Léopold Hervieux

1893

Les fabulistes latins depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du moyen âge. Tome I : Phèdre et ses anciens imitateurs directs et indirects

Sorbonne Université, Labex OBVIL, license cc.
Léopold Hervieux, Les fabulistes latins depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du moyen âge, tome I : Phèdre et ses anciens imitateurs directs et indirects, deuxième edition entièrement refondue, Paris, Librairie de Firmin-Didot et Cie, 1893, XII-848 p. PDF : Gallica.
Ont participé à cette édition électronique : Alexandre Capony (relecture, stylage sémantique) et Éric Thiébaud (OCR, édition TEI).
{p. V}

Préface de la première édition §

Je me propose de publier, en faisant précéder les textes de leur histoire et de leur critique, tout ce qui reste des œuvres des fabulistes latins antérieurs à la Renaissance. C’est une vaste tâche que personne encore ne s’est imposée, et qui, je le crains du moins, m’expose à être un peu soupçonné de présomption.

Pour me prémunir contre un pareil soupçon, je désire expliquer comment j’ai été conduit à l’assumer.

De tous les auteurs anciens qui guident les premiers pas de l’enfant dans l’étude de la langue latine, Phèdre est celui qui lui laisse les plus agréables souvenirs. Ses fables sont courtes, faciles à comprendre et intéressantes par l’action qui en quelques vers s’y déroule. Plaisir sans fatigue, telle est l’impression qui en reste.

Lorsque, sorti de l’enfance, l’homme lettré, au milieu des luttes de la vie, cherche à se rappeler son premier âge, il est rare qu’il ne trouve pas Phèdre largement mêlé aux travaux qui l’ont rempli.

C’est là ce qui m’est arrivé. Instinctivement, sans m’en rendre compte, me dérobant par moments aux agitations de l’existence {p. VI}positive, j’ai voulu du passé me procurer au moins l’image, et pour cela, à mes heures de loisir, j’ai recommencé à m’exercer sur les fables qui avaient servi de première gymnastique à mon intelligence.

En les traduisant, je remarquai que les divers textes, placés sous mes yeux, différaient beaucoup les uns des autres. Ces différences provenaient-elles des divers manuscrits, isolément suivis par les éditeurs ? Étaient-elles dues au contraire aux écarts variés de leur imagination ? Parmi toutes les éditions, quelle était la bonne ? En existait-il même une qui fût exempte de fautes ? Telles furent les questions qui se formulèrent dans ma pensée, et, quoique ma traduction fût déjà très avancée, je l’interrompis pour chercher le mot de l’énigme.

En le cherchant, j’ai vu qu’il existait plusieurs manuscrits ; j’ai fini par découvrir qu’on en avait connu cinq. Je m’en suis procuré le texte, et, quand je l’ai eu sous les yeux, je n’ai pas tardé à m’apercevoir qu’aucun d’eux ne nous avait conservé dans son intégrité l’œuvre du fabuliste romain.

J’ai essayé, à l’aide des fables de ses imitateurs, de reconstituer son texte perdu, et, pour me les procurer toutes, j’ai visité la plupart des bibliothèques publiques de l’Europe. Copiant moi-même ou faisant copier tous les manuscrits où je rencontrais des collections de fables latines, je me suis ainsi muni de tout ce que, dans cette matière, le moyen âge nous avait laissé, et je me suis en définitive trouvé en possession non seulement des matériaux qui se rapportaient à Phèdre, mais encore de ceux qui lui étaient étrangers. Dès lors je pouvais m’occuper non seulement de lui, mais encore de tous ceux qui, sans le perdre de vue ou sans s’inspirer de lui, s’étaient en grand nombre, au moyen âge, exercés dans la même spécialité littéraire. Ce n’était pas une petite besogne ; mais possédant les éléments nécessaires et craignant que d’autres n’eussent ni la volonté ni la possibilité de les réunir, j’ai considéré comme {p. VII}un devoir de l’accomplir. Bref, ayant étudié tous les fabulistes latins connus et inconnus, j’ai pris le parti de faire profiter le public de mes travaux par une publication qui les comprendrait tous.

Alors s’est forcément posée devant moi la question de savoir quel classement j’allais adopter. Au premier abord, on pensera sans doute que, partant du siècle d’Auguste et ne devant m’arrêter qu’au commencement de la Renaissance, j’aurais dû publier, dans l’ordre de leurs apparitions successives, les œuvres des divers fabulistes latins.

Quoique ce procédé m’eût à première vue paru à moi-même le plus simple et le plus commode, deux raisons m’ont empêché d’y recourir. D’abord je me suis bien vite aperçu qu’il était impraticable ; en effet, il ne faut pas oublier que, parmi les fables que je vais publier, il en est beaucoup qui sont dues à des auteurs anonymes et qu’il est impossible de leur assigner une date même approximative et surtout de savoir, quand rien ne les rattache l’une à l’autre, si telle œuvre est antérieure ou postérieure à telle autre. Ensuite ce qui m’a surtout influencé, c’est que ce procédé, même s’il était praticable, serait incompatible avec une étude véritablement scientifique : il obligerait à ne pas se préoccuper de la filiation des textes et à ne pas les suivre dans le labyrinthe de leurs transformations successives, en un mot, à les examiner isolément.

Sans dédaigner le rang d’ancienneté, je me suis surtout attaché à marcher dans la voie philologique. J’ai bien commencé par m’occuper de Phèdre qui est le premier des fabulistes latins ; mais, après l’avoir étudié, je ne suis pas immédiatement passé à celui qui était le plus ancien après lui ; j’ai préalablement abordé l’étude des fabulistes, qui ont été les imitateurs directs ou indirects de son œuvre.

C’est là, quant à présent, que s’arrête mon ouvrage. Mais je n’ai atteint qu’une première station. Quand, après m’y être suffisamment {p. VIII}reposé, je me remettrai en marche, conciliant l’ordre des temps avec les exigences de la philologie, je porterai mes regards sur le fabuliste qui a été le successeur le plus immédiat de Phèdre, c’est-à-dire sur Avianus ; j’agirai à son égard comme à l’égard de son devancier, et, avant de passer au fabuliste après lui le plus ancien, j’étudierai les imitations de son œuvre, tant en prose qu’en vers, qui nous ont été conservées par de nombreux manuscrits. Ce n’est qu’après, que je me conformerai de nouveau au rang d’ancienneté. En un mot, après avoir étudié un fabuliste, je me demanderai s’il a eu des imitateurs directs ou indirects, et ce n’est qu’après avoir rattaché leurs œuvres à la sienne, que je reviendrai à l’ordre chronologique.

Mais la première étape à laquelle je suis arrivé, fait voir combien la route est longue, et, quoique je me sois mis en mesure de la continuer, j’attendrai, avant de la reprendre, que le public m’ait montré dans quelle mesure il s’intéresse à mon voyage.

L. HERVIEUX.
{p. IX}

Préface de la deuxième édition §

Dans la préface de ma première édition de Phèdre et de ses dérivés directs et indirects, j’ai fait connaître mon intention de ne pas m’en tenir à cette publication et d’exhumer tout ce qui existe encore des œuvres des fabulistes latins antérieurs à la Renaissance.

Cette intention était toutefois subordonnée à l’accueil qui serait fait à mon début. Ayant, pendant de longues années, consacré toute mon activité à l’exercice d’une profession, qui m’avait forcément éloigné des études philologiques, j’étais tout naturellement porté à douter de la valeur de mon œuvre et à craindre pour elle le jugement défavorable, et, qui eût été pis, l’indifférence des véritables érudits.

Ce que j’appréhendais ne s’est pas produit. En France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, mon livre a été, dans la presse savante, l’objet des appréciations les plus flatteuses. Parmi les analyses toujours élogieuses qui en furent faites, il y en eut une à laquelle la compétence exceptionnelle du critique donnait, à mes yeux, un prix tout particulier : ce fut celle que M. Gaston Paris publia dans les numéros du Journal des {p. X}Savants des mois de décembre 1884 et de janvier 1885. Dans le second de ces deux numéros, résumant son long et consciencieux travail, il s’exprimait ainsi : « Ces observations qu’il est du devoir de la critique de présenter ne doivent pas empêcher de rendre aux mérites de l’auteur l’hommage le plus sincère. » Et un peu plus loin il ajoutait : « Il a réuni des matériaux incomparablement plus riches que ceux qu’on avait amassés avant lui pour l’histoire de la fable au moyen âge, et il en a souvent tiré très heureusement parti. Il a procédé partout, il faut le signaler particulièrement, avec la plus entière bonne foi, reconnaissant toujours ce qu’il devait à ses prédécesseurs, n’exagérant nullement la valeur de ce qu’il apportait, rendant justice à tous ceux dont il avait à exposer ou à discuter les opinions. Son ouvrage sera désormais la base de tout ce qu’on écrira sur le même sujet. Nous voulons surtout espérer qu’il nous donnera bientôt la suite qu’il nous fait attendre. Un second ouvrage, ayant pour objet Avianus et ses imitateurs, est presque en état de paraître. L’auteur ne se décidera pourtant à le publier que si son premier livre rencontre un accueil favorable. Le désintéressement exceptionnel et le rare dévouement à la science que suppose le travail de M. Hervieux garantissent assez que ce qu’il attend, ce n’est pas un succès lucratif, auquel ne saurait prétendre un ouvrage qui a dû coûter si cher à préparer et à publier ; c’est évidemment l’opinion du public compétent à laquelle il attache du prix. Si le recueil où nous écrivons peut ajouter assez d’autorité à nos paroles pour qu’elles soient regardées comme une manifestation de cette opinion, nous serons heureux, en exprimant à M. Hervieux toute notre estime pour son premier ouvrage, de penser que nous pourrons contribuer en quelque chose à le déterminer à nous donner bientôt le second. »

Un tel langage était bien encourageant, et il est probable que si le savant membre de l’Institut l’avait tenu au moment {p. XI}même auquel ce qu’il appelle mon premier ouvrage avait paru, c’est-à-dire au commencement de 1884, je n’aurais pas hésité à me remettre immédiatement à la besogne. Mais, dans l’intervalle, je m’étais engagé dans une autre voie : j’étais entré dans la vie publique, et, pendant six années, mon double mandat de conseiller général de la Seine et de conseiller municipal de Paris, en me prenant mon temps et surtout en changeant le cours de mes pensées, m’a fait suspendre la continuation de mon entreprise.

Mais, suivant un vieux proverbe, on finit toujours par tomber du côté où l’on penche, et, mes goûts littéraires l’emportant, je m’abstins, pour les suivre, de solliciter de mes électeurs en 1890 le renouvellement du mandat qu’ils m’avaient deux fois donné.

En possession de tous les matériaux qui se rapportaient à Avianus et à ses imitateurs, je ne différai plus de les mettre en œuvre. Mais, en les employant, j’étais souvent obligé de me référer à ce que j’avais déjà publié, et ce regard en arrière me fit bientôt apercevoir, dans mes deux premiers volumes, des erreurs qui, pour avoir échappé à la perspicacité des érudits, n’en étaient pas moins réelles et n’en devaient pas moins être rectifiées.

Il me sembla que, si pénible que fût cette tâche, je devais, avant de donner une suite à mon premier travail, en faire paraître une édition nouvelle à laquelle je pusse ensuite, sans regret, rattacher mon étude sur Avianus.

D’ailleurs, d’autres raisons achevèrent de me déterminer.

D’une part, depuis l’apparition de ma première édition, j’avais découvert de nouveaux documents qui la rendaient incomplète et que je désirais ne pas laisser sans emploi.

D’autre part, elle en contenait qu’on pouvait considérer comme n’étant pas dans leur vrai milieu. Pour ne parler que des fables du moine que M. Paul Meyer appelle Eude de Cherrington {p. XII}et de celles des auteurs inconnus que j’avais appelés ses continuateurs, j’avais, en leur donnant asile, éprouvé une hésitation justifiée par le nombre restreint de celles dont les sujets avaient été indirectement tirés de Phèdre. M. Gaston Paris, tout en déclarant qu’il fallait se féliciter de ce que j’eusse compris Eude parmi les imitateurs du fabuliste romain, avait lui-même exprimé un doute sur le point de savoir si, réuni à eux, il se trouvait bien à sa place. Eude, en effet, a rarement emprunté à autrui les sujets de ses fables, et par suite j’ai fini par penser, comme le savant critique, que je devais le distraire des dérivés de Phèdre, pour lui faire, quand son tour serait venu, prendre rang parmi les fabulistes originaux.

Ainsi, indépendamment des corrections, j’avais à faire des additions et des retranchements. À ce point de vue encore, une deuxième édition me parut nécessaire.

En retardant la poursuite de mon entreprise, elle m’empêchera sans doute de l’achever. S’il en est ainsi, j’aurai du moins la consolation d’avoir bien commencé ce que je n’aurai pu finir.

Mais à cette heure, ce n’est pas cette éventualité qui m’inquiète. Je suis dominé par une autre préoccupation : devant la vision plus claire que j’ai maintenant des choses, j’éprouve le très vif regret d’avoir livré au public un premier ouvrage défectueux, et, convaincu que le nouveau donne seul à toutes les questions traitées leur exacte solution, je n’ai plus qu’un désir, qu’en terminant je ressens le besoin d’exprimer, c’est que ceux qui le liront veuillent bien ne pas se souvenir de son devancier.

L. HERVIEUX.
{p. 1}

Étude historique et critique
sur les fables latines de Phèdre et de ses anciens imitateurs directs et indirects,
Et sur les Manuscrits connus et inconnus qui les renferment. §

{p. 3}

Plan de l’ouvrage. §

L’étude que j’entreprends embrasse un vaste champ de recherches, qui n’a encore été qu’en partie exploré.

Lorsque je l’ai commencée, je me proposais seulement d’en faire la préface de la publication projetée des cinq manuscrits de Phèdre. Mais je n’ai pu me maintenir dans les étroites limites que je m’étais d’abord tracées.

L’œuvre du fabuliste romain ne nous est pas parvenue tout entière. Mais il a eu des imitateurs directs, qui ont mis ses ïambes en prose, et l’on trouve dans leurs imitations des mots et même des lambeaux de vers, qui lui appartiennent et qui, lorsqu’on veut l’étudier sérieusement, ne doivent pas être négligés.

Les imitateurs directs de Phèdre ont à leur tour été imités, et de ces imitations sont nées de nouvelles collections de fables, qui, à défaut de valeur philologique, ont une réelle importance historique et qui, se rattachant de près ou de loin aux imitations primitives, devaient aussi trouver leur place dans un travail véritablement complet.

Amené ainsi à porter mon attention non seulement sur l’œuvre de Phèdre, mais encore sur toutes les œuvres latines qui en ont été l’imitation, j’ai cru devoir diviser mon ouvrage en trois livres consacrés :

Le premier, à l’œuvre de l’auteur primitif ;

Le deuxième, à celles qui, l’ayant suivie pas à pas, peuvent {p. 4}fournir, pour l’amélioration du texte conservé, des leçons utiles, et permettre même dans une certaine mesure la reconstitution du texte égaré ;

Le troisième, à celles qui, indirectement dérivées de la source originaire, s’en écartent trop pour servir à sa restitution, et n’offrent plus d’intérêt que pour l’histoire de la littérature latine au moyen âge.

{p. 5}

Livre premier.
Étude sur les fables de Phèdre
et sur les manuscrits qui les renferment. §

Chapitre premier.
Biographie de Phèdre. §

§ 1. — Circonstances de la vie de Phèdre. §

Ce qu’on sait de la vie de Phèdre se réduit à peu de chose, et cependant il y a peu d’auteurs latins qui aient autant que lui occupé le public de leur personne. Sans cesse il s’interrompt, pour signaler le mal que cherchaient à lui faire des persécuteurs et des envieux plus ou moins hypothétiques, et il faut avouer que, lorsqu’il se met en scène, il tombe dans une prolixité qui contraste avec la concision de ses fables.

Je n’en veux pour exemple que les phrases redondantes, par lesquelles, dans le premier épilogue du livre IV, il prie Particulon de ne pas lui faire attendre la récompense promise et due à sa brièveté. Il est impossible de délayer davantage une idée et de la laisser en même temps plus vague.

Le Père Desbillons1 et, après lui, Schwabe2 et M. Fleutelot3 supposent qu’il sollicite en sa faveur une décision judiciaire {p. 6}longtemps attendue ; c’est une conjecture dont je démontrerai plus loin l’inexactitude.

Mais, si Phèdre s’est beaucoup occupé de lui, aucun de ses contemporains ou du moins de ceux dont les écrits nous sont parvenus, n’a seulement paru se douter de son existence. Aussi ses œuvres sont-elles la source unique à laquelle ont puisé ses biographes. Qu’on ne croie pas pourtant qu’il en soit résulté entre eux une complète harmonie. Sur la vie de l’auteur, comme sur ses œuvres, ils ont émis les opinions les plus divergentes.

1º Véritable nom de Phèdre. — Et d’abord ils n’ont pas même pu se mettre d’accord sur son nom. Je ne parle pas de la traduction française de son nom ; aujourd’hui pour nous il n’y a pas deux manières de l’écrire. Mais quel était son nom latin ? Était-ce Phæder ou Phædrus ? Telle est la première question qui a longtemps divisé les critiques.

Quelle que soit celle des deux formes latines qu’on adopte, il y a un point qui est incontestable, c’est que l’origine de chacune est grecque et que la forme grecque est Φαίδρος. Partant de là, le savant Gude fait observer que les noms grecs, qui ont la même désinence, se terminent en er dans la langue latine. C’est ainsi que des noms grecs Ἀλέξανδρος, Ἀντίπατρος et Σώπατρος on a fait en latin Alexander, Antipater et Sopater4. Après avoir posé le principe, il essaie d’en justifier l’application. Ainsi il rappelle que, dans les Inscriptiones antiquæ de Gruter, publiées à Heidelberg, en 1601 selon Niceron et en 1603 selon Fabricius5, et comprises dans deux volumes, le premier sans date, le second portant le millésime de 1603, on lit, page 1111, nº 3 :

D. PHEDIMO. VESTITORI. M
AVG
PHAEDER. FRATRI. PIISSIMO

et que lui-même il a dans sa propre collection reproduit cette épigraphe inédite d’une pierre florentine :

RVNCVLANIVS PHAEDER.

{p. 7}Le principe grammatical, posé par Gude, peut être parfaitement exact ; il faut pourtant reconnaître qu’ici la dérogation n’est pas douteuse ; dans tous les manuscrits d’Avianus on trouve : Phædrus etiam partem aliquam quinque in libellos resolvit. Mais ce qui a tranché indubitablement la question, c’est la publication qu’en 1830 M. Berger de Xivrey a faite d’un des manuscrits du fabuliste6 : le prologue du livre III, adressé à Eutyque, y est intitulé Phædrus ad Eutychum, et dans le livre IV le poète intitule Phædrus les réflexions que lui suggèrent les attaques de l’envie.

Maintenant je signale, en passant, une hypothèse imaginée encore par Gude, qui suppose que Phèdre reçut son nom d’Auguste7. Cet empereur, on le sait, aimait les belles-lettres, et il se plaisait à donner des noms grecs à ses affranchis et même à ses esclaves. Schwabe fait même observer que, chez ses successeurs, qui pourtant n’avaient pas hérité de ses goûts, cette habitude se maintint, et que Phèdre dédia deux de ses livres à deux affranchis, Eutyque et Philète, dont les noms avaient une étymologie évidemment grecque8.

Mais l’hypothèse de Gude ne me paraît pas trouver ici sa place : Phèdre, étant originaire d’un pays de langue grecque, n’avait pas besoin, pour porter son nom grec, qu’Auguste le lui eût donné. Tout au plus pourrait-on dire que, dans la maison impériale, la forme étrangère de son nom lui avait été conservée et qu’ainsi, au lieu d’être appelé Phæder, il avait été nommé Phædrus.

2º Lieu de naissance de Phèdre. — Le lieu de sa naissance, quelles qu’aient été les divergences d’opinion, ne peut pas être davantage l’objet de la moindre incertitude. Il a soin, dans le prologue du livre III, de l’indiquer en ces termes :

Ego, quem Pierio mater enixa est jugo.

C’est sur le mont Piérus qu’il était né. Il est vrai que plusieurs {p. 8}critiques, parmi lesquels il faut ranger Pagenstecher9, n’ont voulu voir dans ce vers qu’une métaphore poétique ; mais la suite du prologue s’oppose à cette interprétation, qui semble au premier abord assez naturelle. En effet, après avoir parlé d’Ésope le Phrygien et d’Anacharsis le Scythe, Phèdre ajoute :

Ego, litteratæ qui sum propior Græciæ,
Cur somno inerti deseram patriæ decus,
Threïssa cum gens numeret auctores suos,
Linoque Apollo sit parens, Musa Orpheo,
Qui saxa cantu movit et domuit feras,
Hebrique tenuit impetus dulci mora ?

Ces vers indiquent implicitement quel était le versant du Piérus, sur lequel il était né ; car ce mont, comme l’Olympe et l’Ossa, était compris dans la chaîne qui forme la limite de la Thessalie. « Il y a en Thessalie, dit Pline le naturaliste10, trente-quatre montagnes dont les plus célèbres sont les Circètes, l’Olympe, le Piérus et l’Ossa. » Comme la Thessalie dépendait de la Grèce et que Phèdre se dit né, non pas en Grèce, mais dans le voisinage, il faut en conclure qu’il avait vu le jour sur le flanc septentrional de la poétique montagne.

3º Nationalité de Phèdre. — Les critiques étant tombés d’accord pour admettre que Phèdre n’avait pas voulu parler un langage figuré, il semble qu’il n’y avait plus matière à discussion sur sa nationalité. Ils en ont jugé autrement, et, avec une gravité peut-être un peu naïve, ils se sont demandé si Phèdre était Thrace ou Macédonien.

P. Pithou11, Scheffer12 et Gérard Jean Vossius13, se fondant {p. 9}sans doute sur les vers que j’ai cités tout à l’heure, lui donnent la Thrace pour patrie. Mais le Père Desbillons14 et, après lui, Schwabe15, reconnaissant que la face septentrionale du Piérus faisait partie de la Macédoine, font de Phèdre un Macédonien. Ils ne s’en sont pas tenus là : ils ont voulu justifier leur thèse et pour cela ils ont fait appel aux anciens auteurs.

Le Père Desbillons cite d’abord un passage de Strabon, dont voici la traduction : « La Piérie, l’Olympe, le Pimpla, le Libethrus sont autant de lieux ou de monts, qui autrefois appartenaient à la Thrace, mais qui aujourd’hui sont annexés à la Macédoine16. »

Le même critique signale ensuite cette phrase empruntée à Pausanias : « On dit que dans la suite Piérus Macédonien, celui-là même qui donna son nom à une montagne de Macédoine, étant venu à Thespies, établit le nombre des neuf Muses et imposa à toutes les neuf noms qu’elles ont aujourd’hui17. »

Il invoque enfin le langage de Pline le naturaliste, de l’œuvre duquel il extrait ce membre de phrase : « Phères, derrière laquelle commence le Piérus qui se prolonge jusqu’en Macédoine18. »

De ces citations il conclut que la Piérie, à l’époque de la naissance de Phèdre, faisait partie de la Macédoine.

Ce premier point établi, le Père Desbillons se demande s’il est {p. 10}bien exact que, dans les vers précités, Phèdre se soit déclaré le compatriote de deux Thraces19.

Suivant lui, si Phèdre avait parlé de la sorte, il aurait tenu un langage inexact. En effet, Diodore de Sicile rapporte qu’Osiris confia à son fils Macédon le gouvernement du pays, qui, à raison de cette circonstance, fut appelé Macédoine20. Or cela se passait avant la naissance de Linus et d’Orphée, qui par conséquent n’avaient pas pu recevoir le jour dans un pays déjà séparé de la Thrace.

Enfin, suivant le Père Desbillons, Phèdre en réalité n’a pas prétendu qu’il était compatriote de Linus et d’Orphée ; les vers en litige ont été mal compris, et il n’a cité les noms de ces deux poètes de la Thrace que pour se justifier, lui né plus près qu’eux de la Grèce, d’être entré dans le sanctuaire des Muses.

Schwabe, qui, en général, se contente de faire un choix dans les opinions de ses devanciers, accepte celle du Père Desbillons : 1º sur l’origine macédonienne de Phèdre ; 2º sur l’interprétation à donner aux vers où il parle de Linus et d’Orphée21.

Pour fournir sur le premier point de nouveaux documents, il n’ajoute aux citations précédentes que deux témoignages assez insignifiants, tirés, l’un de Pomponius Mela, qui dit que c’est en Macédoine qu’est la Piérie, mère et séjour des Muses22, l’autre de Cellarius, qui en fait également une région de la Macédoine23. Je ne m’y arrête pas.

{p. 11}En ce qui touche le deuxième point, il pense, comme le Père Desbillons, que Phèdre a voulu dire que Linus et Orphée, nés en Thrace, n’étaient pas autant que lui voisins de la Grèce.

Je pourrais maintenant analyser la savante dissertation, par laquelle Jannelli, dans son édition des nouvelles fables de Phèdre24, a essayé à son tour de résoudre le même problème. Mais ce serait vraiment trop prolonger l’examen d’un point qui ne comporte pas une si longue discussion.

Je me bornerai, pour la clore, à exprimer brièvement ma pensée. Il est évident que Phèdre était Macédonien d’origine, et je veux bien admettre avec le Père Desbillons et avec Schwabe que Linus et Orphée avaient pu naître dans la partie de la Thrace restée en dehors de la Macédoine. Mais ce que je ne puis comprendre, c’est que, pour soutenir cette thèse, ils aient si fort dénaturé le sens des vers de Phèdre. Oui, ces vers offrent une antithèse ; mais elle n’existe pas entre Phèdre, poète macédonien, et Linus et Orphée, poètes thraces ; elle existe entre Phèdre, poète macédonien, d’une part, et d’autre part Ésope le Phrygien et Anacharsis le Scythe. C’est à eux qu’il fait allusion, quand il dit qu’il est né plus près de la Grèce, et il ajoute que son pays plus voisin du foyer des lettres a vu naître Linus et Orphée. Qu’on lise toute la période qui renferme cette pensée, et il ne restera aucun doute ; voici comment, dans la traduction que j’en ai faite, j’ai moi-même été forcé de la rendre :

Le Phrygien Ésope, Anacharsis le Scythe
Rendirent immortels leurs noms par leur mérite ;
Et moi, plus près des Grecs, dans ma lâche torpeur,
De mon pays lettré je trahirais l’honneur,
Quand la Thrace parmi ses poètes accuse
Linus, fils d’Apollon, et ce fils d’une Muse,
Qui charma les rochers et les bêtes des bois
Et de l’Hèbre emporté retint l’onde à sa voix25 !

Mais, objectera-t-on, comment se fait-il que Phèdre, né en Macédoine, {p. 12}ait pu se dire le compatriote des poètes, dont il fait lui-même honneur à la Thrace ? La réponse est faite par les textes que le Père Desbillons a pris lui-même la peine de citer, et notamment par le passage fort net de Strabon qui déclare que la Macédoine s’est formée du démembrement de la Thrace. Avant d’être géographe, Phèdre était poète. Si le mont Piérus n’était plus dans la Thrace, il en avait fait partie, et à ce titre on ne doit pas s’étonner qu’il se soit considéré comme le compatriote de Linus et d’Orphée.

4º Époque de l’arrivée de Phèdre à Rome. — Après avoir fait connaître le vrai nom du fabuliste, le lieu de sa naissance et sa nationalité, j’aurais à indiquer la date à laquelle il était né. Mais sur ce point les documents font défaut, et c’est à peine si elle pourrait être approximativement fixée.

Il a été également impossible de savoir s’il était né dans l’esclavage, ou si, né libre, il y était ensuite tombé.

Il en a été enfin de même pour la détermination de l’époque, à laquelle il arriva à Rome. Scheffer, son illustre biographe, et presque tous les critiques qui l’ont suivi, jusqu’au père Brotier lui-même, se sont rappelé que, suivant Suétone26, Octave, père d’Auguste, étant préteur en Macédoine, avait fait la guerre aux Besses et aux Thraces et les avait complètement battus. Ils ont, sans l’affirmer, supposé que Phèdre était au nombre des prisonniers, et que c’était ainsi qu’il était devenu esclave. Mais, ils ont oublié que, l’année où ces peuples furent vaincus, César était consul à Rome et Quintus Cicéron proconsul en Asie ; or, si jeune qu’eût alors été Phèdre, il faudrait admettre que, lorsqu’il composa ses premiers livres, il était déjà âgé de près de quatre-vingt-dix ans, et l’on me concédera, je l’espère, que ce n’est pas à un pareil âge qu’un homme peut s’apercevoir pour la première fois de son génie poétique.

Dans l’ignorance, où Scheffer pouvait être, de la date à laquelle les Besses et les Thraces avaient été battus, je m’explique son hypothèse erronée ; mais j’avoue que je ne puis comprendre comment le Père Brotier a pu l’accepter, au moment même où il faisait observer que la victoire d’Octave remonte à l’année 694 de la fondation de Rome, c’est-à-dire à une époque de soixante ans antérieure à l’ère chrétienne.

{p. 13}Aussi, réfléchissant davantage, Fabricius avait-il rejeté l’hypothèse de Scheffer.

Le Père Desbillons comprit également qu’elle était inadmissible. Pour la combattre plus victorieusement, il cite cette phrase empruntée à l’épilogue de la première partie du livre IV :

                        Olim senio debilem
Frustra adjuvare bonitas nitetur tua.

Il lui semble résulter du mot olim que, lorsque Phèdre parlait ainsi, il était encore loin de la vieillesse. Mais c’est inutilement, je crois, donner de ce mot une interprétation fausse, que combat la phrase précédente :

Languentis ævi dum sunt aliquæ reliquiæ,
Auxilio locus est.

On doit donc admettre qu’il était déjà bien avancé en âge. Mais alors, ainsi que je l’établirai, régnait l’empereur Claude, et Phèdre, si vieux qu’il fût, ne pouvait l’être assez pour avoir existé à l’époque de la victoire remportée sur les Thraces et les Besses.

En définitive, il est impossible de dire d’où lui venait sa position d’esclave et quels événements l’avaient amené à Rome.

Ce que l’on peut seulement affirmer, c’est qu’il y avait été conduit bien jeune. On trouve dans ses écrits la preuve qu’il n’était pas encore entré dans l’âge adulte. À la fin du premier épilogue du livre IV, il dit qu’il a toujours eu soin de se rappeler ce vers du Télèphe d’Ennius qu’il avait lu dans son enfance :

Palam muti re plebeio piaculum est.

Il est vraisemblable qu’il n’avait pu le lire qu’à Rome.

Mais il y a quelque chose de plus concluant que cette citation, c’est son œuvre tout entière. N’est-il pas hors de doute qu’un étranger, qui ne se serait pas, comme lui, appliqué de bonne heure à l’étude de la langue latine, n’aurait pu en faire un si habile usage ?

Il ne faut toutefois rien exagérer. Je démontrerai plus loin que, si, lors de son arrivée à Rome, il n’était encore qu’un enfant, il était déjà parvenu à un âge voisin de l’adolescence.

{p. 14}5º Séjour de Phèdre chez Auguste et son affranchissement. — Reconnaissant probablement en lui une intelligence exceptionnelle, Auguste, à qui il avait été vendu, fit ajouter à son instruction grecque l’enseignement des lettres latines, et, couronnant dignement son œuvre, lui donna la liberté. Certains savants ont voulu attribuer son affranchissement à Tibère. Mais leur opinion est en contradiction avec le texte même de ses fables qui parlent de l’un et de l’autre de ces deux empereurs.

Dans la célèbre fable du livre II, où il montre l’esclave obséquieux, qui, à force d’empressement, cherche à obtenir de Tibère les soufflets de la liberté, quel nom donne-t-il à l’empereur ? Dans le titre il l’appelle Cæsar, et, dans le texte même, Cæsar Tiberius, puis Cæsar, puis Dux, jamais Augustus.

Au contraire, ce dernier nom est le seul par lequel il désigne Octave. Lorsque, dans la fable x du livre III, il parle d’un procès soumis par les plaideurs au jugement de cet empereur, il s’exprime ainsi :

A Divo Augusto tunc petiere judices.

Quand donc, en tête de son œuvre, il prend lui-même la qualité d’affranchi d’Auguste, il faut reconnaître que c’est d’Octave qu’il entend parler.

Dira-t-on que la qualité, qui, en tête de ses fables, a été ajoutée à son nom, peut avoir été inventée par les copistes, auxquels nous devons ses manuscrits ?

Je répondrai que leur ignorance rend cette hypothèse invraisemblable.

Mais admettons-la un instant ; il sera encore facile d’arriver à la même démonstration. Le procès dont il parle, il en a eu personnellement connaissance :

Narrabo tibi memoria quod factum est mea.

Est-il supposable qu’il en aurait été instruit, lui qui ne s’occupait que de littérature, s’il n’avait pas lui-même vécu dans le palais impérial d’Auguste ?

Remarquons enfin, avec le Père Desbillons, que Phèdre dut son affranchissement à l’élévation et à la culture de son esprit, {p. 15}c’est-à-dire à des qualités qui, sous le règne de Tibère, n’auraient été utiles à personne, et qui, pendant la vie de Séjan, auraient pu même être fort dangereuses.

6º Causes qui ont fait de Phèdre un fabuliste. — Tant qu’Auguste vécut, Phèdre, malgré son goût pour les lettres, s’abstint de s’y livrer. Indécis devant les différents genres qui s’offraient à lui, il n’avait fait aucun choix. S’il fallait en croire Scheffer, ce serait le désir de la vengeance qui aurait mis fin à son incertitude. Après la mort d’Auguste, son dévouement à la famille de son bienfaiteur lui aurait attiré la haine de Séjan, et il n’aurait écrit ses apologues que pour rendre à son persécuteur le mal pour le mal.

Je ne saurais partager entièrement l’opinion de Scheffer. Phèdre, en se faisant fabuliste, n’avait pas cédé à des idées de vengeance. Ses écrits prouvent qu’il avait des aspirations plus nobles.

L’abaissement des esprits, préparé par l’absolutisme d’Auguste, avait, sous l’odieux gouvernement de Tibère, pris des proportions qui l’avaient ému, et il avait voulu, sans désigner personne, lutter contre une dégradation morale qui devenait chaque jour plus grande.

En entrant dans cette voie, il avait cherché à en supprimer les périls, et, comme il le déclare lui-même, il avait été ainsi conduit à recourir au genre de littérature le plus propre à soustraire le moraliste aux accusations calomnieuses :

Calumniamque fictis elusit jocis.

Quant à des attaques personnelles couvertes du voile de l’apologue, il n’y avait pas songé. Mais prévoyant que ses contemporains pourraient lui attribuer cette intention, que, bien des siècles plus tard, les critiques devaient être portés à lui imputer, il a, dans le prologue de son livre III, eu le soin d’expliquer sa pensée en ces termes :

Neque enim notare singulos mens est mihi,
Verum ipsam vitam et mores hominum ostendere.

En somme, il déclare lui-même qu’il s’est abstenu de toute personnalité, et rien n’autorise sur ce point à suspecter sa bonne foi et à voir dans sa déclaration une précaution habile.

{p. 16}Il n’en est pas moins vrai qu’il fut persécuté par Séjan. C’est, puisqu’il l’affirme, un point qu’on ne saurait contester. Mais pourquoi en fut-il ainsi ?

Tacite et Suétone nous montrent les riches constamment accusés par Séjan et souvent condamnés et dépouillés. Mais on ne peut supposer que, dans les poursuites qu’il dirigeait contre Phèdre, le ministre de Tibère était mû par le désir de s’emparer de ses biens. Car, à l’époque où il était traduit en justice, le fabuliste, dans le prologue de son livre III, écrivait « qu’il avait déraciné de son cœur l’envie d’amasser du bien » :

Curamque habendi penitus corde eraserim.

Et plus tard, dans la fable iv du livre V, resté à la fin de sa longue carrière aussi pauvre qu’au commencement, il s’exprimait encore ainsi :

Periculosum semper reputavi lucrum.

La richesse ayant été étrangère à ses malheurs, il faut leur attribuer une autre source, et il n’y a pas de longs efforts à faire pour la découvrir ; car Phèdre lui-même l’indique en ces termes :

In calamitatem deligens quædam meam.

Il suffit, pour la connaître, de bien comprendre ce vers.

Dans la plus ancienne des traductions françaises, publiée en 164727, Isaac Le Maître de Sacy l’a rendu par ce membre de phrase :

« Choisissant quelques sujets pour y peindre mon infortune. » Il y avait là un contre-sens. En effet, pour que cette interprétation fût exacte, il aurait fallu, ce qui d’ailleurs n’aurait pas rendu le vers faux, que Phèdre eût écrit, non In calamitatem, mais In calamitate. L’erreur du traducteur français n’avait pas échappé au savant Pierre Burmann, qui, par une note insérée dans sa magnifique édition in-4, de 172728, avait eu soin de la signaler et de restituer le véritable {p. 17}sens. Mais il est vraisemblable que la note de Pierre Burmann ne fut pas aperçue des traducteurs postérieurs, qui tour à tour firent confiance à leur devancier29, et moi-même, dans ma traduction littérale en vers libres publiée en 188130, quoique ayant l’intuition de leur erreur, je ne m’étais pas cru l’autorité nécessaire pour me permettre de me séparer d’eux. Aujourd’hui, ma conviction l’emportant sur tout autre sentiment, je n’hésite plus à confesser que, pour donner au vers de Phèdre son vrai sens, il faut le traduire ainsi : « Adoptant certains sujets pour mon malheur. »

Si l’on accepte ce sens, il faut admettre qu’il déclare que ce sont ses écrits qui lui valurent les poursuites dirigées contre lui. Et cela {p. 18}ne doit pas sembler étonnant : quoiqu’il n’eût pas eu l’intention d’attaquer Séjan, ce dernier, connaissant l’attachement du fabuliste à la famille d’Auguste et croyant dès lors avoir en lui un ennemi, avait été porté à voir des attaques personnelles dans certaines fables où il pouvait se reconnaître, mais où pourtant il n’avait pas été particulièrement visé.

Il faut en définitive en arriver à cette conclusion que ce n’est pas, contrairement à l’avis de Scheffer, le besoin de rendre le mal pour le mal qui inspira à Phèdre ses fables, mais que ce sont elles, qui, quoique étrangères à tout mauvais sentiment, lui valurent son adversité.

Dois-je maintenant rechercher quelles sont celles dans lesquelles Séjan avait cru deviner des allusions hostiles ? Cela me semble fort dénué d’intérêt ; car sur ce point on ne peut que formuler des hypothèses très incertaines. Pour la plupart les critiques, ainsi que nous le verrons plus loin, ont pensé que c’étaient les fables i, ii et iv du livre I qui avaient éveillé les susceptibilités de Séjan. Je ne partage pas cette opinion, et je crois qu’aucune des fables qui l’avaient irrité, ne nous est connue. Soit que le procès par lui intenté ait abouti à un jugement qui en ordonnait la suppression, soit que, pour s’épargner de nouveaux ennuis, Phèdre ait trouvé bon de ne pas les maintenir dans ses œuvres, il me semble probable que, de son temps même, les scribes ont dû cesser de les faire figurer dans leurs copies. Cette manière de voir n’est pas dénuée de point d’appui. Puisque c’est dans le prologue du livre III qu’il se plaint du procès que Séjan lui intente, il est certain que ce sont ses deux premiers livres qui devaient renfermer les fables incriminées ; or, dans le même prologue, il prétend avoir du sentier d’Ésope fait une route :

Ego illius pro semita feci viam,

et, si démesurée que puisse être cette prétention, quand on songe que le deuxième livre ne comprend que huit fables, on reste convaincu qu’il ne nous est pas entièrement parvenu.

Il est vrai que ce deuxième livre n’est pas le seul qui soit incomplet, et que les livres IV et V offrent aussi des lacunes évidentes. Mais ce qui est significatif, c’est qu’en ce qui touche le livre II rien dans les manuscrits de Pithou et de Reims ne permet de supposer {p. 19}qu’elles soient dues aux copistes du moyen âge, tandis qu’il ressort des lambeaux de fables que présentent les mêmes manuscrits, que c’est bien au moyen âge que les livres IV et V ont été en partie perdus.

En somme, ce qui résulte des propres déclarations de Phèdre, c’est qu’en se faisant fabuliste, il n’avait agi sous l’influence d’aucun sentiment d’animosité personnelle et qu’il avait été guidé par l’unique désir de signaler et de guérir les plaies morales de l’humanité.

Et maintenant, qu’on me permette, avant de passer à un autre ordre d’idées, d’ajouter une dernière observation. Phèdre dit bien que, s’il a opté pour la fable, c’est qu’étant donné son.but elle en rendait pour lui la réalisation moins dangereuse. Or, d’autres moralistes romains avaient dû avoir la même préoccupation que lui, et cependant aucun n’avait songé à recourir au même préservatif. Pourquoi seul y avait-il pensé ? La question me semble facile à résoudre.

Si, lorsqu’il avait été amené à Rome, il était encore enfant, il n’était plus en bas âge ; il possédait déjà trop bien pour l’oublier la langue de son pays natal, et, la possédant, il avait pu dans le palais impérial, en même temps qu’il apprenait la langue latine, acquérir aisément une connaissance approfondie de l’histoire et de la littérature de la Grèce.

Tout dans son œuvre montre avec quel soin il avait étudié les hommes et les choses de ce pays. Quel autre fabuliste, à moins d’être Grec lui-même, eût fait, comme lui, intervenir les grands personnages de l’antiquité grecque, tels que Linus et Orphée31, Simonide32, Pisistrate33, Anacharsis34, Démétrius de Phalère et Ménandre35, Socrate36, Myron et Praxitèle37 ? Quel autre eût placé à Athènes38, à Clazomène39, dans l’île de Céos40, {p. 20}c’est-à-dire en Grèce et dans les pays voisins les scènes de ses apologues ? Quel autre enfin, en nous révélant la vieille légende relative au Castor41, eût pu, comme lui, signaler au passage un des défauts particuliers à la race grecque ?

En définitive, il ressort de son œuvre elle-même, que, si, pour assurer sa sécurité, il avait eu recours à un genre de littérature inusité à Rome, c’est qu’à raison même de son origine il était tout particulièrement initié aux vieilles traditions ésopiques.

7º Dates de la composition et de la publication des fables de Phèdre. — Reste la question de savoir à quelle époque il écrivit et publia ses cinq livres.

L’opinion la plus généralement admise par les critiques, c’est qu’aucun des cinq livres de Phèdre ne fut écrit ou au moins publié pendant la vie de Tibère. Croyant y trouver des attaques dirigées contre Séjan, et songeant à l’abominable réputation que l’histoire avait faite à ce dernier, ils en ont conclu que le ministre de Tibère, attaqué par Phèdre, ne lui aurait pas fait grâce, et l’on ne voit pas qu’en définitive le fabuliste ait eu beaucoup à souffrir de ses accusations.

Gude, par cette manière de voir, est porté à penser que les fables ne furent publiées qu’après la mort de Tibère, pendant la vie duquel Phèdre n’aurait osé y mettre son nom ; il voit dans les fables i et vi du livre Ier de mordantes personnalités. Seulement il prétend qu’elles n’avaient pas trait à Séjan, et qu’elles se rapportaient à l’époque de Caligula, contre qui elles auraient été dirigées42.

Burmann, tout en reconnaissant que Phèdre a vécu sous le règne de Tibère, croit pouvoir induire du premier épilogue du livre IV et de la dernière fable du livre V, qu’il n’a composé ses fables qu’à un âge très avancé43.

Cannegieter suppose que, sous le nom de Séjan, c’est Narcisse qu’il a voulu stigmatiser. Il ajoute que l’époque de Claude se prêtait mieux qu’aucune autre aux licences qu’il voulait se permettre et que la fable Ranæ regem petentes s’applique admirablement à ce {p. 21}prince patient et stupide, qui, au Forum et dans les autres lieux publics, tolérait toute espèce d’injures44.

Sax, précisant davantage, n’hésite pas à dire que c’est au milieu du règne de cet empereur que Phèdre écrivit toutes ses fables, et, donnant une date à leur publication, il leur assigne l’année 48 après J.-C.45.

Quant au Père Desbillons, il n’ose pas fixer une date à l’ouvrage de Phèdre46. Il affirme seulement que les deux fables Ranæ ad Solem et Ranæ regem petentes furent non seulement écrites, mais encore connues avant la chute de Séjan.

Il croit que la première était dirigée contre ce dernier et la seconde à la fois contre son maître et contre Caligula.

Suivant lui, la fable Ranæ ad Solem fut une satire transparente de la conduite criminelle de Séjan. Le ministre de Tibère avait aspiré à la main de Livia Livilla, sœur de Germanicus et femme de Drusus, et pour cela, après avoir consommé l’adultère avec elle, l’avait vivement engagée à s’affranchir de son mari par le poison. Tous deux avaient nourri l’espoir de faire disparaître ainsi l’obstacle qui s’opposait à leur union. Phèdre, par les Grenouilles, dont le Soleil desséchait les marais et qui, pour empêcher son mariage, s’adressaient à Jupiter, aurait voulu désigner les familles romaines, que Séjan accablait de charges et qui recouraient à l’empereur pour entraver ses projets.

Dans la deuxième fable, le Père Desbillons croyait que, par le soliveau, Phèdre avait désigné Tibère, qui, pour mieux se soustraire au fardeau des affaires publiques, s’était lâchement retiré sur un rocher du golfe de Naples, et dans l’hydre il pensait reconnaître Caligula, dont l’empereur se proposait de faire pour les Romains un véritable serpent.

Comme le Père Desbillons, Schwabe n’hésite pas à voir dans la fable Ranæ regem petentes une allusion satirique au gouvernement de Tibère. Seulement il croit qu’il n’était pas désigné par le soliveau, {p. 22}et qu’à raison de sa cruauté, c’était l’hydre qui devait le désigner47.

Mais je ne m’arrête pas à cette petite divergence d’opinion, et je reviens au Père Desbillons. Suivant lui, la première de ces deux fables avait exaspéré Séjan, qui s’y était reconnu. Aussi, la seconde, quoique communiquée confidentiellement à quelques amis, étant parvenue à sa connaissance, s’était-il aussitôt emparé de l’occasion qu’elle lui fournissait de se venger. Tibère s’était déjà, pour n’en plus revenir, retiré dans l’île de Caprée ; le favori, seul maître à Rome, avait profité de sa toute-puissance pour accuser Phèdre de lèse-majesté.

Le Père Desbillons considérait donc les fables ii et vi du livre Ier comme écrites et connues sous le règne de Tibère ; il paraît admettre aussi que ce ne furent pas les seules et que d’autres fables valurent à la même époque de pareils ennuis à leur auteur. Mais il ne fixe aucune date à l’apparition de son œuvre, et il pense que, lorsque Phèdre parvint à la vieillesse, il ne songea qu’au repos et ne s’occupa pas de la publier.

Après avoir analysé les diverses opinions des critiques, je vais maintenant formuler la mienne.

Ne nous occupons d’abord que des deux premiers livres.

Ce qui avait en général empêché les critiques d’admettre qu’ils eussent été publiés ou seulement écrits sous Tibère, c’est qu’ils y avaient vu des allusions que Phèdre à cette époque n’aurait pu, suivant eux, impunément se permettre. Mais ces allusions n’ont existé que dans leur imagination. Phèdre n’avait pas eu l’intention de fustiger Séjan, et dès lors, sous l’administration de ce dernier, il avait pu, sans rien craindre, non seulement écrire, mais encore publier ses deux premiers livres.

Quoi qu’il en soit, si leur publication offrait un danger, il est certain qu’il s’y était exposé. En effet, quand on le voit, dans le prologue de son livre III, déclarer d’une part qu’il a pour son malheur adopté certains sujets, et d’autre part se plaindre, non d’avoir été, mais d’être poursuivi par le ministre de Tibère, on ne peut conserver aucun doute sur l’époque de l’apparition de ses deux premiers livres.

{p. 23}Voilà, je crois, la vérité ; c’est faute de l’avoir ainsi envisagée, que beaucoup de savants ont renvoyé à une époque postérieure leur publication.

Je passe au troisième. Comme les deux premiers, ce fut encore au public qu’il le destina. Le prologue en fournit partout la preuve. Il avait embrassé la carrière littéraire ; il s’y était livré tout entier ; il avait accepté cette pauvreté qui en était déjà l’apanage ; il n’avait pu qu’à force de travail et de patience se faire classer parmi les hommes de lettres :

Quamvis in ipsa pene sim natus Schola,
Curamque habendi penitus corde eraserim,
Et laude multa vitam in hanc incubuerim,
Fastidiose tamen in cœtum recipior.

Il ne pouvait, après tant de sacrifices, consentir à rester ignoré, et, si l’amour du bien inspirait ses écrits, il n’en désirait pas moins que l’immortalité en fût la récompense. Il ne dissimule pas avec une fausse modestie cette idée qui le domine, il l’exprime même avec cette franchise naïve qui lui est familière :

Ergo hinc abesto, Livor ; ne frustra gemas,
Quoniam mihi solemnis debetur gloria.

Les deux premiers livres n’avaient sans doute pas eu la faveur qu’il aurait désirée. Pour lui assurer un succès plus grand, il dédie le troisième à un affranchi riche et puissant, Eutyque, dont il paie en monnaie de flatterie le service espéré de lui :

Librum exarabo tertium Æsopi stylo,
Honori et meritis dedicans illum tuis.

Quelle époque faut-il assigner à la composition de ce troisième livre ? Si l’on s’en tient aux termes du prologue, l’incertitude n’est pas possible : Tibère vivait encore. Lorsqu’en effet Phèdre se plaint d’avoir Séjan pour accusateur, pour témoin et pour juge, il ne parle pas d’un fait accompli ; il s’exprime ainsi :

Quod si accusator alius Sejano foret,
Dignum faterer esse me tantis malis.

{p. 24}Il n’emploie pas le plus-que-parfait fuisset ; il se sert de l’imparfait foret qui indique qu’il est encore en butte à des poursuites et que sa condamnation n’a pas encore été prononcée.

Je crois, pour moi, qu’à défaut de documents contraires, le plus sage parti est de s’en rapporter à Phèdre lui-même.

Schwabe incline vers le même avis ; mais ce qui semble l’embarrasser, c’est le témoignage de l’historien F. Josèphe, qui, ainsi que Sax le fait observer, mentionne, dans le chapitre IV de son livre XIX sur les antiquités juives, un certain Eutyque et en fait un opulent affranchi de Caligula. Pour tout concilier, il suppose que le troisième livre commencé sous Tibère ne fut achevé que pendant le règne de son successeur.

S’il y avait regardé de plus près, Schwabe aurait compris que l’affranchi de Caligula n’avait eu aucune relation avec Phèdre. Dans le chapitre précité, F. Josèphe cite bien un affranchi dévoué à cet empereur ; mais voici le portrait qu’il en fait : « Erat enim hic Eutychus, agitator prasinus, Caio et militibus circa solemnitates circensium et seditiones atque opera inhonesta devotus48. »

S’appuyant sans doute sur cette phrase, Chr. Wase en a fait un affranchi, qui jouissait d’une grande fortune et d’un grand crédit à la cour de Caligula49. Mais rien n’autorise Wase à être si affirmatif.

Dans le chapitre XIII du livre XVIII50, F. Josèphe parle bien encore d’un autre Eutyque, affranchi d’Agrippa, dont il était même resté le cocher ; mais quel cocher ? un mauvais drôle, un voleur, qui, après avoir dérobé des vêtements à son maître, se voyant arrêté, l’avait dénoncé à Tibère comme un conspirateur pour se soustraire à ses poursuites. Il est encore moins probable que le vertueux Phèdre ait eu pour protecteur un pareil homme. J’ajoute que, si l’on admettait cette supposition invraisemblable, on devrait encore nécessairement reporter à l’époque de Tibère la composition du troisième livre.

{p. 25}Gude d’ailleurs signale beaucoup d’autres affranchis, appelés tantôt Eutychus comme l’ami de Phèdre, tantôt Eutyches avec la désinence grecque. Ainsi notamment il cite, en la tirant de sa collection épigraphique, cette inscription :

TI. CLAVDIVS. EVTYCHVS51,

qui est relative à un affranchi de Claude, et, en la puisant dans les Inscriptiones antiquæ de Gruter52, cette autre :

ISID. REG.
L. PVBLICIVS. EVTYCHES
MVN. TAR. LIB.

c’est-à-dire Municipii Tarsensis libertus. Je dois en outre signaler, dans l’ouvrage de Gruter, cette inscription trouvée dans le couvent bénédictin de Capoue :

EVTICHVS. VILLIC
A PLVMBO
EVAGOGVS. A. F : : : : : : : : : :
FECERVNT. SIBI. ET. SVIS53,

et cette autre, qui est encore, comme celle conservée par Gude, relative à un affranchi de Claude :

TI. CL. EVTYCHE. TI. F
QVI. VIXIT. ANNO. VNO
M. VII. D. XXVIII. CLAVDIVS
EVTYCHES. FILIO
DVLCISSIMO54.

Mais aucun des affranchis, dont il est question dans ces inscriptions, ne me paraît être celui dont nous cherchons la trace ; je la verrais plutôt dans celle que le Père Brotier55 emprunte à Bianchini, {p. 26}et qui, placée sur la tombe d’affranchis et d’esclaves d’Auguste, était ainsi conçue :

C. JVLI VTYCHI
ET QVINTILLIAES AVRAES
IMMVNIVM.

C’est aussi judicieusement que Rigault cite une inscription romaine ainsi conçue :

EVTICHVS. AVG. LIB.
MERONIANVS. MEDICVS
LVDI. MATVTINI56.

Enfin j’ai fait moi-même, dans les recueils spéciaux, des recherches qui ne sont pas restées sans résultat, et j’ai notamment rencontré deux inscriptions se rapportant à deux affranchis qui sont nommés l’un Eutychus et l’autre Eutyches et dont l’un pourrait bien être l’opulent ami de Phèdre. Voici la première :

DIVO. AVGVSTO
C. ARRIVS. OPTATVS
C. IVLIVS. EVTYCHVS
AVGVSTALES57.

La seconde, recueillie par Jean-Baptiste Doni, est ainsi conçue :

D. M
EVTYCHES. AVG. LIB. CVBI
CVLARIVS. HELLADIO. AVG. LIB.
DECVRIONI. CVBICVLARIORVM
PATRI. DVLCISSIMO. BENEME
RENTI. ET. SIBI. ET. CONIVGI. ET. LIBERTIS
LIBERTABVSQ. POSTERISQVE
EORVM58.

{p. 27}Il est en effet bien plus naturel de supposer que Phèdre ait dédié son troisième livre à un affranchi, dont il avait partagé le sort dans le palais d’Auguste, et dont il avait dû, pendant leur commun esclavage, se concilier la sincère affection. Cet affranchi, entré dans une carrière moins ingrate que la sienne, avait pu, pendant la vie de Tibère, devenir riche et puissant, et l’on conçoit que Phèdre, se croyant poursuivi par Séjan, ait pu, avant même d’avoir été condamné, lui adresser le troisième livre de ses fables.

Dira-t-on que tout cela n’explique pas comment, dans le prologue de son troisième livre, Phèdre, au moment même où Séjan l’appelait en justice, a osé stigmatiser son redoutable ennemi ? C’est juste ; mais l’explication me semble facile à donner. Si le vindicatif favori de Tibère avait pu connaître le prologue du livre III, Eutyque aurait été impuissant à protéger son ami ; mais, si le troisième livre avait, comme les deux premiers, été destiné à la publicité, le prologue n’en avait été sans doute adressé qu’à lui, et Phèdre avait pu y laisser échapper des plaintes même amères, sans s’exposer à aucunes représailles.

Je me hâte de passer aux deux derniers livres. Il dédia le quatrième à l’homme qui paraît avoir été son principal protecteur ; j’ai nommé Particulon.

Il est à croire que, comme Eutyque, Particulon était un affranchi, et, si ce fut un affranchi, il est probable que ce fut à Claude qu’il dut la liberté ; car l’appui que Phèdre lui demande, montre qu’il le considère comme un personnage influent, et l’on sait que l’époque de Claude fut pour les affranchis le temps de leur vraie puissance.

Phèdre, depuis longtemps, n’avait plus à redouter la colère de Séjan disgracié et mis à mort. Mais il n’était pas pour cela exempt de craintes. Seulement il ne faut s’y tromper : ce qu’il craignait, ce n’étaient pas les hommes dont la conscience n’était pas pure et qui pouvaient voir dans ses fables un importun et permanent reproche, et, dans leur colère, essayer de se venger de lui. Il est même supposable que les puissants de son époque ne s’inquiétaient pas beaucoup de ses œuvres. Mais ce qui le préoccupait sans relâche, c’était la jalousie que son talent devait inspirer, et c’était surtout pour contre-balancer les critiques des envieux, qu’il recherchait l’appui des gens respectés.

{p. 28}Cette préoccupation, il l’avait déjà laissé apparaître dans l’épilogue de son livre II, quand il avait écrit :

Si livor obtrectare curam voluerit,
Non tamen eripiet laudis conscientiam,

et plus loin :

Sin autem ab illis doctus occurrit labor,
Sinistra quos in lucem natura extulit,
Nec quidquam possunt nisi meliores carpere,
Fatale exitium corde durato feram.

Il avait encore obéi à la même pensée, quand il s’était écrié dans le prologue de son livre III, adressé à Eutyque :

Ergo hinc abesto, Livor !

Il en faut, selon moi, conclure que, dans le premier épilogue du livre IV, c’était surtout contre les envieux réels ou imaginaires qu’il invoquait ainsi le secours de Particulon :

Sæpe impetravit veniam confessus reus :
Quanto innocenti justius debet dari !
Tuæ sunt partes ; fuerunt aliorum prius ;
Dein simili gyro venient aliorum vices.
Decerne quod religio, quod patitur fides,
Et gratulari me fac judicio tuo.

Le Père Desbillons pense qu’il s’agit ici d’un procès, soumis à la décision d’un magistrat, dont Phèdre aurait omis le nom59. Mais, tout en engageant instamment le lecteur à prendre garde de se tromper, il tombe lui-même dans une fâcheuse erreur, qu’il a été entraîné à commettre par la fausse division qu’il a faite des cinq livres de Phèdre. Il a cru que c’était, non le quatrième livre, mais le cinquième, qui était dédié à Particulon.

Pour se fourvoyer à ce point, il avait été obligé d’abord d’altérer ce vers :

Quartum libellum dum Variæ perleges,

{p. 29}et de substituer quintum à quartum, ensuite de ne tenir aucun compte de l’affranchi Philète, dont le nom figure pourtant à la fin de la dernière fable du livre V.

Après avoir ainsi accommodé le texte à sa guise, il a donné carrière à son imagination, et vu, dans les vers cités plus haut, les sollicitations d’un accusé qui demande à son juge une sentence favorable.

La fausseté de son hypothèse aurait dû lui être démontrée par ce vers du même épilogue :

Brevitati nostræ præmium ut reddas peto.

Mais il le passe sous silence. Ainsi que je l’ai déjà dit, Schwabe et M. Fleutelot n’en ont pas moins accepté son avis.

Quant à moi, d’accord avec Hoogstraten60, je le prétends inadmissible. Dans l’épilogue qu’il adresse bien à Particulon, et non pas à un juge, Phèdre réclame la récompense promise à sa brièveté, et l’on me concédera, je l’espère, qu’il n’est pas naturel que cette récompense doive consister dans une bonne décision judiciaire.

Quoi qu’il en soit, ce qui n’est pas douteux, c’est que, en appelant Particulon : vir sanctissime, en implorant de sa bonté la bienfaisante réalisation de ses promesses, en le priant de lire ses fables dans sa villa de Varia, et en lui demandant pour elles une approbation qui sera son plus bel éloge, Phèdre fait de son protecteur un homme à la fois intègre, riche et lettré.

Aussi ne se borne-t-il pas à lui dédier la première partie de son livre IV, et, quand, après avoir renoncé à écrire, il reprend la plume et ajoute à son quatrième livre une seconde partie, est-ce encore à lui qu’il la consacre.

J’arrive enfin au livre V ; c’est également sous l’égide d’un affranchi qu’il le place, et cet affranchi porte, comme Eutyque, un nom grec ; il se nomme Philète. Ici le doute sur la qualité du protecteur n’est pas possible : des inscriptions lapidaires l’établissent. Dans les Inscriptiones antiquæ de Gruter on lit, page 352, nº 4 :

ANEROS. ASIATICVS. VI. VIR
SIBI. ET. VALERIAE. Ɔ. L. TRYPHERAE
VXORI, ET. PHILETO. LIBERTO

{p. 30}et page 677, nº 2 :

TI. CLAVDI. PHILETI
V. A. VI. M. III. D. XXI
TI. CLAVDIVS. PHILETVS.

Gude signale en outre cette inscription comme se trouvant à Velletri sur l’une des dalles de la cathédrale :

D. M. CL. VICTORINAI
TI. CL. PHILETVS. LIB. BENEMERENTI61.

De ces inscriptions il ressort que Philète était un affranchi de Claude.

On rencontre encore dans les Inscriptiones antiquæ de Gruler les inscriptions suivantes, qui ne me paraissent pas se rapporter aussi bien au protecteur du fabuliste ; d’abord :

FILETE. ARISTIA. PHILETVS. M. AEMILIVS
C. AQVILIVS. M. CAELIVS
CLAVDIVS FILINVS62

puis, pages 345, nº 3, et 346, nº 2 :

ET. FILETVS. ACTOR

page 728, nº 10 :

PHILETVS. CVM. NIPHADE
MATRE. FECIT

page 1039, nº 1 :

PHILETO. ET. MOSCHIDI
Q. VOLSIVS. VICTORINVS

et page 1093, nº 10 :

PHILETVS. ET. FVSCVS. L. F. C.

{p. 31}Le cinquième livre, dédié à Philète, est loin de nous être parvenu tout entier. Par suite de divisions arbitraires, dans les éditions imprimées il se compose de dix fables ; mais en réalité il n’en comprend que cinq. Il est certain qu’il en renfermait d’autres ; mais ce qui est également vraisemblable, c’est que Phèdre, ne l’ayant commencé qu’à un âge très avancé, mourut avant de l’avoir achevé.

8º Date de la mort de Phèdre. — Aucun document ne renseigne sur la date de sa mort. Il est seulement certain qu’il parvint à une grande vieillesse ; sa dernière fable en est la preuve. Pagenstecher63 suppose que son existence se prolongea jusque sous les règnes de Vespasien et de Domitien. Le Père Brotier, au contraire, pense qu’il ne survécut pas à Tibère ; car autrement il n’aurait pas manqué de flageller Caligula ; ce qui ne ressort pas de ses fables64. La vérité est sans doute entre ces deux conjectures extrêmes. Mais il est impossible de fixer une date précise.

§ 2. — Valeur de l’écrivain et caractère de l’homme. §

Une biographie de Phèdre ne serait pas complète, si elle n’était pas accompagnée d’une esquisse rapide de la valeur de l’écrivain et du caractère de l’homme.

Parlons d’abord de la valeur de l’écrivain.

Quand on veut porter un jugement sur un homme de lettres, il faut toujours examiner en lui deux choses, le fond, c’est-à-dire la pensée, et la forme, c’est-à-dire le style.

À la lecture de Phèdre, on est malheureusement pour lui obligé de constater que, dans son œuvre, le fond manque d’originalité. Depuis le commencement de son premier livre jusqu’à la fin de la première partie du IVe, les sujets de ses fables sont presque tous empruntés à Ésope, et dans ceux qui n’en sont pas tirés, il n’a pas davantage le mérite de l’invention ; car alors il n’est plus fabuliste, il est narrateur. Il se borne à reproduire de petites historiettes du genre de celles, qui de nos jours, dans la presse quotidienne, figurent {p. 32}sous la rubrique : Nouvelles et faits divers. C’est là ce qu’on trouve dans les fables v du livre II, x du livre III, v de la première partie du livre IV, vi de la deuxième partie du même livre, ii du livre V, xv et xvi de l’appendice. Quelquefois, si ce ne sont pas des événements contemporains qu’il expose, il raconte des anecdotes plus ou moins anciennes et plus ou moins véridiques ; telles sont celles qu’on lit dans les fables viii, ix et xi du livre III, xi et xxii de la première partie du livre IV, x et xxvii de l’appendice. Souvent aussi il a recours à des traditions qui se rapportent à la vie problématique du vieil Ésope ; de cette catégorie sont les fables iii, v, xiv et xix du livre III, ix, xii, xiii, xvii et xx de l’appendice. Quelquefois enfin Phèdre puise ses récits dans le domaine connu de la mythologie ; tels sont ceux que présentent les fables xvii du livre III, xii, xiv, xv, xviii et xxv de la première partie du livre IV et v de l’appendice.

Ce défaut complet d’originalité dans la pensée est reconnu par lui-même.

Dans le prologue de son premier livre, il déclare qu’il s’est borné à versifier la matière qu’Ésope lui a fournie :

Æsopus auctor quam materiam repperit
Hanc ego polivi versibus senariis.

Il ajoute dans le prologue du livre II qu’il prend Ésope pour modèle, et que, s’il l’amplifie un peu, ce n’est que pour donner plus de charme au récit :

Sed si libuerit aliquid interponere
Dictorum sensus ut delectet varietas,
Bonas in partes, Lector, accipias velim.

Il est vrai que, dans le prologue du livre III, il prétend, comme je l’ai déjà fait observer, qu’il a fait une route du sentier tracé par Ésope et écrit plus de fables que son devancier n’en avait laissé :

Ego illius pro semita feci viam,
Et cogitavi plura quam reliquerat.

Mais l’amour de la gloire et la manie de la persécution, qui étaient ses deux principales faiblesses, l’ont fait tomber ici dans une exagération, qui ressort matériellement d’abord des fables de ses deux {p. 33}premiers livres presque toutes imitées d’Ésope, et ensuite de ses aveux ultérieurs et notamment du poème du livre IV, qui est intitulé Phædrus et dans lequel il avoue que la pensée de ses œuvres appartient à Ésope :

Sive hoc ineptum, sive laudandum est opus,
Invenit ille, nostra perfecit manus.

C’est seulement à partir de la deuxième partie de son livre IV, qu’il commence à être original. Du moins, c’est lui qui l’affirme dans la première fable, où il déclare que, s’il se sert encore du nom d’Ésope, ce sera pour donner plus d’autorité à son œuvre, et pour imiter ces artistes qui, afin d’amorcer le public, signent leurs ouvrages du nom de Praxitèle :

Æsopi nomen sicubi interposuero,
Cui reddidi jampridem quicquid debui,
Auctoritatis esse scito gratia ;
Ut quidam artifices nostro faciunt seculo,
Qui pretium operibus majus inveniunt, novo
Si marmori adscripserunt Praxitelen suo.

Malheureusement on est obligé de le croire sur son affirmation ; car il reste si peu de chose, soit de la deuxième partie du livre IV, soit du livre V, qu’il est impossible de savoir si Ésope n’en avait pas encore fait en partie les frais. Ce qui s’y révèle clairement, c’est la transformation du fabuliste en romancier et en nouvelliste. Peut-on en effet voir des fables dans les anecdotes, où il met en scène Ménandre et le tyran Démétrius (livre IV, 2e partie, fable ii), deux Soldats et un Voleur (livre IV, 2e partie, fable iii), un Bouffon et un Paysan (livre IV, 2e partie, fable vi), un Joueur de flûte nommé Leprince (livre V, fable ii), et le vieillard nommé le Temps (livre V, fable iii) ? Or, comme en dehors de ces poèmes anecdotiques, la deuxième partie du livre IV et le livre V ne renferment que deux vraies fables, on peut dire que, dans l’œuvre de Phèdre, l’originalité de la pensée a été presque nulle.

Il faut le reconnaître, ce qui fait la principale valeur littéraire de Phèdre, c’est la forme. Comme La Fontaine, qui n’a pas eu plus que lui l’originalité du fond, c’est uniquement par le style qu’il s’est rendu remarquable. Si le style a toujours de l’importance, c’est surtout en matière littéraire. La postérité ne garde pas le souvenir de {p. 34}ceux qui, dans leurs écrits, ont mal exprimé les idées même les plus neuves ; elle ne se rappelle que ceux qui, sans les avoir conçues, ont eu le talent de se les approprier et de les présenter avec élégance. Voilà pourquoi La Fontaine, qui dans toutes ses fables n’a été qu’un imitateur, s’est acquis une renommée à mon sens surfaite, mais certainement impérissable, et voilà pourquoi Phèdre, suivant sa propre expression, vivra autant que la littérature latine :

Latinis dum manebit pretium litteris65.

Les deux fabulistes n’ont pas employé les mêmes procédés littéraires : La Fontaine a su se rendre séduisant par l’habile développement de l’idée originale et par la grâce et la finesse des détails dont il l’a ornée ; Phèdre, malgré son origine macédonienne, étant en pleine possession des secrets de la langue latine, a mis toute sa dextérité à présenter sous une forme concise les idées par lui puisées dans les fables de l’auteur antique qu’il appelait le vieux Phrygien, ou simplement le vieillard ; c’est là ce qui fait son infériorité. Tandis que La Fontaine, tout en restant imitateur, fait, dans la mise en œuvre, preuve d’une certaine imagination, Phèdre s’en est montré absolument dépourvu. La Fontaine a été un élégant paraphraste, Phèdre n’a été qu’un traducteur.

Le rôle modeste que le fabuliste latin s’est assigné, ne l’a pas empêché d’avoir de sa personne l’opinion la plus haute qu’un homme puisse concevoir de lui-même. Il éprouve un besoin de parler de son mérite, qu’on ne rencontre au même point chez aucun auteur latin, et chaque fois qu’il se met en scène, ce qui arrive souvent, il n’hésite pas à faire de sa supériorité intellectuelle, un éloge, qui, s’il avait été réellement un écrivain de premier ordre, blesserait encore les lois les plus élémentaires de la modestie, et qui, étant donné son bagage littéraire, le pose en auteur à la fois naïf et vaniteux.

Il déclare, dans l’épilogue du livre II, que les attaques des envieux ne l’empêcheront pas d’avoir conscience de sa valeur, et que, s’il est attaqué par eux, il saura attendre courageusement que le sort rougisse de son crime :

Fatale exitium corde durato feram,
Donec fortunam criminis pudeat sui.

{p. 35}Dans le prologue du livre III, il traite bien ses fables de viles bagatelles, viles nænias ; mais ce n’est là que de la fausse modestie ; il ne tarde pas dans le même prologue à se placer au-dessus d’Ésope, et il conclut en déclarant d’un ton emphatique qu’une gloire solennelle lui est due :

Quoniam solemnis mihi debetur gloria.

Dans le poème vii de la première partie du livre IV où il se plaint de la critique, il traite de sots ceux qui se la permettent à son égard :

Hoc illis dictum est, qui stultitia nauseant.

Enfin, dans le prologue de la deuxième partie du livre IV, il se console, en pendant que, s’il est attaqué, ce n’est que par des gens de mauvaise foi, irrités de ne pouvoir l’imiter, et il exprime l’espoir que Particulon son protecteur et tous les lettrés le jugeront digne de l’immortalité à laquelle il aspire :

Hunc obtrectare si volet malignitas,
Imitari dum non possit, obtrectet licet.
Mihi parta laus est, quod tu, quod similes tui
Vestras in chartas verba transfertis mea,
Dignumque longa judicatis memoria.
Inlitteratum plausum non desidero.

Un tel orgueil est d’autant plus incompréhensible qu’en somme, si l’on recherche sur quoi il le fonde, on s’aperçoit que la seule qualité qu’il s’attribue, c’est la brièveté.

Dans le prologue du livre II, il avertit le lecteur qu’il aura soin d’être bref :

Ita, si rependet illi brevitas gratiam.

Dans le promythion de la fable x du livre I, il annonce une courte fable :

Hoc adtestatur brevis Æsopi fabula.

Quand il fait un récit qui exige quelques développements, il a soin de faire remarquer que c’est une exception à la règle qu’il a adoptée ; il s’excuse en ces termes à la fin de la fable x du livre III :

Hæc exsecutus sum propterea pluribus,
Brevitate nimia quoniam quosdam offendimus.

{p. 36}Pour indiquer leur concision, il donne toujours à ses fables la dénomination, non de fabulæ, mais de fabellæ66.

Quand il annonce qu’il va parler du testament expliqué par Ésope, il déclare qu’il ne fera qu’un court récit :

Narratione posteris tradam brevi67.

Dans la fable vii la première partie du livre IV, il ne demande au lecteur qu’un peu de patience :

Parva libellum sustine patientia.

Lorsque, dans le premier épilogue du livre IV, il prie Particulon de lui donner la récompense promise, c’est sur sa brièveté qu’il se fonde pour y prétendre :

Brevitati nostræ pretium ut reddas peto,

et dans le second épilogue, lorsqu’il a obtenu la récompense sollicitée et qu’il n’a plus rien à réclamer de Particulon, c’est encore sa brièveté qu’il fait valoir auprès de lui, pour assurer à ses écrits l’approbation de son protecteur :

Si non ingenium, certe brevitatem adproba.

Ce qui ressort de tout cela, c’est que l’orgueil de Phèdre n’était pas justifié par l’importance de son œuvre. Je suis très porté à croire qu’en réalité il n’a jamais été la victime de l’envie et qu’il n’en a souffert que dans son imagination.

Ce qui me paraît donner un fort point d’appui à cette manière de voir, c’est que, même lorsque, comme Sénèque, ils traitaient de questions qui auraient dû appeler son nom sous leur plume, les écrivains latins contemporains ou postérieurs ne se sont pas occupés de lui. Il est vrai que ses fables avaient acquis assez de notoriété pour parvenir à la connaissance de Séjan, à qui elles avaient servi de grief ; mais il est probable que ce dernier n’y avait pas attaché une grande importance et qu’il n’avait pas donné suite à son action en justice ; car on ne voit pas que Phèdre ait été atteint {p. 37}par le ministre de Tibère ni dans ses biens qui étaient nuls, ni dans sa liberté qu’il paraît avoir toujours conservée. J’en conclus que, pareil à tous les auteurs inaperçus, il a pris un peu pour de l’envie ce qui n’était que de l’indifférence.

Maintenant, hâtons-nous de le dire, Phèdre avait cet honorable orgueil, qui est basé sur la foi, qui ne connaît point la morgue et qui n’inspire que la sympathie.

Il faut d’ailleurs reconnaître que, s’il a eu l’excusable faiblesse d’attacher trop d’importance à son œuvre, il n’a pas non plus été un homme vulgaire, et que, si comme littérateur il a été inférieur à La Fontaine, il lui a peut-être été supérieur comme philosophe.

La fable iii du livre III fait voir que c’était un esprit élevé, sur qui la superstition n’avait point de prise, qui se moquait des sorciers, qui ne croyait pas au merveilleux, et qui pensait que le raisonnement peut seul expliquer les choses en apparence surnaturelles.

Quand on cherche quelles étaient ses idées en métaphysique, on lui trouve encore la même supériorité intellectuelle ; la fable xxxi de l’appendice nous le montre partisan de la métempsycose, c’est-à-dire de la théorie la plus rationnelle parmi celles qui ont pour base l’identité du moi après la mort.

Enfin rendons, en terminant, un légitime hommage à son inébranlable amour du bien, et disons que Phèdre fut une nature honnête, un moraliste convaincu, qui eut, en restant pauvre, le rare mérite de suivre ses propres préceptes, et, en rêvant sans cesse l’immortalité, le courage de ne la demander qu’à la seule valeur de ses écrits.

{p. 38}

Chapitre II.
Manuscrits de Phèdre. §

Il est peu d’auteurs anciens, dont les manuscrits soient aussi rares que ceux de Phèdre. On n’en connaît que cinq, dont l’un même n’existe plus ; ce sont :

1º Le manuscrit de Pithou ;

2º Le manuscrit de Reims ;

3º Le manuscrit de Daniel ;

4º Le manuscrit napolitain de Perotti ;

5º Le manuscrit Vatican de Perotti.

Leur examen successif va faire l’objet de ce deuxième chapitre.

Section I.
Manuscrit de Pithou. §
§ 1er. — Histoire du manuscrit. §

Lorsqu’au mois de septembre 1596, parut la première édition des fables de Phèdre, elles étaient entièrement inconnues. Au moyen âge elles avaient bien servi de texte à des traductions latines, qui elles-mêmes avaient été la base de versions en prose et en vers ; mais, destinée singulière des choses humaines, alors que les imitations plus ou moins grossières avaient survécu, l’œuvre originale était tombée dans le plus complet oubli ; personne ne savait ce que Phèdre avait écrit ; on ignorait presque son nom.

Il avait éprouvé le sort qu’ont sans doute subi beaucoup d’autres {p. 39}auteurs latins ; car il ne faut pas se dissimuler que les couvents, qui, dans les temps d’ignorance, ont sauvé un grand nombre de leurs œuvres, en ont aussi détruit beaucoup. Les palimpsestes en fournissent aujourd’hui la preuve la plus irrécusable.

L’honneur de faire revivre Phèdre était réservé à l’illustre Pierre Pithou, que, suivant un ancien bibliothécaire de l’Oratoire, le Père Adry68, son érudition a fait surnommer le Varron de la France.

Si la nature de cette étude ne m’imposait pas d’étroites limites, je tâcherais de peindre ici cette figure qui fut une des plus pures de son époque ; je me bornerai à en tracer une légère esquisse.

La seconde moitié du xvie siècle, à laquelle Pierre Pithou appartient, offre à l’historien qui l’observe un singulier contraste. Au milieu de ces guerres civiles que le fanatisme religieux faisait sans cesse renaître, on voyait, sans rester indifférents aux déchirements de la patrie, des hommes éminents chercher dans les lettres et dans les arts une diversion à leur tristesse, et continuer dans le recueillement la grande œuvre de la Renaissance. Les grands peintres, les grands statuaires, les grands architectes, les grands jurisconsultes, les grands littérateurs, les grands savants, rien n’a manqué à cette brillante période du progrès humain. Leurs noms sont connus ; il est inutile de les rappeler. Ne parlons que de Pierre Pithou.

Son père avait eu, en 1524, d’un premier mariage deux enfants jumeaux, Jean et Nicole, qui embrassèrent l’un, le barreau, l’autre, la médecine. Ayant perdu sa première femme, il avait, en secondes noces, épousé Bonaventure de Chantaloë, fille de Robert de Chantaloë, seigneur de Baire, et de Catherine Dorigny.

Pierre Pithou fut l’aîné des deux enfants issus de cette union. Il était né à Troyes, le 1er novembre 1539. Son père, qui était un des avocats les plus distingués du barreau de cette ville, avait tenu à ce que son éducation fût bien commencée. Il l’avait envoyé à Paris, et l’avait fait entrer au collège de Roncourt, qui était alors en vogue. Ses études classiques terminées, il avait résolu de lui faire {p. 40}embrasser la carrière du barreau, et, pour l’y préparer, l’avait confié à Cujas. Pendant cinq ans, à Bourges et à Valence, Pithou suivit les cours de ce fameux jurisconsulte, qui conçut pour lui une affection toute particulière.

En 1560, il se fit inscrire au barreau de Paris, et, quoique assidu aux audiences, il ne plaida sa première cause qu’en 1564. Il la gagna, et cependant ce succès ne l’encouragea pas à entrer dans des luttes trop contraires à ses goûts. Timide et réfléchi, il ne possédait pas cette rapidité de pensée et cette facilité de parole, qui, bien plus encore que les qualités solides, assurent à l’avocat les triomphes oratoires. Il aimait sa profession, parce que, l’exerçant surtout dans son cabinet par ses consultations écrites, elle lui fournissait l’occasion de se livrer à des travaux vraiment scientifiques et lui laissait en même temps le loisir de suivre ses goûts pour les études littéraires.

En 1567, pressentant les catastrophes dont Paris allait être le théâtre, il le quitta, vint à Troyes, et demanda son inscription au barreau de sa ville natale. Mais la lutte était ouvertement engagée entre l’intolérance religieuse et la liberté de conscience. Pithou avait été élevé par son père dans les croyances de la religion réformée. Le parti catholique, qui était le plus fort, repoussa du barreau troyen le fils de celui qui en avait été l’oracle.

Après être resté un an à Troyes, l’agitation croissant toujours, il se décida à sortir de France. Il se retira à Bâle, y continua sa vie laborieuse, et y séjourna jusqu’en 1570.

Ramené dans sa patrie par l’édit rendu à cette époque, il rentra au barreau de Paris, et publia les 42 Novelles des empereurs Théodose le Jeune, Valentinien et Anthémius, qu’il dédia à Cujas. Puis, sollicité par le duc de Montmorency, qui était chargé d’une mission extraordinaire auprès de la reine Élisabeth, il consentit à le suivre en Angleterre. Mais la prospérité de ce pays lui offrait un contraste trop affligeant ; il n’y passa que deux mois ; il aimait d’ailleurs trop la France pour en rester volontairement éloigné ; il était à Paris pendant la nuit de la Saint-Barthélemy. La célébrité qu’il devait à ses travaux avait attiré sur lui l’attention des assassins. En gagnant par le toit la maison contiguë à la sienne et en allant ensuite se cacher chez son ami Nicolas Lefebvre, qui logeait dans la même rue que lui, il parvint à leur échapper ; mais {p. 41}ils se vengèrent de sa fuite sur ses manuscrits qui furent pillés.

Après le massacre, il abjura le calvinisme. Personne ne songea à suspecter sa sincérité. Ceux auxquels il se ralliait l’accueillirent sans méfiance, et sa droiture était trop connue de ses anciens coreligionnaires, pour lui attirer leur inimitié. Ainsi, tandis que le Père Sirmond69, qui quelques années après s’était rendu à Rome, y garantissait sa sincérité, il demeurait à Paris en relations intimes avec ceux dont il avait abandonné les croyances. Tous savaient qu’il ne désirait que la vie retirée du travailleur modeste.

Ce désir, il le réalisa. Le bailliage de Tonnerre étant devenu vacant, il le reçut, en 1573, des mains du duc d’Uzès et de sa femme, Louise de Clermont-Tonnerre, et trouva, dans ces fonctions peu absorbantes, les calmes loisirs qu’il recherchait et qui lui permirent d’écrire de nouveaux ouvrages et notamment de publier la loi des Wisigoths.

Pendant cette tranquille période de sa vie, il eut le bonheur de rencontrer une femme digne de lui, Catherine de Palluau, fille de Jean de Palluau, secrétaire du roi et conseiller en l’hôtel de ville de Paris. Il l’épousa, et, pendant quelques mois, put partager ses instants entre ses chères études et sa compagne, que, suivant son expression, il aimait comme lui-même.

Mais, dans les temps d’agitation, les grandes individualités ne peuvent pas rester simples spectatrices des événements. Elles se doivent à leur pays. C’est dans cette pensée qu’en 1580 il consentit à entrer plus franchement dans la vie publique. Il accepta au parlement de Paris les fonctions de substitut du procureur général Jean de la Guesle.

Pendant qu’il les remplissait, des dissentiments graves s’étaient élevés entre le Saint-Père et le roi de France. Aux décisions du Concile de Trente avaient été opposées les ordonnances de Blois.

Le pape dans un bref avait manifesté son irritation. Pithou fut chargé de répondre. « Il le fit, ajoute son biographe Grosley70, par un mémoire, où, sans sortir du respect dû au Pape, il démasque les {p. 42}vûes secrètes de ceux qui vouloient l’aliéner du Roi et défend fortement, et en peu de mots, la cause du Roi et de l’État. »

En 1581, fut provisoirement créée une Chambre souveraine, tirée du parlement de Paris, pour remplacer celui de Guyenne. Cette Chambre allait avoir une mission difficile ; il consentit, autant par dévouement pour Henri III que par amitié pour son ancien condisciple Loysel, à y remplir les fonctions de procureur général. « Chargé, écrit Grosley, de la correspondance de la Chambre avec la Cour, il mettoit sous les yeux du Roi les abus qu’il falloit corriger, le bien qu’il falloit faire et le soin des Peuples. »

Après une dernière séance tenue à Saintes, la Chambre se sépara le 8 juin 1584.

En 1583, les Commissions de substituts des procureurs généraux avaient été érigées en charges vénales. Pithou renonça à une magistrature qu’il n’aurait plus due à son seul mérite. « Les traitants eux-mêmes, dit Grosley, offrirent à M. Pithou des provisions pour la sienne. » Il les refusa et retourna au barreau.

Tout en profitant de ses nouveaux loisirs pour répandre sur l’antiquité de nouvelles lumières, il ne se désintéressa pas des événements politiques. Il continua à contempler, avec une tristesse dont ses écrits portent l’empreinte, les sanglantes discordes de la France, et, quoique rentré dans la vie privée, il essaya d’y porter remède.

Quand il vit que, pour satisfaire son ambition, la maison de Lorraine ne craignait pas d’appeler l’Espagne à son aide, il entra dans la lutte, pour soutenir celui des prétendants qui représentait l’indépendance nationale. Sa seule arme était sa plume ; mais, en rédigeant avec quelques amis la fameuse satire Ménippée, il sut la rendre si acérée qu’il frappa d’un coup mortel les meneurs de la Sainte Union.

Henri IV, entré à Paris, sentit qu’il ne lui suffisait pas d’être victorieux et qu’il avait encore à pacifier le pays. Pendant la guerre civile, les membres du Parlement s’étaient retirés à Tours et à Châlons. En attendant qu’ils pussent être ramenés et réunis, il fallait former une Cour souveraine qui rendît la justice. Le 28 août 1594, Pithou en fut nommé le procureur général. Il comprit sa tâche, et travailla avec un succès complet à l’œuvre de conciliation qui lui avait été confiée.

Lorsque le Parlement fut enfin réuni, ne voulant pas d’autre {p. 43}récompense que la satisfaction d’avoir été utile, il quitta ses hautes fonctions, et rentra simplement dans les rangs des avocats.

« Pendant les vacances de l’année 1595, qu’à son ordinaire il étoit venu passer à Troyes, expose Grosley, François Pithou son frère, loi avoit fait présent d’un Exemplaire unique des Fables de Phèdre, qui jusqu’alors s’étoient dérobées aux recherches des Amateurs de l’Antiquité : à peine même soupçonnoit-on leur existence. Il les avoit déjà transcrites de sa main, et données à Patisson, son Imprimeur, lorsque la Peste l’obligea de quitter Paris avec toute sa famille, et de venir à Troyes.

« Pour s’y ménager un amusement de son goût, et mettre ce voyage à profit pour le Public, il avait retiré le Phèdre des mains de Patisson, pour le faire imprimer à Troyes sous ses yeux71. »

La première édition des fables de Phèdre est excessivement rare : peut-être me saura-t-on gré d’en donner ici la description.

Elle forme un petit volume in-12 de soixante-dix pages.

Voici d’abord le titre que porte la première :

Phædri Avg. Liberti fabvlarvm Æsopiarvm libri v, Nunc primum in lucem editi. Avgvstobonae Tricassivm excvdebat Io. Odotivs, Typographus Regius, Anno CIƆ. IƆ. XCVL. Cum privilegio.

La deuxième page est remplie par les vers suivants adressés à Pithou par Florent Chrétien :

petro pithoeo antiqvitatis vindici.

Phrix (sic) ille seruus, mente sanus libera
Græcas iocosus fecit ex re fabulas
Adfabulatus quæ docerent Socratem :
Græcis trimetris vinxit illas Babrius
Et post Latinis Phaedrus olim Cesaris
Libertus Augusti, stylo atque tempore
Par proximusue Laberio vel Publio,
Quem nunc tenebris erutum Orcinæ specus,
Pithoee, superis reddis auris, maximam
Initurus à me gratiam, imò ab omnibus
Spero eruditis : cæteros nihil moror
{p. 44}Quîs prisca sordet litterarum puritas.
Tantum ô viderem doctiores Principes
Quàm litteratos seruolos, quales erant
Aesopus, et libertus iste Principis.
Q. Sept. Florens Christianvs.

Les pages 3 et 4 sont occupées par une épître de Pithou à son frère François.

« Celui-ci, dit M. Berger de Xivrey, avait publié, en 1576, un manuscrit de la bibliothèque de Pierre Pithou, contenant la traduction des Novelles de l’empereur Justinien par Julien, surnommé Antecessor, et il avait dédié à son frère cette édition imprimée à Bâle. C’est à quoi ce dernier fait allusion au commencement de l’épître suivante :

« p. pithoevs francisco fratri.

 

« Reddo tibi, frater, pro novellis constitutionibus Imperatoris, veteres fabellas imperatorii liberti, et quantum quidem conjicio, Tiberii, atque adeò post Sejanum damnatum. Nam quis istos deinceps laudavit unquam ? Ejus scriptoris qui meminerit ex veteribus nullum dam reperi præter unum Avienum, quem etiam Virgilii fabulas ïambis scripsisse tradunt. Thracem se fuisse innuit et Græciæ vicinum : ut nec ii libelli Senecæ fidem elevent testantis Ӕsopios logos intentatum Romanis ingeniis opus. Senem admodum scripsisse praeter seniles de ætate querellas (sic), vel illa arguunt quod se D. Augustum jus dicentem audiisse, et Cilnii Mæcenatis Bathyllum saltantem vidisse significat. Cuicui vero ille alapas et libertatem debuerit, tibi certe, frater, jam vitam debet, quam temporum injuria pæne sepulto exemplaris a te reperti beneficio restituere conatus sum. Ita tu patronus Phædro, ego adsertor ac vindex vel non idoneus, sine satisdatione tamen venio, et Augusti libertum, vel libertinum potius, privatus hac etiam parte testabilem publicique juris facio ; tu illi adsis ac faveas modò, qui et poeticis voluptatibus aures à forensi asperitate respirare non ignoras, et hoc figmenti genus a veri professoribus usque adeo non esse alienum, ut à Socrate ipso Ӕsopi λόγους versibus redditos Cebes apud Platonem in os laudaverit. Have72, mi frater, et inter istam {p. 45}publicam luem salve ac vale. Tricassib. X. KL. Septembres reb. prolatis, ann. CIƆ. IƆ. XCVI. »

Vient ensuite, à la page 5, un extrait de la préface mise par Avianus en tête de ses fables ; le voici :

« Avienus in præfatione Fabularum suarum Ӕsopicarum ad Theodosium.

« Hujus materiæ ducem nobis Ӕsopum noveris, qui responso Apollinis monitus ridicula orsus est ut legenda firmaret. Verum has pro exemplo Fabulas et Socrates divinis operibus indidit, et poemati suo Flaccus aptavit, quod in se, sub jocorum communium specie, vitæ argumenta contineant : quas Græcis iambis Babrius repetens in duo volumina coartavit ; Phædrus etiam partem aliquam quinque in libellos resolvit. De his ego usque ad XLII in unum redactas fabulas dedi, quas rudi latinitate compositas elegis sum explicare conatus. »

À la page 6 se trouve ce passage de Priscien :

« Prisciani sophistæ ex arte præexercitaminum secundum Hermogenem vel Libanium ac Græcos Rhetores.

« Fabula est oratio ficta verisimili dispositione imaginem exhibens veritatis. Ideὸ autem hanc primum tradere pueris solent oratores, quia animos eorum adhuc molles, ad meliores facilè vias instituunt vitæ. Usi sunt ea vetustissimi quoque auctores, Hesiodus, Archilochus, Plautus, Horatius. Nominantur autem ab inventoribus fabularum aliæ Ӕsopiæ, aliæ Cypriæ, aliæ Libycæ, aliæ Sybariticæ, omnes autem communiter Ӕsopiæ, quoniam in conventibus frequenter solebat Ӕsopus fabulis uti : et pertinent ad vitæ utilitatem. Expositio autem fabularum vult circuitionibus carere et jucundior esse : sed oratio qua utilitas fabulæ retegitur, ἐπιμύθιον vocant, quod nos adfabulationem possumus dicere, à quibusdam prima, à plerisque rationabilius postrema ponitur.

« Vide Fabium, lib. V, Institut. Orat., A. Gell., lib. II, Noct., c. xxviiii, et Macrob., lib. I, Comment. in Somn. Scip. »

C’est seulement à la page 7 que commence le texte de Phèdre. Il est précédé de ce titre :

phaedri avg. liberti fabvlar. aesopiarvm liber i.

Il s’étend jusqu’au milieu de la page 67 ; deux genres de caractères {p. 46}y ont été employés : les caractères romains pour les prologues, les épilogues et la morale de chaque fable, et les caractères italiques pour le reste.

À la suite de la dernière fable arrivent les variantes du manuscrit, qui, quoique incomplètes, remplissent les pages 68 et 69.

Ces deux pages et la dernière ne sont pas numérotées.

La page 70 est consacrée au privilège dont voici la formule :

« Par privilège du Roy, donné à Paris, le 28 iour d’Aoust 1596, il est permis à Maistre Pierre Pithou, y dénommé, de faire imprimer par tel que bon luy semblera, Phædri Augusti liberti libros quinque, avec deffences à tous Imprimeurs et Libraires de ce Royaume, autres que celuy qu’il choisira, de les imprimer pendant six ans, ny en exposer en vente d’imprimez ailleurs dedans ledict tẽps, sinon du consentement du dict Pithou, sur peine de confiscation, et d’amende arbitraire. Et que par l’extraict sommaire dudict privilège mis au commencement ou à la fin de l’impression, il soit tenu pour suffisãment notifié, sans autre signification.

« Je soubs-signé certifie auoir baillé à Jean Oudot, Imprimeur du Roy en ceste ville, Phædri Augusti liberti fabularum Aesopiarum libri quinque, pour les imprimer et mettre en lumière, suyvant la permission et privilège du Roy, dont l’extraict est cy-dessus.

« Faict à Troyes, le dernier iour d’Aoust, Mil cinq cens quatre-vingt-seize.

« Ainsi signé : P. Pithou. »

Telle est l’édition publiée par Pierre Pithou.

Je n’en connais que 14 exemplaires, savoir : deux à la Bibliothèque nationale, le troisième à la Bibliothèque de l’Arsenal, le quatrième à la Bibliothèque Mazarine, le cinquième à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, le sixième et le septième à la Bibliothèque de Troyes, le huitième à la Bibliothèque de Berne, le neuvième et le dixième au British Museum, l’onzième à la Bibliothèque Bodléienne, les douzième et treizième à Cambridge, l’un à la Bibliothèque de l’Université, l’autre à celle du King’s college, enfin le quatorzième à la Bibliothèque Laurentienne de Florence.

Les deux exemplaires de la Bibliothèque nationale portent sur le Catalogue imprimé de 1750, l’un la cote Y 6561, et l’autre la cote Y 6562. Le premier, court de marges et mal relié, n’a rien de remarquable ; {p. 47}le deuxième, quoique très rogné, porte des notes écrites par trois mains différentes.

Je n’ai aucune remarque à faire sur les deux exemplaires de la Bibliothèque de l’Arsenal et de la Mazarine.

Il n’en est pas de même pour celui de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Daunou, dans son article sur l’édition diplomatique de M. Berger de Xivrey73, publié dans le Journal des savants en décembre 183074, dit que cet éditeur ne paraît pas avoir eu connaissance de l’exemplaire de Sainte-Geneviève, et il ajoute qu’il renferme « les variantes des manuscrits ». Il est possible que M. Berger de Xivrey ne l’ait pas connu ; mais à l’égard des variantes, Daunou se trompe ; car l’exemplaire ne contient que celles du manuscrit de Pithou écrites par Nicolas Rigault lui-même, qui fut, comme on le sait, le premier commentateur français des fables de Phèdre.

C’est là du moins ce qu’indique la note suivante tracée au crayon en tête de l’exemplaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève :

« Notæ istæ, meo quidem judicio, sunt propria Nicolaï Rigaltii manu exaratæ, dum Phædri editionem meditabatur, quæ prodiit Parisiis 1599 in-12, deinde secundis curis aucta 1617 in-4o, denique 1630 in-12, sed oscitanter confecta, si fides Niceroni To. 21 habeatur. Has notas mss. eo fidentius Rigaltio adscribo, quod penes me duo sint exemplaria libelli ab eodem dati sub titulo : Exhortations chrétiennes etc., 1620, in quibus Exemplaribus aspersas lego notas mss. eodem plane caractere cum præsentibus ad Phædrum simillimas. » Cette note est signée d’un B avec paraphe. À côté de ce B, à l’encre, une autre main a ajouté ces mots : Certe Beaucousin75.

La conjecture de Beaucousin est parfaitement exacte. Pour {p. 48}m’en assurer, j’ai collationné les notes manuscrites de cet exemplaire avec celles des éditions de Rigault, et j’ai vu qu’elles étaient presque identiques à celles de la première. Je puis donc affirmer que non seulement c’est Rigault qui a annoté l’exemplaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève, mais qu’encore c’est pour sa première édition qu’il s’est livré à ce travail préparatoire.

Au-dessous de la note de Beaucousin, on lit :

« Voyez la lettre de M. l’abbé de Saint-Léger dans l’Année littéraire, 1787, t. VIII, page 228. »

Cet exemplaire de la première édition de Pithou est passé, en 1765, dans la Bibliothèque Sainte-Geneviève ; c’est là du moins ce qui paraît ressortir de la mention suivante écrite sur le titre, selon l’usage du temps : « Ex libris Sanctæ-Genovefæ, Paris, an. 1765. » J’ignore quelles vicissitudes il avait pu auparavant subir.

La Bibliothèque de Troyes possède aussi deux exemplaires de l’édition de Pithou, qui, dans le fonds appelé Cabinet local, portent les nos 221 et 222.

Le premier de ces deux exemplaires, à raison des notes en langue française dont il est pourvu, est plus précieux que le second. Un savant troyen, très initié à tout ce qui touche l’histoire littéraire de sa ville natale, m’a exprimé l’idée que ces notes étaient de Grosley ; mais, quand on les compare à sa signature, on est porté à les attribuer à une main beaucoup plus ancienne. J’ai relevé plusieurs de ces notes ; mais, dans le désir d’abréger cette analyse, je m’abstiens de les transcrire.

Je me permettrai seulement de faire connaître les particularités qui indiquent par quelles mains le volume est successivement passé.

D’abord, sur le frontispice, au-dessus de la vignette centrale, on aperçoit la signature de Grosley, puis à droite apparaît celle du docteur Carteron accompagnée du millésime de 1806 et d’un timbre humide portant les mots : « Ex libris Franc. Carteron doct. medici Trecis. »

Le frontispice est précédé d’un feuillet blanc, qui a été ajouté par le relieur et sur lequel on lit : « Ce volume m’a été légué par {p. 49}mon excellent camarade et ami, M. le docteur Carteron-Corthier. » Cette mention porte la signature abrégée de Corard de Bréban, accompagnée d’un timbre humide, dans l’intérieur duquel apparaissent ces mots : « Ex libris Corard de Bréban, Trecensis. » Enfin au-dessous on lit encore : « Offert par M. Édouard de Blives à la Bibliothèque de Troyes. » Cette mention est signée et datée ainsi : « Édouard de Blives, petit-fils de Bréban, le 8 septembre 1871. »

L’exemplaire qui porte le nº 222 est admirablement relié et conservé ; ses marges sont pures de toute annotation. Ce qui en fait le prix, c’est qu’il paraît provenir de la bibliothèque de Pierre Pithou lui-même.

Quant à l’exemplaire de Berne, il a appartenu à Jacques Bongars, savant bibliophile, qui, pendant de longues années, fut auprès des cours d’Allemagne le ministre plénipotentiaire du roi Henri IV. Intimement lié avec les frères Pithou, il avait pu sans peine avoir communication du manuscrit, et, se livrant dessus au travail comparatif qu’entreprit plus tard Dom Vincent sur celui de Reims, il en reporta les variantes sur l’exemplaire imprimé. Aussi a-t-il été d’un grand secours au philologue suisse Orelli pour l’édition qu’en 1831, à Zurich, il a donnée des anciennes fables de Phèdre. Il faut pourtant reconnaître que la publication du manuscrit de Pithou par M. Berger de Xivrey a fait perdre à cet exemplaire, comme à celui de Rigault, une grande partie de son importance scientifique.

J’ai voulu savoir comment il était entré dans la Bibliothèque de Berne, où, pendant l’été de 1870, j’avais été d’Évian l’examiner. Mais l’idée d’éclaircir ce point m’étant seulement venue pendant le siège de Paris, j’ai dû en attendre la fin. Au mois de mars 1871, la capitale de la France étant sortie de sa séquestration forcée et ses communications ayant été rétablies, j’ai écrit, pour me renseigner, au conservateur de la Bibliothèque bernoise, M. de Steiger, qui déjà, l’été précédent, m’avait fait l’accueil le plus empressé.

Voici la réponse qu’il m’a adressée :

« Berne, le 14 mars 1871.

« Monsieur,

 

« En réponse à votre honorée du 5 courant, j’ai l’avantage de vous faire savoir que Jacques de Bongars, seigneur de Bauldry et la Chesnaye, né à Orléans en 1554, décédé à Strasbourg en 1612, avait {p. 50}tant dépensé pour l’érudition, et avait été si mal appointé par le roi Henri IV, qu’il ne put pas rembourser les avances considérables, faites par son ami René de Gravisette, natif de la Lorraine. Gravisette, peut-être son beau-frère, reçut par conséquent, selon le testament de Bongars, en place de l’argent comptant qu’il ne pouvait lui rembourser, sa bibliothèque personnelle. Cette bibliothèque, ramassée avec beaucoup de soins et de connaissances littéraires, se composait de passés 5 000 volumes d’ouvrages imprimés et d’à peu près 600 volumes manuscrits. Le magistrat de Strasbourg avait refusé à Bongars l’achat de cette précieuse collection.

« René de Gravisette mourut en 1614, et son fils Jacques, homme lettré, vint se fixer à Berne, et fit cadeau de toute cette bibliothèque à la ville de Berne, qui l’obtint en 1632. Les Gravisette n’existent plus que par la descendance féminine.

« Voilà nos droits de propriété.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Veuillez, Monsieur, agréer l’assurance de ma considération distinguée.

 

« Le bibliothécaire de la ville de Berne,
« Charles-Louis de Steiger. »        

Il faut aujourd’hui se féliciter du refus fait par le magistrat de Strasbourg d’acheter la collection de Bongars ; car il est probable qu’elle n’aurait pas été épargnée par les obus allemands plus que le reste de la grande bibliothèque strasbourgeoise.

La lettre de M. de Steiger avait surexcité ma curiosité. L’été qui suivit la date de cette lettre, faisant un voyage nouveau en Suisse, je passai par Berne, et, m’étant rendu à la bibliothèque de cette ville, j’y trouvai M. de Steiger, qui, avec une extrême obligeance, s’empressa de me montrer le superbe fonds de Bongars composé de plus de cinq cents manuscrits sur vélin. Ils contiennent surtout des romans et des chansons de geste et forment une des plus belles collections qu’on puisse voir des monuments de la littérature française au moyen âge.

Le complaisant bibliothécaire voulut bien aussi me communiquer l’exemplaire de l’édition de Pithou ; il portait sur le catalogue le nº 252 et la lettre F. Bongars l’avait fait relier avec d’autres opuscules, dont voici les titres dans leur ordre :

{p. 51}1º Variorum poematum liber I. Lyrica. Auctore Andrea Valladerio…, Parisiis, ex officina Nivelliana apud Sebastianum Cramoisy, via Jacobæa sub Ciconiis MDCX. (Ces poèmes, qui remplissent les 67 premières pages, sont suivis de l’éloge de Henri IV par le même auteur, pages 68 à 85.)

2º Petrine Veletidoschii ; sacrorum liber singularis. Sedani, apud Jacobum Salessium, 1602. (Cet opuscule, qui occupe 44 pages, contient des poèmes latins, dont les sujets sont empruntés à la Bible.)

3º Poëmes chrestiens et moraux. Quod tibi fieri non vis alteri ne feceris. (Cet opuscule est imprimé en caractères gothiques sans pagination.)

4º Phædri Aug. liberti fabularum Aesopiarum libri V, Nunc primum in lucem editi, etc., etc.

5º Canzone nelle presenti turbationi di stato, MDCVI. (C’est un petit poème en vers italiens, contenu dans six pages.)

Les notes, mises en marge de l’édition de Phèdre, sont d’une écriture très nette et très lisible. Malheureusement, si petit que fût le format de cette édition, il était encore plus grand que celui des autres imprimés, auxquels elle était réunie, et le relieur avait dû rogner les marges au point de tronquer les notes, auxquelles par suite manquent des fragments de mots, des mots entiers et même des lignes. Cet accident n’empêche pas de reconnaître dans ce qui reste les variantes du manuscrit de Pithou.

À la suite de la dernière fable, on lit cette observation qui montre que le manuscrit avait bien été à la disposition de Bongars : « Seqr. in v. c. libellus de variis monstris ac portentis ex fabulis Græcorum et al. »

J’aurais maintenant à m’occuper des trois exemplaires de l’édition de Pithou, conservés à Londres et à Oxford ; je me bornerai à en donner le signalement.

Deux de ces exemplaires se trouvent au British Museum. L’un appartient au département des imprimés et figure au Catalogue général sous la cote 685. D. Q. C’est le plus bel exemplaire que je connaisse. Les marges en sont presque entières et la reliure en maroquin rouge en est splendide. L’autre appartient à un fonds spécial qu’on appelle la Grenville Library, et dans lequel le nº 9064 lui a été attribué. Les marges en sont courtes ; mais la reliure en maroquin vert en est extrêmement soignée.

{p. 52}L’exemplaire d’Oxford est conservé à la Bibliothèque Bodléienne, où il est depuis de longues années catalogué sous la cote Auct. L. A. 9. Il est parfaitement conservé, et ses marges, quoique pleines, ne portent aucune note manuscrite.

Je n’ai aucune observation particulière à présenter relativement aux deux exemplaires de Cambridge.

Enfin, je ne dis qu’un mot de celui de Florence. Indépendamment du fonds général qui ne se compose que de manuscrits, la Bibliothèque Laurentienne possède un fonds spécial qui du nom du donateur est appelé fonds d’Elci et qui comprend à la fois des manuscrits et des imprimés. Parmi les imprimés de ce fonds figure l’exemplaire de l’édition originale de Phèdre qui y porte la cote 384 E. 3. Il est remarquable par son parfait état de conservation.

Tels sont les seuls exemplaires que je connaisse de l’édition publiée par Pierre Pithou. Je reviens maintenant à l’éditeur lui-même.

« Dès que l’Édition de Phèdre fut terminée, dit Grosley, M. Pithou, qui l’avoit fait faire à ses frais, l’envoya à Paris à Nicolas Lefebvre qui se chargea de la faire débiter, et qui en distribua des Exemplaires à leurs amis communs. De ce nombre étoit le P. Sirmond : il étoit alors à Rome, où il reçut de la part de M. Pithou l’Exemplaire qui lui étoit destiné76. »

« Les Fables de Phèdre, ajoute Grosley un peu plus loin, furent le dernier présent dont M. Pithou enrichit la République des Lettres ; il ne survécut que deux mois à l’Édition de ces Fables77. »

Il mourut âgé de cinquante-sept ans, à Nogent-sur-Seine, le 1er novembre 1596, jour anniversaire de sa naissance. « Son corps, dit Adry78, fut transporté à Troyes, où ses compatriotes lui rendirent des honneurs sans exemple. Toutes les compagnies en corps assistèrent aux obsèques de Pierre Pithou, et le luminaire était aux armes de la ville. »

Après sa mort, les apologistes ne lui ont pas manqué. À leur {p. 53}tête il faut placer de Thou, qui a fait de lui le plus brillant éloge79.

Mais personne n’a tracé de lui un portrait plus simple, ni plus touchant, que lui-même dans son testament écrit en langue latine neuf ans avant sa mort, le 1er novembre 1587, jour anniversaire de sa naissance. Je renvoie ceux qui voudront le lire au texte et à la traduction française, qui en ont été publiés par son biographe80.

Après ce que j’ai dit de Pierre Pithou et de l’édition qu’il a donnée des fables de Phèdre, il serait naturel que je fisse connaître ce qu’est devenu son manuscrit. Mais je dois auparavant rectifier les idées erronées qui existent sur l’origine de ce document.

Pierre Pithou, indépendamment de ses deux frères consanguins, avait un frère germain, nommé François et plus jeune que lui de quatre années. Les deux premiers étaient des hommes distingués ; le troisième, s’il n’avait pas son aménité et sa modestie, l’égalait du moins par l’étendue de ses connaissances.

Pendant les guerres de religion il s’était exilé à Bâle, où il avait publié la traduction latine des Novelles de Justinien par le professeur Julien, était revenu en France, s’était, à l’exemple de son frère, converti au catholicisme, et enfin, en 1580, avait été reçu avocat au Parlement de Paris. C’est lui qui, ainsi que je l’ai répété d’après Grosley, avait communiqué à son frère le précieux manuscrit.

Mais de qui le tenait-il ? Telle est la question qu’en présence du silence des frères Pithou, on a vainement essayé de résoudre. Adry en a cherché sans succès la solution. Ce savant a imaginé une explication fantaisiste, qui lui a été sans doute inspirée par le passage suivant de la Nouvelle Diplomatique des Bénédictins : « Pierre Daniel, bailli de Saint-Benoît-sur-Loire, qu’il qualifie de plus célèbre et premier collège de toute la France, profita du pillage de ce monastère par les Huguenots ; après s’être emparé d’une bonne partie de ses manuscrits, il eut l’adresse d’en racheter d’autres à vil prix. »

Partant de là, Adry a supposé que François Pithou avait dû tenir de Daniel le manuscrit de Phèdre, et, à défaut de preuves, il s’est efforcé de justifier son hypothèse par l’explication suivante : « MM. Pithou étaient très liés avec Daniel, et ils l’étaient avec plusieurs {p. 54}protestants. Ils étaient helluones librorum, et, comme on le dit dans le Scaligeriana, ils sentaient les livres, comme le chat les souris. Ils achetaient tous les manuscrits qu’ils pouvaient trouver, et sans doute ils ne négligèrent pas une si belle occasion d’enrichir leur librairie (c’était le terme), que celle que leur offrait la dispersion des livres de la bibliothèque de Saint-Benoît et de plusieurs autres bibliothèques. Il est à présumer que le vendeur, dont les titres n’étaient pas merveilleusement constatés, exigea des acheteurs un silence qu’ils lui gardèrent fidèlement81. »

Avocat à Orléans, sa ville natale, Daniel avait été appelé par le cardinal Odet de Châtillon aux fonctions de bailli de l’abbaye de Saint-Benoît-Fleury.

Il avait fait ce qui était en son pouvoir pour épargner à la bibliothèque de cette abbaye le pillage auquel les calvinistes la livrèrent.

N’ayant pu l’éviter, il avait, en les achetant des pillards eux-mêmes, sauvé beaucoup de livres. Mais il n’en faut pas conclure que le manuscrit avait été une épave sauvée du naufrage par le vigilant Daniel, qui, sans avoir eu de motifs pour la cacher, en aurait laissé longtemps ignorer l’existence. Je ne puis le croire. Qu’on se rappelle les dates. C’est en 1562 que la bibliothèque fut saccagée, et c’est seulement en 1596 que la première édition de Phèdre fut publiée. Celui qui sut, dès 1564, exhumer l’Aulularia, comédie médiocre82, aurait donc laissé trente-quatre ans dormir, dans les rayons de sa bibliothèque, un des auteurs latins qui ont le mieux conservé, à travers les âges, l’empreinte d’une éternelle jeunesse ! Cela n’est pas admissible. On m’objectera sans doute qu’il avait bien eu la même indifférence pour le manuscrit, auquel on a ensuite donné son nom. Cela est vrai ; mais ce manuscrit ne contenait qu’un fragment, à peine huit fables du premier livre. Il est aisé de comprendre qu’il n’ait pas jugé qu’un si mince lambeau méritât les honneurs d’une publication spéciale, et il est permis de supposer qu’il n’aurait pas pensé de même, si, au lieu de ce lambeau, {p. 55}il eût possédé les cinq livres de fables. Au surplus, dans l’édition originale de Pierre Pithou, on trouve la preuve matérielle, fournie par lui, que son manuscrit ne provenait pas de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. En effet, à la fin des variantes qu’il en extrait, il l’appelle vet. ex. Cat., ce qui, suivant Orelli, signifie vetus exemplar Catalaunense ou Catuacense, c’est-à-dire antique exemplaire de Châlons-sur-Marnе ou de Douai. Adry aurait donc pu s’épargner son hypothèse fantaisiste.

Faut-il avoir plus de confiance dans la version dont le Père Brotier, sur la foi des journalistes de Trévoux83, se fit le propagateur irréfléchi ? Il raconte que le Père Sirmond avait trouvé en Lorraine le premier manuscrit de Phèdre, qu’il l’avait envoyé à François Pithou, son ami, et que Pierre Pithou, l’ayant ensuite reçu de son frère, en aurait ainsi publié la première édition.

On comprend, sans que j’aie besoin d’insister, tout ce qu’il y a d’erroné dans ce récit. L’édition de Pithou parut en 1596. Or, à cette époque, le Père Sirmond était à Rome depuis longtemps, et il ne revint en France que douze ans après.

Dans la mauvaise édition de Phèdre qu’il publia en 1809, Boinvilliers aggrava en ces termes l’erreur de Brotier : « Les fables de Phèdre demeurèrent fort longtemps ensevelies dans la poussière des bibliothèques, et peut-être seraient-elles encore ignorées aujourd’hui, si François Pithou ne les avait découvertes à Reims dans la bibliothèque de Saint-Remi, et ne s’était empressé de les publier conjointement avec son frère en 1596. »

La vérité, c’est que le silence des frères Pithou empêche aujourd’hui de remonter à l’origine de leur manuscrit.

Voyons maintenant par quelles mains, depuis 1596, il est successivement passé.

Pierre Pithou avait eu quatre garçons ; mais ils étaient morts en bas âge84.

« II n’étoit resté à M. Pithou, observe Grosley85, que deux filles de son mariage avec Catherine de Palluau. Louise, l’aînée, épousa depuis la mort de son père, Pierre Leullier, sire de Montigni, d’une {p. 56}famille ancienne dans la Chambre des Comptes. Marie, la cadette, fut ensuite mariée à Jean Leschassier, Conseiller au Châtelet, neveu de Jacques Leschassier, jurisconsulte célèbre, dont les Ouvrages sont réunis en un volume in-4º, imprimé en 1649, avec la vie de l’auteur, en Latin et en François. »

François Pithou survécut vingt-cinq ans à son frère, et mourut en 1621, âgé de 78 ans.

« N’ayant pas d’enfants, dit M. Berger de Xivrey, il légua au collège de Troyes, qu’il fonda par son testament, tous ses biens, à l’exception de legs particuliers à quelques personnes et de ses terres seigneuriales qu’il laissa à Pierre Pithou, son neveu, fils d’un troisième frère. Celui-ci, également neveu du fameux Pierre Pithou, prit le nom de Pithou de Bierne, de la seigneurie de Bierne, l’un des fiefs dont il hérita de son oncle François.

« Pithou de Bierne mourut sans postérité ; et ses biens, tant ceux provenant de son père que de son oncle François, retournèrent aux descendants de son oncle Pierre. »

La seconde des filles de P. Pithou, de son mariage avec Jean Leschassier, eut une fille, Marie Leschassier, petite-fille de Pierre Pithou, petite-nièce de François Pithou, nièce de Mme Leullier de Montigny et cousine de Pithou de Bierne.

« De son mariage avec Louis Le Peletier, secrétaire du roi, ajoute Grosley, naquit l’illustre Claude Le Peletier, qui succéda au grand Colbert dans le contrôle général des finances. »

Claude Le Peletier, à son tour, eut pour héritier son frère, Michel Le Peletier de Souzi, conseiller d’État, intendant des finances, directeur général des fortifications et membre honoraire de l’Académie des Inscriptions.

C’est ainsi que le manuscrit des fables de Phèdre passa, au xviie siècle, dans la famille Le Peletier.

Il ne faudrait pas cependant croire qu’il provenait de la succession de François Pithou, et Grosley pense à tort qu’on devra s’étonner de ne pas le trouver dans le catalogue des manuscrits de ce dernier.

Il est probable qu’après l’avoir reçu de lui, son frère l’avait gardé et laissé, en mourant, à ses héritiers directs. Il n’a pu même en être autrement ; car François Pithou, ainsi que nous l’avons vu, avait légué une grande partie de ses biens au collège de Troyes, et, si l’on se réfère à son testament, on y trouve cette disposition : « Je {p. 57}lègue audict collège toute ma bibliothèque et tous les livres qui se trouveront en ma maison. »

Si donc Pierre avait rendu le manuscrit à son frère, il ne serait pas entré dans la famille Le Peletier.

Envoyant apparaître la publication de Pierre Pithou, les savants éprouvèrent un premier sentiment de méfiance. L’authenticité d’un auteur si tardivement découvert leur sembla suspecte, et il faut avouer que le silence des frères Pithou justifiait un peu leur réserve. Mais elle ne dura pas longtemps, et les fables de Phèdre ne tardèrent pas à être l’objet de leurs études. En 1599, Nicolas Rigault, jeune encore, mais déjà savant, songea à refaire le travail un peu précipité de celui dont il avait été l’ami et dont il était resté l’admirateur, et ce ne fut qu’après une étude consciencieuse du manuscrit qu’il en publia une nouvelle édition. Ceux qui douteraient qu’il y eut réellement recours, en allant voir à la bibliothèque Sainte-Geneviève l’exemplaire déjà mentionné de l’édition de Pithou, pourraient mettre facilement un terme à leur incertitude. Il porte écrites de la main de Rigault les variantes du manuscrit avec les initiales V C, c’est-à-dire vetus codex, en avant de chacune d’elles.

Jacques Bongars, en même temps que Rigault, prit connaissance du manuscrit, et, ainsi que je l’ai expliqué, en transporta les variantes en marge d’un exemplaire de l’édition de Pithou.

Mais, après ces deux savants, aucun de tous ceux qui écrivirent sur Phèdre, ne songea à recourir au manuscrit. Schwabe fait bien figurer Gude parmi ceux qui l’ont étudié ; mais son assertion est justement révoquée en doute par M. Berger de Xivrey86 ; car le manuscrit connu de Gude fut celui de Reims. Beaucoup, comme Lessing, croyaient que le manuscrit de Pithou n’existait plus. Il s’était ainsi écoulé presque deux siècles, sans qu’aucun commentateur l’eût examiné, lorsqu’en 1780 il fut communiqué au Père Brotier par M. Le Peletier de Rosanbo, premier président du Parlement de Paris.

La Révolution survint. Sous la Terreur, on trouva ce magistrat dépositaire d’une protestation de ce Parlement contre la Convention. Ses collègues, après l’avoir signée, la lui avaient confiée. « Cet {p. 58}honneur dangereux, dont il était digne par son rang et par son caractère, lui coûta la vie et la confiscation de ses biens87. »

Le manuscrit de Pithou n’avait pas été excepté. Adry, dans sa Dissertation sur les quatre manuscrits de Phèdre88, raconte que M. Le Peletier de Rosanbo lui avait promis de le lui montrer, et il ajoute : « On l’a vu dans sa bibliothèque, lorsqu’on s’empara de ses biens ; et, lorsqu’ils ont été rendus à sa famille, il ne s’est plus retrouvé. »

Heureusement il n’en était pas ainsi ; car, en 1812, Adry lui-même, dans son Examen des nouvelles fables de Phèdre, indique qu’il est dans les mains de M. Le Peletier de Rosanbo, fils de l’infortuné président du Parlement de Paris89, et voici comment il s’exprime dans une des notes, dont il a enrichi les Disputationes du Père Desbillons : « MM. Le Pelletier (sic) ont hérité en partie des savants Pithou, dont ils étaient les parents par une Leschassier, et le manuscrit, actuellement unique de Phèdre, est encore aujourd’hui dans leur bibliothèque. On m’avait trompé, en m’assurant qu’il en avait disparu il y a quelques années. »

En 1806, Schwabe, le croyant perdu, avait, dans son Index codic. manuscript. Phædri90, exprimé le regret que les érudits, qui l’avaient étudié, n’en eussent pas donné une description plus complète et plus exacte.

L’article, dans lequel Schwabe exprimait ce regret, a été reproduit, en 1826, dans la collection des classiques latins de Lemaire avec une note de Barbier ainsi conçue : « Ce précieux manuscrit existe encore aujourd’hui dans la bibliothèque de M. le vicomte Le Pelletier de Rosanbo, pair de France91. »

{p. 59}Cette note étant parvenue à sa connaissance, Schwabe « écrivit à M. Hase, membre de l’Institut, pour lui demander s’il ne serait pas possible d’obtenir communication de ce manuscrit et de le publier92 ». M. Hase, trop affairé pour s’occuper de cette publication, engagea M. Berger de Xivrey à s’en charger.

Celui-ci, plein de déférence pour M. Hase, s’empressa de se rendre à son désir, et, au mois de mai 1828, il écrivit à M. Le Peletier de Rosanbo, pour lui demander l’autorisation d’éditer le précieux manuscrit. Le noble pair ne parut pas d’abord très disposé à accueillir la requête qui lui était adressée ; il répondit une lettre évasive, dans laquelle il disait que le manuscrit était dans sa bibliothèque à la campagne, et que d’ailleurs, avant d’en autoriser l’impression, il désirait consulter un de ses amis qu’il ne devait voir que l’hiver suivant.

L’hiver se passa, et M. Le Peletier ne fit pas connaître l’opinion du savant attendu. M. Berger de Xivrey, rendu plus tenace par la résistance même, pria à son tour M. Hase de lui venir en aide.

Au mois de mai 1829, M. Hase alla trouver M. Le Peletier qui avait rapporté le manuscrit à Paris. « Il en admira, dit M. Berger de Xivrey, la beauté et l’antiquité, lui expliqua sommairement de quoi il s’agissait, et obtint pour moi une entrevue, que des affaires pressantes le forcèrent de fixer au mois suivant93. »

M. Berger de Xivrey la fit précéder d’une longue lettre, dans laquelle il lui expliquait comment la mémoire même de Pierre Pithou était intéressée à une publication, qui devait « la laver d’un doute injurieux ».

« M. de Rosanbo, ajoute-t-il94, me répondit aussitôt, en me réitérant l’offre d’une entrevue, qui eut lieu le 16 juin, dont le résultat fut la permission de copier le manuscrit, d’en faire prendre un fac-simile et de lui dédier ce travail. M’ayant exprimé le désir que le manuscrit ne sortît pas de son hôtel, et devant partir pour la campagne le 25 juin, je vins, dès le lendemain 17, travailler à cette copie dans son cabinet, où je continuai à venir travailler pendant quatre heures tous les jours suivants jusqu’au 25, jour où, ayant {p. 60}fini ma copie, j’amenai le dessinateur, qui exécuta sous mes yeux le fac-simile. »

Ce fac-simile a été pris sur la première moitié de la page 70. Ce n’est pas sans intention que M. Berger de Xivrey a reproduit de préférence à tout autre ce passage du manuscrit. Là, en effet, existe une lacune, dont on ignore l’importance. La page commence par ce vers de la fable Leo regnans :

Posquam labare cœpit pœnitentia,

et ce membre de phrase, laissé inachevé, est immédiatement suivi des trois derniers vers d’une autre fable, qui, à en juger par ce qui en reste, devait être fort licencieuse.

Puis vient la fable Rogavit alter tribadas, etc., dont l’écriture est imitée jusqu’au vers :

Sero domum est reversus titubanti pede.

M. Berger de Xivrey, sachant combien cette partie du manuscrit avait donné de peine aux savants, l’avait évidemment choisie dans la pensée de fournir une base bien précise à leurs méditations ultérieures. Il faut l’en remercier.

L’année suivante, il publiait enfin le fameux monument chez l’imprimeur Ambroise Firmin-Didot en un volume in-8º de 268 pages.

La même année, au mois de décembre, M. Daunou, dans le Journal des savants, faisait paraître sur cette publication une notice justement élogieuse, qui se terminait ainsi : « Cette édition préparée, disposée, exécutée avec un grand soin, nous paraît mériter l’attention des hommes de lettres. Elle n’a été tirée qu’à deux cents exemplaires. Ce nombre devra paraître insuffisant et rendre nécessaire une édition nouvelle. »

Le succès n’a pas répondu au mérite, et les deux cents exemplaires ont plus que suffi. Tant il est vrai que les œuvres de pure érudition n’intéressent qu’un petit nombre de personnes et que, pour les entreprendre, il faut posséder tout à la fois un grand amour de la science et une forte dose d’abnégation.

{p. 61}
§ 2. — Description du manuscrit. §

Avant de charger la librairie Firmin-Didot d’imprimer cette seconde édition, j’ai fait de nombreuses démarches pour être admis à prendre, sinon copie, au moins connaissance du manuscrit de Pierre Pithou. Malgré l’appui qui à cet effet m’a été très obligeamment prêté par un ami de la famille de Rosanbo, ma tentative n’a pas encore réussi. Si, avant que l’impression de mon deuxième volume ait été commencée, j’ai été enfin admis à copier le texte de Phèdre, je l’y publierai diplomatiquement, et, en procédant ainsi, je tâcherai d’éviter les erreurs matérielles qu’à tort ou à raison on soupçonne M. Berger de Xivrey d’avoir commises. Sinon, l’édition que je publierai sera une simple reproduction de la sienne.

Quant à présent, pour la description du manuscrit je ne puis mieux faire que transcrire littéralement celle qu’il en a lui-même donnée.

« Il est, dit-il95, tout entier d’une très belle conservation. L’écriture est de la plus grande régularité ; c’est cette minuscule arrondie du xe siècle que les calligraphes de Florence imitèrent au xvie, mais en diminuant la dimension des lettres, et en ornant leurs majuscules de jolies arabesques ; tandis que les manuscrits des ixe et xe siècles n’ont le plus souvent aucune espèce d’ornements. C’est le cas de celui-ci. Les grandes lettres du commencement des fables sont des majuscules toutes simples, écrites avec pureté et ayant environ trois ou quatre fois la hauteur des autres lettres. Elles sont d’une encre rouge ou tirant sur le violet. Les titres sont d’un beau rouge, ce qui indique facilement à l’œil la séparation des fables. Car du reste ils sont écrits à la suite des derniers mots de la fable précédente, et, par conséquent, ne commencent la ligne que si la dernière ligne de la fable précédente est entièrement remplie. Quant au corps de la fable, il commence toujours avec la ligne, et sa première lettre, qui est, comme nous l’avons dit, une majuscule, est toujours à la marge. Tout ce qui n’est pas titre ou majuscule initiale est d’un brun assez clair, mais cependant toujours facile à voir.

{p. 62}« Il paraîtrait que le calligraphe, après avoir écrit tout son manuscrit, l’a relu et a corrigé tantôt bien, tantôt à contre-sens. C’est ce qu’indiquent certaines corrections d’une encre un peu plus foncée, mais évidemment de la même main. De là les doubles leçons pour le même mot.

« La séparation des vers n’est nullement indiquée. Les mots y sont ou réunis, ou bien séparés tantôt régulièrement, tantôt à contre-sens, comme dès le commencement : Hance go polivi.

« Le seul véritable signe de ponctuation qu’on y rencontre est le point d’interrogation. Quant au point en haut, en bas, au milieu, et même quelquefois joint à la virgule, il ne signifie rien, le calligraphe, qui paraît n’avoir pas compris ce qu’il écrivait, les ayant placés comme au hasard. Quelques-uns servent aussi de ce que les Grecs appelaient διαστολή.

« L’allitération n’y est pas observée dans les mots où nous la plaçons. On la trouve très rarement et justement dans les mots où nous n’en mettons pas, comme ammonere pour admonere, page 39 du manuscrit, ammirans pour admirans, page 44 du manuscrit, sumtus au lieu de sumptus, etc.

« Les lettres l et i ou j au commencement des mots sont absolument pareilles, ce qui fait que jocus ne peut se distinguer de locus que par le sens.

« L’e y est assez souvent substitué à l’i, le b au v et l’o à l’u.

« Les principales abréviations sont un trait au-dessus de la voyelle, à la place de la lettre m, le même trait pour indiquer la duplication des consonnes, et sur l’e pour est, q. pour que, conjonction copulative.

« : pour la terminaison us aux datifs pluriels, après un b.

« Un trait au-dessous de l’e, à peu près de cette forme v (ev) pour æ, diphthongue.

« ꝑ pour per.

« p̃ pour præ.

« ꝓ pour pro.

« & pour et.

« La reliure est en carton recouvert d’un parchemin tout uni. Le manuscrit est écrit sur un parchemin d’une épaisseur moyenne. Il est in-4º et contient 54 feuillets, dont les fables de Phèdre n’occupent que les 38 premiers, qui sont numérotés par pages, c’est-à-dire {p. 63}sur le recto et le verso. Les autres, qui ne sont point numérotés, renferment une espèce d’ouvrage d’histoire naturelle fabuleuse, ou description d’êtres comme les Centaures, etc.

« Au commencement ont été reliés 32 feuillets en papier, qui sont la copie du manuscrit, de la main de Pierre Pithou. Cette copie offre cela de très remarquable que l’on y voit, en même temps, la distribution par vers96, les leçons du manuscrit, les corrections et tâtonnements de Pithou, et ses observations en français pour le prote. Ainsi cette seule copie renferme tout le travail de son édition. Une aussi brillante facilité explique les immenses travaux de quelques savants de cette époque. Elle démontre aussi la fausseté de plusieurs idées que l’on s’était formées sur le manuscrit, d’après l’édition de Pithou, qui est la reproduction fidèle, non pas du manuscrit, mais de cette copie.

« M. Adry, jugeant du manuscrit par l’édition, a établi une comparaison très fautive entre le manuscrit de Pithou et celui de Reims. “Dans celui-ci, dit-il97, les lacunes ne sont point indiquées ; tous les mots se suivent, lors même qu’il est évident que plusieurs vers sont omis ; et on lit à la fin : Phædri Aug. liberti liber V explicit feliciter, quoique le P. Brotier n’en fasse pas mention. Dans le manuscrit de M. Pithou, au contraire, rien n’annonce une fin ; il y en avait même un feuillet déchiré à la fin, et il y en avait d’autres dans le corps de l’ouvrage. M. Pithou en fait la remarque, et il indique ces lacunes par des lignes ponctuées.”

« Pithou, ainsi que les autres savants de son temps, ne mettait pas à la fidèle transcription des textes cette exactitude sévère de l’érudition moderne. Comme le prouve sa copie, que j’ai sous les {p. 64}yeux, il copiait le manuscrit, le corrigeait dans les endroits corrompus pour lesquels il trouvait des corrections, indiquait par des étoiles les lieux où, d’après le sens, il devait y avoir des lacunes, sans rendre compte de son travail par aucune note, et en se contentant de mettre à la fin une liste incomplète des variations du manuscrit (vetustissimi codicis scriptura). Ainsi, ces lignes ponctuées n’indiquent nullement des lacunes observées dans le manuscrit, où tout se suit aussi bien que dans le manuscrit de Reims. De plus, Pierre Pithou ne fait nulle part l’observation, comme le dit M. Adry, qu’il y ait des lacunes dans le corps de l’ouvrage. Quant à ce prétendu feuillet déchiré, après la dernière page, voici la phrase de Pithou : “Post hanc postremam lineam abscissi sequentis proxime folii vestigia extant.” Il n’en reste plus la moindre trace aujourd’hui, ce qu’explique cette réunion de la copie de Pithou sous la même reliure que le manuscrit. On aura ôté, en reliant, ce lambeau de parchemin, qui très probablement était déchiré d’assez près pour n’offrir qu’une partie de la marge sans aucune lettre. Je suis même porté à croire que c’était un feuillet blanc, et voici pourquoi.

« Il semble, à la dernière page, que le calligraphe ait espacé davantage les mots, afin de faire arriver jusqu’au bas de la page ce qui lui restait à copier. Il a même laissé en blanc la fin des deux dernières lignes de l’avant-dernière fable et la fin de la dernière ligne de la dernière fable ; ce qui n’a lieu nulle part ailleurs, le titre suivant s’écrivant toujours à la suite des derniers mots ; et ce qui me semble prouver que l’original dont se servait le copiste n’en contenait pas davantage. Ensuite, le petit traité, qui vient dans le manuscrit après les fables de Phèdre, semble assez complet. Il commence ainsi :

« “Primo namque de his ad ortum sermo prorumpit quæ leviore discretu ab umano (sic) genere distant, daturus operam de singulis quæ terra fovet mortalium nutrix aut quondam fovisse fertur. Quia nunc humano genere multiplicato, et terrarum orbe repleto sub alstris (sic) minus producuntur monstra. Quæ ab ipsis per plurimos terre (sic) angulos eradicata funditus et subversa legimus, etc…”

« L’écrivain avait peut-être commencé à copier ce traité De Monstris avant d’avoir achevé Phèdre ; et il avait laissé, pour achever celui-ci, la quantité de parchemin qu’il supposait nécessaire. Quand {p. 65}ensuite il le termina, il se trouva une feuille de trop, qui plus tard aura pu être arrachée comme ne servant à rien en cet endroit, et dont les dernières traces ont disparu, lorsque Pithou a fait relier sa copie avec le manuscrit. »

Cette citation me semble suffisante pour donner une idée complète du manuscrit, et je n’y ajouterais rien, si je n’avais pas à rectifier deux erreurs.

D’abord le feuillet déchiré, dont le relieur de Pithou a fait disparaître la trace, n’était pas un feuillet blanc. Lorsque j’aurai à examiner le manuscrit de Wissembourg et la lettre latine, par laquelle le professeur allemand Tross en a donné l’analyse au professeur français Fleutelot98, je montrerai que le feuillet déchiré n’était pas dépourvu d’écriture et qu’au contraire il contenait le commencement du Liber monstrorum, qui, contrairement à la supposition de M. Berger de Xivrey, ne débutait pas par les mots Primo namque.

Ensuite je dois signaler l’erreur qu’en voulant critiquer la division en cinq livres adoptée par Pierre Pithou, M. Berger de Xivrey a lui-même involontairement commise. Après avoir émis la pensée que le feuillet disparu était blanc, il ajoute : « Quoi qu’il en soit de cette conjecture, il ne pouvait toujours y avoir sur cette feuille, comme le suppose M. Schwabe99, Phædri Aug. liberti liber quintus explicit, d’abord parce que la division en cinq livres (confirmée, il est vrai, par le manuscrit de Reims) est une correction de Pithou ; ensuite, parce qu’on ne trouve pas ordinairement dans les manuscrits ces mots-là ainsi rejetés au haut d’une autre feuille. Le calligraphe s’arrange plutôt pour serrer un peu son écriture. Or ici, au contraire, comme je l’ai fait observer, il semble avoir eu plutôt l’intention de l’espacer davantage, afin de remplir toute la page. »

M. Berger de Xivrey fait remarquer que la division en quatre livres rend très facile l’interprétation de ce vers de la fable Poeta ad Particulonem, qui a fait le désespoir des commentateurs :

Quartum libellum dum Variæ perleges.

{p. 66}Suivant lui, ce vers s’explique, si les fables qui suivent appartiennent au livre IV. La fable Poeta ad Particulonem devient, dans ce livre d’abord interrompu, un nouveau prologue, par lequel Phèdre, après avoir quelque temps cessé d’écrire, commence la seconde série de fables qui doit le compléter.

Cela est fort juste ; mais en faut-il conclure que tout le reste du manuscrit appartienne au quatrième livre ? Ici, malgré ma déférence pour l’auteur, je suis obligé de m’écarter de son opinion. Sans doute rien dans le manuscrit ne révèle l’existence d’un cinquième livre ; mais, quand on prend la peine de chercher en dehors les renseignements qu’il ne fournit pas, on ne tarde pas à la découvrir. Avianus, dans sa préface à Théodose, en parlant des auteurs qui ont imité les récits d’Ésope, s’exprime ainsi : « Phèdre d’une partie a formé cinq livres. »

Pithou, guidé par ce renseignement, a divisé le manuscrit en cinq livres, et la découverte de celui de Reims a montré qu’il avait eu raison de s’en rapporter à Avianus.

Ce manuscrit, qui était à peu près identique à celui de Pithou et qui contenait le même nombre de fables dans le même ordre, se terminait par ces mots :

Phædri Augusti liberti Liber quintus explicit feliciter.

Mais où finissait le quatrième livre et où commençait le cinquième ? Voilà ce que Pithou, après avoir été si clairvoyant, ne me semble pas avoir entrevu.

Il arrête le quatrième livre à la fin du prologue, qui est intitulé Poeta ad Particulonem, et qui commence par ce vers :

Cum destinassem terminum operi statuere,

et, comme ce prologue est conçu dans des termes qui ne permettent pas de le mettre en tête du livre V, il le laisse dans le livre, auquel il appartient.

Puis il fait commencer le cinquième livre par la pièce de vers Æsopi nomen, etc. Il ne remarque pas qu’elle porte pour titre les mots : Idem Poeta, et que ces mots, qui la rattachent à la précédente, ne permettent pas de la considérer comme le commencement d’un livre nouveau.

Les éditeurs l’ont en général si bien compris qu’ils ont, les uns, {p. 67}supprimé le mot Idem, les autres, en substituant le mot quintum au mot quartum, fait du prologue Poeta ad Particulonem le commencement du cinquième livre. N’étant pas dans la bonne route, ils n’ont pu se tirer d’embarras, les uns qu’en supprimant un mot, les autres qu’en en changeant un autre. Certains, tels que Nicolas Rigault, n’ont pas pris tant de peine ; tout en plaçant le prologue en tête du livre V, ils ont laissé subsister le mot quartum.

Quel était donc le vrai chemin ? Il était facile à trouver : il suffisait pour cela de respecter l’ordre du manuscrit : on aurait vu que le quatrième livre se divise en deux parties bien nettement séparées. Après avoir écrit la première qu’il avait adressée à Particulon, Phèdre s’arrête, et, dans un premier épilogue qui commence par ce vers :

Supersunt mihi quæ scribam, sed parco sciens,

il lui déclare, que, quoique la matière soit encore fort abondante, il ne veut pas, dans la crainte de l’importuner, écrire davantage.

Puis, comme il est rare qu’un poète qui fait un pareil serment soit capable de le tenir, il reprend la plume, et ajoute à son livre IV une seconde partie, que, comme la première, il dédie à Particulon. Dans la pièce de vers, qui en est le prologue, il lui avoue qu’il s’est tout bas reproché sa détermination, et qu’il ne peut davantage résister au désir de composer de nouvelles fables. Il s’excuse de manquer à la parole donnée dans l’épilogue qui précède.

Quand on voit ainsi l’enchaînement des idées, on se demande comment des éditeurs tels que Pithou ont pu, terminant le quatrième livre par le prologue de la deuxième partie, attribuer au cinquième livre des fables et un épilogue qui appartenaient à la deuxième partie du quatrième.

Quoi qu’il en soit, voyons où se termine cette deuxième partie. Remarquant à la fin de la fable Demetrius rex et Menander poeta une lacune, dont l’étendue était impossible à connaître, mais qui était certainement considérable, j’avais d’abord supposé qu’elle embrassait toute la deuxième partie du quatrième livre moins cette fable encore incomplète, et les trois quarts ou au moins les deux tiers du cinquième livre. Mais un examen plus attentif ne m’a pas permis de persister longtemps dans cette première idée ; car le manuscrit ne laisse pas même place aux conjectures : la fin {p. 68}de la deuxième partie du quatrième livre s’y trouve nettement indiquée par un épilogue intitulé Poeta ad Particulonem, qui commence par ce vers :

Adhuc supersunt multa quæ possim loqui.

À partir de cet épilogue les deux manuscrits de Pithou et de Reims ne contenaient plus que cinq fables. Il en résulte dans le nombre des fables de chaque livre une disproportion fort grande, et je ne doute pas qu’elle ne soit la seule cause des divisions plus égales, mais absolument fausses, imaginées par Pithou et par tous les éditeurs qui l’ont suivi.

M. Berger de Xivrey avait bien vu ce qu’il y avait d’arbitraire dans le bouleversement, que souvent ils n’avaient pas craint de substituer à l’ordre des manuscrits ; mais, en reconnaissant leur erreur, il n’avait pas aperçu la véritable division, qui pourtant était facilement visible.

Voilà la vérité ; il était, je crois, important de la révéler. Car, ainsi qu’on le verra, si M. Berger de Xivrey a fourni aux savants des éléments certains, qui doivent leur servir à déterminer le véritable auteur des fables anciennes, à mon tour, en signalant les lacunes du manuscrit, je leur ai un peu procuré les moyens de fixer leur opinion sur l’authenticité des fables nouvelles.

Section II.
Manuscrit de Reims. §
§ 1er. — Histoire du manuscrit. §

J’ai dit qu’à la fin du xvie siècle le jésuite Sirmond s’était rendu à Rome, et qu’il y avait obtenu du Saint-Père, en faveur de Pierre Pithou converti, l’absolution pontificale.

Arrivé dans cette ville en 1590, il y remplissait auprès du Père Aquaviva, général de sa compagnie, les fonctions de secrétaire, lorsque furent publiées les fables de Phèdre.

Comme on l’a vu, Pierre Pithou lui en avait fait adresser un exemplaire.

{p. 69}En 1608, lorsqu’il rentra en France, le Père Sirmond n’avait pas oublié la découverte des frères Pithou. Il traversa la Lorraine et la Champagne, fit partout sur son passage des recherches minutieuses, et s’arrêta à l’abbaye de Saint-Remi. C’est là qu’il avait le plus de chances d’obtenir un résultat. Elle avait été, au moyen âge, un des principaux abris, dans lesquels s’était conservé l’héritage du passé. « Les belles-lettres, dit l’abbé Pluche100, étaient cultivées dans les écoles de cette abbaye et dans celles de la cathédrale pendant que l’ignorance se répandait partout. » Dans la Bibliothèque de Saint-Remi se trouvait un second manuscrit ; le Père Sirmond le découvrit.

Malgré sa très grande ressemblance avec celui de Pithou, ce manuscrit présentait quelques variantes. Il les copia en marge d’un exemplaire de l’édition de Pithou, et les communiqua à Rigault, qui s’en servit pour l’édition in-4º, imprimée par Robert Étienne, qu’il publia en 1617, sous ce titre : « Phædri Aug. liberti fabularum Æsopiarum libri V, nova editio. » Dans sa troisième édition, publiée en 1630, chez Sébastien Cramoisy, édition in-12 qui n’a été qu’une réimpression de la seconde augmentée des fables d’Avianus, Rigault répéta les mêmes variantes.

Ceux qui n’auront dans les mains que ces deux éditions, pourront être portés à croire que Rigault se servit des variantes du manuscrit de Reims, même pour sa première édition in-12, publiée à Paris chez Drouart à la fin de 1599. En effet, les éditions de 1617 et de 1630 sont précédées d’une lettre au président Jacques-Auguste de Thou, datée des calendes de septembre 1599, et dans la première phrase de cette lettre Rigault fait allusion en ces termes au manuscrit de Reims, découvert par le Père Sirmond et utilisé pour la publication de ces deux éditions : « Phædri libellos, a me nuper ad fidem Pithœani codicis et alterius item vetustissimi, quem nobis et Remensi bibliotheca doctissimi viri Jac. Sirmondi cura deprompsit, recognitos, ut tibi, Præses amplissime, offerrem, tuoque nomini devoverem, fecit amicissimi tui Petri Pithœi non sine ingenti desiderio relicta bonis omnibus recordatio. »

Il serait naturel de conclure de cette phrase que ce fut non pas en 1608, mais au plus tard en 1599, que le Père Sirmond découvrit {p. 70}le manuscrit de Reims, et pourtant cette conclusion serait bien fausse ; car, en 1599, le Père Sirmond était depuis longtemps à Rome.

Pour trouver le mot de l’énigme, il faut se référer à la première édition de Rigault. Imprimée dans le format in-12 chez Ambroise Drouart à la fin de 1599, elle se compose de deux catégories d’exemplaires, les uns portant ce millésime, les autres, celui de l’année suivante ; ce qui, soit dit en passant, a fort embarrassé Schwabe, et l’a porté à croire à l’existence de deux éditions distinctes, qu’il suppose l’une in-8º, et l’autre in-12101.

Cette première édition, comme celles de 1617 et de 1630, portait en tête la lettre au président de Thou. Seulement il n’y était pas encore question du Père Sirmond, et la phrase que je viens de citer, plus simplement conçue, se formulait ainsi : « Phædri libellos nuper a me dum aliud ago Notis aliquot illustratos, ut tibi, Præses amplissime, offerrem, tuoque nomini darem ac devoverem, fecit amicissimi tui Petri Pithœi non sine desiderio relicta bonis omnibus recordatio. »

Quant aux notes que Rigault avait insérées dans sa première édition, elles relevaient bien les variantes du manuscrit de Daniel dont j’aurai bientôt à m’occuper ; mais elles gardaient le plus absolu silence sur le manuscrit de Reims.

Il faut en conclure que ce manuscrit était encore ignoré, et que plus tard, conservant en tête de ses éditions de 1617 et de 1630 sa lettre au président de Thou, Rigault, pour la mettre en harmonie avec son nouveau travail, modifia les termes de la première phrase, mais laissa subsister la date de 1599, et opéra ainsi une confusion, qui est maintenant expliquée.

Le manuscrit de Pithou, étant resté la propriété particulière d’une famille, était peu accessible aux savants. Il était donc naturel qu’ils se servissent de préférence de celui de Reims, et cependant, sauf le docte Gude, ils ne prirent pas la peine d’y recourir.

Vers 1745, l’abbé Pluche se faisait bien communiquer un spécimen de l’écriture par Dom Le Vacher, alors bibliothécaire de Saint-Remi ; mais ce spécimen, qui ne contenait que la fable Vulpis ad рersопат tragicam, ne pouvait servir qu’à faire connaître l’âge du manuscrit ; c’était même, pour servir au petit traité de {p. 71}paléographie publié en 1770 dans son Spectacle de la nature102, qu’il se l’était fait adresser. Il lui suffisait d’avoir reconnu que l’écriture était du ixe ou du xe siècle et il ne songea pas à se rendre à Reims, ni à faire, sur le manuscrit même, une étude approfondie de Phèdre.

En 1769, un savant, attaché aux manuscrits de la bibliothèque du roi, M. de Foncemagne103, pria de même Dom Vincent, nouveau bibliothécaire de Saint-Remi, de lui adresser un fac-simile de l’écriture du manuscrit. Dom Vincent s’était empressé de lui donner cette satisfaction, et lui avait envoyé une copie, faite sur papier transparent : 1º du prologue du premier livre, 2º de la morale de la fable xvi du livre I, intitulée Ovis, Cervus et Lupus, 3º de trois vers environ de la fable xxx du même livre, intitulée Ranæ metuentes Taurorum prælia.

En envoyant à M. de Foncemagne cette copie, qu’il avait eu soin de prendre dans trois endroits présentant des leçons différentes de celles du manuscrit de Pithou, Dom Vincent y avait ajouté une lettre ainsi conçue :

« Le 31 octobre 1769.

« Monsieur,

 

« Je n’ai point oublié le spécimen que vous m’avez fait l’honneur de me demander, de notre manuscrit de Phèdre, et de la comédie intitulée : Querolus ou Aulularia, qui y est jointe. Je crois que vous n’aurez point de peine à vous persuader que l’écriture est du viiie siècle, au plus tard du commencement du ixe. J’ai copié, monsieur, ligne par ligne et le moins mal qu’il m’a été possible ; j’ai conservé la grosseur des lettres, laquelle varie quelquefois : mais peu accoutumé à ce genre d’écriture et la plume glissant naturellement sur les papiers transparents, je n’ai pu donner à la lettre du manuscrit toute la netteté qu’elle présente. Du reste la ponctuation, l’orthographe, etc., tout est exactement copié. Ces papiers mêmes forment, dans leur longueur, la page écrite. Que ne puis-je, monsieur, vous donner des marques plus étendues et plus circonstanciées des sentiments de mon estime et de la reconnaissance que j’ai aux lumières que vous avez répandues sur notre histoire ! J’y joins en {p. 72}particulier mes remerciements pour la complaisance avec laquelle vous avez bien voulu vous occuper de mes brouillons.

« J’ai l’honneur d’être, etc.

« D. X. Vincent. »

Le bibliothécaire de Saint-Remi avait, on le voit, adressé à M. de Foncemagne un fac-simile non seulement de l’écriture des fables, mais encore de celle du Querolus ou Aulularia, comédie manuscrite, qui s’y trouvait réunie.

Mais M. de Foncemagne n’avait voulu que satisfaire un sentiment de curiosité savante, et, comme l’abbé Pluche, il n’avait nullement songé à donner une édition de Phèdre.

En définitive, Gude et les bibliothécaires de Saint-Remi avaient seuls, depuis le Père Sirmond, vu le manuscrit de Reims, lorsqu’en 1774 les trésors bibliographiques du couvent bénédictin furent anéantis en quelques heures par un violent incendie.

Le manuscrit de Phèdre périt comme les autres. Heureusement le fac-simile, dû à la complaisance de Dom Vincent, restait et permettait de déterminer l’âge du manuscrit.

Ce fac-simile, et la lettre qui l’accompagnait, avaient été par M. de Foncemagne placés en tête d’un exemplaire du Phèdre, in-4º, de Rigault, publié en 1617 par Robert Étienne. Cet exemplaire était passé des mains de M. de Foncemagne dans celles de M. Dacier. Il a ensuite appartenu à lord Stuart de Rothesay, et, à la vente des livres de ce dernier, le hasard me l’ayant fait rencontrer, je m’en suis rendu acquéreur. Il contenait et il contient encore le papier transparent, sur lequel Dom Vincent avait imité l’écriture du manuscrit.

Il porte en outre au commencement, sur la face intérieure de la couverture, cette note, qui est de la main de M. de Foncemagne, et que la notice, imprimée en tête du Phèdre de M. Ernest Panckoucke, attribue à tort à M. Dacier : « La bibliothèque de Saint-Remi de Reims possédait, avant l’incendie qu’elle a éprouvé en 1774, un manuscrit de Phèdre autre que celui de Pithou. On trouvera à la tête de ce volume un échantillon de l’écriture du manuscrit, qui m’a été envoyé autrefois de Reims par Dom Vincent, bibliothécaire de Saint-Remi. J’y ai joint la lettre, par laquelle il m’annonçait en même temps un pareil échantillon de l’écriture du manuscrit du {p. 73}Querolus, qui a péri comme le Phèdre. J’ai placé cet échantillon à la tête de mon exemplaire du Querolus. Ces deux morceaux sont aujourd’hui tout ce qui reste de ces deux manuscrits. »

Après avoir attribué à M. Dacier cette note, qui, évidemment, ne peut avoir été écrite que par M. de Foncemagne, l’auteur de la notice en reproduit une seconde, placée probablement par M. Dacier au-dessous de la première, et, en l’attribuant à M. de Foncemagne, il achève de rendre son récit de plus en plus inintelligible. En voici le texte :

« Depuis que cette note a été écrite, on a recouvré à la Bibliothèque du Roi l’exemplaire de Reims, qui avait été tiré de la bibliothèque de Saint-Remi longtemps avant l’incendie. Il m’a été communiqué, l’écriture est la même que celle de l’échantillon ci-joint. Mais ce manuscrit est incomplet, les deux dernières fables et l’épilogue du quatrième livre et tout le cinquième y manquent. »

Il est évident qu’une pareille note, qui contient autant de faussetés que de mots, ne peut avoir été écrite par M. de Foncemagne.

Attaché à la Bibliothèque du Roi, M. de Foncemagne, si le manuscrit s’y fût trouvé, n’aurait pas eu, pour le voir, besoin qu’il lui eût été communiqué.

Quant au véritable auteur de la note, ce qu’il dit du manuscrit démontre qu’il ne l’a pas vu ; en effet, il n’était pas plus incomplet que celui de Pithou ; l’un et l’autre renfermaient les mêmes fables des IVe et Ve livres. On pourrait objecter que le manuscrit, sur la route de Reims à Paris, avait pu être mutilé et que la fin avait pu en être arrachée. C’est là une explication ; mais la Bibliothèque nationale heureusement n’a pas encore été incendiée ; ce qui en restait s’y trouverait encore, et elle n’en possède rien.

La vérité, c’est qu’il n’a pas été apporté de Reims à Paris avant l’incendie, et que par conséquent il y a péri. Cela ne fait de doute aujourd’hui pour personne.

Le manuscrit ayant péri, comment vais-je pouvoir en faire la description, et comment devront procéder ceux qui voudront en reproduire le texte exact, avec ses moindres fautes ? Voilà ce qu’il s’agit maintenant d’expliquer.

Avant l’incendie de la bibliothèque, Dom Vincent, sur un exemplaire classique in-12 de Phèdre, publié en 1743 à Paris par la {p. 74}veuve Brocas, avait eu la patience de transcrire en marge avec un soin méticuleux les variantes du manuscrit de Reims. L’édition Brocas, étant une édition de classe, ne contenait pas les fables considérées comme immorales. Dom Vincent n’en avait pas moins voulu que son travail fût complet : pour faire exactement connaître les variantes du manuscrit relatives aux fables bannies de l’édition Brocas, il n’avait pas été sans doute jusqu’à transcrire, d’après le manuscrit, le texte entier de ces fables ; mais il avait du moins indiqué les variantes, par lesquelles elles différaient du texte de l’édition bien connue de Pierre Danet, publiée en 1675 dans le format in-4º « par ordre du Roi très chrétien à l’usage du sérénissime Dauphin ».

En 1776, pendant un voyage qu’il avait fait à Paris, il promit à l’un des gardes de la Bibliothèque du Roi l’exemplaire de l’édition de la veuve Brocas, et, rentré à Saint-Remi, il s’empressa de le lui envoyer avec la lettre suivante :

« Monsieur,

 

« Aussitôt mon arrivée, je me suis fait un véritable plaisir de tenir ma parole. Je vous envoie le texte de notre Phèdre, avec les fautes et les bévues de notre copiste.

« À sa façon d’écrire vous jugerez aisément qu’il avait sous les yeux un manuscrit ancien. Ainsi, par exemple, donnant au c le son du q, et mettant des o pour des u, il a écrit qui ou qoi, quoi pour cui ; ainsi il dit intellego pour intelligo, etc., ingrabantibus pour ingravantibus, etc. J’avais jugé, par le caractère, que notre manuscrit devait être de la fin du viie siècle ou du commencement du suivant. J’en envoyai un spécimen à M. de Foncemagne. Je crus même qu’il ne serait pas inutile d’en donner une courte notice, ainsi que de l’Aulularia qui y était jointe. Elle se trouve dans l’almanach de Reims, 1774.

            « Je suis avec respect,

« Monsieur,

                             « Votre très humble et très obéissant serviteur.    
« D. X. Vincent.

« Saint-Remi de Reims, le 6 octobre 76. »

{p. 75}Le précieux volume, qui faisait revivre le manuscrit brûlé, fut déposé dans la Bibliothèque du Roi.

Malheureusement il présentait une lacune. Alors que le premier livre des fables commençait à la troisième page de l’exemplaire de la veuve Brocas, Dom Vincent n’avait inscrit qu’à partir de la cinquième les variantes du manuscrit ; sans s’en apercevoir, il avait omis toutes celles qui s’appliquaient au prologue et à la première fable tout entiers, et à la deuxième fable jusqu’au vers Qui dissolutos mores, etc.

Lorsque avant de l’envoyer au garde de la Bibliothèque du Roi, à qui il l’avait promis, il jeta un dernier coup d’œil sur l’imprimé qui portait les variantes écrites de sa main, il s’aperçut de son omission, et au bas de la page 3, sur laquelle commençait le livre I, il écrivit : « J’ai manqué dans le temps, et je ne sais comment, de vérifier ce prologue et la page suivante. » Il y a donc là une lacune qui porte sur les 34 premiers vers.

Malgré cette lacune, on peut dire que le texte était sauvé ; et il l’était pour tout le monde ; car l’exemplaire de la veuve Brocas se trouvait dans une bibliothèque publique dont l’accès était facile.

Aussi voit-on le Père Brotier, qui, tout en commettant quelques erreurs, a eu le mérite de recourir aux sources, s’en servir pour composer l’édition qu’il publia en 1783.

Adry l’étudia à son tour, et en prit même une copie entière, dont il comptait faire usage, pour écrire « l’histoire de toutes les disputes qui se sont élevées au sujet de Phèdre et de ses manuscrits104 ». Mais il mourut, avant d’avoir pu exécuter son projet. Après sa mort, s’il faut en croire Barbier, ses manuscrits furent achetés par M. Renouard ; j’ignore ce qu’ils sont devenus.

M. Berger de Xivrey fut plus heureux. Pendant qu’il s’occupait de faire paraître le manuscrit de Pithou, profitant de sa position de conservateur adjoint des manuscrits à la Bibliothèque royale, il se fit communiquer par son collègue M. van Praet, alors conservateur du département des imprimés à la même bibliothèque, le précieux exemplaire de l’édition classique de la veuve Brocas, et il en {p. 76}publia, avec un soin remarquable, toutes les variantes manuscrites en regard des mots correspondants du texte imprimé. Ce fut une inspiration providentielle, dont il faut le féliciter sans réserve. Car, peu de temps après, l’exemplaire qui avait conservé, malgré l’incendie, les leçons du manuscrit, a disparu à son tour.

Malheureusement M. Berger de Xivrey, qui a pris la peine de publier les variantes signalées par Dom Vincent, n’a pas cru devoir reproduire en même temps dans son intégralité le texte de l’édition Brocas. Il s’est borné à indiquer les mots du texte imprimé qui étaient en désaccord avec les variantes manuscrites.

Ce procédé offre des inconvénients notables. Il résulte de son application que l’ouvrage de M. Berger de Xivrey montre bien en quoi le manuscrit de Reims différait de l’édition Brocas, mais ne laisse pas apparaître ce qui, dans ce que l’un et l’autre avaient de commun, pouvait s’écarter des leçons du manuscrit de Pithou. Quel était le texte exact de cette édition ? Voilà ce qu’il était important de savoir.

Dans ce but j’ai longtemps essayé de découvrir un exemplaire de l’édition de 1743. Mais la veuve Brocas était le libraire classique de son temps ; elle ne publiait guère que des éditions à l’usage des élèves des collèges ; celle de 1743 était destinée à l’enseignement ; elle n’avait par elle-même aucune valeur ; tout ce qui n’en a pas été utilisé a dû être détruit, et aujourd’hui elle ne se rencontre ni dans les bibliothèques publiques, ni chez les marchands de livres anciens.

En l’absence de l’édition de la veuve Brocas, ceux qui voudront reconstituer le texte du manuscrit de Reims n’ont qu’une voie à suivre, c’est de prendre pour base le manuscrit de Pierre Pithou et de substituer à ses leçons toutes les variantes signalées par Dom Vincent. On ne tarde pas, en procédant ainsi, à s’apercevoir que ces variantes se réduisent à peu de chose. En effet, dans la plupart des endroits où le manuscrit de Reims était en désaccord avec l’édition Brocas, il était conforme au manuscrit de Pithou, dont, comme je l’établirai, il ne différait que très peu.

Le procédé, suivi par M. Berger de Xivrey, offre des inconvénients non seulement pour le texte même des fables, mais encore pour leurs titres.

Il n’indique que ceux qui ne sont pas conformes. On pourrait {p. 77}donc, au premier abord, craindre que ceux qui, à raison de leur conformité dans le volume imprimé et dans le manuscrit, sont omis, ne fussent pas eux-mêmes réellement identiques à ceux du manuscrit de Pithou. S’il en avait été ainsi, il serait impossible de fournir exactement les variantes des titres. Heureusement, en examinant de plus près les variantes du manuscrit de Reims, j’ai remarqué que, toutes les fois que le titre, indiqué d’après le manuscrit de Reims, était en désaccord avec celui donné à la fable dans l’imprimé, le premier des deux était conforme à celui qu’elle portait dans le manuscrit de Pithou. Cette observation m’a fait acquérir la certitude qu’il suffirait, pour se procurer le texte exact des titres, d’emprunter à ce manuscrit chacun de ceux qui manquaient.

Il faut néanmoins reconnaître que, tout en se servant avec discernement des variantes de Dom Vincent, on ne pourrait, si l’on n’employait qu’elles, arriver à une reconstitution mathématiquement exacte du manuscrit de Reims.

D’abord, ainsi que je l’ai dit, Dom Vincent avait oublié de reporter sur l’édition imprimée les variantes des trente-quatre premiers vers du manuscrit. Ensuite, depuis le trente-cinquième vers, il les avait bien relevées ; mais, malgré son exactitude scrupuleuse, ainsi que le savant Orelli l’a fait remarquer, il avait omis d’en signaler un certain nombre, soit qu’elles lui eussent échappé, soit qu’il n’y eût pas attaché d’importance, soit enfin qu’il y eût eu conformité entre l’édition Brocas et le manuscrit de Reims dans des endroits, où ce dernier s’éloignait de celui de Pithou.

Pour parvenir à une restitution complète, il faut nécessairement recourir à d’autres documents : d’abord, pour le prologue compris dans les 34 premiers vers, au fac-simile, dont j’ai parlé, et qui a été reproduit dans l’édition Panckoucke105, ensuite, pour le surplus, aux variantes, que, d’après le Père Sirmond, Rigault a publiées, et à celles que Gude a prises lui-même sur le manuscrit.

Rigault ne me paraît pas avoir vu le manuscrit de Reims ; il n’en a connu les variantes que par les notes écrites de la main du Père Sirmond en marge d’un exemplaire de l’édition de Pithou, et {p. 78}il ne s’est même pas préoccupé de reproduire toutes les leçons nouvelles qui lui étaient révélées.

Gude, au contraire, vers 1663, pendant sa longue exploration des bibliothèques de la France, avait attentivement examiné, non pas le manuscrit de Pithou qui n’était accessible à personne, mais celui de Reims que tout savant pouvait étudier dans l’abbaye de Saint-Remi. Les notes de Gude fournissent donc des renseignements plus précieux ; elles n’en sont pas moins de nature à causer à leur tour une grande perplexité à ceux qui s’en serviront.

En premier lieu, Gude, dans l’indication de la source à laquelle sont prises ses variantes, manque très souvent de précision. En général, elles sont simplement précédées des lettres MS. Comme les leçons précédées de ces deux lettres se retrouvent presque toutes dans le manuscrit de Pithou, on est tout d’abord porté à penser que c’est à ce manuscrit que se rapporte l’abréviation MS., et ce qui confirme dans cette première idée, c’est que de place en place on trouve dans ses notes des variantes précédées de cette autre abréviation MS. Rem. Les lettres MS semblent donc désigner le premier manuscrit connu, le manuscrit fondamental, par opposition à celui de Reims découvert plus tard. Si l’on suivait cette première idée, on ne devrait tenir compte, pour combler les vides laissés par Dom Vincent, que des variantes qui porteraient avec elles l’indication expresse de leur origine.

Mais telle n’était pas l’opinion d’Orelli. « Il faut tenir pour bien constant, écrit-il dans son édition de 1831, que toute variante tirée par Gude de MS, quoiqu’il n’ait pas toujours ajouté Rem. (ce que pourtant il fait souvent), n’est pas puisée ailleurs que dans le manuscrit de Reims106. » Suivant lui, Gude n’a pu puiser les variantes du manuscrit de Pithou que dans l’appendice de l’édition originale et dans les notes des diverses éditions de Rigault. Or, pour prendre quelques exemples au début seulement du premier livre, les variantes queris et gravis, portant l’une sur le vers 7 de la fable i, l’autre sur le vers 7 de la fable ii, ne sont, dans ses notes, précédées que des simples lettres MS. Ne lui ayant été signalées {p. 79}ni par l’appendice de l’édition originale ni par les notes de Rigault comme appartenant au manuscrit de Pithou, elles ont dû, dans sa pensée, ne concerner que celui de Reims, et c’est là ce qu’il a dû par les deux lettres MS avoir l’intention d’exprimer ; ce qui le prouve, c’est, dans le vers 8 de la fable Ranæ regem petentes, la variante omnino insueti sonus, qui, quoique n’appartenant qu’au manuscrit de Reims, n’est signalée par Gude qu’avec les lettres MS ; ce qui le prouve encore, c’est que, lorsqu’au contraire une variante lui est indiquée comme commune aux deux manuscrits, il a soin de le mentionner ; ainsi l’appendice de l’édition originale lui montrant que, dans le vers 12 de la même fable, la leçon ut compesceret était identique dans les deux manuscrits, il a eu soin de la faire précéder dans ses notes, page 223, de cette mention : MS. Rem. et Pith.

Sans avoir une confiance aussi robuste qu’Orelli dans l’intention bien arrêtée de Gude de ne désigner par les lettres MS que le manuscrit de Reims, je crois qu’on doit accepter cette hypothèse comme vraie, et il faut avouer qu’elle ne fait pas courir de grands dangers d’erreur ; car les deux manuscrits sont tellement semblables que rarement une leçon tirée de l’un n’appartient pas à l’autre.

Au surplus, ce qui est prudent, c’est en général de n’accepter la leçon de Gude que lorsque celle de Dom Vincent fait défaut.

En second lieu, à côté de l’incertitude que fait éprouver l’insuffisance des indications données par Gude sur l’origine des variantes, on est plongé par lui dans un embarras d’un autre genre. Ainsi, sur telle variante donnée, il lui est arrivé assez fréquemment d’être en désaccord avec Dom Vincent. Pour ne citer que deux exemples tirés du livre I, tandis que Gude avait lu dans la fable x la variante forte et dans la fable xi la variante ut ipse, Dom Vincent a cru apercevoir forti et ipse ut. Quand on est obligé d’opter entre eux, on doit en général donner la préférence aux indications fournies par Dom Vincent ; en effet, lorsqu’il a annoté l’exemplaire de la veuve Brocas, il avait mieux l’accès du manuscrit de Reims, et par suite il a dû moins que le savant allemand être exposé à se tromper. Ce n’est pas à dire non plus qu’il faille accepter aveuglément les variantes de Dom Vincent ; car le volume qui portait ses notes manuscrites a disparu, et il est possible que, dans l’édition de {p. 80}M. Berger de Xivrey qui nous les a conservées, il se soit glissé quelques fautes typographiques qui les aient un peu dénaturées.

En somme, il est encore possible aujourd’hui de publier le texte rigoureusement exact du manuscrit de Saint-Remi.

§ 2. — Description du manuscrit. §

Après avoir montré par quels moyens on peut opérer la restitution du manuscrit brûlé, je dois faire connaître ce qu’il était.

Dans une note manuscrite par lui placée au bas de la troisième page de l’exemplaire de la veuve Brocas, où commence le premier livre des fables, Dom Vincent s’exprime ainsi : « Le Phèdre de Saint-Remi était un in-8o allongé107. »

C’était donc un in-8º. Je ne saurais dire de combien de feuillets il se composait ; mais ce qui est certain, c’est qu’ils étaient en parchemin, qu’aucun n’avait été déchiré, que, comme dans le manuscrit de Pithou, les lacunes du texte ne correspondaient pas à des pages arrachées, et qu’enfin, ainsi que l’atteste Dom Vincent108, le copiste, sans se préoccuper des vers, les avait écrits comme de la prose. « Les vers, dit-il, n’y sont pas distingués », et le fac-simile qu’il avait adressé à M. de Foncemagne démontre que son assertion est parfaitement vraie.

L’indifférence du copiste avait été plus loin encore ; comme celui du manuscrit de Pithou, il était passé d’une fable à une autre sans indiquer la transition et probablement sans l’apercevoir ; c’est ainsi qu’à la suite des premiers vers de la fable Leo regnans, il copie, sans noter la lacune, les deux derniers vers d’une autre fable, dont l’obscénité fait d’ailleurs peu regretter la perte. Il en est de même de la fable Demetrius rex et Menander poeta, qui, avant d’avoir été achevée, avait été si bien rattachée à la fin d’une suivante, que les mots Et vindicabit, qui commençaient la seconde, étaient sur la même ligne que les mots Mutatus statim qui terminaient la première.

Enfin, comme dans le manuscrit de Pithou, le passage d’un livre {p. 81}à un autre n’était pas non plus toujours observé. Il n’était indiqué qu’au commencement du second livre par ces mots : Phædri Augusti liberti liber secundus.

À la fin du manuscrit, le copiste, heureux sans doute d’avoir achevé son travail, avait écrit : « Phædri Aug. liberti Liber quintus explicit feliciter. »

Comme, dans l’exemplaire de l’édition de 1743, le cinquième livre était suivi des fables dont Gude avait emprunté le sujet à Romulus, qu’il avait mises en vers ïambiques et que Burmann avait découvertes et publiées, Dom Vincent avait craint qu’on ne s’imaginât qu’elles existaient dans le manuscrit. Pour éviter cette méprise, il avait, à la fin de la dernière fable du livre V, ajouté cette observation : « Ici finit le cinquième livre ; et ces autres fables qui suivent ne sont pas dans notre manuscrit. Il n’y a point de feuillet perdu qui puisse faire juger que d’autres fables aient été aussi perdues ; les feuillets ne sont point séparés, et le tout fait suite109. »

J’en aurais fini avec le manuscrit de Saint-Remi, s’il n’avait pas été l’objet d’une erreur longtemps commise, qui a déjà été savamment réfutée et que je voudrais faire tout à fait disparaître.

J’ai signalé l’hypothèse foncièrement inexacte, risquée par Boinvilliers, qui, brodant sur l’erreur du Père Brotier et dans le manuscrit de Pithou et dans celui de Reims n’en voyant qu’un seul et même, prétendait qu’il était passé de l’abbaye de Saint-Remi dans les mains du savant qui l’avait publié. Confondant de même les deux manuscrits, certains philologues avaient déjà bâti sur cette erreur une autre hypothèse, qui, pour différer de la précédente, n’en est pas moins fausse. Ils avaient cru que Pithou avait publié les fables de Phèdre d’après un vieux codex, qui, légué au collège de Troyes, serait ensuite passé à l’abbaye de Saint-Remi. Cette erreur était, d’après Dom Vincent, formulée dans les Éphémérides troyennes de l’année 1765. Il la combattit, en publiant, en 1774, dans l’almanach de Reims, un article malheureusement très fautif, intitulé : Notice sur le manuscrit de Phèdre qui est dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Remi110.

{p. 82}Il faut avouer que l’idée fausse qui s’était propagée n’avait rien qui dût surprendre.

Le soin avec lequel les descendants de Pithou avaient, en silence, soustrait son manuscrit à tous les regards, avait dû porter à penser qu’ils ne le possédaient pas, et la similitude qui existait entre les deux manuscrits pouvait faire croire que celui de Reims n’était autre que celui qui avait servi à Pithou.

Il existait entre eux une communauté d’origine, sur laquelle l’examen le plus superficiel ne saurait laisser le moindre doute.

Au premier abord, lorsqu’on aperçoit le nombre considérable des variantes relevées par Dom Vincent en marge de l’édition classique de 1743, on est tenté de croire que les deux copistes avaient dû puiser à deux sources différentes. Mais ceux qui se hâteraient d’en tirer cette conclusion seraient dupes d’un mirage trompeur. Le grand nombre des variantes ne vient que de ce que la veuve Brocas, adoptant les altérations ou améliorations successives des éditions antérieures, s’était écartée du manuscrit de Pithou. Il existe donc beaucoup de différences entre l’édition de 1743 et le manuscrit de Reims ; mais les mêmes différences ne se retrouvent pas entre ce manuscrit et celui de Pithou. Quand on y regarde de près, on remarque que presque toujours la leçon indiquée par Dom Vincent est conforme au texte du manuscrit de Pithou, dont l’imprimé s’était au contraire éloigné. Il y a mieux : quand le même mot figure dans le texte imprimé et dans la variante manuscrite et que la différence provient de leur orthographe, c’est l’orthographe de la variante qu’on retrouve dans le manuscrit de Pithou. Ce qui revient à dire que dans les deux manuscrits les mêmes mots présentent les mêmes barbarismes.

Les titres des fables sont identiques, et lorsqu’ils auraient dû subir une rectification, elle fait dans l’un et dans l’autre également défaut. Ainsi, par exemple, la fable v du livre II, dans les deux manuscrits, est intitulée : « Item Cæsar ad Atriensem. » Ce mot Item ou manque de sens, ou, ce qui est plus probable, suppose une fable perdue, qui devait la précéder et porter pour titre le mot Cæsar. Il y avait lieu de supprimer le mot Item. Néanmoins les deux copistes le conservent ; ce qui, soit dit en passant, démontre leur égale ignorance.

Il y a aussi deux lacunes, que j’ai déjà signalées et qui rendent {p. 83}la ressemblance encore plus frappante. Ainsi le manuscrit de Pithou, dans le livre IV, ne renferme de la fable Leo regnans que les neuf premiers vers, et à la suite, sans interruption, s’ajoutent les deux derniers vers d’une autre fable, dont le premier mot est sur la même ligne que les derniers de la précédente. Il en est de même de la fable Demetrius rex et Menander poeta : le dernier vers manque, et les deux, qui devraient commencer la fable suivante, sont également absents. Cependant le tout est réuni, comme s’il ne faisait qu’une seule fable. Le copiste, à qui est dû le manuscrit de Reims, n’a pas davantage aperçu ces lacunes, et, comme l’autre, il a ajouté, sans ponctuation séparative, au commencement de la première fable la fin de la suivante.

Enfin, pour en terminer avec tous ces points de ressemblance, j’ajoute que, contrairement à ce que déclare Dom Vincent dans l’almanach de Reims, les vers n’ont été observés ni par l’un ni par l’autre. Ils les ont écrits comme de la prose. Dom Vincent, en voyant dans l’édition de Pithou une ligne consacrée à chaque vers, avait naturellement supposé qu’il n’avait fait que suivre la disposition du texte reproduit. C’était une fausse supposition. À ce point de vue encore les deux manuscrits étaient pareils.

On s’explique maintenant l’erreur qui s’était accréditée. Cependant il y avait bien deux manuscrits. Il ne peut y avoir d’incertitude à cet égard. Les variantes qui les différencient, quoique peu importantes et peu nombreuses, n’en sont pas moins la preuve certaine, et les échantillons que je reproduis de l’écriture de chacun ne laissent pas la moindre place au doute.

Mais, s’il y avait deux manuscrits, il faut reconnaître qu’il existait entre eux une parenté incontestable. Il me paraît évident qu’ils ont été copiés ou l’un sur l’autre ou tous les deux sur un troisième aujourd’hui disparu. En un mot, pour employer une image qui rende ma pensée, ou bien ils descendent l’un de l’autre en ligne directe, ou bien ils descendent d’une souche commune en ligne collatérale.

Laquelle de ces deux hypothèses est la vraie ? Je ne puis le dire ; mais j’incline vers la première. J’ai expliqué que dans l’un et dans l’autre la ligne ne se terminait pas à la fin de chaque vers, et que chaque vers nouveau était sans interruption écrit à la suite du précédent. Il est vraisemblable que, si l’un des deux copistes, {p. 84}pour économiser le parchemin, a eu l’idée de ne pas s’inquiéter des vers, l’autre n’a pas eu la même préoccupation. Le plus ancien des deux, seul sans doute, a voulu ménager l’espace et pour cela a fait toute sa copie sans rompre la ligne, et le second, s’étant servi de cette copie, ne s’est pas aperçu qu’il copiait des ïambes et les a écrits comme de la prose.

Ce qui me confirme dans cette hypothèse, c’est que, dans le manuscrit de P. Daniel, chaque vers occupe seul la ligne où il est écrit. Or ce manuscrit, qui paraît être du xie siècle, a été copié sur les textes primitifs ; ce qui montre que les vers y étaient bien observés, et que, si, au lieu de copier le manuscrit de Reims, le copiste de celui de Pithou les avait eus sous les yeux, il n’aurait pas manqué de consacrer une ligne entière à chacun des ïambes.

Le savant philologue Orelli reconnaît que les deux manuscrits ont entre eux un air de famille, qui ne permet pas de douter de leur communauté d’origine, et, s’il ne déclare pas nettement opter pour l’hypothèse qui me semble la plus probable, il laisse apercevoir qu’il penche vers elle. Ainsi il fait observer que le manuscrit de Reims présente quelques leçons préférables à celles du manuscrit de Pithou, telles que dos au lieu de mos, et fauce au lieu de face ; une variante surtout lui semble significative : dans les éditions imprimées, conformes en cela au texte de Perotti, à celui de Romulus et aux conjectures de Gude, le premier vers de l’épilogue du deuxième livre commence par les mots : Æsopi ingenio, qui sont la véritable leçon ; dans le manuscrit de Reims qui l’altérait, on lisait les mots : Æsopi ingentem, qui laissaient voir la trace du texte primitif ; celui de Pithou portait les mots : Æsopo ingentem, qui aggravaient la première altération. Orelli en conclut que le manuscrit de Reims était le plus ancien ; mais, s’il s’est arrêté à cette conséquence, il faut avouer qu’elle le menait à celle que j’ai moi-même déduite.

On sera peut-être porté à croire que la solution du problème n’exigeait pas tant de peine. En effet, au premier abord, il semble que l’écriture des manuscrits devait révéler leurs âges respectifs. Cependant sur ce point les appréciations des savants ne sont pas en parfaite harmonie.

Dans sa lettre à M. de Foncemagne, Dom Vincent estime que l’écriture du manuscrit de Reims est du viiie siècle ou au plus tard {p. 85}du commencement du ixe ; sa notice, insérée dans l’almanach de Reims111, indique que, dans sa pensée, elle ne dépasse pas le viiie ; enfin, dans la lettre qui accompagnait le volume de la veuve Brocas, il exprime l’idée qu’elle est de la fin du viie siècle ou du commencement du viiie. En résumé, Dom Vincent place le manuscrit de Reims entre la fin du xviie siècle et le commencement du ixe, et, pour prendre un moyen terme, lui assigne le viiie siècle. Au contraire le Père Brotier crut reconnaître que celui de Pithou était du ixe siècle, et M. Berger de Xivrey affirme qu’il « n’est pas plus récent que le xe ». Il semblerait en résulter qu’il est de cent ans environ le moins ancien. Mais les spécimens que je publie ne présentent pas des différences assez grandes pour qu’on puisse être si affirmatif. Les deux écritures semblent être à peu près de la même époque, et, suivant l’âge du copiste, le manuscrit le plus récent peut être celui qui présente l’écriture la plus ancienne. Pour parvenir à se créer une opinion raisonnable, il faut donc, tout en tenant compte des renseignements paléographiques, en revenir à ces fautes de copiste, qui, dans le manuscrit de Pithou, n’ont été que l’aggravation de celles commises dans celui de Reims.

Tel était le manuscrit de Reims. Mais, au moyen âge, il était rare qu’un manuscrit fût relié seul. Nous avons déjà vu que celui de Pithou était suivi d’un traité De Monstris ; à celui de Saint-Remi avait été annexée une comédie latine intitulée Querolus sive Aulularia. C’était celle dont Pierre Daniel, sur un autre manuscrit sans doute, avait, en 1564, donné l’édition originale.

Il n’entre pas dans mon plan de parler de cette comédie ; d’ailleurs, quoiqu’elle ne soit pas de Plaute, ceux qui désireront la lire, la trouveront dans les éditions de ses œuvres et notamment dans la collection des classiques latins de Lemaire. Mais j’ai trop de fois cité le nom de Dom Vincent, pour ne pas profiter ici de l’occasion qu’elle m’offre de le faire parler lui-même. Voici ce qu’au sujet de cette comédie, il écrivait, en 1774, dans l’almanach de Reims112 :

« “Au Phèdre, ajoute M. Grosley, est jointe une comédie latine intitulée Aulularia, qui n’a pas été imprimée, et qui au jugement de M. l’abbé d’Olivet, qui l’a vue, ne mérite pas de l’être… On {p. 86}pourrait aussi examiner si l’ancienne comédie jointe au Phèdre, ne serait point le Querolus sive Aulularia, publié par P. Daniel en 1564, comédie que l’auteur des Recherches pour servir à l’histoire du droit français, a crue du siècle de Théodose, et que les auteurs de la Nouvelle Diplomatique renvoient au siècle de la meilleure latinité. Le jugement de M. l’abbé d’Olivet serait une pièce à joindre à ce procès, si la comédie jointe au Phèdre était en effet le Querolus.”

« Je dirai tout simplement : 1º que M. l’abbé d’Olivet qui voulut voir cette comédie, n’en porta d’autre jugement, sinon que “ce fut celle-là même qui fut publiée en 1564 par le savant P. Daniel, d’Orléans, qui l’accompagna de ses notes, et il faut convenir que c’est un ouvrage qui paraîtrait peu digne aujourd’hui d’une grande estime.

« 2º Les auteurs de la Nouvelle Diplomatique ne pensent pas cependant de même. “Ce poète dramatique, disent-ils (t. II, p. 94, not. col. 2), s’il paraît s’attribuer un discours barbare, ce n’est pas sans doute parce qu’il était lui-même barbare, ou parce qu’il tombait dans de fréquents barbarismes, puisqu’il écrit en latin, et qu’il s’exprime en bons termes.” En accordant ces derniers mots à nos diplomaticiens, on pourrait ne pas convenir de ce qui précède, et dire que ces paroles du Querolus, qu’ils ont en vue, Qui Græcorum disciplinas ore narrat barbaro, ne représentent qu’un étranger (un Grec) qui s’exprime dans une langue étrangère (la latine). Ces mêmes auteurs le croient Grec, et peut-être un Marseillais, antérieur à la fin du premier siècle et postérieur à Tibère (ibid.), contre le sentiment de D. Rivet, qui le place, disent-ils, au commencement du ve siècle (ibid. p. 93, not. col. 1). “Vossius, écrit en effet D. Rivet, croit que c’est à Rutilius (Claudius Rutilius Numatianus, poète du ve siècle et préfet de Rome) que le poète Flavius adressa la comédie intitulée le Plaintif de Plaute ou l’Aulularia.” (H. lit., t. II, p. 73). C’est aussi le sentiment de Tillemont qui l’a suivi (Till., Hist. emp., t. V, p. 662, art. 67).

« Mais 1º notre auteur dramatique était Grec : j’en ai donné la preuve : il dit encore dans le même Querolus : “Sic nostra loquitur Græcia.” 2º Il est à remarquer qu’il cite Cicéron : “De istis (anseribus) quondam magnus dixit Tullius : Anseribus cibaria publice locantur, etc.” Or Cicéron est mort 43 ans avant la naissance de Jésus-Christ. {p. 87}De plus, il est fait mention dans l’Aululaire de la manière dont les Gaulois rendaient la justice : Vade ad Ligerim, etc. On sait que du temps de César les Gaulois s’assemblaient tous les ans dans le pays chartrain, pour y décider leurs querelles et leurs procès : ils s’en rapportaient aux jugements et aux décisions des Druides… (Cæs., de Bell. Gall., L. VI, c. 13. Vid. Cicer., lib. I de Divin. ; Plin., lib. XXX, c. 1). Or, Pline rapporte que les Druides furent chassés de l’empire sous Tibère (Claude). Suétone en dit autant (in Claud., p. 372), et Aurélius Victor le confirme aussi (de Cæsarib., cap. 4) : c’est-à-dire que cela arriva l’an 43 de J.-C.

« On pourrait donc, ce semble ; pour nous rapprocher de nos diplomaticiens, attribuer à Phèdre l’Aululaire. Il était Grec ; il a vécu sous Tibère ; et, comme il est mort âgé, il a pu survivre à ce prince, qui a cessé de régner l’an 27 de J.-C. ; mais il aurait écrit à coup sûr avant l’édit donné contre les Druides. Enfin le mot quondam, dont il se sert en parlant de Cicéron, pourrait trouver un intervalle suffisant pour l’autoriser : il ne suppose pas toujours des temps fort reculés : on en a des exemples.

« Quel était ce Rutilius à qui cette pièce est dédiée ? C’est ce qu’on ignore encore : ce nom était assez commun ; le portrait qu’en fait notre auteur dramatique est assez flatteur. C’était un protecteur généreux, un ami des lettres : “Sermone illo philosophico, ajoute-t-il, ex tuo materiam sumpsimus. Meministine ridere te solitum, illos qui fata deplorant sua… Nos fabellis atque mensis hunc librum scripsimus.” »

En reproduisant ainsi en partie la notice de Dom Vincent, je me suis permis une digression un peu longue. Mais la conclusion à laquelle il arrive me servira d’excuse. Il est vrai qu’elle est toute gratuite, qu’il n’y a aucun rapport entre le style des Fables et celui du Querolus, et que, si, parce que cette comédie les suivait dans le manuscrit de Reims, Dom Vincent a cru pouvoir l’attribuer à Phèdre, la raison qui l’a déterminé avait bien peu de valeur. À ce compte-là il faudrait dire aussi que Phèdre est l’auteur du traité De Monstris et Belluis, qui, dans le manuscrit de Pithou, se trouve également à la suite de ses Fables. Il est évident que Dom Vincent a été entraîné un peu légèrement à formuler une hypothèse invraisemblable. Mais, par cela même qu’il l’avait imaginée, on trouvera peut-être que j’ai pu, sans trop m’écarter de mon sujet, parler un peu du Querolus.

{p. 88}
Section III.
Manuscrit de Daniel. §
§ 1. — Histoire du manuscrit. §

J’ai maintenant à m’occuper du troisième manuscrit des fables de Phèdre, et, pour être sincère, j’avoue tout de suite que j’éprouve à remplir cette partie de ma tâche une satisfaction toute particulière.

Le manuscrit est généralement connu sous le nom de Vetus Danielis chartula. Bien des bibliographes s’en sont occupés. Mais, sauf Rigault, Isaac Vossius, l’Allemand Gœttling, l’abbé et cardinal Angelo Maï et M. F. Guessard, aucun d’eux ne l’a vu. Tout ce qu’ils en ont dit devait nécessairement fourmiller d’erreurs.

J’ai voulu faire et j’ai fait ce qu’ils auraient dû faire : je l’ai vu et lu, et j’en ai pris une copie littérale qui n’est pas dénuée d’intérêt : car l’abbé Maï, en corrigeant les fautes du manuscrit, l’a légèrement dénaturé113.

Ce qui a été écrit sur son origine est exact : il dépendait de la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire. C’est là le point de départ qu’Adry assigne à ses pérégrinations.

Le manuscrit avait ensuite appartenu à Pierre Daniel, avocat d’Orléans, et comme Pierre Daniel était en même temps bailli de la justice temporelle de l’abbaye de Saint-Benoît et qu’il avait pu sauver bien des livres du pillage de la bibliothèque, Adry avait dû naturellement penser que le manuscrit, possédé par lui, provenait de ce sauvetage.

Cette supposition était appuyée sur l’autorité des Bénédictins eux-mêmes, qui, dans leur Nouveau Traité de diplomatique, s’exprimaient ainsi114 : « Pierre Daniel, bailli de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire qu’il qualifie de plus célèbre et premier collège de toute la France, profita du pillage de ce monastère par les huguenots ; {p. 89}après s’être emparé d’une bonne partie de ses manuscrits, il eut l’adresse d’en racheter d’autres à vil prix. »

Mais ce n’était là qu’une supposition ; l’examen qu’il m’a été donné d’en faire ne permet plus l’incertitude.

Voici en effet l’inscription que j’ai lue sur le manuscrit : « Hic est liber sancti Benedicti Floriacensis ; quem si quis furatus fuerit vel aliquo ingenio tulerit, anathema sit. » Ce qui, d’après M. Gaston Paris115, veut dire : « Ce livre appartient à Saint-Benoît-Fleury ; si quelqu’un le dérobe, ou l’enlève à l’aide de quelque engin, anathème sur lui. »

Il paraît que le premier nom de Saint-Benoît-sur-Loire était Floriacum, en français Fleury. L’abbaye fondée dans cette ville par les Bénédictins, pour se distinguer des autres, prit le nom de Saint-Benoît-de-Fleury ou Saint-Benoît-Fleury.

On sait par quelle filière le manuscrit arriva à Rome. Après la mort de Pierre Daniel, il fut, en 1603, acheté par le savant antiquaire Paul Petau. Quoique le nom de ce savant soit encore connu des bibliophiles, l’oubli injuste dans lequel il est tombé me fait un devoir de rappeler ce qu’il a été.

Il était né à Orléans, en 1568, c’est-à-dire dans la ville et dans le temps où le manuscrit qui devait plus tard lui appartenir était soustrait au pillage. Il s’était livré consciencieusement à l’étude du droit, et à l’âge de vingt ans était devenu conseiller au Parlement de Paris.

Cette position lui avait laissé des loisirs qu’il avait occupés à collectionner des médailles et surtout des livres rares et des manuscrits précieux, parmi lesquels le manuscrit de Daniel acquis par lui prit le nom de Petaviensis codex.

Il mourut le 17 septembre 1614, laissant un fils, Alexandre Petau, qui hérita de ses fonctions au Parlement et de son goût pour les antiquités.

Sa bibliothèque passa à son fils Alexandre Petau, et après le décès de ce dernier elle fut mise en vente.

Les richesses paléographiques qu’elle renfermait furent dispersées. Le manuscrit de Phèdre passa dans les mains de la reine Christine. Ce nouveau changement de maître le fit appeler Schedæ {p. 90}regiæ. Plein d’une foi aveugle dans les assertions du Père Desbillons116, Schwabe affirme, d’après lui, que la reine de Suède le communiqua à Gérard-Jean Vossius117. Il ne s’aperçoit pas qu’il confond ainsi le père avec le fils. En effet, l’illustre savant n’existait déjà plus. En 1649, Isaac Vossius, son fils, était devenu bibliothécaire de la reine et avait été chargé par elle de lui enseigner la littérature grecque. Il conserva cette situation jusqu’en 1651, date à laquelle ses dissentiments avec Saumaise le firent tomber en disgrâce. En 1650, la reine l’avait chargé d’aller dans les Pays-Bas, en France et en Allemagne acheter pour elle des livres précieux et surtout des manuscrits. C’est alors qu’il acquit, moyennant quarante mille livres, une grande partie de la bibliothèque de Paul Petau et par suite le manuscrit de Daniel, qui en dépendait, et qui prit, avec la dénomination de Schedæ regiæ, celle de Vossianus codex.

Il paraît que les divers noms donnés au manuscrit de Daniel avaient jeté une certaine confusion dans l’esprit des savants, et que longtemps ils ne surent pas exactement s’ils s’appliquaient à un seul ou à plusieurs. Le Père Desbillons, sans avoir cependant vu le manuscrit, fit cesser l’incertitude118. Schwabe lui rend à cet égard un hommage mérité119.

Après l’achat fait par Isaac Vossius, le manuscrit de Daniel dut être envoyé en Suède. Mais il ne trouva pas dans ce pays le terme de ses vicissitudes. La reine Christine, que l’amour du plaisir autant peut-être que celui de l’étude avait fait renoncer au trône de Suède, n’avait pu se résigner à rester dans un pays où elle n’eût que difficilement trouvé la satisfaction de ses goûts. Ayant abdiqué en 1654, elle se rendit en Allemagne, abjura sa religion à Insprück, passa en Italie en 1655 et s’y lia avec le marquis de Monaldeschi, dont elle fit son écuyer et son amant. L’année suivante, venue avec lui en France, elle le fit, en dévote vindicative, un jour, au palais de Fontainebleau, dans la galerie des Cerfs, confesser par le {p. 91}curé d’Avon et tuer à coups d’épée par deux de ses gardes120. Obligée à la suite de ce meurtre d’abréger son séjour en France, elle se retira à Rome, où sa conversion lui concilia toutes les sympathies du pape Alexandre VII, et où elle passa le reste de son existence peu édifiante à regretter son abdication irréfléchie. Je renvoie ceux qui me trouveront trop sévère pour elle au livre intitulé : Histoire des intrigues galantes de la reine Christine de Suède et de sa cour pendant son séjour à Rome121. Ils verront que j’use de ménagement dans mes appréciations.

« En 1660, écrit M. Rochefort122, le trône de Suède étant devenu vacant par la mort de Charles-Gustave, elle fit des tentatives pour y remonter. Le pape Alexandre VII eut la complaisance d’écrire en cette occasion à Louis XIV, pour lui recommander les affaires de la reine Christine, comme étant liées à celles de la religion catholique123. Il ne paraît pas que Louis XIV ait voulu se prêter aux fantaisies de Christine, et il fit bien. » L’intervention pontificale n’ayant eu aucun succès, Christine dut rester à Rome. En mourant, elle laissa une riche bibliothèque qui fut achetée par le pape Alexandre VIII, et ses livres entrèrent au Vatican.

Mais la Bibliothèque Vaticane possédait-elle encore le manuscrit de Daniel ? Voilà ce que n’avaient pu m’apprendre ni Schwabe, ni Adry, ni les autres savants dont je consultai les travaux.

Le Père Desbillons, dans sa deuxième dissertation sur les fables {p. 92}de Phèdre, s’était exprimé ainsi : « Ea demum post mortem Reginæ delata est ad bibliothecam Vaticanam, ubi hodieque servatur124. »

Il était, comme on le voit, assez affirmatif ; mais il avait écrit avant les événements dont la Révolution de 1789 avait été le point de départ. Aussi Schwabe, dans son édition de 1806, était-il moins fixé sur le sort du manuscrit, et dans son Index codicum manuscriptorum Phædri il manifestait ses doutes en ces termes : « Qui an hodie exstet in bibliotheca Vaticana an nuper a Gallis cum aliis cimeliis Parisios transmissus sit, non constat125. »

Partageant probablement la même incertitude, Adry, dans son Examen des nouvelles fables de Phèdre, écrit en 1812, disait : « Il a peut-être été apporté à Paris. »

En effet, sous le Directoire, le général Bonaparte était entré à Rome avec l’armée de la République française, et avait imposé au pape vaincu le traité de Tolentino. Le gouvernement pontifical n’ayant pas les ressources nécessaires pour payer l’indemnité de guerre, il avait été convenu que cinq cents manuscrits seraient livrés à la France. En exécution de cet accord, ils avaient été remis, le 23 messidor an V (13 juillet 1797), aux commissaires de la République, qui les avaient ensuite expédiés à Paris.

La nomenclature de ces cinq cents manuscrits, parmi lesquels figure le manuscrit de Daniel, a été donnée dans un petit volume in-8º, intitulé : Recensio manuscriptorum codicum qui ex universa bibliotheca Vaticana… procuratoribus Gallorum traditi fuere, et publié à Leipzig en 1815 chez le libraire Paul Gotthelf Kummeri.

Pour me renseigner, ignorant l’existence de ce petit volume, je consultai les autres ouvrages qui me parurent le plus propres à m’éclairer. Je songeai d’abord à la collection des classiques latins de Lemaire ; je consultai le Phèdre qui a été publié en 1826 dans cette collection et qui n’est avec quelques additions que la réimpression de l’édition de Schwabe, et j’y trouvai une note du bibliophile Barbier, ainsi conçue : « Ce manuscrit ne s’est pas trouvé parmi ceux de la Bibliothèque du Vatican, qui ont été apportés à Paris. »

J’avoue que j’avais peine à comprendre comment des savants sérieux avaient pu se résoudre à rester dans une pareille ignorance, {p. 93}et j’étais convaincu que les éditions de Phèdre plus récentes me fourniraient le renseignement cherché. Je recourus à la consciencieuse publication de M. Berger de Xivrey. Il parle bien du manuscrit dans sa préface ; mais lui qui, à force de patiente volonté, avait fait revivre le manuscrit de Pithou, il n’avait, pas plus que ses devanciers, eu le courage de s’inquiéter de ce qu’était devenu celui de Daniel. Et, quand se posa devant lui l’inévitable question de savoir si ce manuscrit était encore au Vatican, il l’éluda en laissant tomber de sa plume ces mots empreints d’une étonnante nonchalance : « Y est-il encore ? N’y est-il plus ? C’est une question dont M. l’abbé Maï pourrait peut-être donner la solution. »

Ces lignes étaient écrites depuis quelques mois à peine, que l’abbé Maï la donnait. Si j’avais songé à recourir à ses instructifs travaux, je l’aurais trouvée dans le troisième volume, publié à Rome en 1831, de sa collection des auteurs classiques édités d’après les manuscrits du Vatican126.

Sans même fouiller cette vaste collection, j’aurais pu puiser des renseignements précis soit dans le supplément ajouté par Orelli, en 1832, à son édition de Phèdre publiée à Zurich l’année précédente, soit dans la remarquable notice de M. Jules Fleutelot, qui figure en tête du Phèdre publié en 1839 dans la collection des classiques latins de M. Nisard, soit dans l’histoire de la fable ésopique publiée par M. Edelestand du Méril en 1854, soit enfin dans le volume de la collection des anciens poètes français, qui contient la chanson de geste intitulée Otinel et qui a été publié par MM. Guessard et Michelant en 1859.

Malheureusement ma mauvaise étoile me fit diriger mes regards du côté de la collection Panckoucke. Les fables de Phèdre y sont précédées d’une étude sur les manuscrits de cet auteur. Je la consultai ; mais cette étude n’était qu’une mauvaise compilation, et je n’y trouvai pour tout renseignement que cette phrase : « Il est bien probable que ce manuscrit est aujourd’hui au Vatican127. »

{p. 94}La forme peu affirmative de ce renseignement n’était pas de nature à me tirer de mon incertitude, d’autant plus qu’il était accompagné d’une note, suivant laquelle Dom Cl. Étiennot de la Serre, dans une lettre où il fait l’historique de Saint-Benoît-sur-Loire128, aurait dit que les livres de P. Petau étaient encore à Stockholm. Toutes mes recherches ne servaient donc qu’à augmenter ma perplexité.

J’avais une dernière ressource : c’était d’aller à la Bibliothèque nationale. Je m’y rendis ; mais ma démarche fut infructueuse. Le manuscrit ne figurait pas sur le catalogue imprimé du fonds latin, et les bibliothécaires ne purent même me dire s’il était dans la Bibliothèque.

N’espérant plus le découvrir à Paris, je pris le parti de le chercher ailleurs. Mais où aller ? Était-il à Rome ou à Stockholm ? J’optai pour la direction qui me souriait le plus. Le 11 octobre 1869, je partis pour la ville éternelle. Le jour même de mon arrivée, je me rendis au Vatican. Mais il était impossible d’entrer dans la bibliothèque. C’était l’époque des vacances ; elle était fermée.

J’appris que le conservateur était un savant bénédictin français, le cardinal Pitra. J’allai le trouver dès le lendemain matin. Je lui exposai l’objet de ma visite, et les raisons qui me faisaient penser que le manuscrit était au Vatican. Il ignorait, lui aussi, si le manuscrit s’y trouvait. Mais, comme les livres, provenant de la reine Christine, n’avaient pas été fondus dans la bibliothèque et qu’ils y occupaient une division spéciale, formant dans l’immense galerie un fonds qui portait encore son nom, il m’assura que la recherche serait promptement faite. Il était dix heures du matin. Il me promit que, si le manuscrit existait, il serait à onze heures à ma disposition sur une des tables de la salle de travail.

À l’heure dite, j’étais à la bibliothèque. Le manuscrit m’attendait, ouvert à la page où commençaient les fables de Phèdre.

§ 2. — Description du manuscrit. §

Le manuscrit de Phèdre, que j’avais sous les yeux, était relié avec deux autres d’âge et d’écriture très différents, et le tout {p. 95}formait un petit volume in-8º, qui, marqué à deux endroits de l’estampille rouge de la Bibliothèque nationale, avait évidemment été apporté à Paris dans les beaux jours de la République, rapporté à Rome après la chute du premier Empire, et réintégré sous le nº 1616 dans le fonds de la reine Christine.

La couverture est en carton revêtu de vélin.

Les 123 feuillets des trois manuscrits sont également en vélin.

Le premier des trois, celui qui est au commencement du volume, en occupe les 16 premiers feuillets. L’écriture paraît du xiie siècle. Elle est très lisible. La première lettre de chaque chapitre est ornée d’arabesques.

C’est un traité de musique. Il commence par un préambule intitulé : Proœmium magistri Guidonis Augensis super tractatum suum de musica. Le préambule se compose de quelques lignes ; puis vient le traité lui-même précédé de cet autre titre : Incipit tractatus magistri Guidonis Augensis super musica.

J’appelle, en passant, l’attention sur ces deux titres. Le maître Guido, dont ils donnent le nom, était un moine du xie siècle, qui est encore aujourd’hui célèbre sous le nom de Gui d’Arezzo, et que souvent aussi on nomme l’Arétin. Or, le surnom d’Augensis, qui lui est donné dans le manuscrit copié à une époque relativement peu éloignée de sa mort, a porté Angelo Maï à croire qu’il ne devait pas être originaire d’Arezzo et que la petite ville d’Eu pouvait revendiquer l’honneur de lui avoir donné le jour : dans une note ajoutée à la préface qui précède sa publication du manuscrit de Daniel129, il fait observer que Sigebert qui a donné à Guido l’épithète d’Arétin, s’est pour cela fondé sur ce qu’il avait dédié son œuvre à Théobald, évêque d’Arezzo. « Mais, dit-il, les moines sont les hommes qui renoncent le plus à leur pays natal, » et il cite comme exemple Gerbert, qui, Français de naissance, fut en Italie placé à la tête de l’abbaye de Bobio. M. Fleutelot n’a pas hésité à accepter l’opinion du savant cardinal130, et moi-même, dans la première édition de cet ouvrage, j’avais exprimé le même avis. J’ignorais que, dans sa {p. 96}Biographie universelle des musiciens131, le savant Fétis avait examiné à fond la question et irrévocablement démontré qu’Arezzo avait bien été la patrie de l’homme remarquable qui a été le véritable inventeur de la musique moderne132.

Le second manuscrit est celui qui porte les fables de Phèdre. L’écriture est du xie siècle. Elle est fine, mais très lisible.

Ce manuscrit ne comprend que les feuillets 17, 18, 19 et 20 ; les fables de Phèdre ne remplissent que le recto et le verso du feuillet 17 et le recto du feuillet 18, c’est-à-dire les trois premières pages.

Ces trois pages ne contiennent que huit fables du premier livre ; c’est par erreur que MM. Guessard et Michelant, peu préoccupés d’ailleurs de Phèdre qu’ils ne cherchaient pas dans ce manuscrit, en signalent seulement sept dans leur édition de la chanson de geste, intitulée Otinel133. Leur erreur provient de ce que la septième {p. 97}fable du manuscrit, écrite, sans titre à l’encre rouge, à la suite de la précédente, échappe à l’observateur qui n’y regarde pas de près, et, comme ils ne songeaient à extraire du volume que la chanson d’Otinel dont je parlerai tout à l’heure, on conçoit qu’ils ne l’aient pas aperçue. Au moins auraient-ils dû lire exactement les titres ; et c’est ce qu’ils n’ont pas fait ; car, jetant sur eux comme sur le reste un coup d’œil trop superficiel, ils intitulent la première fable : De Boue et Asino134.

Les huit fables du premier livre, conservées dans le manuscrit de Daniel, étaient :

1º La xie, intitulée : De Leone et Asino,

2º La xiie, intitulée : Cervus ad fontem laudat cornua,

3º La хiiie, intitulée : Vulpis ad Corvum,

4º La xviie, intitulée : Canis ad Ovem. Lupus testis commodasse contendit,

5º La xviiie, intitulée : Mulier parturiens ad virum,

6º La xixe, intitulée : Canis parturiens ad alteram,

7º La xxe, sans titre,

8º La xxie, intitulée : Leo deficiens, Aper, Taurus, Asellus.

Le premier vers manque à la première fable. Il ne faudrait pas en conclure qu’un premier feuillet a disparu. Tout prouve le contraire. En effet, la fable est précédée de son titre De Leone et Asino, et au-dessus du titre se trouve la désignation générale de l’ouvrage dans les termes suivants : Phedi Aug. Liber. L. Œsophiarum Incip. feliciter.

La première page se termine par ce vers de la fable Cervus ad fontem :

Utilia mihi quam fuerint quæ despexeram,

et la deuxième page par cet autre de la fable Mulier parturiens ad virum :

Onus naturæ melius quo deponeret.

Le reste remplit la troisième page.

{p. 98}Les vers, dont les manuscrits de Pithou et de Reims n’avaient tenu aucun compte, sont au contraire ici scrupuleusement séparés. Seulement, comme dans tous les manuscrits de la même époque, de nombreuses abréviations y attestent l’économie de parchemin et surtout de travail, à laquelle visaient toujours les copistes.

Le verso du feuillet 18 est occupé par une prière en prose latine rimée. Angelo Maï dit que c’est la prière d’Hincmar. Elle est d’une écriture du xiie siècle.

Elle est intitulée : Oratio sancta quam composuit… Le dernier mot, qui était le nom de l’auteur, a subi un grattage qui le rend illisible.

Cette prière remplit la quatrième page et le commencement de la cinquième. En voici les premiers mots : O mi custos, mi heros, mi pater misericors.

Sans intervalle, elle est suivie du psaume LXXXV en grec, qui commence au premier tiers du recto du feuillet 19 et qui s’étend jusqu’au bas du recto du feuillet 20. Les mots, quoique grecs, sont écrits en caractères romains du xiie siècle, et souvent l’orthographe en est altérée. Ainsi on lit : olin tin imeran (tota die) au lieu de : olèn tèn èmeran, — tin suchim (animam) au lieu de tèn psuchèn, — tin proseuchin (orationem) au lieu de : tèn proseuchèn, — ke (et) au lieu de cai, — simion (signum) au lieu de sèméion. Le texte grec est accompagné, en interligne, de la traduction latine écrite en lettres de moindre grosseur. Cette traduction commence par cette phrase qui diffère également des deux versions connues du même passage de la Bible : « Inclina, Domine, aurem tuam, et exaudi me, quia pauper et obscurus sum. »

Au verso du feuillet 20 se trouve l’ех-libris que j’ai déjà signalé et dont l’écriture est du xiie siècle. Dans la pensée du moine à qui il est dû, il a servi à utiliser la dernière page qui autrement serait restée blanche.

Enfin, un peu plus bas, a été tracé ce singulier vers, qui semble être, sinon de la même main, au moins de la même époque :

Sepe comesta, bovis caro plus placet, auget amorem.

Tel est le second manuscrit.

Le troisième que renferme le volume, est le plus considérable, il s’étend du feuillet 21 au feuillet 124. Il est occupé jusqu’au feuillet 92 {p. 99}par un fragment du roman de Fier-à-bras en vers français de dix syllabes. Ce fragment porte la date de 1318. Puis vient la chanson de geste intitulée Otinel, dont l’écriture est également du xive siècle. Elle a, comme je l’ai déjà dit, été, en 1859, publiée par MM. Guessard et Michelant qui ont pris la peine d’aller la copier au Vatican.

Voici ce que, dans leur préface, ils disent du roman d’Otinel : « Ce poème est incomplet. On y remarque une première lacune dès le début, au fol. 93 vo du manuscrit. Une seconde lacune, plus considérable, s’ouvre au fol. 103. Ce feuillet et les suivants, jusques et y compris le feuillet 108, appartiennent au roman de Fier-à-bras et ont été reliés par erreur avec le roman d’Otinel135. »

Quant au sujet de ce dernier roman, il se rattache à l’histoire légendaire des exploits de Charlemagne. « La chanson d’Otinel, disent MM. F. Guessard et H. Michelant136, est le récit d’une expédition de Charlemagne en Lombardie contre le Sarrasin Garsile ou Marsile. Otinel, le héros de ce poème, y apparaît d’abord comme messager de Garsile. À ce titre, il vient à Paris sommer Charlemagne de rendre hommage au roi son seigneur et d’abjurer la foi chrétienne ; mais, par un effet miraculeux de l’intervention divine, c’est lui-même qui bientôt renie sa croyance et abandonne la loi de Mahomet pour celle de Jésus-Christ. Filleul de Charlemagne, qui le fiance à sa fille Bélisent, Otinel prend place parmi les douze pairs, marche avec eux contre Garsile dont il devient l’ennemi le plus acharné et le plus implacable, et, après avoir contribué autant que personne à la défaite du païen, reçoit pour récompense la main de Bélisent et la couronne de Lombardie. »

La fin du poème est annoncée par ces mots : Explicit le Romans de Otinel. Ce sont les derniers du volume.

Le manuscrit de Daniel étant maintenant connu, je vais brièvement signaler et réfuter, en ce qui touche les fables de Phèdre, les erreurs commises par les critiques, qui, faute de l’avoir vu, ou de l’avoir suffisamment examiné, se sont étrangement trompés sur son contenu.

Ce qu’ils ont écrit à cet égard montre quelles incroyables fautes on est exposé à commettre, lorsqu’en matière de philologie, au {p. 100}lieu de recourir aux sources, on s’en rapporte aux assertions des savants même les plus justement estimés, et même, lorsqu’en recourant aux sources, on ne les étudie pas avec toute l’attention qu’elles exigent.

Voyons d’abord les erreurs relatives au nombre même des fables.

Depuis la publication de l’édition de Pithou jusqu’à la mort d’Alexandre Petau, c’est-à-dire pendant un demi-siècle, le manuscrit avait pu être à la disposition des savants français. Mais, sauf Rigault, nul ne s’en était servi. Dans son édition de 1599, il en avait signalé les variantes qui lui paraissaient les plus importantes. Quant aux autres savants, qui, après lui, voulurent en parler, ils ne prirent pas même la peine d’y recourir. Aussi ont-ils commis, les uns après les autres, les erreurs les plus étranges.

Si l’on consulte l’édition de Phèdre due au Père Desbillons, on l’entend affirmer, dans sa Disputatio secunda137, que le manuscrit de Daniel embrassait à peine le tiers du premier livre.

Cela était vrai ; mais Adry, habitué à tout éplucher, n’accepta pas d’emblée la déclaration, d’ailleurs un peu vague, du Père Desbillons ; il la discuta et, en la discutant, ne fut pas très bien inspiré. « Parmi ces manuscrits, écrit-il en parlant des livres de l’ancienne abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, il s’en trouvait un, non pas de toutes les fables de Phèdre, mais d’une partie du premier livre, un tiers, selon le P. Desbillons, qui devrait dire deux tiers, puisqu’on cite des variantes depuis la première jusqu’à la xxie fable inclusivement. » Adry avait remarqué que jusqu’à la xxie fable les éditions savantes révélaient des variantes tirées du manuscrit de Daniel, et il en avait conclu qu’il contenait les 21 premières fables. En y regardant d’un peu plus près, il aurait vu que, s’il se terminait à la xxie, il ne commençait pas à la première, qu’il partait de la xie, dont il ne donnait pas même le premier vers, et qu’enfin il ne contenait pas toutes les fables comprises entre la xie et la xxie.

Schwabe, plein de confiance dans le Père Desbillons, reproduit purement et simplement son assertion138.

En 1829, pour la première fois depuis I. Vossius, un Allemand, nommé Goettling, prit au Vatican connaissance du manuscrit de {p. 101}Daniel ; mais il n’en fut guère plus avancé. Il n’eut pas l’hallucination qui avait fait voir à Rigault une fable étrangère au manuscrit. Mais il commit l’erreur inverse, et, n’y jetant qu’un coup d’œil superficiel, il n’aperçut que sept fables.

En 1830, le consciencieux éditeur du manuscrit de Pithou ne fit qu’aggraver le chaos. Dans sa préface, d’ailleurs fort instructive, parlant de la Vetus Danielis charta ou chartula, il s’exprime ainsi : « Ce n’était qu’un fragment contenant seulement les 21 premières fables du IIe livre139. » À lire ces lignes, on croirait que le manuscrit n’existait plus. Comme aucun savant ne l’avait vu depuis cent cinquante ans, M. Berger de Xivrey pouvait avoir cette pensée. Mais ce qui ne s’explique pas, c’est que, dans sa préface, il déclare qu’il ne contient que des fables du IIe livre, quand lui-même, au bas des huit fables du premier livre, dont se compose la Vetus Danielis Chartula, il a soin d’insérer dans des notes spéciales les variantes du manuscrit qu’il déclare avoir transcrites d’après Schwabe.

L’incohérence est telle, que je ne puis me résoudre à penser que M. Berger de Xivrey l’ait réellement commise, et j’avoue que j’aime mieux n’y voir qu’un accident, dont sa pensée fut innocente et dont sa plume fut seule coupable. Il est donc entendu que c’est du premier livre qu’il a voulu parler.

Malheureusement, en dehors des fausses variantes qu’il avait si ingénument reproduites, il avait commis une autre erreur, qui cette fois n’était pas un lapsus calami ; elle avait consisté à répéter, sur la foi d’Adry, que le manuscrit de Daniel embrassait les 21 premières fables, et comme une erreur, surtout à l’abri d’un nom sérieux, est toujours plus aisée à propager qu’une vérité même élémentaire, tous les écrivains, qui, après lui, ont parlé de Phèdre, ou l’ont répétée, ou l’ont compliquée encore. Ainsi l’illustre Daunou, en donnant dans le Journal des Savants140 son appréciation sur la publication du manuscrit de Pithou, déclare que « ce n’est qu’un fragment qui ne paraît pas très ancien, et qui ne présente qu’un peu plus de la deuxième moitié du premier livre ».

Il y a là deux erreurs nouvelles : d’abord l’écriture du manuscrit démontre qu’il n’est pas plus récent que le xie siècle, c’est-à-dire {p. 102}qu’il est presque aussi ancien que celui de Pithou. Ensuite il ne comprend que le quart environ du premier livre, et les huit fables dont il se compose, sont celles du milieu, et appartiennent les unes à la première moitié, les autres à la seconde.

Bientôt après l’apparition du manuscrit de Pithou, la librairie Panckoucke commença à éditer sa traduction des classiques latins. Phèdre méritait d’y trouver place ; il y figura, précédé de la notice que j’ai déjà plusieurs fois citée. Il va sans dire que l’auteur de cette notice adopte les indications de ses devanciers ; seulement, comme il est rare qu’une idée fausse soit parfaitement comprise de celui même qui l’accepte, en voulant la reproduire il la transforme et la rend plus inexacte encore. « Ce manuscrit, dit-il, n’est réellement qu’un fragment ; car il ne contient qu’une partie du premier livre et des variantes depuis la première jusqu’à la xxie fable141. » Voilà maintenant le manuscrit de Daniel, qui présente encore des variantes applicables aux vingt et une premières fables. C’est à n’y plus rien comprendre.

On peut dire, à la décharge de M. Panckoucke, que vingt ans après lui MM. F. Guessard et H. Michelant ne se montraient pas plus infaillibles que lui. Mais, ainsi que je l’ai dit, Phèdre n’était pas l’objet de leurs recherches et ce n’était qu’incidemment qu’ils avaient fait mention de ses fables.

Après avoir examiné les graves erreurs relatives au nombre des fables, il me reste à relever, au sujet des prétendues variantes tirées du manuscrit de Daniel, les incroyables bévues qui ont été commises.

Les huit fables qu’il renferme étant celles que j’ai précédemment indiquées, il s’ensuit qu’elles ne comprennent pas la fable xvi, Ovis, Cervus et Lupus. Il n’en est pas moins vrai que de graves critiques ont été jusqu’à présenter sur cette fable, comme tirées du manuscrit de Daniel, des variantes, qui dès lors ne pouvaient qu’être purement imaginaires.

Depuis la publication de l’édition de Pithou jusqu’à la mort d’Alexandre Petau, c’est-à-dire pendant un demi-siècle, il avait pu être à la disposition des savants français ; mais, sauf Rigault, nul ne s’en était servi.

{p. 103}Dans son édition de 1599, ce dernier, qui en avait d’ailleurs assez exactement relevé les leçons, a commis cependant une énorme faute : il a indiqué les mots nomen cum locat comme fournis par le manuscrit, au lieu des mots homines cum avocat, qui, dans celui de Pithou, appartiennent au premier vers de la fable xvi. Or cette fable n’existe dans le manuscrit de Daniel ni en entier ni en fragment. Rigault, en mettant ses notes en ordre, a attribué au manuscrit de Daniel des mots qu’il avait dû tirer d’une autre source142. Puis, s’étant aperçu de son erreur, il avait, dans ses deux dernières éditions publiées en 1617 et en 1630, supprimé l’indication par lui inexactement donnée dans la première.

Malheureusement les critiques n’ont pas compris la cause de cette suppression. Il en est résulté que Meursius, sur la foi de la première édition de Rigault, a, dans ses notes sur Phèdre, en l’attribuant également au manuscrit de Daniel, reproduit la même variante143, et qu’en suite Schwabe, faisant confiance à ses devanciers, l’a rééditée à son tour. Après avoir fait observer que, dans le manuscrit de Pithou, le premier vers est ainsi écrit :

Fraudator homines cum avocat sponsore improbo,

il s’empresse d’ajouter qu’au contraire on lit dans le manuscrit de Daniel :

Fraudator nomen quum locat sponsu improbo.

Se servant enfin des travaux de Schwabe, M. Berger de Xivrey signale, dans une note, la même variante et lui attribue la même source144.

Après avoir ainsi implicitement admis l’existence de la fable xvi, les commentateurs ne se sont pas arrêtés en si beau chemin, et le même M. Berger de Xivrey, dans une autre note, indique une {p. 104}autre variante qui serait fournie par le second vers, et suivant laquelle, au lieu des mots mala videre, le manuscrit de Daniel porterait ceux-ci : mala dare. C’est encore sur la foi de Schwabe, appelé par lui vir summus, qu’il produit sa nouvelle assertion. Ce dernier, il est vrai, dans son Excursus sur la fable xvi145, avait écrit cette phrase : « Grævius è Schedis Dan. legendum existimat : mala dare expetit. » Mais Schwabe s’était lui-même basé sur le témoignage de Burmann, à qui il avait renvoyé le lecteur par la note suivante : « Burmanni Syllog. Epp., t. IV, p. 42. »

Quant à Burmann, dans l’ouvrage cité par Schwabe, il avait publié une lettre écrite à Utrecht en 1658, dans laquelle Grævius disait à Heinsius :

« Phædrum Schefferi avide expecto. Excerpsi ex observationibus meis unam atque alteram conjecturam, quas, si videbitur, cum viro doctissimo communicabis. Lib. I, fab. xvi :

Fraudator nomen cum locat sponsu improbo,
Non rem expedire, sed mala videre expetit.

Hunc locum in variis suis lucubrationibus mire vexavit Salmasius. Sed legendum est ex scidis Petri Danielis, mala dare expetit146. »

L’assertion remontait en somme à Grævius. Il faut avouer que de la part de cet illustre savant elle était au moins étrange. Il n’avait pas commis là une simple erreur provenant de l’indication d’un manuscrit pour un autre. En effet, la leçon attribuée au manuscrit de Daniel n’appartient pas davantage à celui de Reims. Elle est sortie de l’imagination de Grævius.

De tout ce qui précède que résulte-t-il ? C’est qu’il n’était pas inutile, au milieu de tant d’assertions aussi fausses que contradictoires, que je fisse connaître exactement les fables du manuscrit de Daniel. Il est vrai qu’ainsi que je l’ai dit, elles ont été déjà éditées en 1831 par le cardinal Angelo Maï. Mais, comme il n’en a pas fait l’objet d’une publication séparée et qu’elles figurent noyées dans un immense ouvrage, elles ont le plus souvent échappé à {p. 105}l’attention des personnes, qui, cherchant à se renseigner, s’adressent naturellement aux livres spéciaux.

Ce n’est sans doute qu’un court fragment. Mais le très petit nombre des manuscrits de Phèdre, contenant son vrai texte, lui donne une importance relative, qui justifie amplement l’étendue de cette étude.

§ 3. — Apographe du manuscrit. §

On sait qu’à la mort de Daniel, arrivée en 1603, ses livres, mis en vente, furent achetés en partie par Paul Petau et en partie par Bongars. On sait aussi comment ceux acquis par ce dernier sont aujourd’hui conservés dans la bibliothèque de la ville de Berne et comment, par suite, la plupart des manuscrits qu’elle possède proviennent de l’abbaye de Saint-Benoît-Fleury.

Parmi ces manuscrits il en est un portant la cote 268 dont je dois dire ici quelques mots. Lorsque j’ai publié la première édition de cet ouvrage, je ne l’avais pas encore rencontré. Si je l’avais connu, je ne l’aurais point passé sous silence.

C’est un cahier du format in-4º, dont les feuillets sont en papier et qui ne contient que 44 pages d’écriture. On y trouve onze extraits empruntés aux œuvres des anciens auteurs latins.

Ce recueil, qui est de la main de Daniel, avait été commencé par lui avant la destruction de l’abbaye de Saint-Benoît-Fleury qui fut saccagée en 1562, et ne fut complété qu’après et, sans doute en grande partie, à l’aide des manuscrits qui en provenaient. En effet la page 10 porte la date de 1560, et, sur les pages 33 à 35 a été transcrit le fragment des fables de Phèdre qui avait été conservé dans le fameux manuscrit soustrait au pillage.

Le texte de ce manuscrit a été religieusement respecté par Daniel qui en cela a été plus scrupuleux que ne devait l’être plus tard le cardinal Angelo Maï. Ainsi l’altération du nom de Phèdre dans le titre général a été maintenue, les titres particuliers des fables ont été littéralement reproduits, et il n’a pas été suppléé à l’absence de celui de l’avant-dernière ; enfin, comme le manuscrit, l’apographe comprend au total 83 vers qui ont été copiés avec une exactitude mathématique, et si, dans la première édition de {p. 106}cet ouvrage, je n’avais pas déjà, par la publication des variantes, fait ressortir les particularités du modèle, les critiques désireux de les bien connaître, au lieu d’entreprendre le voyage de Rome, pourraient se contenter de se rendre à Berne.

Section IV.
Manuscrit napolitain de Perotti. §
§ 1. — Histoire du manuscrit. §

J’ai dit que les fables de Phèdre n’avaient pas été au moyen âge entièrement ignorées, et que quelques hommes lettrés les avaient eues dans les mains et s’en étaient servis. Lorsque je m’exprimais ainsi, c’était surtout Niccolo Perotti que j’avais en vue. En copiant celles qui lui semblaient contenir les meilleures maximes, il nous en a conservé soixante-quatre, sur lesquelles trente-deux ne se trouvent pas dans les trois premiers manuscrits déjà examinés.

J’ai donc à m’occuper du sien ; mais, avant de parler de l’ouvrage, je crois devoir dire d’abord quelques mots de l’auteur.

Il naquit, en 1430, à Sassoferrato, sur les confins de l’Ombrie et de la marche d’Ancône. Envoyé tout jeune à Bologne, il y reçoit les leçons de Nicolas Volpe et de Vittorino de Feltre. Son ardeur au travail et son instruction lui valent bientôt l’honneur de succéder à ses maîtres, et il devient professeur de rhétorique et de poésie dans l’Académie où il avait étudié. Quand l’empereur d’Allemagne Frédéric III passe par Bologne, c’est lui qui est chargé de lui adresser la harangue officielle.

En 1456, appelé à Rome, il y remplit les fonctions de secrétaire apostolique, et est nommé comte du palais de Latran.

En 1458, le siège archiépiscopal de Siponte était vacant. Il y est promu. De là vient son surnom de Sipontinus. Mais Siponte avait été ruinée, et l’archevêché avait été transféré à Manfredonia, petit port situé sur les bords de l’Adriatique, dans cette partie de la Pouille qu’on nomme la Capitanate, et au pied de ce Monte Gargano, qui, en s’avançant dans l’Adriatique, forme l’éperon de la botte italienne.

{p. 107}Manfredonia est bien loin de Rome, et comme ses talents rendent dans la capitale sa présence utile, il y reste auprès du souverain pontife.

Puis, il est successivement nommé, en 1465 et en 1474, gouverneur de l’Ombrie et de Pérouse, et meurt le 13 décembre 1480, auprès de Sassoferrato, dans l’île de Centipera, où il avait toujours aimé à passer ses moments de liberté.

Il avait été un des premiers philologues de son temps. Il a laissé de nombreux ouvrages, dont la nomenclature nous a été donnée d’abord par Léon Allatius, puis par Jacobilli et enfin par Apostolo Zeno.

Avant d’écrire les œuvres d’érudit qu’il a laissées, il avait copié ou composé même, pour se distraire, des vers qu’il n’avait conservés que pour lui et les siens.

Il avait à sa disposition deux manuscrits, l’un de Phèdre, l’autre d’Avianus. À ses heures de loisir, il les lisait et en extrayait tantôt une fable, tantôt une autre, sans ordre ni méthode, ou bien il composait tantôt une épigramme, tantôt une épître à un ami. Un seul et même cahier les recevait les unes à la suite des autres. Il l’avait commencé dans sa jeunesse ; c’est lui-même qui nous en fournit la preuve, d’abord dans son Cornu copiæ, lorsqu’il déclare, en parlant de la fable Arbores in tutela deorum, l’avoir, jeune encore, tirée d’Avianus et traduite en vers ïambiques, ensuite dans sa préface adressée à Titus Mannus Veltrius147, son compatriote, lorsqu’il s’exprime ainsi : « Sunt enim, ut ad te alias de Epistolis scripsi, inter versiculos nostros aliqui, quos olim adolescentes lusimus, qui si hac ætate et professione nostra scripti a nobis viderentur, iure fortasse reprehensione digni putaremur… Da igitur operam, ut intelligant legentes, quæ adolescentibus nobis et nulla adhuc dignitate præditis exciderint, quæ hac ætate scripta sint. »

Malheureusement, quoiqu’il eût, dès sa jeunesse, commencé sa compilation poétique, et qu’il l’eût reprise à des intervalles plus ou moins longs, il l’abandonna de bonne heure. S’il l’avait continuée, non pas jusqu’à la vieillesse qu’il ne connut pas, mais jusqu’à la fin prématurée de son existence, il est probable que nous {p. 108}posséderions aujourd’hui l’œuvre entière de Phèdre. Dans l’âge viril, des occupations sans doute plus importantes et plus multipliées l’obligèrent à renoncer à ceux de ses travaux littéraires qui n’étaient pour lui qu’un délassement de l’esprit. On trouve, jusque vers la fin de son recueil, des épigrammes grivoises qu’il n’avait pu écrire qu’avant sa promotion au siège de Siponte, et il n’avait que vingt-huit ans, lorsqu’il y fut élevé. Il existe même un document qui permet de fixer l’époque à laquelle il cessa sa compilation ; c’est la lettre suivante qu’un de ses amis, François Philelphe, l’un de ses précurseurs italiens dans la science philologique, lui adressa, le 15 décembre 1463, pour le féliciter de sa traduction latine en vers élégiaques d’un vieil oracle d’Apollon : « Franciscus Philelphus Nicolao Archiepiscopo Sipontino, sal. Apollinis oraculum quoddam, quod dicitur περὶ τοῦ ἰσθμοῦ e Græco abs te nuper, Pater humanissime, traductum luculentissimis perpolitisque versibus, divertit ad me, perinde atque ad hospitem amantissimum tuî. Excepi id sane, ut par fuerat, liberaliter, honorificeque ; sumque non minus ejus eloquentia quam prædictione futurorum delectatus, miratusque quod Græce et natum et educatum, tam apte, tamque eleganter Latinam linguam didicisset. Nec enim intelligo fieri posse, ut Græco sermone, aut pulchrius loquatur aut eruditius, quam à te Latine loqui edoctum sit. Itaque plurimum desidero lectitare istiusmodi oraculum, etiam Græce. Quod ut cures, te majorem in modum rogo. Vale. Ex Mediolano, xviii Kal. Januarias MCCCCLXIV. »

Quand Perotti reçut cette lettre, il n’avait que trente-trois ans, et la traduction à laquelle elle fait allusion est placée presque à la fin de son recueil, auquel il n’a ainsi presque rien ajouté pendant les seize dernières années de sa vie.

Il le dédia à son neveu Pirrho Perotti, pour qui il avait une très vive affection, et à qui il donnait dans sa dédicace l’épithète la plus tendre et la plus flatteuse.

Il est cependant probable, contrairement à l’opinion de Ginguené148, qu’il n’avait pas eu, en le commençant, la pensée de l’écrire pour son éducation.

{p. 109}Si le manuscrit renferme beaucoup de fables bonnes à être mises sous les yeux d’un enfant, il faut avouer aussi qu’il s’y mêle çà et là des compositions licencieuses qu’un enfant ne peut lire. Aussi, comme cela résulte de la dédicace elle-même, Pirrho Perotti, quand son oncle songea à lui destiner son recueil, était-il déjà grand garçon, et, suivant l’expression de ce dernier, adolescentem suavissimum.

D’autre part, il me paraît constant que la dédicace de Perotti à son neveu fut par lui composée sept ou huit ans avant sa mort ; car elle se signale par une parfaite ignorance du rythme ïambique et par suite a dû précéder la publication de son livre sur les différents genres de mètres poétiques, que lui-même dit avoir écrit à une époque où, depuis une dizaine d’années, il ne s’occupait plus de poésie latine149.

Pirrho Perotti ne fut pas ingrat envers son oncle. Il s’occupa après sa mort de publier ses ouvrages, et ce fut lui qui, en 1489, fit imprimer à Venise le Cornu copiæ, qui était son œuvre capitale. Mais, soit qu’il n’attachât qu’une importance très secondaire à l’Epitome fabellarum Æsopi, Avieni et Phædri, soit, comme l’état du manuscrit permettra plus loin de l’affirmer, qu’il n’eût pas reçu de son oncle l’exemplaire qui lui était destiné, il ne lui fit pas le même honneur, et le manuscrit resta ignoré.

Aussi Torquatus Perotti, évêque d’Amera, qui avait réuni en un seul volume les écrits connus de Niccolo, avait-il omis son Epitome.

Dans ses Apes Urbanæ, publiées à Rome en 1633 et rééditées à Hambourg en 1711150, Léon Allatius, donnant la nomenclature des œuvres de l’archevêque de Siponte qu’il ne connaissait que par la publication de Torquatus, avait à son tour gardé le silence sur le recueil de poésies latines.

{p. 110}Il en avait ensuite été de même de Louis Jacobilli151, qui, dans son Catalogus scriptorum provinciæ Umbriæ, publié à Foligno en 1658152, ne l’avait pas signalé davantage.

Enfin, en 1713, dans son Giornale de’ Letterati d’Italia153, Apostolo Zeno154 ne paraissait pas non plus en avoir soupçonné l’existence. Voici tout entière la nomenclature qu’il y donnait des ouvrages de Perotti :

1. Polybii libri V priores, e græco in latinum translati,

2. Oratio D. Basilii de invidia, e gr. in lat. versa,

3. Monodiæ Aristidis, Libanii et Bessarionis,

4. Aristoteles de virtutibus et vitiis,

5. Epicteti philosophi Enchiridion,

6. Hippocratis jusjurandum,

7. Plutarchi libellus de Fortuna Romanorum,

8. Un’ altra versione dal greco di un certo Oracolo di Apollo fatta dal Sipontino in versi latini nel 1463,

9. Cardinalis Bessarionis vita,

10. Commentaria rerum suæ patriæ,

11. Orationes,

12. Epistolæ,

13. In Georgium Trapezuntium,

14. In Poggium Florentinum,

15. Cornu copiæ, sive commentariorum linguæ latinæ liber primus,

16. In C. Plinii Secundi Proœmium. Commentariolus,

{p. 111}17. In P. Papinii Statii sylvas expositio,

18. In Horatii odas commentarius,

19. Rudimenta grammatices,

20. De generibus metrorum,

21. De Horatii Flacci ac Severini Boetii metris,

22. De conscribendis epistolis,

23. De puerorum eruditione.

On voit que Zeno ne mentionnait pas l’Epitome155.

Cependant, au commencement du xviiie siècle, sans qu’on ait pu savoir quelle filière le manuscrit avait suivie, il se trouvait dans la bibliothèque du duc de Parme. À cette époque, un jeune Hollandais, riche et savant, parcourait l’Europe. Il se nommait Jacques-Philippe d’Orville. Né le 28 juillet 1696, il avait d’abord été confié à Hoogstraten, puis avait suivi à l’Université de Leyde les cours de Jacques Gronovius et de Burmann. Après avoir été reçu docteur en droit, cédant à son goût pour les études purement littéraires, il avait, contre le vœu de ses parents, renoncé au barreau, et, profitant de leur grande fortune pour voyager, il avait successivement visité les bibliothèques des Pays-Bas, de l’Angleterre et de la France.

Dans les premiers mois de l’année 1727, il était passé en Italie, et c’est alors qu’il découvrit à Parme le manuscrit ignoré. D’Orville, transporté d’enthousiasme, s’empressa d’en copier un passage et de l’envoyer à son professeur Burmann, qui était devenu son meilleur ami. Il lui écrivit en même temps qu’il se mettait à sa disposition pour lui faire, s’il le désirait, des extraits plus étendus du manuscrit.

Burmann achevait sa dernière édition des fables de Phèdre, et il allait livrer son travail à l’imprimeur, quand lui arriva cette bonne nouvelle. Je renvoie à sa préface ceux qui voudront savoir avec quelle joie il la reçut. Il suspendit sa publication et pria son élève de lui adresser une copie du manuscrit. Après de longues semaines d’attente, au mois d’avril 1827, elle lui parvint par la poste. Il ouvrit l’enveloppe, en palpitant d’émotion ; mais quel fut son désappointement, quand la copie lui eut donné une idée de ce qu’était l’original ! « Elle me révélait, dit-il, un manuscrit non {p. 112}seulement atteint par le temps, mais encore mutilé et presque anéanti, et je fus vivement affligé à la vue de l’écriture, extraite cependant avec un soin extrême et avec une superstitieuse attention. Au commencement et à la fin, Perotti avait laissé blanches quelques pages, destinées à d’autres fables qu’il se proposait d’écrire et à l’index qui devait d’autant s’augmenter. Il avait employé une espèce d’encre, qui n’avait pas résisté au temps, et les lettres qu’elle avait servi à tracer, en partie avaient verdi, et, en partie disparues, s’étaient si bien évanouies qu’il était impossible de les lire. En outre, le manuscrit, peu soigneusement garanti soit de l’eau filtrant sans doute par les fentes d’un toit, soit de quelque autre cause d’humidité, s’était à tel point altéré qu’au milieu du papier les lettres sur une large surface étaient ou tout à fait détruites ou presque entièrement effacées156. »

On voit quelle fut la déception de Burmann. Il aurait pu, et nul autre n’en eût été plus capable, restituer par de sages conjectures les passages anéantis ; il n’en eut pas le courage ; d’ailleurs il avait mis la dernière main à l’œuvre. Il se contenta d’allonger sa préface, et, négligeant les fables nouvelles, de signaler les variantes qu’offraient les anciennes dans le manuscrit de Perotti. Sa dernière édition put ainsi paraître en 1727.

Quant à d’Orville, il passa d’Italie en Autriche, voyagea encore trois années, et, en 1730, rentra à Amsterdam. Là il aurait peut-être songé à compléter le texte des trente-deux fables nouvelles ; mais il ne put jouir des loisirs qu’il rêvait. À la sollicitation de ses concitoyens, il dut accepter les fonctions de professeur à l’Université. En 1730, Burmann le prit en même temps pour collaborateur de ses Miscellaneæ observationes, qu’à partir de 1740 il continua seul. Enfin, en 1751, âgé de 55 ans, il mourut de la pierre.

Il laissa de nombreux manuscrits qui sont entrés, et qui, aujourd’hui encore, sont conservés dans la Bibliothèque Bodléienne ; les plus précieux sont ceux qui concernent l’Anthologie grecque et Théocrite. Parmi les autres figure une copie du manuscrit napolitain de Perotti, qui dans le fonds d’Orville, porte la cote X. 2. infra 2.23. {p. 113}Dans le catalogue157 de ce fonds imprimé à Oxford en 1806, cette copie à la page 84 est mentionnée en ces termes : N. Perotti Epitome Fabularum Æsopi, Avieni, et Phædri. Ms. in-4o, pp. 56.

Adry n’en a pas moins affirmé que la copie adressée par d’Orville à Burmann était sortie des mains de ce dernier et entrée dans la Bibliothèque du collège Louis-le-Grand à Paris158. Après lui, Jannelli159 et Ginguené160, moins affirmatifs, ont émis l’avis qu’elle pourrait bien n’être pas celle que Burmann avait possédée, mais avoir été prise en Hollande sur cette dernière. Ils n’ont pas d’ailleurs songé à contester que le Collège ait possédé une copie tirée directement ou indirectement du manuscrit.

Voici sur cette copie le petit conte, dont Ginguené, en l’empruntant à Adry, s’est fait le narrateur : « Valart et Philippe la consultèrent avec fruit pour leur élégante édition de Phèdre, chez Barbou, 1748. Après l’abolition des jésuites, Gabriel Brotier devint possesseur de cet extrait de d’Orville, et s’en servit utilement dans son édition de Phèdre, donnée à Paris en 1783. Après sa mort elle passa entre les mains de son neveu, et s’est définitivement perdue dans les troubles de la Révolution ; perte qui paraissait d’autant plus déplorable que ni Burmann n’avait dit au public dans sa préface, ni d’Orville n’avait écrit en tête de son extrait, dans quelle bibliothèque d’Italie il avait découvert le manuscrit de l’Epitome de Perotti161. »

Dans la première édition de mon ouvrage sur les Fabulistes latins, je n’avais pas complètement accepté ce récit, et, après y avoir signalé quelques erreurs de détail, j’avais nettement exprimé l’opinion que la copie du collège Louis-le-Grand n’était pas l’autographe {p. 114}de d’Orville162. Aujourd’hui je vais plus loin : je crois que le collège n’en a possédé aucune.

Rétablissons d’abord les faits. Sur quoi est basée la croyance à l’existence de cette copie ? Sur ce que, dans leurs éditions de Phèdre, Étienne André Philippe et le Père Gabriel Brotier en auraient fait usage pour noter les variantes du manuscrit de Perotti.

Il est vrai que Philippe avait relevé ces variantes dans l’édition qu’il publia, non pas, comme le dit le Père Desbillons163, chez l’éditeur Barbou en 1747, mais chez l’éditeur Jean-Auguste Grangé et avec les caractères de l’imprimeur G.-F. Simon, en 1748164.

Dans le Delectus variarum lectionum que contient son édition, Philippe, lorsqu’il signale les variantes du manuscrit de Perotti, en indique la source par les abréviations MS. Par., ou MS. P. Mais a-t-il ainsi voulu se référer à un Manuscriptus Parisiensis ? Je ne le crois pas, et je suis persuadé que c’est le manuscrit de Parme qu’il a entendu désigner. On se rappelle que c’est à Parme que d’Orville découvrit le manuscrit de Perotti. Peut-être, à raison de cette circonstance, Philippe a-t-il cru naturel de l’appeler Parmensis. Il ne faut pas, en effet, oublier que, s’il n’en a pas fait l’aveu, il ne s’en était pas moins servi des notes inédites d’Étienne Sanadon165, et de l’active collaboration de Valart166, qui, l’un et l’autre sans doute, savaient où d’Orville avait pris sa célèbre copie.

Mais alors comment, s’il n’existait pas à Paris de copie du manuscrit de Parme, Philippe a-t-il pu en extraire les variantes ? La réponse est facile : il lui a suffi de les puiser dans l’édition, dans laquelle, en 1727, Burmann avait pris la peine de les publier à la fin de la préface, et c’est ce qu’il me paraît avoir fait. Il est vrai que dans la fable ii du Livre III intitulée Panthera et Pastores, au {p. 115}lieu de la variante irati du vers XVI indiquée par Burmann, Philippe attribue au texte de Perotti la leçon innato. Mais cette divergence n’ébranle pas ma conviction et ne me détermine pas à penser qu’ils ont eu à leur disposition deux copies distinctes. Burmann n’avait, des variantes du texte de Perotti, publié que celles qui concernaient les fables anciennes de Phèdre. Il me semble que, si Philippe avait eu sous les yeux la copie de d’Orville ou une copie de cette dernière, y trouvant nécessairement les fables nouvelles, il y aurait fait quelque allusion. Or, il n’en dit pas un mot. Et, quant aux fables anciennes, il peut reproduire plus ou moins fidèlement les variantes publiées par Burmann ; mais il n’en découvre aucune qui puisse faire supposer qu’il avait en sa possession autre chose que ce que son devancier avait fait connaître.

À l’égard du Père Brotier, il semble ressortir clairement de ses notes qu’il n’a pas prétendu avoir une copie du manuscrit de Perotti. Comme Philippe, il ne vise que les variantes déjà révélées par Burmann, et chaque fois, par les mots Ms. Perotti, il fait suffisamment comprendre qu’il n’est pas en situation de consulter une copie spéciale du texte de l’archevêque de Siponte167.

Maintenant, comme ce dernier, avait-il un neveu, et sur quel document se sont fondés ceux qui ont prétendu que la copie du collège Louis-le-Grand était passée dans ses mains et des siennes dans celles de ce neveu qui lui-même l’aurait perdue dans les troubles de la Révolution ? Je l’ignore, et, jusqu’à preuve contraire, je n’hésite pas à voir dans ce récit un simple roman.

Ce qui est certain, c’est que longtemps on ignora où se trouvait le manuscrit de Perotti.

D’Orville pourtant n’avait pas cherché à faire un mystère de sa découverte. En voyageant en Autriche, il avait rencontré à Vienne Apostolo Zeno, et la lui avait révélée. Aussi ce savant s’était-il hâté de combler la lacune qu’il avait laissée dans son Giornale de’ Letterati : il avait, dans ses Dissertazioni Vossiane, donné une nouvelle nomenclature des ouvrages de Perotti, dont il avait élevé le nombre de vingt-trois à vingt-six, et dont le vingt-sixième était énoncé dans {p. 116}les termes suivants : Epitome fabularum Æsopi, Avieni et Phædri ad Pyrrhum Perottum, fratris filium, adolescentem suavissimum168. Ayant mal compris ou retenu ce que d’Orville lui avait expliqué, il avait indiqué la Bibliothèque Ambrosienne à Milan comme détenant le manuscrit169. Aucun renseignement exact ne mettait donc les savants sur sa trace.

Cependant, puisque la copie en était perdue, il était important de le retrouver. Le savant abbé Andrès, auteur de l’Histoire générale de la Littérature, fut un de ceux qui s’occupèrent le plus sérieusement de l’exhumer. Sur la fausse indication donnée par Apostolo Zeno, il avait écrit au comte Mazzuchelli, pour le prier de faire de minutieuses recherches dans la Bibliothèque Ambrosienne. Mais ce dernier, après avoir accédé à ce désir, n’était parvenu à aucun résultat.

Qu’était donc devenu le manuscrit, et comment fut-il enfin retrouvé ? Voici la réponse que Ginguené fait à cette double question : « Ce manuscrit de Perotti, environ dix ans après la découverte que le savant hollandais en avait faite, avait été transporté de Parme à Naples avec tous les livres appartenant aux Farnèse. Il y resta longtemps enfermé dans une caisse, comme tous les autres. Lorsqu’il en fut tiré, ce fut pour être livré à des mains ignorantes ; on y mit même pour titre : Perotti fabulæ, au lieu de Veterum fabularum epitome ; et ce fut sous ce titre inepte qu’il fut porté, dix autres années après, sur le catalogue des manuscrits provenant de la riche bibliothèque Farnèse. Mais celle de Naples ayant enfin reçu une organisation fixe, et l’abbé Andrès ayant été mis à la tête de cette bibliothèque, il y a retrouvé lui-même le précieux manuscrit ; il l’a reconnu à sa parfaite conformité avec la description donnée par Burmann, aux variantes placées par celui-ci à la fin de sa préface, et qui se trouvent toutes sans exception dans le manuscrit, aux lacunes indiquées dans l’une et qui sont exactement dans {p. 117}l’autre, enfin à tous les signes de conformité que des yeux exercés peuvent saisir170. »

Ce fut donc l’abbé Andrès, conservateur de la bibliothèque de Naples, qui fit la seconde découverte du manuscrit. Ayant bien reconnu que c’était celui que d’Orville avait déjà trouvé, il avait chargé un sieur Gargiulli d’en faire une copie. Mais, si l’on en croit Cassitto, ni l’un ni l’autre n’avaient aperçu qu’il contenait de nouvelles fables de Phèdre, et ce fut lui qui fit cette découverte ; voici comment il la raconte : « M. Andrès avoit chargé Gargiulli de copier le manuscrit, qui n’étoit presque plus lisible ; mais ni M. Andrès, ni Gargiulli, n’avoient découvert le trésor que renfermoit le manuscrit, je veux dire les nouvelles fables. Gargiulli avoit à peine copié les premières pages, que j’entre par hasard dans la bibliothèque. Je demande à voir le manuscrit, et Gargiulli me le remet. À peine l’ai-je ouvert, que je tombe sur la fable de Asino ad Lyram, et sur plusieurs fables inédites. Je m’écrie aussitôt : “O suavis anima ! Voici Phèdre ! je tiens Phèdre !” Andrès, d’un ton modeste, témoigne ses doutes. “Non, lui dis-je, c’est bien Phèdre, je le connois parfaitement.” Pour convaincre ceux qui étoient présents, je lis quelques fables. Outre MM. Andrès et Gargiulli, il y avoit Perotti, Justiniani, Jordano, qui pourront me servir de témoins. Je copie aussitôt toutes les fables inédites, et le lendemain je reviens collationner ma copie avec le manuscrit171. »

Nous verrons plus loin, par les explications de Jannelli, que Cassitto ne prit pas lui-même copie des fables nouvelles, et que ce fut son frère qui, en venant travailler à la bibliothèque, les copia à la hâte.

Quoi qu’il en soit, Cassitto, à la fin de l’année 1808, publia les trente-deux fables nouvelles que contenait le manuscrit. C’est une édition in-8º de 23 pages, sans l’épître et sans l’index. On lit au frontispice : Ivl. Phaedri | Fabvlarvm | liber novvs | e M. S. cod. Perottino | regiae bibliothecae | nvnc primvm edit | I. A. Cassittvs | {p. 118}Neapoli |cIɔ Ӏɔ ccc viiI. | Excudebat Dominicvs Sangiacomo. | Praesidum venia. L’épître porte la date du seizième jour avant les calendes de décembre 1808.

Cette édition n’a été tirée qu’à 50 exemplaires. Elle est, on le conçoit, fort rare ; j’ai eu le bonheur d’en trouver à Naples un exemplaire chez le libraire Giuseppe Dura, qui possède une immense collection de livres anciens. Elle n’a qu’une valeur de curiosité bibliographique.

Avant cette première apparition des nouvelles fables de Phèdre, l’abbé Andrès, ignorant à quelle besogne se livrait Cassitto, avait engagé un savant récemment attaché à la bibliothèque, Cataldi Jannelli, à publier le manuscrit retrouvé de Perotti.

Entré à la bibliothèque au mois de juin 1808, Jannelli ne savait pas que déjà une copie en avait été prise. Il s’était mis à l’œuvre, et son édition, en vertu d’un décret qu’il avait sollicité et obtenu, était déjà dans les mains des imprimeurs du roi, lorsque parut celle de Cassitto.

En se voyant ainsi devancé, il éprouva le plus vif désappointement ; on en jugera tout à l’heure. Mais il ne se découragea pas, et, stimulé au contraire par cet incident, il voulut, si Cassitto l’avait surpassé en vitesse, l’emporter sur lui à son tour par la supériorité du travail.

Cassitto n’avait publié qu’un extrait du manuscrit ; il entreprit de le faire paraître tout entier. Ce n’est pas tout : pendant que sa copie était sous presse, il rédigea en latin trois longues dissertations, qu’il comptait faire imprimer en tête de son édition.

La première intitulée : Dissertatio I. qua de Perottino codice in universum agitur, deque iis quae in eo edendo sunt praestita, avait pour objet le manuscrit considéré en lui-même. Elle en fait l’histoire et la description, montre le soin que Jannelli a mis à lire le texte et à en combler les lacunes ; elle explique le but que s’est proposé Perotti, et le défend contre l’épithète de plagiaire, dont il avait été, suivant lui, injustement gratifié.

La deuxième dissertation intitulée : Dissertatio II. de auctore fabellarum novarum Phaedro, avait pour objet de démontrer que Phèdre était bien l’auteur des trente-deux fables nouvelles. « Elle est, dit Ginguené, divisée en deux chapitres ; dans le premier, l’auteur prouve, avec beaucoup de méthode, d’érudition et de clarté, {p. 119}que de tous les fabulistes qui ont écrit depuis le siècle d’Auguste jusqu’au temps où vivait Perotti, aucun autre que Phèdre ne peut être l’auteur de ces fables : ce sont des preuves négatives très fortes. Il prouve de même, dans le second, mais par des preuves affirmatives et positives, que Phèdre en est bien réellement l’auteur. »

La troisième dissertation était intitulée : Dissertatio III. qua Petronii Arbitri aetas constituitur, ut alio et gravissimo inde argumento ostendatur Phaedrum revera esse auctorem Fabellarum novarum. Elle avait pour objet de déterminer l’époque à laquelle vécut Pétrone, afin d’en tirer un argument propre à établir que Phèdre était bien l’auteur des fables nouvelles.

Dans un premier chapitre qui a pour titre ces mots : Petronii aetas Claudii et Neronis aevo pluribus argumentis constituitur, Jannelli commence par démontrer que Pétrone florissait sous Claude et sous Néron ; puis il consacre un second chapitre, qui porte pour titre ces mots : In constitutam Petronii aetatem obiecta dissolvuntur, à réfuter les opinions suivant lesquelles Pétrone aurait vécu à une autre époque.

Voici maintenant quel intérêt offrait, pour l’authenticité des nouvelles fables, la fixation de l’âge de Pétrone. Il avait pris pour sujet de sa satire intitulée Eumolpe, l’histoire de la matrone d’Ephèse. Eumolpe, en la racontant, déclare que c’est un événement dont il se souvient, rem sua memoria factam. Or, dans la quinzième des fables nouvelles, le même événement est présenté, suivant Jannelli, comme remontant à quelques années, per aliquot annos. Donc l’auteur des fables nouvelles est bien, d’après lui, contemporain de Pétrone, et, comme il a démontré que ce dernier appartenait à l’époque de Claude et de Néron, il en conclut que c’est aussi celle qu’il faut leur assigner. Il explique alors que Phèdre, quoiqu’il eût vécu sous Tibère, n’écrivit que pendant les règnes de ses successeurs, et il n’hésite pas à admettre que, composées au temps où il versifiait lui-même ses fables anciennes, elles ne peuvent être sorties que de sa plume.

Il est vrai que, si l’on entend comme la plupart des traducteurs la phrase Per aliquot annos quædam dilectum virum amisit, l’édifice si laborieusement construit par Jannelli s’écroule. Si l’on a recours à la traduction en prose de M. Bagioli, publiée en 1812, on y trouve : « Une femme perdit son époux, qu’elle avait aimé pendant {p. 120}plusieurs années172 » ; et si l’on consulte la traduction en vers de M. de Joly, on y lit :

D’un époux adoré pendant assez longtemps
La dame devint veuve173.

Cette façon de comprendre le texte, qui d’ailleurs me semble la plus exacte, et que dans ma traduction j’ai moi-même adoptée174, ne permet pas de déduire des mots per aliquot annos une indication bien positive. Aussi, quand j’examinerai l’authenticité des fables nouvelles, n’en tirerai-je aucun argument. Mais j’aime à reconnaître que, si Jannelli a mal compris les premiers mots de la fable Mulier vidua et Miles, le contre-sens qu’il a commis lui a fourni l’occasion d’exhiber les richesses de sa magnifique érudition.

Pour que ses trois dissertations parussent en tête du texte de Perotti, Jannelli, quoiqu’il fût imprimé dès 1809, en différa la publication.

Mais l’Imprimerie royale, occupée de travaux plus pressants, ne put se consacrer activement aux siens, et, au mois de février 1811, après une vaine attente, il dut se décider à livrer au public, telle que deux ans auparavant elle avait été imprimée, son édition du fameux manuscrit.

Le temps n’avait pas calmé son dépit, et, pour avoir attendu, Cassitto s’aperçut qu’il n’avait rien perdu. Les trois dissertations furent remplacées par un avertissement en trois pages écrit à la Bibliothèque même, et daté des ides de février 1811. Pour montrer comment Jannelli y fustige son rival, je vais en extraire une partie.

« Notre travail sur le manuscrit de Perotti, dit-il, était entièrement achevé, et non seulement plusieurs savants avaient lu la copie des fables nouvellement découvertes, mais encore les typographes du roi, en vertu d’un décret royal, les avaient reçues et les imprimaient, quand apparaît, lecteur, une brochure de quelques petites pages qui contenaient ces mêmes fables publiées par {p. 121}J.-Ant. Cassitto. Cette apparition m’émut, non pas que je me crusse devancé dans la conquête de je ne sais quelle petite gloire ; mais je songeais au temps bien long que, sur l’écriture évanouie ou décomposée, j’avais employé et perdu à me torturer l’esprit et à me fatiguer les yeux. Je n’aurais jamais mis la main à une si pénible besogne, si j’avais su qu’un autre l’eût exécutée ou s’y fût seulement engagé. Pourtant, après avoir lu et relu la brochure, je ne me repentis plus de l’avoir entreprise et supportée. Le dirai-je même ? je m’en félicitai sans réserve ; à tel point que, si auparavant elle m’avait semblé utile, dorénavant je la considérais non plus seulement comme fort opportune, mais même comme absolument nécessaire. Je m’aperçus que les fables publiées par Cassitto s’écartaient et différaient du genre de Phèdre et du texte du manuscrit de Perotti, de telle sorte que l’honneur de la Bibliothèque royale et mon devoir m’obligeaient à leur opposer les fables elles-mêmes ou du moins les leçons du manuscrit que j’avais transcrites avec l’autorisation spéciale des premiers magistrats.

« Et, à vrai dire, beaucoup de vers facilement lisibles dans le manuscrit manquent entièrement dans l’édition de Cassitto. Puis d’innombrables fragments de vers, des mots, des syllabes, des éléments et des vestiges de lettres, qui très souvent conduisent à des leçons parfaitement certaines, tout cela fait défaut. En troisième lieu, dans les passages visibles et apparents, Cassitto s’est plus d’une fois permis d’introduire ses conjectures substituées à l’aventure. En quatrième lieu, les titres des fables que Perotti avait rédigés en prose dans un style incompatible avec celui de Phèdre, il en a fait des espèces d’ïambes, et pour cela a souvent torturé l’auteur. Enfin, soit par sa faute, soit par celle d’autrui, les signes et les lettres ayant été transposés, souvent ce qui est de Cassitto est indiqué comme étant de Phèdre, et ce qui appartient à Phèdre est départi à Cassitto.

« De tout cela il résulte que des fables, si profondément modifiées, si chargées de compléments, et, comme on dit, d’interpolations aussi opposées à l’esprit qu’au style de Phèdre, devaient tantôt être altérées, et tantôt, par la forme et le fond, se trouver tout à fait travesties. Mais que cela ne surprenne personne. En effet, Cassitto n’a pas copié lui-même les fables sur le manuscrit de Perotti ; il ne l’a ni feuilleté, ni lu. C’est son frère, qui, en allant et {p. 122}venant de temps en temps à la Bibliothèque royale, pour y déchiffrer des manuscrits liturgiques et théologiques, à je ne sais quels moments perdus, très rapidement et comme à la dérobée, m’a-t-on dit, en fit la copie. Il y a plus : Cassitto ne vit le manuscrit qu’une seule fois en tout, et encore sur l’indication du célèbre Andrès. Quant à son éditeur, il ne le vit pas du tout ; c’est lui-même qui me l’a avoué. Ainsi ces fables, dont l’écriture était altérée, effacée, évanouie, furent avec précipitation copiées par un autre. Quant à Cassitto, qui habitait dans le Samnium, se hâtant pour nous devancer, il osa les compléter, corriger, rectifier et publier, et il en confia la publication à un éditeur qui ne connaissait pas même la couverture du manuscrit.

« Quand tout cela eut été chose bien avérée, et que tout le monde eut reporté son attention sur notre édition, la brochure de Cassitto fut presque entièrement oubliée, et, pendant le long espace de temps écoulé, nul n’a, à son sujet, rien recherché, soulevé ni débattu. Aussi m’étais-je proposé de garder sur cet incident un silence absolu, alors surtout que ni Cassitto lui-même dans la suite, ni son éditeur, ni qui que ce fût, hormis moi seul, n’avaient eu, pour le lire et l’étudier, accès auprès du manuscrit : sous serrure et sous clé comme de raison, je l’avais seul constamment gardé. Cependant j’appris que des exemplaires de la brochure avaient été envoyés à Paris et jusqu’au fond de l’Allemagne ; cette circonstance, jointe, ainsi que je l’ai dit, aux retards si prolongés subis par mon édition, m’ont fait penser que, pour te détourner de porter un jugement trop sévère contre moi et contre les hommes et magistrats supérieurs, qui, comme protecteurs et patrons de mon œuvre, ont reçu mes éloges dans mes dissertations, je devais, lecteur, te faire apprécier au préambule de ce livre quelle était l’importance de mon travail. »

Quoique les commentateurs aient en général peu d’égards les uns pour les autres, il faut avouer que Jannelli avait, dans sa préface, usé, pour critiquer l’œuvre de Cassitto, un peu trop largement des libertés de langage qui leur sont habituelles.

Mais cela n’était rien encore, comparé à ce qui suivit.

Dans sa première édition, sauf treize petites poésies épigrammatiques qu’il avait négligées comme illisibles ou immorales, Jannelli avait publié le manuscrit tel qu’il l’avait lu, laissant en blanc {p. 123}les mots ou fragments de mots indéchiffrables et indiquant ses conjectures dans des notes courantes.

Quelques semaines après, il publia une nouvelle édition qui ne contenait que les fables de Phèdre anciennes et nouvelles. Mais elles n’offraient plus de lacunes, et ses conjectures, d’ailleurs souvent modifiées, étaient passées dans le texte.

Soit que le décret qu’il avait obtenu en 1808 ne s’appliquât point à ce travail, soit qu’il fût las des lenteurs de l’Imprimerie royale, il avait confié son nouveau travail à l’imprimeur même auquel, dix-huit mois auparavant, Cassitto avait eu recours.

Le frontispice portait ces mots : Phaedri fabulae | ex | codice Perottino MS. | regiae bibliothecae Neapolitanae | emendatae, suppletae, et commentario | instructae | a Cataldo Jannellio | eiusdem regiae bibliothecae scriptore. | Praefixa est de Phaedri vita | Dissertatio. | Neapoli 1811. | Typis Dominici Sangiacomo. | Praesidum veniâ.

Les fables, on le voit, étaient précédées d’une dissertation sur la vie de Phèdre, dissertation savante et consciencieuse, qui sur les 296 pages du volume en occupait 62.

Mais il y avait autre chose, et la dissertation sur la vie de Phèdre ne venait elle-même qu’après une préface en huit pages, écrite encore à la bibliothèque et datée des calendes de mars 1811.

Au moment où il la rédigeait, il était au comble de la colère. Il venait de découvrir une nouvelle brochure de Cassitto ; composée de quatre pages, elle apportait de nombreux changements à ses premières conjectures. Elle avait paru vers les nones de février 1811, c’est-à-dire à peu près en même temps que le Codex Perottinus de Jannelli, et, comme son édition spéciale des fables de Phèdre tirées du manuscrit de Perotti n’avait pas encore été livrée au public, il semblait que Cassitto n’avait pu rien emprunter à ces deux ouvrages. Mais, soit qu’il connût quelque employé de l’imprimerie trop complaisant pour lui, soit qu’étant en relations avec l’imprimeur Sangiacomo, il eût pu faire prendre ou pu prendre lui-même, dans l’atelier de ce dernier, pendant l’impression, des extraits du travail de Jannelli, le fait est qu’il parvint à avoir connaissance, avant leur publication, des leçons que son rival avait proposées ou adoptées.

On comprend sans peine la colère de Jannelli, voyant paraître en même temps que son Codex Perottinus, la brochure de Cassitto qui contenait ses propres conjectures pillées par ce dernier.

{p. 124}Jannelli ne se contraint plus ; il accuse Cassitto de plagiat inepte. Pour lui, Cassitto est moins qu’un plagiaire ordinaire ; c’est un plagiaire qui cherche, par toutes sortes de mauvais artifices, à dissimuler sa fraude, et, pour le démontrer, il cite plusieurs exemples.

« Fable i, vers 5, dit-il, il a édité :

Quam partem quam vis parvam impartiar tibi.

comme s’il avait suppléé lui-même le mot parvam et voulu ne pas attribuer à l’auteur latin ce qui ne pouvait avec certitude lui être imputé, tandis qu’en réalité le manuscrit porte :

Quam tibi impartiar parvam quamvis pa…

« Fable iii, vers 6, il a donné Cornicis, comme si l’on ne pouvait du manuscrit tirer que C.r..cis ; ce qui est absolument faux ; car on en extrait facilement Corpus. Nous, à la vérité, après de longues recherches, nous sommes arrivé à Cornicis ; mais c’est une correction que, comme de juste, nous avons proposée à titre de conjecture. Cassitto ne pouvait-il pas faire de même ? À quoi bon déguiser maladroitement la leçon du manuscrit ?

« Fable v, vers 3, il écrit :

Ut jura possent veritatem dare,

comme si à la leçon apparente du manuscrit il avait, comblant la la lacune, ajouté la lettre n. Mais dans le manuscrit on lit très nettement :

Ut jura posset inter homines reddere,

ce qui seul est vraiment naturel, etc.

« Nous n’aurions pas cru que cela pût avoir de l’intérêt ni pour nous, ni pour les lettres, si Cassitto avait du moins averti les lecteurs qu’il ne s’était pas proposé de publier les fables sur la foi de leur texte, mais qu’il avait plutôt entrepris de les corriger, de les polir et de les refaire à sa guise. Alors nous l’aurions laissé se complaire dans son œuvre, et corriger, polir ou refaire ce qui lui aurait convenu. Mais tout le monde ne sait pas que Cassitto n’a jamais lu directement le manuscrit de Perotti, qu’il ne l’a jamais directement copié, et que seul, pendant trois ans, grâce à mon emploi, je l’ai feuilleté, copié, interprété et soigneusement gardé. Il nous importe, {p. 125}à nous et aux lettres, que les leçons de Cassitto, la plupart du temps ineptes et absurdes, ne soient pas confondues avec celles du manuscrit lui-même. »

On voit à quel point, au mois de mars 1811, Jannelli était irrité contre Cassitto.

Le mois suivant parurent enfin les trois dissertations dont j’ai déjà donné l’analyse. Elles formaient un grand in-8º de 323 pages, en tête duquel on lisait : In Perottinum codicem MS. | regiae bibliothecae Neapolitanae, | quo | Duae et triginta Phaedri Fabulae iam notae, totidem | Novae, sex et triginta Aviani vulgatae, et ipsius | Perotti carmina inedita continentur, | Cataldi Iannellii | eiusdem regiae bibliothecae scriptoris | Dissertationes | tres. | Neapoli 1811. | Ex regia typographia.

Cette édition était précédée d’un avis au lecteur en cinq pages, écrit comme les précédents à la Bibliothèque royale, et daté du lendemain des ides d’avril 1811. Jannelli y continue les mêmes attaques. Il est passé de la colère à l’exaspération. Il avait appris que Cassitto préparait une troisième édition d’une vingtaine de pages de petit format, dans la préface de laquelle son rival commettait les plus audacieux mensonges, et bientôt il avait pu s’assurer de l’exactitude de cette nouvelle par quelques pages imprimées qui lui en avaient été apportées et qui, sous la date des nones de mars, contenaient, selon lui, maintes faussetés aussi impudentes qu’absurdes. Pour que le public soit bien fixé sur les faits, il en entreprend le récit complet. Il raconte que c’est au mois d’avril 1808, que le frère de Cassitto a pris à la bibliothèque quelques extraits du manuscrit, que Cassitto ne l’a pas même lu, qu’avant lui d’Orville et Andrès y avaient remarqué les fables nouvelles, et que, quant à les avoir attribuées à Phèdre, quoiqu’il n’était pas pour cela nécessaire d’être bien instruit, ce n’est pas lui qui en aurait été capable ; car il avait, dans la publication des fables nouvelles, pris pour des vers de Phèdre ce qui n’était que de la prose arrangée par Perotti.

Et pour qu’on ne puisse l’accuser d’avoir été aveuglé par la passion, Jannelli, à la suite de sa préface, place un tableau qui permet de comparer ensemble :

1º Le texte de la première édition de Cassitto publiée en 23 pages à la fin de l’année 1808 ;

{p. 126}2º Le texte de son édition imprimée en 1809 et publiée en 287 pages aux ides de février 1811 ;

3º Le texte de la deuxième édition de Cassitto, publiée en 4 pages aux nones de février 1811.

Désirant, sans tomber dans des longueurs inutiles, faire voir combien malheureusement les accusations de Jannelli étaient fondées, je vais donner seulement les trois versions de 5 vers, appartenant à la fable Mercurius et duæ mulieres et figurant dans le tableau comparatif :

Première édition de Cassitto, fable iv, vers 13 et s. :

Ideo quum forte meretrix ridet validius,
Incumbens lecto, sequitur lectus, omnia
Et quæ tangebat, magno flentem incommodo.
Novitate vero cogens multitudinem
Barbarus ille verba ridenda extulit.

Codex Perottinus de Jannelli, fable iv, vers 13 et s. :

Id quum forte meretrix ridet validius,
Nares replevit humor, ut fieri solet,
Emungere igitur se volens, prendit manu,
Traxitque ad terram nasi longitudinem,
Et alium ridens, ipsa ridenda extitit.

Deuxième édition de Cassitto, fable iv, vers 13 et s. :

Ideo quum forte meretrix ridet validius,
Nares replevit humor, ut fieri solet,
Emungere igitur se volens prendit manu,
Traxitque ad terram nasi longitudinem,
Et alium ridens, ipsa ridenda extitit.

Il est difficile, après cette comparaison, de ne pas reconnaître que la dure épithète de plagiaire adressée à Cassitto n’était pas précisément calomnieuse.

Les attaques qui avaient été dirigées par Jannelli, avant même qu’elle n’eût été livrée au public, contre la troisième édition de Cassitto, n’avaient pas empêché ce dernier d’en faire continuer l’impression et de lui donner même des proportions inattendues. Elle parut au cours de l’année 1811. En voici le frontispice : Jul. Phaedri Aug. lib. fabvlae ineditae XXXII, qvas in Codice Perottino bibliothecae regiae Neap. primvs invenit, descripsit, edidit Joannes-Antonivs {p. 127}Cassittvs, Elector ex colleg. possessor. in R. vtrivsque Siciliae, reg. soc. Georg. acad. italicae, atque pontinianae sodalis ordinarivs, editio tertia. Neapoli, 1811, ex officina monitoris vtr. Siciliae.

Cette troisième édition forme un volume in-8º de 274 pages, qui sont chiffrées par trois séries de numéros et qui se décomposent ainsi :

P. 3 à 5. — Cassittus lectori.

P. 6. — Index.

P. 7 à 29. — Juli Phædri fabvlæ a Cassitto repertæ.

P. 31 à 75. — Parafrasi in vario metro Italiano delle nuove favole di Fedro | trovate da Gio : Ant. Cassitto | da lui stesso eseguita.

P. 3 à 6. — Emendationes novissimae in Phaedrum Cassittianum.

P. 7 à 15. — Vindiciae priores Phaedri Cassittiani.

P. 16 à 40. — Coniecturae de Polybio qui et Phaedrus.

P. 41 à 92. — Chronologia fabvlarvm Phaedri.

P. 1 a 88. — Cassitti parva scholia175.

P. 89 à 107. — Judicia virorum illustrium.

De plus en plus furieux, Jannelli voulut porter à son adversaire le dernier coup : il songea à soumettre le débat à des juges impartiaux et compétents. Fort de son droit, il sentait que c’était le moyen de s’assurer définitivement le triomphe de sa juste cause. Il adressa au conseiller d’État Zurlo, ministre de l’intérieur, une requête tendant à obtenir une enquête académique.

Déférant à sa demande, le ministre la transmit au conseiller d’État Rosini, président de l’Académie royale d’histoire et d’antiquités, avec prière de faire examiner par elle les faits principaux qui concernaient le différend.

Une commission, immédiatement formée, se met à l’œuvre et bientôt fait à l’Académie un rapport dans lequel elle expose :

Que l’encre du manuscrit est verdâtre soit par l’effet du temps, soit par l’effet de l’humidité ; que beaucoup de lettres ont complètement {p. 128}disparu et que de beaucoup d’autres il ne reste que des fragments ;

Qu’il a fallu beaucoup de temps et un travail soutenu pour prendre copie des fables, et que, malgré l’affirmation formulée par Cassitto dans sa Mantissa, page 14, quelques heures étaient absolument insuffisantes ;

Que, dans la première édition de Cassitto, les nouvelles fables sont en désaccord avec le manuscrit non seulement dans les passages obscurs, mais encore dans ceux qu’il était aisé de déchiffrer ;

Que l’édition de Jannelli s’est au contraire trouvée conforme au manuscrit ;

Que, comme par la comparaison on pourra s’en convaincre, les deuxième et troisième éditions de Cassitto s’écartent profondément de la première et se confondent presque entièrement avec l’édition de Jannelli ;

Que, dans les endroits où des différences existent, ce sont les éditions de Cassitto qui sont contraires au texte du manuscrit ;

Que les leçons de Jannelli, que Cassitto rejette comme fausses, sont exactes, et qu’au contraire le manuscrit condamne celles qu’il proclame vraies et sincères ;

Qu’enfin, après examen très attentif du manuscrit et spécialement des fables nouvelles, les lettres en ont été trouvées intactes dans leur ancienneté et exemptes de ces altérations et de ces retouches, que, dans ses Scholies, à la page 86, Cassitto, calomniant son rival, lui imputait en ces termes : « Vitiatis quoque a Jannellio, ut fama est, hac illac literarum vestigiis in contextu. »

Cette sentence était écrasante pour Cassitto. Il aurait dû suffire à Jannelli de l’avoir obtenue ; mais il voulut encore lui en infliger la publicité.

Il ne faut pas oublier qu’il avait été blessé dans son amour-propre de savant, et l’amour-propre blessé ne pardonne pas.

Il publia donc à Naples, vers le mois d’avril 1812, sous forme de conversations, un nouveau volume intitulé : Cataldi Jannellii  | regiae Neapolitanae bibliothecae | scriptoris | in Cassittianam novarum fabularum | editionem | Colloquia176.

Le volume, précédé d’une préface et des documents de l’enquête {p. 129}qui occupent huit pages, se compose en outre de cent vingt pages consacrées à quinze conversations, dans lesquelles Jannelli, mettant en scène trois interlocuteurs, Critobulus, Philaléthès et Memnon, joue avec Cassitto sans plus de pitié que le chat avec la souris.

Il suffit d’en indiquer les titres, pour faire apprécier l’esprit qui y règne ; les voici :


Colloquium  I. — Res gesta. 1
       —  II. — Calumniae. 8
       —  III. — Mendacia. 13
       —  IV. — Plagium. 16
       —  V. — Fides sublesta. 27
       —  VI. — Supplementa spuria. 33
       —  VII. — Emendata inepte. 43
       —  VIII. — Scholiastes. 57
       —  IX. — Davus non Oedipus. 66
       —  X. — Gustus illiteratus. 70
       —  XI. — Funus Polybii Phaedri. 78
       —  XII. — Clavis stuppea. 95
       —  XIII. — Canius Rufus ridens. 105
       —  XIV. — Versio hypobolimaea. 110
       —  XV. — Graculus Aesopicus. 118

Je pourrais donner l’analyse de chacune de ces conversations ; mais je m’aperçois que je me suis déjà trop occupé de la querelle de Cassitto et de Jannelli, et je ne m’y arrête pas davantage.

Pendant que Cassitto et Jannelli soutenaient ainsi l’un contre l’autre une polémique si acrimonieuse, les savants de la France et de l’Allemagne se livraient à des discussions plus pacifiques.

Le savant Heyne, à qui Cassitto avait envoyé un exemplaire de sa première édition, manifestait des doutes, que les fautes dont elle fourmillait ne rendaient que trop légitimes.

Mais lorsque parurent les travaux de Jannelli et qu’on put juger du texte par une publication exacte, on commença à croire à l’authenticité, et partout, dès l’année 1812, on s’empressa d’en publier de nouvelles éditions. Adry en cite trois, publiées à Paris au cours de cette année177, la première, in-12, les deux autres in-8º. J’ai en ma possession un exemplaire de chacune d’elles.

La première, en 42 pages sans la préface, ne porte que le texte {p. 130}latin des fables nouvelles. Elle a été imprimée chez Crapelet et porte pour titre : Phaedri | Augusti liberti | Fabellae Novae | duo et triginta | ex codice Perottino | regiae bibliothecae Neapolitanae, | juxta editionem Cataldi Iannellii. | Parisiis, | apud Ant. Aug. Renouard. | M.DCCC.XII. La préface en cinq pages est signée de Renouard. Les fables sont suivies des variantes du manuscrit sous ce titre : Perottini codicis scriptura.

La deuxième, en 194 pages sans la préface et la vie de Phèdre en latin qui en occupent 16, se divise en deux parties : la première, contenant le texte des fables nouvelles, et la seconde, celui des anciennes. Les unes et les autres sont accompagnées de notes courantes en latin. Au frontispice on lit : Julii Phædri | fabulæ novæ et veteres : | novæ, | juxta collatas Cassitti et Jannellii | editiones Neapoli nuper emissas, | cum selectis ex utriusque commentario notis ; | veteres, | juxta accuratissimam editionem bipontinam, | cum selectis doctissimi viri Schwabe ex commentario notis. | Ex typis Leblanc. | Parisiis, | H. Nicolle, via Sequanæa, no 12 | MDCCCXII.

En tête du volume que je possède, une main inconnue a écrit : « Édition donnée par les soins de M. Chambry. »

La troisième édition, en 228 pages sans compter la dédicace à M. le baron de Pommereul et la préface qui en occupent 23, comprend la traduction en vers italiens des trente-deux fables nouvelles, leur texte latin en regard, la traduction française en prose ajoutée au bas, et les notes latines de Jannelli rejetées à la suite de chacune d’elles. Le frontispice est ainsi formulé : Nouvelles Fables | de Phèdre | traduites en vers italiens  | par M. Petronj | et en prose française | par M. Bagioli | avec les notes latines de l’édition originale | et précédée[s] d’une préface française | par M. Ginguené | membre de l’Institut impérial de France. | A Paris | de l’imprimerie de P. Didot l’aîné. | М.DCССХӀӀ.

Dans la préface datée du 25 mars 1812, Ginguené n’hésite pas à affirmer que les trente-deux fables nouvelles « sont réellement de Phèdre et ne peuvent être que de lui ».

Cette opinion s’était à peine formée qu’Adry vint l’ébranler. En tête de l’exemplaire, que j’ai entre les mains, de l’édition Petronj, se trouve, sur la page blanche en regard du titre, une note manuscrite ainsi conçue : « Voir Examen des nouvelles fables de Phèdre, Paris, Egron, 1812, in-12. L’auteur, M. Adry, conteste l’authenticité {p. 131}de ces fables et cette opinion a prévalu. » Cette note n’est pas exacte ; mais je ne m’expliquerai sur ce point que plus tard ; car l’examen que j’en pourrais faire ici ne serait pas à sa vraie place.

Je continue la nomenclature des éditions publiées en 1812.

En Italie, où sans doute on était fier de la découverte et des travaux de Jannelli, une édition de luxe, dans le format in-folio, fut immédiatement publiée. Elle se compose de 80 pages consacrées, savoir : les pages 1 à 42 au texte latin, les pages 43 à 78 à des notes extraites de celles de Jannelli et de Cassitto, et les pages 79 à 80, à la table des matières. Le tout est précédé de douze pages numérotées en chiffres romains, contenant le frontispice, une dédicace et une préface. Au frontispice on lit : Julii Phaedri | Augusti liberti | Fabulae triginta | nuperrime detectae | e manuscripto codice | R. bibliothecae Neapolitanae | cum notis. | Mediolani | Typis F. Fusii et socior. | M.DCCC.XII.

Une édition plus modeste fut en même temps publiée dans le format in-12 avec ce frontispice : Phædri fabellæ novæ duo et triginta ex cod. Perottino reg. bibl. Neapol. juxta editionem Cataldi Jannellii. Patavii, 1812.

En Allemagne, dès le commencement de la même année, il fut, comme en Italie, publié une édition in-folio, assez mal imprimée d’ailleurs et composée seulement de douze pages. Sur la première on lit : Q. D. B. V.  | Novi | Prorectoratus | auspicia | die VIII Februarii cIɔӀɔcccxii | rite capta | civibus  | indicit | Academia Jenensis. | Insunt | Phaedri quae feruntur fabulae XXXII  | in Italia nuper repertae | nunc primum in Germania editae | adjunctis Dorvillii et Burmanni emendationibus. | Ex officina Caroli Schlotteri178.

Puis, comme en Italie, fut publiée une édition courante, in-8º, de 46 pages, qui ne contenait que le texte latin et en tête de laquelle on lisait : Noviter detectæ | Phædri fabulæ | triginta | ex manuscripto bibliothecæ regiæ Neapolitanæ | codice nuperrime editæ ; | ad commodiorem lectitantium usum hanc in formam recusæ. | Stuttgartiæ et Tubingæ,  | apud J. G. Cottam, 1812179.

Les années suivantes, de nouvelles éditions continuèrent à être publiées. Mais je m’abstiens d’en donner ici la nomenclature.

{p. 132}
§ 2. — Description du manuscrit. §

Pour se faire une idée exacte sur l’authenticité des fables nouvelles, il faut avoir vu les manuscrits qui les renferment. J’avais le sentiment de cette nécessité. Aussi une fois à Rome, encouragé par le premier succès de mes recherches, n’hésitai-je pas à continuer mon voyage jusqu’à Naples où j’arrivai le 22 octobre 1869.

Le lendemain, mon premier soin fut d’aller au palais du Museo Borbonico. La porte de la bibliothèque était ouverte. Un travailleur familier du lieu, M. Padiglione était dans la salle, où il semblait si bien chez lui que je le pris pour un des bibliothécaires.

À Naples, comme à Rome, le temps des vacances n’était pas encore passé, et le public n’était pas admis à travailler. Il m’engagea à demander par lettre au conservateur alors en villégiature l’autorisation spéciale qui m’était nécessaire, se chargea de lui faire parvenir ma requête que je rédigeai à l’instant même, et m’assura que le mardi suivant, si le manuscrit existait, il serait mis à ma disposition.

Le jour indiqué, je me rendis à neuf heures du matin à la bibliothèque ; j’y retrouvai le même travailleur, qui me le confia, et immédiatement j’en entrepris la copie ; mais, comme il ne m’était permis de rester à la bibliothèque que jusqu’à midi, je ne pus terminer mon travail le même jour, et je dus pour l’achever revenir les jours suivants.

C’est donc en parfaite connaissance de ce qu’il est, que je vais donner la description du manuscrit.

Le manuscrit a la dimension d’un in-8º ordinaire. L’écriture est sur papier. Elle est très fine, mais très nette. Quoique l’encre soit devenue d’une couleur vert d’eau très pâle, les caractères, partout où ils n’ont pas cessé d’exister, sont très lisibles ; malheureusement l’humidité, à laquelle le manuscrit a été exposé, en a détruit beaucoup. Elle semble être partie du dos du volume, et s’être développée en rayonnant ensuite, de manière à laisser au milieu de chaque page une empreinte demi-circulaire, sous laquelle l’encre a complètement disparu.

Les titres et la première lettre de chaque vers, écrits à l’encre rouge, ont un peu mieux résisté ; mais dans les endroits même où {p. 133}l’eau ne les a pas touchés, la couleur a tellement pâli qu’on devine plutôt qu’on ne voit qu’elle a été rouge.

L’état dans lequel se trouvait le manuscrit en rendait la copie très longue et très difficile, et, limité par le temps, j’aurais dû renoncer à la prendre, si M. Padiglione lui-même ne m’en eût donné les moyens. Il m’indiqua l’adresse du libraire Giuseppe Dura, chez qui je trouvai un exemplaire de l’édition du manuscrit publiée en 1809 par Jannelli. Il me servit à lire sans effort tous les mots que je ne pouvais instantanément déchiffrer, et je parvins ainsi, dans le court délai que j’avais, à exécuter entièrement ma copie.

Le manuscrit se compose de deux parties bien distinctes reliées ensemble.

La première consiste dans un cahier de quatorze feuillets. Le premier feuillet est rempli par une épître en prose, dont voici le titre :

NICOLAVS PEROTTVS
PONTIFEX SIPONTINVS,
TITO MANNO VELTRIO
VITERBIENSI CONCIVI SVO
SAL. P. D.

Les neuf feuillets qui suivent cette épître sont occupés par un index ou table des matières, qui reproduit dans leur ordre, avec de légères modifications, les titres des diverses pièces de vers contenues dans le manuscrit. Les quatre derniers feuillets du cahier sont restés blancs.

La deuxième partie du manuscrit comprend soixante-quatorze feuillets, savoir : 57 écrits et 17 blancs. Elle commence par un prologue, ou dédicace adressée par Niccolo Perotti à son neveu et surmontée d’un titre, dont voici le texte et la disposition :

NICOLAI PEROTTI EPI-
TOME FABELLARVM
AESOPI AVIENI ET PHE-
DRI AD PYRRHVM PEROT-
ТVМ FRATRIS FILIVM
ADOLESCENTEM SVAVIS-
SIMVM INCIPIT FOELI-
CITER.

{p. 134}Cette dédicace, dont j’ai déjà parlé et dont j’aurai encore à m’occuper, est immédiatement suivie de compositions très diverses, qui sont numérotées de 1 à 157, avec de l’encre bien noire, à une époque relativement récente, quoique antérieure aux travaux de Jannelli.

Celle qui porte le nº 35 et qui est intitulée : De divitiis et paupertate ad Andream Contrarium Venetum, comprend deux parties distinctes, un préambule composé par Perotti, qui y formule, à l’adresse de son ami Contrario180, les compliments les plus hyperboliques, et cette ancienne fable de Phèdre qui porte généralement pour titre : Muli et Latrones.

Après le nº 46, il y a dans le manuscrit une fable intitulée : Pulcher modus judicandi. C’est l’ancienne fable de Phèdre, ordinairement désignée par ces mots : Apes et Fuci, Vespa judice.

Comme elle avait déjà fait l’objet du nº 27, où elle est précédée de ce titre : Ubi dubia est sententia, astu utendum esse, celui qui a inscrit les numéros, apercevant la répétition qui avait échappé à Perotti lui-même, s’est borné à tirer sur la fable Pulcher modus judicandi un trait très fin, mais très visible ; car il est de la même encre noire que les numéros eux-mêmes.

Après le numéro 86 vient de même un distique, qui n’est pas numéroté. Ici Perotti n’avait pas fait de double emploi, et l’erreur ne vient que de la personne qui a inscrit les chiffres. Ce distique est intitulé : De asparagis et lacte. Il contient une de ces triviales facéties, familières à Perotti ; en voici le texte :

Meiere Valla cupit nec quit, cupit Anna cacare ;
      Ille edat asparagos, lac bibat ista capræ.

Je pourrais traduire ce distique ; mais le lecteur français veut être respecté. Je ferai seulement observer que cette épigramme confirme l’opinion que j’ai émise, lorsque j’ai dit que le recueil de Perotti était l’œuvre de sa jeunesse. Il me paraît indubitable que {p. 135}c’est du philologue Laurent Valla qu’il se moque sans pitié, lorsque, pour remédier à une infirmité cruelle, il lui conseille de manger des asperges. Or Valla mourut à Naples, le 14 août 1457, et à cette époque Perotti avait à peine 27 ans.

Toutes les compositions qui constituent son recueil, sont écrites en vers, sauf une épître en prose qui y porte le nº 67.

En définitive, si aux 157 numéros on ajoute d’une part l’épigramme De asparagis et lacte, et si d’autre part on en retranche l’épître en prose que je viens d’indiquer, on arrive toujours à un nombre total de cent cinquante-sept poésies.

Elles sont ajoutées les unes aux autres sans classement méthodique, et probablement sans autre ordre que l’ordre chronologique. Elles comprennent des fables de Phèdre et des fables d’Avianus, un fragment d’un hymne d’Aurelius Prudentius, et enfin des poésies généralement épigrammatiques composées par Perotti lui-même, le tout, encore une fois, mélangé sans préoccupation ni des sources diverses ni de la nature variée des sujets. Quand on cherche à mettre un peu d’ordre dans ce chaos, on s’aperçoit qu’il y a :


1º Trente-deux fables anciennes, ci 32
2º Trente-deux fables nouvelles, ci 32
3º Trente-six fables d’Avianus, ci 36
Soit un total de 100

fables qui n’appartiennent pas à Perotti, sur les 157 poésies dont son manuscrit se compose.

Il n’est pas nécessaire de l’examiner longtemps pour se convaincre que c’est un autographe. Les pages blanches, qui se trouvent tant à la suite de l’index qu’à la fin du manuscrit lui-même, en sont la preuve convaincante. S’il était dû à la plume d’un copiste, le premier de ces espaces blancs n’existerait pas. Le copiste n’eût pas manqué de copier, sans intervalle, la seconde partie du manuscrit à la suite de la première. Il est probable aussi que les trente-quatre pages, laissées en blanc à la fin, n’existeraient pas davantage. Il aurait pris les précautions nécessaires pour n’employer à sa copie que le papier indispensable.

Le manuscrit est donc un autographe de Perotti lui-même. Il pourrait cependant m’être fait une objection, au-devant de laquelle je désire aller. Dans son épître à son concitoyen Veltrius, il déclare qu’il avait commencé de bonne heure à écrire le recueil de vers {p. 136}qu’il lui adresse et qui avait été pour lui un amusement de jeune homme, et il explique ainsi que ses compositions ne soient pas toujours en harmonie avec la gravité de ses fonctions archiépiscopales. Lors même que nous ne posséderions pas sa propre déclaration, le double emploi que j’ai signalé suffirait à établir que son recueil fut souvent abandonné et repris par lui, et qu’avant d’en avoir écrit la moitié il avait perdu de vue le commencement. Il n’est donc pas douteux qu’il le composa dans des temps et dans des lieux divers, et l’écriture, si c’est un autographe, devrait nécessairement se ressentir de cette absence d’unité dans l’exécution. Cependant les caractères qui n’offrent aucune variation de forme, et l’encre qui est partout la même, semblent démontrer que le manuscrit a dû être copié d’un seul trait, et que, partant, on aurait tort de le considérer comme un autographe.

Comment expliquer cette contradiction ? La réponse me semble facile. Après avoir ainsi écrit, à des intervalles plus ou moins longs, dans ses rares heures de loisir, sur un premier cahier qui n’existe plus, les diverses poésies qui forment son recueil, il les dédia à son neveu Pirrho Perotti, pour qui il avait une tendresse toute spéciale.

Sans doute il s’y trouvait bien quelques poésies fort légères. Mais, quand il l’avait commencé, il ne pensait pas à son neveu, et plus tard, quand il songea à le lui dédier, l’enfant était devenu un grand garçon, probablement assez initié aux choses de la vie pour qu’il fût inutile d’en rien retrancher. Il dut donc faire de son recueil lentement formé une première copie pour son neveu ; mais ce n’est pas celle que possède la bibliothèque napolitaine ; c’est une seconde copie qu’il avait dû faire pour Veltrius.

Après l’ayoir faite sur l’exemplaire destiné à Pirrho Perotti, il voulut sans doute la faire précéder d’une épître à l’ami qui allait la recevoir. De là vient le premier cahier de quatorze feuillets, qui contient cette épître, et, à la suite, la table des matières.

Seulement il est probable qu’il ne donna ni à Pirrho Perotti, ni à Veltrius les copies qu’il leur destinait, et que c’est là ce qui explique que son neveu n’ait pas, avec ses autres œuvres, publié son recueil de poésies. Il voulait auparavant y faire des additions, pour lesquelles ensuite le temps a dû lui manquer. Voilà pourquoi la copie, qui est devenue le manuscrit de Naples, avait été exécutée {p. 137}par lui sur un cahier assez volumineux pour lui permettre d’y reporter les additions qu’il projetait, et, comme l’index devait grandir dans la même proportion, il avait dû aussi y consacrer un cahier assez fort pour recevoir ultérieurement d’autres titres.

Tel est le manuscrit, ou plutôt, car, malgré le sentiment contraire du cardinal Angelo Maï181, je puis maintenant l’appeler ainsi, l’autographe de Niccolo Perotti.

Après ce coup d’œil général jeté sur le manuscrit, je laisserais ma tâche incomplète, si je n’entrais pas dans l’examen plus spécial des fables de Phèdre qu’il renferme. Je dois donc dire, en terminant, quelques mots sur l’état dans lequel elles se présentent.

Perotti en a supprimé les promythions et les épimythions, et, les mettant en prose, il en a fait des titres qu’il a substitués à ceux des manuscrits. On peut regretter qu’il ait procédé ainsi ; mais on aurait tort de lui en faire un grand reproche.

Ainsi que je l’ai déjà dit, je ne crois pas qu’il ait de prime abord destiné son recueil à l’éducation de son neveu ; les crudités dont il est émaillé ne me permettent pas de le penser. Si, comme il l’affirme, il en réunit, pour lui être utile, les divers éléments :

Quos collegi, ut essent, Pyrrhe, utiles tibi,

il ne l’entreprit à l’origine qu’à titre de passe-temps littéraire. Mais, lorsque nous suivons librement nos goûts, nous n’oublions pas complètement ce qu’a fait de nous la profession que nous avons embrassée. Perotti s’étant livré à l’enseignement, l’habitude professionnelle l’avait dû conduire vers les moralistes, et parmi eux Phèdre avait arrêté ses regards. Aussi était-ce à lui qu’il avait fait ses premiers emprunts. Mais le fabuliste latin n’avait pas non plus complètement satisfait ses vues. Il ne tire pas toujours explicitement de ses fables la conclusion qui en découle ; le plus souvent, il est vrai, il la déduit, mais la rend systématiquement {p. 138}obscure ou banale ; c’est ce que, dans la fable ii du livre IV, il déclare lui-même en ces termes :

                             Rara mens intelligit
Quod interiore condidit cura angulo.

De là vient la substitution que Perotti a opérée. La morale, mise en tête de chaque fable, frappe la vue, et, présentée sous une forme plus explicite, s’impose mieux à la pensée. Il l’avait compris et avait été ainsi conduit à commettre une altération systématique du texte de Phèdre.

Malheureusement ce ne fut pas la seule, et ce n’est pas tout à fait à tort que Burmann l’a accusé d’avoir dénaturé le corps même des fables182. Sa critique ne porte pas très juste, quand, par exemple, il l’accuse d’avoir, dans la fable vi du livre III, substitué le mot tardandum au mot strigandum ; c’est une supposition que les manuscrits ne justifient pas ; car M. Berger de Xivrey, dans sa publication du manuscrit de Pithou, a édité tricandum, et c’est ce mot que Gude et dom Vincent déclarent également avoir lu dans celui de Reims. Mais c’est au contraire avec raison que Burmann lui impute d’avoir dans la fable x du même livre remplacé ce vers :

A divo Augusto tunc petiere judices,

par celui-ci :

Pontificem maximum rogarunt judices.

Jannelli repousse cette critique, et, pour en démontrer l’inanité, il reproduit d’abord une lettre adressée par Perotti à l’un de ses amis, nommé Garnerius ; l’archevêque de Siponte y donne à Auguste l’épithète de Divin. « Primam Veneris imaginem Divus Augustus dicavit in delubro patris Cæsaris183. » Ces expressions de Divus Augustus, puisqu’il les rappelait sans nécessité, ne lui étaient pas aussi antipathiques qu’on pourrait le croire. Pourquoi {p. 139}donc, s’il avait trouvé les mêmes mots dans le manuscrit qu’il avait sous les yeux, ne les aurait-il pas maintenus ?

Jannelli fait encore remarquer que, dans la même lettre, il se montre absolument opposé à toute interpolation des textes anciens.

Enfin, suivant lui, on ne comprendrait pas qu’après avoir, dans ses commentaires, été si religieux observateur des textes de Martial et de Stace, Perotti, à l’égard de Phèdre, eût pu fouler aux pieds ses propres principes.

Je crois que Jannelli s’est laissé aller à le défendre outre mesure. Il est supposable que, dans un livre qu’à l’origine il n’avait pas entrepris pour l’éducation de son neveu, mais où du moins il avait entendu, non pas, en philologue, reproduire dans leur pureté les textes anciens, mais, en simple ecclésiastique, les mettre d’accord avec les idées chrétiennes, Perotti a voulu supprimer ce qui rappelait trop les croyances du paganisme, et qu’il a dû, prêtre et futur pontifex Sipontinus, être tout naturellement conduit à substituer les mots pontificem maximum à la véritable leçon.

En étudiant les variantes que les fables anciennes présentent dans ses manuscrits, on pourra d’ailleurs se convaincre que cette substitution n’est pas un fait isolé, et que sans doute dans l’intention de rajeunir l’original il en a commis beaucoup d’autres.

On remarquera alors que ce qu’il a fait à l’égard des fables anciennes, il a dû le faire à l’égard des nouvelles, et que, si nous devons nous féliciter qu’il nous en ait conservé le texte, nous sommes fondés à regretter qu’il ne nous l’ait pas transmis dans toute sa pureté.

Section V.
Manuscrit Vatican de Perotti. §

Pendant que Cassitto et Jannelli faisaient de pénibles efforts pour déchiffrer les caractères évanouis du manuscrit de Naples, il existait à Rome, dans la bibliothèque du Vatican, un autre manuscrit parfaitement lisible, qui contenait identiquement le même texte, mais dont ils ignoraient l’existence.

Vers 1830, à l’époque où il publiait les anciens classiques d’après les manuscrits du Vatican, le cardinal Angelo Maï le découvrit {p. 140}dans le fonds de Frédéric Veterani d’Urbin, où il portait la cote 368.

Après toutes les explications que j’ai données sur le manuscrit de Naples, on comprendra que je ne dise que quelques mots de ce second manuscrit qui en est la copie exacte.

C’est un petit in-folio, dont les feuillets sont en vélin, et dont l’écriture est d’une grande beauté.

Le frontispice est couvert d’ornements d’or et de couleurs variées, qui représentent des génies, des fleurs, des oiseaux et des animaux plus ou moins sauvages.

Sur la première page sont dessinés sept cercles fort enluminés. Ils en entourent un huitième plus grand, qui, en lettres d’or et d’azur, porte l’avertissement suivant : « In hoc pulcherrimo codice continentur nonnulli poetæ Latini juniores, qui in circumpictis circulis sunt annotati. »

Dans les autres on lit la nomenclature suivante des ouvrages contenus dans le manuscrit :

1º Christophori Landini Xandra.

2º Callimachi epigrammata.

3º Nicolai Perotti epigrammata et fabulae.

4º Antonii Panormitae Hermaphroditus.

5º Bartholomei Contradae ecloga.

6º Francisci Patritii ecloga.

7º Marasii Siculi elegiae.

Le texte de Perotti commence au recto du feuillet 100 et s’étend jusqu’au verso du feuillet 146. L’ordre des diverses poésies est absolument le même que dans le manuscrit de Naples. Le texte commence par la lettre en prose à Titus Mannus Veltrius de Viterbe, que suivent la table des matières et la dédicace poétique à Pirrho Perotti. Ensuite viennent les fables de Phèdre anciennes et nouvelles, celles d’Avianus et les poésies de l’archevêque de Siponte, le tout réuni avec ce remarquable désordre que j’ai déjà signalé.

Le manuscrit Vatican est si bien conforme à celui de Naples, qu’il porte même la note, qui, dans ce dernier, figure en marge d’un ancien oracle de Delphes et que Jannelli a eu soin de publier.

Le cardinal Angelo Maï, lorsqu’il fit cette découverte, n’avait encore publié que les deux premiers volumes de son ouvrage intitulé Classicorum auctorum è Vaticanis codicibus editorum, etc. Dans {p. 141}le tome III, qui fut, comme les autres, imprimé avec les caractères typographiques du Vatican et qui fut publié à Rome en 1831, le célèbre savant inséra l’épître à Veltrius, la dédicace au neveu de Perotti, les 32 fables nouvelles et les mots, qui, extraits du manuscrit Vatican, devaient combler dans les poésies de Perotti les lacunes de celui de Naples.

Il fit précéder ces extraits d’une préface, dans laquelle il donnait quelques indications sur le manuscrit Vatican.

Quant à l’âge de ce manuscrit, si l’on n’avait pour se guider que son écriture, on pourrait dire qu’il est ou de la fin du xve siècle ou du commencement du xvie. Mais on y trouve l’indication approximative de l’époque qu’il faut lui assigner : à la fin du volume, sur le feuillet 188 et dernier, Frédéric Veterani d’Urbin, qui était bibliothécaire, a inscrit la date de 1517 et ajouté, d’une écriture différente du reste et un peu plus récente, une épigramme sur la mort de son maître, qu’il nomme Feretrus. En voici le texte :

Fredericus veteranus urbinas bibliothecarius ad memoriam.

Ne careat lacrymis liber hic post fata Feretri,
      Hic me subscripsi cumque dolore gravi.
Hunc ego iamdudum Fredericus stante Feretro
      Transcripsi ; gratus vel fuit ille mihi,
Quem modo vel semper fas est lugere parentem
      Et dominum qui me nutriit, atque diu
Pagina testis erit lacrimis interlita multis
      Haec tibi qui mesta haec carmina legis,
Et si dissimilis conclusit littera librum,
      Scriptorem ignarum me dolor ipse facit.

Il paraît ressortir des cinq distiques élégiaques qui précèdent, que c’est Veterani d’Urbin, qui, à une époque antérieure, a écrit le volume, et que, si l’écriture de son épigramme est moins bonne, la cause en est imputable au chagrin qui fait couler ses larmes sur la page et qui paralyse ses facultés de calligraphe.

En 1831, au moment où le cardinal A. Mai faisait paraître à Rome le troisième volume de sa collection des classiques du Vatican, le philologue Orelli, à Zurich, publiait une édition de Phèdre, dans laquelle il avait fait figurer, d’après Jannelli, les 32 fables nouvelles. La publication du conservateur de la bibliothèque Vaticane lui révéla le véritable texte et le détermina à {p. 142}ajouter à son ouvrage un supplément, qui parut, également à Zurich, en 1832, et qui lui permit de substituer les vraies leçons aux hypothèses quelquefois fausses de Jannelli.

La découverte du manuscrit du Vatican a fait perdre aux travaux de Jannelli une grande partie de leur intérêt ; mais il n’en a pas moins droit à l’estime des savants ; car elle a démontré, à son grand honneur, l’exactitude de presque toutes ses conjectures.

{p. 143}

Chapitre III.
Authenticité des fables de Phèdre. §

J’arrive à la partie la plus aride de ma tâche, à la question de l’authenticité des fables contenues dans les différents manuscrits que j’ai fait connaître.

En écrivant la vie de Phèdre, j’ai imité mes devanciers : j’ai considéré ces manuscrits comme contenant son œuvre, et j’ai puisé, dans le texte incomplet qu’ils nous ont conservé, les renseignements relatifs à sa personne.

L’hypothèse, que j’ai provisoirement admise, était-elle exacte ? Telle est la question qui est débattue depuis la fin du xvie siècle et que je vais discuter à mon tour.

Dans cette discussion une division s’impose : la partie des fables de Phèdre qui a été d’abord publiée par Pierre Pithou et celle qui, deux siècles après, a été publiée par Cassitto et Jannelli, ayant été puisées à des sources différentes, il faut nécessairement faire un examen séparé de la première, c’est-à-dire des fables primitivement découvertes dites Fables anciennes, et de la seconde, c’est-à-dire des fables postérieurement découvertes dites Fables nouvelles.

Section I.
Fables anciennes. §

De tous les ouvrages que l’antiquité nous a légués, il n’en est pas un seul, dont l’authenticité ait, autant que les fables anciennes, donné lieu à des controverses longues et passionnées.

{p. 144}La victoire a fini par rester aux partisans de l’authenticité, de sorte que le débat n’offre plus qu’un intérêt purement historique. Mais il a été si long et si ardent que, même aujourd’hui, dans une étude sur Phèdre, il ne saurait être négligé.

« Je m’en souviens, écrit le Père Vavasseur dans son livre intitulé De ludicra dictione184, le Père Sirmond m’a souvent raconté que, lorsque Pierre Pithou eut édité pour la première fois les cinq livres de Phèdre, et par égard pour leur vieille amitié les lui eût envoyés à Rome à titre de cadeau, les Romains furent d’abord surpris de la tardive publication du volume, et, comme c’est un peuple

                                         emunctæ naris,
Natura nunquam verba cui potuit dare,

ils furent assez portés à croire récente et supposée une production qui se révélait au bout de tant de siècles et qui était restée si longtemps cachée. Mais personne, après la lecture complète du livre, ne douta plus qu’il n’appartînt à l’époque d’Auguste. »

Il y avait vingt-quatre ans que Pierre Pithou avait publié son précieux manuscrit, et personne, depuis longtemps, ne songeait plus à épiloguer sur l’âge des fables, quand un audacieux critique, Pierre Schryver, plus connu sous le nom de Scriverius, déclara hardiment qu’ils étaient insensés ceux qui les considéraient comme l’œuvre d’un auteur contemporain d’Auguste et de Tibère.

S’étant livré à l’étude critique des œuvres de Martial, il avait dû nécessairement recourir au volumineux commentaire, que, sous le titre de Cornu copiæ, Niccolo Perotti en avait fait avant lui.

Dans l’épigramme 77 du livre Ier, adressée à Valérius Flaccus, on lit ce distique :

Quid possent hederæ Bacchi dare ? Palladis arbor
      Inclinat varias pondere nigra comas185.

Arrivé là, Schryver se reporta au commentaire de Perotti, dans lequel il put lire ce qui suit :

{p. 145}« Arbor Palladis. Olea Palladi sacra. Allusit ad fabulam, quam nos ex Avieno in fabellas nostras adolescentes iambico carmine transtulimus :

Olim quas vellent esse in tutela sua,
Diui legerunt arbores : quercus Ioui,
Et myrtus Veneri placuit, Phæbo (sic) laurus (sic),
Pinus Neptuno, populus celsa Herculi.
Minerua admirans, quare sterileis sumerent,
Interrogauit causam, dixit Iuppiter :
Honorem fructu ne videantur (sic) vendere.
At me hercules inquit quod quisque voluerit,
Oliva nobis propter fructus (sic) est gratior.
Тunc sic deorum genitor, atque hominum sator :
O nata merito sapiens dicere omnibus,
Nisi vtile est quod facimus, stulta est gloria186. »

Cette note de Perotti était doublement inexacte : d’abord ce n’était pas à Avianus, mais à Phèdre qu’il avait emprunté la fable qui précède, et ensuite, en l’empruntant à ce dernier, il n’avait fait que la copier et n’avait pas eu besoin de la traduire en vers ïambiques.

Sans parler des vieux manuscrits de Pithou et de Reims dont le témoignage est irrécusable, je pourrais, par bien des preuves tirées de ceux de Perotti, démontrer la fausseté de sa malencontreuse déclaration. Je n’en veux donner qu’une. Si l’on pouvait attribuer à Perotti la fable xvii du livre III, il faudrait admettre que toutes les autres fables anciennes sont son œuvre. Car leur identité d’origine est évidente. En revanche, si l’on prouve que l’une des fables anciennes n’est pas son œuvre, aucune ne doit lui appartenir. Eh bien, dans le manuscrit de Naples, sous le nº 27 et à la suite du nº 46, la fable Apes et Fuci, Vespa judice, se trouve deux fois répétée. Après l’avoir extraite une première fois du manuscrit qu’il possédait, Perotti a pu oublier sa première copie, et, sans s’en douter, en faire une autre. Mais c’est un double emploi qui ne peut pas échapper à la plume d’un auteur. En effet, j’admets encore qu’un auteur et surtout qu’un traducteur puissent {p. 146}oublier ce qu’ils ont composé. Cela m’est arrivé à moi-même à l’égard d’une fable de Phèdre : ne me rappelant plus que je l’avais déjà traduite, j’en ai fait une seconde traduction ; mais la seconde n’était pas identique à la première. En effet, si l’on a oublié une première composition et que, sans s’en apercevoir, on la recommence, il est impossible que la seconde s’en trouve précisément la copie littérale. Cet argument est bien simple ; mais il me semble si concluant que je n’en ajoute pas d’autre.

Malheureusement Schryver ne pouvait pas connaître le recueil poétique de Perotti. Si cependant il avait pris la peine de réfléchir, il aurait tout de suite aperçu que l’archevêque de Siponte se trompait. Comment Perotti avait-il pu emprunter à Avianus la fable Arbores in tutela deorum ? Avianus n’avait écrit que quarante-deux fables ; on ne peut en douter ; car lui-même il le déclare dans sa dédicace à Théodose187. Or ces quarante-deux fables, au temps de Schryver qui lui-même s’y réfère, étaient parfaitement connues, et parmi elles aucune n’avait pu servir de texte à la traduction que Perotti prétendait avoir faite en vers ïambiques. Donc, avant même que la découverte du manuscrit de Naples n’eût éclairé la question, il était facile, avec un peu d’attention, de s’apercevoir que l’affirmation de Perotti ne pouvait pas être exacte et que dès lors les fables anciennes n’étaient pas son œuvre.

Schryver n’y regarda pas de si près : à la lecture du commentaire erroné, il ne songea pas, comme d’autres qui plus tard versèrent sur la pente opposée, à douter de sa sincérité, ni à lui infliger l’épithète de plagiaire. Il prit à la lettre la déclaration du prélat, et, le considérant comme l’auteur d’une fable qui figurait dans les œuvres de Phèdre, il en conclut qu’il avait dû également composer toutes les autres.

Voici en quels termes tranchants il s’exprimait sous l’influence d’une conviction, dont il faut reconnaître la sincérité :

« Peuvent-ils davantage perdre le jugement et se tourmenter à plaisir, les savants qui pensent que le fabuliste Phèdre, édité par le fameux Pithou et rappelé par un certain Avienus à Théodose dans la préface de ses fables ésopiques, est le même que celui dont {p. 147}parle Martial ? Ils veulent nous faire croire qu’il fut affranchi de César Auguste, que par le style et l’âge il se confond avec Laberius et Publius Mimus ou qu’il s’en rapproche, et même, autant qu’ils le conjecturent, qu’il vécut sous Tibère, et, qui plus est, après la condamnation de Séjan. Plaisanteries. Certes, à moins que je ne m’abuse étrangement, il ne peut nullement être considéré comme digne de cette époque, cet écrivain, à qui d’ailleurs qu’il ait dû les soufflets de la liberté. Je m’abstiens de produire en détail les arguments qui me frappent, qui me forcent à être d’un avis si particulier, et qui me poussent à déclarer sa production si étrangère à ces jeux de Phèdre dont Martial fait mention. Peut-être le montrerai-je pleinement ailleurs, quand j’en aurai le loisir et quand le cœur me dira de m’occuper de ces frivolités. En attendant, réfléchissez à ce qu’autrefois Perotti, archevêque de Siponte, dans ses commentaires sur le premier livre de Martial, déclara au sujet de ce passage, Quid possunt hederæ Bacchi dare, etc. “Allusit, dit-il, ad fabulam quam nos ex Avieno in Fabellas nostras adolescentes Iambico carmine transtulimus :

Olim quas vellent esse in tutela sua.”

Et ce qui suit forme un total de douze vers qui finissent ainsi :

Nisi utile est quod facimus, stulta est gloria.

Ces vers sont absolument les mêmes que ceux de Phèdre, mis au jour d’abord par Pithou et ensuite par Rittershuys, Rigault et autres, et éclairés de leurs notes et de leurs scholies. Ils se trouvent livre II, fable lvi188. »

On le voit, Schryver ne produit qu’un seul argument à l’appui de son opinion : il se base uniquement sur la déclaration de l’archevêque de Siponte qui s’attribue la paternité de la fable xvii du livre III.

Avant de trancher avec tant d’assurance une question si importante, Schryver aurait dû remarquer qu’il traitait implicitement de mystificateurs P. Pithou, qui, en publiant les fables de Phèdre, {p. 148}avait déclaré qu’il les avait tirées d’un manuscrit fort ancien, et Rigault, qui avait ensuite, dans ses éditions, donné les variantes de ce manuscrit et de ceux de Daniel et de Reims. Il est évident que, s’il avait pris la peine de se rendre à l’abbaye de Saint-Remi, il aurait reconnu l’erreur volontaire ou involontaire que Perotti avait commise et qui était devenue la cause de la sienne.

Il déclare, il est vrai, qu’il pourrait fournir bien d’autres arguments ; il promet presque de les faire connaître plus tard ; mais il est permis de supposer que ces arguments, que d’ailleurs il n’a jamais produits et qui n’étaient que secondaires, n’avaient pas plus de valeur que le principal.

Le coup, porté par le grand critique de Harlem, n’en avait pas été moins rude. L’autorité, qui s’attachait à son nom, fit naître des doutes, et, il faut bien le dire, ils furent un peu favorisés par la négligence des premiers éditeurs, qui n’avaient pas pris la peine de donner sur les manuscrits des notions précises.

Quelques philologues, tels que Farnaby en Angleterre et Schrevelius en Hollande, s’inclinèrent donc devant le nouveau dogme qui leur était, pour ainsi dire, imposé sans discussion ; mais presque tous les autres résistèrent à cette pression si cavalièrement exercée sur leur conscience : les ouvrages qu’ils publièrent en font foi.

À défaut des manuscrits, qui auraient pu leur permettre de la repousser victorieusement, mais que, vu la difficulté des voyages alors si grande, ils ne prenaient pas la peine d’examiner, ils durent chercher d’autres documents et finirent par en trouver un qu’ils s’empressèrent d’employer à combattre la thèse de Schryver. C’était une inscription lapidaire, découverte par Étienne Zamoyski, à Wissembourg en Transylvanie, sur la pierre d’un ancien tombeau, publiée par lui à Padoue, en 1593, dans ses Analecta lapidum vetustorum et aliarum in Dacia antiquitatum189 et ensuite rapportée d’après lui par Gruter dans ses Inscriptiones antiquæ190 et par Gude dans ses notes sur Phèdre191. Cette inscription, qui, d’après {p. 149}Jean Troster192, existait encore en 1666, contenait ce vers de la fable xvii du livre III :

Nisi utile est quod facimus, stulta est gloria.

Basilius Faber notamment le cite dans son Thesaurus eruditionis scholasticæ193.

Mais, en défendant Phèdre, ils furent obligés de reconnaître. l’inexactitude de la déclaration de Perotti, et même, avant d’avoir mis la main sur l’inscription lapidaire, ils n’hésitèrent pas à l’accuser de plagiat.

Ainsi, dans ses Adversaria publiés à Francfort en 1624, Barth réfutant Schryver professa qu’il ne doutait pas que Perotti n’eût voulu en imposer à ses lecteurs dans la pensée que le manuscrit de Phèdre tombé dans ses mains était unique, et qu’il pouvait, par suite, se vanter impunément d’en avoir composé les fables. Suivant lui, l’absence dans Avianus de toute fable pareille à celle que Perotti prétendait avoir traduite en vers ïambiques, démontrait sa mauvaise foi évidente194.

Heinsius195, Hoogstraten196, Baillet197, Niceron et beaucoup d’autres n’hésitèrent pas à partager ce sentiment. Voici notamment comment Niceron s’exprime : « On accuse Pérot d’avoir copié les autres sans les nommer. Martinius le lui reproche, après l’avoir convaincu d’avoir dérobé un passage de Laurent Valla. Il n’est pas étonnant que Pérot en ait usé ainsi, puisqu’il a pillé Phèdre, dont {p. 150}les fables n’étaient pas encore imprimées et qu’il en rapporte une comme un ouvrage de sa façon198. »

Burmann lui-même ne sut pas, dans cette circonstance, garder son sang-froid. Dans la préface de son édition in-4º de 1727, il commence par supposer que Perotti a eu dans les mains un manuscrit semblable, sinon à celui de Pithou, du moins à ceux de Romulus et de l’anonyme de Nilant, et qu’il a rétabli en vers ïambiques le texte dénaturé de Phèdre199. Cette hypothèse, à laquelle, pour avoir procédé de même, il avait sans doute été conduit, était, comme l’observe Jannelli200, absolument invraisemblable. Mais, au moins, elle excluait l’idée du plagiat. Burmann aurait dû le comprendre. Pourtant il oublie presque immédiatement sa première hypothèse, et, reconnaissant sans doute que les fables extraites de son manuscrit sont bien l’œuvre de Phèdre, il lui reproche ce qu’il appelle ses larcins. La copie du manuscrit que d’Orville lui avait adressée était de nature à lui donner de l’incertitude ; mais sa prévention était trop forte pour ne pas l’emporter, et c’est dans la préface précitée qu’il l’accuse sans ménagement. « Il est aujourd’hui évident, dit-il, que Perotti a commencé dès sa jeunesse à copier dans son recueil des fables de différents genres, qui ensuite parurent sous son nom201. » Et plus loin, parlant de d’Orville, il ajoute : « Le bonheur de rechercher et de déterrer cette fraude était réservé à un jeune homme très remarquable202. » Je me borne à ces courts extraits. Ce qui en ressort, c’est que Burmann croit trouver dans le manuscrit découvert par d’Orville la preuve manifeste du plagiat.

C’est surtout la dédicace à Pirrho Perotti, qui lui paraît la fournir. La déclaration, par laquelle elle commence, annonce bien {p. 151}une certaine bonne foi ; mais il ne s’en inquiète pas. Il ne se préoccupe que des vers, qui, dans la dédicace, ont été empruntés aux prologues des livres III et ӀV des fables de Phèdre et qui, suivant lui, montrent clairement que Perotti a commis une fraude volontaire.

Si, en effet, l’on se reporte au texte de Phèdre, on trouve ces vers dans le prologue du livre III :

Honori et meritis dedicans illum tuis :
Quem si leges lætabor ; sin autem minus,
Habebunt certe quo se oblectent posteri.
Nunc fabularum cur sit inventum genus
Brevi docebo. Servitus obnoxia,
Quia quæ volebat non audebat dicere,
Affectus proprios in fabellas transtulit,
Calumniamque fictis elusit jocis.

Dans cette poésie intitulée Poeta, que tous les éditeurs ont transposée et dont, avec une égale impéritie, ils ont fait, les uns, le prologue du quatrième livre, les autres, le prologue du cinquième, on lit les vers suivants :

Hunc obtrectare si volet malignitas,
Imitari dum non possit, obtrectet licet.
Mihi parta laus est, quod tu, quod similes tui,
Vestras in chartas verba transfertis mea,
Dignumque longa judicatis memoria.

Enfin, si l’on examine la petite poésie, qui suit immédiatement, qui, dans le manuscrit de Pithou, est intitulée Idem Poeta, et qui peut être considérée comme servant de préambule à la fable Demetrius rex et Menander poeta, on y lit in fine ces deux phrases :

                                  Fabulæ exaudiant
Adeo fucatæ. Plus vetustis nam favet
Invidia mordax quam bonis præsentibus.

Qu’on rapproche de la dédicace de Perotti les trois citations qui précèdent, et l’on s’apercevra que l’archevêque de Siponte ne s’est donné que la peine de copier. Et si l’on songe que c’est vers la fin de sa vie qu’il a rédigé sa dédicace, on verra qu’alors il possédait encore le manuscrit de Phèdre, dans lequel il avait, jeune homme, {p. 152}puisé la fable Arbores in tulela deorum, et qui devait lui rappeler que cette fable n’était pas son œuvre.

J’ai, on le voit, reproduit, sans en dissimuler les bases, l’accusation dirigée contre lui. Doit-on l’accueillir, et, en se fondant tant sur la fausse déclaration contenue dans son Cornu copiæ que sur les emprunts faits à autrui dans son recueil poétique, faut-il dire qu’il n’a pas été un simple copiste et le flétrir de l’épithète de plagiaire ?

Il y a un abîme entre ces deux substantifs. Ils ont une portée très différente qui se comprend et sur laquelle je n’ai pas besoin d’insister, et je me hâte d’examiner ce qu’a été Niccolo Perotti.

Il est certain que dans son Cornu copiæ les apparences sont contre lui. Il a fait une déclaration dont la fausseté saute aux yeux, et l’on ne comprend pas au premier abord comment il a pu dire qu’il avait dans sa jeunesse tiré d’Avianus et traduit en vers ïambiques une fable qu’en réalité il avait empruntée à Phèdre. S’il n’a pas été plagiaire, il faut avouer qu’il a singulièrement manqué de mémoire.

Je n’en suis pas moins porté à croire à un oubli. La découverte de son manuscrit a jeté sur la question un jour lumineux. « Comme je l’ai écrit ailleurs au sujet de mes lettres, disait-il dans son épître à Mannus Veltrius de Viterbe, parmi mes petites poésies il y en a quelques-unes, qui autrefois ont été pour moi un amusement de jeunesse, et que mon âge et ma profession, si on les supposait récemment écrites, pourraient à bon droit peut-être faire juger répréhensibles. Au contraire, reportées à leur date, elles n’auraient plus rien que tu pusses incriminer. Car il y a longtemps qu’on laisse cette liberté de se distraire non seulement aux jeunes gens, mais aussi aux poètes plus sérieux. Mais on pourrait peut-être encore me la contester à cause de ma dignité épiscopale. Veille donc à ce que les lecteurs distinguent bien ce qui, lorsque je n’étais encore pourvu d’aucune dignité, a échappé à ma jeunesse, de ce qui appartient à mon âge actuel203. » C’est donc, suivant sa {p. 153}propre déclaration, dans sa jeunesse qu’il avait commencé son recueil, et, ainsi que je l’ai expliqué, c’est à des intervalles relativement courts qu’il y avait fait des additions successives. J’ajoute que probablement il n’a jamais adressé son recueil à Mannus Veltrius, que son épître, d’ailleurs non datée, avait sans doute été écrite par anticipation, que les additions contemporaines de cette épître auxquelles il fait allusion n’existaient qu’à l’état de projet, que, si quelques-unes dataient des derniers temps de sa vie, elles étaient certainement fort peu nombreuses, et qu’en conséquence on peut considérer son recueil tout entier comme une œuvre de jeunesse.

Cela dit, je rappelle qu’on y voit deux fois reproduite la fable des Abeilles et des Bourdons jugés par la Guêpe. Perotti avait évidemment, avant de la recopier, oublié sa première copie, et cependant c’était vraisemblablement peu de temps auparavant qu’il l’avait faite.

Si maintenant on remarque que son commentaire sur Martial fut une œuvre de son âge mûr, on pourra admettre que la mémoire lui ait encore fait défaut, que, de même qu’il avait oublié la première copie par lui faite d’une autre fable et l’avait une seconde fois transcrite, de même, alors qu’il s’était écoulé un bien plus long intervalle, il avait pu commettre un oubli analogue à l’égard de la fable Arbores in tutela deorum et ne pas se rappeler qu’il en était, non le traducteur, mais le copiste, et l’on comprendra que, retrouvant cette fable après bien des années dans un recueil, où à des poésies simplement transcrites par lui se mêlaient aussi ses propres compositions, il ait pu à la légère, mais de bonne foi, formuler une affirmation fausse, que probablement, s’il avait pu publier lui-même son ouvrage, il aurait aperçue et rectifiée. Malheureusement son commentaire sur Martial ne fut pour la première fois imprimé qu’en 1489204, neuf ans après sa mort, par les soins pieux d’un neveu {p. 154}dévoué à sa mémoire, mais sans doute incapable de corriger les fautes d’un manuscrit posthume.

S’il avait voulu donner le change au public, il aurait pris les précautions habiles que tout homme de mauvaise foi emploie, et il n’aurait pas, en déclarant avoir emprunté à Avianus le sujet de la malencontreuse fable, rendu sa fraude immédiatement évidente. Il est, à mon sens, très probable que, dans sa fausse affirmation, sa seule faute a été de s’en rapporter à des souvenirs confus qu’il n’a pas pris immédiatement la peine d’éclaircir.

Maintenant je ne dois pas perdre de vue que ce n’est pas seulement sa fausse déclaration, et que c’est encore sa dédicace à Pirrho Perotti, qui sert de point d’appui à l’accusation dirigée contre lui. Il est vrai que, dans cette dédicace par lui composée à l’époque à laquelle il travaillait à son Cornu copiæ, c’est-à-dire vers les dernières années de sa vie, il a encore complètement pillé Phèdre. Mais c’est justement cette dédicace qui semble affirmer son innocence. La première chose, en effet, qu’il y déclare, c’est qu’il n’est que copiste. En voici le commencement :

Non sunt hi mei, quos putas versiculi,
Sed Æsopi sunt et Avieni et Phædri :
Quos collegi, ut essent, Pyrrhe, utiles tibi,
Tuaque causa legeret posteritas,
Quas edidissent viri docti, fabulas.
Honori et meritis dicavi illos tuis,
Sæpe versiculos interponens meos,
Quasdam tuis quasi insidias auribus.

Après de pareilles explications, il me semble qu’il faut être bien prévenu contre un homme qui a été un savant philologue, pour lui maintenir l’épithète dont sa mémoire a été flétrie.

Comment ! il expose à Pirrho Perotti que les vers qu’il va lire ne sont pas son œuvre, qu’il les a tirés d’Ésope, ce qui n’était qu’indirectement vrai, mais aussi de Phèdre et d’Avianus, ce qui était rigoureusement exact, qu’il les a ensuite réunis pour être utiles à son neveu et pour transmettre, à cause de lui, à la postérité les fables que ces hommes éminents avaient composées, qu’il les lui a dédiées à raison de ses bonnes qualités, et qu’enfin, pour tendre à son entendement des pièges instructifs, il y a intercalé souvent ses propres compositions ! Tout cela est nettement dit, et {p. 155}Perotti serait un plagiaire ! Non, je ne puis me résoudre à le croire.

Et quant aux vers, qui complètent la dédicace et qu’il a empruntés à Phèdre, est-ce qu’il ne faut pas y voir l’emploi immédiat de ces pièges instructifs, par lesquels il a déclaré vouloir mettre à l’épreuve la sagacité de son neveu ?

Cela ne me paraît pas douteux, et, lorsque je considère en outre que Perotti avait, à l’origine, formé son recueil sans but arrêté, et que ce ne fut qu’après l’avoir composé qu’il songea à en faire un livre d’éducation, je me sens de plus en plus convaincu de sa sincérité.

Si maintenant je voulais aller plus loin, et si, en dehors de la dédicace, je cherchais d’autres indices dans le texte du manuscrit, je n’aurais que l’embarras du choix. Un tel travail serait aussi fastidieux qu’inutile ; je ne l’entreprendrai pas. Seulement, puisque j’ai parlé d’une ancienne fable de Phèdre que Perotti a copiée deux fois, j’y chercherai un nouveau témoignage de sa bonne foi. Or savez-vous comment, dans l’index du manuscrit, cette seconde copie est intitulée ? Elle porte ce titre moral : De Judicio ferendo in rebus dubiis pulcherrima fabella. Pourquoi donne-t-il à cette fable la qualification de pulcherrima ? Évidemment parce qu’il n’entend pas se l’attribuer. S’il avait voulu faire prendre le change, il aurait affecté une modestie apparente, qui lui aurait fait omettre un mot si ambitieux. Il n’y a que l’œuvre d’autrui qui puisse s’apprécier ainsi.

En voilà assez, je crois. S’il existe encore des sceptiques, je les engage à lire attentivement la première des trois dissertations publiées en 1811 par Jannelli205. Il est probable qu’après il ne leur restera aucune incertitude.

Mais que Perotti ait été copiste ou qu’il ait été plagiaire, ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas été l’auteur des fables de Phèdre. Si Schryver avait pu voir le manuscrit de Naples, il en aurait été assurément convaincu. Quant à Burmann, lorsqu’il semble regretter que Perotti n’ait pas été plus servilement copiste, je partage ce sentiment206. Mais il ne devait pas, sous l’influence de ce regret, qualifier {p. 156}de plagiaire un des hommes les plus lettrés de son temps.

La conclusion de tout cela, c’est que l’opinion de ceux qui attribuaient à Perotti les fables de Phèdre et le sentiment de ceux qui le traitaient de plagiaire, étaient entachés d’une égale fausseté. Les uns et les autres auraient pu reconnaître aisément leur erreur. Mais l’homme mêle ses passions à toute chose, et il ne faut pas trop s’étonner de les retrouver jusque dans la philologie ; car elle repose sur la discussion, et toute discussion les surexcite.

Il est assez probable que, si les incrédules n’avaient pas eu d’autre point d’appui que la fausse déclaration faite par Perotti dans son Cornu copiæ, la lutte aurait cessé. Malheureusement ils avaient pour eux un document qui, en l’absence de toute production des manuscrits, leur donnait une arme puissante, et qui leur permettait de continuer à attribuer les fables à l’archevêque de Siponte ou tout au moins de prétendre qu’elles ne remontaient pas au siècle d’Auguste et que par suite elles ne pouvaient avoir été écrites par l’affranchi de cet empereur.

Le chapitre xxvii des Consolations, que Sénèque a adressées à Polybe, commence par cette phrase : « Non audeo te usque eo producere, ut fabellas quoque et Æsopeos logos, intentatum romanis ingeniis орus, solita tibi venustate connectas. »

Pierre Pithou était trop versé dans l’étude des auteurs anciens, pour que l’affirmation de Sénèque pût lui échapper. Elle n’avait pas troublé sa conviction. Pressentant néanmoins l’argument qui pourrait en être tiré contre l’ancienneté des fables de Phèdre, il avait pris les devants, et, pour prévenir les attaques, il s’était empressé de formuler, dans son épître à son frère François, sa réponse à l’argument qu’il prévoyait. « Phèdre lui-même, lui écrivait-il207, a fait connaître qu’il était né en Thrace, dans la partie de ce pays voisine de la Grèce ; ses livres ne donnent donc aucun démenti au témoignage de Sénèque qui affirmait que les apologues ésopiques étaient un genre de littérature inexploré par l’esprit romain. » Cette explication, que je pourrais appeler géographique, avait paru aux {p. 157}savants et notamment à Lipse208, parfaitement satisfaisante, et, jusqu’au jour où Schryver formula sa protestation, personne n’avait songé à exprimer le moindre doute.

Mais, aussitôt qu’elle leur fut connue, fascinés probablement par son audace, quelques-uns s’empressèrent de relever le passage oublié et crurent y trouver la justification de sa thèse. Si les fables de Phèdre avaient été composées sous les règnes de Tibère et de Claude, Sénèque, suivant eux, n’aurait pas écrit que les fables ésopiques étaient un genre de littérature dans lequel les Romains n’avaient pas encore essayé leur intelligence.

Ceux, plus nombreux, à qui une étude plus approfondie des fables de Phèdre, avait donné une foi inébranlable dans leur ancienneté, cherchèrent la réponse, et ce fut à qui trouverait la bonne.

Ils essayèrent tour à tour d’expliquer la phrase de Sénèque : G.-J. Vossius, dans son ouvrage intitulé De poetis latinis et publié en 1654 après sa mort209, en adoptant, comme Lipse, l’interprétation de Pierre Pithou, et en soutenant qu’uniquement préoccupé des écrivains latins il n’avait pu classer parmi eux un affranchi d’origine macédonienne ; le Père Vavasseur, dans son livre De ludicra dictione publié en 1658210, en supposant que les fables de Phèdre qui flétrissaient les tyrans de son époque, avaient dû être à {p. 158}ce titre signalées par les délateurs, supprimées et enfin oubliées à l’époque de Sénèque ; Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique publié en 1697211, en affirmant que « Sénèque avait oublié qu’il y eût un livre au monde qui s’appelât les fables de Phèdre » ; Fabricius, dans sa Bibliotheca Latina publiée à Hambourg en 1697212, en prétendant qu’il n’avait songé qu’aux apologues en prose ; Cannegieter, dans sa Dissertatio de ætate et stilo Aviani, publiée à Amsterdam en 1731213, en considérant les Consolations à Polybe, écrites au commencement du règne de Claude, comme antérieures aux fables qui n’auraient été composées que de la septième à la onzième année du même règne ; Gellert, dans sa Dissertatio de poësi Apologorum eorumque scriptoribus, publiée à Leipzig en 1744214, en alléguant qu’il avait considéré Phèdre non comme un fabuliste latin, mais comme un interprète des fables grecques du vieil Ésope ; d’autres enfin, en s’appuyant sur d’autres raisons encore.

La querelle dura ainsi de longues années ; mais le temps apaise tout ; elle commençait à se calmer, lorsqu’en 1746, un professeur de Leipzig, qui fut un des plus grands érudits de son temps, J. Christ reprit l’audacieuse opinion de Schryver. Dans une thèse où la science et l’imagination débordent et qui forme un volume in-4º215, {p. 159}il réunit les nombreuses raisons, qui, suivant lui, ne permettaient pas d’attribuer à un auteur ancien les fables de Phèdre.

Comme l’examen de ses arguments n’a plus aujourd’hui d’intérêt scientifique, je m’abstiendrai d’en donner l’analyse complète et je me bornerai à indiquer les principaux.

Le premier, sur lequel il s’appuie, c’est le silence qu’ont gardé à l’égard des fables de Phèdre tous les écrivains de l’antiquité romaine. Nul philosophe, nul critique, nul historien ne les ont mentionnées. Il y a même quelque chose de plus probant que leur silence, c’est le langage de Sénèque, qui fut, on le sait, l’esprit le plus lettré de son époque, et qui n’aurait pas ignoré, si obscur qu’il pût être, l’existence d’un fabuliste contemporain.

Il est vrai que Christ est un peu gêné par les témoignages de Martial et d’Avianus. Mais, avec une remarquable dextérité, il les interprète en faveur de sa thèse.

Dans l’épigramme xx de son troisième livre, Martial, demandant à sa muse ce que fait son cher Canius Rufus, s’exprime ainsi :

Dic, Musa, quid agat Canius meus Rufus ?
Utrumne chartis tradit ille victuris
Legenda temporum acta Claudianorum ?
An quæ Neroni falsus adstruit scriptor ?
An æmulatur improbi jocos Phædri ?

Dans ce dernier vers, il fait, selon Christ, allusion au philosophe épicurien qui eut l’admiration d’Atticus et l’estime de Cicéron. Canius était sans doute aussi un philosophe de la même école ; il a dû se livrer au même genre d’études et rivaliser de science et de talent avec son devancier.

Du reste, les mots improbi et jocos montrent encore que Martial ne peut avoir eu en vue un fabuliste. L’épithète improbus ne peut convenir qu’à l’homme qui se livre à un travail persévérant et l’auteur des fables n’a écrit que des choses vulgaires dans un style obscur et barbare comme lui. Quant au mot jocos, il ne peut se rapporter à l’œuvre d’un fabuliste, qui peut, sous une forme agréable, critiquer les vices de la société, mais qui en général n’excite pas le rire. Au contraire, Phèdre le philosophe, dans sa lutte contre la doctrine stoïcienne, avait dû nécessairement recourir à l’arme toujours puissante de la raillerie.

{p. 160}Dans son étude sur Stace, Jean-Frédéric Gronovius avait, plus d’un siècle auparavant, démontré que le Phèdre cité par Martial ne pouvait être que le fabuliste romain, et sa démonstration simple et limpide était absolument concluante.

« Martial, avait-il écrit216, a appelé Phèdre improbus, c’est-à-dire légèrement audacieux, soit parce que, comme il le déclare au début de son œuvre, il avait mis en scène et fait parler les arbres et les bêtes, soit parce que, sous cette fiction, il avait révélé les mœurs des puissants de son temps. En effet, lorsque Martial parle des jeux de Phèdre, qui est-ce qui n’aperçoit pas clairement qu’il fait allusion à ce vers :

Fictis jocari nos meminerit fabulis ? »

Il y avait, en effet, entre les expressions de Phèdre et celles de Martial une conformité, qui ne pouvait laisser d’incertitude sur le véritable personnage que ce dernier avait eu en vue, et le savant Christ, pour qui l’observation de Gronovius n’avait pu passer inaperçue, aurait bien dû en faire son profit. Mais il n’y a pas, on le sait, de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Le témoignage plus précis et par suite plus embarrassant d’Avianus n’arrête pas davantage le docteur allemand. Dans l’épître dédicatoire qu’en tête de ses fables il adresse à Théodose, Avianus s’exprime ainsi : « Hujus ergo materiæ ducem nobis Æsopum noveris, qui responso Delphici Apollinis monitus ridicula orsus est, ut legenda firmaret. Verum has pro exemplo fabulas et Socrates divinis operibus indidit, et poemati suo Flaccus aptavit ; quod in se, sub jocorum communium specie, vitæ argumenta contineant ; quas Græcis ïambis Gabrias repetens, in duo volumina coarctavit, Phædrus etiam partem aliquam quinque in libellos resolvit217. »

En présence de ce texte, voici comment il se tire d’affaire. D’abord il lui semble évident qu’Avianus en parlant de Phædrus fait allusion à un auteur grec ; la forme de ce nom est grecque ; la {p. 161}forme latine serait Phæder. Il lui paraît même assez probable que ce Phèdre n’était autre que le très remarquable ami de Cicéron.

D’ailleurs, ce qu’Avianus dit de son œuvre ne permet pas de la confondre avec les fables connues ; car il ne prit qu’une portion, aliquam partem, des fables d’Ésope, qu’il développa, resolvit, de manière à en former cinq livres, tandis que les fables connues sont très nombreuses et pour la plupart on ne peut plus concises.

Faut-il ajouter qu’Avianus, si ses modèles avaient été des auteurs latins, n’aurait pas dit qu’il avait écrit ses fables rudi latinitate218 ? Le Phèdre dont il parle était un fabuliste grec, qui probablement n’était autre que le philosophe.

Enfin est-il possible d’admettre qu’Avianus ait songé aux fables latines que nous connaissons, quand on voit qu’il en a composé quarante-deux réunies en un seul livre, et qu’aucune des siennes n’a le moindre rapport avec celles de Phèdre ?

Après avoir développé ces raisons, Christ ne s’en contente pas. Il sent bien que l’ancienneté des manuscrits, si elle est établie, peut renverser son échafaudage. Alors, sans les avoir jamais vus, il en conteste l’âge et prétend que leur titre et leur texte sont sortis de l’imagination de Perotti. Il avoue pourtant que tout ce que Perotti a écrit n’est pas original, qu’il transporta dans ses compositions des ïambes antiques épars dans divers manuscrits et que c’est ainsi qu’il employa les lambeaux qui s’en rencontraient dans les œuvres de Romulus.

Puis, comme il comprend que le manuscrit de Romulus, conservé à Dijon, devient contre lui une arme qu’il faut briser, voici comment il essaye de l’anéantir. Il est, dit-il, incontestable que les fables contenues dans le manuscrit de Dijon ne sont que la traduction en prose de fables originairement écrites en vers ïambiques, et que cette traduction, ayant été en partie reproduite par Vincent de Beauvais, ne saurait être moins ancienne que le xiiie siècle. Mais c’est à tort que le manuscrit de Dijon porte le nom de Romulus. Ce Romulus, surtout s’il était Athénien, n’a pas pu écrire un latin si barbare. Il est l’auteur de fables, qui ont été composées par lui en vers, qui ont ensuite été grossièrement mises en prose, et qui, sauf quelques fragments conservés dans {p. 162}la traduction en prose et mis en œuvre par Perotti, ont été enfin entièrement et irrévocablement perdues. De là vient que les fables de Romulus semblent être la traduction en prose de celles qu’on attribue à Phèdre. Mais en définitive c’est Perotti qui est l’auteur des fables qu’il lui a plu d’attribuer à un affranchi d’Auguste.

Enfin, pour faire accepter cette idée, il cherche par de nombreux exemples à démontrer que les fables, que nous possédons, fourmillent d’expressions ou d’idées qui ne permettent pas de les confondre avec la latinité si pure du siècle d’Auguste.

Phèdre, on le voit, avait été vivement attaqué. Il ne manqua pas de défenseurs, et leur réponse ne se fit pas attendre. Elle fut faite dès l’année suivante par un autre savant allemand, Funck (de Marbourg), connu aussi sous le nom de Funccius. Il publia, en 1747, sous le titre Apologia pro Phædro eiusque fabulis, une dissertation, qui, comme celle de Christ, est devenue aujourd’hui très rare219.

Mais Christ était un jouteur avec lequel il n’était pas facile d’avoir le dernier mot. La même année, il adressa à Funck une volumineuse réplique, intitulée : De Moribus, simul de Phædro eiusque fabulis uberior expositio220.

Funck garda le silence ; mais son duel avec Christ avait eu trop de retentissement, pour ne pas allumer entre les savants une guerre générale : ranimée en Allemagne, la discussion fut reprise dans toute l’Europe lettrée.

En Hollande, d’Orville, dans son commentaire sur le Chariton d’Aphrodise publié en 1750221, combattit l’opinion de Christ.

En France, un jeune auteur que la mort ravit prématurément aux lettres, Boulanger de Rivery, entra à son tour dans la lice. Voici comment il s’exprime dans la préface de sa traduction en {p. 163}vers, publiée en 1754, des fables et contes allemands de Gellert222 :

« Phedre a fait un choix heureux dans les apologues d’Ésope et leur a donné une grâce nouvelle par sa précision élégante que l’on a comparée avec raison à celle de Térence. Mais un des plus sçavans hommes de l’Europe, M. Christ, dans un ouvrage qui est un jeu pour lui, et qui seroit pour tout autre un travail immense, a entrepris, il y a quelques années, de révoquer en doute l’authenticité du Phedre recouvré par notre M. Pithou aussi connu dans la Littérature que dans la Jurisprudence. Comme la sagacité de M. Christ et la haute estime que l’on a pour son érudition sont très-propres à donner du poids à son sentiment, il ne sera pas inutile d’examiner ici les raisons sur lesquelles il le fonde. Séneque a dit : Æsopios logos intentatum romanis ingeniis opus. Mais ou Séneque a ignoré que Phedre ait fait des fables, ce qui est très possible, ou bien il a entendu par-là que personne parmi les Latins n’en avoit fait de nouvelles dans le genre d’Ésope, ce qui est très-vrai, Phedre lui-même avoit prévu que ses contemporains lui reprocheroient de n’être point véritablement Auteur.

Quidquid putabit esse dignum memoria
Æsopi dicet.

« Le silence de Séneque ne prouve rien contre Phedre dont Martial et Avien font mention. Avien en a fait, dit M. Christ, un Fabuliste Grec. Il est vrai qu’il le cite après Gabrias ou Babrias. De même on pourroit dire qu’il fait d’Horace un Poëte Grec, parce qu’il le cite dans le même endroit après Socrate.

« On trouve dans la Corne d’Abondance de l’Archevêque de Siponte, imprimée en 1496, la Fable des Arbres protégés par les Dieux, à peu près telle qu’elle est dans le Phedre qui n’a paru qu’en 1596. Mais on a trouvé un des Vers de cette même Fable sur un monument très-antique dont parle Zamosius. Et cependant Pérotti prétend qu’elle est un des amusements de sa jeunesse. À Dieu ne plaise que je veuille accuser de mauvaise foi cet Archevêque : il se peut très-bien qu’il ait mis alors cette Fable parmi ses Ouvrages, et que l’y ayant retrouvée dans un âge avancé il ait cru {p. 164}réellement l’avoir faite. Ce qui est d’autant plus vraisemblable qu’il dit avoir tiré ce sujet d’Avien qui ne l’a jamais traité. Ajoutez a cela que Pérotti connoissoit Phedre et qu’il en parle dans cette même Corne d’Abondance. Faudra-t-il sur un seul passage d’un Auteur du xve Siécle supprimer à la fois les deux Fabulistes Latins qui nous sont restés ?

« Mais pourquoi vouloir ôter à Phedre cinq Livres entiers par ce qu’on y auroit inséré une seule Fable qui ne seroit pas de lui ? Faudroit-il les attribuer toutes à Pérotti qui en auroit fait une ? Un Manuscrit donne celle-ci à Phedre, un autre la donne à Pérotti. Pour décider il faut la lire dans les deux Ouvrages et reconnoître son auteur en comparant les stiles. Une présomption très-forte encore contre l’Archevêque de Siponte, c’est que plusieurs Vers de cette Fable courte et correcte ont été totalement altérés par ce respectable Commentateur de Martial, Phœbo laurus pour Phœbo laurea. Ne videantur, etc.

« M. Christ relève dans Phedre quelques expressions qui lui paroissent peu latines, et qu’il prétend n’avoir pas été employées dans le même sens par les meilleurs Auteurs du Siécle d’Auguste. De-là il conclut que le Phedre est un Ouvrage supposé. Mais comme il y a dans chaque Auteur bien des tours et même des expressions qui lui sont propres, on pourroit par cette méthode prouver également que Ciceron n’est pas de Ciceron.

« Et cette entreprise ne seroit pas entierement nouvelle. Un Ecrivain du dernier Siécle a déjà voulu prouver que Ciceron ne sçavoit pas le Latin.

« Lorsqu’on annonça en Europe la première édition de Phedre, cette découverte d’un Manuscrit qui avoit été perdu si longtemps, parut d’abord suspecte à tous les Sçavans. Mais après avoir lû l’Edition que venoit de donner M. Pithou, il ne resta aucun doute dans les esprits. Le petit nombre d’expressions que trouve à y reprendre aujourd’hui un des plus ingénieux Critiques, est une nouvelle preuve de toute la pureté de Phedre…

« Il y a dans Phedre plusieurs traits qui dénotent clairement un Siécle poli. Qui pourroit concevoir que dans les Siécles barbares on eût peint si agréablement l’indifférence philosophique de Ménandre et ce luxe voluptueux dont on n’avoit point d’idée ? Ce que Phedre nous a dit des mœurs et du génie de Ménandre doit, {p. 165}ce me semble, nous faire regretter encore plus les Comédies de ce Poëte Grec. »

Les premières réponses, adressées à la thèse de Christ, n’empêchèrent pas qu’elle ne fût adoptée par quelques critiques. Dès l’année 1749, dans son Thesaurus linguæ latinæ, Gesner n’avait pas hésité à attribuer au philosophe épicurien, contemporain de Cicéron, le vers si discuté de Martial223. En 1772, un jésuite italien, nommé Étienne Marcheselli, alla plus loin : en s’appuyant sur des arguments que Schwabe appelle ineptes, il prétendit que les fables de Phèdre étaient l’œuvre, non d’un écrivain ancien, mais de l’archevêque de Siponte224. Quant au Phèdre cité par Martial, Ziegler, en 1788, adoptant l’opinion professée au siècle précédent par Farnaby et Schrevelius, déclarait, dans son Commentaire sur les mimes des Romains, que c’était quelque comédien plaisant225.

La lutte continua donc ; mais les partisans du fabuliste restèrent les plus nombreux. Diderot, sans se mettre en frais d’imagination, déclara que le passage de Sénèque était une pièce controuvée. « Aucun critique, dit-il, n’a tiré cette conséquence qui se présentait naturellement. »

Le Père Brotier, dans son édition des fables de Phèdre publiée à Paris en 1783, adoptant une des explications déjà fournies par quelques-uns de ses devanciers, prétendit que Sénèque avait considéré Phèdre, non comme un Romain, mais comme un Thrace, {p. 166}que c’était bien de l’affranchi d’Auguste que Martial avait parlé et qu’il était seulement regrettable que ce flatteur de Domitien l’eût qualifié de méchant homme226.

Le judicieux Père Desbillons dans son édition des fables de Phèdre, publiée à Mannheim en 1786, se fit à son tour le défenseur du fabuliste. « Vers l’année 31 de l’ère chrétienne, dit-il, alors qu’il n’était pas encore, malgré la mort de Séjan, sorti de ses misères, il écrivait à l’un de ses protecteurs, à la fin de son livre IV, qu’il était loin d’être affaibli par la vieillesse. On en peut conclure qu’il arriva facilement à la troisième année du règne de Claude, année pendant laquelle Sénèque écrivit ses Consolations à Polybe. Car, de la mort de Séjan à cette date, il ne s’était pas écoulé plus de douze ans. Dans l’intervalle, se voyant affranchi de tout péril, à quoi pouvait-il aspirer avant tout et de préférence à tout, si ce n’était à passer sa vieillesse dans les douceurs du repos ? Après avoir été assailli par tant de chagrins, et s’être par ses fables attiré une si grande infortune, pouvait-il songer à les publier ? Tout ce que nous venons de rappeler démontre assez qu’il fut d’un autre sentiment. Aussi ne faut-il pas déjà tant s’étonner que Sénèque n’ait pas connu les fables de Phèdre ou qu’il ait parlé comme s’il ne les avait pas connues… Et il n’est pas nécessaire de recourir à la pauvre raison donnée par Vossius et par les autres critiques… Car Phèdre lui-même, dans l’épilogue de son deuxième livre, établit bien qu’il est un écrivain romain227. »

Vint ensuite le savant Eschenburg, qui, dans son Manuel de littérature classique228, s’exprimait ainsi sur Phèdre : « Nonobstant le peu de connaissance que nous avons de lui et le silence de tous les anciens écrivains à son égard, on ne saurait pourtant point douter qu’il n’ait existé, comme l’a fait M. Christ qui prétendait que ses fables étaient une production moderne de Perottus au xve siècle. »

Au commencement de ce siècle, Jacobs, professeur au gymnase de Gotha, partageait le même sentiment et le motivait dans une {p. 167}dissertation savante, intitulée Lateinische Fabulisten, dans laquelle il s’exprimait ainsi sur les fables de Phèdre : « Celui qui connaît cette œuvre sait qu’elle contient plus que de simples fables, c’est-à-dire une foule de passages concernant l’auteur et ses affaires personnelles, qu’il y parle de ses adversaires et de ses amis, qu’il y raconte même plusieurs histoires du temps d’Auguste et de Tibère, comme si elles s’étaient passées sous ses yeux. Ce n’est pas un ouvrage, comme il y en a beaucoup, qu’on peut, faute de repères historiques, placer à n’importe quelle époque ; ce n’est pas une trouvaille incertaine qu’on reporte à l’antiquité par simple prédilection pour ce temps229. » Et plus loin il ajoute : « Ainsi, à en juger sur les simples inductions de la plus vulgaire vraisemblance, les doutes élevés contre l’authenticité de Phèdre ne tiennent pas230. »

Je devrais peut-être m’arrêter davantage à la dissertation de l’éminent critique. Mais, pressé de parvenir au but, je passe immédiatement à son compatriote Schwabe, et, à raison de l’autorité spéciale qui s’attache à son nom, je m’empresse de jeter un coup d’œil rapide sur les arguments par lesquels, dans son édition des fables de Phèdre, publiée en 1806, il a revendiqué pour le fabuliste romain un bien si longtemps contesté. Comme en définitive il n’a guère fait autre chose que résumer ceux qui avaient été successivement invoqués par les précédents critiques, cet aperçu aura l’avantage de les faire connaître en quelques pages231.

Le silence des auteurs latins, relativement à Phèdre, n’a, suivant Schwabe, rien qui doive étonner. Il est constant que beaucoup d’autres écrivains de l’antiquité ont eu le même sort, et, comme exemple, il cite Quinte-Curce, auteur dont aucune personne compétente ne conteste l’authenticité, et dont cependant aucun ouvrage ancien ne fait mention.

Il est vrai que Sénèque ne se borne pas à garder le silence et qu’il affirme que les Romains ne se sont jamais essayés dans l’apologue. Mais il n’est pas besoin de supposer qu’il n’a voulu parler {p. 168}que des auteurs nés à Rome pour trouver dans son langage une explication satisfaisante.

Il suffit d’adopter l’opinion fort rationnelle de Gellert, qui pense que, si Sénèque oublie Phèdre, c’est qu’il le considère non pas comme un fabuliste original, mais comme un simple traducteur des fables d’Ésope. Ce qui porte Schwabe à se rallier à cet avis, c’est que Sénèque a dû écrire ses Consolations à Polybe vers la troisième année du règne de Claude, pendant son exil dans l’île de Corse. Or, à cette époque, il ne pouvait connaître que les deux premiers livres, les seuls qui, suivant lui, fussent alors composés et publiés232, et, comme les fables qu’ils renfermaient étaient pour la plupart empruntées à Ésope, il s’ensuit qu’il a pu considérer l’apologue comme un genre de littérature étranger aux Romains.

La phrase de Sénèque ainsi expliquée, les témoignages de Martial et d’Avianus reprennent toute leur force. Contrairement à l’opinion de Christ, partagée par Gesner et Marcheselli, Schwabe ne peut admettre que Martial ait, en parlant de Phèdre, nommé le philosophe épicurien. L’ensemble de l’épigramme ne permet pas d’être d’un autre avis. Martial suppose bien que Canius peut s’occuper d’études critiques sur Claude et sur Néron ; mais il faut reconnaître qu’il n’y a pas loin de là aux allusions satiriques que, dans ses fables, Phèdre fait à Tibère et à Séjan. Quant aux mots improbi jocos Phædri, si l’on en recherche le sens, on acquiert la conviction qu’ils ne sauraient convenir au philosophe.

Pour les lui appliquer, Christ est obligé de faire de l’adjectif improbi le qualificatif du substantif jocos, et alors il suppose que Martial veut parler de ces dissertations à la fois savantes et railleuses, par lesquelles le disciple d’Épicure avait essayé de réfuter les théories des autres écoles philosophiques. Mais il faut laisser le texte tel qu’il est, et, tel qu’il est, il ne se rapporte pas à Phèdre le philosophe. Au contraire, le mot improbi appliqué au fabuliste, qu’il soit pris en bonne ou en mauvaise part, devient parfaitement rationnel. Il y a dans Phèdre des fables obscènes, qui peuvent le {p. 169}faire appeler improbus dans la mauvaise acception du mot ; il y a aussi des pensées fines, qui peuvent lui mériter la même épithète employée dans son meilleur sens.

Quant au mot jocos, il faut avouer qu’il n’est guère propre à désigner des dissertations philosophiques même moqueuses, et que les fables, si, en dirigeant l’homme, elles ont un but sérieux, sont en elles-mêmes un moyen plaisant de le conduire. La fable doit amuser : risum movet, dit Phèdre lui-même dans le prologue de son livre Ier. Partant de là, lui-même appelle ses écrits jocos et pour lui le mot jocari est presque sacramentel.

Les raisons, données par Christ pour écarter le témoignage d’Avianus, semblent à Schwabe encore plus détestables. Christ ne le rejette qu’en donnant une fausse interprétation à ces mots : « Phædrus etiam partem aliquam quinque in libellos resolvit. » Suivant lui, le mot resolvere, qu’il torture à plaisir, signifie étendre, augmenter, écrire en termes plus prolixes, tandis qu’en réalité il n’implique que l’idée de traduction, et Schwabe, cherchant dans Sénèque lui-même l’interprétation du mot en litige, extrait de sa trentième consolation à Polybe le passage suivant : « Agedum illa, quæ multo ingenii tui labore celebrata sunt, in manus sume utriuslibet auctoris carmina : quæ tu ita resolvisti, ut quamvis structura illorum recesserit, permaneat tamen gratia. Sic enim illa ex alia lingua in aliam transtulisti, ut quod difficillimum erat, omnes virtutes in alienam te orationem secutæ sint. » Resolvere, c’est donc traduire ; ce n’est pas autre chose. Il ne faut donc pas dire que la concision des fables connues soit un obstacle à ce que ce mot s’applique à leur auteur.

Il n’y a pas lieu davantage de prendre garde à l’argument basé par Christ sur ce qu’Avianus prétendrait avoir tiré ses fables de Phèdre233. Cet argument est encore appuyé sur une fausse interprétation de son texte, dans lequel on lit bien : « De his ergo usque ad quadraginta et duas in unum redactas fabulas dedi », mais qui fait allusion aux fables d’Ésope et non à celles de Phèdre. Il suffit de lire les lignes qui précèdent pour voir qu’il déclare prendre Ésope pour guide, et que, s’il parle ensuite de Socrate, d’Horace, de Gabrias et de Phèdre, c’est pour indiquer {p. 170}qu’en agissant ainsi, il suivra leur exemple. Il est même supposable que c’est avec intention qu’Avianus n’a rien emprunté à Phèdre, ne voulant sans doute pas mettre en vers élégiaques ce que ce dernier avait déjà traduit en ïambes.

Comment Christ n’a-t-il pas vu cela ? Comment, après avoir appliqué l’apostrophe de Martial à un Phèdre, qui ne s’occupait que de philosophie, a-t-il pu attribuer au même philosophe les cinq livres de fables dont parle Avianus ? Ne devait-il pas trouver au moins bien singulière cette division identique en cinq livres, adoptée par le philosophe et par l’auteur des fables connues ? Pour n’y pas voir plus clair, il fallait qu’il eût préalablement pris le parti de fermer les yeux.

À ces textes de Martial et d’Avianus, Schwabe ajoute le monument épigraphique, dont Basile Favre et Boulanger de Rivery avaient déjà fait usage, et qui consistait dans cette inscription gravée à Wissembourg en Transylvanie sur la pierre d’un ancien tombeau.

Mais il s’appuie surtout sur l’âge des manuscrits. Sans doute aucun des savants qui les avaient vus et qui en avaient attesté l’ancienneté, n’en avait donné la description ; mais leur parole devait suffire. Ne pas y croire, ce n’était pas seulement avoir à leur égard une méfiance injurieuse, c’était aussi accuser de mauvaise foi l’archevêque de Siponte lui-même, qui, auteur véritable des fables, aurait, en les attribuant dans son Epitome à un écrivain antique, joué volontairement le rôle de mystificateur.

Les fables de Romulus, qui contiennent des lambeaux de vers ïambiques, et qui, reproduites partiellement par Vincent de Beauvais, ne peuvent être plus récentes que le xiiie siècle, montrent combien cette accusation serait injuste ; car le modèle a dû précéder la copie et Perotti n’a vécu qu’au xve siècle.

Il est vrai que Christ suppose que ce qu’on appelle les manuscrits de Romulus contient non pas l’œuvre de Romulus, mais la traduction en prose de fables qu’il avait auparavant traduites en vers latins, ce qui explique qu’on y trouve des fragments d’ïambes. Mais cette supposition est une pure fantaisie que rien ne justifie.

Enfin, dit-il, procédant encore comme Boulanger de Rivery, qu’on examine les fables en elles-mêmes ; on y trouvera quelques taches, que l’altération du texte primitif expliquera facilement ; {p. 171}mais la pure latinité du siècle d’Auguste s’y révèle partout. Elles respirent en outre une connaissance des temps et des lieux, qu’un ancien seul pouvait avoir. Qu’on lise, par exemple, la fable v du livre II : la belle peinture des ardélions, cet esclave court vêtu de l’atrium, cette description de la villa impériale de Misène, tout ce qu’on y trouve enfin n’a pu sortir que de la plume d’un auteur contemporain de Tibère.

Telle est en résumé la réponse de Schwabe. Elle réfutait assez victorieusement tous les arguments des adversaires de Phèdre, pour ne plus laisser de doutes ni sur l’ancienneté des fables, ni sur la personnalité de leur auteur. Cependant il considérait avec raison que la question ne serait pas définitivement tranchée, tant que des preuves matérielles n’auraient pas été produites. Il avait bien déjà à cet effet publié un fac-simile de l’écriture du manuscrit de Reims ; mais il l’avait copié sur le mauvais spécimen qui figure dans le Spectacle de la nature234, et nous savons que l’abbé Pluche lui-même l’avait reproduit, non d’après l’original, mais d’après une copie, qui lui en avait été envoyée par dom Le Vacher, bibliothécaire à l’abbaye de Saint-Rémi. Il aurait donc voulu retrouver au moins un des deux manuscrits connus qui restaient encore. Il raconte lui-même quelles démarches il fit faire dans ce but par un savant antiquaire français, Ch. Millin, qui, si le manuscrit de P. Pithou se retrouvait dans la bibliothèque de l’ancien président du Parlement de Paris, devait en faire une étude spéciale destinée à être publiée avec un fac-simile de l’écriture. Malheureusement il fut avisé par Ch. Millin « que le manuscrit était perdu, et qu’il avait échappé à toutes les recherches ».

À défaut de ce manuscrit, il était possible de voir celui de Daniel qui était alors à Paris à la Bibliothèque impériale ; mais, ignorant sans doute cette circonstance, il n’y eut pas recours.

N’espérant plus se procurer les éléments de preuve que les manuscrits lui auraient fournis, il passa outre et rédigea la dissertation dont j’ai donné l’analyse.

Publiée à Brunswick, en 1806, dans sa seconde édition des fables de Phèdre, elle atténua les doutes, mais ne les dissipa pas entièrement. Les savants allemands surtout semblèrent systématiquement {p. 172}décidés à ne pas ajouter foi à l’ancienneté d’une œuvre, qui peut-être avait un peu à leurs yeux le tort d’avoir été découverte par un Français. Ainsi, en 1807, Frédéric Hülsemann n’hésitait pas à dire, en parlant des fables : « C’est à peine si nous en lisons une sous sa forme primitive ; toutes en effet ont été refondues par Perotti235. »

Néanmoins la dispute aurait peut-être cessé. Mais la découverte du manuscrit de Perotti, qui eut lieu en 1808, donna à la discussion une vivacité nouvelle plus tard attestée par le savant Daunou236.

« À l’égard de Phèdre, écrivait Eichstædt en 1812, j’ai toujours pensé qu’il fallait plutôt s’en tenir aux arguments victorieux et aux ingénieux raisonnements de Christ qu’aux pauvretés de ses adversaires237. »

« En 1813, dit M. Fleutelot238, Docen, reprenant la thèse de Scriverius et de Christius, fit remarquer que plusieurs vers de Phèdre étaient imités de Martial, et, comme Perotti avait commenté Martial, il n’était pas étonnant, disait Docen, qu’on trouvât dans les poésies de l’archevêque de nombreuses réminiscences de son auteur favori.

Phèdre. — Aper fulmineis ad eum venit dentibus.
Martial. — Fulmineo spumantis apri sum dente perempta.

 

Phèdre. — Particulo, chartis nomen victurum meis.
Martial. — Si victura meis mandantur nomina chartis.

« On doit savoir gré à Docen d’avoir indiqué ces rapprochements ; car ils prouvent que Martial s’était involontairement attribué quelques expressions de l’improbus Phædrus. Du reste, Docen, avec son bon sens et son impartialité, ajoutait que la question serait une fois tranchée, si l’on savait au juste à quoi s’en tenir sur les trois manuscrits de Phèdre, celui de Pithou, {p. 173}celui de Reims, celui de Daniel ; si des juges compétents pouvaient prononcer en dernier ressort sur l’âge et la nature de ces manuscrits. Il regrettait que ces pièces importantes du procès fussent perdues. »

Elles furent enfin retrouvées. L’édition que Schwabe avait publiée en 1806, fut rééditée par le professeur Gail, en 1826, dans la Collection des classiques latins de Lemaire, avec des notes de Barbier, dont l’une239 indiquait que le manuscrit de Pithou existait dans la bibliothèque de M. Le Peletier de Rosanbo, fils de l’ancien président du parlement de Paris, et bientôt après l’Allemand Gœttling écrivit qu’il avait feuilleté au Vatican le manuscrit de Daniel.

Schwabe, ayant, par les notes de Barbier, appris qu’on savait enfin où était celui de Pithou, ne voulut pas que les preuves matérielles qu’il devait fournir demeurassent plus longtemps dérobées aux regards.

Octogénaire, il était trop vieux pour pouvoir donner lui-même satisfaction à son désir : il sollicita vivement M. Hase de publier le manuscrit. Celui-ci, trop affairé pour se charger de cette tâche, la confia à M. Berger de Xivrey. J’ai assez parlé de son édition diplomatique pour n’avoir pas besoin de redire ce qu’elle renferme : par sa préface, dans laquelle il a donné sur le manuscrit, sur son état, sur sa forme et sur son âge les détails les plus précis, par le texte qu’il en a fidèlement reproduit avec toutes les fautes du copiste, par le fac-similé de l’écriture qu’il a ajouté à la fin de son travail, il a enfin fourni aux sceptiques ces preuves matérielles, que Schwabe, malgré toute sa persévérance, n’avait pu leur procurer. Le savant Daunou, dans l’article qu’il a consacré à cette édition et qui a paru dans le Journal des savants au mois de décembre 1830, lui a rendu sur tous ces points l’hommage à la fois le plus honorable et le plus mérité.

Après M. Berger de Xivrey, M. E. Panckoucke, malgré toutes les erreurs que j’ai signalées dans son édition, a eu le mérite d’y joindre un second document, destiné aussi à parler aux yeux des sceptiques : il a publié le fac-similé de l’écriture du manuscrit de Reims, que dom Vincent avait exécuté sur papier transparent pour {p. 174}M. de Foncemagne. Ce fac-similé, attaché par un fil à la première page d’un exemplaire du Phèdre de Rigault imprimé par Robert Estienne240, est aujourd’hui entre mes mains, et je puis affirmer qu’il a été exactement reproduit dans l’édition Panckoucke.

Lorsque parut la publication de M. Berger de Xivrey, le vieux Schwabe existait encore ; il eut, avant sa mort, la consolation d’assister au triomphe de la cause à laquelle il avait consacré sa vie.

Personne ne songea plus à élever de doutes sur l’ancienneté des fables de Phèdre, et les philologues ne mentionnèrent plus la discussion que pour faire ressortir davantage la puissance des arguments victorieux.

Il s’en rencontra un pourtant, qui essaya de faire revivre la question définitivement résolue : je veux parler de M. Édélestand du Méril, qui a été un philologue très instruit, mais aussi très porté par une imagination trop vive à inventer d’aventureuses hypothèses. Quoique sa dissertation sur Phèdre n’ait pas réussi à émouvoir le monde savant, je vais la faire connaître.

C’est dans son Histoire de la fable ésopique241 qu’il a, en la motivant, indiqué son opinion. Il admet en partie ce que les discussions antérieures avaient démontré : Schryver et Christ, il le reconnaît, se sont trompés en prétendant que Phèdre n’avait pas existé, que les fables, attribuées à cet auteur, suivant eux, imaginaire, n’étaient pas une œuvre ancienne, et qu’elles étaient dues à la plume presque moderne de Perotti.

Voici d’abord comment il apprécie le fameux passage de Sénèque :

« Le silence des anciens sur Quinte-Curce, Velleius Paterculus, les Astronomiques de Manilius et les Nuits attiques, n’autorise point non plus, dit-il, à supposer sans témoignage d’aucune sorte l’existence de fabulistes tombés dans le même oubli : il ne s’agit pas ici seulement d’une réticence peu significative en elle-même ; c’est une assertion formelle, complètement désintéressée, et par le temps où il écrivait et la ville qu’il habitait, par son opulence et l’éclat de sa fortune littéraire, l’écrivain de qui nous la tenons devait {p. 175}être mieux renseigné qu’aucun autre. L’auteur dont les fables nous sont parvenues n’était pas d’ailleurs un de ces écrivains obscurs dont le nom et les œuvres pouvaient se dérober aux recherches d’un simple amateur, plus vieux que lui seulement de quelques années : la vanité elle-même a ses bornes, et il disait dans un de ses prologues si remplis de détails historiques :

Mihi parta laus est, quod tu, quod similes tui,
Vestras in chartas verba transfertis mea
Dignumque longa judicatis memoria.

Ce n’est pas là une de ces vagues assertions si familières aux poètes, et plusieurs passages moins vaniteux ne permettent pas de douter que, du vivant même de l’auteur, la plupart de ses apologues n’eussent au moins acquis une certaine notoriété242. »

Ainsi, d’une part M. du Méril n’admet pas que Sénèque ait pu se tromper, et d’autre part il lui paraît constant qu’il existait alors un fabuliste nommé Phèdre. Comment explique-t-il cette contradiction apparente ? Très simplement : oui, Phèdre a existé ; oui, il a été l’affranchi d’Auguste ; oui, il a été le contemporain de Sénèque ; oui, Sénèque a connu ses fables. Mais il n’en a pas parlé, parce que Phèdre, Macédonien d’origine, les a écrites dans la langue de son pays.

Le genre même qu’il avait adopté montre que c’est à la littérature grecque qu’il avait demandé ses inspirations ; car la fable était, suivant l’aveu même de Sénèque, un genre inconnu aux Romains, et cela s’explique aisément : elle a été, à leur enfance, la première littérature des peuples, comme elle est aujourd’hui, à son enfance, la première littérature de l’homme. Elle a précédé l’art de l’écriture, et c’est d’abord par la tradition qu’elle s’est conservée. Née dans l’Inde, elle.se trouve dans les plus anciens monuments de la langue sanscrite. Elle a passé ensuite chez les peuples sémitiques ; les contes arabes, qu’on peut considérer comme des apologues, portent la trace de leur origine indienne. Elle pénétra également dans la Grèce héroïque : Ésope, qui sans doute ne savait pas écrire, ne fit qu’appliquer aux circonstances de la vie usuelle les apologues que la tradition lui avait fait connaître ; {p. 176}il se bornait en général à un simple récit, sans en déduire la conclusion qui ressortait du fait lui-même. Il ne dut sa popularité qu’à l’habileté, avec laquelle il savait se servir du fonds commun. Ce ne fut que longtemps après sa mort que ses fables s’écrivirent et que, pour leur donner une application plus étendue, on y ajouta une conclusion morale, qui les transformait en véritables maximes. C’est ainsi que la fable devint un des éléments de la littérature grecque.

Mais Rome, quoi qu’ait pu chanter Virgile, ne remontait pas aux temps héroïques, et la fable était un élément trop primitif pour convenir à la civilisation du peuple romain. Dans les premiers âges de son histoire elle avait été quelquefois employée : Ménénius avait raconté au peuple irrité contre le Sénat l’apologue des membres et de l’estomac ; Ennius et les poètes comiques avaient fait quelques allusions rapides aux fables ésopiques ; on en trouve quelques-unes dans Horace ; enfin, à la tribune aux harangues et au barreau, les orateurs s’en étaient servis quelquefois pour donner un corps à leur pensée. Mais elles avaient toujours été un moyen dédaigné, auquel les Romains n’avaient recouru que dans de très rares circonstances.

Ne rencontrant dans la littérature latine aucun devancier qui pût le guider, Phèdre ne se borna pas à emprunter à la Grèce le genre, dans lequel il voulait s’exercer : Grec lui-même, il dut être naturellement porté à en adopter la langue et la prosodie.

Si cela est vrai, comment alors ses fables grecques nous sont-elles parvenues sous la forme d’ïambes latins ? Telle est la question que M. du Méril se pose et qu’il s’empresse de résoudre.

Il paraît qu’à Rome, dans les écoles publiques, les maîtres recouraient à des procédés d’éducation encore aujourd’hui appliqués. Ils collectionnaient les versions les mieux réussies de leurs élèves. C’était à la fois une satisfaction pour le professeur et un encouragement pour les enfants qu’il était chargé d’instruire. Ces procédés avaient été recommandés par Quintilien dans les termes suivants : « Igitur Æsopi fabellas, quæ fabulis nutricularum proxime succedunt, narrare sermone puro et nihil se supra modum extollente, deinde eamdem gracilitatem stylo exigere condiscant : versus primo solvere, mox mutatis verbis interpretari ; tum paraphrasi audacius vertere, qua et breviare quædam et exornare, {p. 177}salvo modo poetæ sensu, permittitur. Quod opus, etiam consummatis professoribus difficile, qui commode tractaverit cuicumque discendo sufficiet243. » Sénèque, dans sa trentième consolation à Polybe, lui avait à peu près donné les mêmes conseils. Les fables de Phèdre, par leur dimension restreinte, se prêtaient admirablement à l’exercice ainsi recommandé. Phèdre les avait écrites en vers ïambiques peu usités dans la prosodie latine. Les écoliers, en les traduisant en vers, conservaient dans leur traduction le rythme de l’original, et la meilleure traduction était portée ensuite sur le cahier d’honneur.

De là vint cette collection de fables latines qu’on attribue à Phèdre, et qui ne sont que la traduction de son œuvre grecque.

Est-ce là une hypothèse fantaisiste ? Non ; la forme grecque conservée au nom de Phèdre, telle qu’elle se trouvait sans doute en tête de ses fables ; ces lacunes qu’offrent les manuscrits et qui, aucun feuillet ne manquant, ne peuvent provenir que des traductions jugées indignes du cahier d’honneur ; ce vers Phædri libellos legere si desideras, qui révèle une main étrangère à l’auteur lui-même ; cet emprunt fait au Télèphe d’Ennius :

Palam mutire plebeio est piaculum,

emprunt contraire aux habitudes de tout auteur qui se respecte ; cette imitation du style de Térence qui avait vécu deux siècles avant Phèdre, et dont la langue ne se parlait plus que dans les écoles ; ces imitations de quelques passages de Martial qui n’écrivit qu’après lui ; cet ïambe presque prosaïque, qui ne se rencontre chez aucun poète latin ; ces nombreuses inégalités de style que Pithou lui-même avait aperçues et corrigées, tout en un mot démontre que les fables que nous possédons ne sont pas l’œuvre originale de Phèdre.

C’est une traduction presque aussi vieille que le texte grec ; mais c’est une traduction.

Mais alors où est le texte grec ? Il a disparu, répond M. du Méril, et il ne faut pas s’en étonner ; car Phèdre a eu le sort de bien d’autres auteurs, dont les œuvres ne nous sont pas parvenues. {p. 178}Plutarque et Nicostrate n’avaient-ils pas, comme lui, composé des fables grecques qui sont entièrement perdues ?

La vérité ainsi rétablie, tous les textes s’expliquent sans peine. Les témoignages de Martial et d’Avianus ne sont plus en contradiction avec celui de Sénèque. L’ambiguïté disparaît de ce passage si tourmenté par les critiques : « Quas [Æsopi fabulas] græcis iambis Babrius repetens in duo volumina coarctavit ; Phædrus etiam partem aliquam quinque in libellos resolvit. » Phèdre n’a pas, selon l’interprétation de Schwabe, traduit le vieil Ésope ; il n’a pas non plus, comme le prétend Christ, développé en cinq livres une partie de son œuvre. « Resolvere, dit-il, ne peut évidemment signifier ici, ni mettre en prose, ni développer des fables ; c’est donc une simple opposition à coarctavit, qui indique seulement un recueil plus considérable que celui de Babrius, et, comme l’exprime etiam, comme le ferait déjà supposer le petit nombre de fables qui leur sont communes, Phèdre s’était sans doute ainsi que Babrius servi de l’ïambe grec. »

Ici, s’appuyant sur l’édition diplomatique de M. Berger de Xivrey, M. du Méril cherche à en tirer, au profit de sa thèse, un nouvel argument. Dans le manuscrit de Pithou, auquel aucun feuillet utile ne manque, le texte est divisé en quatre livres ; or, si c’était l’œuvre de Phèdre, il serait, comme Avianus l’atteste, divisé non en quatre livres, mais en cinq. Mais j’ai démontré que M. Berger de Xivrey s’était trompé, et l’argument que M. du Méril tire de sa publication, manque de base.

À part cette erreur de détail et quelques autres auxquelles je ne veux pas m’attarder, faut-il admettre le moyen terme, la théorie éclectique hardiment jetée par M. du Méril entre les opinions les plus opposées ? C’est sans la moindre hésitation que je réponds négativement.

Phèdre était Macédonien, c’est vrai ; mais c’est encore enfant qu’il était arrivé à Rome ; la langue romaine était devenue sa langue naturelle, et, comme ses fables s’adressaient aux Romains dont il voulait corriger les mœurs, il est évident qu’il n’avait pas pu songer à écrire en grec.

Sans doute la fable ésopique était étrangère aux Romains, et son origine explique qu’il ait emprunté à la littérature grecque un genre auquel un Romain n’aurait peut-être pas pensé. Mais ce n’est {p. 179}pas une raison pour en conclure qu’il avait composé ses fables dans la langue de son modèle. Importateur d’un genre nouveau, il avait dû, pour le vulgariser, se servir de la langue latine. C’est d’ailleurs ce que dit expressément Avianus, et, quand M. du Méril reconnaît avec raison que le mot resolvere ne signifie ni mettre en prose, ni développer, et signale ainsi l’erreur de Christ, il en commet une autre à peu près semblable, en disant que par le mot resolvere Avianus a voulu indiquer un recueil plus considérable que celui de Babrius. Car, encore une fois, resolvere signifie traduire.

Le passage de Quintilien, cité par M. du Méril, est également mal interprété par lui. Jannelli, qui, ainsi que d’autres érudits, l’avait commenté avant lui, admet bien qu’il puisse s’appliquer à l’œuvre de Phèdre ; mais il fait observer judicieusement que Quintilien parle non de traductions proprement dites, mais de ces paraphrases, qui consistent à mettre en prose un texte d’abord écrit en vers, dont les ïambes phédriens auraient pu être la base, et qui n’auraient pu leur donner naissance244.

Quant aux preuves matérielles tirées des fables elles-mêmes, il faut avouer qu’elles sont peu convaincantes.

Les ïambes adoptés par Phèdre ne lui sont pas spéciaux ; la forme grecque conservée à son nom n’est pas le seul exemple qu’on trouve de cette anomalie, et d’ailleurs il est au contraire supposable que, si ses œuvres avaient été traduites par des écoliers, ils auraient traduit son nom comme le reste ; nous le connaîtrions aujourd’hui sous le nom de Phæder ; les lacunes observées laissent subsister des fragments de fables ; ce qui ne s’expliquerait pas s’il s’agissait de corrigés ; car le maître n’aurait pas porté sur le cahier d’honneur des fragments de fables ; il se rencontre aussi des fables licencieuses qui n’existeraient pas ; les maîtres n’auraient pas voulu les laisser traduire. Il n’y a rien d’étonnant à ce que Phèdre ait une fois parlé de lui à la troisième personne ; le vers latin tiré d’Ennius n’a pu entrer que dans une poésie latine ; un poète qui se respecte peut citer un autre poète : Regnard a emprunté plus d’un vers à Molière ; le style de Térence {p. 180}s’explique dans les écrits d’un affranchi grec, qui, instruit dans les écoles, avait dû moins que les Romains eux-mêmes adopter les nouvelles formes de leur langage ; Martial, qui connaissait Phèdre, a pu imiter quelques-uns de ses vers ; enfin les imperfections qui se rencontrent dans les fables n’auraient pas existé dans des corrigés qui devaient être exempts de fautes, et ne s’expliquent que par l’incurie ou l’ignorance des copistes du moyen âge.

Ainsi aucun argument de M. du Méril n’est concluant ; au contraire, si, comme lui, on s’attache au texte, on y trouve la preuve irrécusable que Phèdre fut un auteur latin ; c’est lui-même qui le déclare en ces termes dans l’épilogue du livre II :

Quod si labori faverit Latium meo,
Plures habebit quos opponat Græciæ.

Et pour qu’on n’en doute pas, il le répète encore, lorsque dans le livre IV il dit à Particulon :

                         Quare, vir sanctissime,
Particulo, chartis nomen victurum meis,
Latinis dum manebit pretium litteris.

M. du Méril passe ces textes sous silence ; il est trop instruit pour les ignorer ; mais il comprend qu’il lui serait impossible de les mettre en harmonie avec sa thèse.

Sans doute elle est séduisante ; elle fournit un moyen commode de concilier la phrase de Sénèque avec l’existence de Phèdre attestée par Martial et par Avianus ; mais, quelque regret qu’on en ressente, on ne peut sérieusement l’accueillir. Aussi n’a-t-elle pas eu le pouvoir de rouvrir un débat qui n’avait que trop longtemps duré.

On connaît maintenant les discussions auxquelles a donné lieu l’authenticité des fables anciennes. Ce qui en ressort, c’est que Phèdre fut l’auteur des fables qui portent son nom, qu’affranchi d’Auguste il les écrivit sous les règnes de ses successeurs, qu’il les composa en ïambes latins, et que, si Sénèque, son contemporain, a, dans une phrase inexplicable, implicitement nié tous ces faits, ils ne doivent pas moins être considérés comme entièrement conformes à la vérité.

{p. 181}
Section II.
Fables nouvelles. §

Les fables nouvelles ont eu le même sort que les anciennes ; elles sont passées par les mêmes péripéties, avec cette différence pourtant qu’aujourd’hui l’incertitude à leur égard n’a pas aussi bien disparu. Il importe donc de ne plus, en ce qui les concerne, se borner à retracer l’histoire des discussions dont elles ont été l’objet, et d’examiner doctrinalement le degré de confiance qu’elles doivent inspirer.

Prévoyant les doutes qui ne manqueraient pas de les accueillir, Jannelli, en même temps qu’il en préparait la publication, avait, ainsi que je l’ai expliqué, rédigé, pour en démontrer l’authenticité, trois dissertations fort savantes et malheureusement peu connues.

Je ne m’occuperai que de la seconde ; c’est celle dans laquelle sont formulés les principaux arguments. Elle se divise en deux parties.

Dans la première est traitée la thèse suivante : Fabulatorum qui ab Augusti ævo ad Perotti usque ætatem floruerunt, nemo ullus, præter Phædrum, Fabellarum novarum Auctor haberi potest ; en tête de la seconde, la thèse à discuter est ainsi formulée : Singillatim argumenta afferuntur quibus Phædrum revera Fabellarum novarum Auctorem habendum esse demonstratur.

Je suis trop pressé d’en finir pour exposer les arguments à l’aide desquels il cherche à démontrer qu’aucun auteur autre que Phèdre n’a pu écrire les fables nouvelles. Je me hâte de parcourir ceux par lesquels il prétend établir qu’en réalité c’est bien Phèdre qui les a composées.

1º Les fables, s’occupant des mœurs, des institutions et de la religion, doivent en être le reflet. Les nouvelles fables qui parlent de Jupiter, de Mercure, de Junon, de Vénus, de Castor et de Prométhée, doivent nécessairement se rapporter à une époque où ces divinités étaient encore en honneur ; rappelant les oracles et les peines du Tartare, elles doivent être contemporaines de ces croyances ; enfin, si elles font allusion à l’esclavage et aux jeux du {p. 182}cirque, c’est qu’elles ont été écrites dans un siècle où ils étaient encore en usage. Pour retrouver un tel état social, il faut remonter plus haut que le règne de Constantin, et avant lui quel autre que Phèdre a pu écrire les fables nouvelles245 ?

2º La fable De Pompeio magno et ejus milite se réfère à un fait trop peu important, pour qu’on ait pu longtemps s’en souvenir ; Phèdre, qui vivait sous Auguste, peut seul l’avoir connu246.

3º La fable De oraculo Apollinis ne peut être aussi que de Phèdre ; elle n’est pas écrite dans un esprit d’incrédulité ni de moquerie. Or le prestige de la Pythie ne survécut pas à son temple que Néron fit impitoyablement détruire. Juvénal, qui vivait sous Domitien et sous Trajan, fait l’allusion suivante à la disparition de l’oracle de Delphes :

..... Quoniam Delphis oracula cessant,

et Porphyrius sous Sévère développe la même pensée en ces termes :

Ablata est Pythii vox haud revocabilis ulli
Temporibus longis, etenim jam cessit Apollo247.

4º On trouve dans les fables nouvelles l’élégance, la finesse, l’habileté, la pureté et la concision qui font les principales qualités des anciennes. Sous ces rapports elles sont les mêmes ; or il est, suivant Sénèque lui-même, très malaisé de refaire exactement ce qui a été déjà fait. On y trouve, sur le destin, sur la pauvreté, sur la fortune, des idées identiques qui ne peuvent avoir été conçues que par le même auteur. Il est vrai qu’après avoir, dans les fables anciennes, fait l’éloge de la littérature grecque, il traite, dans les nouvelles, les Grecs de gens loquaces. Mais, comme il a rendu hommage à leurs qualités, il est naturel qu’il signale aussi leurs défauts, et que, se considérant comme un auteur latin, il ne prenne pas, pour les dire, de bien grandes précautions248.

5º Comme dans les fables anciennes, on rencontre dans les nouvelles {p. 183}des anecdotes, telles que celle de Pompée et de son soldat249.

6º Ésope, souvent mis en scène dans les anciennes, reparaît plus souvent encore dans les nouvelles, et, hormis Phèdre, aucun fabuliste n’a recouru à ce procédé littéraire250.

7º Phèdre, dans ses fables anciennes, emploie quelquefois des expressions abstraites, et leur fait jouer le même rôle que si elles étaient concrètes ; ainsi, pour ne citer qu’un exemple, il dit dans les anciennes fables :

Gulæque credens colli longitudinem,

et dans les nouvelles on lit :

Traxitque ad terram nasi longitudinem.

C’est encore là une forme de langage qui n’est familière à aucun autre poète de son époque251.

8º Lorsque les lettres latines furent tombées en décadence, les fables ésopiques furent considérées comme se prêtant mieux que les autres monuments anciens à l’instruction de la jeunesse. Mais les maîtres ne respectèrent pas le texte de Phèdre. Ils le transformèrent, donnant une forme plus intelligible à ce qui leur semblait trop difficile à saisir, plus claire à ce qui leur semblait trop obscur, et surtout plus explicite à ce qui leur semblait trop concis. De là sortit un genre tout nouveau de fables composées en prose. L’ensemble en était grossier ; mais dans les détails on apercevait des lambeaux de vers, disjecti membra poetæ. Deux collections de ces fables en prose attribuées à deux Romulus furent publiées, l’une par Rimicius ou plutôt Rinucius Tettalus vers le milieu du xve siècle, l’autre par Nilant au commencement du xviiie avec des fables plus anciennes qu’il adjuge à un auteur anonyme. Salon de Parme252 enfin en composa également soixante. Toutes ces collections ne contiennent que des fables de Phèdre un peu transformées. Or, comme on y retrouve les sujets de huit des fables nouvelles, il est indubitable que Phèdre en est l’auteur ; quant aux autres, {p. 184}douées davantage encore de ses qualités, elles doivent aussi lui appartenir253.

9º La dédicace de Perotti lui attribue d’ailleurs les fables nouvelles :

Non sunt hi mei quos putas versiculi,
Sed Æsopi sunt, et Avieni, et Phædri.

Il est évident qu’Ésope n’a pu les écrire, et que Perotti ne le cite que comme la source à laquelle ont puisé Phèdre et Avianus, et ce n’est qu’à ce titre qu’il peut considérer le vieux Phrygien comme étant l’auteur des fables contenues dans son recueil.

Toutes les fables d’Avianus sont connues ; il n’en a écrit, de son propre aveu, que quarante-deux, et dans aucune l’ïambe n’est employé. Il ne reste donc plus que Phèdre254.

10º L’assertion d’Avianus, qui déclare que Phèdre n’a composé que cinq livres, ne prouve rien. Phèdre ne les publia que les uns après les autres, et peut-être, alors qu’ils étaient plus nombreux, Avianus n’en a-t-il connu que cinq. Mais il est probable que les cinq livres que nous possédons nous sont parvenus incomplets. Tels sont notamment le deuxième et le cinquième qui ne devaient pas être aussi courts. Phèdre lui-même nous apprend qu’il ne s’était pas contenté de mettre en œuvre la matière laissée par Ésope :

Ego porro illius semitam feci viam,
Et cogitavi plura quam reliquerat.

Or nous ne connaissons guère de Phèdre que 90 fables. Quand il s’inspira d’Ésope, la matière connue de son devancier était considérable, et, comme il l’a employée, sinon tout entière, au moins en très grande partie, il faut en conclure que toutes ses compositions ne nous sont pas parvenues.

Les lacunes qu’elles présentent sont au surplus prouvées par les interprétations en prose, écrites au moyen âge. On y trouve beaucoup de fables qui ne figurent pas dans les manuscrits connus de Phèdre, mais qui trahissent la même origine. Aussi Gude et Burmann se sont-ils ingéniés à les rétablir en vers ïambiques.

Les fables elles-mêmes portent les traces de leurs lacunes. {p. 185}Après la fable xiii du livre IV, il y en a une qui saute aux yeux : le prologue du livre V, qui se termine par ce vers :

Sed jam ad Fabellam talis exempli feror,

est suivi d’une fable qui ne s’y rapporte pas ; celle qui en était la mise en action est absente.

Le manuscrit de Pithou offrait des pages déchirées au milieu et à la fin. En manquât-il seulement sept ou huit, que cela suffirait pour qu’il eût contenu les fables nouvelles.

Enfin, soit par l’injure du temps, soit par l’audace des grammairiens et des pédagogues, les fables de Phèdre ne nous sont parvenues qu’à l’état de morceaux choisis, et les manuscrits mêmes montrent que leur classement ne peut provenir de l’auteur.

De tout cela il ressort que, pour lui attribuer les fables nouvelles, il n’est pas nécessaire de supposer qu’il écrivit plus de cinq livres, et qu’au contraire y trouvant naturellement leur place, elles en sont l’indispensable complément255.

11º Elles présentent des expressions, des alliances de mots, des tours de phrase, qui ne se rencontrent pas dans les autres auteurs latins. Mais toutes les formes de langage, usitées à Rome, ne nous sont pas connues, et, si l’on pouvait lire tout ce qui a été perdu des œuvres d’Ennius, de Lucile, de Caton, de César et des autres auteurs, on observerait sans doute le même phénomène. Ces particularités qu’on remarque dans Phèdre, ne s’écartent pas d’ailleurs des règles de la syntaxe latine256.

12º C’est précisément parce que les écrivains plus récents, ne rencontrant pas ces particularités dans les ouvrages connus des anciens, n’ont pas pu les reproduire, que l’origine antique en est incontestable.

Elles ont dû, il est vrai, n’être pas ignorées des auteurs qui furent les contemporains de Phèdre, ou qui le suivirent à Rome, et l’on devrait les retrouver dans leurs écrits. Mais chaque écrivain éminent n’a-t-il pas son cachet et n’est-ce pas par là qu’il reste inimitable257 ?

13º Enfin, relativement aux imperfections indignes de Phèdre, {p. 186}il faut se rappeler que ses fables ne sont pas arrivées sans altérations jusqu’à nous. Les passages remarquables prouvent même qu’il ne peut être responsable de ceux qui sont défectueux. Les fautes qui nous choquent, il faut les attribuer non pas aux simples copistes, mais aux grammairiens et aux pédagogues. Les premiers ont transposé, redoublé ou supprimé des lettres, mais cela n’a pas altéré le texte. Les seconds ont transposé, changé ou corrompu des mots entiers, et il en est résulté des taches qui le déparent.

Quintilien avait conseillé d’employer les fables ésopiques dans l’enseignement scolaire ; il considérait comme excellent l’exercice qui consistait à les faire mettre en prose et paraphraser par les élèves, et il est probable que, lorsqu’il engageait les maîtres à user de ce procédé, c’était dans sa pensée les fables de Phèdre qui devaient leur en fournir les moyens. Elles durent donc peu de temps après sa mort être employées à cet usage. Puis il se continua au moyen âge. Mais, dans ce temps d’ignorance, les maîtres n’avaient qu’une instruction relative, et, en voulant les rendre plus intelligibles à leurs élèves, ils y firent des changements maladroits, qui les déparent, mais qui ne les empêchent pas d’être l’œuvre de Phèdre258.

Tels étaient les arguments par lesquels Jannelli avait établi l’authenticité des fables nouvelles. En les lançant dans le monde littéraire, il leur avait donné un certificat d’identité assez en règle pour les croire à l’abri de tous les soupçons. Malheureusement l’esprit de scepticisme rendit sa précaution presque inutile. À peine, depuis la publication de ses trois dissertations, une année s’était-elle écoulée qu’en France l’ancien oratorien, nommé Adry, dans un opuscule aussi pauvre par la forme que par le fond259, exprima sur l’authenticité des fables nouvelles des doutes, qui jetèrent le trouble dans toutes les consciences.

Il importe donc d’examiner les raisons sur lesquelles ils étaient fondés. Je les réfuterai une à une.

1º Il commence par prendre à la lettre les deux vers de Perotti :

Non sunt hi mei quos putas versiculi,
Sed Æsopi sunt, et Avieni, et Phædri.

{p. 187}Suivant lui, Perotti affirme qu’il a puisé à trois sources : Ésope, Avianus et Phèdre ; comme on donnait, en général, au moyen âge le nom d’Ésope aux collections de fables latines en prose, il a dû par Ésope vouloir désigner Romulus. Il faudrait donc admettre que les trente-deux fables nouvelles seraient des fables de Romulus que Perotti aurait traduites en ïambes latins ; mais le langage de Perotti ne permet pas de faire cette supposition.

2º Adry prétend ensuite qu’elles n’ont pas toutes l’élégance du style de Phèdre, et, au lieu de le démontrer, il se borne à citer l’opinion suivante, que Heyne formulait lui-même, au mois de mai 1811, dans une lettre datée de Göttingen et adressée à Cassitto : « De ipso autem fortunæ munere, ita statuo, profectum quidem illud esse ab aliquo viro docto ex superioribus ætatibus, Phædri quidem æmulo, ingenio tamen et sermonis castitate, proprietate et elegantia multum inferiore, fabulæ quoque Æsopiæ non satis perspectam habente indolem. Vel sic tamen dignum fragmentum esse arbitror quod inter ceteram fabularum farraginem aliquo loco sit habendum. »

Ici donc, c’est non sur son sentiment personnel, mais sur l’appréciation d’autrui qu’il se fonde. Mais d’abord, le savant allemand reconnaît que l’auteur est un ancien, un émule de Phèdre ; c’est déjà beaucoup, et, s’il ne va pas plus loin, il est évident que c’était la faute de Cassitto, qui, ayant rempli à la hâte dans sa première édition les lacunes du manuscrit, avait soumis à Heyne un texte profondément altéré. Il est vrai que ses leçons étaient imprimées en lettres italiques ; mais, dans la précipitation qui avait présidé à la publication, cette précaution avait été très mal observée. Il en résulte que, si, au lieu de lire les fables nouvelles dans la première édition de Cassitto, Heyne les avait examinées dans celle de Jannelli, il n’aurait pas hésité à déclarer que ces fables, dont il reconnaissait d’ailleurs l’ancienneté, étaient bien l’œuvre de Phèdre.

3º Adry avoue bien « qu’on y trouve quelques expressions familières à Phèdre » ; seulement il se hâte d’en tirer une conclusion contraire à l’authenticité : « Sans doute, dit-il, il ne s’est pas volé lui-même. » Une pareille raison révèle le parti pris. Si c’est parce qu’elles ressemblent aux anciennes qu’elles ne doivent pas être du même auteur, il n’aurait pas fallu commencer par baser les doutes sur ce qu’elles en diffèrent.

{p. 188}4º C’est, suivant Adry, une opinion hasardée que de prétendre « que depuis Phèdre jusqu’à Perotti inclusivement on ne trouve personne qui ait été capable de composer les nouvelles fables ». Mais, pour démontrer qu’avant Perotti d’autres que Phèdre ont pu les écrire, il ne découvre pas d’autres exemples à citer que l’Éloge de la ville de Gênes, la Description de la vie champêtre, et le Tableau de la tyrannie de Nicolas de Clémengis.

5º Après ces critiques générales, Adry examine isolément chaque fable.

Il accuse de dureté le dernier vers de la première fable, qui, à la fois altéré et en partie illisible dans le manuscrit, avait été par Jannelli restitué ainsi :

Quam parvam quamvis partem impertiar tibi.

Qu’on transpose les mots parvam et partem, et que, à l’exemple de Jannelli, on substitue impertiar à impartiar, le vers, selon Adry, sera toujours entaché de la même cacophonie. J’admets qu’il vaudrait mieux que la syllabe par n’y figurât pas trois fois ; mais avouons que c’est là une de ces petites fautes d’élégance que Phèdre a très bien pu commettre.

Adry reconnaît que la fable iii, Auctor, n’est pas indigne de Phèdre. « Mais, dit-il, ce n’est point un apologue. » Or, c’est là un reproche qui pourrait s’adresser à plus d’une ancienne.

Il trouve absolument ridicule la fable iv, Mercurius et Mulieres, qui, suivant lui, pourrait tout au plus figurer à côté du conte de Perrault si connu des enfants. Mais pourquoi, si Perotti l’a inventée, y a-t-il, lui prélat romain, introduit une divinité du paganisme ? Perrault, dans son conte, n’a pas fait intervenir Mercure. Quant à l’idée, elle n’est pas plus ridicule que celle qui se trouve développée dans la fable ancienne Canum legati ad Jovem.

Adry trouve que la fable v finit très mal et que les derniers vers n’en ont pu être clairement traduits. Mais par sa composition elle rappelle complètement la fable licencieuse du livre IV, intitulée : Idem Prometheus.

Passant sous silence la fable vi qui n’est que la morale d’une fable perdue, il arrive à la viie, De significatione pœnarum Tartari, et est obligé de confesser qu’elle est irréprochable.

{p. 189}Il trouve la fable viii, De oraculo Apollinis, « très belle et sublime même ». Il remarque seulement que le vers

Delicta vindicate ; castigate impios,

n’est pas sur ses pieds. Cela est vrai ; il est d’un demi-pied trop long ; mais, tout en y voyant matière à plaisanterie, il n’en tire, d’ailleurs, aucun argument contre l’authenticité de la fable, qu’il regrette seulement « de ne pas trouver en meilleure compagnie ».

La fable ix peut n’être qu’une épigramme ; mais il est incontestable qu’elle ressemble beaucoup sous ce rapport aux anciennes, dans lesquelles Phèdre fait intervenir Ésope.

En sa qualité d’ancien moine facile à offusquer, Adry donne la qualification de turlupinade à la fable x, Pompeius Magnus et ejus miles. Le récit n’est sans doute pas à la hauteur du personnage mis en scène ; mais Jannelli s’est expliqué sur ce point et je me réfère à ce qu’il en dit lui-même.

La fable xi, Juno, Venus et Gallina, paraît à Adry contraire au but que Phèdre s’était proposé et qu’il avait formulé par ce vers :

Et quod prudenti vitam consilio monet.

Je ne sais pas où le critique aperçoit cette contradiction. Le fabuliste donne son opinion sur la vertu des femmes ; bien des gens penseront sans doute qu’en les montrant incorrigibles, il donne aux hommes un salutaire avis.

Adry néglige prudemment la fable xiie, et, passant à la хiiie, il n’y voit qu’une réflexion très sensée. Bien des fables anciennes ne contiennent pas autre chose. N’est-ce pas d’ailleurs assez ?

Suivant lui, dans la fable xiv, Asinus ad lyram, « la réflexion morale ne devrait pas être faite par l’âne lui-même. » Mais Phèdre a suivi là un procédé qui lui est familier ; on le trouve appliqué par exemple dans la fable ancienne, Gallus ad Margaritam.

La fable xv, Mulier vidua et Miles, semble à Adry un conte plutôt qu’une fable. Il a raison ; mais ce n’est pas non plus un conte, c’est un événement contemporain, que Phèdre rapporte comme celui dont la fable x du livre III contient le récit.

Adry ne parle pas de la fable xvi ; il prétend la xviie, Æsopus et Domina, « très obscure et fort mal racontée » ; ces deux reproches {p. 190}ne me paraissent pas fondés. Le sens s’en comprend bien, et la leçon qu’elle donne est bonne à ne pas oublier.

Dans la fable xviii, Gallus lectica a Felibus vectus, il trouve peu intelligible, et, dans tous les cas, bizarre le dernier vers ainsi conçu :

Discerpsit dominum, et fecit partes facinoris.

Il est pourtant aisé de comprendre que la bande de chats « déchira son maître et se partagea le produit de son crime ».

Enjambant ensuite la fable xix, Adry reconnaît que la xxe, Servus profugus, et Æsopus, « contient une excellente morale », mais elle ne lui paraît pas élégante, et, suivant lui, ce vers :

Has propter causas, et quas longum est promere,

ressemble un peu au dispositif d’un arrêt, qui finit toujours par : « à ces causes et autres à ce nous mouvant, etc. » Mais Adry devait bien admettre que cette formule n’était pas connue de Perotti, et que, même si on voulait lui attribuer cette fable, on ne pourrait supposer que le vers critiqué lui a été inspiré par la procédure de son temps.

Il ne parle pas de la fable xxi, et prétend que la xxiie, Ursus esuriens, ne renferme « qu’un trait d’histoire naturelle » sans intérêt. Il ne s’aperçoit pas qu’elle se termine par cette conclusion morale qui ne manque pas de bon sens :

Ergo etiam stultis acuit ingenium fames.

Dans la fable xxiii, Viator et Corvus, il trouve un peu singulier ce vers :

Et perdidisset tempus aliquot millium.

La forme en est pourtant irréprochable. Le Corbeau, en disant bonjour au voyageur, ne lui avait pas fait perdre peut-être autant de temps que ce vers semble le dire ; mais un poète n’est pas tenu à tant d’exactitude.

Il retrouve dans la fable xxiv les qualités de Phèdre.

Passant de là à la fable xxvii, Servus et Dominus, il la proclame « inintelligible ». Cela est vrai ; mais il oublie qu’elle était une des plus illisibles du manuscrit de Naples, que Jannelli a {p. 191}été obligé de substituer ses hypothèses au texte détruit, et que, si les vraies leçons en étaient connues, elle n’aurait peut-être pas le double défaut d’être obscure et de ne pas se trouver en harmonie avec son titre moral. En effet, elle a été retrouvée dans le manuscrit du Vatican exempte des défauts qu’Adry lui impute.

Adry avoue que la fable xxviii, Lepus et Bubulcus, est très belle ; il était impossible de prétendre le contraire.

Il n’en critique plus que deux, la xxxie, Papilio et Vespa, dont les premiers vers, illisibles dans le manuscrit, ont été rétablis à l’aide de conjectures plus ou moins heureuses, mais dont le dernier vers :

Non qui fuerimus, sed qui nunc simus, vide,

a une grande analogie avec cet autre de Phèdre :

Quod fuimus laudasti, jam damnas quod sumus,

et ne peut être évidemment que du même auteur, et la xxxiie, Terraneola et Vulpes, qu’il considère comme digne de Lycophron, mais qui, s’il avait voulu prendre la peine d’en lire la traduction par M. Bagioli publiée à Paris en 1812 et citée par lui-même, ne lui aurait pas sans doute paru aussi entachée de l’obscurité qu’il lui reproche ;

6º Après avoir ainsi passé en revue les fables nouvelles, Adry critique la réponse faite par Cassitto aux objections de Heyne, qui avait remarqué que plusieurs fables ne constituaient pas de véritables apologues. Cassitto avait répondu en citant des fables de la même nature dans le livre IV des anciennes. Adry n’est pas touché de cette comparaison, et ce qui, lorsqu’il s’agit de ces dernières, n’ébranle pas sa foi, lui inspire des doutes à l’égard des autres.

7º En ce qui touche les éditeurs français qui ont adopté l’opinion de Cassitto et de Jannelli, il les traite un peu cavalièrement. Il suppose qu’ils n’ont fait qu’analyser les raisons invoquées par les éditeurs italiens et qu’ils n’ont pas pris la peine « de lire attentivement les fables nouvelles ». Cette manière de voir toute hypothétique n’a pas même besoin d’être réfutée.

8º En définitive, sur les 32 fables nouvelles il n’en voit que {p. 192}douze qui soient, à proprement parler, des apologues, et que cinq ou six qui présentent des qualités réelles. Il en conclut que l’on doit y reconnaître au moins deux mains différentes, et pour lui rien ne démontre que l’une des deux soit celle de Phèdre. Je n’ajoute qu’une réflexion : pour arriver à cette conclusion, il est obligé, oubliant les deux vers de la dédicace cités par lui-même au début de son opuscule, d’affirmer que Perotti « n’a dit nulle part que les nouvelles fables fussent de Phèdre ». Cette affirmation me dispense de prolonger ma réfutation : quand on nie ainsi l’évidence, on est jugé.

Lorsqu’on considère ainsi en eux-mêmes les arguments d’Adry, on ne comprend pas comment ils ont pu exercer sur les esprits une si profonde influence ; il faut croire que c’est sa réputation de savant consciencieux qui les a troublés. Il me semble évident que la même critique, écrite par tout autre, n’aurait pas produit le même effet. Il n’en est pas moins vrai que, pendant quinze ans, l’opinion d’Adry s’imposa aux érudits. En 1826, dans l’édition des fables de Phèdre, publiée par Gail sous la direction de Lemaire, Barbier, dominé par cette influence, écrivait encore : « Un homme aussi profondément versé que M. Adry dans la lecture de Phèdre n’a pu se montrer favorable aux nouvelles fables publiées en Italie. Son opinion est partagée par tous les amis de la bonne littérature260. »

Mais il en est de la philologie comme de la politique : toute théorie fausse n’obtient qu’un triomphe temporaire ; tôt ou tard elle est suivie d’une réaction, et cette réaction commençait déjà à se faire sentir ; car, dans la même édition de Phèdre, Gail, faisant précéder d’une préface les fables nouvelles, y déclarait qu’il n’osait ni les refuser ni les attribuer au fabuliste latin261.

Vers la même époque, M. Robert trouve bien qu’Adry a pris le parti le plus sage, « en examinant toutes les fables nouvelles les unes après les autres et en prononçant sur chacune d’elles un jugement particulier262 ». Mais, après avoir approuvé son procédé, il n’accepte pas ses appréciations, et voyant qu’Adry, pour {p. 193}refuser à Phèdre la fable xvi, Duo juvenes sponsi, dives et pauper, se fonde sur ce qu’on y rencontre un vers qui en rappelle un autre des fables anciennes, il n’hésite pas à combattre son opinion. « Il me paraît, dit-il, en parlant de cette fable, n’avoir hésité à attribuer celle-ci à Phèdre que parce que plusieurs vers lui ont paru calqués trop exactement sur ceux qui terminent l’ancienne fable de Simonide préservé par les Dieux. Phèdre, dit-il, ne s’est pas sans doute volé lui-même. Mais ne trouvons-nous pas des vers entiers des Géorgiques transportés dans l’Énéide ? »

L’opinion d’Adry a encore moins touché le cardinal Angelo Maï. En 1831, en publiant, d’après le manuscrit du Vatican, les nouvelles fables de Phèdre, il n’a manifesté aucun doute sur leur âge véritable. Il prétend même trouver, dans les deux vers qu’on a qualifiés de fable vi, la preuve que Perotti n’est pas l’auteur des fables nouvelles. Il considère ces deux vers comme l’épimythion d’une fable absente, et il ajoute : « Si Perotti, comme certaines personnes le supposent, avait tiré ses fables de sa propre imagination, pourquoi aurait-il laissé cette lacune ? Il est donc évident qu’il a copié le fragment tel qu’il existait dans le manuscrit ancien. J’affirmerais pourtant que c’était l’épimythion de la fable ive, si dans le manuscrit de Perotti n’avaient été interposés plusieurs autres poèmes263. »

L’authenticité des fables nouvelles ne parut pas plus douteuse à Orelli ; il remarque bien dans leur texte des fautes soit de syntaxe, soit de versification ; mais il les attribue soit au manuscrit défectueux dont Perotti s’est servi, soit aux changements maladroits qu’il y a introduits264.

Ainsi, en France, en Italie et en Suisse, malgré l’attaque d’Adry, l’authenticité des fables nouvelles avait été acceptée.

Mais en Allemagne la chose avait été différente, et l’on comprend {p. 194}sans peine qu’aux savants de ce pays qui n’avaient pas cru à l’authenticité des fables anciennes, les nouvelles aient dû inspirer moins de confiance encore. Aussi voit-on, en 1832, le savant Jacobs les attribuer à quelque versificateur moderne, qui, suivant lui, aura pris Phèdre pour modèle265.

Je me hâte de dire pourtant que l’Allemagne n’a pas été unanime dans son scepticisme. Ainsi, en 1838, on voit, à Bautzen, Dressler reconnaître si bien dans les fables nouvelles la main de Phèdre qu’il en fait un livre VI266.

Je suis surpris que, tandis que cet éditeur se rendait à l’évidence, M. Fleutelot ait eu l’incertitude qu’il exprime ainsi dans sa notice : « Je n’ai point traduit les fables de Perotti, et ne retracerai point les débats auxquels elles ont donné lieu. M. Maï les croit de Phèdre ; mais il en serait plus sûr, dit-il, s’il découvrait un manuscrit complet de Phèdre, où se trouveraient ces fables. Attendons comme M. Maï267. » Il me semble n’avoir pas voulu prendre la peine d’étudier la question ; cela est regrettable, car son opinion aurait été d’un grand poids.

Heureusement son abstention n’a pas été imitée par les éditeurs qui l’ont suivi. Dübner notamment, dans la préface de sa petite édition classique, n’hésite pas en 1847 à proclamer en ces termes l’authenticité des fables nouvelles : « Je n’ai jamais douté, quant à moi, dit-il, que ces fables ne fussent bien réellement de Phèdre, et une publication postérieure du cardinal Angelo Maï est venue fortifier ma conviction. Le doute ne serait plus permis, si Angelo Maï, au lieu de se borner, ainsi que ses prédécesseurs de Naples, à extraire de l’Epitome de Perotti les fables inédites, eût publié le recueil tout entier : par là chacun aurait su comment Perotti procéda dans sa compilation ; on aurait pu voir que cet écrivain s’est permis, dans les anciennes fables, des changements plus ou moins maladroits. Mais les critiques qui n’ont pas voulu reconnaître la main de Phèdre dans les nouvelles fables ont cité, comme preuves {p. 195}principales, les passages déparés sans aucun doute par les changements de Perotti. Cependant le dessein et l’exécution, dans ces nouvelles fables, ne peuvent appartenir qu’à Phèdre268. »

On voit combien la conviction de Dübner est profonde, et cependant, pour l’acquérir, il n’a pas recouru aux manuscrits, et le regret qu’il formule montre qu’il n’a pas même eu connaissance de la publication complète qu’au mois de février 1811, Jannelli a faite de celui de Naples. Comment donc a-t-il pu avoir une foi si ferme ? C’est qu’en dehors des révélations toutes particulières que fournit l’inspection de l’Epitome de Perotti, l’authenticité des trente-deux fables nouvelles considérées en elles-mêmes ne peut pour les connaisseurs impartiaux être l’objet d’aucun doute ; c’est qu’enfin, pour faire usage de la figure aussi juste qu’expressive, employée par M. L. Müller, les fables nouvelles ressemblent aux fables anciennes, comme un œuf ressemble à un œuf269.

Mais, lorsqu’on a pu avoir sous les yeux les deux manuscrits ou seulement l’un d’eux, la confiance est encore plus grande. Qu’on me permette, à moi qui ai vu et copié celui de Naples et qui possède une copie littérale de celui de Rome, de signaler ici les éléments de certitude absolue qu’ils m’ont fournis.

Je l’ai expliqué : le recueil de Perotti est formé de poésies diverses, ajoutées les unes aux autres, sans ordre, à des intervalles plus ou moins éloignés.

Si Perotti avait adopté un classement tel que celui auquel, dans son édition du manuscrit de Naples270, Jannelli a eu recours, si notamment des fables les plus anciennement connues il avait, dans un groupement séparé, distingué celles qu’on est convenu d’appeler nouvelles, on comprendrait qu’à chaque groupe pût être attribuée une origine différente. Mais il n’en est pas ainsi : le tout est mêlé. Après la dédicace à Pyrrhus, la première pièce de vers qu’on rencontre est la fable Simius et Vulpis, qui est la première des {p. 196}nouvelles ; puis vient le fragment qui porte pour titre : De his qui legunt libellum et dont les éditeurs ont fait l’épilogue d’une sorte de sixième livre ; ensuite arrive un petit poème : De virtute ad Lentulum, composé par Perotti. La même confusion continue jusqu’à la fin.

Il y a plus : les fables que Perotti a empruntées à Phèdre ont toutes été traitées par lui de la même manière. Ainsi aux anciennes comme aux nouvelles il a enlevé le titre, qui, n’exprimant par lui-même aucune idée morale, ne répondait pas au but qu’il se proposait. Puis, séparant du texte même de chaque fable la moralité et la traduisant en prose, il en a fait un titre nouveau, destiné à remplacer celui qu’il avait supprimé.

Dans le texte il s’est permis aussi quelques changements d’expressions, dont l’objet évident était de mettre les fables de l’auteur païen en harmonie avec ses idées chrétiennes. C’est ainsi que, dans la fable x du livre III, il a, comme je l’ai déjà dit, remplacé le vers :

A divo Augusto tunc petiere judices

par celui-ci :

Pontificem maximum rogarunt judices.

Quand on voit l’état identique dans lequel, par suite de ces opérations uniformes, se trouvent dans son manuscrit les fables soit anciennes, soit nouvelles, on demeure convaincu qu’elles ont une origine commune.

Supposons maintenant que les manuscrits de Phèdre n’aient jamais été retrouvés et qu’on ne connaisse que ceux de Perotti ; il est clair qu’à raison de cette similitude absolue, les sceptiques devraient contester à Phèdre les fables anciennes aussi bien que les nouvelles. Les unes et les autres auraient dû nécessairement être l’objet de la même appréciation. Or, puisqu’il est aujourd’hui avéré que les premières ne peuvent lui être enlevées, il est impossible de lui refuser les secondes.

Ces remarques, qui frappent à première vue, sont loin d’être les seules. Perotti ne s’est pas contenté d’emprunter des fables à Phèdre ; il a, comme il le déclare, agi de même à l’égard d’Avianus, et l’on sait que celles de cet auteur sont en vers élégiaques. {p. 197}Si, à côté des fables anciennes appartenant incontestablement à Phèdre et des fables d’Avianus, on fait des fables nouvelles un troisième groupe et qu’on l’attribue à Perotti, on verra qu’après avoir placé sous ses yeux deux rythmes différents, il aurait perpétuellement donné la préférence au vers ïambique.

Au premier abord cet exclusivisme doit sembler au moins singulier. Mais il devient inadmissible, quand on examine les pièces de vers qui sont incontestablement de lui. Presque toutes sont écrites dans le rythme élégiaque qu’il aimait et qu’il maniait avec dextérité ; quelques-unes sont en vers phaléciens ; aucune n’est en vers ïambiques.

Il existe, dans l’Epitome de Perotti, un document qui prouve que si, en dehors des fables qu’il copiait, il avait voulu lui-même en composer, il aurait recouru au rythme élégiaque ; c’est une fable de son recueil qui seule est de lui, qui est une imitation de celle de Phèdre intitulée Socrates ad amicos, et avec laquelle, soit dit en passant, il a dû confondre plus tard dans son Cornu copiæ la fable Arbores in tutela deorum. Elle porte dans le manuscrit de Naples le numéro 70 et la rubrique Quanta sit verorum amicorum penuria. Elle est certainement l’œuvre de Perotti ; or elle est écrite dans ce rythme élégiaque qui. avait toute sa prédilection et qu’évidemment, s’il en avait traduit d’autres, il aurait toujours adopté.

J’ai dit qu’il n’avait composé aucune de ses poésies en vers ïambiques. Je m’empresse de confesser que j’ai peut-être tenu un langage trop absolu. Car il est vrai que sa dédicace à son neveu est en vers ïambiques271 ; mais, comme elle est aux trois quarts empruntée à Phèdre, il est évident qu’il a dû écrire dans le même rythme les vers qui émanent de lui. Il est encore vrai qu’il a mis en tête de la fable ancienne : Muli et Latrones, qui dans les éditions de Phèdre est la viie du livre II, quinze vers également composés dans le rythme ïambique ; mais, comme ces quinze vers servaient d’introduction morale à la fable elle-même, il est encore évident qu’ils devaient être écrits dans le même mètre.

Il y a mieux : ces exemples eux-mêmes me fournissent de précieux arguments ; en effet, ils dénotent une ignorance presque {p. 198}complète de la composition du vers ïambique. J’ai déjà reproduit la dédicace à Pyrrhus ; j’y renvoie. Quant aux quinze vers qui précèdent la fable Muli et Latrones, les voici :

Contrari, indoctis omnibus contrarie,
Et gratus doctis, et cui grati sunt docti,
Quem tot simul ornant naturæ munera,
Ingenium cui dives et ubertas linguæ,
Qui tam dulci immites voce placares feras,
Et imis mortuos traheres sepulchris,
Qui quodcumque libet docta pingis manu,
Polygnoto major, atque Aglaophonte,
Et Zeuxim superas atque Parasium (sic),
Protogenemque, Pamphilumque, et Melantium,
Theonemque Samium, Euphranoremque,
Cui sponte doctus palmam daret Apelles :
Quid sævam tantum paupertatem quereris ?
Nec facit bonos illa nec facit malos,
Obsuntque sæpius, quam prosunt divitiæ.

Qu’on scande ces vers et qu’on me dise si l’on croit encore que Perotti a pu écrire les fables nouvelles !

Ce n’est pas tout ; le manuscrit de Perotti me fournit une troisième preuve de son ignorance en matière d’ïambes ; c’est l’extrait qu’il a fait de l’hymne dixième de Prudence περὶ Στεφανῶν272, et qu’il a adressé à Pomponius sous ce titre : De vero Deo, et vera Fide ac Religione ad Pomponium. Pour donner à son extrait l’apparence d’une œuvre complète, spécialement faite pour Pomponius, il a été obligé d’en modifier les deux premiers vers. Mais, ignorant la mesure, il a substitué à ce premier vers original :

Vos eruditos miror et doctos viros,

ces mots qu’il est impossible de scander :

Vos doctos decet atque eruditos viros,

et à ce second vers original :

Perpensa vitæ quos gubernat regula,

cet autre, dans lequel, contrairement à la règle toujours suivie {p. 199}par Prudence, il remplace par un spondée l’ïambe du second pied :

Pomponi, vitæ quos gubernat regula.

Je sais bien, et j’ai été le premier à le proclamer, que Perotti a été un des hommes les plus versés de son temps dans la littérature latine. Je vais même plus loin, et je n’hésite pas à ajouter qu’il a peut-être été aussi, dans la prosodie latine, l’homme le plus expert de son époque. Parmi les ouvrages didactiques dont il fut l’auteur, il en est deux qui révèlent une connaissance très approfondie de la versification latine.

Dans le premier, qui est intitulé De generibus metrorum273, il s’occupe d’abord de la composition des diverses espèces de pieds. Il en signale vingt-huit, savoir : quatre de deux syllabes, huit de trois, et seize de quatre. Parmi ceux de deux syllabes il n’oublie pas l’ïambe, et il a bien soin de dire qu’il se compose d’une brève et d’une longue. Les différentes espèces de vers appellent ensuite son attention : il indique quels sont les pieds qui peuvent et quels sont ceux qui ne peuvent pas concourir à la formation de tel mètre déterminé, et quelles sont les positions qu’ils y doivent et celles qu’ils n’y doivent pas occuper.

Il sait quel rôle important le vers ïambique joue dans la littérature des Romains, et il s’y arrête avec une évidente complaisance.

Il examine d’abord l’ïambe antique, auquel il reconnaît cinq variétés, et, pour montrer leurs points de dissemblance, il analyse la composition particulière de chacune d’elles.

Il prend la même peine pour l’ïambe nouveau.

Puis il conclut en observant que le vers ïambique par excellence est celui dont l’ïambe est l’unique pied : Optimum tamen esse metrum quod uno duntaxat pedum genere a quo denominatur constat274, et, à l’appui de sa thèse, il cite, en altérant, il est vrai, le second, ces deux vers bien connus d’Horace :

Beatus ille qui procul negociis
Paterna iura bobus optat propriis.

{p. 200}Mais Perotti ne s’est pas borné à écrire ainsi un traité général de versification ; il s’est aussi, dans un second opuscule dédié à son frère Celius Perotti, livré à une étude toute spéciale des mètres qu’Horace a employés dans ses odes ; il en signale dix-neuf, parmi lesquels figure encore avec ses variétés le vers ïambique.

Perotti a donc bien connu l’ïambe, et cependant il s’en est servi dans son Epitome, comme s’il n’en avait pas eu la moindre idée. Mais cette contradiction n’est qu’apparente.

L’homme, en avançant dans la vie, s’instruit à chaque pas qu’il y fait, et cela est surtout vrai du travailleur. Beaucoup des notions qu’il possède au jour de sa mort n’ont pas été l’apanage de sa jeunesse. Il faut admettre qu’il en a été de Perotti comme de tous les savants, qu’il n’a été que fort tard initié aux rythmes compliqués de la poésie latine, et que c’est seulement après être parvenu à l’âge mûr qu’il a composé ses traités de versification. De pareils écrits, qui sont avant tout des ouvrages de patience, ne peuvent guère sortir d’une plume juvénile. Au contraire, un recueil d’opuscules poétiques est presque toujours un travail de jeune homme, et Perotti n’avait dû créer le sien qu’à une époque où, déjà très versé dans le mètre élégiaque, il ne savait rien encore du vers ïambique.

Et ce n’est pas là une pure hypothèse. J’ai démontré ailleurs qu’il devait avoir renoncé à la poésie vers l’âge de trente ans ; je trouve, dans les traités dont je viens de parler, la preuve qu’il ne les composa que dix ans plus tard. Ainsi, dans la dédicace à son ami Jacob275, placée en tête de son traité De Generibus metrorum, {p. 201}il se félicite de l’invitation que ce dernier lui a faite de se livrer à une étude qui, en le reportant de plus de dix ans en arrière, lui rappelle le temps le plus heureux de sa vie : Nam et beneficio tuo in illam dulcissimam ætatem videmur revocari, qua decimum ante annum his studiis una operam dabamus.

Mais ce traité n’était pas la mise en œuvre dans l’âge mûr de notions acquises dans la jeunesse. Non, car il avoue encore que son ouvrage lui a coûté une peine infinie : Qua in re incredibile dictu est quos sustinuimus labores : adeo quippe omnia non solum præcepta, verum etiam pedum ac metrorum nomina corrupta erant. Il me semble évident que, si, à l’époque où il avait entrepris son travail, il avait été bien initié à la versification latine, il n’aurait pas éprouvé des difficultés si grandes, et qu’il n’a eu à les surmonter alors, que parce qu’au moment de se mettre à l’œuvre, il avait presque tout à apprendre.

Je pourrais m’en tenir là ; mais je désire répondre d’avance à une objection in extremis que je prévois. « De ce que Perotti n’est pas l’auteur des fables nouvelles, il ne s’ensuit pas, me dira-t-on, qu’on doive en attribuer à Phèdre la paternité ; nous prouvons même qu’on ne le doit pas. En effet, comme dans l’édition de Dressler276, elles formeraient un sixième livre, ce qui est impossible ; car Avianus déclare que Phèdre n’en a écrit que cinq, et le manuscrit de Pithou, auquel, quoi qu’on en ait dit, aucun feuillet ne manque, n’en contient pas davantage. »

Il est vrai que Dressler a eu tort d’en faire un sixième livre ; mais il a ainsi commis une faute sans importance, qui a sans doute plus existé dans la forme de la publication que dans la pensée de l’éditeur. Obligé de les grouper, il en a fait un sixième livre ; mais il est probable qu’il n’a jamais cru que Phèdre en eût écrit plus de cinq.

Il est vrai aussi qu’aucun feuillet ne manque au manuscrit de Pithou ; mais il est constant que, s’il n’a pas été copié sur le manuscrit de Reims, il a du moins, comme ce dernier, été copié sur un troisième plus ancien, duquel malheureusement bien des feuillets avaient disparu.

{p. 202}J’ai déjà dit quelques mots de ces lacunes277 ; j’y reviens. Le livre II est d’une brièveté qui ne permet pas de le croire complet. Si même on s’en tenait purement et simplement au texte du manuscrit de Pithou, on pourrait prétendre qu’il ne nous en est rien parvenu. Car, dans ce manuscrit, le copiste n’a fait suivre d’aucune fable le titre du livre II et a fait commencer le livre III, non pas par le prologue intitulé Phædrus ad Eutychum, mais par le prologue intitulé Auctor qui fait suite à la dernière fable du livre I, attribuant ainsi au livre III les fables, dont, à l’exemple de Pithou, tous les éditeurs ont cru devoir former le livre II. Dans le second volume de cette édition je m’expliquerai plus complètement sur ce point. Quant à présent, je m’en tiens à la division adoptée ; mais au moins faut-il admettre que, si nous possédons quelque chose du livre II, ce qui en est resté n’en est qu’une faible partie.

La fable v de ce livre porte pour titre ces mots : Item Cæsar ad Atriensem. Le mot Item indique que dans la fable précédente il devait être question du même empereur. Or cette fable manque. Manque-t-elle seule ? Non. Quelle est l’étendue de la lacune ? Il est impossible de le savoir ; mais la brièveté du livre permet de la supposer très considérable.

Le prologue même du livre III en fournit la preuve évidente. Ne fallait-il pas que les deux premiers fussent bien longs, pour que Phèdre pût écrire :

Ego illius pro semita feci viam,
Et cogitavi plura quam reliquerat ?

Dans la première partie du livre IV, les huit premiers vers de la fable Leo regnans, qui, dans le manuscrit de Pithou, se terminent au milieu d’une ligne achevée par le premier des trois derniers d’une fable suivante, trahissent encore une lacune évidente, dont les proportions seules sont inconnues.

La deuxième partie du livre IV est encore plus incomplète. Ainsi que je l’ai expliqué, elle commençait par le prologue Poeta ad Particulonem, dont le premier vers est ainsi conçu :

Quum destinassem terminum operi statuere.

{p. 203}De cette seconde partie nous ne possédons, outre ce prologue, que le préambule d’une fable disparue, intitulée : Idem poeta, une partie de la fable Demetrius rex et Menander poeta, une partie de la fable Viatores et Latro, les trois qui suivent cette dernière et l’épilogue. Il y a dans le manuscrit de Pithou et il y avait dans celui de Reims entre les deux fables incomplètes, privées l’une de sa fin et l’autre de son commencement, une nouvelle lacune, qu’il est impossible de connaître exactement ; mais, comme la seconde partie du livre IV devait, par ses dimensions, être à l’origine en rapport avec la première, il est certain que la lacune doit être de forte taille.

Quant au cinquième livre, il est évident, puisqu’il se réduit aux cinq dernières fables des deux manuscrits de Pithou et de Reims, que, même si nous le supposons plus court que les autres, nous n’en possédons encore qu’une très faible partie.

La conclusion, c’est que, pour attribuer à Phèdre les trente-deux fables nouvelles, il n’est pas nécessaire de supposer que, contrairement à l’affirmation d’Avianus, il en avait composé un sixième livre.

L’objection tirée de la nécessité de supposer un sixième livre qui n’a jamais existé, est ainsi complètement détruite, et les arguments que fournit l’examen des manuscrits, conservent toute leur valeur.

Si maintenant, en dehors des particularités qu’ils présentent, je cherche de nouveaux éléments de conviction, je n’ai encore que l’embarras du choix, et, pour abréger, je n’en vais signaler que quelques-uns.

Il y a d’abord une remarque, que les fables anciennes suggèrent à première vue : c’est que Phèdre ne se borne pas, comme les autres fabulistes anciens, à tirer ses fictions des traditions ésopiques ; il met en scène Ésope lui-même ; il le montre blâmant un homme qui, mordu par un chien, lui jette du pain imbibé de son sang, donnant de l’argent à un fou qui lui a envoyé une pierre, et qui, ainsi encouragé, en lance une autre à un passant et se fait bâtonner, expliquant sa conduite à un badaud surpris de le voir jouer avec des enfants, fermant d’un mot la bouche à un bavard qui le dérange, interprétant un testament obscur, consolant enfin un malheureux qui se plaint à lui de ses infortunes. Cette manière {p. 204}de procéder était si anormale que les imitateurs de Phèdre s’en sont écartés, et l’on ne trouve que rarement reproduites dans les divers Romulus ces fables, dans lesquelles Phèdre fait agir ou parler son modèle.

Au contraire, si l’on regarde de quoi se composent les fables nouvelles, on voit que sur les trente (je dis sur les trente, parce que les fables ii et iv ne sont réellement que les épimythions de fables disparues), il y en a cinq, dans lesquelles Ésope est encore le principal personnage du récit. Ce sont les fables : Æsopus et scriptor, Pater familias et Æsopus, Æsopus et Victor gymnicus, Æsopus et Domina, et Æsopus et servus profugus ; on le voit dans ces fables bafouer un mauvais auteur qui se vante, engager un père à dompter la fougueuse nature de son fils, réprimer la jactance d’un athlète victorieux, se venger par son silence des mauvais traitements par lesquels une vieille coquette l’a châtié de sa franchise, engager enfin un esclave fugitif à réintégrer la maison d’un maître brutal. N’y a-t-il pas là une ressemblance frappante, qui trahit une origine commune ?

Mais ce n’est pas la seule ; les autres fabulistes anciens se renferment dans leur rôle. Phèdre, dans ses fables anciennes, se sépare encore d’eux. Par une habitude qui lui est particulière, et qu’en écrivant sa vie j’ai déjà signalée, il alterne ses fictions avec des récits d’événements, pareils à ceux qui, de nos jours, remplissent dans les journaux les colonnes consacrées aux nouvelles diverses ; c’est ainsi qu’il raconte le meurtre involontaire commis au temps d’Auguste par un père sur son fils, et la ridicule erreur du joueur de flûte Leprince, qui prend pour lui les honneurs rendus à l’empereur et se fait jeter la tête la première hors du théâtre. Précisément parce qu’elles n’ont pas le caractère de fables, les collections de fables issues de celles de Phèdre les laissent de côté. Au contraire, les fables nouvelles nous offrent des récits semblables : tels sont, par exemple, l’anecdote du soldat de l’armée de Pompée et l’histoire de la matrone d’Éphèse. N’y a-t-il pas là encore plus qu’un simple hasard ?

Enfin, quand j’étudierai les fables de Romulus, je montrerai que, si le plagiaire qui a pris ce pseudonyme a épuisé la collection de laquelle il les a tirées, cette dernière était elle-même due à un compilateur, qui s’était borné à mettre en prose celles qu’il {p. 205}avait empruntées au poète romain. Lors même qu’aucune des fables nouvelles ne se rencontrerait dans la collection de Romulus, on n’en pourrait tirer aucun argument contre leur authenticité ; car elles pourraient appartenir à celles que le compilateur a négligées ; si au contraire on voit que plusieurs des nouvelles ont indirectement servi de modèle au plagiaire, alors le doute n’est plus possible. Or, que l’on compare, et l’on remarquera que les huit fables nouvelles, qui dans les éditions sont intitulées : De Scrofa et Lupo, De Junone, Venere et aliis feminis, De Muliere et Marito mortuo, De Meretrice et Juvene, De Patre et filio sævo, De Simea et Vulpe, De Lupo et Bubulco, De Cornice et Ove, se retrouvent en prose parmi celles de Romulus.

Je pourrais faire valoir encore d’autres raisons. Après celles que je viens d’exposer, je ne les crois pas nécessaires et je les néglige. Le bon sens public a d’ailleurs réagi contre les doutes que Heyne et Adry avaient trop légèrement formulés. Les Allemands eux-mêmes ont si bien compris qu’ils n’étaient pas fondés, que non seulement dans la plupart de leurs éditions de Phèdre ils n’ont pas cessé de publier les fables nouvelles à la suite des anciennes, mais qu’ils ont encore continué à faire des nouvelles des éditions spéciales, qui sont en quelque sorte le désaveu implicite de leurs prétendues incertitudes. C’est ainsi qu’elles ont, isolées des autres, paru à Heidelberg et à Spire en 1822, à Trente en 1827, à Stuttgart en 1834 et à Berlin en 1868.

En somme, aujourd’hui les doutes sont presque entièrement dissipés, et dans les éditions du fabuliste romain les fables nouvelles sont placées à la suite de celles de Gude, quelquefois sous le titre ambigu Fabulæ Phædro attributæ, mais plus souvent sous la simple rubrique Appendix, qui semble contenir l’aveu de leur triomphe définitif.

{p. 206}

Chapitre IV.
Éditions des fables de Phèdre. §

Dans ce dernier chapitre sur Phèdre je devrais peut-être énumérer toutes les éditions et toutes les traductions de ses fables. Mais le nombre en est infini. De plus, Schwabe dans sa seconde édition et Gail dans celle de la collection Lemaire ont essayé d’en donner une nomenclature complète, arrêtée par l’un à l’année 1806 et poussée par l’autre jusqu’à l’année 1822. Comme leurs deux éditions sont dans toutes les mains, je crois pouvoir m’abstenir de mentionner celles qu’ils ont déjà signalées. Je me bornerai jusqu’à l’année 1822 à indiquer celles qu’ils ont omises, et à partir de 1822 à faire connaître, aussi complètement que je le pourrai, celles qui ont paru jusqu’à nos jours.

Pour procéder avec ordre, je vais diviser ce chapitre en deux sections, consacrées ; la première aux éditions qui ne contiendront que le texte latin, la seconde à celles dans lesquelles le texte latin sera accompagné d’une traduction.

Section I.
Éditions du texte latin. §
1713. §

Phædri Fabulæ, quibus adjiciuntur Fabulæ Græcæ et latinæ, ex variis Authoribus, cura T. Dyche. Seconde édition. In-12.

{p. 207}
1721. §

Phædri Augusti Liberti et Avieni fabulæ cum adnotationibus Davidis Hoogstratani. Accedunt Fabulæ Græcæ Latinis respondentes et Homeri Batrachomyomachia. In usum scholarum Seminarii Patavini. Patavii, Ex Typographia Seminarii. Apud Joannem Manfrè. Superiorum permissu, et Privilegio (1721, 1732, 1740, 1745, 1750, 1769, 1775 Venetiis, Remondini, 1815 Venetiis, Bernardi). In-18 de 232 pages, précédées de 5 feuillets non paginés contenant une gravure au verso du premier, une dédicace aux élèves du Séminaire et la table.

Corpus omnium veterum poetarum latinorum tam prophanorum quam ecclesiasticorum ; cum eorum, quotquot reperiuntur, fragmentis. Tomus I. Londini, prostant vero Hagæ Comitum, apud Isaacum Vaillant. 2 vol. in-fº grand format, à 2 col., composés, le premier, de 6 feuillets non paginés suivis de feuillets paginés de 1 à 803, et, le second, de feuillets paginés de 805 à 1752 et suivis de 6 non paginés occupés par un Index poeticus universalis et de 4 non paginés occupés par les Omissa.

Le premier des deux volumes, p. 786-799, renferme la vie de Phèdre par Scheffer et ses fables.

1728. §

Phædri fabulæ, with English Notes by William Willymot. Londres. In-8º.

1729. §

Phædri Augusti liberti et Avieni fabulæ cum annotationibus Davidis Hoogstratani. Accedunt fabulæ Græcæ Latinis respondentes. Et Homeri Batrachomyomachia cum latina versione Recens addita. Expensis Josephi Ponzelli. Patavii, apud Joannem Manfrè. Superiorum permissu. In-12 de 241 pages numérotées, précédées de 10 non numérotées et suivies de 3 dernières pages occupées par l’Index.

1732. §

Phædri Augusti Cæsaris liberti fabularum Æsopiarum libri V. {p. 208}Nova editio emendata, Notis Gallicis selectissimis, Appendice ad ejusdem Fabulas, Publii Syri, aliorumque Veterum Sententiis aucta. Parisiis, sumptibus Fratrum Barbou. In-12 de vi-162 pages.

1741. §

Phædri Augusti Liberti Fabularum Æsopiarum Libri V. Cum annotationibus Leonardi Targionii in usum scholarum. Editio quarta auctior et emendatior. Cum indice et Italica explicatione præcipuorum Vocabulorum et Phrasium. Puerili Institutioni nullus magis Scriptor convenit. Jo. Lud. Prasch. in Fab. Phædri. Venetiis, Apud Simonem Occhi. Superiorum facultate (1780). In-18 de 132 pages chiffrées, ne contenant que le texte de Phèdre.

1755. §

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, in gratiam studios. juvent. notis illustr. cura Dav. Hoogstratani. Amstelædami. In-8º.

1764. §

Phædri Liberti Augusti fabulæ. Ad optimam quamque editionem emendatæ. Ad usum Collegiorum Lugdunensium. Accesserunt notæ ad calcem. Lugduni, apud fratres Perisse. In-12 de 86 pages précédées de 8 pages non numérotées.

1765. §

Phædri fabulæ. P. Syri sententiæ. Faerni fabularum libri quinque. Nova editio, cui accesserunt notæ Gallicæ ad usum scholarum accommodatæ. Parisiis, apud Barbou, via Mathurinensium. In-12.

1766. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri V et novarum fabularum appendix. Cur. et studio Petri Burmanni. Berolini, Reimer. In-12.

1771. §

LXXIII auserlesene Fabeln Phædri sammt einer daraus gezogenen Sylloge Vocabulorum, und Sammlung der vornehmsten {p. 209}Phrasium und Sententiarum, den ersten Anfängern in der lat. Sprache zum Besten mit Vocabular. Herausgegeben von Joh. Jac. Schatz. Jena, Croeker. In-8º.

1773. §

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, recens. suasque adnotatt. adj. Jh. Mch. Heusinger. Eisen. In-8º.

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, cum commentario Petri Burmanni. Ulm. In-8º maj.

1776. §

Phædri Augusti Cæsaris liberti fabularum libri quinque. Carpentorati. In-8º.

1777. §

Phædri selectæ fabulæ (xxxiv) ad usum scholarum. Selectas interpret. animadvers. suasque adj. Hnr. Braun. Münch. In-8º.

1778. §

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, ex recens. Burmanni ; acced. novarum fabularum appendix. Wien, Wimmer. In-8º.

1783. §

Phædri Fabulæ, with an Ordo, English Notes, and a copious Parsing and Construing Index by N. Bailey. Dublin. In-8º.

1785. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri quinque, cum notis gallicis. P. Syri sententiis parallelisque fabulis… Parisiis, Barbou. In-12.

1786. §

Phædri, etc., Ed. J. G. Müller. Moguntii. In-8º majore.

1793. §

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, recte tandem captui {p. 210}puerorum accommodati. Mit Noten deutsch u. latein. Registern v. Em. Sincerus. Frankf. a. M., Brönner. In-8º.

Phædri, etc…, ad usum scholarum piarum. Warschau. In-12.

1799. §

Fables choisies de Phèdre et de Faerne et autres pièces relatives à la morale, présentées aux jeunes étudiants dans l’ordre qui doit leur être le plus utile (par Depons, professeur de langues anciennes à l’école centrale du Puy-de-Dôme). Riom et Clermont, Landriot et Rousset, an VII. In-12 de 203 pages.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, ex rec. Petr. Burmanni. Würzeburgi, Stahel. In-8º.

Phædri, etc., mit grammat. u. erklärt Anmerkgn. von Chr. H. Paufler. Leipzig, H. Fritzsche (1826). In-8º maj.

1805. §

Phædri fabulæ Æsopiæ ad opt. edit. coll. juvenumque instruct. accomm., quibus append. tripart. fabularum Aviani et Anonymor. veter. addita est ; c. J. J. Bellermann. Erford. In-8º.

Phædri Augusti Liberti Fabulæ cum adnotationibus ad usum scholarum. Mediolani, Apud Jacobum Agnelli Successorem Marelli. In-12 de 96 pages contenant les fables anciennes de Phèdre et les cinq restituées par Gude.

1806. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, ex opt. recens. iuventuti ed. cur. et quadripartita fabular. appendice ad comparandum instr. Guil. Leps. Posnon., Kühn. In-8º.

1807. §

Phædri Augusti Liberti Fabularum Æsopiarum Libri V. Cum annotationibus Leonardi Targionii ad usum scholarum. Editio decima auctior et emendatior, Cum Indice tum Latino, tum Italico præcipuorum Vocabulorum et Phrasium. Puerili institutioni nullus magis Scriptor convenit. Jo. Lud. Prasch. in fab. Phædri. Venetiis, Apud Simonem Occhi. Superiorum facultate. (Florence 1834, 1855). In-24 de 144 pages, contenant le texte de Phèdre, {p. 211}un Index præcipuorum Vocabulorum et Phrasium quæ in his Phædri fabulis continentur, cum Italica eorumdem explicatione, et un Index fabularum.

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopiarum libri quinque. Cum notulis gallicis in loca difficiliora. Parisiis. In-12.

Phædri fabularum libri V, quibus accedunt fabulæ xxxiv. Notulis instruxit E. F. C. Pertelius. Ansbaci. In-8º.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V. Acc. appendix fabularum a recentioribus apologorum auctoribus compositarum. Darmst. (Giessen, Heyer’s verl.). In-8º.

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, quibus acced. fabulæ xxxiv. In usum schol. adornavit notulisque ingenio acuendo inservientibus instruxit Euch. Ferd. Chr. Oertel. Onoldi. In-8º.

1808. §

Phædri fabulæ Æsopiæ novissime recognit. et emendatæ. Wien. In-8º maj.

Jul. Phædri fabularum liber novus e ms. cod. Perottino regiæ bibliothecæ nunc primum edit J. A. Cassittus. Editio L exemplarium. Neapoli, Dominicus Sangiacomo. In-8º de 8 et 23 pages.

1809. §

Codex Perottinus MS. regiæ bibliothecæ Neapolitanæ Duas et triginta Phædri fabulas iam notas, totidem Novas, sex et triginta Aviani vulgatas, et ipsius Perotti carmina inedita continens, Digestus, et editus a Cataldo Jannellio eiusdem regiæ bibliothecæ scriptore, qui variantes etiam Lectiones adposuit ; tum deficientes et corruptas tentavit. Neapoli, 1809, ex regia typographia. In-8º.

Phædri, Augusti liberti, fabularum Æsopiarum libri quinque et novarum fabularum appendix. Ad usum scholarum. Hannov., Hahn’s Hofb. In-8º.

1811. §

Phædri fabulæ ex codice Perottino ms. regiæ bibliothecæ Neapolitanæ emendatæ, suppletæ, et commentario instructæ a Cataldo Jannellio eiusdem bibliothecæ scriptore. Præfixa est de Phædri {p. 212}vita dissertatio. Neapoli, typis Dominici Sangiacomo. Præsidum venia. In-8º de 64 et 296 pages.

Julii Phaedri Aug. Lib. Fabvlae ineditae xxxii Qvas in codice Perottino Biblioth. regiae Neap. primvs invenit descripsit edidit Joannes Antonivs Cassittvs elector ex colleg. possessor, in r. vtrivsque Siciliae reg. societ. Georg. Academ. Italicae atque Pontanianae sodalis ordinarivs. Editio tertia. Neapoli, CIƆ IƆ CCCXI. Ex officina Monitoris vtr. Siciliæ. In-8º de 75-92-107 pages, comprenant : 1º Cassittus lectori (p. 3 à 5), Index (p. 6), Juli Phaedri fabvlae a Cassitto repertae (p. 7 à 29), Parafrasi in vario metro Italiano delle nvove favole di Fedro trovate da Gio. Ant. Cassitto da lui stesso eseguita (31 à 75) ; 2º Emendationes novissimae in Phaedrum Cassittianum (p. 3 à 6), Vindiciae priores Phaedri Cassittiani (p. 7 à 15), Coniecturae de Polybio qui et Phaedrus (p. 16 à 40), Chronologia fabvlarvm Phaedri (p. 41 à 92) ; 3º Cassitti parva scholia (p. 1 à 88), Judicia virorum illustrium (p. 89 à 107).

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, cum appendice fabularum. Mit Anmerkungen und einem vollständigen Wörtregister für Schulen. Herausgegeben von K. F. A. Brohm. Berl. (1817, 1823, 1832, et 1850). In-8º.

1812. §

Phædri, Augusti liberti, fabularum Æsopicarum libri V, nova editio, cui accesserunt Publii Syri et aliorum veterum sententiæ ; editio stereotypa. Paris, P. Didot l’aîné et F. Didot (1813). In-18 de 3 feuilles.

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopicarum libri V, cum numeris ad explanandam verborum constructionem accommodatis. Avignon, Aubanel (1819). In-18 de 2 feuilles et demie.

Fabulæ selectæ e J. Phædro, Cæs. Augusti liberto ; cum notis et emendationibus, quas in usum Scholæ Genevensis edidit C. Malan. Genève, Mauget. In-12 de 6 feuilles et demie.

Phædri, Augusti liberti, fabularum Æsopicarum libri V, cum notulis Gallicis in loca difficiliora ; curante C. P. Lutetiæ Parisiorum institutore. Paris, Belin (1813, 1822, 1825, 1832). In-18 de 3 feuilles 5 sixièmes.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V ; cum notis gallicis, {p. 213}Publii Syri sententiis, parallelisque fabulis Joannis de La Fontaine. La Flèche, Delafosse. In-12 de 6 feuilles et demie.

Phædri Augusti liberti fabellæ novæ duo et triginta ex codice Perottino regiæ bibliothecæ Neapolitanæ, juxta editionem Cataldi Jannellii. Parisiis, apud Ant. Aug. Renouard. In-12 de 2 feuilles un tiers.

Julii Phædri Augusti liberti fabulæ triginta nuperrime detectæ e manuscripto codice r. bibliothecæ Neapolitanæ, cum notis. Mediolani, typis F. Fusii et socior. In-folio de 80 pages.

Phædri fabellæ novæ duo et triginta ex codice Perottino reg. bibliothecæ Neapolitanæ, juxta editionem Cataldi Jannellii. Patavii. In-12.

Q. D. B. V. Novi Prorectoratus auspicia die viii Februarii 1812 rite capta civibus indicit Academia Jenensis. Insunt Phædri quæ feruntur fabulæ xxxii in Italia nuper repertæ nunc primum in Germania editæ adjunctis Dorvillii et Burmanni emendationibus. Ex officina Caroli Schlotteri. In-folio de 12 pages.

Noviter detectæ Phædri fabulæ triginta ex manuscripto bibliothecæ regiæ Neapolitanæ codice nuperrime editæ ; ad commodiorem lectitantium usum hanc in formam recusæ. Stuttgartiæ et Tubingæ, apud J. G. Cottam (1834). In-18 de 46 pages.

Julii Phædri Fabulæ novæ et veteres : novæ, juxta collatas Cassitti et Jannellii editiones Neapoli nuper emissas, cum selectis ex utriusque commentario notis ; veteres juxta accuratissimam editionem Bipontinam, cum selectis doctissimi viri Schwabe ex commentario notis. Parisiis, H. Nicolle. In-8º de 13 feuilles un quart.

1813. §

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopicarum libri V, cum notulis gallicis in loca difficiliora. Toulouse, Douladoure. In-18 de 3 feuilles.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, cum notis gallicis, P. Syri sententiis parallelisque fabulis Joannis de La Fontaine, juxta G. Brotier sextam editionem : editio nova. Limoges, Ardant. In-12 de 8 feuilles.

Phædri Augusti liberti Fabularum Æsopicarum libri V. Paris, Belin. In-18 de 4 feuilles.

{p. 214}Phædri Aug. lib. fabularum libri V, cum notis gallicis, Faerni fabulis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta editionem G. Brotier ; nova editio. Accedunt xx fabulæ Phædro attributæ, e codice Perottino desumptæ, ad usum scholarum accommodatæ ; curante N. L. Achaintre. Paris, Delalain (1822, 1824, 1827, 1830, 1832 sans addition, et 1833, 1834, 1837, 1841 avec les fables de Faerne et les Sentences de P. Syrus). In-12 de 10 feuilles.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V cum appendice. In commod. stud. iuvent. recogn., introductionem de auctoris vita, scriptis et usu agentem, nec non Joach. Camerarii libellum de vita Æsopi præmisit, notas crit. et æsthet. adiecit Fr. Nik. Titze. Pragæ, Widtmann. In-8º.

Phædri Augusti Liberti fabularum Æsopiarum libri V. Accedunt fabulæ Flavii Aviani, Anonymi Neveleti, Romuli et Anonymi Nilantii. Patavii, Typis Seminarii. In-8º.

1814. §

Phædri Augusti liberti fabulæ. Nova editio, cæteris emendatior ; cum notis gallicis et dictionario. Angers, Pavie. In-8º de 5 feuilles.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, et novarum fabularum ex ms. Divionensi appendices duæ. Norimbergæ, Riegel et Wiessner (1773). In-12.

1815. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, cum notis gallicis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta editionem G. Brotier. Lille, Lefort (1823). In-12 de 6 feuilles.

1816. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri V. Cum notis gallicis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta G. Brotier sextam editionem : editio nova ad usum scholarum Academiæ Lugdunensis. Lyon, Cabin. In-12 de 7 feuilles et demie.

1817. §

Phædri fabularum Æsopicarum libri V. Notulas gallicas addidit {p. 215}A. Thiel, in collegio regio Metensi professor. Accedunt fabulæ a de La Fontaine imitatæ ; P. Syri sententiae ; Faerni fabulæ centum. Metz, veuve Thiel et L. de Villy (1833, Lamort). In-12 de 9 feuilles un tiers.

Phædri Aug. lib. fabularum Æsopicarum libri V, et P. Syri aliorumque vett. sententiæ ex recensione Bentleji passim codicum manuscriptorum auctoritate nec non metri et rhythmi musici ope. reficta. Præmissa est dissertatio de rhythmo musico a veteribus Romanis etc. Additum est Glossarium scholarum usui accommodatum a Conrado Gtlo. Anton. Post mortem patris ed. Carolus Theophilus Anton. Zittaviæ et Lipsiæ, Schöps. In-8º de xxxiv et 148 pages.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, ex recens. R. Bentleji. Ictus per accentus expressi sunt discent. commodo. Berolini, Rücker et Püchler. In-8º.

1818. §

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopicarum libri V. Nova editio cui accesserunt Publii Syri et aliorum veterum sententiæ ; ad usum scholarum. Avignon, F. Seguin. In-18 de 2 feuilles.

Phædri Augusti liberti fabulæ. Notis gallicis, numerisque vocabulorum seriem indicantibus, illustraverunt D. D. Lallemant, Dictionarii gallico-latini auctores. Decima editio ceteris emendatior, ad usum scholarum. Paris, Aug. Delalain (1842). In-18 de 3 feuilles deux neuvièmes.

1819. §

Fabulæ Phædri selectæ, gallis versibus redditæ a domino de La Fontaine, ad usum collegiorum. Toulouse, Bellegarrigues. In-18 de 2 feuilles deux tiers.

1820. §

Phædri Augusti liberti Fabularum Æsopicarum libri V, ed. stereotypa. Brunsvigæ, Reichard. In-8º.

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopiarum libri V, ad ed. Burmanni. Leyden, Luchtmans. In-12.

1821. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, juxta editionem {p. 216}G. Brotier ; cum P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine. Additæ sunt notæ gallicæ ad usum studiosæ juventutis, diligenter elaboratæ. Poitiers, Et. P. J. Catineau. In-18 de 6 feuilles.

1822. §

Phædri Augusti liberti fabularum libri V. Acced. 1º Vocabularium latino-german., etc., 2º Index personarum alphab. Coloniæ, Rommerskirchen. In-8º.

Julii Phædri fabulæ nuper publicatæ in Italia quas emendatius edidit animadversionibusque instruxit Fridericus Henricus Bothe. Heidelbergæ et Spiræ, August. Oswald. In-12.

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopiarum libri V, ad optimorum libror, fidem accur. editi. Editio stereotypa. Leipz., Tauchnitz. In-12.

Fabulæ Æsopiæ. Acced. J. Phædri et Aviani fabulæ, P. Syri sententiæ et Dyonis. Catonis Disticha, cur. G. H. Lünemann. Gottingæ, Deuerlich (1823). In-8º.

1823. §

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopiarum libri V. Paris, Jules Didot aîné. In-folio de 30 feuilles, tiré à 125 exemplaires.

Phædri Augusti liberti fabularum libri V, cum notis gallicis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta editionem G. Brotier. Nova editio : accedunt viginti fabulæ Phædro attributæ, e codice Perottino desumptæ et ad usum scholarum accommodatæ, curante Gouriet. Tours, Mame (1826, 1833). In-12 de 7 feuilles.

Phædri, Aug. liberti, fabularum libri V, cum notis gallicis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta editiones recentiores. Paris, Detrez. In-12 de 10 feuilles et demie, comprenant les fables de Faerne.

1824. §

Phædri Augusti liberti fabulæ. Nova editio studiose emendata, notis gallicis et optimis fabulis antiquorum scriptorum utiliter ditata. Ad usum collegiorum Lugdunensium. Lyon, Perisse, et Paris, Méquignon junior. In-18 de 3 feuilles un sixième.

{p. 217}Phædri Aug. lib. fabularum libri V cum notis gallicis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta editionem G. Brotier. Paris, Carez (1825). In-12 de 8 feuilles et demie.

Phædri fabul. Æsopiar. libri V, ad opt. libr. fidem accur. editi. Heilbronnæ, Class. In-8º.

Phædri etc., mit Anmerkgn, u. einem vollständ. Wortregister, worin alle vorkommende Wörter erklärt werden, für Schulen. 2. Aufl. von W. Lange. Halle, Schwetschke u. Sohn. In-8º.

Phædri, etc. Mit einem vollständigen Special-Lexicon für Schulen, herausgegeben von H. L. J. Billerbeck. Hannov., Hahn (1833, 1838). In-8º.

1825. §

J. Phædri, C. Aug., Romanor. imper., liberti, fabulæ, in quatuor libros æquo divisæ, ab omni genere obscenitatis expurgatæ, ad intelligentiam tironum difficultatibus gradatim expositis quam accuratissime cum notis gallicis accommodatæ, editore et auctore J. S. J. F. Boinvilliers. Sexta editio. Paris, Delalain. In-12 de 9 feuilles un tiers.

Phædri fabular. Æsop. libri V, cum notis et emend. Fr. J. Desbillons ex ejus comment. pleniore desumptis. Ed. et animadvers. adjecit. F. H. Bothe. Manhemii, Löffler (1786). In-8º.

Phædri Aug. Liberti Fabularum Æsopiarum libri V. Oder, etc. Magdebourg. In-18. Édition accompagnée de notes allemandes.

1826. §

Phædri Aug. Lib. fabul. Æsop. libri V, cum appendice duplici. Acced. et Aviani et Faerni fabulæ. Accurate edid. ictibusque metricis instrux. C. H. Weise. Editio stereotypa. Lipsiæ, C. Tauchnitz (1829, 1843, 1866 Holtze). In-12.

Phædri fabularum Æsopiarum libri V cum selectis variorum anctorum fabulis et locis ad idem genus pertinentibus, ad usum nobilis juventutis regio sumptu institutæ. Paris, Maire-Nyon (1835). In-12 de 11 feuilles.

Phædri fabularum Æsopiarum libri V, quales omni parte illustratos publicavit Joann. Gottlob. Sam. Schwabe. Accedunt Romuli fabularum Æsopiarum libri quatuor quibus novas Phædri fabellas cum notulis variorum et suis subjunxit Joann. Bapt. Gail. Parisiis, {p. 218}Julius Didot. 2 vol. in-8º, le 1er de 37 feuilles un quart et le 2e de 41 feuilles un huitième.

1827. §

Phædri Aug. lib. fabularum libri V, cum Faerni fabulis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine. Accedunt viginti fabulæ Phædro attributæ, e codice Perottino desumptæ et ad usum scholarum accommodatæ. Paris, Belin-Mandar et Devaux. In-18 de 7 feuilles deux tiers.

Phædri Aug. lib. fabularum libri V. Ad optimorum codd. et edd. fidem recensuit et brevibus notis illustravit L. Quicherat : accedunt novæ fabulæ Phædro attributæ et gallicæ J. de La Fontaine imitationes. Paris, Hachette (1834, 1842, 1843, 1844, 1845, 1847, 1850). In-12 de 6 feuilles trois quarts.

Phædri fabular. Æsopiar. libri V. Edit. II. Arnstadt, Mirus. In-12.

Phædri fabul. æsop. libri V. Mit grammat. u. erklärt Anmerkk. v. L. Ramshorn. Leipzig, Leo (1846, Herm. Fritzsche). In-8º maj.

1828. §

Phædri fabulæ Æsopiæ, ad optim. libror. fidem editæ cum variarum lect. delectu et nondum vulgatis Desbillonii notis. Cur. Karl Zell. Stuttg., Hoffmann. In-8º.

Phædri etc. Mit einem Wortregister u. mit beständigen Hinweisungen auf Zumpts Grammatik, von Fr. Ad. Beck. Coblenz, Hergt. In-8º.

Phædri Avgvsti Cæsaris liberti Fabvlæ brevibvs illvstratæ adnotationibvs ad vsvm regiarvm scholarvm. Tavrini, Ex typographia regia. Cum Privilegio (1838). In-18 de 140 pages.

1829. §

Phædri Aug. lib. fabulæ. Nova editio, selectis P. Desbillons fabulis, notis gallicis et prosodiæ signis adornata. Lyon, Rusand (1817, 1851). In-18 de 3 feuilles 7 dix-huitièmes.

Phædri Aug. lib. fabularum libri V, cum Faerni fabulis, P. Syri sententiis, parallelisque fabulis J. de La Fontaine. Nouvelle édition suivie de notes grammaticales, etc. Par une société de professeurs et sous la direction immédiate de M. Em. Lisfranc. {p. 219}Paris, Belin-Mandar et Devaux. In-18 de 4 feuilles cinq sixièmes.

Phædri, Flavii Aviani et Anonymi fabulæ Æsopiæ. Accedunt P. Syri Mimi et Aliorum sententiæ, Dyon. Catonis Disticha ; omnia ad optimas editiones collata notisque brevioribus illustrata. Bruxellis, Tencé. In-18 maj.

Phædri fabulæ ex rec. Burmanni cum nova fabular, append. Sine notis. Halæ, Libr. orphan. (1755). In-8º.

1830. §

Quinti Horatii Flacci opera, ex optimis editionibus recensita et emendata. Paris, Renouard. In-8º de 21 feuilles un quart.

Cette édition contient aussi les fables de Phèdre.

Phædri Aug. lib. Fabular. Æsopiar. libros quatuor, ex codice olim Pithœano, deinde Peletteriano, nunc in bibliotheca viri excellentissimi ac nobilissimi, Lud. Le Peletier de Rosanbo, marchionis, paris Franciæ, amplissimo Senatui a secretis, cæt., cæt., Contextu codicis nunc primum integre in lucem prolato, Adjectaque varietate lectionis e codice Remensi, incendio consumpto, a dom. Vincentio olim enotata, cum prolegomenis, annotatione, indice, edidit Julius Berger de Xivrey. Parisiis, Ambrosius Firminus Didot. In-8º de 16 feuilles 5 huitièmes.

Phædri fabularum Æsopiarum libri quinque cum novis adnotationibus. Accedunt novæ Phædri fabellæ cum notulis variorum. Florentiæ, ex typis Borghi et soc. In-12 de 255 pages contenant la vie de Phèdre par Schwabe et le texte latin des fables anciennes et nouvelles.

1831. §

Phædri Aug. lib. fabulæ Æsopiæ. Prima editio critica cum integra varietate codd. Pithœani, Remensis, Danielini, Perottini et editionis principis, reliqua vero selecta. Acced. Cæsaris Germanici Aratea, etc., Pervigilium Veneris, etc., exactum ab Jo. Casp. Orellio. Turici, typis Orellii, Fuesslini et sociorum. In-8º de 243 pages.

Classicorum auctorum e Vaticanis codicibus editorum tomus III. Curante Angelo Maï. Romæ, typis Vaticanis. In-8º. Ce vol. contient, p. 278-314, les 32 fables nouvelles de Phèdre.

1832. §

Phædri fabula nova xxxii. E codice Vaticano redintegratæ ab {p. 220}Angelo Maio. Supplementum editionis Orellianæ. Accedunt Publii Syri codd. Basil. et Turic. antiquissimi cum sententiis circiter xxx, nunc primum editis. Turici, typis Orellii, Fuesslini et sociorum. In-8º de 60 pages.

1833. §

Phædri Aug. lib. Fabularum libri V, cum notis gallicis, fabulis novis Phædro attributis parallelisque fabulis J. de La Fontaine, juxta editionem Brotier, quibus accedunt P. Desbillons, Faerni fabulæ et P. Syri sententiæ. Lyon, Perisse (1835, 1858). In-18 de 8 feuilles.

Phædri Aug. liberti fabulæ. Ed. G. E. Weber, s. Corpus poetarum lat. unter : Poetæ.

Phædri fabulæ Æsopiæ. Nach Orelli’s Textes recension mit einem vollständ. Wortregister u. mit beständ. Hinweisungen auf die Grammatiken von Zumpt, Ramshorn u. Schulz zum Schulgebrauche herausgeg. Leipz., Brüggemann, jetzt Krappe. In-8º.

1834. §

Phædri Augusti Liberti fabularum Aesopiarum Libri V, ad exemplar Leonardi Targionii Sch. piar. Editio IV auctior et emendatior. Novis curis illustrata ad usum scholarum piarum. Florentiæ, typis calasanctianis (1855). In-12 de 144 pages, contenant les fables anciennes de Phèdre, une partie des nouvelles et les Publii Syri et aliorum veterum sententiæ.

Phædri Fabvlæ Qvæ exstant omnes ex recensione Io. Gottl. Sam. Schwabii cvm notis et indicibvs. Avgvstæ Tavrinorvm, ex typis Josephi Pomba. In-8º grand format de 466 pages, qui, n’étant que la réimpression partielle de la deuxième édition de Schwabe, comprend seulement : La vie de Phèdre, les trois Dissertations du Père Desbillons et la dissertation De eo quod pvlchrvm est in Phædro, le texte des fables de Phèdre anciennes et nouvelles, les 34 fables restituées par Gude et par Burmann, et celles du Romulus ordinaire.

1835. §

Phædri Aug. lib. fabularum Æsopiar. libri V, avec des remarques grammaticales et philologiques ; à l’usage des collèges et de {p. 221}ceux qui aspirent à l’agrégation. Par F. H. J. Albrecht. Paris, Firmin Didot frères, Hachette, Maire-Nyon. In-8º de 15 feuilles et demie.

1836. §

Classiques latins illustrés. Cornelius Nepos, Phèdre. Paris, Henriot. In-8º de 8 feuilles.

Phædri fabulæ Æsopiæ ad optim. libror, fidem editæ, adjectis præter fabulas Gudianas et Burmannianas fabulis novis xxx, ex integerrimo cod. Vaticano nunc primum suppletis in usum scholar., novum ictum metricum dipodias demonstrantem induxit, regulas grammaticorum Schulzii, Zumptii, Ramshornii prosodicas citavit, Lexicon plenam syllabarum quantitatem continens adjunxit Car. Joa. Hoffmann. Berolini, Libr. Plahn. In-8º.

1838. §

Phædri Aug. liberti fabulæ Æsopiæ cum veteres tum novæ atque restitutæ. Ad fidem codicum Pithœani, Remensis, Danielini et Perottini utriusque, quorum integra adjecta est varietas, et optimas editiones recognovit, lacunas explevit, versus a Nic. Perotto solutos refecit, fabulas a Marq. Gudio et Petro Burmanno in versiculos redactas locis plurimis emendavit, quas hic prætermisit, libro singulari comprehensas addidit Christianus Timotheus Dressler, etc. Accedunt Ugobardi Sulmonensis fabulæ Phædrianæ e codice Hæneliano et Duacensi cum utriusque varietate accurate editæ. Budissæ, in libraria Welleriana (1850, 1856). In-8º de xvi-207 p.

1839. §

Phædri Aug. lib. fabulæ. Nova editio selectis P. Desbillons fabellis, etc. Lyon, Pelagaud (1841, 1860, 1862, 1863, 1867, 1876). In-18 de 3 feuilles et demie.

Phædri fabulæ Æsopiæ selectæ. Monachii, libr. scholar. Regia. In-8º maj.

1840. §

Fabularum A. L. Phædri libri V. Nouvelle édition par A. de Savary. Paris, Maire-Nyon. In-12 de 12 feuilles et demie.

Phædri Aug. lib. fabular, libri V. Nouvelle édition d’après les {p. 222}meilleurs textes avec sommaire et notes en français par M. Vérien. Paris, Dezobry, E. Madeleine et Cie (1841, 1853). In-12 de 4 feuilles trois quarts.

1841. §

Phædri Aug. lib. fabular, libri V. Nova editio. Paris, Pillet aîné. In-12 de 7 feuilles.

Phædri fabulæ selectæ. Mit Anmerkgn. von J. R. Koene, s. C. Nepos.

Fedro. Le Favole con note italiane precedute da un discorso sulla favola e sui favolisti di Atto Vannucci. Alber Ghetti e C., Prato, tipografia Aldina (1853). In-8º de li-152 pages contenant une dissertation en langue italienne sur la Fable et les Fabulistes et le texte des fables anciennes de Phèdre enrichi de nombreuses notes.

1842. §

J. Phædri, Aug. lib., fabulæ veteres ex recensione Frid. Henr. Bothe ; edidit J. A. Amar. Paris, Leclère (1821). In-32 d’un quart de feuille.

1846. §

Phædri Aug. lib. fabul. libri V. Nova editio notis selectis illustrata, parallelisque fabulis J. de La Fontaine aucta, accurante N. A. Dubois in Academia Parisiensi professor. Ad usum soholarum. Paris, Delalain (1852, 1858, 1861, 1865, 1868, 1872, 1875, 1880, 1886). In-12 de 6 feuilles un sixième.

1847. §

Fables de Phèdre tant anciennes que nouvelles publiées par Angelo Maï et les fables correspondantes de La Fontaine, avec Notice et notes en français par M. F. Dübner. Paris, chez F. Didot et chez Lecoffre (1852, 1859, 1861, 1866, 1874, 1876). In-18 de 5 feuilles.

1848. §

Phædri fabularum Æsopiarum libri V. Ad opt. exemplaria recognov. et in usum scholar. ed. Geo. Aenoth. Koch. Accedunt fabulæ novæ xxx e cod. Perottino restitutæ. Editio stereotypa (Bibliotheca classica latina, II). Lipsiæ, Ph. Reclam. jun. In-8º.

{p. 223}
1850. §

Phædri fabularum Æsopiarum libri V cum Publi Syri aliorumque veterum sententiis. Mit erklärenden Anmerkungen u. besondern grammat. Regeln zum Gebrauche der Studirenden Jugend von Ignatz Seibt. Prag. In-8º maj. v. 208 s.

1851. §

Phædri fabularum libri V cum fabellis novis. Nouvelle édition publiée avec des notes en français et suivie des imitations de La Fontaine et de Florian, par E. Talbert, etc. Paris, L Hachette et Cie (1857, 1858, 1859, 1860, 1861, 1862, 1864, 1866, 1867, 1869, 1871, 1874, 1880, 1882, 1885, 1887). In-12 de 164 pages.

1853. §

Ausgewählte Fabeln des Phædrus erklärt von F. E. Raschig. Leipzig, Weidmann (Berlin, 1861 et 1871). In-8º v. viii-87 s.

Favole scette di Fedro corredate di note per cura del Prof. A. Lace approvate dal consiglio superiore, e dal ministero del l’instruzione publica ad uso delle scuole di grammatica lingua. Seconda edizione. Torino, Dalla stamperia reale. In-8º de 107 pages, contenant le texte latin de Phèdre divisé en 3 livres et suivi de longues notes en langue italienne.

1854. §

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopiarum libri quinque cum argumentis et notis italicis et indice latinarum formularum. Brixiæ, typis Petri L. Gilberti bibliopolæ. In-12 de 112 pages numérotées, suivies de 4 pages intitulées : Indice.

1855. §

Phædri fabularum libri V. Nouvelle édition d’après les meilleurs textes, renfermant des notes historiques, grammaticales et littéraires en français, avec les Imitations de La Fontaine, une vie de l’auteur, une appréciation de ses œuvres et un précis sur les principaux fabulistes par M. Ch. Aubertin. Paris, E. Belin (1857, 1872, 1876, 1877, 1878, 1882, 1884, 1886). In-12 de 4 feuilles 1 sixième.

{p. 224}Phædri Augusti lib. fabularum libri V. Nouvelle édition d’après les meilleurs textes, avec une vie de Phèdre et les Imitations de La Fontaine et de Florian par L. W. Rinn. Paris, Dezobry, E. Madeleine (1858, 1860, 1862, 1865, 1866, 1867, 1875, 1877, 1878 ; Delagrave 1882, 1885). In-12 de 6 feuilles et demie.

Phædri Aug. lib. fabular. Æsopiar. libri V. Accedit fabularum novarum atque restitutarum delectus. Erklärt von C. W. Nauck. Berlin, Jonas’ Sorthdig. In-8º.

1856. §

Phædri Augusti liberti fabularum Æsopiarum libri V cum argumentis et notis italicis et indice latinarum formularum. Brixiæ, typis Petri L. Gilberti Bibliopolæ. In-12.

Le Favole di Fedro corredate di Spiegazioni e note italiane per cura di Carlo Gatti. Firenze, Felice Le Monnier. In-8º de 103 pages ne renfermant que les fables anciennes.

Phædri fabularum libri V, cum fabellis novis. Accessit appendix de diis. Nova ediçao, publicada com varias notas em portuguez, pelo J. I. Roquette. Paris, Aillaud, Monlon (Guillard Aillaud et Cie, 1879, 1882). In-18 de 6 feuilles.

1858. §

Phædri Aug. lib. fabularum libri. Édition classique précédée d’une notice littéraire par D. Turnèbe. Paris, J. Delalain (1864, 1867, 1871, 1874, 1876). In-24 de 96 pages.

1861. §

Phædri Aug. lib. fabularum libri V. Nouvelle édition avec des notes, un dictionnaire et les fables de La Fontaine en regard de celles qu’il a imitées de l’auteur latin, revue avec soin et corrigée par M. Tissot et par M. Morand. Limoges et Isle, Martial Ardant frères. In-32 de viii-254 pages.

1862. §

Phædri fabulæ Æsopiæ, cum notis. Pest, Lauffer’s Verlag. In-8º, v. 152 s.

{p. 225}
1865. §

Phædri fabular. Æsopiarum libri V, et appendices fabularum iii. Ex ms. Divionensi, Rimicio, Romulo et codice Perottino, vestigiis Burmanni et Billerbeckii. Queis completum dictionarium latino-hungaricum accommodatum, curante Ferdinando Kovács. Pest, Heckenast’s Verlag. In-8º v. 334 s.

Phædri fabular. Æsopiar. libri V cum triplici appendice fabularum novarum. Für den Schulgebrauch ausgewählt u. mit einem Wörterbuche versehen von Otto Eichert. Hannover, Halm’sche Hofbuchh. In-8º maj. v. viii-133 s.

1867. §

Phædri fabulæ. Franc. Eyssenhardt recognovit. Berlin, Weidmann’sche Buchh. In-8º maj. v. 84 s.

1868. §

Phædri Aug. lib. fabulæ Æsopiæ. Recognovit et præfatus est Lucianus Mueller. Lipsiæ, in ædibus B. G. Teubneri (1871, 1877, 1879). In-8º v. xiv-66 s.

Anthologia latina sive poesis latinæ supplementum. Carmina in codicibus scripta recensuit Alexander Riese. Lipsiæ, in ædibus B. G. Teubneri. In-18. Ce recueil de poésies latines contient les 32 fables nouvelles.

1870. §

Phædri, etc. Mit einem Wörterbuch für den Schulgebrauch hersg. von A. Schaubach. Ebend. In-8 v. xviii-120 s.

1871. §

Phædri fabulæ. Recensuit ac notis illustravit J. Lejard, in minori seminario Sagiensi professor. Tours, Poussielgue frères (1883, 1887). In-18 de xv-144 p.

1873. §

Phædri Aug. lib. fabularum libri V. Nouvelle édition, publiée avec des notes en français et un choix de fables du P. Desbillons, par un Père de la compagnie de Jésus. Paris et Lyon, Pelagaud fils et Roblot. In-18 de x-117 p.

{p. 226}Phædri Augusti liberti fabularum libri V. Nouvelle édition, publiée avec des notes en français et des fables choisies de Desbillons, par le P. H. Delavarenne, de la compagnie de Jésus. Paris, Albanel (1877). In-18 de x-117 p.

1877. §

Phædri Aug. liberti fabularum libri V. Édition classique, à l’usage des élèves de sixième avec des notes grammaticales, prosodiques, critiques et historiques, suivie d’un appendice contenant des rapprochements littéraires en diverses langues par Édouard Malvoisin. Paris, Baltenweck. In-18 de xi-154 p.

1878. §

Phædri Aug. lib. fabular. Esopiar. libri V, juxta editiones Brotier, Desbillons, Lemaire, Dressler, probatissimorumque Phædri interpretum, quibus accesserunt selectæ. P. Desbillons fabulæ. Tours, Mame et fils (1884, 1886). In-16 de 93 p.

1879. §

Phædri Aug. lib. fabular. libri V. Nouvelle édition, d’après les meilleurs textes, précédée d’une notice sur Phèdre, accompagnée d’un commentaire et de notes, suivie des imitations de La Fontaine, etc., et de thèmes d’imitation par M. A. Garon. Paris, Belin (1881, 1883, 1884, 1886, 1887). In-12 de xii-200 p.

1880. §

Phædri fabul. libri V. Nouvelle édition classique avec les fables de La Fontaine en regard par Ed. Rocherolles… Paris, Garnier frères (1882, 1883). In-18 jésus de vi-162 p.

Phædri Avgvsti liberti Fabvlarum Æsopiarvm libri qvinqve cvm adnotationibvs cvrante Oswaldo Berrinio. Stamperia reale di Torino di G. B. Paravia e comp. Editori-librai, Roma-Torino-Milano-Firenze. In-8º de 96 pages contenant les fables anciennes et vingt-deux des nouvelles.

1882. §

Fables de Phèdre. Nouvelle édition publiée par M. l’abbé {p. 227}Frette. Paris, impr. Lahure, libr. Palmé. In-18 jésus de viii-184 p.

Le Favole di Fedro. Testo annotato per le scuole da G. Rigutini. In Firenze, G. C. Sansoni editore. In-16 de xii-87 pages.

1883. §

Phædri Augusti liberti Fabularum libri. Édition classique précédée d’une notice littéraire par M. Deltour, inspecteur général de l’Instruction publique. Paris, impr. et libr. Delalain frères. In-18 de xvi-76 pages.

1884. §

Fables choisies de Phèdre. Nouvelle édition classique abrégée, graduée et annotée, contenant 50 fables, dont 30 avec les imitations de La Fontaine en regard, précédée d’une notice sur Phèdre et suivie d’un lexique par E. Darras, professeur à l’École Albert-le-Grand à Auteuil. Paris, lib. Gaume et Cie (1885), In-18 jésus de ix-144 pages.

1887. §

Le poesie di Fedro publicate per cura di Salvatore Concato. Bologna, Società tipografica Azzoguidi. In-8º grand format de 139 pages, contenant : 1º Studio sulla favola di Fedro (pages 7 à 95) ; 2º Le Poesie, comprenant seulement une partie des fables anciennes (pages 97 à 138).

Section II.
Éditions des traductions. §
§ 1. — Traductions françaises. §
1664. §

 

 

Les fables de Phèdre affranchy d’Avgvste traduites en françois, avec le latin à costé. Pour servir à bien entendre la langue Latine, et à bien traduire en François. Septième édition reveüe et corrigée. A Paris, chez Claude Thiboust, libraire juré de l’Université, {p. 228}sur la terre de Cambray, devant le College des trois Evesques. In-24 de 122 feuillets numérotés, précédés de 10 et suivis de 6 non numérotés, contenant le texte des fables anciennes et la traduction en prose en regard.

1683. §

 

 

Les fables de Phèdre affranchy d’Avgvste, Traduites en François avec le Latin à côté. Pour servir à bien entendre la Langue Latine, et à bien traduire en François. Cinquième édition. A Lyon, chez F. Larchier, proche l’hôpital. Avec Permission. In-12 de 153 pages, suivies de 6 pages de table non numérotées.

Les Fables de Phèdre affranchy d’Avgvste traduites en François avec le Latin à côté, etc. Sixième édition. A Lyon, chez Antoine Molin, vis-à-vis le grand Collège. Avec permission. In-12 de 153 pages, suivies de 6 pages de table non numérotées. Réimpression de la précédente édition.

1705. §

 

 

Les Fables de Phèdre affranchy d’Avgvste, tradvites en françois avec le latin à côté. Pour servir à bien entendre la langue Latine et à bien traduire en François. A Avignon, chez François Mallard, Imprimeur de l’Université et Marchand libraire. A la place S. Didier.

1725. §

 

 

Phædri fabulæ et P. Syri Mimi sententiæ. Hac sexta Editione auctiores, cum Notis et Emendationibus Tanaquilli Fabri. Accedit et Gallica Versio fere de novo reficta. Hagæ Comitum, apud Petrum Gosse. In-12 de xxiv-274 pages, contenant une préface, la vie de Phèdre, les jugements des auteurs modernes, le texte du fabuliste et les fables restituées par Gude accompagnés d’une traduction en prose française en regard, et les sentences non traduites de A. Sénèque et de Syrus Mimus. Cette édition, quoique citée par Schwabe, est mentionnée ici, parce qu’il n’en a donné qu’une analyse inexacte, notamment en la prétendant sans nom de libraire.

1736. §

 

 

Les fables de Phèdre, affranchy d’Auguste, traduites en François {p. 229}avec le latin à côté… A Rouen, chez Sébastien de Caux, rue des Jésuites. In-36.

1757. §

 

 

Les Fables de Phèdre, affranchi d’Auguste, traduites en françois, augmentées de huit fables qui ne sont pas dans les Éditions précédentes, expliquées d’une manière très facile. Avec des remarques… A Paris, chez Paul Denis Brocas. In-12 de 467 pages, précédées de 12 feuillets non chiffrés.

1775. §

 

 

Les fables de Phèdre, affranchi d’Auguste, en latin et en françois. Nouvelle traduction, avec des remarques, dédiée à Mgr le Duc de Bourgogne. Rouen, Rich. Lallemant. In-12.

1806. §

 

 

Fables de Phèdre, affranchi d’Auguste, traduites en français avec le texte à côté, et ornées de gravures. Paris, P. Didot l’aîné. 2 vol. in-12.

1809. §

 

 

Fables de Phèdre, divisées en quatre livres égaux, enrichies de notes et traduites en français, conformément à l’édition latine donnée en faveur des étudiants, avec les suppressions commandées par la décence. Par J. E. J. F. Boinvilliers. Paris, Delalain (1818, 1820). In-12.

1812. §

 

 

Les Fables de Phèdre, avec la traduction interlinéaire par M. Maugard, professeur de langues anciennes et modernes. Paris, 1º C. Joyant, 2º Tardieu-Denesle et Cie. In-8º de 18 feuilles.

Nouvelles Fables de Phèdre, traduites en vers italiens par M. Petronj et en prose française par M. Biagioli…, et précédée[s] d’une préface française par M. Ginguené. Paris, P. Didot l’aîné. In-8 de 16 feuilles et demie.

1813. §

 

 

Traduction en vers français des fables complètes de Phèdre, et des trente-deux nouvelles fables publiées d’après le manuscrit de {p. 230}Perotti ; avec le texte en regard et des notes. Paris, Louis Duprat-Duverger. In-8º de 24 feuilles.

Fables de Phèdre, traduites en vers français et précédées d’une Épître à un écolier de sixième. Paris, Duprat-Duverger. In-18 de 5 feuilles.

1816. §

 

 

Fables de Phèdre, traduction nouvelle avec des notes, par M. l’abbé Paul, ancien professeur d’éloquence de l’Académie de Marseille. Lyon, Tournachon-Molin. In-12 de 11 feuilles et demie.

1820. §

 

 

Les Fables de Phèdre affranchi d’Auguste, traduites en français. Dernière édition, revue et augmentée. Avignon, J.-A. Joly. In-18 de 5 feuilles.

1822. §

 

 

Fables complètes de Phèdre affranchi d’Auguste, traduites par Auguste de Saint-Cricq, avec le texte en regard. Paris, Égron. In-8º de 20 feuilles.

1826. §

 

 

Traduction et examen critique des fables de Phèdre comparées avec celles de La Fontaine, par M. Beuzelin père, ancien chef d’Institution à Paris ; ouvrage revu et continué par l’abbé Beuzelin, officier de l’Université, Proviseur du collège royal de Limoges… Paris, Belin-Mandar. In-8º d’un quart de feuille.

Fables de Phèdre, traduction nouvelle avec des notes. Par M. l’abbé Adolphe Masson, professeur dans l’Académie de Paris. Paris, Brunot-Labbé. In-12 de 8 feuilles 5 sixièmes.

1827. §

 

 

Fables anciennes et nouvelles de Phèdre, traduites en français avec le texte en regard revu sur les meilleures éditions. Par M. G. Duplessis, inspecteur de l’Académie royale de Caen. Paris, Maire-Nyon. In-12 de 11 feuilles.

1830. §

 

 

Fables de Phèdre, latin-français, traduction de l’abbé Paul. {p. 231}Nouvelle édition adaptée à celle de Brotier, augmentée de la traduction des nouvelles fables attribuées à Phèdre, et suivie des fables imitées par La Fontaine. Paris, Delalain (1837). In-12 de 10 feuilles 5 sixièmes.

Fables de Phèdre, affranchi de l’empereur Auguste ; traduction fidèle et littérale en vers français avec le texte en regard. Par M. Bouriaud aîné… Seconde édition… Paris, L. Hachette, et Limoges, Ardant (1re édition, 1819). In-12 de 11 feuilles.

Nouvelles Fables attribuées à Phèdre, latin-français. Traduction nouvelle. Par M. Genouille. Paris, Aug. Delalain. In-12 d’une feuille 1 tiers.

1834. §

 

 

Fables de Phèdre. Traduction nouvelle par M. Ernest Panckoucke. Paris, C.-L.-F. Panckoucke (1839, 1864, 1877). In-8º de 25 feuilles.

Fables de Phèdre, expliquées en français suivant la méthode des collèges, par deux traductions, l’une littérale et interlinéaire, avec la construction du latin dans l’ordre naturel des idées, l’autre conforme au génie de la langue française ; précédées du texte pur et accompagnées de notes explicatives, d’après les principes de MM. de Port-Royal, Du Marsais, Beauzée et des plus grands maîtres. Par E.-L. Frémont. Paris, Delalain. In-12 de 11 feuilles.

1835. §

 

 

Fables de Phèdre, en latin et en français, avec version interlinéaire en regard. Nouvelle édition conforme à celle de Brotier, augmentée : 1º d’un double appendice, etc., etc., par V. Parisot. Paris, Poilleux. In-12 de 17 feuilles 1 sixième.

1838. §

 

 

Le Phèdre de la Jeunesse, ou traduction en vers des fables de Phèdre ; par M. Boyer-Nioche. Paris, Igonette (1843). In-18 de 5 feuilles.

1839. §

 

 

Œuvres complètes d’Horace, de Juvénal, de Perse, de Sulpicia, de Turnus, de Catulle, de Properce, de Gallus et Maximien, {p. 232}de Tibulle, de Phèdre, de Syrus, avec la traduction en français ; publiées sous la direction de M. Nisard. Paris, Dubochet (1850). In-oct. maj. de 52 feuilles et demie.

1840. §

 

 

Traduction des fables de Phèdre, précédée d’une notice sur la vie et les œuvres de ce poète, par A. de Chevallet. Paris, Ebrard. In-18 de 6 feuilles.

1845. §

 

 

Fables de Phèdre, traduites en français avec le texte latin en regard et des notes par M. D. Marie (1858, 1882, 1886). Paris, Hachette. In-12 de 4 feuilles 1 sixième.

1846. §

 

 

Fables de Phèdre. Traduction nouvelle en vers français, texte en regard par M. A. Scribe. Paris, Dezobry, E. Madeleine et Cie, Comptoir des imprimeurs unis, et Moreau. In-12 de 13 feuilles et demie.

1859. §

 

 

Fables de Phèdre, traduites en vers par Hippolyte d’Aussy (de Saint-Jean d’Angely). Saint-Jean d’Angely, Sandeau. In-8º de xii-112 pages.

1860. §

 

 

Traduction en vers français des хххii nouvelles fables attribuées à Phèdre, d’après le manuscrit de Perroti, par M. J. H. Rossand. Saint-Étienne, Théolier (1858). In-8º de 46 pages.

1869. §

 

 

Fables de Phèdre. Traduction en vers français par M. C. Macaigne, professeur. Première partie : livres I et II. Château-Thierry, Renaud. In-16 de 86 pages.

1875. §

 

 

Fables de Phèdre, latin-français en regard. Traduction nouvelle par A. Lebobe, ancien professeur. Paris, Jules Delalain et fils. In-12 de 148 pages.

{p. 233} 1878. §

 

 

Les auteurs latins expliqués, d’après une méthode nouvelle, par deux traductions françaises, l’une littérale et juxta-linéaire présentant le mot à mot français en regard des mots latins correspondants, l’autre correcte et précédée du texte latin avec des sommaires et des notes par une société de professeurs et de latinistes. Phèdre, Fables. Paris, librairie Hachette et Cie. In-12 de iv-236 pages.

1880. §

 

 

Fables de Phèdre, traduites en vers par Mmes Nancy Mary Lafon. Paris, C. Lévy. In-18 de viii-184 p.

1881. §

 

 

Fables de Phèdre anciennes et nouvelles, éditées d’après les manuscrits et accompagnées d’une traduction littérale en vers libres par Léopold Hervieux. Paris, E. Dentu. In-18 de l-258 pages.

1883. §

 

 

Fables classiques de Phèdre, vers pour vers, principalement suivant l’édition petit in-18 de Jules Delalain, par Domeck, chef d’institution. Paris, librairie Didier et Cie. In-18 jésus de xix-67 pages.

§ 2. — Traductions allemandes. §
1791. §

 

 

Phæders, Æsopische Fabeln ganz deutsch mit lat. Anmerkgn. Halle, Renger. In-12.

1808. §

 

 

— Æsopische Fabeln neu übers, von Frz. Xav. Sperl. Grätz, Ferstl. In-8º.

1815. §

 

 

— Neu entdeckte Fabeln. Aus dem Latein, übers, v. C. Ant. Gruber v. Grubenfels. Mit den Latein. Texte u. Anmerkgn. Wien, Gerold. In-12.

{p. 234} 1818. §

 

 

— Æsopische Fabeln metr. übers, v. J. L. Schwarz. Halle, Schimmelpfennig. In-8º maj.

1819. §

 

 

— Æsopische Fabeln in Trimetern übers, von Ch. Alb. Vogelsang. Leipzig, Steinacker (1823). In-8º maj.

1834. §

 

 

— Æsopische Fabeln im Versmasse des Originals übers. von Fried. Heinzelmann. Salzwedel (Magdeburg, Creutz). In-8º maj.

1838. §

 

 

— Æsopische Fabeln 5 Bücher. Uebers. u. mit. Anmerkgn. begleitet von H. J. Kerler. 2 Bdchen. Stuttgart, Metzler. In-16.

1851. §

 

 

Phædri Augusti Liberti fabulæ. Für Schüler mit erläut. u. eine richtige Uebersetzung fördernden Anmerkungen versehen von Johs. Siebelis. Leipzig, Teubner (1860, 1865, 1874). In-8º maj. v. xii u. 75 s.

1857. §

 

 

Des Phædrus, Freigelassenen des Augustus, Æsopische Fabeln. Uebersetzt von A. R. v. A. Leipzig, Teubner. In-8º v. xx u. 172 s.

§ 3. — Traductions anglaises. §
1826. §

 

 

Phædrus’ Fables, latin and english, on the Hamiltonian System. London. In-12.

1828. §

 

 

Phædrus with a litteral english translation. London. In-8º.

{p. 235} 1846. §

 

 

Phædrus fables construed into english for Grammar Schools. London, Simpkin. In-12.

1853. §

 

 

Phædrus’ fables, literally translated by H. T. Riley ; also Smart’s Metrical version of Phædrus, together with Terence literally translated by Riley, in one vol. London, Bohn’s Classical Lib. In-8º.

§ 4. — Traductions espagnoles. §
1793. §

 

 

Fabulas de Phædro, liberto de Augusto, traducidas al castellano en verso, y prosa, con la explicacion de los accidentes de cada palabra, á fin de facilitar su intelligencia en el grado posible, por Don Rodrigo de Oviedo, catedrático de buena-version de los reales estudios de la corte. Con licencia. En Madrid, por Don Blas Román (1801). 2 vol. in-12.

1819. §

 

 

Fabulas de Phedro, liberto de Augusto, traducidos al castellano en verso y prosa, con la explicacion de los accidentes de cada palabra, á fin de facilitar su inteligencia en el grado posible. Por D. Rodrigo de Oviedo, catedrático de buena version de los reales estudios de la corte. Madrid, imp. de la calle de la Greda, lib. de la Publicidad. 2 vol in-8º.

1820. §

 

 

Fabulas de Phedro, liberto de Augusto, en latin y castellano, illustradas con algunas notas mas de las que tenian, para las mas fácil inteligencia y uso de los principiantes en los estudios de gramática, y corregidas con mayor exactitud. Por de Francisco de Cepeda, maestro de latinidad en los reales estudios de S. Isidro é individuo de la real Academia matritense. Madrid, imp. de la V. de Bario Lopez, lib. de la V. de Razola. In-8º.

{p. 236} 1827. §

 

 

Fabulas de Fedro, liberto de Augusto, en latin y Castellano, illustradas con algunas notas mas de las que tenian, para la facil inteligencia y uso de los principiantes en los estudios de gramática, y corregidas con mayor exactitud por D. Francisco de Cepeda, maestro de latinidad en los reales estudios de S. Isidro é individuo de la real academia matritense. Madrid, imp. y lib. de J. Viana Razola. In-8º.

1842. §

 

 

Fabulas de Fedro, liberto de Augusto, en latin y castellano. Paris, Pillet aîné. In-18 de 6 feuilles et demie.

1844. §

 

 

Fabulas de Fedro, liberto de Augusto, en latin y castellano. Paris, Rosa (1856, 1861, 1876). In-18 de 7 feuilles.

1854. §

 

 

Fabulas de Fedro, liberto de Augusto, en latin y castellano Paris, Garnier frères (1860). In-18 de 7 feuilles.

§ 5. — Traductions italiennes. §
1734. §

 

 

Le Favole di Fedro, Liberto d’Augusto, tradotte in versi volgari da D. Giovanni-Grisostomo Trombelli, Canonico Regolare del Salvadore. In Venezia. Appresso Francesco Pitteri, In Merceria all’ Insegna della Fortuna Trionfante. Con Licenza de’ Superiori, e Privilegio (1735, 1739, 1762, 1775, 1781, 1784 Napoli, Cristoforo Migliaccio, 1792 Venezia, Pietro Zerletti, 1862 Napoli, Societa della bibliotheca Latina Italiana). In-8º de xvi-237 pages, contenant, pages 2 à 145, les fables anciennes de Phèdre et les cinq restituées par Gude, avec la traduction en vers italiens en regard : Les pages 146 à 229 sont occupées par un Index vocabulorum, et les pages 230 à 237, par un Index fabularum.

{p. 237} 1780. §

 

 

Saggio sopra Fedro di un Pastore Arcade. In Napoli per Michele Morelli. Con Licenza de’ Superiori. In-8º de 229 pages numérotées, suivies d’un errata de 3 pages non numérotées. Le volume comprend d’abord une étude sur Phèdre divisée en 113 paragraphes et les fables elles-mêmes, dont chacune est suivie : 1º de notes ; 2º de cinq traductions italiennes composées par Malaspina, Trombelli, Migliarese, un anonyme et un dernier auteur non indiqué, mais sans doute éditeur du volume ; 3º de Riflessione morale ; 4º d’Osservazioni sulle traduzioni.

1785. §

 

 

Phædri et Aviani fabulæ. Accedunt M. Aur. Olymp. Nemesiani Cynegeticon et Bucolicon, itemque Gratii Falisci Cynegeticon et Halieutica. Cum appositis italico carmine, interpretationibus, ac notis. Mediolani, Typis lmp. Monast. S. Ambrosii Majoris. Superiorum permissu. In-8º grand format de xxiv-431 pages.

1798. §

 

 

Le Favole di Fedro in volgar prosa tradotte con annotazioni del sacerdote Antonio Millo. Edizione seconda. A Spese di Annania Coen di Reggio. In-16 de 148 pages contenant, sous le texte latin, la traduction en prose italienne des Fables de Phèdre et de celles restituées par Gude. Au bas de la page 148 on lit : Parma ; Per i fratelli Gozzi.

1812. §

 

 

Traduction de Petronj, mentionnée page 229 ci-dessus.

1817. §

 

 

Le Favole di Fedro liberto di Augusto, ripurgate in volgar prosa Toscana recate a riscontro del testo latino ed illustrate con note di varie maniere per Sebastiano M. Zappala, professore di lingua greca e di umane lettere ad uso delle Scuole del Vescovil Seminario di Catania. Quarta edizione Veneta. Bassano, dalla tipografia Remondini (1823). In-12 de xxiv-285 pages, contenant le texte {p. 238}de Phèdre et des cinq fables restituées par Gude avec la traduction en prose italienne placée en regard.

1818. §

 

 

Tutte Le favole di Fedro liberto d’Augusto tradotte in anacreontiche dal professore Abate Cervelli. Milano, presso Gio-Pirotta. In-12 de 434 pages, précédées de 12 pour le frontispice, l’avis au lecteur, la vie de Phèdre et la table, et suivies de 2 consacrées aux variantes.

Fedro recato in versi italiani di vario metro, coll’aggiunta delle favole del Codice Perottino di quelle de manoscritto di Digione e di cento sentenze morali di varj antichi autori dal Co. Lauro Corniani d’Algarotti Vinizianio. Venezia, Coi tipi di Francesco Andreola. In-8º de xxiv-173 pages contenant une Prefazione et la Vita di Fedro en italien, et, sans texte latin, la traduction en vers italiens des fables de Phèdre anciennes et nouvelles.

Delle favole Esopiane di Fedro Liberto di Augusto Libri cinque con Appendice di XXXIV favole Riportate dal Burmanno ed altra di XXXII publicate in Napoli nel MDCCCXI. Traduzione di Ludovico Antonio Vicenzi. Modena, per gli eredi Soliani tip. reali. In-8º de x-246 pages, contenant la traduction en vers italiens des fables anciennes, des fables restituées par Gude et Burmann et des fables nouvelles.

1840. §

 

 

Favole Esopiane exposte in vario metro da Cesare Cavara. Aggiuntovi l’elegante volgarizzamento delle nuove favole di Fedro e dell’Appendice lavoro del chiarissimo signor professore Domenico Vaccolini. Bologna, Tipografia di Giuseppe Tiocchi. In-12 de 146 pages numérotées, contenant (p. 87 à 116) la traduction en vers italiens des trente-deux nouvelles fables de Phèdre.

1841. §

 

 

Le Favole di Fedro voltate in rime semi-giocose, con note istoriche da Giovanni Pasquale Professoro di Rettorica. Biella, Presso Ignazio Feria librajo editore. Con permiss. In-12 de 130 pages.

1851. §

 

 

Le Favole di Fedro volgarizzate in rima dal professore Giuseppe {p. 239}Giacoletti D. S. P. Socio de diverse Academie. Torino, Tip. G. Favale e Compagnia. In-16 contenant, sans le texte latin, la traduction en vers italiens des fables anciennes de Phèdre, dans un premier appendice celle des cinq fables restituées par Gude, et, dans un second appendice intitulé : Appendice seconda come nell’edizione Torinese, MDCCCXXXVIII, celle de huit des fables nouvelles.

§ 6. — Traductions illyriennes. §
1813. §

 

 

Phædri Augusti Liberti Fabulæ Æsopiæ versibus illyricis a Georgio Ferrich Ragusino redditæ. Ragusii, Superiorum permissu. — Fedra Augustova. Odsujcgnika pricize esopove u pjesni slovinske prinesene od ghjura ferrichja Dubrovcjanina. U Dubrovniku. S’do-pustjenjem starjescina. Godiscta. In-24 de xii-167 pages contenant les Fables de Phèdre avec la traduction en vers illyriens en regard.

§ 7. — Traductions chinoises. §
1840. §

 

 

Fedro, Aniano, etc. Favole Tradotte d’all’inglese in chinese de Roberto Thom (Anglico et Sinice). Canton, all’officio tipografº. In-4º.

{p. 241}

Livre II.
Étude sur les fables des imitateurs directs et quasi-directs de Phèdre et sur les manuscrits qui les renferment. §

Prolégomènes. §

Une étude sur Phèdre ne serait pas complète, si l’on s’en tenait à son œuvre et si l’on négligeait les collections de fables qui n’en sont que l’imitation plus ou moins servile. Ainsi que je l’ai déjà expliqué, ces collections doivent nécessairement se diviser en deux classes : les unes, qui sont en même temps les plus intéressantes au point de vue philologique, contiennent les fables directement dérivées du texte primitif et celles presque littéralement extraites de ces dernières ; les autres, les fables qui, n’étant que des altérations successives des premiers plagiats, s’écartent nécessairement davantage de la source originale.

C’est seulement des premières qu’il sera question dans ce deuxième livre, qui ne pourra être que très court. Car, si les imitations indirectes sont très nombreuses, celles qui ont dû être faites sur le texte primitif ont presque toutes disparu. On n’en peut plus citer que deux, celle qui, conservée à la Bibliothèque de Leyde, a été publiée par Nilant sous le titre de Fabulæ antiquæ, et celle à laquelle M. Lucien Müller a donné le nom d’Æsopus ad Rufum278. Encore le texte exact de la seconde ne nous est-il pas parvenu et ne pouvons-nous nous rendre compte de ce qu’il a été que par les deux collections qui en ont été tirées.

{p. 242}

Chapitre premier.
Fabulæ antiquæ. §

Section I.
Examen des Fabulæ antiquæ. §

De toutes les collections, celle des fables appelées Fabulæ antiquæ est la plus conforme au texte de Phèdre.

Comme beaucoup de celles qui en sont dérivées, elle a été un plagiat commis au moyen âge par un moine, qui, pour les faire servir à l’enseignement, les a mises en harmonie avec le goût et les idées du temps. Il faut avouer d’ailleurs que, pour atteindre son but, il n’a pas fait grand effort ; car sa prose est la copie presque littérale des vers de l’auteur latin. Pour qu’on en puisse juger, je vais prendre au hasard une des fables de Phèdre, et, après l’avoir transcrite, je copierai celle des Fabulæ antiquæ qui y correspond.

Voici comment est conçue dans le manuscrit de Pithou la fable Graculus superbus et Pavo :

Ne gloriari libeat alienis bonis,
Suoque potius habitu vitam degere,
Æsopus nobis hoc exemplum prodidit ;
Tumens inani Gragulus superbia
Pennas Pavoni quæ deciderant sustulit,
Seque exornavit : deinde contemnens suos,
Immiscuit se Pavonum formoso gregi.
Illi impudenti pennas eripiunt avi,
Fugantque rostris. Male multatus Gragulus
Redire merens cœpit ad proprium genus ;
A quo repulsus tristem sustinuit notam.
{p. 243}Tum quidam ex illis quos prius despexerat :
« Contentus nostris si fuisses sedibus,
Et quod natura dederat voluisses pati,
Nec illam expertus esses contumeliam,
Nec hanc repulsam tua sentiret calamitas. »

Si maintenant on se reporte à la même fable dans les Fabulæ antiquæ, voici ce qu’on y lit :

Tumens inani Graculus superbia
pennas Pavonum, quæ deciderant, sustulit,
seque exinde ornavit ; contempnens suos
miscuit se Pavonum formoso gregi.
Illi imprudenti pennas eripiunt avi,
effugantque miserum. Male multatus Graculus
rediit mœrens ad proprium genus ;
a quo repulsus luctificam iterum sustinuit notam.
Tunc quidam ex his, quem pridem despexerat :
« Contentus nostris si fuisses sedibus,
et pati quod natura dederat voluisses,
nec illam expertus contumeliam fuisses,
nec ad hanc repulsus pervenire potuisses miseriam.
Ne libeat gloriari quenquam bonis alienis,
suis quin potius vivere malle. »

J’ai divisé la prose en autant de lignes qu’il y a de vers imités, et l’imitation était tellement plate qu’en procédant ainsi j’ai rétabli quelques vers du texte original ; en opérant quelques faibles corrections, je les aurais tous reconstitués. La même épreuve comparative, faite sur une autre fable, aurait à peu près donné le même résultat. Les Fabulæ antiquæ sont donc moins l’imitation que l’altération des fables de Phèdre.

Mais ce qui pour les philologues fait leur importance, c’est qu’elles sont loin de se rapporter toutes au texte connu de l’auteur ancien. Sur 67 il n’y en a dans ce cas que 37, de sorte que les 30 autres sont la copie presque littérale de celles qui ne nous sont pas parvenues.

Et il ne faudrait pas croire que c’est là une supposition risquée. La découverte du manuscrit de Naples en démontre au contraire l’exactitude. On y reconnaît les trois fables du manuscrit de Leyde, qui, sous les numéros 46, 50 et 55, ont été par Nilant intitulées : Simia et Vulpis, Lupus, Pastor et Persecutor, et Ovis et Cornix. {p. 244}N’en doit-on pas conclure que, si la découverte, au lieu d’être partielle, avait été complète, on retrouverait aujourd’hui dans les fables de Phèdre tous les originaux des Fabulæ antiquæ ? Évidemment oui, et l’on peut dès lors considérer le manuscrit de Leyde comme ayant sauvé un important débris de l’œuvre originale.

Voici la nomenclature des 67 fables qui forment la collection, avec l’indication des fables correspondantes de l’auteur primitif :


Leyde. Phèdre.
1. Le Coq et la Perle. iii, 12.
2. Les Chiens affamés. i, 20.
3. Le Loup et l’Agneau. i, 1.
4. Le Rat et la Grenouille.
5. Le Chien et la Brebis. i, 17.
6. Les deux Coqs et l’Épervier.
7. Le Chien et l’Ombre. i, 4.
8. Le Limaçon et le Singe.
9. La Vache, la Brebis, la Chèvre et le Lion. i, 5.
10. Le Soleil qui se marie. i, 6.
11. Le Serpent mourant de froid. iva, 19.
12. L’Âne et le Sanglier. i, 29.
13. Le Rat de Ville et le Rat des Champs.
14. L’Aigle et le Renard. i, 28.
15. Le Corbeau et le Renard. i, 13.
16. Le Lion vieilli, le Sanglier, le Taureau et l’Âne. i, 21.
17. L’Âne qui caresse son maître.
18. Le Lion et le Rat.
19. La Grue, la Corneille et le Maître.
20. Les Oiseaux et l’Hirondelle.
21. Les Grenouilles qui demandent un roi. i, 2.
22. Les Colombes et le Milan. i, 31.
23. Le Chien et le Voleur i, 23.
24. Le Chauve et le Jardinier.
25. Le Hibou, le Chat et la Souris.
26. Le Geai vaniteux. i, 3.
27. La Mouche et la Fourmi. iva, 24.
28. Le Loup et le Renard, jugés par le Singe. i, 10.
29. L’Homme et la Belette. i, 22.
30. La Perdrix et le Renard.
31. Le Chien et le Crocodile. i, 25.
32. Le Chien et le Vautour. i, 27.
33. La Grenouille qui s’enfle. i, 24.
34. L’Âne, le Bœuf et les Oiseaux.
35. Le Lion et le Berger.
{p. 245}36. Le Taureau et le Moucheron.
37. Le Cheval et l’Âne.
38. Les Quadrupèdes et les Oiseaux.
39. Le Rossignol et l’Épervier.
40. Le Renard et le Loup.
41. Le Cerf à la Fontaine. i, 12.
42. La Vipère et la Lime. iva, 8.
43. Les Loups et les Brebis.
44. La Hache et les Arbres.
45. Le Loup et le Chien. iii, 7.
46. Le Singe et le Renard. App. 1.
47. Le Marchand et l’Âne. iva, 1.
48. Le Cerf et les Bœufs. ii, 8.
49. Le Lion roi et le Singe. iva, 13.
50. Le Loup et le Berger. App. 28.
51. Les deux Hommes, l’un véridique, l’autre menteur.
52. L’Homme et le Lion.
53. La Cigogne, l’Oie et l’Épervier.
54. La Chienne qui met bas. i, 19.
55. La Corneille et la Brebis. App. 26.
56. La Fourmi et le Grillon.
57. Le Lièvre, le Moineau et l’Aigle. i, 9.
58. Le Cheval, l’Âne et l’Orge.
59. Le Lion malade et le Renard.
60. La Puce et le Chameau.
61. Le Loup et le Chevreau.
62. Le Chien vieilli et son Maître. v, 5.
63. Le Renard et la Cigogne. i, 26.
64. Le Loup et la Grue. i, 8.
65. Le Serpent et le Pauvre.
66. Le Chauve et la Mouche. ivb, 4.
67. L’Aigle et le Milan.

De ces fables les 30 qui ne se trouvent pas dans les manuscrits de Phèdre, sont celles qui portent les numéros 4, 6, 8, 13, 17, 18, 19, 20, 24, 25, 30, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 43, 44, 51, 52, 53, 56, 58, 59, 60, 61, 65 et 67.

Je termine ici ce premier aperçu des Fabulæ antiquæ. Pour mieux en faire apprécier l’importance, j’aurai à les comparer à l’Æsopus ad Rufum. Mais cet examen comparatif suppose connues les deux collections de Wissembourg et du Romulus primitif. Je suis donc obligé de le différer.

{p. 246}
Section II.
Histoire et description du manuscrit des Fabulæ antiquæ. §
§ 1. — Manuscrit Vossianus latinus in-8º, 15. §

Le manuscrit qui renferme la collection des Fabulæ antiquæ se trouve aujourd’hui à la bibliothèque de Leyde. Il fait partie du fonds Vossius, et, parmi les manuscrits de ce fonds appelés Vossiani Latini in-8º, il figure sous le nº 15.

On sait qu’après la mort d’Isaac Vossius le gouvernement hollandais fit acheter en Angleterre et transporter à Leyde la bibliothèque de ce savant, dont ce manuscrit faisait partie et dans laquelle il portait le numéro 294. Il est probable qu’il l’avait lui-même reçu de la reine Christine, pour qui il avait dû l’acheter à la vente de la bibliothèque de Paul Petau. Car ce dernier, en tête du feuillet 195 où commencent les fables ésopiques, avait écrit cette note : Harum quæ sequuntur fabularum quædam sunt e Phædro verbatim desumptæ. Il paraît que le manuscrit avait primitivement appartenu à l’abbaye de Saint-Martial de Limoges ; mais j’ignore par suite de quelles vicissitudes il en était sorti.

C’est non pas un in-8º, comme l’indique sa cote, mais un in-4º, dont l’écriture sur vélin, s’il faut en croire Tross279, remonte au xe siècle. Cette appréciation de l’âge du manuscrit a été également adoptée par M. Oesterley dans la préface de son édition du Romulus Burnéien, et m’a été à moi-même exprimée par M. le {p. 247}Dr W. N. du Rieu, conservateur des manuscrits de la bibliothèque de l’Université, que je ne saurais ici trop remercier de sa franche et cordiale obligeance.

Mais cette appréciation n’est pas tout à fait exacte. Je puis à bon escient affirmer que le manuscrit, qui est un volume formé de pièces très diverses reliées ensemble, est en partie de la fin du xe siècle et en partie du commencement du xie. Car je l’ai vu et j’ai eu la possibilité de l’examiner à loisir. Je dois même avouer qu’il a été pour moi une cause de déception assez vive. Au mois de juillet 1876 ayant fait, dans l’unique but de l’étudier, le voyage de Hollande, j’appris par M. du Rieu que le manuscrit était absent, qu’un savant français était venu le voir, qu’à la suite de son voyage un autre érudit de Paris l’avait demandé, qu’il lui avait été adressé par la voie diplomatique, et qu’il devait être momentanément déposé aux Archives nationales.

M. du Rieu, qui depuis longtemps attendait ma visite, avait fait démonter la reliure du manuscrit, et ne s’était d’abord dessaisi que des quaternes, dans lesquels ne se trouvaient pas les fables ésopiques. Mais la partie qu’il avait conservée ayant ensuite été réclamée, il l’avait envoyée aux Archives, de sorte qu’à mon arrivée il ne possédait plus le moindre feuillet du manuscrit. On conçoit quel fut mon mécompte : pour le chercher à Leyde où il n’était pas, j’avais quitté Paris où il était. Mais ce n’était là qu’un de ces petits ennuis qui aiguillonnent la curiosité et qui rendent ensuite plus agréable le succès définitif des recherches.

Lorsque je fus de retour à Paris, muni de l’autorisation écrite de M. du Rieu, je pus sans difficulté prendre communication du manuscrit.

Qu’on me permette, avant d’en donner l’analyse, de parler du copiste à qui sont dus, sinon en totalité, au moins en grande partie, les divers éléments dont il se compose. J’ai dit plus haut que le manuscrit avait appartenu à l’abbaye de Saint-Martial. J’ajoute qu’il y avait pris naissance. C’est là qu’avaient été écrites les pièces dont la réunion l’avait constitué. Presque toutes sont de la même main, et cette main était celle d’un moine nommé Adémar.

Adémar, qu’on appelle aussi Aymar, naquit vers 988, à Chabanais, localité située à distance à peu près égale d’Angoulême et de Limoges, entra tout jeune, pour y faire ses études, au monastère {p. 248}de Saint-Cibard établi dans la première de ces deux villes, puis devint moine de l’abbaye de Saint-Martial établie dans la seconde. Vers 1029, entraîné par sa ferveur religieuse, il partit pour la Terre-Sainte où il mourut. Ses biographes ne sont pas d’accord sur la date de sa mort. Dans la Biographie universelle de Michaud280 et dans la nouvelle Biographie générale de MM. Firmin Didot frères281, les notices qui le concernent la fixent à l’année 1030, et, dans le Dictionnaire de Patrologie282, l’abbé Sevestre s’en rapporte à eux. Moreri283 et l’auteur de la notice qui lui a été consacrée dans l’Histoire littéraire de la France284 admettent au contraire qu’il à pu vivre jusqu’en 1031. Aucune de ces dates n’est exacte : c’est en 1034 qu’il mourut ; et il ne peut y avoir de doute à cet égard ; car voici ce qu’on lit dans la Chronique de Bernard Itier, moine de Saint-Martial, qui fut secrétaire du chapitre de cette abbaye : « Anno gracie Mo.XXX.iiij, obiit Ademarus monacus, qui jussit fieri vitam sancti Marcialis cum litteris aureis et multos alios libros, et in Jherusalem migravit ad Christum285. »

Adémar avait consacré à l’étude tous les loisirs de sa vie monastique, et écrit plusieurs ouvrages, dont, avant son départ, il avait disposé en faveur de son couvent. Le principal paraît être une chronique de l’histoire de France. Commençant à Pharamond, elle se continue jusqu’à l’année 1029, date de son départ pour la Palestine, est considérée aujourd’hui encore comme une source importante et, surtout à partir du temps de Charles Martel, fournit de précieux renseignements. Le savant P. Labbé l’a corrigée et {p. 249}publiée dans la Nouvelle Bibliothèque des manuscrits. C’est des ouvrages d’Adémar à peu près le seul qui ait vu le jour ; sauf une lettre sur l’apostolat de saint Martial et quelques vers acrostiches, conservés dans les Analecta de Mabillon, ses autres ouvrages n’ont pas été imprimés286.

Le manuscrit, que je vais maintenant décrire, montre que, comme tous les moines lettrés du moyen âge, Adémar, s’il a été auteur, n’a pas non plus dédaigné de se faire simple copiste.

Le manuscrit est complet et en bon état ; mais l’écriture n’en est pas partout également lisible. D’après M. Pertz, dont l’appréciation est heureusement fort exagérée, le texte serait presque indéchiffrable et la lecture en serait rendue plus pénible encore par le désordre qui s’y remarque ; il ne se composerait que de lambeaux d’œuvres très diverses, réunis ou plutôt confondus ensemble par diverses mains du xe siècle, de sorte que sur la même ligne, sans épigraphe ni disjonction, une œuvre nouvelle ferait suite à une autre toute différente. « C’est, ajoute M. Pertz, une espèce de collection d’extraits ou de recueil de notes où se mêle tout ce qui est passé par la tête de l’écrivain. » Il y voit ce qu’on appellerait aujourd’hui un keepsake.

Il s’est complètement fourvoyé, et son erreur paraît provenir de ce qu’il n’a pas su qu’à la reliure on avait réuni en un seul volume des pièces, qui isolément ne contenaient pas des extraits ajoutés pêle-mêle les uns aux autres, mais qui, étant sans corrélation entre elles, ont donné au manuscrit une fausse apparence de désordre.

L’analyse de tous ces fragments se trouve dans les Catalogues des manuscrits de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, imprimés à Oxford en 1697, en deux volumes in-folio287, dans l’ancien catalogue des livres de la Bibliothèque de l’Université de Leyde288, {p. 250}et, avec plus de détails, dans les Archives de la Société des antiquaires allemands, publiées à Hanovre par M. Pertz289. Enfin M. du Rieu a rédigé et mis en tête du manuscrit une table des matières, accompagnée de références nombreuses et véritablement instructives.

J’aurais pu me borner à recopier ici une de ces nomenclatures ; j’ai cru devoir m’aider de toutes, me servir en même temps de mes propres notes et de ces éléments réunis faire une analyse nouvelle.

La reliure ayant été démontée, je me suis trouvé à Paris, non devant un seul manuscrit, mais en face de 28 cahiers ou quaternes, composés, le premier de la table dressée par M. du Rieu, et les 27 autres, des anciens feuillets en parchemin.

Premier quaterne.

Table des matières dressée par M. du Rieu.

Deuxième quaterne (Fol. i).

Fol. i a. — Le manuscrit commence par un feuillet qui ne dépend pas des autres, et qui devait plutôt appartenir à la couverture. L’écriture plus récente est du xiiie siècle. Voici ce qu’on y lit :

Anno gratiæ 1221. mense Augusto insurrexerunt milites Lemovicensis pagi contra Guidonem Lemovicensem cum armis : omnes simul sacramento firmo astricti, erant : P. et G. de Malamort. Otto de Bre. Gui et Segui Lastors. P. la Porcharic cum filiis suis. Hugo vig. W. de Gordo. P. b. Gui de Peiregnes, Joscinev Audoi de Perulla. Seg. Helias cum fratre suo. et multi alii. Sed pace inter eos reformata, quidam ex ipsis O. scilicet S. Cotet, P. de Malamort, Gui Lastors. Segui Lastors captus est ab Ademaro fratre Guidonis vice-comitis. Hanno obiit abbas de Charras. Raols de Cuilēc. Audebert Oliver efficitur prepositus sancti Vatc̄i cum Simone Malafaida. et debebant libr. IX.

Au verso du fol. i, à la suite du récit qui précède, se trouve une liste de noms des abbés de Saint-Martial. Elle est d’une autre {p. 251}écriture que le fragment précédent, et l’encre en est beaucoup plus noire.

Troisième quaterne (Fol. ii à xi).

Fol. ii a à iv a. — Ces feuillets sont occupés par des figures bibliques, qui, quoique grossières, sont cependant supérieures à celles qui se rencontrent plus loin dans le texte des fables. Cette différence semblerait indiquer que le manuscrit est l’œuvre de plusieurs copistes. Il est néanmoins possible qu’il soit presque entièrement écrit de la main d’Adémar, et que la différence dans les dessins tienne à ce que ceux des fables qui sont les plus grossiers sont son œuvre et à ce qu’il a copié sur d’autres ceux des feuillets 2 à 4.

Fol. iv b. — Romulus thiberino filio civitate atlica. Esopus, etc. C’est la dédicace de Romulus, qui occupe les six premières lignes de la page.

La septième ligne commence par ces mots, qui, dans le texte du premier livre de Romulus, servent de titre à la fable du Milan malade : Qui semper blasfemat, in angustia quid rogat ? Puis à la suite, sans interruption, le copiste a transcrit l’hymne à saint Benoît dont voici le premier vers :

Ordiar unde tuos, sacer o Benedicte, triumphos.

C’est, comme on le sait, l’œuvre du diacre Paul, auteur de l’hymne à saint Jean plus connue encore290.

La page se termine par quelques maximes des sept Sages, en partie formulées en langue grecque.

Fol. v a. — Incipiunt Simphosii enigmata. L’opuscule placé sous ce titre a été publié dans le Jahrb. f. Philol. 1866, pages 266 et s., par M. L. Müller, qui pour son édition a eu recours au texte de ce manuscrit.

Fol. v b à viii a. — Incipit liber fabularum Teodosii, imo Avieni. Dubitanti mihi, optime Theodosi, etc. — Rustica deflentem, etc. M. L. Müller s’est occupé, dans le Rheinisches Museum für Philologie, 1867, p. 507, de ce texte des fables d’Avianus.

{p. 252}Fol. viii a in medio. — Epigramma de laboribus herculis.

Fol. viii b à x a. — Inc. versus Hilarii de Martirio Maccabeorum. Rex fuit Antiochus Siriæ, etc.

Fol. x a. — Remmi Favini epistola de ponderibus ad Symmachum. Riese, dans son Anthologia Latina, a publié ce petit poème, sous le nº 486.

Fol. x b à xi b. — Eiusdem periegesis e Dionysio. Annue rex cœli, etc.

Quatrième quaterne (Fol. xii à xiii).

Fol. xii a. — Donati quædam. Primo nobis interrogandum est quod nomen habeat ista prefacio. Au texte écrit par une première main une seconde a ajouté en marge un très grand nombre de gloses.

Fol. xiii b. — Gloses qui se rapportent au même texte.

Cinquième quaterne (Fol. xiv à xix).

Le cahier qui constitue ce quaterne, moins grand que les autres, n’a que les proportions du petit format in-8º.

Fol. xiv a à xv a. — Ici se place une œuvre philosophique, qui occupe les trois premières pages du quaterne, et que le copiste a laissée incomplète. Elle commence par ce distique :

Hæc quicumque legis diversaque verbula ca[r]pis :
Que pascunt animo, si vis intendere sensum.....

Fol. xv b à xix b. — Gloses sur l’Ancien Testament. Elles paraissent d’une autre main que les écritures qui précèdent.

Sixième quaterne (Fol. xx à xxi et xxx à xxxii).

Fol. xx a. — Sermon commençant par ces mots : Festiva beatissimi B. solemnitas Christo Domino propitiante refulget, etc.

Fol. xx b. Martyrologium Bedæ. C’est un petit poème en vers hexamètres dont le prologue commence ainsi :

Bis sena mensum vertigine volvitur annus.

Fol. xxi b. Virgilius de vere et hieme. Voici le commencement :

Conveniunt subito cuncti de montibus altis
Arboreas pariter lætas celebrare camenas.

{p. 253}Epitaphium Virgilii.

Mantua me genuit, Parthenope sepelit, etc.

Fol. xxx a. — Suite de l’épitaphe de Virgile.

Fol. xxx b. — Prisciani de Est et non. C’est une œuvre en vers dont voici le premier :

Est et non cuncti monosillaba nota frequentant.

Fol. xxx b à xxxii b. — Opuscule cosmographique, où se trouvent beaucoup de mots arabes.

Septième quaterne (Fol. xxii à xxix).

Ici une explication est nécessaire. Ce quaterne, composé de huit feuillets, avait été intercalé dans le précédent. C’est ainsi que, tandis que les nos 20, 21, 30, 31 et 32 avaient été donnés aux cinq feuillets du précédent, celui-ci avait reçu, à raison de la position qu’il occupait, les nos 22 à 29.

Fol. xxii a. — Gloses sur Perse.

Fol. xxii b à xxix b. — Ici commence une seconde copie de l’œuvre, dont la première copie incomplète débute en tête du fol. xiv par ce vers :

Hæc quicumque legis diversaque verbula ca[r]pis.

Cette seconde copie, qui paraît complète et qui semble être de la main d’Adémar, occupe tout le quaterne et se termine au verso du fol. xxix. C’est sans doute sur elle que M. Pertz a dû surtout baser le reproche de désordre qu’il a adressé à Adémar, et qui ici était plutôt à faire au relieur.

Huitième quaterne (Fol. xxxiii à xxxvi).

Fol. xxxiii a à xxxv a. — Sermon commençant par ces mots : Legimus sanctum Moysen populo Dei precepta dantem, etc.

Fol. xxxv b à xxxvi b. — Pages blanches.

L’écriture de ce quaterne paraît étrangère à Adémar.

Neuvième quaterne (Fol. xxxvii à xliv).

Fol. xxxvii a à xliii b. — Les sept premiers feuillets de ce quaterne sont remplis par des dessins à la plume destinés à servir {p. 254}d’illustrations à l’ouvrage de Prudence connu sous le nom de Psychomachia seu pugna Virtutum.

Voici quelques-unes des légendes, qui accompagnent ces illustrations : Fol. 37. Loth capitur ab hostibus ; Fides interficit Perfidiam ; Socios coronat ; Pudicitia contra Libidinem pugnat. — Fol. 38. Ira gladio suo se interficit ; Pacientia victrix Iram mortuam increpat. — Fol. 39. Superbia equitat ; Equum incitat ; Superbia in foueam cadit ; Luxuria prandet. — Fol. 40. Voluptas per spinas fugit. — Fol. 41. Largitas procedit in campum ; Largitas invadit Avaritiam ; Largitas spolia distribuit. — Fol. 42. Discordia vulnerat Concordiam ; Discordia inter gladios virtutum. — Fol. 43. Sapientia in solio residens.

Le dernier dessin, au-dessous duquel on lit ces mots : Auctoris graciarum actio, représente le dessinateur sous la figure d’un moine, qui n’est autre qu’Adémar. Son portrait a donc été conservé ; mais l’inexpérience du dessinateur permet de douter de la ressemblance.

Fol. xliv a. — Opuscule, en prose latine rimée, en l’honneur du Christ.

Fol. xliv b. — Porphirius. Et au-dessous un poème, commençant par ces mots : In quattuor versus omnis, etc. C’est celui qui est à la fin des éditions de l’auteur.

Après viennent des annotations diverses.

Dixième et onzième quaternes (Fol. xlv à liv et lv à lxii).

Fol. xlv a à lx b. — Psychomachia de Prudence. Voici le titre : Incipit liber Aurelii Prudencii Clementis qui grece psichomachia dictus, latine pugna virtutum. Incipit psichomachia. Puis vient ce premier vers du prologue :

      Senex fidelis, prima credendi via.

La Psychomachia elle-même commence ensuite par ce premier vers :

Christe graves hominum semper miserate labores.

Enfin au fol. lx b se lit cette souscription : Aurelii Prudentii Clementis viri clarissimi psichomachia explicit quod latine dicitur animæ certamen.

{p. 255}Fol. lxi a à lxii a. — Versus de sphera cœli.

Hæc pictura docet quicquid recitavit Iginus, etc.

Cette pièce de vers a été publiée par Riese dans son Anthologia Latina291.

Fol. lxii a. Versus Prisciani de signis cœli.

Ad Boreæ partes arcti vertuntur et anguis.

À cet opuscule il est intéressant de comparer les œuvres analogues contenues dans le même manuscrit, notamment : 1º le petit traité d’astronomie qui occupe les fol. xxx b à xxxii b ; 2º l’ouvrage d’Hyginus, qui s’étend du fol. clv a au fol. clxxxviii a, et les dessins, par lesquels le copiste, du fol. clxxii a au fol. clxxxi a, a voulu représenter les constellations.

Fol. lxii b. — Incipit prologus libri Catonis. Cum animadverterem quam plurimos graviter in via morum errare, succurrendum opinioni eorum et consulendum fore existimavi, etc.

Au bas de la même page on lit : Explicit prologus. Incipit liber eiusdem. Ces derniers mots montrent qu’à la suite du prologue venait le livre même de Caton écrit sur un autre cahier qui n’aura pas été retrouvé par le moine de Saint-Martial chargé de classer les manuscrits d’Adémar.

Douzième et treizième quaternes (Fol. lxiii à lxxi et lxxii à lxxxii).

Fol. lxiii a à lxxxii b. — Explication de l’apocalypse, qui occupe deux quaternes. Le premier, qui se compose des feuillets lxiii à lxxi, est dans le format d’un in-8º allongé ; l’autre, dans celui d’un in-4º. L’écriture des deux est la même, mais n’est peut-être pas celle d’Adémar.

Quatorzième, quinzième et seizième quaternes (Fol. lxxxiii à xc, xci à xcviii, xcix à cvi).

Fol. lxxxiii a. — En tête de ce feuillet on lit : Prologus. Ce prologue se compose de dix vers ; à la suite vient l’ouvrage lui-même, dont la nature est, avec le nom de l’auteur, explicitement {p. 256}indiquée par ce titre : Incipiunt epigrammata Prosperi eruditissimi, ex dictis Augustini deflorata, in Christi nomine, amen.

L’écriture ne paraît pas être d’Adémar. L’ouvrage est entier ; il se termine au recto du fol. cvi.

Fol. cvi b. — Page blanche.

Dix-septième quaterne (Fol. cvii à cxiv).

Ce quaterne, quoique du format in-4º, est de plus petite dimension que les autres.

Fol. cvii a. — Gloses grecques et latines.

Fol. cvii b à cxiv b. — Prisciani exercitamina. Incipiunt Prisciani Præexercitamina. De Fabula.

Dix-huitième, dix-neuvième, vingtième, vingt-et-unième et vingt-deuxième quaternes (Fol. cxv à cxxii, cxxiii à cxxx, cxxxi à cxxxviii, cxxxix à cxlvi, cxlvii à cliv).

Comme on le verra plus loin, ces quaternes sont tous indubitablement de la main d’Adémar et donnent une base certaine pour apprécier quelles sont les autres parties du manuscrit également écrites par lui. Il y a réuni des traités divers, qui en font une sorte de Nomenclator universalis. Je vais ici donner, d’après la table de M. du Rieu, l’indication de chaque traité.

Fol. cxv a à cxix a. — Explications très variées à l’usage des écoliers.

Fol. cxix a à cxx a. — Fragments de rhétorique et de grammaire tirés de Marius Victorinus.

Fol. cxx b à cxxi a. — Éléments de mathématiques, accompagnés de figures de géométrie.

Fol. cxxi b à cxxvii b. — Fragments géographiques, glossographiques et chronologiques, empruntés au Livre des étymologies d’Isidore.

Fol. cxxviii a à cxxx a. — Gloses et mots classés par ordre alphabétique.

Fol. cxxx a à cxxxi a. — Chronologie depuis Adam jusqu’à Héraclius.

Fol. cxxxi b et suivants. — Gloses sacrées et explication de divers mots grecs ; noms d’animaux, de plantes, de minéraux, d’édifices, de mesures, de vêtements et de monnaies.

{p. 257}Fol. cxxxviii a à cxliv a. — Noles concernant l’histoire des couvents de Saint-Cibard d’Angoulême et de Saint-Martial de Limoges292.

En tête du verso du feuillet cxli, Adémar ayant laissé une demi-page blanche, un moine de Saint-Martial, au xie siècle, en a profité pour y écrire le précieux renseignement qui suit : Hic est liber sanctissimi domini nostri Marcialis Lemovicensis ex libris bone memorie Ademari grammatici. Nam postquam multos annos peregit in Domini servitio ac simul in monachico ordine in eiusdem patris cœnobio, profecturus Hierosolimam ad sepulchrum Domini, nec inde reversurus, multos libros, in quibus sudaverat, eidem suo pastori ac nutritori reliquit, ex quibus hic est unus.

Fol. cxliii a à cxlvii a. — Longue suite de mots grecs concernant la géométrie, la grammaire et la rhétorique, avec la traduction latine.

Fol. cxlvii b. — Deux médicaments.

Fol. cxlvii b à cxlviii a. — Fragment contenant des notions sur la grammaire.

Ce fragment commence ainsi : Theodorus monacus quidam a Tharso Cililiæ atque Adrianus abbas, scole Grecorum Rome quondam positi simulque grecis ac latinis litteris, liberalibus quoque artibus instituti, a papa Romano Britanniarum insule sunt directi ac eandem tam salubribus fidei documentis quam etiam secularis philosofie inlustrarunt disciplinis, etc. Il se termine par ces mots : Theodorus monachus et abbas Adrianus Adelmo instituerunt grammaticam artem.

M. L. Müller s’est occupé de ce fragment dans le Rheinisches Museum für Philologie, année 1867, page 634.

Fol. clviii a. — Liste des noms qui sont ceux des abbés de Saint-Martial.

Fol. cxlviii a à cliii b. — Adhelmi ænigmata. C’est un poème en vers hexamètres, à la fin duquel on lit cette souscription : Expliciunt enigmata de variis rebus.

Fol. cliii b à cliv b. — Adelmi episcopi Incipit de metrica arte. Domino glorificando regi Osualdo Althelmus salutem.

{p. 258}

Vingt-troisième, vingt-quatrième, vingt-cinquième, vingt-sixième et vingt-septième quaternes (Fol. clv à clxii, clxiii à clxx, clxxi à clxxviii, clxxix à clxxxvi et clxxxvii à cxciv).

Ces cinq quaternes paraissent avoir été les cinq premiers d’un autre codex.

Fol. clv a à clxxxviii a. — Ces feuillets contiennent une des œuvres d’Hyginus, le Poeticon astronomicon, précédé d’une épître dédicatoire, qui commence ainsi : Higinus M. Fabio plurimam salutem. Etsi te studio grammaticæ artis inductum, etc.

L’œuvre se termine au bas du recto du feuillet clxxxviii par la souscription Explicit.

Le 25e quaterne et le 26e jusqu’au feuillet clxxxi offrent au milieu du texte de nombreux dessins à la plume, par lesquels le copiste a essayé de représenter les signes du Zodiaque et les diverses constellations. Il y en a 14 dans le 26e quaterne.

Enfin dans le 27e quaterne le recto du premier feuillet, c’est-à-dire du feuillet clxxxvii, porte des notes relatives aux choses qui, arrivées en 1028, pouvaient intéresser particulièrement le couvent de Saint-Martial.

Fol. clxxxviii b à cxc a. — Extrait de Pline. Une main plus récente que celle du copiste en a exactement déterminé l’étendue par ces mots : Quæ sequuntur ex Plinio excerpta, Libro II, Cap. xv, xvi. Cet extrait se termine au haut du recto du fol. cxc, par le mot Pisces, au-dessous duquel on lit : Duos extremi veraces mundi quos appellant polos.

Fol. cxc a. — Entre ce dernier membre de phrase et le mot Pisces, un copiste moins ancien qu’Adémar a écrit ce titre d’une liste de moines de Saint-Martial : Monasterium Sancti Martialis lx monachi. Au-dessous le même copiste a écrit, tant dans le milieu de la page qu’en marge, 60 noms de moines.

Fol. cxc b à cxci a initio. — La première de ces deux pages et le commencement de la seconde ne portent aucune écriture.

Fol. cxci a à cxciv a. — Calendrier précieux pour la détermination de l’âge exact du manuscrit. Il commence à l’année 1007 ; cette date doit être celle à laquelle la copie a été faite. Mais il ne faut pas oublier que le manuscrit a été formé d’éléments divers, et que par suite le calendrier ne peut donner que l’âge des éléments {p. 259}auxquels il appartient, c’est-à-dire des cinq avant-derniers quaternes.

Il est interrompu au fol. cxcii a, par des Sententiæ præsagientes, dont la première commence par ces mots : A. quicquid videris, in gaudium convertitur, et si te videris vinci, vinces tamen, etc.

Le calendrier reprend au fol. cxciii b, est accompagné des noms des abbés de Saint-Martial écrits en marge, et se termine au fol. cxciv a.

Fol. cxciv b. — Liste des noms des évêques de Tours.

Vingt-huitième et dernier quaterne (Fol. cxcv à ccxii).

Fol. cxcv a à cciii b. — Le dernier quaterne est le seul qui se rapporte à mon étude ; mais il a pour la restitution du texte de Phèdre une importance capitale, attestée par la note de Paul Petau écrite en tête du recto du fol. cxcv. Par les dessins à la plume dont il est illustré, il est intéressant également pour l’histoire de l’art.

En tête de la première page, à gauche de la note de P. Petau, le copiste, qui est certainement Adémar, a placé le portrait du vieil Ésope sous la forme d’un homme assis dans un fauteuil, ayant devant lui un livre et un encrier, tenant une plume à la main et paraissant méditer et écrire.

Ce premier dessin n’est pas le seul. Au milieu du texte de chaque fable il en existe un, qui est toujours à la plume et qui a pour objet d’interpréter la fable elle-même, mais qui est quelquefois tellement grossier qu’on a besoin de lire le texte pour savoir quel animal est représenté.

Quant aux caractères, ils sont presque indéchiffrables, et quand on essaie de les lire, on s’explique les plaintes dont ils ont été l’objet de la part de Nilant. Ce qui les rend illisibles, c’est moins leur défectuosité, que l’étude, faite par de nombreux philologues, de cette partie du manuscrit. Au contact de leurs doigts le parchemin s’est encrassé et les lettres se sont effacées.

Les fables se terminent au fol. cciii b vers le milieu de la page.

Fol. cciii b à ccv b. — À la suite des fables, sans interruption, se placent des problèmes d’arithmétique.

Voici le premier, qui fait si bien suite à la dernière, et qui {p. 260}est orné d’un dessin d’un genre si identique, qu’au premier aspect j’avais cru y voir une fable oubliée par Nilant.

Limax ab hirundine invitatus ad prandium fuit infra leuvam unam. In die non plus potuit ambulare quam una untia. Dic in quot dies ad prandium pervenit. In leuva una silicet mille quingenti passus, septem milia pedes, nonaginta milia untia. Quot untie tot dies, scilicet : anni CCXLVI, dies CCXI, menses VII.

Voici quelques spécimens des problèmes qui suivent ; je les emprunte à M. Pertz :

Bos qui tota die arat, quot vestigia facit in ultima riga ? L. Nullum. — Quidam vidit sibi obviantes, et dixit : O fuissetis quanti estis et medietas medietatis, tunc essetis centum. — Quidam debebat transvadare lupum et capram et fasciculum fœni, etc. — Tres fuerunt qui singulas sorores habebant et fluvium transire volebant, etc. — Quidam moriens reliquit, etc. — Quidam vidit pascentes oves, et ait, etc. — Quidam habuit porcos CCC, et iussit ut tot porci numero impari in III dies occiderentur. L. Hæc ratio indissolubilis ad increpandum composita est. Hæc fabula est tantum ad pueros increpandos.

Fol. ccvi a. — Formule de mariage dite en latin Osculum et appelée Oscle dans les chartes françaises du moyen âge.

Fol. ccvi b à ccvii a. — Exercices de calcul accompagnés de quelques figures de géométrie.

Fol. ccviii a à ccx a. — Autres problèmes avec figures.

Fol. ccx b. — Formule de mariage différente de la précédente. Modèle de lettres et d’ornements marginaux.

Fol. ccxi a. — Dessins dans lesquels figurent des animaux.

Fol. ccxi b. — Adam et Ève avec le serpent ; Jésus-Christ ou un autre personnage.

Fol. ccxii a. — Le recto de ce dernier feuillet porte une écriture peu lisible qui n’est pas celle d’Adémar. Voici ce que M. Pertz y lit :

Mensuram crucis fac delãt pollicem ungula. Latit de a… sinistram fac unum plenum dornum. Similiter de articulis pedum… nares unum dornum et fac simplam cmcem. De gula usque ad frontem capillorum, ubi ipsi desinunt, unum pollicem unde… læsi… mensuram crucis. Cerebrum contra sūm in verticem dimidium pollicis. Diadema in tres locos ubi crux est. terciam pariem pollicis ungulæ. Crux in diade… na est lata duas partes pollicis, tercia remanente. Duo spacia {p. 261}diadematis… ramum crucis supernum et dextrum et levum similiter habet duas partes pollicis habet in tribus ramis diadematis hinc et inde granos et in medio granorum virgulam similiter in circuitu diadematis grannos 9 foris et inter virgulas singulas diadema foras de capillis usque ad rotunditatem non plus lata quam tercia parte pollicis. De naribus usque ud summitatem verticis habet unum pollicem. habet frontem bene discoopertam. In capillos dextros 6 plexiones inter totas. in sinistros capillos 7 divisiones, octava et nona sunt in crines duas et inchoant super auriculam.

Le reste est dans le même goût, c’est-à-dire aussi inintelligible. Au milieu de toutes ces phrases incohérentes apparaissent les traces d’un dessin qui représente une draperie, et à la suite duquel on lit : Similiter est tantum latum vestimentum contra genua. Barba modica 6 cincinnulos de sinistro.

Fol. ccxii b. — Un dessin occupe cette dernière page. Au-dessus une main du xiiie siècle a écrit cette phrase : Raimondus de Begonac me furatus fuit.

Tel est le manuscrit curieux, qui, dans la bibliothèque de Leyde, porte la cote Vossianus Latinus in-8º, 15. Comme on le sait, bien d’autres que moi s’en sont occupés. Mais ceux qui voudront étudier leurs travaux éprouveront peut-être un peu de peine à les trouver. J’achève donc mon analyse, en leur donnant, pour leur venir en aide, les noms des philologues avec l’indication des publications dans lesquelles on pourra lire ce qu’ils ont écrit.

1º J. F. Nilant. — Fabulæ antiquæ, etc. Lugd. Batav., apud Theodorum Haak, 1709, in-12.

2º G. H. Pertz. — Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde zur Beförderung einer Gesammtausgabe der Quellenschriften deutscher Geschichten des Mittelalters, herausgegeben von G. H. Pertz. Hannover, in der Hanschen Hofbuchhandlung, 1839 et 1843, in-8º. (Voyez le tome VII, p. 137, et le tome VIII, pages 574 à 577.)

3º A. F. Naekius. — Carmina Valerii Catonis cum Augusti Ferdinandi Naekii annotationibus. Accedunt eiusdem Naekii de Virgilii libello Iuvenalis ludi, de Valerio Catone eiusque vita et poesi, de libris tam scriptis quam editis, qui Carmina Catonis continent, Dissertationes IV. Cura Ludovici Schopeni. Bonnæ, apud H. B. Kœnig, MDCCCXLVII, in-8º. (Voyez pages 239 et 240.)

4º Lucien Mueller. — 1º Jahrbücher für classische Philologie. Herausgegeben {p. 262}von Alfred Fleckeisen. Zwölfter Jahrgang, 1866…, in-8º. (Voyez pages 266 à 272.) — 2º Rheinisches Museum für Philologie. Herausgegeben von F. G. Welcher und F. Ritschl. Frankfurt a. M., J. D. Saverländer’s Verlag, 1867, in-8. (Voyez, pages 500 à 509, l’étude intitulée : « Zu den versus Scoti cuiusdam de alphabeto, einem Gedicht des Damasus und den äsopischen Fabeln Nilants », et, pages 634 et suiv., l’étude sur le moine Théodore, intitulée : « Zur Geschichte der latinischen Grammatik im Mittelalter »). — 3º De Phædri et Aviani fabvlis libellvs. Lipsiæ, in ædibvs B. G. Teubneri, A. MDCCCLXXV. In-8 (Voyez page 33).

5º. O. Ribbeck. — P. Vergilii Maronis opera recensuit Otto Ribbeck. Vol. IV. Appendix Vergiliana. Lipsiæ, In ædibus B. G. Teubneri, MLCCCLXVIII. (Voyez, pages 185 à 187, le petit poème en 25 vers intitulé Est et non et notamment, au bas de la page 185, une note dans laquelle l’éditeur, donnant la nomenclature des titres qu’il porte dans les divers manuscrits, déclare que le titre, fourni par le manuscrit Woss. in-8º, 15, est : Prisciani de est et non.)

6º Hermann Oesterley. — Romulus die paraphrasen des Phædrus und die Aesopische Fabel im Mittelalter. Berlin, Weidmann, 1870, in-8º. (Voyez Einleitung, pages xviii à xxi.)

7º A. Riese. — Anthologia latina, sive poesis latinæ supplementum. Pars prior : Carmina in codicibus scripta recensuit A. Riese, Fasciculus II… Lipsiæ, in ædibus B. C. Teubner, MDCCCLXX, in-18. (Voyez, pages 27 à 37, sous le nº 486, le petit poème de Remus Favinus, intitulé : De Ponderibus et Mensuris, édité d’après un manuscrit de Vienne, et, au bas de la page 27, la note dans laquelle l’éditeur indique comment il est intitulé dans le manuscrit Woss. in-8º 15. — Voyez encore, pages 96 à 98, sous le nº 645, le petit poème Est et non en 25 vers, attribué à Ausone et édité d’après plusieurs manuscrits et notamment d’après le manuscrit Woss. lat. in-fol. 111. — Voyez aussi, pages 145 à 148, sous le nº 687, le petit poème intitulé Conflictus veris et hiemis et édité d’après un manuscrit de Turin. — Voyez enfin, pages 221 à 223, sous le nº 761, le poème De Sphera cœli en 76 vers commençant par ces mots : Hæc pictura docet, etc.)

8º Baehrens. — 1º Rheinisches Museum für Philologie Herausgegeben von Friedrich Ritschl, Otto Ribbeck, Anton Klette, Neue Folge. Ein und dreissigster Band. Frankfurt-am-Main, Verlag von Johann {p. 263}David Sauerländer, 1876 (Voyez, page 100, les lignes relatives au manuscrit Woss. in-8º 15, dans l’article Zur lateinischen anthologie, écrit à Iéna au mois d’août 1875). — 2º Poetæ latini minores. Recensuit et emendavit Aemilius Baehrens. Volumen V. Lipsiæ, in aedibus B. G. Teubneri MDCCCLXXXIII. 5 vol. in-18. (Voyez les pages 31 à 70 du tome V, qui contiennent les fables d’Avianus. L’éditeur signale entre autres, comme lui ayant servi pour leur publication, les manuscrits Vossiani in-4º 86 et in-8º 15. — Voyez, à la page 352 du même volume, le petit poème en 17 vers commençant par les mots Bis sena mensum, et, au bas de la même page, la note de l’éditeur qui expose que, dans le manuscrit Vossianus Q. 75, il est suivi du Martyrologium Bedae, et qu’il est, dans le manuscrit Vossianus in-8º 15, placé en tête de même, comme s’il en était le prologue. — Voyez enfin le petit poème de Sphera cœli, commençant à la page 380 du même volume, au bas de laquelle on lit en note : « Primus ex P(arisino 12 117) saec. XI, fol. 138, edidit Bursianus in Fleckeis. ann. a. 1866, p. 786 sqq., præterea ego inveni in V(ossiano O 15) saec. XI fol. 61. »)

9º. O. Holder-Egger. — Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde zur Reförderung einer Gesammtausgabe der Quellenschriften deutscher Geschichten des Mittelallers. Siebenter Band. Hannover, Hahn’sche Buchhandlung, 1882. (Voyez, pages 630 à 637, la notice sur Saint-Éparche d’Angoulême et Saint-Martial de Limoges par O. Holder-Egger. Cette notice est suivie du texte même des notes marginales qui, dans le manuscrit, occupent les feuillets 138ª à 144ª et le recto du feuillet 187.)

Dans ma première édition, je terminais cette analyse en exprimant le regret que M. Robert de Lasteyrie, qui a fait du manuscrit de Leyde une étude complète, ne l’eût pas publiée. Si actuellement elle n’a pas encore vu le jour, il est bien désirable qu’il ne diffère pas davantage de la faire paraître.

§ 2. — Apographe du manuscrit Vossianus latinus in-8º, 15. §

Le catalogue in-folio de la Bibliothèque de l’Université de Leyde, publié dans cette ville par Pierre Vander Aa, fait mention d’un manuscrit qui, dans les Vossiani varii argumenti, porte la {p. 264}cote 19 et dont les feuillets en papier sont occupés par des opuscules écrits par des mains diverses au xvie et au xviie siècles.

Je m’abstiens de reproduire d’après le catalogue imprimé, que chacun d’ailleurs peut consulter, la nomenclature des opuscules contenus dans le manuscrit. La voici, telle que je l’ai trouvée, écrite en tête du volume par une main qui est probablement celle du conservateur en fonctions à l’époque de l’entrée des livres d’Isaac Vossius dans la bibliothèque de l’Université.

Epistola magistri Jacobi Achoriensis, quæ post captam Damietam Christianis acciderunt, et de prosperis fere incredibilibus successibus regis David (fol. 1 a à 8 b).

Arithmeticæ question es ludicræ (fol. 10 a à 19 b).

Romuli epistola ad Tiberinum filium (fol. 23 a).

Æsopi fabulæ (fol. 27 a à 29 a).

De monumento nuper invento 1685 gallice (35 a à 37 b).

Hispanica lingua chartula quædam (fausse désignation).

Emendationum quarundam pagina singularis (39 a à 42 b).

Liber de mensura orbis terræ (fol. 50 a à 55 b).

Le manuscrit, qui forme un volume in-4º, se compose de 57 feuillets anciens, dont plusieurs sont blancs. Le relieur en a ajouté trois au commencement et trois à la fin, qui sont également dépourvus d’écriture.

Les divers éléments dont le manuscrit est formé et qui comprennent une copie malheureusement incomplète des Fabulæ antiquæ, doivent avoir été réunis en un volume par les soins d’Isaac Vossius. Ce qui me paraît le démontrer, ce sont, parmi les pièces qu’il renferme, celle qui se réfère à une exhumation effectuée en 1685, et celle qui, consistant dans la copie partielle des Fabulæ antiquæ, paraît par son écriture être à peu près de la même époque. Les diverses pièces qui forment le volume n’ont donc pu être réunies avant la date de 1685, et alors elles étaient sa propriété.

Quand la copie qu’on y trouve des Fabulæ antiquæ a été faite, le vieux manuscrit d’où elle a été tirée devait déjà appartenir à Vossius, et cependant elle ne m’a pas paru être de sa main. Pendant que j’étais en Hollande, il m’a été facile de m’en assurer. La bibliothèque de Leyde n’a pas hérité seulement des manuscrits de Vossius, elle a aussi acquis ses imprimés. L’un d’eux, catalogué {p. 265}sous la cote 763, c. xiii, est un exemplaire de la deuxième édition de Phèdre, publiée par Rigaut et imprimée par Robert Estienne en 1617. Sur cet exemplaire Isaac Vossius, qui avait eu le manuscrit de Daniel en sa possession, en a transcrit les variantes et a laissé ainsi un spécimen de son écriture, qui, différant de celle de la copie des Fabulæ antiquæ, ne permet pas de la lui attribuer. Elle est également trop récente pour appartenir à Paul Petau dont l’écriture, d’ailleurs encore plus dissemblable, m’a été également révélée par la mention par lui mise sur le manuscrit Vossianus latinus in-8º, 15, en tête des Fabulæ antiquæ.

Mais il importe peu de découvrir de quelle main est cette copie ; ce qui est plus intéressant, c’est de savoir de quoi elle se compose. Malheureusement elle ne comprend que 17 fables, qui sont même dépourvues de leurs titres.

Les voici dans leur ordre :


v. v. a. 19. v. l. in-8º, 15.
1. Gallus ad Margaritam. 1.
2. Lupus et Agnus. 3.
3. Mus et Rana. 4.
4. Canis, Ovis, Lupus, Milvus et Accipiter. 5.
5. Canes famelici. 2.
6. Galli duo et Accipiter. 6.
7. Canis super fluvium carnem ferens. 7.
8. Cochlea et Simia. 8.
9. Vacca, Ovis, Capella et Leo. 9.
10. Femina et Coluber. 11.
11. Asinus irridens Aprum. 12.
12. Mus Urbanus et Rusticus. 13.
13. Aquila et Vulpis. 14.
14. Corvus et Vulpis. 15.
15. Leo senex, Aper, Taurus et Asinus. 16.
16. Asinus domino blandiens. 17.
17. Leo et Mus. 18.

À la suite de ces 17 fables il y a plusieurs pages blanches qui montrent que le copiste avait l’intention de compléter son travail.

J’ai moi-même transcrit sa copie, et, comme elle diffère du texte de Nilant par quelques variantes intéressantes, j’ai cru devoir lui donner une place dans cette étude sur les Fabulæ antiquæ.

Section III.
Éditions des Fabulæ antiquæ. §

{p. 266}Malgré son importance, la collection de Leyde n’a été qu’une seule fois imprimée.

En passant en revue les livres de la bibliothèque de l’Université de cette ville, le savant Jacob Gronovius, au commencement du siècle dernier, avait aperçu le manuscrit Vossianus Latinus, in-8º, 15, et l’avait immédiatement signalé à Jean-Frédéric Nilant, son neveu. Ce dernier, ému de cette découverte, pria le bibliothécaire, nommé Volf. Senguerd, de le lui confier, et, quoique l’écriture déjà fort effacée l’eût rendu presque illisible, il parvint à la déchiffrer et à donner du manuscrit une édition, qui parut à Leyde chez Théodore Haak en 1709293 et que j’ai déjà mentionnée. C’est cette édition, publiée dans le format in-12, qui a fait souvent donner le nom d’Anonyme de Nilant à l’auteur maintenant connu des Fables antiques.

Le titre du volume était ainsi formulé : Fabulæ antiquæ, ex Phædro fere servatis ejus verbis desumptæ, et soluta oratione expositæ. Inter quas reperiuntur nonnullæ ejusdem auctoris et aliorum antea ignotæ. Accedunt Romuli fabulæ Æsopiæ, omnes ex manuscriptis depromptæ, et adjectis notis editæ ab Joh. Frederico Nilant.

Après une dédicace à un très généreux et très brillant comte et seigneur, nommé Adolphe-Henri, venaient un long avertissement au lecteur, puis les 67 fables en prose désignées par le titre de Fabule antiquæ, ensuite 45 fables de Romulus précédées de la dédicace à Tiberinus, enfin, pour les compléter, quinze autres fables empruntées à l’édition d’Ulm et précédées de cet avis : Sequentes fabulæ reperiuntur quoque apud editum Romulum, cujus ne quid desideretur, et quia nonnullæ Phædri phrases diserte exhibent, eas in postremo agmine collocavi.

Cette édition de Nilant est assez rare ; j’ai pu néanmoins m’en procurer deux exemplaires que j’ai achetés l’un à Genève, l’autre à Nuremberg.

{p. 267}

Chapitre II.
Æsopus ad Rufum. §

M. Lucien Müller, dans son opuscule intitulé : De Phædri et Aviani fabulis libellus294, a exprimé cette opinion qu’aux premiers siècles du moyen âge, toutes les fables latines connues avaient été mises en prose et réunies en une sorte de Corpus, qui avait été intitulé Æsopus et dédié à un certain Rufus, d’où étaient directement ou indirectement issues les collections ultérieures et qui lui-même n’avait pas tardé à disparaître.

Si l’on considère cette hypothèse comme fondée, je crois qu’il ne faut l’admettre que dans certaines limites que j’indiquerai plus loin, et que notamment il faut partir de cette idée qu’on ne connaît et qu’il n’existe que deux collections qui soient la copie ou plutôt l’imitation directe des fables de ce Corpus, celle du fameux manuscrit de Wissembourg aujourd’hui à Wolfenbüttel et la plus ancienne de celles auxquelles a été donné le nom de Romulus. Il s’ensuit que, selon moi, c’est seulement en recourant à elles qu’on peut se faire une idée plus ou moins précise de ce qu’était l’Æsopus ad Rufum.

Pour établir la nomenclature exacte des fables qu’il comprenait et donner une idée aussi nette que possible de leur texte, je vais donc être obligé de commencer par étudier minutieusement les deux dérivés auxquels il a directement donné naissance.

{p. 268}
Section I.
Fables du manuscrit de Wissembourg. §
§ 1. — Recherche du manuscrit et analyse des études antérieures. §

Schwabe, dans son édition de Phèdre publiée en 1806, nous apprend bien que le manuscrit de Wissembourg renfermait des fables ésopiques en prose ; mais il avoue qu’il ignore si ces fables sont identiques soit à celles du Romulus ordinaire, soit à celles de l’anonyme de Nilant, soit à celles du Romulus de ce critique, ou si, quoique tirées de Phèdre, elles forment un recueil différent de ceux déjà connus295. De la part d’un savant qui avait presque sous la main le manuscrit de Wissembourg, une pareille ignorance était peu excusable.

Lorsqu’en 1837 Dressler travaillait à l’édition qu’il a donnée de Phèdre, il voulut éclaircir ce que son devancier avait laissé dans l’ombre. De toutes les villes du nom de Wissembourg il était certain que celle qui avait donné son nom aux manuscrits, c’était cette petite sous-préfecture du Bas-Rhin, à laquelle la guerre de 1870 a procuré une célébrité si lugubre. En effet, elle avait possédé une riche abbaye, qui en avait été dépositaire et dont les livres, à l’époque de la grande Révolution, avaient pu être transportés dans une des bibliothèques de la ville.

Supposant que ces bibliothèques plus ou moins imaginaires avaient des conservateurs, il écrivit au maire de la ville pour le prier de lui faire faire par eux une copie du manuscrit. La lettre fut reçue par l’adjoint, qui, après des recherches inutilement faites, lui répondit « qu’il ne s’était point retrouvé dans la bibliothèque de la ville, ni dans celles des autres établissements publics, et que le sort en était complètement inconnu ».

Cette réponse n’était pas très affirmative. Il en résultait bien que la petite bibliothèque de Wissembourg ne possédait pas le manuscrit. {p. 269}Mais il n’était pas certain qu’il eût péri. Tout d’abord je supposai qu’il pouvait bien être passé dans l’immense fonds de la belle Bibliothèque de Strasbourg. Au mois de juillet 1870, comme je me disposais à faire une tournée en Suisse, je songeai à utiliser scientifiquement ce voyage d’agrément. J’écrivis au conservateur de la Bibliothèque, pour savoir de lui si, par hasard, à l’époque de la Révolution, le manuscrit de Wissembourg n’y était pas entré. Avec un empressement auquel je me plais à rendre hommage, il me fit la réponse suivante :

« Strasbourg, le 4 juillet 1870.

« Monsieur,

 

« J’ai le regret de vous faire savoir que je ne connais nullement ni à Strasbourg, ni à Wissembourg, le Codex Wissemburgensis fabularum Æsopiarum, au sujet duquel vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. À Wissembourg, chef-lieu de l’une des sous-préfectures du Bas-Rhin, il n’existe qu’une modeste petite bibliothèque, que je n’ai d’ailleurs jamais visitée, mais que je sais ne renfermer aucun manuscrit, et dans le riche dépôt de notre bibliothèque de la ville de Strasbourg je ne connais aucun volume qui réponde aux indications que vous me donnez. Toutefois, si nous ne possédons pas le Codex Wissemburgensis que vous réclamez, je trouve, parmi nos manuscrits, quatre volumes du xve siècle, renfermant des collections de fables, trois en langue allemande et l’un en latin, qui pourraient vous intéresser peut-être. Les trois premiers volumes contiennent trois exemplaires des Fables d’Ésope et de Phèdre mises en vers allemands par Bohner (Bonerius), l’une de ces copies portant la date de 1411. L’autre volume contient une série de fables d’Ésope en langue latine.

« Si, en vous rendant en Suisse, vous vous détourniez un peu afin de passer par Strasbourg, je me ferais un plaisir de mettre ces recueils à votre disposition.

« La bibliothèque de la ville est ouverte au public les lundi, mercredi, jeudi et vendredi, de 2 à 5 heures de l’après-midi.

« Recevez, etc.

 

« Aug. Saum,             
« Bibliothécaire. »

{p. 270}Cette lettre me combla de joie. En me révélant l’existence d’un manuscrit qui contenait une collection latine de fables ésopiques, elle me porta à penser que ces fables étaient peut-être celles que je cherchais, et ne rendit que plus vif mon désir de visiter le grand fonds bibliographique de l’Alsace. J’annonçai donc à M. Saum que, le 9 juillet 1870, à midi, je me trouverais à la bibliothèque. Mais c’était un dimanche, et, comme il devait le passer à la campagne, il me répondit qu’il ne pouvait accepter le rendez-vous. Je pris alors le parti d’aller directement en Suisse et de ne m’arrêter à Strasbourg qu’en revenant de ce pays. Mais, hélas ! des événements terribles firent avorter mon plan. Après un mois de séjour en Suisse, le 7 août, comme je m’acheminais vers la France, j’appris à Lausanne nos premiers désastres, et je rentrai directement à Paris, sans avoir vu le manuscrit, qui, quelques semaines plus tard, devait, avec la Bibliothèque elle-même, périr dans l’incendie allumé par les obus de l’armée allemande.

Je continuai mes recherches ; mais je dus leur donner une autre direction. Le manuscrit avait-il appartenu à Gude, et était-il entré avec les autres manuscrits de ce philologue dans la bibliothèque du duc de Brunswick ? c’est ce qu’alors je me demandai et ce qu’il ne me fut pas possible de savoir tout de suite. On ne marche que lentement dans le chemin des découvertes.

Ce qui en somme me préoccupait, c’était d’en connaître le contenu. Sachant que Gude l’avait étudié, je cherchai dans ses notes sur Phèdre ce qu’il avait dû en dire, et bientôt il me fut possible d’apercevoir que la collection du manuscrit de Wissembourg différait sensiblement des autres dérivés connus. En effet Gude, qui en avait révélé l’existence, en avait cité quelques fragments dans ses notes sur la fable xiii du livre I de Phèdre, intitulée Vulpis et Corvus. Cette fable est, de toutes peut-être, celle qui, dans les divers manuscrits, est le plus altérée. Sur le cinquième vers notamment tous les manuscrits sont en désaccord. Ainsi on lit dans les manuscrits de Pithou et de Reims :

Vulpis hunc vidit, dehinc sic cœpit loqui,