruxelles le 4. d’Avril, 1678.
Le nom de cette ville commence par un B. comme vous sçavez, & le mien aussi, comme vous ne sçavez point ; c’est pourquoy je me sers de deux ou trois de ces caracteres pour signer mes Lettres, & non pas pour prendre la qualité de bel Esprit de Bruxelles, comme vous semblez le croire, par ce que vous dites de moy dans vostre Mercure du Mois de Fevrier. Dieu me garde, Monsieur, d’une semblable pensée. Je vous avoüe que la vostre m’a fait rougir à quarante ou cinquante lieuës de ma honte, pour ainsi dire. Je ne laisse point pourtant de vous escrire encor mes conjectures sur vos Enigmes, & si c’est un peu tard, vous n’en devez pas estre surpris. Je suis dans un lieu où je ne reçois point vos Livres plutost. Je dis donc, Monsieur, que les deux dernieres que vous nous avez proposées, ne peuvent signifier autre chose que les Bastons de vos Mareschaux de France, & les Enseignes de nos Boutiques, & je ne crois point qu’il soit nécessaire d’en mettre icy l’Explication ; car enfin, si je devine bien, elle seroit inutile ; & si je devine mal, elle seroit fausse. Au reste, je voudrois bien que la sterilité naturelle & les desordres accidentels de ce Païs-cy ne m’empeschassent point de vous envoyer quelque Ouvrage ou quelque Histoire agreable pour mettre dans vos Mercures ; car apres tout, il est ennuyeux que je traite toûjours un mesme Sujet, & d’autant plus, Monsieur, que vous ne voulez point qu’on le diversifie avec vos loüanges. Il est certain pourtant que vous en meritez une infinité, & ce n’est point sans peine que j’en demeure là, & que je finis si promptement, en vous assurant que je suis vostre tres, &c. B.B.B.
Il faut encor que vous sçachiez que nous avons icy un Résident d’un grand Roy du Nort, qui a deviné aussi vos dernieres Enigmes à Livre ouvert, & cela vous soit dit, pour vous faire connoistre que vos Mercures donnent du plaisir à toutes sortes de Nations étudient vos Mercures.
Lettre LXVIII §
Lettre LXVIII.
À Paris.
TRois jeunes Personnes de diferentes Provinces s’estant réünies icy par un heureux sort, ont pris un extréme plaisir à lire le Mercure. Elles se sentent si obligées à l’Autheur du divertissement qu’il leur donne, qu’elles ne sçauroient s’empescher de l’en remercier. Elles le prient de ne se point lasser d’y mettre plusieurs Avantures galantes, & de continuer les Enigmes qui sont si spirituelles & qui exercent si bien l’esprit des jeunes Gens. Si nous n’avions pas esté si paresseuses, nous luy aurions envoyé l’Explication de celle de Janvier que nous avions treuvée fort juste. Je ne sçay si nous aurons aussi bien réüssi dans celle qu’il nous vient de donner, mais il nous paroist que la premiere qui commence par Dans les Forests j’ay pris naissance, doit estre un Mousquet. À nostre sens tout s’y rapporte, mais nostre Lettre seroit trop longue, si nous l’expliquions mot à mot. Pour la seconde, nous ne croyons point nous tromper, en disant que ce sont les Lettres que l’on envoye par la Poste, qui sont écrites de tous costez, & qui contiennent ce que l’on y veut mettre de bien & de mal, &c. & qui reçoivent toutes les impressions de Cachets que l’on y imprime. Voila, galant Mercure, la pensée des trois jolies Provinciales qui pourront quelque jour vous faire voir une production de leur Societé. Nous nous soûmettons à vostre censure, & nous sommes de tres-bonne foy vos tres-obligées Servantes.
Lettre LXIX §
Lettre LXIX.
À Dinan en Bretagne.
ON a si grande envie en nos Quartiers d’avoir un Baston de Mareschal deFrance, qu’en pensant à la difficulté qu’il y a de l’obtenir, j’ay crû ne deviner pas mal, en vous disant que la premiere Enigme de vostre Mercure du Mois de Fevrier, ne signifie rien autre chose. Je sçauray, Monsieur, par le Volume que vous nous promettez, si j’auray bien rencontré. Il y a beaucoup de parys pour & contre, & il m’en coustera cinquante Loüis, si je n’ay pas trouvé le vray mot. Ne nous faites point languir sur céte Explication. Puis que nous voyons que vous insérez des Chansons & de petits Ouvrages dans vostre Mercure, j’ay fait naistre l’envie à quelques-uns de nos Sçavans de vous en envoyer. Vous y verrez aussi d’assez jolies Avantures. Je suis vostre très, &c.
Boulanger.
Depuis ma Lettre écrite nous avons fait un autre pary sur la seconde Enigme du Mercure de Fevrier, qui commence par Je porte ce qu’on veut. C’est du Métal, de l’Or, ou de l’Argent monnoyé. Enfin on soûtient que c’est de la Monnoye. J’en suis pour mes cent Loüis, si ce n’est ny l’un ny l’autre de ce que j’ay dit sur les deux Enigmes.
Lettre LXX §
Lettre LXX.
JE voy, Monsieur, par vos Mercures Galans, qu’on ne s’est pas si échauffé sur le sujet des Enigmes dans les autres provinces, comme on a fait en celle d’Angoulmois, puis qu’on en est venu à faire des gageures, comme vous le verrez par la Lettre que l’on m’écrit. Voyez, Monsieur, ce que le hazard fait. Je suis une Femme qui à peine sçais comme il faut parler, & je me trouve dans la mesme pensée que les spirituelles Ecolieres d’Apollonius. S’il n’y avoit point trop de temerité à moy, je vous dirois que si vous vouliez faire une Enigme sur le Nuage, je suis persuadée que vous auriez peine à vous empescher de vous servir des mesmes termes dont vous vous estes servy pour parler de l’Armée des Conféderez. Je croy aussi, Monsieur, que les Dames de la Campagne vous doivent estre fort obligées. Vous ne les divertissez pas seulement par vostre Mercure Galant, mais vous les rendez spirituelles & sçavantes. Nous autres pauvres Campagnardes, nous estions assez satisfaites lors que nous sçavions bien parler de nostre ménage, & nous croyions que tout finissoit dans nostre Enclos. Mais les Conquestes du Roy que nous apprenons plus particulierement par vous, nous font connoistre que le Monde est grand. J’ay voulu, Monsieur, vous en marquer en mon particulier ma reconnoissance, en vous apprenant une subtilité d’une jeune Demoiselle de qualité agreable & spirituelle, qui se trouva obligée d’épouser un Officier de *** extrémement vieux, & qui avoit de grands Garçons. Le bon Homme commença à l’instruire, comme Agnés le fut autrefois par son Mary. Elle l’écouta avec attention, & tméoigna vouloir suivre toutes ses leçons. Elle aimoit le Bal & la Comédie, en un mot elle n’estoit pas ennemie des divertissemens qui luy paroissoient innocens. Elle ne vouloit pas aussi fâcher son Mary. Elle se résolut de se coucher à neuf heures, qui estoit l’heure de son vieil Epoux. Elle l’entretenoit des choses les plus agreables qu’elle pouvoit s’imaginer, jusqu’à ce qu’elle l’eust bien endormy. Si-tost qu’elle s’en pouvoit tenir assurée par ses ronflemens, elle se levoit doucement d’aupres de luy ; & afin qu’il eust toûjours de la chaleur de son costé, elle faisoit coucher sa Demoiselle en sa place, & de peur que le bruit du Carosse n’éveillast le bon Homme, on mettoit des Matelas depuis la Remise du Carosse jusqu’à la Porte de la Ruë, & on les laissoit là jusqu’à son retour qu’elle revenoit prendre sa place dans son Lit. Le matin son Mary la voyant dormir de bon somme, se levoit tout doucement à son tour, pour ne la pas éveiller, & s’en alloit au Palais. Ses Enfans prenoient ce temps-là pour luy apprendre les divertissemens de sa Femme. Le Vieillard qui se ressouvenoit des Histoires qu’elle luy avoit faites le soir, & du plaisir qu’il avoit pris le matin à la voir dormir, accusoit ses Enfans d’estre des Calomniateurs, & disoit que de la maniere qu’ils luy assuroient la chose, ils le luy feroient croire, s’il n’estoit pas assuré de l’avoir euë à ses costez toute la nuit ; plus ils juroient, plus il croyoit leurs femmes diaboliques, & protestoit qu’il ne les croiroit jamais en aucune chose. Ils avoient beau s’offrir à luy donner des témoins irréprochables de ce qu’ils luy contoient. À cela le Pere répondoit qu’il s’en croyoit mieux que personne, & ne voulut plus les voir ny les écouter. Mais il est temps de vous faire voir ce qu’on m’écrit sur la gageure que j’ay perduë. Voicy la Lettre.
J’Ay enfin reçeu le Mercure Galant des Mois de Decembre & Janvier, & je vous l’envoye, Madame, plutost pour contribuer quelque chose à vostre divertissement, que pour vous faire faire voir la Décision de nostre Gageure. Vous la trouverez dans le premier de ces deux Tomes, avec l’Eloge que vous fait l’Autheur dans les loüanges qu’il donne aux spirituelles Ecolieres d’Apollonius qui avoient eu la mesme pensée que vous sur le sujet de l’Enigme dont vous cherchiez le Mot. J’avouë, Madame, que j’ay l’esprit aussi épais que le Nuage par lequel vous avez prétendu l’expliquer, puis que je n’ay jamais pû concevoir qu’il y eust beaucoup de raport entre l’un & l’autre, encor que vostre sentiment se soit trouvé conforme à celuy de Personnes tres-éclairées, & qu’il ait en l’approbation d’un Juge si compétant. Apres cela, quoy que vous n’ayez pas entierement touché le but, comme il y a bien plus d’avantage pour vous que pour moy en cette occasion, j’espere, Madame, que vous me regalerez sans chagrin du Mercure Galant pendant le temps dont nous sommes convenus, & que vous vous consolerez aisément de n’avoir pas gagné sur tout lors que vous aprendrez que vous n’avez pû estre vaincuë que par toute l’Armée des Confederez, qui apres avoir fait seulement du bruit jusques icy, a enfin produit ce bon effet en ma faveur ; & comme c’est un secours que je ne me suis pas procué, & que je n’avois pas mesme préveu, je consens, Madame, que vous disiez si vous le voulez que je suis plus heureux que sage, pourveu que vous me fassiez l’honneur de me croire autant qu’on le peut estre, vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur.
Proche Verteüil en Angoumois.
Vous voyez, Monsieur, par cette Lettre, ce que vostre Mercure fait dans nos Provinces. Tout le monde y trouve un agreable délassement d’esprit, & moy plus que personne, qui suis vostre tres-humble Servante.
Lettre LXXI §
Lettre LXXI.
À Paris.
JE ne doute point, Monsieur, que vous n’estimiez assez l’Eglogue que je vous envoye, pour luy donner place, ou dans vostre Mercure du Mois, ou dans l’Extraordinaire que vous nous faites esperer. C’est une Traduction, ou plutost une Imitation de celle de Virgile qui commence par Formosus Pastor Corydon. Monsieur Desmay qui en est l’Autheur, a choisy seulement ce qui luy a semblé le plus propre à son sujet, & le plus capable des beautez de nostre Langue. Il m’en a confié une Copie dont je vous fais part, sans l’en consulter ; car il n’est jamais content de luy-mesme, & il est toûjours le dernier à estre persuadé du merite de ses Ouvrages. Outre ceux de cette nature, que nous avons déja veus de luy, il a donné au Public une premiere Partie de l’Esope du temps, & nous en promet une seconde. Ce sont des Fables fort agreablement moralisées, & enrichies de Figures selon leur divers sujets. Je ne vous dis rien de la maniere aisée dont il sçait tourner les Vers. Vous n’avez qu’à lire pour le connoistre.
Eglogue.
Tirsis, qui d’une amour extrémeAimoit la jeune Iris, & l’aimoit sans espoir,Ne faisoit son bonheur suprémeQue du seul plaisir de la voir.Toûjours l’esprit troublé de confuses pensées,Et le cœur déchiré de son cruel amour,Dans un Bois solitaire il erroit nuit & jour,Et de ces plaintes insenséesFatiguoit vainement les Echos d’alentour.Veux-tu me fuir toûjours, dy-moy, cruelle Iris,Et ne finir jamais tes injustes mépris ?Quand je chante en ces Bois un Air à ta loüange,Nos Bergeres me le font mille fois répeter,Et toy par un caprice étrange,Tu ne peux une fois seulement l’écouter.C‘est en vain qu’à tes yeux je soûpire & je pleure.Mes soûpirs & mes pleurs ne peuvent t’attendrir.Je ne veux seulement que te voir & soufrir,Tu me fuis, & tu veux, Barbare, que je meureMaintenant que tous nos Troupeaux,Que l’ardeur du Soleil brûle en ces vastes Plaines,Cherchent ou l’ombre des Ormeaux,Ou l’eau fraische de nos Fontaines,Je démesle tes pas au milieu de nos Champs ;Et pour mieux t’exprimer ma peine sans égale,Du fond de ces Buissons l’importune Cigale,Joint ses cris enroüez à mes tristes accens.Ne valoit-il pas mieux de l’ingrate SylvieSoufrir les superbes dédains ?La gloire de l’avoir servie,Malgré ses mépris inhumains,Auroit assez payé la perte de ma vie,La brillante noirceur dont son visage est peint,Egale en ses attraits la blancheur de ton teint.Pour estre blonde, Iris, n’en fais point tant la fiere.Qu’est-ce enfin qu’une Blonde ? une Fleur printanniere,Dont les vives couleurs éclatent peu de jours.Mais la Brune est semblable aux bonnes Violetes,De qui le sombre éclat sous les fraisches herbetes,Dans toutes les Saisons dure & brille toûjours.Lors que panché sur le rivageJe considere mon visage,Si le brillant cristal de l’eauRend de tous les Objets une image fidelle,Je ne suis point si laid ; Daphnis qui fait le beau,Sur moy, sans vanité, n’auroit nul avantage,Iris, je m’en rapporte à toy,Daphné est-il plus beau que moy ?Quand nos Troupeaux meslez boivent à la Fontaine,J’ay beau t’offrir mes vœux, te conter mes ennuis,Daignes-tu me répondre ? helas ! belle Inhumaine,Tu ne demandes pas seulement qui je suis.Ces Coteaux toûjours verds, cette fertile PlaineMe nourit tous les jours mille Bestes à laine,Dont chacune me donne au Printemps un Agneau.Ny l’Esté, ny l’Hyver, les Meres ne tarissent,Et toûjours elles me fournissentLeurs mesures de Lait nouveau.Les Chansons que je veux te dire,Autrefois Amphion les chantoit sur sa LyreLors qu’il assembloit ses Troupeaux ;Et qui ne sçait dans nos HameauxQue nostre grand Berger, nostre invincible Alcandre,Assure que je puis, seul contre tous, prétendreAu premier prix des Chalumeaux ?Si l’amour dont l’ardeur tient mon ame asservie,J’eust sous une Cabane engagée avec moy,Qu’il eust rendu mon sort digne d’envie !J’eusse parqué mes Troupeaux avec toy,Et nous eussions tous deux chassé de compagnie.Quelque heureux que puisse estre un Roy,Il deviendroit jaloux d’une si douce vie.Viens voir au son de mon HautboisMes Agneaux bondir sur l’herbete,Et par les doux accens de ta charmante voix,Surpassant les accords de ma douce Musete,Reviens imiter Pan quand il chante dans nos Bois.Ce Dieu fut le premier qui sur la mole cire,Arrangeant de fresles roseaux,Chanta son amoureux martyre,Quand Syrinx le fuyant, se plongea dans les eaux.C’est de luy que vient l’art de faireDes Flustes & des Chalumeaux.Enfin c’est le Dieu tutelaireEt des Bergers & des Troupeaux.Ta bouche feroit honte à la Rose nouvelle ;Mais crois-tu, vaine Iris, qu’elle seroit moins belle,Pour la fouler un peu du bout d’un Flageolet ?Aminte est belle ; mais pour prendreDes leçons du docte Sylvandre,Qu’est-ce qu’Aminte n’a pas fait ?Si tu ne veux point ma Musette,Prens ma Flute à sept chalumeaux.C’est un don qu’en mourant me fit le vieux Damete,Apres m’avoir chargé du soin de ses Troupeaux.Hier au fond d’une affreuse Vallée,Et mesme au peril de mes jours,Par mille dangereux détoursJ’allay prendre deux Faons à la peau tanelée.Ce beau couple tarit tous les jours deux Brébis,Je te le garde, belle Iris ;Mais Doris qui me le demande,Doris, tu la connois, l’importune Doris,Pourroit bien l’obtenir ; Iris, je l’apprehende,Puis que pour mes présens tu n’as que du mépris.Enfin je te revoy ; les Nymphes empresséesApportent à tes pieds des Corbeilles de Fleurs :Voy Flore s’alarmer que leurs vives couleurs.Par les lys de ton sein soient si-tost effacées.Pourquoy m’embarasser d’inutiles pensées ?La belle Iris pourra me voir d’un œil moins fier,Si je joins mes présens avec ce qu’on luy donne.Hastons-nous de luy faire une double CouronneDe ce Myrthe & de ce Laurier.Mais ces Couples de Bœufs à ces Hameaux voisinsDéja remenent leurs CharruësÀ leur cou poudreux suspenduës,Et d’un leger sillon retracent leurs chemins.Les noires ombres de ces PinsDéja dans ces Prez étenduësVont s’effacer avec le jour,Le repos va regner dans toute la Nature,Mais helas, mon cruel amourN’accorde point de tréve au tourment que j’endure.Prens, Tyrsis, des desseins nouveaux,Reconnois quelle est ta folie.Quoy, ne pas oublier l’Ingrate qui t’oublie ?Quand tes Seps négligez rampent sous tes Ormeaux,Que tes Fruits étoufez sous des herbes sterilesPourrissent sur tes Arbrisseaux,Tu pers un temps si cher en plaintes inutiles.Cultive tes Vergers, & conduis tes Troupeaux,Et puis qu’Iris te hait, que ton amour la gesne,Que la Cruelle vive au gré de son désir ;Si Doris est moins belle, elle est moins inhumaine,Et Doris de t’aimer fera tout son plaisir.Je croy, Monsieur, que la lecture de cette Eglogue suffira pour vous persuader que Mr Desmay ne fait rien qui ne soit digne d’estre veu par tout. Je vous l’abandonne pour la placer où vous le jugerez à propos, & suis vostre, &c.
Lettre LXXII §
Lettre LXXII.
VOus avez extrêmement plû, Monsieur, dans tous les Tomes du Mercure qui ont precedé celuy de Février ; cependant il faut avoüer qu’il n’en a point encor paru qui vous ait plus attiré de loüanges que ce dernier. Il n’y a rien qui n’y soit capable de divertir ce jeune & incomparable Prince dont il porte l’auguste Nom au Frontispice. Cet Eloge, Monsieur, est sans-doute le plus grand Panegyrique qu’on puisse faire de vostre Livre, & il suffit de dire qu’il peut plaire à Monseigneur le Dauphin, pour faire croire qu’il doit estre generalement approuvé. Aussi ne connois-je personne qui n’ait admiré tout ce qu’Il renferme. La Gazette Galante a esté trouvée tres-spirituelle & tres-bien imaginée. L’Histoire de la Belle morte d’Amour, a touché les cœurs les plus durs & les plus insensibles, et le Combat de la Satire & de la Loüange, a donné tant de plaisir à tous vos Lecteurs, qu’il est impossible de l’exprimer. Dés que le Mercure a commencé de paroistre, l’exemple qu’il a donné de parler de tout le monde obligeamment, a sçeu si bien affoiblir les Troupes de la Satire, & depuis un an il a tant fait passer de Deserteurs dans l’Armée de la Loüange, qu’on n’a point esté surpris de voir cette derniere, victorieuse de son Ennemie. Apres le divertissement que l’on a pris à ce Combat, on est venu aux Enigmes. Je vous jure qu’elles ont bien donné de l’exercice à tous ceux qui nt voulu entreprendre de les deviner. Pour moy je ne sçay si j’auray réüssy. Vous allez voir en peu de mots ce qui en est. J’explique celle qui est en figure, par le peché de nos premiers Parens, qui a esté la seule & la veritable origine de tous les maux qui se sont répandus depuis sur la terre ; & ce qui favorise cette Explication, c’est que les Payens, selon le témoignage de Pausanias, ont crû que Pandore avoit esté la premiere Femme du monde. Pour les deux Enigmes en Vers, je ne doute point que la premiere ne signifie un Baston de Mareschal de France. Un peu de resverie me l’a fait aisément trouver. Il n’en a pas esté de mesme de la seconde. Elle m’a paru tres-obscure, & je croy qu’il y a peu de Gens qui ayent sçeu découvrir le veritable sens qu’elle renferme. Celuy d’Enseigne que je luy donne, a semblé fort raisonnable à des Personnes dont le discernement me persuade que j’auray bien deviné : car des deux costez d’une Enseigne l’on peut representer toutes les choses dont il est parlé aux huit permiers Vers ; & pour les suivans, ils conviennent si bien à cette Explication, qu’il n’est pas besoin de m’y étendre. Je suis, &c.
L. S. D. D. D. S.
Lettre LXXIII §
Lettre LXXIII.
COmme la réputation du Mercure Galant s’augmente tous les jours parmy le beau monde, & que la plus grande partie des Curieux ne content plus les Mois & les Années que par les Tomes de vostre Livre, je ne sçay, Monsieur, si vous trouveriez lieu de m’accorder quelques feüilles de Papier perdu dans celuy du Mois courant, pour y mettre quelques Vers qui ne déplairont peut-estre pas aux Personnes de bon goust. J’ay pensé que les premiers Mois de l’Année seroient trop dignement rmeplis par le grand nombre d’Etrennes, par le Depart du Roy, & par l’Ouverture de la Campagne, qui sont des matieres assez amples & assez belles pour grossir vos Lettres, & rehausser la gloire de nostre invincible Monarque, qui malgré la rigueur des Saisons, suit la Vctoire par des chemins si secrets & si peu battus, qu’ils nous sont aussi incompréhensibles qu’à nos Ennemis. C’est pourquoy je n’ay pas voulu me hazarder de mettre au jour de plus foibles productions dans un temps dont les momens estiment si précieux & si dignes d’estre bien ménagez : mais à present que Sa Majesté a pris deux des plus importantes Places de la Flandre, & que les Fleurs du rintemps qui font l’ornement & la beauté de nos Parterres, ne sont pas encor toutes venuës, la rareté en faisant le prix, j’espere que vous ne désagrérez pas celles que je vous presente, & je me persuade que les joignant avec vostre adresse accoûtumée à beaucoup d’autres qui vous seront offertes de tous costez, ce juste enchaînement & cet agreable mélange en relevant l’éclat & la vivacité, les rendra de bonne odeur aux Esprits les plus fins. Je vous seray tres obligé de la peine que vous prendrez de le faire ; & si vous souhaittez connoistre celuy qui vous en assure, je ne seray pas fâché de vous dire que je suis vostre, &c.
Hebert de Rocmont.
Lettre LXXIV §
Lettre LXXIV.
À Paris.
PUis que j’ay esté assez bon Devin pour trouver le Mot des Enigmes du dernier Mercure ; souffrez, Monsieur, que je vous dise ceux que crois estre cachez sous celles que vous venez de nous proposer.
Cette Malheureuse qui est exposée nuit & jour, aux rigueurs des Saisons, qui porte tout ce qu’on veut luy faire porter, & qui se fait chercher avec soin, ne peut estre autre chose que l’Enseigne. L’application y vient. Pour ce qui est de vôtre Enigme en figures, j’ay pensé que ce pouvoit estre le Mariage. La figure d’Epimethée, qui malgré les bons avis de Promethée son Frere, malgré même les defenses qu’il luy avoit faites de recevoir jamais aucun présent de Jupiter, ne sçauroit s’empescher d’accepter la Boëte que la belle Pandore luy offre de sa part, ny de l’ouvrir dans le mesme temps qu’il la reçoit, represente assez bien celle d’un Amant, qui estant épris d’une jeune Beauté qu’il adore, veut se rendre le seul maistre de son cœur en l’épousant, sans écouter ny la voix du Sang & de la Nature qui l’appelle ailleurs, ny les sages conseils de ses plus particuliers Amis, qui tâchent de le détourner d’un engagement dont il ne connoit pas toutes les suites. Enfin si l’on ne voit sortir de la Boëte de Pandore que de la fumée, & quantité de maux qui se répandent en suite sur la terre, ne peut-on pas dire aussi que le plus grand amour passe souvent, ou du moins qu’il manque rarement de se rallentir apres quelques années de Sacrement ? C’est un grand feu qui s’éteint, & qui ne laisse apres luy qu’un peu de fumée pour marque qu’il a esté. Cet Amant qui paroissoit si passionné, n’est plus qu’un Mary qui n’a presque que de l’indifference & de la froideur. À peine cette délicieuse Boëte, enchantée de l’Amour, est-elle ouverte, qu’il se repent de l’avoir reçeuë. Il en voit sortir ce qu’il ne sçauroit souffrir, & ce qui souvent doit estre la cause de tous ses malheurs. N’est-ce pas la plainte qu’en faisoit autrefois chez le Poête ce Pere infortuné dont les Enfans n’attendoient que la mort ? Je me suis marié, disoit-il, Ah Dieux ! quelles miseres n’ay je point trouvées dans le Mariage ? J’ay eu des Enfans ; quelles inquiétudes, quels chagrins ne m’ont-ils point donnez ?
Que dites-vous, Monsieur, d’un Pere dans cet état ? Ne vous semble-t-il pas autant à plaindre que le malheureux Epimethée, puis que, pour toute consolation, il ne luy reste que la triste esperance ou de voir finir bientost ses malheurs avec sa vie, ou de recouvrer un jour sa premiere liberté par la mort de celle qui a causé son engagement. Voila, Monseur, ce que je me suis imaginé en jettant les yeux sur Epimethée & sur Pandore. Un Souffleur d’Alquimie auroit crû sans-doute trouver la Pierre Philosophale sous ces Figures. Pour moy qui ne le suis pas, & qui me moque de ces Souffleurs, je croirois plutost que ce seroit la Chymie. Elle ne promet que des merveilles, & plusieurs beaux Secrets. Pandore la represente tres-bien. Epimethée qui ouvre la Boête pour voir ce qui est dedans, qui n’y trouve que de la fumée, & toutes sortes de maux, & qui peut à peine retenir l’esperance qui est aux fonds, c’est le Chymiste qui a assez de curiosité & de presomption pour chercher & pour esperer toûjours de trouver la Pierre Philosophale, qui souffle incessamment dans son Fourneau, qui se ruine & qui se trouve accablé de miseres dans ce maudit Mestier ; enfin dont tous les travaux, dont tous les secrets tournent & s’évanoüissent en fumée.
Au moins, Monsieur, si je n’ay pas trouvé le veritable Mot de cette Enigme, il me restera aussi-bien qu’à Epimethée, l’esperance de trouver mieux une autre fois. Mais le papier m’avertit qu’il y a déja long-temps que je vous entretiens, & je ne vous ay point encor parlé de la Demoiselle de la ruë de Moussy, qui m’a bien donné charge de vous remercier de sa part, & de vous témoigner qu’elle est fort sensible à l’honnesteté que vous avez euë de la faire paroistre dans le monde sous le nom d’une fort agreable Demoiselle. Quoy qu’elle ait quelque chose de plus ; que sa beauté, sa taille, & son air, soient admirables ; qu’elle ait mille charmes répandus sur sa Personne, & que toutes ses manieres soient enchantées, elle a de la peine à vouloir paroistre tout ce qu’elle est ; & la grande modestie qui l’accompagne toûjours, marque assez qu’elle n’a pas moins d’esprit que de beauté. Vous avez pû le reconnoistre par l’Enigme qu’elle avoit devinée le Mois passé ; mais celle qu’elle a devinée ce Mois-cy achevera de vous en convaincre aussi-bien que de sa civilité, puis qu’elle m’a ordonné de vous envoyer pour marque de sa reconnoissance, le Baston de Mareschal de France. Je voudrois avoir un aussi beau présent à vous faire, pour vous témoigner la mienne ; & je me repens à présent de ne vous avoir pas offert la Pierre Philosophale. Je suis vostre tres, &c.
Des Bois,
Avocat au Parlement.
Lettre LXXV §
Lettre LXXV.
DEux ou trois Personnes qui ne parlent guére sans persuader ce qu’elles veulent, me conseillent de vous envoyer, en imitant d’honnestes Gens, quelques Vers de ma façon, ou du moins de vous écrire quelque Lettre. Cependant j’aurois encor laissé tout cet honneur à de meilleurs Ecrivains que moy, si ces mesmes Personnes ne m’avoient enfin commandé de leur servir aujourd’huy de Secretaire. Ce sont les trois Demoiselles, Monsieur, qui vous ont écrit ces derniers Mois, & qui pour se deguiser & donner le change aux Lecteurs, ne vous feroient plus entendre qu’elles sont des environs ou de Blois, ou de Nantes, ou d’Angoulesme, si elles estoient assurées qu’en se faisant connoître à vous, leurs Voisins ne sçauroient pas qu’elles se mettent du rang des beaux Esprits, en vous donnant de leurs nouvelles comme elles font quelquefois. Bien que j’ay plus de raisons qu’elles n’en ont de ne vouloir pas courre ce mesme hazard, & de prendre des voyes plus couvertes pour n’estre pas reconnu, je m’apperçois bien qu’elles ne seroient pas beaucoup fâchées qu’on sçeust que je suis, si cela ne tiroit pas à conséquence pour elles & pour cette reputation de bel Esprit qu’elles veulent attendre sans la chercher. Mais comme je suis tous les jours chez elles, il leur est aisé de voir que si on sçavoit que c’est de moy que vient cette Lettre, on sçauroit en mesme temps d’où vous sont venuës celles qu’elles vous ont écrites, & ainsi tout leur mistere seroit découvert. Je voudrois bien, Monsieur, qu’il me fust permis de vous décrire les beautez de la Maison où elles cachent presque à tous ceux qui les voyent, ce qu’elles sçavent de plus élevé, & tant d’agreables Vers qui leur sont inspirez d’une Muse galante qui ne songe qu’à divertir & effacer les ennuis. Je ne sçaurois vous representer combien tous ceux qui voyent ces Personnes si bien inspirées, sont touchés de leur merite. Elles ne disent rien qui ne fasse sentir la délicatesse de leur goust, & regreter le temps qu’on passe ailleurs qu’aupres d’elles. Ceux qui ne sont que de leurs Amis, n’ont jamais pû discerner celle qu’on devroit plutost choisir des trois pour estre heureux dans la plus douce & la plus aimable conversation du monde. Pour peu de jours qu’on s’éloigne d’elles, on est fâché d’avoir perdu beaucoup de jolies choses qu’elles auront dites. Ce qu’on voit de la perfection de la vie, & des entretiens dans les Livres les plus épurez, & qui laissent les plus belles idées, semble avoir esté fait sur ce qui se passe par tout où l’on se trouve avec elles. La Galatée & le Parfait Courtisan, que les italiens & les autres Nations ont tant estimez, n’ont presque rien touché qui ne fasse penser à ces agrémens qu’elles employent pour enchanter ceux qui les approchent, sans qu’on sçache d’ordinaire d’où cet enchantement vient. Leurs Lettres vous ont assez fait voir qu’elles aimoient les beaux Ecrits, & qu’elles se rejoüissient du soin que vous avez de nous apprendre tant de choses curieuses que nous n’aurions jamais sçeuës sans vous. En des occasions de cette sorte je ne leur ay point veu de joye plus grande que celle qu’elles ont euë en lisant l’endroit où vous promettez de nous instruire de ces Dessein que Monsieur le Brun a faits des diférens airs des Passions. Vous ne sçauriez estre torp étendu, disent-elles, sur un sujet si agreable, & je croy comme elles que pour peu que vous voulussiez retrancher de ce que vous avez à dire là-dessus, ce seroit une perte dont ceux qui connoissent le prix & l’usage d’une chose si desirée de toutes parts, ne pourroient se consoler, à moins que ce Peintre inimitable ne donnast bientost luy-mesme l’Ouvrage entier. La plûpart des excellens Autheurs, & particulierement les Inventeurs de quelque chose qui puisse servir au monde, feroient bien à l’avenir de vous envoyer le Plan ou quelque abregé de ce qu’ils ont à mettre en lumiere, ou de ce qu’ils ont découvert. Le Mercure est veu par tout, & souvent les plus curieux ne voyent les meilleurs Livres, & sur tout dans les Provinces, que plusieurs années aprés qu’ils sont imprimez ; & ceux qui ont moins de curiosité, ne les voyent quelquefois jamais. Vous pourrez encor sauver comme d’un naufrage quelques restes comme perdus de l4Esprit de certains Autheurs, & il seroit à souhaiter que vous voulussiez convier ceux qui les ont de vous envoyer des choses si precieuses pour empescher qu’elles ne viennent à périr par quelque hazard. Il me semble aussi que les gens de qualité qui ont presque toûjours quelque chose de plus exquis & de meilleur air que les autres, devroient estre bien aises de devenir par les Écrits qu’ils vous donneroient, la regle des Ecrivains qui n’ont pas esté si bien nourris, & qui n’otn pas eu tant d’excellens Modelles pour se former & se rendre accomplis. Les belles connoissances sont bien répanduës de tous costez en ce Royaume ; mais s’il y a encor en France quelques recoins un peu barbares, le Mercure en chassera bientost la barbarie ; du moins je remarque que toutes sortes de Gens s’empressent à profiter d’une invention si utile, & dont ceux qui ne se plaisent que trop à ne rien faire, ne vous sont guere moins obligez que ceux qui font du bruit dans le monde par leurs Actions & par leurs Ecrits. De belles Personnes de ma connoissance font venir des Maistres pour apprendre à chanter les Chansons notées. D’autres se préparent à deviner les Enigmes en figures ; & je ne voy guére de Dame jolie & spirituelle, qui ne s’attache à expliquer celles que vous nous donnez en Vers, & qui n’y devienne de mois en mois plus habile. Nous croyons icy qu’un Navire & la Monnoye sont les Mots des deux dernieres. Cela devient si commun & mesme si facile à quelques uns, que la jeune Demoiselle qu’on vous a si bien peinte, & qui s’en mesloit le plus, y renonce presentement, parce qu’elle ne se divertit qu’à ce qui est rare & difficile : mais cette bizarrerie n’oste rien des loüanges de ceux qui démeslent des choses si embarrassées, & on ne la luy peut pardonner qu’en faveur de ce qu’elle a d’extraordinaire. Je croirois, Monsieur, que quelques Personnes qui ne sont pas encor connuës, & qui se sentent de l’esprit & du talent, pourroient se servir du Mercure pour exposer leurs Essays à la censure des plus éclairez, & les inviter mesme à vouloir s’expliquer franchement sur leurs defauts, pour découvrir par ce moyen s’ils en sçavent assez pour se faire connoistre. C’est aussi là le sentiment d’un galant Homme qui contribuë quelquefois de ses inventions aux embellissemens du Mercure. Vous estes conjuré, Monsieur, de la part de cet excellent connoisseur, & de celle de ceux qui ont le plus de discernement, d’employer toute vostre adresse pour avoir de temps en temps quelque belle Allégorie, comme celles de monsieur de Fontenelle, & de quelques autres. Le Mercure qui plaist par tout, charme dans les endroits où l’on trouve des Vers de Madame des Houlieres, qui sont si tendres & si bien tournez ; & il n’y a rien de plus délicat ny de plus achevé que les Plaintes des trois Prairies ; mais on ne recevra jamais rien si agreablement, ny mesme avec tant de respect, que des Lettres comme celle qui vous a donné la pensée de discourir du Sapate, pour en instruire ceux qui n’avoient pas oüy parler de cette Galanterie d’Espagne & de Savoye. Le Discours que vous avez fait là dessus, aussi-bien que celuy des devises, en feront toûjours souhaiter de pareils. Comme le Mercure est le Livre de Monseigneur le Dauphin, tous les beaux Esprits doivent se servir d’un moyen si favorable pour luy offrir leurs plus agreables chef-d’œuvres, & tout ce qu’ils auront de plus noble & de plus propre pour un Prince qui avec son beau naturel si bien cultivé de son sage Gouverneur, & des Leçons du plus grand des Roys, court de si bon air sur les voyes de ces Princes, d’un cœur & d’un esprit si haut, qu’on les regarde toûjours entre les plus honnestes Gens & les plus grands Hommes de tous les Siecles, comme les plus brillans & les premiers.
Lettre LXXVI §
Lettre LXXVI.
TOut le monde vous est si obligé, Monsieur, des peines que vous prenez pour nous donner tous les Mois ces spirituelles Lettres qui font aujourd’huy le plus agreable divertissement du Public, qu’Il n’y a Personne qui ne dust tâcher de vous en marquer sa reconnoissance par quelque Ouvrage qui meritast d’zvoir place parmy ceux que vous y faites entrer. Pour moy qui me sens incapable de rien produire de moy-même, je me sers au moins du bien d’autruy afin de m’acquiter envers vous de ce que je vous dois pour la part que j’ay dans cette obligaiton commune. Les Vers que je vous envoye sont de divers Autheurs qui ont tous l’esprit tres-fin & tres-delicat. Ils ont esté fait pour réponse à ce que demandoit une fort belle Dame & d’un tres-grand merite, dans l’Epistre que vous allez voir. J’ay eu soin de les ramasser, dans la pensée que vous seriez bien aise d’en embellir l’Extraordinaire que vous nous promettez, car je m’imagine qu’il vous faut des choses moins étenduës pour vostre Mercure. Voicy ce que la Dame dont je vous parle avoit écrit à un de ses Amis.
UN illustre & galant BergerMe conseille de m’engager.Il n’est rien de si sot, dit-il, qu’un cœur tranquile ;Il vaudroit assurément mieuxQu’il fust en desirs trop fertile.Le Cœur ce Bijou précieux,N’est pas fait pour estre inutile.Timandre, ce conseil n’est-il pas dangereux ?De bonne foy le peut-on suivre ?Décidez de mon sort en Amy genereux,Songez bien à quels maux se livreUn Cœur qui s’abandonne aux transports amoureux,Consultez vostre experienceSur les dépits jaloux, sur l’ennuyeuse absence,Sur les douleurs qu’on souffre alors qu’on voit changerUne ame qu’on croyoit qui seroit toûjours tendre,Et puis, sage & prudent Timandre,Dites-moy si j’en dois courir tout le danger.Ces quatre Réponses ont esté faites par cet Amy, & par trois autres sur les mesmes Rimes de la Demande.
Premier Avis.
FUyez l’Amour & les yeux du BergerQui tâche de vous engager.Vous lassez-vous d’estre tranquile,Et ce grand cœur qui fait tout pour le mieux,Qui fut toûjours en beaux projets fertile,La liberté ce trésor précieux,La raison, tout enfin vous est-il inutile ?Pourriez-vous bien franchir un pas si dangereux ?Ce petit Dieu vaut-il qu’on s’empresse à le suivre,Luy qui trahit loin d’estre genereux,Et dans les assauts qu’il nous livreEgale aux plus grands maux le sort des Amoureux ?Tremblez d’en faire experience,Vivez plutost dans une heureuse absenceDe mille Amans qui pourroient vous changer.On ne peut pas estre tranquile & tendres ;Contentez vous d’Amis comme Timandre,Vous estes belle & libre, il est seul en danger.Second Avis.
IRis, il est plus d’un BergerQui voudroit pour vous s’engager,S’il pouvoit en aimant avoir un sort tranquile,Ou si, pour s’en expliquer mieux,Un cœur en tendresse fertile,Se proposant pour prix un Bijou précieux,Ne craignoit de pousser sa fleurette inutile,Ce grand dessein seroit moins dangereuxSi vous vouliez aussi le suivre,Et faire choix sur tous d’un Amy genereux,Qui s’abandonne & qui se livreÀ la facilité qui le rend amoureux,Luy qu’une longue expérienceRend sensible aux faveurs, & qui songe à l’absence,Dés la moindre rigueur qui l’oblige à changer,Dit, quand la Nymphe n’est pas tendre,Point de Tirsis, point de Timandre,On évite par là la peine & le danger.Troisiéme Avis.
SI l’illustre & galant BergerDont le conseil tend à vous engager,Vous fait sortir de cet état tranquile,Divine Iris, je croy qu’il vaudroit mieuxQue ce conseil en malheurs trop fertile,Quoy qu’il offre de précieux,N’eust fait aupres de vous qu’un effort inutile.Qu’il est fatal & qu’il est dangereux !C’est de tous les conseils le plus funeste à suivre.Il fait souvent qu’un Amant genereux,Sans le vouloir à mille maux nous livre.Enfin si l’on ne trouve un cœur bien amoureux,Un cœur qui de souffrir ait quelque expérience,Qui sçache aimer malgré l’absence,Que rien ne puisse obliger à changer,Qui soit discret, fidelle & tendre,Je vous le jure, Iris, & croyez en Timandre,On se met en un grand danger.Quatriéme Avis.
QUoy qu’en dise un sage Berger,On peut aimer sans s’engager,C’est un amusement agreable & tranquile.Un cœur pourroit-il choisir mieux,Que de suivre l’Amour en cent plaisirs fertile ?Le changement nous le rend précieux,Et la constance est inutile.Le trop d’attachement sans doute est dangereux,Il sent trop l’esclavage, il est dur de le suivre,Pour peu qu’un cœur soit genereux,Rarement aux fers il se livre,Et s’il n’est sans contrainte, il n’est point amoureux.Nous qui de l’amour libre avons l’expérienceQue les plaisirs présens consolent d’une absence,Plutost que de languir nous aimons à changer,D’une ame satisfaite & tendreNous trouvons le repos, n’en déplaise à Timandre,Où sa moralité vous marque le danger.Madrigal.
AH ! si d’un cœur bien enflâmé,Un Berger vous rendoit hommage,Si fidelle, amoureux & sage,Il sçavoit vous servir sans espoir d’estre aimé,Un Berger d’un si beau modeleSans vous mettre en danger vivroit sous vostre loy ;Mais ce sage Berger, amoureux & fidelle,Vous ne pouvez, Iris, le rencontrer qu’en moy,DE S. G.
Réponse au Madrigal, sur les
mesmes Rimes.
VOus qui d’un cœur bien enflâmé,Offrez le précieux hommage,Et qui vous piquez d’estre sage,Et d’aimer au hazard de n’estre point aimé,Pour les Amans transis gardez ce beau modele,Et ne nous venez point en imposer la Loy.Si malgré les rigueurs il faut estre fidelle,Cette leçon n’est pas pour moy.B. D.
Sonnet.
À Des cœurs délicats l’amour fait trop de peine,Iris, n’aimons jamais ; c’est le meilleur party.De n’avoir point aimé nul ne s’est repenty,La chaîne la plus belle est toûjours une chaîne.Quand on s’est trop commis à la foiblesse humaine,Jamais d’un repentir on ne s’est garanty,Le plus constant amour s’est enfin démenty,Et le plus violent a fait place à la haine.Mais pourquoy vous donner des conseils superflus ?Dés que vostre raison ne vous servira plus,Vous vous servirez mal de la raison d’un autre.Que servent les conseils où regnent les appas ?N’ay-je pas consulté ma raison & la vostre ?En suis-je mieux, Iris ? ne vous aimay-je pas ?H.
AImez, c’est mon avis, mais faites prudemmentLe choix d’un tendre & sage Amant.Sur ce choix bien souvent la plus fine est trompée.Déciderez vous pour l’Epée ?Le Cavalier, Iris, de l’amour faire un jeu,On court plus d’un danger lors qu’on est aimée.Il soûpire, il obtient, il se lasse, & son feuFait toûjours un peu de fumée.Si vous aimez un Magistrat,Belle Iris, il faut faire estatD’essuyer beaucoup de chicane.Le Heros à Manteau de paneEcrit un Billet doux en style de contract.J’aimerois mieux ces Gens d’un honneur delicat,Que leur propre interest sçait forcer dans leurs flâmesÀ ménager les interests des DamesObligez par leur rang de n’aimer qu’en secret,Ils évitent l’éclat, ont un amour discret,Et d’eternels plaisirs luer tendresse est suivie ;Mais parmy ceux que je vous dis,Si vous voulez choisir, ma foy je vous défie,D’en trouver un, charmante Iris,Qui soit mieux vostre fait, que moy qui vous écris.Sonnet.
Gardez-vous bien d’aimer,C’est un mestier pénible,Ne soyez point sensible,Ne songez qu’à charmer.Qui se laisse enflâmer,Souffre une peine horrible.Il est presque impossibleD’aimer sans s’allarmer.Regardez AmaranteDepuis qu’elle est Amante.Combien elle a d’ennuis ;Mais sans aller plus loin, regardez moy moy-même,Voyez comme je suisDepuis que je vous aime.DE LA C.
Madrigal.
VOus que le Ciel fit naistre pour charmer,M’osez-vous demander si vous devez aimer ?C’est une chose inévitable.On nous a dit cent & cent fois,Que la plus juste de nos Loix,Est d’aimer quand on est aimable.Sonnet.
MIlle Amans, Iris trop charmante,Vous prescheront d’un ton moral,Qu’à la fin on se trouve malD’estre toûjours indiférente.Ma Politique est plus prudente,En donnant ce conseil fatal,Je crains de servir un Rival,Et ce doute seul m’épouvante.Fermez l’oreille à ces Flateurs,Vous causeriez trop de malheurs,Si leur doctrine estoit suivie.Par pitié ne les croyez pas,Un seul en peut avoir la vie,Et mille en auroient le trépas.DE T.
Sonnet.
SE peut-il, & qui le croira,Qu’Iris par un heureux mystereMe consulte sur une affaireQui de son cœur décidera ?Quoy, mon conseil inspireraCe que mes soûpirs n’ont pû faire ?Aimez donc, trop sage Bergere,Du reste, Amour y pourvoira.Jettez vos regards favorablesSur moy, sur tant de miserables,Qui vous asseurent de leur foy.Mais quelque desir que j’en aye,Divine Iris, qui répond paye,Et je ne répons que de moy.Madrigal.
IRis, ne vous engagez pas,La seule liberté doit avoir des appas ;Bannissez ce Berger dont le conseil funesteA mis dans vostre cœur le trouble & l’embarras ;Le revoir, l’écouter, helas, Bergere, helas,C’est s’exposer à tout le reste.Qui peut faire douter, persuade aisément ;Je connois de l’Amour les trompeuses amorces.Je sçay que difficilementOn resiste aux douceurs d’un tendre attachement ;Mais est-il quelque chose au dessus de vos forces ?Conclusion.
QUand on peut écouter d’un aimable BergerUn conseil amoureux & tendre,En vain pour son repos on veut se ménager,Et demander avis avant que s’engger,Il n’est souvent plus temps d’en prendre,Le genereux Amy seroit mal entendu,S’il conseilloit de se défendre ;Et le cœur est déja rendu,Quand il consulte pour se rendre.D. S. G.
La Question estoit délicate, & je croy, Monsieur, que vous trouverez toutes ces diférentes Réponses tres-délicatement tournées. Il seroit à souhaiter qu’on en proposast souvent de semblables. Elles donneroient à nos beaux Esprits de galantes matieres de s’exercer, & à moy peut-estre une nouvelle occasion de vous faire voir que je suis veritablement vostre, &c.
L. C.
[Sur la première énigme de février 1677] * §
Ce qui suit est d’un Homme de Qualité de Bordeaux, qui ayant expliquë les deux Enigmes du mois de Fevrier sur le Tambour & sur l’Enseigne, adresse ces Explications aux deux Personnes dont j’ay marqué que je les tenois.
À l’Autrice de la premiere Enigme du Mercure de Fevrier.
Vostre Tambour a fait trop de bruit, Madame, pour n’estre pas entendu par tout Païs, & vous en faites trop aussi pour n’estre pas connuë par tout le beau Monde. Vous estes merveilleuse à sçavoir dénaturer les choses.D'une Créature champestre, sauvage, & née dans la Forest, vous en avez sçeu faire une, capable de raisonner avec justesse parmy les Hommes de bon sens, de garder les mesures avec les Gens du premier Ordre, & de se faire écouter avec éclat par tout où l'honneur et la gloire trouvent des Emulateurs. Apres cela, Madame, permettez-moy de vous dire que vouloir vous cacher sous l’enveloppe d’une Enigme ; c’est proprement vouloir prendre le Lievre au son du Tambour, & que l’Autheur du Mercure qui n’a pas voulu vous nommer ou par jalousie, ou par discretion, n’a pas réüssy. Quelque ingénieux qu'il soit à nous vouloir dérober le plaisir de vous connoistre, il vous distingue par votre plume, comme l'on fait les Oyseaux de prix, & nous vous distinguons de mesme. Il veut vous faire connoistre par les caracteres de vos belles-Lettres, & nous vous connoissons aussi par ceux de vostre belle Enigme, où nous remarquons tous les traits d'un beau Génie, une vivacité judicieuse, une expression cavalière, une ame martiale, & des inclinations heroïques.
Le Tambour est dans sa naissanceBizarre comme dans son fortIl est composé d’un bois mortQui n’a ny vertu ny puissance.Il marche aux champs, il marche aux VillesSa suite se grossit de Maison en MaisonEt quand elle est complete, il est avec raisonDes fanfares de Mars une des plus utiles.Au Louvre, au Camp, on le desireSon tintamarre plaist au Roy,Il est toûjours plein comme moyDe la gloire de son empire.Son génie est tout à la Guerre ;Quoy que mal-traité des Humains,Plus il est batu de leurs mains,Plus il fait de bruit sur la Terre.
[Histoire de la fausse morte] * §
Ainsi je passe à ce qui est arrivé depuis quelque temps dans la Cour d’Espagne. Quoy que l’Avanture soit aussi extraordinaire que surprenante, elle ne laisse pas d’estre vraye dans toutes ses particularitez, & s’il estoit besoin d’en donner des preuves, tout Madrid en serviroit de témoin. Les choses s’y sont passées de cette sorte.
Un Cavalier d’une naissance fort considerable, avoit joint aux avantages qu’il avoit reçeus d’une éducation tres-heureuse, ce que plusieurs années de voyages font acquerir de connoissances utiles aux honnestes Gens. L’étude du monde qu’il avoit faite dans les principales Cours de l’Europe, faisoit d’abord remarquer en luy des qualitez qui se trouvent rarement dans ceux qui n’ont jamais pris de ces sortes de leçons ; & on peut dire que s’il estoit party avec des inclinations tres-dignes de luy, il estoit revenu si parfait, qu’on ne le pouvoit voir sans l’estimer. Trois ou quatre jours apres son retour, n’estant presque encor connu de personne, le hazard voulut que dans une Feste publique où tout le monde courut en foule, il fut placé aupres d’une jeune Demoiselle dont la beauté le surprit. Il la regarda, il en fut charmé, & il le fut bien davantage, quand ayant commencé à l’entretenir, il connut que les charmes de son visage n’égaloient point ceux de son esprit. Il luy dit mille choses obligeantes, & les dit d’une maniere si fine, que si la Belle luy plût, il ne plût pas moins à la Belle. Ainsi la Feste finit trop tost pour l’un & pour l’autre, & ce ne fut pas sans quelque chagrin qu’ils se virent contraints de se séparer. Le Cavalier pressa la Belle de luy apprendre qui elle estoit, & sa réponse fut qu’elle alloit souvent se promener dans un Lieu qu’elle luy marqua, qu’il ne tiendroit qu’à luy de l’y voir, & que le temps luy feroit sçavoir s’il mériteroit qu’elle satisfist sa curiosité. Vous pouvez croire que le Cavalier ne manqua pas aux Rendez-vous. Il y vit sa Belle, qui se ménagea si bien, que sans blesser ce qu’elle se devoit à elle-mesme elle luy donna toûjours lieu de parler. S’il luy faisoit les protestations les plus empressées, tant de modestie estoit jointe à ce qu’elle luy disoit de favorable, qu’il ne la quitoit jamais qu’avec plus d’amour qu’Il n’en avoit eu en l’abordant. Enfin aprés l’avoir entretenuë sept ou huit fois, & luy avoir fait paroistre ce que la plus violente passion peut inspirer pour une Personne toute aimable, il la conjura avec tant d’isntance de ne luy laisser pas ignorer plus long-temps qui il aimoit, qu’elle se resolut à ne luy en faire plus de mystere. Elle luy apprit son nom, & il demeura si interdit en l’apprenant, que la Belle ne sçavoit que s’imaginer de son trouble. Il ne pût mieux luy en découvrir la cause, qu’en se nommant. Son étonnement fut égal à celuy du Cavalier. Elle soûpira, & ils furent quelque temps à se regarder sans se rien dire. Leurs regards ne disoient que trop qu’ils s’aimoient ; & dans la connoissance qu’ils se donnoient l’un à l’autre de leurs plus secrets sentimens, ils avoient le malheur d’apprendre que si l’égalité de leur naissance autorisoit leur amour, ils estoient de deux Familles si irreconciliables ennemies, que l’autorité du Prince n’avoit pû empescher beaucoup de malheurs dont cette inimitié avoit déja esté la cause. Ils ne se cacherent point que l’impossibilité apparente de devenir jamais heureux leur devoit faire une necessité de renoncer à se voir, mais ils n’eurent pas la force de s’y résoudre, & il sembla que les obstacles presque invincibles qu’ils trouverent à leur passion, ne servirent qu’à les enflâmer davantage. Ils se firent cent sermens de n’estre jamais à personne, s’ils ne pouvoient estre l’un à l’autre, & ils continuerent à se voir avec d’autant plus de facilité, que le Cavalier cacha exprés son retour pour demeurer inconnu à ceux qui auroient pû donner quelque connoissance de son Secret. Cependant comme il estoit maistre de luy-même, & que la hainte lap lus enracinée n’a jamais tenu contre l’Amour, il employa des Personnes tres-puissantes pour travailler à la réconciliation des deux Familles. On parla au Pere de la Belle. On luy fit voir de quelle consequence il estoit de prévenir les cruelles suites que pourroit avoir une haine hereditaire, qu’il seroit peut-estre aisé d’assoupir par un Mariage. C’estoit un de ces Vieillards obstinez qui ne pardonnent jamais. Il s’emporta. Il n’écouta rien, & ayant malheureusement appris que sa Fille avoit souffert l’entretien du Cavalier, il eut des severitez pour elle qui luy firent payer bien cher ce qu’elle y avoit goûté de plaisir. Elle eut beau luy dire qu’elle luy avoit parlé sans le connître, il la mit dans un Couvent avec de si étroites défenses de luy laisser voir personne, qu’il falloit avoir la plus forte passion pour songer à combatre ce nouveau malheur. Elle redoubla dans le cœur du Cavalier ; & comme l’Amour est inventif, il luy fit trouver les moyens d’affermir la belle Personne qui souffroit pour luy, dans la résolution de l’aimer toûjours. Les Espions s’attacherent inutilement à observer ce qui se passoit. Les deux Amans eurent des intelligences secretes que le Pere ne pût découvrir ; & aprés plus d’une année d’inquiétudes & d’irresolutions, la Belle consentit à suivre la fortune du Cavalier, mais elle voulut pour cela le voir à couvert des poursuites de son Pere & de ses Freres, qu’elle ne doutoit point qui ne se portassent contre luy aux derniere extremitez, s’ils découvroient qu’elle fust en son pouvoir. Que n’ose-t-on point quand on aime ! Une Religieuse du Couvent mourut, & deux jours aprés la Belle se fit apporter un Habit sans que personne en sçeust rien, & disposa si bien toutes choses, que sur l’avis qu’elle donna à son Amant, elle fut asseurée qu’il se trouveroit la nuit suivante au pied de la muraille du Jardin avec une échelle de corde qui luy serviroit à s’échaper. La nuit s’avançant, & un profond silence luy ayant fait connoître que tout le monde dormoit, elle eut le courage de descendre dans la Cave où l’on avoit mis la Religieuse morte. Elle la tira de sa Biere, l’apporta dans son Lit, employa quelque temps à luy brûler le visage pour l’empescher d’estre reconnuë, mit le feu au Lit, & laissant sur la Table les Habits qu’elle avoit accoûtumé de porter, elle se sauva avec celuy qu’elle avoit reçeu du Cavalier. Le feu fit un prompt ravage. La Chambre fut toute embrasée. On s’en apperçeut, on y courut, & si on y donna remede, ce ne pût estre qu’aprés que le lit eut esté presque entierement consumé. On trouva le Corps. Le feu avoit gagné les Sieges, & s’attachoit déja à la Table, où les Habits estoient à demy brûlez. Ils estoient connus, ils ne laissèrent point douter du malheur de la belle Fugitive. On la pleura. On luy rendit les derniers honneurs, & l’accident ayant esté divulgué dans la Ville, on le regarda comme une punition de cette irreconciliable haine que le Pere avoit voulu garder pour son Ennemy. Cependant le Cavalier mena la Belle dans un Chasteau qui estoit à luy, & l’y épousa secretement. Comme elle faisoit toute sa felicité de la tendresse qu’il avoit pour elle, le plaisir d’en recevoir des marques luy tint lieu de tous les autres plaisirs. Elle n’estoit veuë que de ses Domestiques, dont aucun ne la connoissoit ; & tandis que tous ses Parens la coyoient morte, elle menoit une vie heureuse qui n’estoit troublée de temps en temps que par quelques jours d’absence de celuy qu’elle aimoit uniquement. Trois ou quatre ans se passerent, pendant lesquels son Pere mourut. Deux Fils qu’il laissa, eurent quelques affaires fâcheuses. Le Cavalier qui estoit fort consideré à la Cour, les servit malgré eux si utilement, que cette generosité les toucha. Les mêmes Personnes qui avoient tâché de faire la reconciliation du Pere, entreprirent celle des Fils. Comme ils n’avoient pas entierement épousé sa haine, ils donnerent les mains à la proposition qu’on leur en fit. L’accommodement fut fait, & il trouverent le Cavalier si digne de leur amitié, qu’ils entrerent avec luy dans la plus parfaite union. Vous jugez bien, Madame, qu’ils ne se virent pas long-temps sans qu’ils luy témoignassent le déplaisir qu’ils avoient de ce que la mort de leur Sœur leur avoit osté l’avantage qu’ils auroient trouvé dans son alliance. Le Cavalier ne leur déguisa point qu’il avoit aimée, & leur demanda par grace de venir passer quelques jours dans son Château. Sitost qu’ils y furent arrivez, il leur dit qu’ils estoient trop de ses Amis pour leur cacher qu’il s4estoit marié depuis quelque temps, & qu’il se sentoit d’autantp lus oubligé d’aimer la belle Personne qu’il avoit épousée, que ne s’estant point mise en peine de se faire connoître dans le monde, elle luy avoit témoigné par là qu’elle ne vouloit vivre que pour luy. Alors il l’envoya prier de venir. La Belle entra avec cette émotion qui est assez inévitable dans des pareilles rencontres. Ses Freres la coyoient morte. Ils se regarderent l’un l’autre. Ils regarderent le Cavalier, & aprés un haut cry que leur premiere surprise leur arracha, ils reconnurent leur Sœur aux tendres embrassemens qu’elle leur fit. Ils pleurerent tous de joye. L’Histoire de la fausse Morte fut éclaircie, & on admira les surprenantes réoslutions que l’amour fait prendre à ceux qui en son veritablement atteints.
Question proposée §
Comme c’est chez elles que s’agitent toutes les Questions d’esprit, une Dame qui en a infiniment, en proposa une il y a quelques jours à plusieurs Personnes tres-éclairées de l’un & l’autre Sexe. La voicy.
Question proposée
Sçavoir, Qui l’on croyoit qui fit le plus souffrir un Amant, Ou une Maistresse dont il connoist l’infidelité, & qui ne voulant point rompre avec luy, tâche de le retenir par des flateries & par de fausses protestations ; Ou Une Maistresse qui le quite sans ménagement, & qui ne luy cache point qu’elle l’abandonne pour un Rival ?
La Dame qui proposa la Question, pria qu’on ne répondit point sur le champ, afin qu’on eust le temps de se consulter & que les Réponses pussent estre mieux raisonnées. Vous pouvez prendre party là-dessus vous & vos Amies. Vous ne penserez rien qui ne soit juste, & je ne doute point que la pluralité d’Avis ne se trouve de vostre costé.
[Air de Printemps, par un Maistre du Havre]* §
Je n’ay plus qu’un Air de Printemps à vous faire voir, avant que de venir à l’Histoire Enigmatique que je vous ay promis de vous envoyer. Cet Air est de la Composition d’un Maistre du Havre. J’espere qu’il vous fera demeurer d’accord que les Provinces ont d’aussi habiles Gens en Musique qu’en toute autre chose. Les Paroles sont du stile ordinaire des Amans qui croyent avoir toûjours sujet de se plaindre.
Cruel Printemps, peux-tu paroistreAvis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Cruel Printemps peux-tu paroistre, doit regarder la page 512.Où Climene ne paroist pas ?Qui t’engage à renaistreEn des lieux sans appas ?Tes plus beaux jours, helas,Avancent mon trépas.Cruel Printemps, peux-tu paroistreOù Climene ne paroist pas ?
Histoire énigmatique §
Un peu d’application, Madame, ce que j’ay presentement à vous conter tient du Prodige. Voicy dequoy il s’agit.
Histoire
enigmatique.
DEs interests tres-considerables ont fait former le dessein de lap lus extraordinaire Alliance dont on ait jamais entendu parler. C’est peu de vous dire que les Parties sont toutes deux du mesme Sexe. Il y en a beaucoup qui les font passer pour la Mere & pour la Fille. Il est cependant certain qu’elles sont du mesme âge l’une & l’autre. Quoy qu’elles soient fort éloignées de se pouvoir vanter d’estre jeunes, c’est quelque chose de rare que le nombre de leurs années ne laisse découvrir en elles aucune apparence de vieillesse, & qu’on leur remarque encor la mesme force qu’elles ont euë dans leurs premiers ans. Elles sont fieres, fort sujettes à l’emportement ; & quand elles sont une fois en colere, la vie des Hommes ne leur couste rien. Ce n’est pas que la Fille n’ait beaucoup plus de tranquillité que la Mere. Cette derniere ne sçauroit passer un seul jour sans s’émouvoir. On ne luy en donne pourtant aucun sujet, & personne n’a jamais pû découvrir la raison qui l’oblige à sortir si souvent hors d’elle-même. Ce qui surprendra, c’est que les deux Parties dont je vous parle estant déja mariées, on entreprenne de les marier encor une fois. Leur premier Mariage s’est fait par un Arabe ; & comme elles sont tres riches d’elles-mesmes, & que chacune d’elles n’a besoin de rien, il leur importeroit peu d’en contracter un second, estant d’ailleurs d’une humeur froide & fort insensible, si ceux qui se meslent de leur union n’y avoient plus d’interest qu’elles n’y en prennent. On est fort convaincu que cette froideur rendra leur Mariage sterile, & qu’il n’en naistra rien qui leur ressemble. Cependant on ne laisse pas d’en attendre une tres-grande fecondité. Vous trouverez quelque chose de bien particulier dans cette Alliance, en ce qu’elle ne se peut faire que par l’entremise de plusieurs autres Mariages qui la doivent préceder, & que la fierté des principales Parties est telle, que faute de pouvoir faire d’assez grands apprests pour une entrevuë qui soit digne de leur grandeur, si elles consentent à estre unies, c’est à condition qu’on ne les obligera point à s’approcher. Elles ont souvent à parler des mesmes choses, mais elles ne se servent point de la mesme Langue pour s’en expliquer, & les Allemans chez l’une, sont Italiens chez l’autre. À peine eut-on fait les premieres propositions de ce Mariage, qu’on en conçeut une jalousie qui ne se peut exprimer. On fit mille desseins pour le rompre. On y apporta tous les obstacles possibles, & rien n’a jamais esté si fortement combatu. Cette jalousie n’estoit point de la nature de celle qui revolte un Amant contre sa Maistresse, ou qui anime un Rival contre un Rival. Elle avoit plus de malignité, & sans regarder les Parties dont aucun Prétendant ne songeoit à empescher l’union, elle n’en vouloit qu’à la gloire que remporteroient ceux qui traitoient une si grande Alliance, s’ils estoient assez heureux pour la faire réüssir. Chacun en parloit diversement. Parmy ceux qu’aucun interest ne faisoit agir, il y en avoit qui la condamnoient, parce qu’il se trouve un Caractere de Gens qui se plaisent à n’approuver rien. Ils disoient qu’il y avoit de l’imprudence à penser à ce Mariage, apres qu’on en avoit autrefois tenté deux de cette nature qui n’avoient point eu de succez. Ils adjoûtoient que l’un qui auroit fait changer de nom à une bonne partie du Monde, avoit esté crû trop dangereux ; & que l’autre qui auroit donné une Maistresse à une infinité de petites Voisines qui sembloient l’attendre, avoit esté mis entre les choses qui sont impossibles. Ceux qui ont accoûtumé de loûer tout, appuyez de quelques autres qui n’estoient peut-estre pas persuadez que la chose pust s’executer mais qui vouloient y embarquer plus avant les Agens de l’entreprise pour avoir le plaisir de les voir tomber de plus haut ; ceux-là, dis-je, soûtenoient qu’il ne falloit que du temps & de la conduite pour voir cette affaire heureusement terminée ; ils alléguoient pour raison, qu’on avoit déjà veu en France un Mariage de la nature de celuy qu’on proposoit, & que quoy qu’il n’eust pas esté fait entre des Parties du rang de celles dont il estoit question, le succés de l’un répondoit en quelque façon de celuy de l’autre. Je n’examine point, Madame, si ce sentiment estoit des-intéressé. Il es certain que cette derniere Opinion a prévalu, & que les soins & l’application extraordinaire d’une personne tres-intelligente dans ces sortes de negotiations, ont donné à celle-cy des commencemens si heureux, qu’on ne doute point que la fin n’en soit telle qu’on se la promet. Cela demande plusieurs allées & venuës vers les Parties, & il a falu établir un Lieu tant pour se resposer dans ces Voyages, que pour la seûreté de ceux qu’on employeroit à les faire. Le Mariage n’est point encor fait, quoy qu’il soit conclu. Les Parties n’en témoignent ny chagrin ny joye, n’avance ny ne reculent, & se contentent de s’en reposer sur les soins des Intéressez.
Raisonnez, Madame, consultez vos spirituelles Amies, & me faites sçavoir ce que vous pensez d’un Mariage si peu commun.