Les auteurs latins expliqués... Horace. Art poétique
Avis. §
On a réuni par des traits, dans la traduction juxtalinéaire, les mots français qui traduisent un seul mot latin.
On a imprimé en italique les mots qu’il était nécessaire d’ajouter pour rendre intelligible la phrase française, et qui n’avaient pas leur équivalent dans le latin.
Enfin, les mots placés entre parenthèses, dans le français, doivent être considérés comme une seconde explication, plus intelligible que la version littérale.
Argument analytique. §
Vers 1. Tout sujet doit être simple. — 24. Souvent les poëtes tombent dans les défauts opposés à ceux qu’ils veulent éviter. — 38. L’auteur doit choisir un sujet proportionné à ses forces. — 45. Hardiesses que les poëtes peuvent se permettre dans l’emploi des mots : destinée des mots. — 73. Quels sont les vers appropriés à chaque genre. — 89. Du ton qui convient à la Tragédie et à la Comédie. — 99. Il faut tenir compte du sujet, du temps, des personnes. — 119. Ce que doit faire l’auteur, s’il reproduit sur la scène un personnage connu, ou s’il en invente un nouveau. — 136. Quelques préceptes sur la poésie épique. — 153. Des sujets qu’il faut mettre sur la scène. Horace recommande d’approprier les mœurs à chacun des âges de la vie. — 179. De l’action et du récit. — 193. Du Chœur. — 202. De la licence qui s’est introduite dans la musique. — 220. Du drame Satyrique. — 251. De l’iambe, et de l’iambique de six pieds. — 263. Négligence des écrivains Romains. — 275. Origine de la Tragédie et de la Comédie. — 295. De l’art et du génie. — 309. Connaissances nécessaires au poëte. — 323. Funestes effets de ce travail déréglé qui n’a en vue que l’argent. — 333. Objet que la poésie se propose. De la vraisemblance. — 347. La sévérité n’exclut pas une indulgence raisonnable. — 366. La médiocrité est interdite aux poëtes. — 391. Origine et éloge de la poésie. — 408. Pour former le poëte, il faut le concours de l’art et de la nature. — 419. L’écrivain doit se défier des flatteurs, et ne consulter qu’un juge sincère. — 453. Épilogue.
Q. Horatii Flacci
Ars poetica1.
Ad Pisones2. §
Horace
Art poétique.
Aux Pisons. §
Si un peintre s’avisait de placer une tête humaine sur un cou de cheval ; et que, bigarrant de plumes diverses un assemblage confus de membres disparates, il terminât un gracieux buste de femme par la croupe hideuse d’un monstre marin : devant un pareil tableau, pourriez-vous, ô mes amis, vous empêcher de rire ? Voilà pourtant, jeunes Pisons, voilà l’image exacte et fidèle d’un livre où les idées confuses ressembleraient aux songes d’un malade, et dont les différentes parties manqueraient d’harmonie et d’ensemble. — Les poëtes, dira-t-on, n’ont-ils pas toujours eu, comme les peintres, le privilège de tout oser ? — Sans doute : et cette liberté même, nous la réclamons pour nous, et l’accordons volontiers, nous aussi : mais enfin, admet-elle l’alliance de la férocité et de la douceur ; permet-elle d’accoupler ni les oiseaux avec les serpents, ni les tigres avec les agneaux ?
Souvent, à un début imposant et qui promet de grandes choses, {p. 4}on rattache, pour nous éblouir à distance, un ou deux lambeaux de pourpre ; on décrit un bois sacré et l’autel de Diane, ou bien le ruisseau qui serpente en fuyant à travers de riantes prairies, ou le Rhin majestueux, ou les brillantes couleurs de l’arc-en-ciel : descriptions charmantes, oui, mais qui ne sont pas à leur place. Vous savez peindre un cyprès : eh ! qu’importe un cyprès au malheureux qui vous paie, pour le représenter lui-même échappant au naufrage sur les débris de son vaisseau ? On commençait une amphore magnifique : la roue a tourné ; pourquoi ne vient-il qu’une tasse ? — Enfin, que la simplicité, que l’unité règne avant tout dans un ouvrage.
Ce qui nous trompe souvent, nous autres poëtes, c’est — vous le savez, illustre Pison, et vous, ses dignes fils, — c’est l’apparence du bien. Je vise à la concision, je deviens obscur ; on court après la grâce : adieu le nerf et la chaleur ; tel vise au sublime, et se perd dans l’enflure ; par excès de prudence, et pour échapper à la tempête, celui-là se traîne terre à terre ; celui-ci croit trouver la variété dans le merveilleux, et son pinceau bizarre nous représente {p. 6}un dauphin dans les bois, un sanglier dans les flots. Ainsi, faute de talent et de goût, on n’évite un défaut, que pour tomber dans un vice. Près du cirque Émilien, vous verrez tel artiste qui excelle à finir un ongle, qui sait donner à l’airain la souplesse des cheveux : talent incomplet, au demeurant, car il échouera dans l’ensemble. Or, si je me mêlais d’écrire, je ne voudrais pas plus ressembler à un tel homme, que je n’aimerais un nez difforme avec des cheveux d’ébène et de beaux yeux noirs.
Vous qui écrivez, choisissez une matière proportionnée à vos forces ; essayez-vous longtemps, consultez bien vos épaules. Le sujet est-il proportionné aux moyens de l’auteur : aussitôt il trouve sous sa plume l’expression juste, la clarté, et l’ordre, cet ordre lumineux, dont le mérite et la grâce consistent, je ne crois pas me tromper, à dire d’abord ce qui doit d’abord être dit, et à différer les détails pour les placer au moment favorable.
Délicat et châtié dans son style, l’auteur d’un poëme que le public attend, doit montrer un goût sévère à l’égard des mots qu’il emploie. Le secret pour être admiré, c’est de savoir, par une alliance {p. 8}ingénieuse, rajeunir une expression surannée. Vous faut-il des termes nouveaux, pour exprimer des idées nouvelles : eh bien ! vous créerez des mots inconnus à l’oreille de nos vieux Céthégus. Oui, vous aurez ce privilége, mais n’en abusez pas ; surtout, et alors, ces mots neufs, ces mots de création nouvelle sont assurés de faire fortune, si, dérivés du grec, ils se latinisent sans effort. Mais quoi ? les Romains accorderaient-ils à Cécilius et à Plaute un droit qu’ils refuseraient à Virgile, à Varius ? Et quelle raison de me reprocher, à moi, certaines innovations utiles, peut-être, quand la plume de Caton et d’Ennius sut enrichir la langue nationale d’une foule de mots qui n’existaient pas ? — Non : s’il est un droit qu’on a toujours eu, qu’on aura toujours, c’est celui de mettre en circulation un mot frappé au coin de l’usage. Quand, au déclin des années, les forêts perdent leurs feuilles, ce sont les premières venues qui tombent les premières ainsi passent les mots vieillis, tandis que les nouveaux s’épanouissent, {p. 10}tout brillants de force et de jeunesse. Nous sommes voués à la mort, nous et tout ce qui vient de nous. Et ce bassin magnifique, chef-d’œuvre d’une main royale, ce port où Neptune voit flotter nos vaisseaux à l’abri des aquilons ; et ce marais longtemps stérile, longtemps battu par la rame, aujourd’hui terre nourricière que sillonne la pesante charrue ; et ces digues puissantes par qui un fleuve, jadis funeste aux moissons, apprit à suivre un cours meilleur : hélas, tous les ouvrages des mortels périront : et la langue seule garderait une fraîcheur, une grâce inaltérable ! Que de mots sont déjà tombés, qui renaîtront un jour sans doute ! combien d’autres, qui sont de mode aujourd’hui, tomberont à leur tour, si l’usage le veut jamais, l’usage, cet arbitre absolu, ce maître, ce régulateur du langage.
Homère a montré sur quel ton peuvent se chanter les hauts faits des rois et des héros, et les horreurs de la guerre.
Les distique inégaux exprimèrent d’abord la douleur plaintive, et ensuite aussi la joie du bonheur. Mais quel est celui dont la muse soupira la première élégie ? — Les érudits ne sont pas d’accord, et le procès est toujours pendant.
{p. 12}La vengeance arma le fougueux Archiloque de son iambe redoutable ; puis le brodequin, et le cothurne majestueux adoptèrent l’iambique, si bien fait pour le dialogue : car il domine les bruits de l’amphithéâtre ; il est né pour l’action.
L’ode inspirée chante sur la lyre les Dieux, et les héros fils des Dieux, et l’athlète couronné, et le coursier vainqueur dans la carrière, et les tourments de l’amour, et la libre gaîté des festins.
Mais, si je n’ai pas le talent d’assortir à chaque genre le rhythme et le ton qui lui conviennent, pourquoi me saluerait-on poëte ? pourquoi mon amour-propre insensé préfère-t-il l’ignorance à l’étude ?
Un sujet comique ne veut pas du style de la tragédie ; et de même je me révolterai, si l’on vient, en vers familiers, dignes tout au plus du brodequin, me conter l’horrible festin de Thyeste. Chaque genre doit garder la place que lui a si bien marquée la nature. Quelquefois pourtant la comédie même élève le ton : voyez comme la colère inspire à Chrémès des accents pathétiques. Souvent aussi la tragédie exprime avec simplicité ses douleurs : ainsi, Télèphe et Pélée, pauvres et bannis {p. 14}tous les deux, rejettent bien loin l’emphase et la pompe des grands mots, s’ils tiennent à éveiller la sympathie des spectateurs.
Ce n’est pas assez pour la poésie de charmer l’oreille : il faut qu’elle touche le cœur, qu’elle remue, qu’elle entraîne. Le rire et les larmes provoquent chez l’homme ou la joie, ou la tristesse. Voulez-vous me faire pleurer : montrez d’abord vous-même une douleur véritable ; alors Télephe, alors aussi, Pélée, je serai sensible à vos malheurs ; mais si vous dites mal votre rôle, vous me ferez bâiller, ou, rire. Il faut que les paroles soient, comme la physionomie, tristes dans l’affliction, menaçantes dans la colère, folâtres dans l’enjouement, graves dans la sévérité. La nature, en effet, commence par nous donner le sentiment qui convient à chaque situation : elle nous porte à la joie, ou nous excite à la colère, ou bien elle nous courbe sous le poids du chagrin, et nous déchire le cœur ; ensuite, elle se sert de la parole, pour traduire les mouvements de notre âme. Si le ton du personnage n’est pas en harmonie avec sa position, nobles et plébéiens {p. 16}éclateront de rire à l’envi. Gardez-vous de faire parler un esclave comme un héros ; un vieillard expérimenté comme un jeune homme dans la fougue de l’âge ; une dame de qualité comme une humble nourrice : marquez la même différence entre le marchand qui court le monde, et le colon sédentaire d’un petit champ fertile ; entre le sauvage de la Colchide et l’Assyrien ; entre le citoyen de Thèbes et celui d’Argos.
Suivez la tradition, poëte ; ou bien, que dans vos fictions il règne un ensemble judicieux. Est-ce la vengeance d’Achille que vous remettez sur la scène : montrez-le-nous ardent, colère, inexorable, impétueux : qu’il se mette résolûment au-dessus des lois, et n’en appelle qu’a son épée. Montrez-nous Médée altière, inflexible ; Ino gémissante ; Ixion perfide ; Io toujours errante ; Oreste sombre et farouche.
Est-ce un sujet encore vierge que vous risquez au théâtre, un personnage nouveau que vous inventez : qu’il se soutienne jusqu’à la fin, tel qu’il s’est annoncé d’abord, sans jamais se démentir. Mais ces caractères généraux et abstraits, combien n’est-il pas difficile de les {p. 18}personnifier ! vous ferez donc plus sagement de mettre en action quelque épisode de l’Iliade, que d’introduire, le premier, sur la scène une fable étrange et des personnages inconnus. Un sujet déjà populaire deviendra la propriété de l’auteur, à condition qu’il ne se traîne pas sans gloire dans l’ornière banale, et ne calque pas servilement son modèle : mais qu’il n’aille pas non plus, imitateur sans idées, se jeter dans un cercle trop étroit, où le tiendrait captif l’amour propre, ou le plan du poëme. Enfin, qu’il ne débute pas, comme autrefois le poëte cyclique, en nous criant. « Je chanterai la fortune de Priam, et cette guerre fameuse…. » Quelles merveilles attendre après un début si emphatique ? Hélas !…
La montagne en travail enfante une souris….
Ah ! que j’aime mieux ce poëte plein d’adresse qui, sans se battre les flancs, nous dit : « Muse, chantez ce héros qui, après la chute de Troie, parcourut tant de contrées, et observa les mœurs de tant de peuples divers. » Chez lui, ce n’est pas la fumée qui succède à la lumière : mais de la fumée il fait jaillir une flamme éclatante ; puis sa muse vamous prodiguer les récits merveilleux : Antiphate et Seylla, et Charybde et Polyphème. Ce n’est pas lui qui remonte à {p. 20}la mort de Méléagre, pour raconter le retour de Diomède ; ni aux deux œufs de Léda, pour chanter la guerre de Troie. Lui, il court au dénouement, toujours ; il vous jette au milieu des faits, comme si vous saviez tout déjà ; et les épisodes qu’il désespère d’embellir par ses vers, il les sacrifie. Enfin, dans ses heureuses fictions, il mêle avec tant d’art la fable et la vérité, que toutes les parties de son poëme ont une harmonieuse proportion.
Sachez donc ce qu’il faut pour me plaire, et pour plaire au public. Charmer le spectateur, le captiver jusqu’à la fin, le forcer de répondre par ses applaudissements à l’acteur qui vient lui dire : applaudissez…. c’est là votre ambition ? — Eh bien ! distinguez avec soin les mœurs des différents âges. Le caractère change avec les années : faites habilement la part de ces années qui nous changent.
A peine il sait bégayer quelques mots, et se tenir sur ses jambes, l’enfant brûle de jouer avec les enfants ; un rien le fâche, un rien l’apaise ; son humeur varie à chaque instant.
L’adolescent imberbe, qui est libre, enfin, et hors de tutelle, adore {p. 22}les chevaux, les chiens, le Champ-de-Mars : cire docile aux impressions du vice, il est rebelle à la censure ; il vit au jour le jour, il est dépensier, présomptueux, plein de désirs, capricieux et volage.
L’âge viril a des goûts-différents : d’homme fait est ambitieux ; il songe à la fortune, aux amitiés utiles, aux honneurs ; il calcule bien, pour n’avoir point à revenir un jour sur ses pas.
Bien des travers assiégent le vieillard : il amasse toujours, et, pauvre dans sa richesse, il ne jouit pas de son or, il craint d’y toucher. Timide et glacé en toutes choses, remettant sans cesse, espérant peu, sans énergie, tremblant pour l’avenir, quinteux, maussade, il n’a d’éloges que pour le bon vieux temps !… le temps de son enfance ; et son humeur chagrine s’en prend à tout ce qui est jeune.
Les années, jusqu’à un certain point, nous apportent avec elles bien des avantages ; puis, en déclinant, elles nous les ravissent. Tenez-vous à ne faire parler ni un jeune homme en vieillard, ni un {p. 24}enfant en homme mûr : attachez-vous scrupuleusement à peindre les traits et la physionomie de chaque âge.
Un fait s’accomplit sur la scène, ou bien un récit nous l’expose. Mais le récit ne s’adresse qu’à l’oreille, et il agit moins vivement sur l’esprit, que ces tableaux animés dont l’œil fidèle transmet directement à l’âme la sympathique émotion. Cependant, ne mettez pas sur la scène ce qui ne doit pas avoir le public pour témoin, et dérobez à ses regards certaines catastrophes que lui redira bientôt un récit dramatique. Que Médée ne vienne pas égorger ses enfants sous les yeux du peuple ; ni l’horrible Atrée faire bouillir, en plein théâtre, des entrailles humaines. Je ne veux pas voir Procné se métamorphosant en oiseau, ni Cadmus en serpent : un pareil spectacle me révolterait, sans me faire illusion. Donnez à votre pièce cinq actes, ni moins, ni plus, si vous voulez qu’on la redemande et qu’on la joue souvent. Ne faites pas intervenir un Dieu, si l’intrigue n’est à la hauteur d’un tel dénouement, et n’embarrassez pas le dialogue d’un quatrième personnage.
Le Chœur remplira le rôle et l’office d’un acteur ; tout ce qu’il {p. 26}chante dans les entr’actes, doit concourir à l’action, et se rattacher essentiellement au sujet. Le Chœur est le défenseur naturel, le conseiller, l’ami de la vertu ; c’est lui qui apaise les ressentiments et glorifie l’innocence ; c’est lui qui chante la frugalité, la tempérance, les bienfaits de la justice, les lois tutélaires, et la paix et les tranquilles loisirs des cités : confident discret et sûr, c’est lui, enfin, qui prie, qui conjure les : Dieux de relever l’honnête homme abattu, et d’humilier l’orgueil triomphant.
La flûte n’avait pas jadis cette monture de laiton qui en fait, de nos jours, la rivale de la trompette : simple et modeste, percée de quelques trous seulement, elle servait à donner le ton, et à soutenir les chœurs. Alors elle suffisait à remplir de ses sons un théâtre que n’encombrait pas encore une foule immense, et où se réunissait un peuple facile à compter ; car il était peu nombreux : peuple frugal, vertueux et austère. Mais quand, peu à peu, la victoire eut agrandises domaines, et reculé la ceinture de ses murailles ; quand, du matin au soir, le vin put couler impunément, les jours de fête, {p. 28}en l’honneur du dieu des plaisirs : alors on vit s’introduire dans les vers et dans la musique une liberté plus grande. Quel espoir, en effet, d’intéresser autrement le paysan grossier, qui, son labeur terminé, accourait au théâtre, et là, spectateur ignorant et rustique, coudoyait le citadin poli et délicat ? C’est ainsi qu’à son art primitif le joueur de flûte ajouta la danse, le luxe des costumes, et cette robe traînante qu’il promena sur la scène ; c’est ainsi que la lyre sévère s’enrichit de cordes nouvelles : alors la poésie lyrique, plus hardie, prit un essor inconnu ; et, dans ses conseils pleins de sagesse, comme dans ses révélations prophétiques, le Chœur emprunta le mystérieux langage de la Pythonisse.
Celui dont la muse tragique disputa sur la scène un vil bouc, prix du vainqueur, y montra aussi bientôt les Satyres dans leur sauvage nudité, et il voulut que leur causticité moqueuse égayât, sans la compromettre, la sévère tragédie : car il fallait bien l’amorco d’une nouveauté piquante, pour amuser un public qui revenait des sacrifices, et dont le vin offusquait la raison. Mais prenez-y garde : ces Satyres mordants et railleurs, posez-les décemment ; qu’ils {p. 30}soient comiques, et non pas burlesques. Il ne faut pas que vos Dieux et vos héros, quand on vient de les voir, tout brillants d’or et se pavanant sous la pourpre des rois, descendent à l’ignoble langage des tavernes enfumées ; ou que, par crainte de la terre, ils aillent se perdre dans les nues. La tragédie ne doit jamais tomber dans le bouffon : comme la grande dame obligée de danser en public, un jour de fête, elle ne se montrera qu’avec une pudique rougeur au milieu des Satyres effrontés.
Pour moi, jeunes Pisons, je n’affecterais, dans un drame Satyrique, ni un style sans élégance, ni un dialogue trivial. Je ne viserais pas non plus au ton de la tragédie ; mais je n’aurais garde de confondre les facéties d’un Dave, ou de cette friponne de Pythias, escroquant les écus du bonhomme Simon qu’elle enjôle, avec le langage de Silène, gardien fidèle, serviteur et nourricier de Bacchus. Je prendrais le sujet de ma pièce dans le domaine commun. Chacun aurait l’ambition d’en faire autant, d’abord ; et puis, après avoir sué sang et eau, on quitterait la partie : tant l’ordre et l’harmonie ont de valeur dans un {p. 32}poëme ! tant l’art peut donner de relief aux fictions les plus vulgaires !
Mais qu’au sortir de leurs forêts, les Faunes ne s’avisent pas, je le leur conseille, de singer ni le grossier langage des rues, ni l’urbanité du Forum ; qu’ils évitent et la galanterie langoureuse de nos petits-maîtres, et la graveleuse obscénité des carrefours : il y aurait à de quoi révolter patriciens, chevaliers, citoyens aisés ; et les applaudissements de la canaille qui vit de noix et de pois chiches, ne leur vaudraient, à coup sûr, ni le suffrage des honnêtes gens, ni la couronne.
Une longue, précédée d’une brève, s’appelle iambe : pied si rapide, qu’il a fait donner le nom de trimètre à l’iambique, composé pourtant de six pieds. Autrefois, il n’entrait dans ce vers que des iambes : c’est depuis de temps, que, pour arriver à l’oreille moins vif et moins sautillant, il admit le grave spondée au partage de ses droits paternels ; mais sa complaisance n’alla point jusqu’à céder au nouveau-venu la seconde ni la quatrième place. Il est vrai que, {p. 34}dans leurs trimètres si vantés, Accius et Ennius observent rarement cette règle : quoi qu’il en soit, les vers jetés sur la scène avec un lourd bagage de spondées, accusent chez le poëte ou une précipitation et une négligence extrêmes, ou une coupable ignorance des lois de la poésie.
Tout le monde ne sent pas le défaut d’harmonie dans les vers : aussi, que de poëtes ont trouvé à Rome une indulgence qu’ils ne méritaient pas ! Est-ce une raison pour moi d’écrire à l’aventure, et sans nul souci des règles ? ou bien, tout en me disant que chacun verra mes fautes, m’endormirai-je tranquille sur l’espoir du pardon ? J’échappe à la censure, il est vrai : mais aurai-je mérité des louanges ? — Non. Quant à vous, étudiez avec amour les chefs-d’œuvre de la Grèce ; nuit et jour, étudiez-les. — Mais nos pères n’admiraient-ils pas et le rhythme et les saillies de Plaute ? — Eh bien ! nos pères étaient trop bons, pour ne pas de dire autre chose : du moins, si nous sommes en état, vous et moi, de distinguer le plaisant du burlesque, et d’apprécier au doigt et à l’oreille la justesse d’un son.
La tragédie était inconnue, quand Thespis, le premier, dit-on, {p. 36}promena sur un tombereau des acteurs qui chantaient et jouaient ses pièces, le visage barbouillé de lie. Eschyle, après lui, imagina la robe flottante et le masque ; puis, exhaussant la scène sur de modestes tréteaux, il apprit à ses personnages à chausser le cothurne et à parler avec majesté. Ensuite parut la vieille Comédie, et elle compta de brillants succès ; mais la liberté dégénéra en licence : il fallut arrêter le scandale, et une loi intervint, qui, condamnant le Chœur à l’impuissance de nuire, le réduisit à un silence honteux. Il n’est pas un seul genre que n’aient abordé nos poëtes ; et ce n’est pas sans gloire que, renonçant à l’imitation des Grecs, ils osèrent traiter sur la scène, dans la tragédie comme dans le genre comique, des sujets tout nationaux. Aussi, la valeur guerrière et l’éclat des armes n’ajouteraient pas, plus que la littérature, à la puissante illustration du Latium, si nos auteurs, trop pressés, ne reculaient tous devant le travail de la lime. Mais vous, noble sang de Pompilius, soyez impitoyables pour ces poëmes faits à la hâte {p. 38}et sans corrections, essais imprudents qu’un goût sévère n’a pas dix fois retouchés.
Démocrite a rêvé que le génie vaut mieux que l’art et ses misères…. Démocrite bannit de l’Hélicon les poëtes de bon sens !… — De là, chez nos grands génies, la mode de laisser croître soigneusement ses ongles et sa barbe : pauvres gens, ils recherchent la solitude et fuient les bains. Car enfin le vrai moyen de se poser en grand poëte, c’est de ne confier jamais au rasoir de Licinus une tête que ne guérirait pas l’ellébore de trois Anticyres. Maladroit que je suis, de me purger tous les printemps ! Personne, sans cela, personne ne ferait de meilleurs vers. Eh bien, tant pis. Soyons donc la pierre utile qui aiguise le fer, impuissante elle-même à couper : oui, sans écrire moi-même, je montrerai comment on écrit ; je dirai les sources où doit puiser le poëte, ce qui forme et nourrit son talent, ce que l’usage permet, ce que le goût réprouve ; je dirai où mène le génie, où précipite l’ignorance.
Le bon sens, la raison : voilà le principe et la source des bons vers {p. 40}Socrate et les livres de ses disciples vous fourniront les idées premières ; soyez bien pénétré de votre sujet, et les mots arriveront sans effort. Quand on sait ce que l’on doit à sa patrie et à ses amis, à la piété filiale, à l’amour fraternel, à l’hospitalité ; quand on connaît les devoirs du sénateur et du juge, les obligations du général envoyé contre l’ennemi : alors, n’en doutez pas, on sait donner à ses personnages le caractère qui leur convient. Étudiez l’âme humaine sur les types vivants de l’humanité : peintre de la nature, faites poser la nature devant vous. Il y a telle pièce, où les caractères sont naturels, et les mœurs bien senties ; mais le style en est sans grâce, le vers y est prosaïque et dur ; malgré tout, elle aura plus de succès, elle intéressera plus longtemps que des vers sans idées et des bagatelles sonores.
Les Grecs avaient reçu des Muses le don du génie et les charmes de l’élocution ; aussi les Grecs ne soupiraient que pour la gloire. Mais nos jeunes Romains, que font-ils ? des calculs à n’en plus {p. 42}finir, pour diviser un as en cent parties. Dites-moi, fils d’Albinus : « Voilà cinq onces : si j’en ôte une, que reste-t-il ? voyons ! — Le tiers d’un as. — Bravo ! vous vous entendrez en affaires. Mais j’ajoute une once : combien cela fait-il ? — Un demi-as. » — Franchement, quand cette ardeur du gain aura, comme une rouille funeste, infecté les esprits, espérerons-nous encore de ces nobles vers que l’on trempe dans l’huile de cèdre, et que l’on conserve dans des tablettes de cyprès ?
Instruire ou plaire : tel est l’objet de la poésie, si même elle n’aspire à plaire et à instruire tout à la fois. Dans vos préceptes, soyez concis : la concision trouve l’intelligence docile et la mémoire fidèle. Tout ce qu’on dit de trop, l’esprit rassasié le rejette. Que vos fictions, dont le but est d’amuser, aient le charme de la vraisemblance ; n’épuisez pas ma crédulité par l’abus du merveilleux : arrière donc la sorcière qui tire tout vivant de ses entrailles un {p. 44}enfant qu’elle a dévoré. Nos graves Sénateurs ne veulent pas d’un drame frivole : un drame sérieux fait peur à nos fiers Chevaliers. Pour enlever tous les suffrages, il faut mêler l’utile et l’agréable, il faut plaire et instruire en même temps. C’est alors qu’un livre fait la fortune des Sosies, et qu’il franchit les mers, et qu’il assure à l’auteur une glorieuse immortalité.
Cependant, il y a de ces fautes qu’on pardonne volontiers. Souvent, en effet, le luth harmonieux trahit le doigt et la pensée de l’artiste ; souvent, au lieu d’un son grave, la corde infidèle rend un son aigu : et la flèche n’atteint pas toujours le but qu’elle menaçait. Pourquoi donc, dans un poëme où les beautés dominent, critiquerais-je amèrement quelques taches, effets inévitables de la négligence, ou qui auront échappé à la faiblesse humaine ? Mais enfin ! si un copiste, averti sans cesse, et sans cesse retombant dans la même faute, est indigne de pardon ; s’il est naturel de siffler l’artiste maladroit qui {p. 46}touche éternellement à faux la même corde : ainsi, dans l’écrivain presque toujours en défaut, je ne vois plus qu’un Chérile, un méchant poëte, chez qui deux ou trois vers passables me font sourire en m’étonnant : tandis que j’en veux au sublime Homère, s’il sommeille quelquefois ; et pourtant, n’est-ce pas bien pardonnable dans un long poëme ?
Il en est de la poésie comme de la peinture : tel tableau, vu de près, vous charmera davantage ; tel autre vous plaira mieux, vu de loin. Celui-ci aime le demi-jour, celui-là veut une vive lumière, car il défie le regard perçant de la critique ; l’un n’a réussi qu’une seule fois, l’autre, dix fois exposé, charmera toujours.
O vous, l’aîné des Pisons, vous dont les leçons d’un père développent le goût précoce et les talents naturels, écoutez et retenez bien cette parole : en certaines choses, la médiocrité se comprend et s’excuse. Il y a loin du jurisconsulte ordinaire et de l’avocat peu marquant, à l’éloquence d’un Messala, au savoir d’un Cascellius : et cependant ils {p. 48}ont leur prix. Mais la médiocrité en poésie ! voilà ce que ne tolèrent ni les Dieux, ni les hommes, ni les colonnes du temple d’Apollon. Dites-moi si, à une table bien servie, on aime une symphonie discordante, ou des parfums grossiers, ou des pavots au miel de Sardaigne : non, car le souper n’avait que faire de ces hors-d’œuvre. — Il en est de même de la poésie : née pour plaire, destinée à charmer les cœurs, si elle ne s’élève au premier rang, elle tombe au dernier. Jouteur inhabile, vous n’allez pas vous escrimer dans le Champ-de-Mars : novice à la paume, au palet, au cerceau, vous laissez ces jeux à d’autres, pour ne pas faire rire toute la galerie à vos dépens ; et, sans rien connaître à la poésie, vous osez faire des vers ! — Pourquoi pas ? n’est-on pas libre et de bonne famille ? n’a-t-on pas, surtout, la fortune des Chevaliers ? n’est-on pas un galant homme, enfin ? — Vous, du moins, vous ne direz, vous ne ferez rien, en dépit de Minerve : votre bon sens et votre esprit m’en répondent. Pourtant, si vous {p. 50} écriviez quelque jour, consultez l’oreille exercée de Métius, et celle de votre père, et la mienne ; puis, gardez votre manuscrit pendant neuf ans. Tant qu’il n’a pas vu le jour, on peut, à son aise, revenir sur des pages inédites : une fois parti, le mot ne revient plus.
Les hommes vivaient dispersés dans les bois, quand un poëte sa cré, interprète des Dieux, Orphée, leur inspira l’horreur du sang et d’une affreuse nourriture. De là ces traditions populaires, qu’à la voix d’Orphée, les tigres et les lions dépouillaient leur fureur ; qu’aux accents d’Amphion, ce divin fondateur de Thèbes, les rochers se mouvaient en cadence, et que les doux accords de sa lyre attiraient les pierres obéissantes. On sait les premiers bienfaits de la sagesse antique : distinguer le bien public de l’intérêt privé, les choses sacrées des profanes, réprimer la licence effrénée des mœurs, tracer les devoirs de l’hymen, bâtir des villes, graver des lois sur le chêne : telle fut la cause de cette immortalité glorieuse, réservée aux poëtes et à leurs divins travaux. Ensuite brilla le génie d’Homère, et Tyrtée, dont les vers enthousiastes animèrent les mâles courages aux combats meurtriers. Depuis, les oracles ne répondirent {p. 52}plus qu’en vers ; la morale parla le même langage ; pour gagner la faveur des rois, on emprunta la douce voix des neuf sœurs ; enfin, c’est la poésie qui nous donna le théâtre, délassement si doux après les pénibles travaux. Ne rougissez donc pas de toucher la lyre des Muses, et de chanter avec Apollon.
Est-ce la nature, ou bien l’art, qui fait les grands poëtes ? — Sur cette question, souvent débattue, voici quel est mon sentiment : sans l’inspiration féconde, l’étude est impuissante, et le génie ne peut rien sans l’étude ; mais ils ont besoin l’un de l’autre, et tous deux, étroitement unis, ils conspirent au même but. L’athlète qui brûle de triompher à la course, a soumis son enfance aux épreuves les plus rudes : il a souffert et de la chaleur et du froid ; il n’a connu ni l’amour ni l’ivresse. Avant de se faire entendre aux fêtes d’Apollon Pythien, le joueur de flûte a longtemps appris, longtemps tremblé sous un maître. Mais en poésie ! il suffit de dire : « Des vers ! oh ! j’en fais d’admirables ! Malheur au dernier ! moi, je rougirais de l’être, fi donc ! et d’avouer naïvement que j’ignore ce que je n’ai pas appris. »
Voyez, comme à l’appel du crieur public, accourt la foule {p. 54}empressée des acheteurs : ainsi, attirés par l’espoir du gain, les flatteurs se donnent rendez-vous autour du poëte rentier, riche en biens-fonds, riche en capitaux bien placés. Mettez qu’avec cela il ait une table bien servie ; qu’il soit homme à répondre pour un pauvre diable sans argent, à le tirer des mains rapaces de la chicane : et Dieu me pardonne, s’il a le bonheur de distinguer jamais le faux ami de l’ami véritable. Mais vous, sortant de faire un présent, ou des offres de services ; gardez-vous, pour lire vos vers, de profiter d’une ivresse intéressée ; car j’entends d’ici votre auditeur s’écrier : « Ah les beaux vers ! mais c’est parfait ! c’est divin !… » Il s’extasie à chaque mot ; que dis-je ? ses yeux trouveront des larmes complaisantes ; vous le verrez bondir de joie et trépigner de bonheur ! Comme ces malheureux, dont les larmes mercenaires enchérissent, à nos funérailles, sur la vraie douleur d’une famille éplorée : le flatteur qui se rit de vous, en dit et en fait plus qu’un approbateur sincère. Les rois, dit-on, accablent de rasades le courtisan dont ils veulent sonder le cœur ; et la torture du vin leur révèle l’ami vraiment digne de {p. 56}confiance. Vous, si jamais vous faites des vers, ne soyez pas dupe de ces faux amis, cachés sous la peau du renard. Quand on lisait quelque chose à Quintilius : « Tenez, disait-il, corrigez-moi ceci, et cela encore. — Mais, impossible à moi de faire mieux ; je l’ai tenté deux ou trois fois en vain. — Effacez alors, et remettez sur l’enclume ces vers mal forgés. » — S’avisait-on de défendre une faute, au lieu de corriger : il ne disait plus mot, et, sans se donner une peine inutile, il vous laissait, seul et sans rival, vous adorer vous-même, à genoux devant votre génie.
Ainsi fait un sage ami : critique judicieux, il n’a ni pitié ni excuse pour les vers lâches ou durs ; les vers négligés, il les efface d’un revers de plume ; il supprime l’emphase ambitieuse ; la phrase est un peu obscure : il vous force à l’éclaircir ; il fait le procès aux mots équivoques ; il marque tous les changements à faire : il devient un Aristarque enfin. Ce n’est pas lui qui dira : à quoi bon chicaner un ami pour des bagatelles ? — Mais ces bagatelles, malheureux, elles auront des suites funestes, en livrant à la risée publique votre ami perdu sans retour.
{p. 58}Voyez cet infortuné que tourmente la lèpre, ou la jaunisse ; ce maniaque, dont un transport fanatique et la colère de Diane ont troublé le cerveau : tel est le malheureux possédé de la rage des vers. Tout homme sage l’évite et le fuit, épouvanté ; les enfants crient après lui, et le poursuivent étourdiment dans les rues. Or, tandis qu’il s’en va, le front haut, hurlant ses vers grotesques, si, courant le nez en l’air, comme l’oiseleur qui guette des merles, il tombe au fond d’un puits ou dans une fosse ; il aura beau crier à tue-tête : « A moi ! citoyens, au secours ! » gardez-vous bien de l’en tirer, au moins. Si, d’aventure, un passant venait à lui tendre une corde charitable : « Hé ! que savez-vous, dirais-je, s’il ne l’a point fait exprès, et s’il désire vraiment qu’on le sauve ?… » Puis, je ranconterai la mort du poëte Sicilien. Voulant à tout prix passer pour un dieu immortel, Empédocle s’élance de sang-froid dans le cratère embrasé de l’Etna. Laissons donc aux poëtes le privilége, la liberté du suicide : en sauver un malgré lui ! mais c’est le tuer, sur ma parole. D’ailleurs, ce n’est pas {p. 60}son coup d’essai, allez ! qu’on le tire de là, et vous verrez si, rendu à lui-même, il abdiquera cette manie tragique d’immortalité. Au reste, on ne sait pas trop d’où lui vient cette rage poétique. A-t-il souillé la cendre de son père ? a-t-il, d’un pied sacrilége, profané sa place funeste consacrée par la foudre ? Le fait est qu’un démon le possède. Mais tenez, le voilà ; l’ours déchaîné a rompu les barreaux de sa loge. Ignorants et savants, tous fuient ce déclamateur furibond. Malheur à qui tombe sous sa main ! plus d’espoir : il faut périr sous son vers homicide ; la sangsue ne lâchera prise, que gorgée du sang de sa victime.
[Traduction juxtalinéaire] §
Q. Horatii Flacci
Ars poetica.
Ad Pisones. §
[1] Si pictor velit
[2] jungere cervicem equinam
[3] capiti humano,
[4] et inducere plumas varias
[5] membris
[6] collatis undique
[7] ut mulier
[8] formosa superne
[9] desinat in piscem
[10] turpiter atrum :
[11] amici, admissi spectatum,
[12] teneatis risum ?
[13] Credite, Pisones,
[14] fore persimilem
[15] isti tabulæ
[16] librum
[17] cujus species.
[18] fingentur
[19] velut somnia ægri,
[20] ut nec pes nec caput
[21] reddatur formæ uni.
[22] — Potestas æqua
[23] audendi quidlibet
[24] fuit semper
[25] pictoribus atque poetis.
[26] Scimus,
[27] petimusque hanc veniam,
[28] damusque vicissim :
[29] sed non ut immitia
[30] coeant placidis ;
[31] nomut serpentes
[32] geminentur avibus,
[33] agni tigribus.
[34] Plerumque,
[35] unus et alter pannus.
{p. 5}[36] purpureus,
[37] qui splendeat late,
[38] assuitur
[39] inceptis gravibus
[40] et professis magna
[41] quum lucus
[42] et ara Dianæ,
[43] et ambitus
[44] aquæ properantis
[45] per agros amœnos,
[46] aut flumen Rhenum,
[47] aut arcus pluvius
[48] describitur :
[49] sed locus non erat nunc
[50] his.
[51] Et fortasse scis
[52] simulare cupressum :
[53] Quid hoc,
[54] si qui pingitur,
[55] ære dato,
[56] enatat exspes,
[57] navibus fractis ?
[58] Amphora cœpit
[59] institui :
[60] cur, rota currente,
[61] urceus exit ?
[62] Denique, quodvis
[63] sit duntaxat
[64] simplex et unum.
[65] Pater, et Juvenes Père,
[66] digni patre,
[67] maxima pars vatum
[68] decipimur
[69] specie recti :
[70] laboro esse brevis,
[71] fio obscurus ;
[72] nervi animique
[73] deficiunt
[74] sectantem lenia ;
[75] professus grandia
[76] turget ;
[77] nimum tutus
[78] timidusque procellæ,
[79] serpit humi.
[80] Qui cupit
[81] variare prodigialiter
[82] rem unam,
{p. 7}[83] appingit delphinum sylvis,
[84] aprum fluctibus.
[85] Fuga culpæ
[86] ducit in vitium,
[87] si caret arte.
[88] Circa ludum Æmilium,
[89] faber unus
[90] et exprimet ungues,
[91] et imitabitur ære
[92] capillos molles :
[93] infelix summa operis,
[94] quia nesciet ponere totum.
[95] Ego, si curem
[96] componere quid,
[97] non velim magis
[98] me esse hunc,
[99] quam vivere naso pravo,
[100] spectandum
[101] oculis nigris
[102] capilloque nigro.
[103] Qui scribitis,
[104] sumite materiam
[105] æquam vestris viribus,
[106] et versate diu
[107] quid humeri recusent ferre,
[108] quid valeant.
[109] Nec facundia,
[110] nec ordo lucidus
[111] deseret hunc
[112] cui res erit lecta
[113] potenter.
[114] Virtus et venus ordinis
[115] erit hæc, aut ego fallor,
[116] ut dicat jam nunc
[117] debentia
[118] dici jam nunc,
[119] differat pleraque,
[120] et omittat
[121] in tempus præsens.
[122] Etiam, auctor
[123] carminis promissi,
[124] tenuis cautusque
[125] in verbis serendis,
[126] amet hoc,
[127] spernat hoc.
[128] Dixeris
[129] egregie,
{p. 9}[130] si junctura callida
[131] reddiderit novum
[132] verbum notum.
[133] Si forte
[134] est necesse monstrare
[135] indiciis recentibus
[136] abdita
[137] rerum,
[138] continget
[139] fingere non exaudita
[140] Cethegis cinctutis ;
[141] licentiaque
[142] sumpta pudenter
[143] dabitur ;
[144] et verba nova
[145] fictaque nuper
[146] habebunt fidem,
[147] si cadant
[148] fonte græco,
[149] detorta parce.
[150] Quid autem Romanus
[151] dabit Cæcilio Plautoque,
[152] ademptum
[153] Virgilio Varioque ?
[154] Cur ego,
[155] si possum acquirere
[156] pauca,
[157] invideor :
[158] quum lingua
[159] Catonis et Enni
[160] ditaverit sermonem
[161] patrium,
[162] et protulerit
[163] nomina nova rerum ?
[164] Licuit,
[165] licebitque semper
[166] producere de produire
[167] nomen signatum
[168] nota præsente.
[169] Ut sylvæ
[170] mutantur foliis
[171] in pronos annos,
[172] prima les
[173] cadunt :
[174] ita interit
[175] ætas vetus verborum ;
[176] et nata modo
{p. 11}[177] florent vigentque
[178] ritu juvenum.
[179] Nos nostraque
[180] debemur morti.
[181] Sive Neptunus
[182] receptus terrâ
[183] arcet classes
[184] Aquilonibus :
[185] opus regis ;
[186] palusve, diu sterilis
[187] aptaque remis,
[188] alit urbes vicinas,
[189] et sentit aratrum grave ;
[190] seu amnis,
[191] doctus iter melius,
[192] mutavit cursum
[193] iniquum frugibus :
[194] facta mortalia peribunt,
[195] nedum honos
[196] et gratia sermonum
[197] stet vivax.
[198] Multa vocabula,
[199] quæ cecidere jam,
[200] renascentur ;
[201] quæ que sunt
[202] in honore nune,
[203] cadent,
[204] si usus, penes quem
[205] arbitrium, et jus,
[206] et norma loquendi,
[207] volet.
[208] Homerus monstravit
[209] quo numero
[210] res gestæ
[211] regumque ducumque,
[212] et bella tristia,
[213] possent scribi.
[214] Querimonia primum,
[215] post etiam
[216] sententia compos voti
[217] est inclusa versibus
[218] junctis impariter.
[219] Grammatici tamen
[220] certant
[221] quis auctor
[222] emiserit exiguos elegos,
[223] et lis est adhuc sub judice.
{p. 13}[224] Rabies La rage
[225] armavit Archilochum
[226] iambo proprio :
[227] socci
[228] cothurnique grandes
[229] capere hunc pedem,
[230] aptum sermonibus alternis,
[231] et vincentem
[232] strepitus populares,
[233] et natum rebus agendis.
[234] Musa dedit fidibus
[235] referre Divos,
[236] puerosque Deorum,
[237] et pugilem victorem,
[238] et equum primum
[239] certamine,
[240] et curas juvenum,
[241] et vina libera.
[242] Cur ego
[243] salutor poeta,
[244] si nequeo ignoroque
[245] servare vices descriptas
[246] coloresque
[247] operum ?
[248] Cur,
[249] pudens prave,
[250] malo nescire
[251] quam discere ?
[252] Res comica
[253] non vult exponi
[254] versibus tragicis ;
[255] item, cœna Thyestæ
[256] indignatur narrari
[257] carminibus privatis
[258] ac prope dignis socco.
[259] Quæque singula
[260] teneant locum,
[261] sortita decenter.
[262] Interdum tamen
[263] et comœdia tollit vocem,
[264] Chremesque iratus
[265] delitigat
[266] ore tumido ;
[267] et plerumque
[268] tragicus
[269] dolet sermone pedestri :
[270] Telephus aut Peleus,
{p. 15}[271] quum uterque
[272] pauper et exsul,
[273] projicit ampullas
[274] et verba sesquipedalia,
[275] si curat tetigisse
[276] querela
[277] cor spectantis.
[278] Non est satis
[279] poemata esse pulchra ;
[280] sunto dulcia,
[281] et agunto
[282] animum auditoris
[283] quocumque volent.
[284] Ut vultus humani
[285] arrident ridentibus,
[286] ita adflent flentibus.
[287] Si vis me flere ;
[288] est dolendum une douleur-
[289] tibi ipsi, primum :
[290] tunc, Telephe, vel Peleu,
[291] tua infortunia lædent me ;
[292] si loqueris male
[293] mandata,
[294] aut dormitabo,
[295] aut ridebo.
[296] Verba tristia
[297] decent vultum mœstum ;
[298] plena minarum,
[299] iratum ;
[300] lasciva, ridentem ;
[301] seria dictu,
[302] severum.
[303] Natura enim
[304] format nos intus prius
[305] ad omnem habitum
[306] fortunarum :
[307] juvat,
[308] aut impellit ad iram,
[309] aut deducit ad humum
[310] mœrore gravi,
[311] et angit ;
[312] post, effert
[313] motus animi
[314] lingua interprete.
[315] Si dicta
[316] erunt absona
[317] fortunis
{p. 17}[318] dicentis,
[319] equites Romani
[320] peditesque
[321] tollent cachinnum.
[322] Intererit multum
[323] Davusne loquatur,
[324] an heros ;
[325] senexne maturus,
[326] an fervidus
[327] juventa adhuc florente ;
[328] an matrona potens,
[329] an nutrix sedula ;
[330] mercatorne vagus,
[331] cultorne
[332] agelli virentis ;
[333] Colchus,
[334] an Assyrius ;
[335] nutritus Thebis,
[336] an Argis.
[337] Scriptor,
[338] aut sequere famam,
[339] aut finge
[340] convenientia sibi.
[341] Si forte reponis
[342] Achillem honoratum ;
[343] impiger, iracundus,
[344] inexorabilis, acer,
[345] neget jura
[346] nata sibi,
[347] arroget non-nihil armis ;
[348] Medea sit ferox
[349] invictaque,
[350] Ino flebilis,
[351] Ixion perfidus,
[352] Io vaga,
[353] Orestes tristis.
[354] Si committis scenæ
[355] quid inexpertum,
[356] et audes formare
[357] personam novam :
[358] servetur
[359] ad imum
[360] qualis processerit
[361] ab incepto,
[362] et constet sibi.
[363] Est difficile dicere
[364] proprie
{p. 19}[365] communia ;
[366] tuque, deducis in actus
[367] carmen Iliacum
[368] rectius,
[369] quam si, primus,
[370] proferres
[371] ignota
[372] indictaque.
[373] Materies publica
[374] erit juris privati,
[375] si non moraberis
[376] circa orbem vilem
[377] patulumque ;
[378] nec curabis,
[379] interpres fidus,
[380] reddere verbum verbo ;
[381] nec desilies,
[382] imitator,
[383] in arctum
[384] unde pudor,
[385] aut lex operis
[386] vetet proferre pedem.
[387] Nec incipies sic,
[388] ut olim scriptor cyclicus :
[389] « Cantabo
[390] fortunam Priami
[391] et bellum nobile… »
[392] quid hic promissor feret
[393] dignum
[394] biatu tanto ? —
[395] Montes
[396] parturiunt :
[397] mus ridiculus nascetur.
[398] Quanto rectius
[399] hic qui molitur nil
[400] inepte :
[401] « Musa, dic mihi virum,
[402] qui, post tempora
[403] Trojæ captæ,
[404] vidit mores et urbes
[405] hominum multorum. »
[406] Non cogitat
[407] dare fumum ex fulgore,
[408] sed lucem ex fumo,
[409] ut promat dehine
[410] miracula speciosa :
[411] Antiphaten Seyllamque,
{p. 21}[412] et Charybdim cum Cyclope.
[413] Nec orditur
[414] reditum Diomedis
[415] ab interitu Meleagri,
[416] nec bellum Trojanum
[417] ab ovo gemino.
[418] Festinat semper
[419] ad eventum,
[420] et a apit auditorem
[421] in res medias,
[422] non secus ac notas ;
[423] et relinquit
[424] quæ desperat
[425] posse nitescere,
[426] tractata.
[427] Atque mentitur ita,
[428] miscet falsa veris
[429] sic,
[430] ne medium discrepet
[431] primo,
[432] ne imum medio.
[433] Tu, audi
[434] quid ego
[435] et populus desideret mecum.
[436] Si eges plausoris
[437] manentis aulæa,
[438] et sessuri usque
[439] donec cantor dicat :
[440] Vos plaudite !
[441] mores cujusque ætatis
[442] sunt notandi tibi,
[443] decorque dandus
[444] naturis et annis
[445] mobilibus.
[446] Puer, qui scit jam
[447] reddere voces,
[448] et signat humum
[449] pede certo,
[450] gestit
[451] colludere paribus,
[452] et colligit iram
[453] ac ponit temere,
[454] et mutatur
[455] in horas.
[456] Juvenis imberbus,
[457] custode remoto
[458] tandem,
{p. 23}[459] gaudet equis
[460] canibusque, et gramine
[461] Campi aprici ;
[462] cereus
[463] flecti in vitium,
[464] asper monitoribus,
[465] provisor tardus
[466] utilium,
[467] prodigus æris,
[468] sublimis cupidusque,
[469] et pernix relinquere
[470] amata.
[471] Studiis conversis,
[472] ætas virilis animusque
[473] quærit opes
[474] et amicitias,
[475] inservit honori,
[476] cavet commisisse
[477] quod mox
[478] laboret mutare.
[479] Incommoda multa
[480] circumveniunt senem :
[481] vel quod quærit,
[482] et miser
[483] abstinet inventis,
[484] ac timet uti ;
[485] vel quod ministrat
[486] omnes res
[487] timide gelideque,
[488] dilator,
[489] lentus spe,
[490] iners,
[491] pavidusque futuri,
[492] difficilis, querulus,
[493] laudator temporis acti
[494] se puero,
[495] censor castigatorque
[496] minorum.
[497] Anni venientes
[498] ferunt secum
[499] commoda multa ;
[500] recedentes,
[501] adimunt multa.
[502] Ne partes seniles
[503] mandentur
[504] forte juveni,
[505] virilesque puero,
{p. 25}[506] morabimur semper
[507] in adjunctis
[508] aptisque ævo.
[509] Aut res agitur in scenis,
[510] aut, acta,
[511] refertur.
[512] Demissa per aurem
[513] irritant animos segnius,
[514] quam quæ sunt subjecta
[515] oculis fidelibus,
[516] et quæ spectator
[517] ipse tradit sibi :
[518] tamen
[519] non promes in scenam
[520] digna geri intus ;
[521] tollesque ex oculis
[522] multa, quæ facundia
[523] præsens
[524] narret mox.
[525] Ne Medea trucidet pueros
[526] coram populo ;
[527] aut nefarius Atreus
[528] coquat palam
[529] exta humana ;
[530] aut Procne
[531] vertatur in avem,
[532] Cadmus in anguem :
[533] odi, incredulus,
[534] quodcumque ostendis mihi
[535] sic.
[536] Fabula,
[537] quæ vult posci,
[538] et, spectata,
[539] reponi,
[540] ne sit minorve
[541] neu productior
[542] actu quinto.
[543] Nec Deus intersit,
[544] nisi nodus
[545] dignus vindice
[546] inciderit ;
[547] nec quarta persona
[548] laboret loqui.
[549] Chorus defendat
[550] partes officiumque virile
[551] actoris ;
[552] neu intercinat
{p. 27}[553] medios actus
[554] quid, quod non conducat
[555] et hæreat apte
[556] proposito.
[557] Ille
[558] faveatque bonis,
[559] et consilietur amice,
[560] et regat iratos,
[561] et amet
[562] timentes peccare ;
[563] ille laudet dapes
[564] mensæ brevis ;
[565] ille justitiam salubrem,
[566] legesque, et otia
[567] portis apertis ;
[568] ille tegat commissa,
[569] preceturque et oret Deos
[570] ut fortuna
[571] redeat miseris,
[572] abeat superbis.
[573] Tibia, non vincta
[574] orichalco,
[575] æmulaque tubæ,
[576] ut nunc,
[577] sed tenuis simplexque
[578] foramine pauco,
[579] erat utilis
[580] adspirare choris
[581] et adesse,
[582] atque complere flatu
[583] sedilia
[584] nondum nimis spissa,
[585] quo coibat populus
[586] numerabilis sane,
[587] utpote parvus,
[588] et frugi,
[589] castusque,
[590] verecundusque.
[591] Postquam, victor,
[592] cœpit extendere
[593] agros ;
[594] et murus latior
[595] amplecti Urbem ;
[596] Geniusque
[597] placari impune,
[598] diebus festis,
[599] vino diurno :
{p. 29}[600] licentia major accessit
[601] numerisque
[602] modisque.
[603] Quid enim saperet
[604] rusticus indoctus
[605] liberque lahorum,
[606] confusus urbano,
[607] turpis honesto ?
[608] Sic tibicen
[609] addidit arti priscæ
[610] motumque,
[611] et luxuriem ;
[612] vagusque
[613] traxit vestem
[614] per pulpita
[615] Sic etiam
[616] voces crevere
[617] fidibus severis,
[618] et facundia præceps
[619] tulit eloquium insolitum ;
[620] sententiaque,
[621] sagax
[622] rerum utilium
[623] et divina futuri,
[624] non discrepuit
[625] Delphis sortilegis.
[626] Qui certavit
[627] carmine tragico
[628] ob hircum vilem,
[629] mox etiam nudavit
[630] Satyros agrestes,
[631] et, asper,
[632] tentavit jocum,
[633] gravitate incolumi :
[634] eo quod spectator
[635] functusque sacris,
[636] et potus,
[637] et exlex,
[638] erat morandus
[639] illecebris
[640] et novitate grata.
[641] Verum conveniet
[642] commendare
[643] Satyros risores,
[644] dicaces,
[645] ita, ita…. ;
[646] vertere
{p. 31}[647] seria ludo
[648] ita, ne
[649] quicumque deus,
[650] quicumque heros
[651] adhibebitur,
[652] conspectus nuper
[653] in auro regali
[654] et ostro,
[655] migret sermone humili
[656] in tabernas obscuras ;
[657] aut captet
[658] nubes et inania,
[659] dum vitat humum.
[660] Tragœdia,
[661] indigna effutire
[662] versus leves,
[663] intererit
[664] Satyris protervis
[665] paulum pudibunda,
[666] ut matrona
[667] jussa moveri
[668] diebus festis.
[669] Ego, Pisones,
[670] scriptor Satyrorum,
[671] non amabo solum
[672] nomina verbaque
[673] inornata et dominantia ;
[674] nec enitar
[675] differre colori tragico,
[676] sic ut nihil intersit
[677] Davusne loquatur,
[678] et audax Pythias et l’effrontée Pythias
[679] lucrata talentum qui a attrapé un talent
[680] Simone emuncto,
[681] an Silenus,
[682] custos famulusque
[683] Dei alumni.
[684] Sequar
[685] carmen fictum
[686] ex noto,
[687] ut quivis
[688] speret idem sibi,
[689] sudet multum
[690] laboretque frustra,
[691] ausus idem :
[692] tantum series juncturaque
[693] pollet !
{p. 33}[694] tantum honoris accedit
[695] sumptis de medio !
[696] Fauni, deducti sylvis,
[697] caveant,
[698] me judice,
[699] ne unquam,
[700] velut innati triviis
[701] ac pene forenses,
[702] aut juvenentur
[703] versibus nimium teneris,
[704] aut crepent
[705] dicta
[706] immunda ignominiosaque.
[707] Enim
[708] quibus equus est,
[709] et pater,
[710] et res,
[711] offenduntur ;
[712] nec, (pour : et non,) et, si,
[713] emptor ciceris fricti et nucis
[714] probat quid :
[715]
[716] non accipiunt
[717] animis æquis,
[718] donantve coronâ.
[719] Syllaba longa,
[720] subjecta brevi,
[721] vocatur iambus,
[722] pes citus :
[723] unde etiam
[724] jussit nomen trimetris
[725] accrescere iambeis,
[726] quum quoique,
[727] redderet
[728] senos ictus,
[729] similis sibi
[730]
[731] primus ad extremum.
[732] Non ita pridem,
[733] ut pour que
[734] veniret ad aures
[735] paulo tardior graviorque,
[736] recepit in jura paterna
[737] spondeos stabiles,
[738] commodus et patiens ;
[739] non ut cederet
[740] socialiter
{p. 35}[741] de secunda sede, aut quarta.
[742] Hic
[743] apparet rarus
[744] in trimetris nobilibus
[745] et Acci, et Enni.
[746] Versus missus in scenam
[747] mum pondere magno,
[748] premit accable
[749] crimine turpi
[750] aut operæ nimium celeris
[751] carentisque cura,
[752] aut artis ignoratæ.
[753] Quivis judex
[754] non videt
[755] poemata immodulata ;
[756] et venia indigna
[757] est data poetis Romanis.
[758] Idcircone
[759] vager,
[760] scribamque
[761] licenter ?
[762] an putem omnes
[763] visuros mea peccata,
[764] tutus et cautus
[765] intra spem veniæ ?
[766] Denique
[767] vitavi culpam,
[768] non merui laudem.
[769] Vos, versate
[770] manu nocturna,
[771] exemplaria Græca,
[772] versate feuilletez
[773] diurna.
[774] At nostri proavi
[775] laudavere et numeros
[776] et sales Plautinos,
[777] mirati utrumque admirant
[778] nimium patienter,
[779] ne dicam stulte :
[780] si modo vos et ego
[781] scimus seponere
[782] inurbanum dicto lepido,
[783] callemusque et
[784] digitis et aure
[785] nonum legitimum.
[786] Thespis dicitur invenisse
[787] genus ignotum
{p. 37}[788] Camœuæ tragicæ,
[789] et vexisse plaustris
[790] qui,
[791] peruncti fæcibus ora,
[792] canerent poemata
[793] agerentique.
[794] Post hunc, Æschylus,
[795] repertor personæ
[796] pallæque honestæ,
[797] et instravit pulpita
[798] tignis modicis,
[799] et docuit
[800] loquique magnum,
[801] nitique cothurno.
[802] His
[803] successit Comœdia Vetus,
[804] non sine multa laude ;
[805] sed libertas excidit
[806] in vitium,
[807] et vim
[808] dignam regi lege :
[809] lex accepta est,
[810] Chorus queobticuitturpiter,
[811] jure nocendi sublato.
[812] Nostri poetæ liquere nil
[813] intentatum :
[814] nec meruere-
[815] minimum decus,
[816] aussi deserere
[817] vestigia Græca
[818] et celebrare
[819] facta domestica,
[820] vel qui docuere
[821] prætextas,
[822] vel qui
[823] togatas.
[824] Nec Latium foret
[825] potentius virtute
[826] armisve claris
[827] quam lingua,
[828] si labor limæ
[829] et mora
[830] non offenderet
[831] unumquemque poetarum.
[832] O vos,
[833] sanguis Pompilius,
[834] reprehendite carmen,
{p. 39}[835] quod multa dies
[836] et multa litura
[837] non coercuit,
[838] atque non castigavit
[839] ad unguem,
[840] præsectum decies.
[841] Quia Democritus
[842] credit ingenium
[843] fortunatius
[844] arte misera,
[845] et excludit Helicone
[846] poetas sanos,
[847] bona pars curat
[848] non ponere ungues,
[849] non barbam ;
[850] petit loca secreta ;
[851] vitat balnea.
[852] Nanciscetur enim
[853] pretium nomenque poetæ,
[854] si nunquam commiserit
[855] tonsori Licino
[856] caput insanabile
[857] tribus Anticyris.
[858] O ego lævus,
[859] qui purgor bilem
[860] sub horam temporis verni !
[861] Non alius faceret
[862] poemata meliora.
[863] Verum
[864] est nil tanti.
[865] Ergo fungar
[866] vice cotis,
[867] quæ valet
[868] reddere ferrum acutum,
[869] exsors ipsa
[870] secandi :
[871] ipse, nil scribens,
[872] docebo munus
[873] et officium :
[874] unde
[875] opes parentur ;
[876] quid alat
[877] formetque poetam ;
[878] quid deceat, quid non ;
[879] quo virtus ferat, quo error.
[880] Sapere,
[881] est et principium
{p. 41}[882] et fons scribendi recte.
[883] Chartæ Socraticæ
[884] poterunt ostendere tibi
[885] rem ;
[886] verbaque sequentur
[887] non invita
[888] rem provisam.
[889] Qui didicit
[890] quid debeat patriæ,
[891] et quid amicis ;
[892] quo amore
[893] parens sit amandus,
[894] quo frater
[895] et hospes ;
[896] quod sit officium
[897] conscripti,
[898] quod judicis ;
[899] quœ partes
[900] ducis missi in bellum :
[901] ille, profecto,
[902] scit reddere
[903] cuique personæ
[904] convenientia.
[905] Jubebo
[906] imitatorem doctum
[907] respicere
[908] exemplar vitæ morumque,
[909] et ducere hine
[910] voces vivas.
[911] Interdum, fabula,
[912] speciosa locis
[913] recteque morata,
[914] nullius veneris,
[915] sine pondere
[916] et arte,
[917] oblectat valdius populum
[918] moraturque melius,
[919] quam versus que
[920] inopes rerum,
[921] nugæque canoræ.
[922] Musa dedit Graiis
[923] ingenium ;
[924] dedit loqui
[925] ore rotundo
[926] Graiis, avaris nullius
[927] præter laudem.
[928] Pueri Romani
{p. 43}[929] discunt rationibus longis
[930] diducere assem
[931] in centum partes.
[932] Filius Albini dicat :
[933] « Si uncia remota
[934] de quincunce,
[935] quid superat ?
[936] poteras
[937] dixisse ? —
[938] Triens. —
[939] Eu ! poteris
[940] servare tuam rem.
[941] Uncia redit :
[942] quid fit ? —
[943] Semis. » —
[944] At, quum semel
[945] hæc ærugo
[946] et cura peculi
[947] imbuerit animos,
[948] speramus carmina,
[949] linenda
[950] cedro
[951] et servanda
[952] cupresso lævi,
[953] posse fingi ?
[954] Poetæ volunt
[955] aut prodesse, aut delectare ;
[956] aut dicere simul
[957] et jucunda
[958] et idonea vitæ.
[959] Quidquid præcipies,
[960] esto brevis,
[961] ut animi dociles
[962] percipiant cito dicta,
[963] teneantque fideles :
[964] omne supervacuum
[965] manat de pectore pleno.
[966] Ficta causa voluptatis,
[967] sint proxima
[968] veris ;
[969] nec fabula poscat
[970] sibi
[971] quodeumque volet
[972] credi ;
[973] neu extrahat
[974] puerum vivum
[975] alvo Lamiæ pransæ.
{p. 45}[976] Centuriæ seniorum
[977] agitant
[978] expertia
[979] frugis :
[980] Rhamnes
[981] celsi
[982] prætereunt
[983] poemata austera.
[984] Tulit
[985] omne punctum,
[986] qui miscuit utile dulci,
[987] delectando lectorem
[988] monendoque pariter.
[989] Hic liber
[990] meret æra
[991] Sosiis,
[992] hic et transit mare,
[993] et prorogat
[994] ævum longum
[995] scriptori noto.
[996] Sunt tamen delicta
[997] quibus velimus
[998] ignovisse :
[999] nam neque chorda
[1000] reddit sonum
[1001] quem manus
[1002] vult,
[1003] remittitque persæpe
[1004] acutum
[1005] poscenti gravem ;
[1006] nec arcus
[1007] feriet semper
[1008] quodeumque minabitur.
[1009] Verum, ubi
[1010] plura
[1011] nitent in carmine,
[1012] ego non offendar
[1013] maculis paucis,
[1014] quas aut incuria fudit,
[1015] aut natura humana
[1016] parum cavit.
[1017] Quid est ergo ?
[1018] Ut scriptor librarius,
[1019] si peccat usque idem,
[1020] quamvis est monitus,
[1021] caret venia ;
[1022] ut citharœdus,
{p. 47}[1023] qui oberrat semper
[1024] eadem chorda,
[1025] ridetur :
[1026] sic,
[1027] qui cessat multum,
[1028] fit mihi ille Chœrilus,
[1029] quem miror cum risu
[1030] bonum bis terve ;
[1031] et idem
[1032] indignor
[1033] quandoque
[1034] bonus Homerus dormitat :
[1035] verum est fas
[1036] somnum obrepere
[1037] in opere longo.
[1038] Poesis ut pictura :
[1039] erit
[1040] quæ capiat te magis,
[1041] si stes propius ;
[1042] et quædam,
[1043] si abstes longius ;
[1044] hæc amat obscurum,
[1045] hæc, quæ non formidat
[1046] acumen argutum
[1047] judicis,
[1048] volet videri
[1049] sub luce ;
[1050] hæc placuit semel,
[1051] hæc, repetita decies,
[1052] placebit.
[1053] O major Juvenum,
[1054] quamvis et
[1055] fingeris ad rectum
[1056] voce paterna,
[1057] et sapis
[1058] per te,
[1059] tolle memor
[1060] hoc dictum tibin :
[1061] medium et tolerabile
[1062] certis rebus,
[1063] concedirecte.
[1064] Juris-consultus mediocris,
[1065] et actor causarum,
[1066] abest virtute
[1067] diserti : Messalæ,
[1068] nec scit quantum
[1069] Cascellius Aulus ;
{p. 49}[1070] sed tamen est in pretio.
[1071] Non homines, non Di
[1072] non columnæ,
[1073]
[1074] concessere poetis
[1075] esse mediocribus.
[1076] Ut,
[1077] inter mensas gratas,
[1078] symphonia discors,
[1079] et unguentum crassum,
[1080] et papaver
[1081] cum melle Sardo
[1082] offendunt,
[1083] quia cœna poterat duci
[1084] sine istis :
[1085] sic, poema,
[1086] natum inventumque
[1087] animis juvandis,
[1088] si paulum discessit
[1089] a summo,
[1090] vergit ad imum.
[1091] Qui nescit ludere,
[1092] abstinet
[1093] armis Campestribus ;
[1094] indoctusque pilæ,
[1095] discive, trochive,
[1096] quiescit,
[1097] ne coronæ
[1098] spissæ
[1099] tollant risum
[1100] impune ;
[1101] qui nescit,
[1102] audet tamen
[1103] fingere versus ! —
[1104] « Quidni ?
[1105] liber
[1106] et ingenuus,
[1107] præsertim census
[1108] summam nummorum
[1109] equestrem,
[1110] remotusque
[1111] ab omni vitio. » —
[1112] Tu, dices faciesve nihil
[1113] invita Minerva ;
[1114] id judicium, ea mens
[1115] est tibi.
[1116] Si tamen scripseris
{p. 51}[1117] quid olim,
[1118] descendat
[1119] in aures judicis Metii,
[1120] et patris,
[1121] et nostras,
[1122] prematurque
[1123] in nonum annum.
[1124] Membranis positis
[1125] intus,
[1126] licebit delere
[1127] quod non edideris :
[1128] vox missa
[1129] nescit reverti.
[1130] Orpheus, sacer Orphée,
[1131] interpresque Deorum,
[1132] deterruit cædibus
[1133] et victu fœdo
[1134] homines sylvestres :
[1135] dictus ob hoc
[1136] lenire tigres
[1137] leonesque rabidos ;
[1138] et Amphion,
[1139] conditor arcis Thebanæ,
[1140] dictus movere saxa
[1141] sono testudinis,
[1142] et ducere quo vellet
[1143] prece blanda.
[1144] Sapientia quondam
[1145] fuit hæc :
[1146] secernere publica
[1147] privatis,
[1148] sacra profanis ;
[1149] prohibere
[1150] concubitu vago ;
[1151] dare jura
[1152] maritis ;
[1153] moliri oppida ;
[1154] incidere leges ligno.
[1155] Sic honor et nomen
[1156] venit vatibus divinis
[1157] atque carminibus.
[1158] Post hos,
[1159] Homerus insignis,
[1160] Tyrtæusque exacuit
[1161] mares animos
[1162] in bella Martia.
[1163] Sortes dictæ per carmina,
{p. 53}[1164] et via vitæ
[1165] est monstrata ;
[1166] et gratia regum tentata
[1167] modis Pieriis ;
[1168] ludusque
[1169] et finis et,
[1170] longorum operum
[1171] repertus :
[1172] ne Musa ainsi,
[1173] solers lyræ,
[1174] et cantor Apollo
[1175] sit forte pudori tibi.
[1176] Est quæsitum
[1177] carmen laudabile
[1178] fieret natura, an arte.
[1179] Ego, video
[1180] nec quid studium possit
[1181] sine vena divite,
[1182] nec ni
[1183] ingenium rude :
[1184] sic altera res
[1185] poscit opem alterius,
[1186] et conjurat
[1187] amice.
[1188] Qui studet contingere
[1189] metam optatam
[1190] cursu,
[1191] tulit fecitque multa,
[1192] puer ;
[1193] sudavit et alsit ;
[1194] abstinuit venere et vino.
[1195] Tibicen,
[1196] qui cantat Pythia,
[1197] didicit prius,
[1198] extimuitque magistrum.
[1199] Nune est satis
[1200] dixisse :
[1201] « Ego pangopoematamira :
[1202] scabies occupet
[1203] extremum !
[1204] est turpe mihi
[1205] relinqui,
[1206] et fateri sane
[1207] nescire
[1208] quod non didici. »
[1209] Ut præco,
[1210] qui cogit turbam
{p. 55}[1211] ad merces emendas :
[1212] poeta dives agris,
[1213] dives nummis
[1214] positis in fœnore,
[1215] jubet assentatores
[1216] ire ad lucrum.
[1217] Si vero est qui possit
[1218] ponere recte
[1219] unctum,
[1220] et spondere
[1221] pro paupere levi,
[1222] et eripere
[1223] implicitum
[1224] litibus arctis :
[1225] mirabor,
[1226] si, beatus, sciet
[1227] internoscere
[1228] amicum mendacem,
[1229] verumque.
[1230] Tu, seu donaris,
[1231] seu velis donare
[1232] quid cui,
[1233] nolito ducere
[1234] plenum lætitiæ
[1235] ad versus factos tibi :
[1236] clamabit enim :
[1237] « pulchre ! bene ! recte ! »
[1238] pallescet super his ;
[1239] etiam stillabit rorem
[1240] ex oculis amicis ;
[1241] saliet, tundet terram pede.
[1242] Ut
[1243] qui plorantin funere,
[1244] conducti,
[1245] dicunt et faciunt plura,
[1246] prope,,
[1247] dolentibus
[1248] ex animo :
[1249] sic derisor
[1250] movetur plus
[1251] laudatore vero.
[1252] Reges
[1253] dicuntur urgere
[1254] multis culullis,
[1255] et torquere mero
[1256] quem laborant
[1257] perspexisse
{p. 57}[1258] an sit dignus amicitia.
[1259] Si condes carmina,
[1260] animi que
[1261] latentes sub vulpe
[1262] nunquam fallant te.
[1263] Si recitares
[1264] quid Quintilio,
[1265] aiebat :
[1266] « Corrige hoc et hoc,
[1267] « sodes. »
[1268] Negares te posse melius,
[1269] expertum frustra
[1270] bis terque :
[1271] jubebat delere,
[1272] et reddere incudi
[1273] versus male formatos.
[1274] Si malles
[1275] defendere delictum
[1276] quam vertere,
[1277] insumebat
[1278] nullum verbum ultra,
[1279] aut operam inanem,
[1280] quin amares
[1281] teque et tua,>
[1282] solus sine rivali.
[1283] Vir bonus et prudens
[1284] reprehendet versus inertes ;
[1285] culpabit duros ;
[1286] allinet signum atrum
[1287] calamo transverso
[1288] incomptis ;
[1289] recidet
[1290] ornamenta ambitiosa ;
[1291] coget dare lucem
[1292] parum claris ;
[1293] arguet dictum
[1294] ambigue ;
[1295] notabit
[1296] mutanda :
[1297] fiet Aristarchus.
[1298] Non dicet :
[1299] « Cur ego offendam
[1300] « amicum in nugis ? »
[1301] Hæ nugæ
[1302] ducent in mala seria
[1303] derisum semel
[1304] exceptumque sinistre.
{p. 59}[1305] Qui sapiunt,
[1306] timent tetigisse
[1307] poetam vesanum,
[1308] fugiuntque,
[1309] ut
[1310] quem scabies mala,
[1311] aut morbus regius,
[1312] aut error fanaticus
[1313] et Diana iracunda
[1314] urget ;
[1315] pueri
[1316] agitant
[1317] sequunturque
[1318] incauti.
[1319] Dum hic,
[1320] sublimis,
[1321] ructatur versus et errat
[1322] si decidit in puteum
[1323] foveamve,
[1324] veluti auceps
[1325] intentus merulis,
[1326] licet clamet longum :
[1327] « Io, cives ! succurrite ! »
[1328] non sit
[1329] qui curet tollere.
[1330] Si quis curet
[1331] ferre opem
[1332] et demittere funem,
[1333] dicam :
[1334] « Qui scis
[1335] « an se projecerit huc
[1336] « prudens,
[1337] « atque nolit servari ?
[1338] narraboque
[1339] interitum poetæ Siculi.
[1340] Dum Empedocles cupit
[1341] haberi deus immortalis,
[1342] insiluit
[1343] frigidus
[1344] Ætnam ardentem.
[1345] Jus sit poetis
[1346] liceatque perire :
[1347] qui servat invitum,
[1348] facit idem
[1349] occidenti.
[1350] Nec fecit hoc semel ;
[1351] et, si
{p. 61}[1352] erit retractus,
[1353] non fiet jam
[1354] homo,
[1355] et ponet
[1356] amorem mortis famosæ. l’amour qu’il a d’un trépas fameux.
[1357] Nec apparet satis
[1358] cur factitet versus :
[1359] utrum minxerit
[1360] in cineres patrios,
[1361] an, incestus,
[1362] moverit
[1363] triste bidental
[1364] certe, furit,
[1365] ac velut ursus,
[1366] si valuit
[1367] frangere clathros objectos
[1368] caveæ,
[1369] recitator acerbus,
[1370] fugat
[1371] indoctum doctumque.
[1372] Quem vero arripuit,
[1373] tenet,
[1374] occiditque legendo :
[1375] hirudo
[1376] non missura cutem,
[1377] nisi plena cruoris.
Horace
Art poétique.
Aux Pisons. §
[1] Si un peintre voulait
[2] joindre un cou de-cheval
[3] à une tête humaine,
[4] et mettre des plumes diverses
[5] sur des membres
[6] collatis undique, rassemblés de-toute-part,
[7] en sorte qu’une femme
[8] belle par-le-haut
[9] se terminât en un poisson
[10] hideusement noir (repoussant) :
[11] mes amis, admis à voir cela,
[12] retiendriez-vous votrè rire ?
[13] Croyez, Pisons,
[14] qu’il sera tout-à-fait-semblable
[15] isti tabulæ, à ce tableau,
[16] le livre
[17] vanæ dont les idées vaines (confuses) :
[18] seront (seraient) représentées
[19] comme les rêves d’un malade,
[20] en sorte que ni pied ni tête
[21] ne se rapporte à une forme unique.
[22] — Un privilége égal
[23] d’oser toute-chose
[24] a été de-tout-temps
[25] pictoribus atque poetis. — aux peintres et aux poëtes. —
[26] et Nous savons cela ; aussi,
[27] et demandons-nous cette permission,
[28] et la donnons-nous, à-notre-tour :
[29] mais non pour que les animaux féroces
[30] soient unis aux animaux paisibles ;
[31] non pour que les serpents
[32] soient accouplés aux oiseaux,
[33] ni les agneaux aux tigres.
[34] La plupart-du-temps,
[35] un ou deux lambeaux
{p. 5}[36] de-pourpre,
[37] qui puissent-briller au loin,
[38] sont cousus (sont rattachés)
[39] à dès commencements nobles
[40] et professis magna : et qui promettent de grandes-choses :
[41] par exemple, lorsqu’un bois-sacré
[42] et l’autel de Diane,
[43] et le cours-sinueux
[44] d’un ruisseau qui se hâte
[45] à travers des champs agréables,
[46] ou le fleuve du Rhin,
[47] ou l’arc pluvieux (l’arc-en-ciel)
[48] est décrit :
[49] mais le lieu n’était pas maintenant
[50] à ces descriptions.
[51] Et peut-être tu sais
[52] représenter un cyprès :
[53] que fait cela (à quoi bon) ?
[54] si celui qui est peint (qui se fait peindre),
[55] son argent étant donné (pour son argent),
[56] s’échappe-à-la-nage et sans-espoir,
[57] ses vaisseaux étant brisés ?
[58] Une amphore a commencé
[59] à être façonnée :
[60] pourquoi, la roue tournant,
[61] une tasse sort-elle (résulte-t-elle) ?
[62] Enfin, que tout sujet
[63] soit avant-tout
[64] simple et un.
[65] et vous, Jeunes-gens
[66] dignes de votre père,
[67] la plus grande partie des poëtes
[68] nous sommes trompés
[69] par l’apparence du bien :
[70] je tâche d’être concis,
[71] je deviens obscur ;
[72] les nerfs et les esprits (la chaleur)
[73] abandonnent
[74] celui qui recherche les choses trop douces ;
[75] celui qui promet des choses grandioses,
[76] est enflé ;
[77] celui qui est trop sur-ses-garde
[78] et qui-craint trop la tempête,
[79] rampe terre-à-terre.
[80] Celui qui désire
[81] varier par-le-merveilleux
[82] un sujet simple,
{p. 7}[83] peint un dauphin dans les forêts,
[84] et un sanglier dans les flots.
[85] La fuite d’un défaut
[86] mène dans un vice (un défaut plus grand),
[87] si elle manque d’art.
[88] Près du cirque Emilien,
[89] un ouvrier unique-en-ce genre
[90] et reproduira les ongles,
[91] et imitera avec l’airain
[92] les cheveux souples :
[93] malheureux dans l’ensemble de son œuvre,
[94] parce qu’il ne saura point former un tout.
[95] Moi, si je me mêlais
[96] de composer quelque chose,
[97] je ne voudrais pas plus
[98] moi être cet homme-là,
[99] que vivre avec un nez difforme,
[100] étant remarquable d’ailleurs
[101] par des yeux noirs.
[102] et par des cheveux noirs.
[103] Vous, qui écrivez (auteurs),
[104] choisissez un sujet
[105] proportionné à vos forces,
[106] et pesez (examinez) longtemps
[107] ce que vos épaules refusent de porter,
[108] et ce qu’elles peuvent porter.
[109] Ni l’abondance,
[110] ni un ordre lumineux
[111] n’abandonnera celui
[112] par qui un sujet aura été choisi
[113] selon-ses-forces.
[114] Le mérite et le charme de l’ordre
[115] sera celui-ci, ou je me trompe,
[116] que l’on dise maintenant même
[117] les choses-qui-doivent
[118] être dites maintenant même,
[119] que l’on diffère le reste des choses,
[120] et qu’on les réserve
[121] pour le moment favorable.
[122] De plus, que l’auteur
[123] d’un poëme attendu-du-public,
[124] délicat et réservé
[125] dans les mots à unir (dans son style),
[126] aime telle expression,
[127] et dédaigne telle autre expression.
[128] Tu te seras-exprimé
[129] d’une-manière-distinguée,
{p. 9}[130] si une alliance ingénieuse
[131] aura (a) rendu neuve
[132] une expression déjà connue.
[133] Si par hasard
[134] il est nécessaire de désigner
[135] par des termes nouveaux
[136] les parties cachées (inconnues
[137] des choses (de la nature),
[138] il t’arrivera
[139] de créer des mots non entendus
[140] des Céthégus couverts-du-cinctus ;
[141] et une telle liberté,
[142] prise avec-discrétion
[143] te sera permise ;
[144] et les expressions nouvelles
[145] et créées récemment
[146] obtiendront confiance (faveur),
[147] si elles tombent (si elles découlent)
[148] d’une source grecque,
[149] détournées peu (dérivées sans-effort).
[150] Mais quel droit le peuple Romain
[151] accordera-t-il à Cécilius et à Plaute,
[152] droit enlevé (refusé)
[153] à Virgile et à Varius ?
[154] Et pourquoi moi,
[155] si je puis acquérir (créer)
[156] des mots peu-nombreux (quelques mots),
[157] suis-je envié (blâmé) :
[158] lorsque la langue
[159] de Caton et d’Ennius
[160] a enrichi le langage
[161] de-notre-pays (de-nos-pères),
[162] et a mis-en-avant
[163] des noms nouveaux de choses ?
[164] Il a été permis,
[165] et il sera permis toujours
[166] (de mettre-en-circulation)
[167] un mot marqué
[168] d’un cachet présent (actuel).
[169] Quand les forêts
[170] sont changées (changent) de feuilles,
[171] vers le déclin de l’année,
[172] feuilles venues-les-premières
[173] tombent les premières :
[174] ainsi périt (disparaît)
[175] la génération antique des mots ;
[176] et les mots nés récemment
{p. 11}[177] fleurissent et ont-de-la-vigueur,
[178] à-la-manière des jeunes-gens.
[179] Nous et ce-qui-vient-de-nous,
[180] nous sommes dus à la mort.
[181] Soit que Neptune (la mer)
[182] reçu dans l’intérieur de la terre
[183] défende nos flottes
[184] des Aquilons :
[185] ouvrage d’un roi ;
[186] soit qu’un marais, longtemps stérile
[187] et propre aux rames (navigable),
[188] nourrisse les villes voisines,
[189] et sente la charrue pesante ;
[190] soit qu’un fleuve (le Tibre),
[191] instruit à suivre une voie meilleure,
[192] ait changé son cours
[193] jadis funeste aux moissons :
[194] les ouvrages des-mortels périront,
[195] bien-loin-que l’éclat
[196] et le charme des mots
[197] se maintienne vivacé.
[198] Beaucoup de mots,
[199] qui sont tombés déjà,
[200] renaîtront ;
[201] et des mots qui sont
[202] en honneur maintenant,
[203] tomberont un jour,
[204] est si l’usage, au-pouvoir duquel est
[205] la toute-puissance, et l’autorité,
[206] et la règle du parler,
[207] le veut ainsi.
[208] Homère a montré
[209] en quel rhythme (en quels vers)
[210] les actions (les exploits)
[211] et des rois et des chefs,
[212] et les guerres funestes,
[213] pouvaient (peuvent) être écrites.
[214] La plainte d’abord,
[215] et plus-tard aussi
[216] la pensée au-comble de son vœu
[217] fut enfermée en des vers
[218] joints inégalement.
[219] Les grammairiens cependant
[220] se disputent (ne-sont-pas-d’accord
[221] pour dire quel auteur
[222] a mis-au-jour les petites élégies,
[223] et le procès est encore sous le juge (à juger).
{p. 13}[224] La rage (la soif de la vengeance)
[225] arma Archiloque
[226] de l’iambe qui lui est propre :
[227] les brodequins (la comédie)
[228] et les cothurnes majestueux (la tragédie)
[229] prirent (adoptèrent) ce pied,
[230] propre aux discours dialogués,
[231] et dominant
[232] les tumultes populaires,
[233] et ne pour les choses à faire (pour l’action).
[234] La Muse a donné aux lyres
[235] de rappeler (de chanter) les Dieux,
[236] et les enfants des Dieux,
[237] et l’athlète-en-pugilat vainqueur,
[238] et le cheval premier (victorieux)
[239] dans le combat de la course,
[240] et les soucis des jeunes-gens,
[241] et les vins libres (qui rendent libre).
[242] Mais, pourquoi moi
[243] suis-je (serais-je) salué poëte,
[244] si je-ne-puis et ne-sais-pas
[245] observer les caractères marqués
[246] et les tons distincts
[247] des ouvrages (des genres différents) ?
[248] Pourquoi,
[249] ayant-une-honte mauvaise,
[250] aimé-je mieux ne-pas-savoir
[251] que d’apprendre ?
[252] Un sujet comique
[253] ne veut pas être exposé
[254] en vers tragiques ;
[255] de même, le repas de Thyeste
[256] s’indigne d’être raconté
[257] en vers familiers
[258] et presque dignes du brodequin.
[259] Que tous les sujets, individuellement,
[260] gardent leur place,
[261] l’ayant obtenue convenablement.
[262] Quelquefois, cependant,
[263] même la comédie élève la voix,
[264] Chremesque iratus : et Chrémès irrité
[265] gourmande son fils
[266] d’une bouche gonflée-par-la-colère ;
[267] et bien-souvent aussi
[268] l’acteur-tragique (la tragédie)
[269] se plaint en un langage pédestre (simple) :
[270] Télèphe ou Pélée,
{p. 15}[271] lorsque l’un-et-l’autre
[272] est pauvre et exilé,
[273] rejette les paroles-ampoulées
[274] et les mots d’un-pied-et-lemi (l’emphase),
[275] s’il tient à émouvoir
[276] par sa plainte
[277] le cœur du spectateur.
[278] Ce n’est pas assez
[279] que les poëmes soient beaux ;
[280] il faut qu’ils soient touchants,
[281] et qu’ils entraînent
[282] l’âme de l’auditeur
[283] partout-où ils voudront.
[284] De même que les visages humains
[285] rient à ceux qui rient,
[286] de même ils pleurent à ceux qui pleurent.
[287] Si tu veux que je pleure,
[288] est dolendum une douleur-vraie-doit-être-exprimée
[289] par toi-même, d’abord :
[290] alors, Télèphe, ou Pélée,
[291] tes infortunes affligeront moi ;
[292] mais si tu dis mal
[293] les choses qui se sont confiées (ton rôle),
[294] au je m’endormirai,
[295] ou je rirai de toi.
[296] Des paroles tristes
[297] conviennent à un visage chagrin ;
[298] des paroles pleines de menaces,
[299] à un visage irrité ;
[300] des paroles enjouées, à un visage riant ;
[301] des choses sérieuses à dire,
[302] à un visage sévère.
[303] La nature, en effet,
[304] forme nous intérieurement d’abord
[305] à toute manière-d’être-extérieure
[306] des différentes fortunes :
[307] elle nous réjouit,
[308] ou elle nous pousse à la colère,
[309] ou elle nous abaisse vers la terre
[310] par le chagrin pesant,
[311] et elle nous tourmente ;
[312] ensuite, elle exprime
[313] les mouvements de notre âme
[314] avec la langue interprète.
[315] Si les choses dites
[316] sont en-désaccord
[317] avec la fortune (la position)
{p. 17}[318] de celui qui les dit,
[319] les chevaliers Romains
[320] et les piétons (les plébéiens)
[321] pousseront un éclat-de-rire.
[322] Cela différera beaucoup
[323] si c’est Dave qui parle,
[324] ou un héros ;
[325] si c’est un vieillard mûri par l’âge,
[326] ou un homme bouillant
[327] d’une jeunesse encore dans-sa-fleur ;
[328] si c’est une dame puissante,
[329] ou une nourrice attentive (humble)
[330] si c’est un marchand courant-le-monde,
[331] ou le cultivateur
[332] d’un petit-champ verdoyant ;
[333] si c’est un habitant-de-la-Colchide,
[334] ou un Assyrien ;
[335] un homme nourri (élevé) à Thèbes,
[336] ou un homme nourri dans Argos.
[337] Écrivain,
[338] ou suis la renommée (la tradition),
[339] ou invente des choses
[340] qui-soient-d’accord-avec elles-mêmes.
[341] Si par hasard tu remets en scène
[342] Achille vengé ;
[343] qu’il soit ardent, colère,
[344] inexorable, impétueux ;
[345] qu’il nie que les lois
[346] soient nées (soient faites) pour lui ;
[347] qu’il s’arroge tout par les armes ;
[348] Que Médée soit fière
[349] et invaincue (inflexible),
[350] qu’ Ino soit gémissante,
[351] qu’ Ixion soit perfide,
[352] qu’Io soit vagabonde,
[353] qu’Oreste soit sombre.
[354] Si tu confies à la scène
[355] quelque-sujet non-encore-traité,
[356] et si tu oses créer
[357] un personnage nouveau :
[358] qu’il soit maintenu
[359] jusqu’en bas (jusqu’à la fin)
[360] tel qu’il se sera avancé (montré)
[361] dès le commencement,
[362] et qu’il soit-fidèle à lui-même.
[363] Il est difficile de traiter (de créer)
[364] d’une manière-propre-et-déterminée
{p. 19}[365] les caractères généraux-et-abstraits ;
[366] et toi, tu mets en actes (en tragédie)
[367] un poëme tiré-de-l’Iliade
[368] avec-plus-de-raison,
[369] que si, le premier,
[370] tu mettais-en-avant
[371] des choses inconnues
[372] et non-encore-traitées.
[373] Un sujet public
[374] sera de ton droit privé (sera tien),
[375] si tu ne restes pas
[376] dans l’ornière banale
[377] et ouverte à tout le monde ;
[378] et si tu ne t’attaches pas,
[379] intorprète trop fidèle,
[380] à rendre mot pour mot ;
[381] et si tu ne te jettes pas,
[382] imitateur servile,
[383] dans un cercle étroit (une difficulté),
[384] d’où la honte,
[385] ou la loi de l’ouvrage (le plan du poëme)
[386] t’empêche de retirer le pied.
[387] Et tu ne commenceras pas ainsi,
[388] comme autrefois un poëte cyclique.
[389] « Je chanterai (je vais chanter)
[390] la fortune (les malheurs) de Priam
[391] et celle guerre mémorable… »
[392] quelle chose ce prometteur produira-t-il
[393] qui soit digne
[394] d’une ouverture-de-bouche aussi-grande ?
[395] Les montagnes
[396] sont-en-travail-d’enfant :
[397] un rat ridicule naîtra d’elles.
[398] Combien mieux il agit.
[399] ce poete qui n’entreprend rien
[400] d’une manière ridicule :
[401] « Muse, dis (chante) à moi le héros,
[402] qui, après les temps (l’époque)
[403] de Troie prise,
[404] vit (observa) les mœurs et les villes
[405] d’hommes (de peuples) nombreux. »
[406] Il ne songe pas, lui,
[407] à donner la fumée après la lumière,
[408] mais la lumière après la fumée,
[409] afin d’étaler ensuite
[410] des merveilles éclatantes :
[411] savoir, Antiphate et Scylla,
{p. 21}[412] et Charybde avec le Cyclope.
[413] Et il ne commence pas
[414] le retour de Diomède
[415] à la mort de Méléagre,
[416] ni la guerre de-Troie
[417] aux deux œufs de Léda.
[418] Il se hâte toujours
[419] vers l’événement,
[420] et il entraîne son auditeur
[421] au milieu des faits,
[422] non autrement que s’ils lui étaient connus ;
[423] et il abandonne (il sacrifie)
[424] les choses lesquelles il n’espère-pas
[425] pouvoir jeter-de-l’éclat,
[426] si elles étaient traitées.
[427] Et il ment (il invente) de telle-manière,
[428] il mêle les fictions aux choses vraies
[429] de-telle-manière,
[430] que le milieu n’est-pas-en-désaccord
[431] avec le commencement,
[432] ni la fin avec le milieu.
[433] Toi, apprends (sache)
[434] ce-que j’exige, moi,
[435] et ce que le peuple exige avec moi.
[436] Si tu désires un approbateur
[437] qui attende les rideaux (la fin),
[438] et qui-doive-rester-assis toujours
[439] jusqu’à-ce-que le chanteur dise :
[440] « Vous, applaudissez ! »
[441] les mœurs de chaque âge
[442] doivent être observées par toi,
[443] et la couleur-propre doit être donnée
[444] aux caractères et aux années
[445] qui-changent.
[446] L’enfant, qui sait déjà
[447] prononcer les mots,
[448] et qui marque la terre
[449] d’un pied assuré,
[450] désire-ardemment
[451] jouer-avec ses égaux-d’âge,
[452] et il prend la colère
[453] et il la quitte sans-réflexion,
[454] et il est changé (il change)
[455] d’heure-en-heure (à chaque instant).
[456] Le jeune-homme imberbe,
[457] quand son gouverneur a été éloigné
[458] enfin,
{p. 23}[459] est charmé par les chevaux,
[460] et par les chiens, et par le gazon
[461] du Champ-de-Mars exposé-au-soleil ;
[462] il est de-cire (flexible comme la cire)
[463] à être plié (façonné) au vice,
[464] récalcitrant à ceux qui l’avertissent ;
[465] pourvoyeur tardif
[466] des choses utiles,
[467] prodigue d’argent,
[468] présomptueux et plein-de-désirs,
[469] et prompt à quitter
[470] les choses qu’il a aimées.
[471] Ces goûts étant changés,
[472] l’âge viril et le caractère viril
[473] recherche le crédit
[474] et les amitiés utiles,
[475] il est-esclave des honneurs,
[476] et prend-garde de commettre.
[477] unechose que bientôt
[478] il aurait-la-peine de changer.
[479] Des inconvénients nombreux
[480] entourent le vieillard :
[481] soit parce qu’il amasse,
[482] et que, malheureux,
[483] il s’abstienne des choses amassées,
[484] et craint d’en user (d’en jouir) ;
[485] soit parce qu’il administre
[486] toutes les affaires
[487] timidement et d’une-manière-glacée,
[488] temporiseur,
[489] lent dans l’espérance (espérant peu),
[490] sans-énergie (irrésolu),
[491] et ayant-peur de l’avenir,
[492] difficile, se-plaignant-toujours,
[493] louangeur du temps passé
[494] quand lui-même était enfant,
[495] censeur et grondeur
[496] des personnes plus jeunes.
[497] Les années en venant
[498] nous apportent avec elles
[499] des avantages nombreux ;
[500] et en s’en retournant (en déclinant),
[501] elles nous en ôtent beaucoup aussi.
[502] Pour qu’un rôle de-vieillard
[503] ne soit pas confié
[504] par hasard à un jeune-homme,
[505] ni un rôle d’homme-fait à un enfant,
{p. 25}[506] nous nous tiendrons toujours
[507] dans les caractères assortis
[508] et propres à chaque âge.
[509] Ou une action se passe sur la scène,
[510] ou bien, ayant été faite,
[511] elle y est racontée.
[512] Les choses qu’on-fait-entrer par l’oreille
[513] impressionnent l’esprit moins-vivement,
[514] que celles-qui sont soumises
[515] aux yeux fidèles,
[516] et que le spectateur
[517] lui-même transmet à soi-même :
[518] cependant
[519] tu ne mettras pas sur la scène
[520] les choses qui doivent être faites au-dedans ;
[521] et tu éloigneras des yeux
[522] bien des choses, qu’un récit
[523] rendant-les-objets-présents
[524] racontera bientôt.
[525] Que Médée n’égorge pas ses enfants
[526] en-présence du peuple ;
[527] ou que le criminel Atrée
[528] ne fasse-pas-bouillir en-public
[529] des entrailles humaines ;
[530] ou bien que Procné
[531] ne soit pas changée en oiseau,
[532] ni Cadmus en serpent :
[533] Je hais (je repousse), incrédule,
[534] tout ce que tu montres à moi
[535] de-cette-manière.
[536] Qu’une pièce-de-théâtre,
[537] qui veut être redemandée,
[538] et, ayant été vue déjà,
[539] être remise à la scène,
[540] ne soit ni plus courte
[541] ni plus longue
[542] que l’acte cinquième (cinq actes).
[543] Et qu’un Dieu n’y intervienne pas,
[544] à moins qu’un nœud
[545] digne d’un tel libérateur
[546] ne se soit présenté ;
[547] et qu’un quatrième personnage
[548] ne s’efforce pas de parler.
[549] Que le Chœur défende (remplisse)
[550] le rôle et l’office individuel
[551] d’un seul acteur ;
[552] et qu’il ne chante-pas-entre
{p. 27}[553] le milieu des actes
[554] quelque chose qui ne soit-pas-utile
[555] et ne se rattache pas étroitement
[556] au sujet de la pièce.
[557] Que lui (le Chœur),
[558] et favorise les bons,
[559] et les conseille amicalement,
[560] et qu’il modère les esprits irrités,
[561] et qu’il aime
[562] ceux qui craignent de faire-le-mal ;
[563] qu’il vante les mets
[564] d’une table courte (frugale) ;
[565] qu’ il vante la justice salutaire,
[566] et les lois, et les loisirs de la paix
[567] aux portes ouvertes ;
[568] qu’il cache les choses confiées à lui,
[569] et qu’il prie et supplie les Dieux
[570] de faire que la fortune
[571] revienne aux malheureux,
[572] et qu’elle s’éloigne des orgueilleux.
[573] La flûte, non attachée
[574] avec du laiton,
[575] et rivale de la trompette,
[576] comme maintenant,
[577] mais faible et simple
[578] par ses trous peu-nombreux,
[579] était utile
[580] pour donner-le-ton aux chœurs
[581] et pour les accompagner,
[582] et pour remplir de son souffle
[583] les siéges (les gradins)
[584] non-encore trop serrés,
[585] où se réunissait un peuple
[586] qu’on-pouvait-compter certainement
[587] attendu qu’il était petit,
[588] et sobre (et frugal),
[589] et chaste (et vertueux),
[590] et plein-de-retenue.
[591] Après que ce même peuple, vainqueur,
[592] eut commencé à étendre
[593] ses champs (son territoire) ;
[594] et qu’ un mur plus vaste
[595] eut commencé à entourer la ville (Rome) ;
[596] et que le Génie (le dieu de la joie)
[597] eut commencé à être apaisé impunément,
[598] les jours de-fête,
[599] avec du vin bu-toute-la-journée ?
{p. 29}[600] une licence plus grande s’ajouta
[601] et aux nombres (aux vers),
[602] et aux mesures (au chant).
[603] Quelle chose, en effet, pouvait-goûter
[604] le paysan ignorant
[605] et libre de ses travaux,
[606] mêlé au citadin,
[607] l’homme grossier mélé à l’homme poli ?
[608] Ainsi le joueur-de-flûte
[609] ajouta à son art ancien
[610] et le mouvement (la danse),
[611] et le luxe du costume ;
[612] et se-promenant
[613] il traîna une longue robe
[614] per pulpita. sur les théâtres.
[615] Ainsi, encore,
[616] les voix (les tons) s’accrurent
[617] aux lyres jadis sévères,
[618] et l’éloquence rapide
[619] prit un langage inaccoutumé ;
[620] et la pensée du Chœur,
[621] pleine-de-sagacité
[622] dans les choses (les conseils) utilos,
[623] et prophétisant l’avenir,
[624] ne différa point (ne différa plus)
[625] du ton de Delphes qui-rend-des-oracles.
[626] Celui qui combattit
[627] en vers tragiques
[628] pour un bouc vil,
[629] bientôt aussi montra-nus
[630] les Satyres champêtres ;
[631] et, railleur-caustique,
[632] il essaya un genre-plaisant,
[633] la gravité de la tragédie étant sauve :
[634] par ce motif qu’un spectateur
[635] et s’étant acquitté des sacrifices,
[636] et ayant bien bu,
[637] et étant au-dessus-des lois (sans retenue),
[638] devait être intéressé (amusé)
[639] par des charmes nouveaux
[640] et par une nouveauté attrayante.
[641] Mais il conviendra
[642] de confier à la scène
[643] les Satyres moqueurs,
[644] et diseurs-de-bons-mots,
[645] de telle façon, de telle façon… ;
[646] il conviendra de tourner
{p. 31}[647] les choses sérieuses à la plaisanterie
[648] de telle façon, que,
[649] n’importe-quel dieu,
[650] n’importe-quel héros
[651] sera mis-en-scène,
[652] ayant été vu tout-à-l’heure
[653] dans l’or des-rois
[654] et dans la pourpre,
[655] il ne passe point par un langage trivial
[656] dans les cabarets enfumés ;
[657] ou qu’il ne-cherche-pas-à saisir
[658] les nues et les espaces vides,
[659] tandis qu’il évite la terre.
[660] La tragédie,
[661] qui-ne-doit-pas débiter-à-la-légère
[662] des vers burlesques,
[663] se trouvera-parmi
[664] les Satyres impudents
[665] un-peu rougissante-de-honte,
[666] comme une dame romaine
[667] obligée de danser
[668] aux jours de fête.
[669] Pour moi, Pisons,
[670] auteur de drames-satyres,
[671] je n’aimerai pas exclusivement
[672] des mots et des termes
[673] dépourvus-d’ornement et vulgaires ;
[674] et je ne m’efforcerai pas non plus
[675] de m’éloigner du ton de-la-tragédie,
[676] de telle façon que rien ne diffère,
[677] si c’est Dave qui parle,
[678] et audax Pythias et l’effrontée Pythias
[679] lucrata talentum qui a attrapé un talent
[680] au vieux Simon dupé,
[681] ou bien si c’est Silène,
[682] gardien et serviteur
[683] du Dieu (Bacchus) son nourrisson.
[684] Je suivrai (je développerai)
[685] mon poëme inventé (ma fable),
[686] d’après un sujet connu,
[687] de manière que le-premier-venu
[688] puisse-espérer le même succès pour lui,
[689] mais qu’il sue beaucoup
[690] et qu’il travaille en-vain,
[691] ayant osé tenter la même chose :
[692] tant l’enchaînement et l’ensemble
[693] ont-de-force (de valeur) !
{p. 33}[694] tant d’honneur (de beauté) s’ajoute
[695] aux choses prises du milieu (du commun) !
[696] Que les Faunes, tirés de leurs forêts,
[697] prennent-bien-garde,
[698] moi étant juge (selon mon conseil),
[699] que jamais,
[700] comme s’ils étaient nés dans les carrefours
[701] et presque sur-le-Forum,
[702] ou ils ne fassent-les-galants
[703] par des vers trop tendres,
[704] ou qu’ils ne lâchent-bruyamment
[705] des paroles (des plaisanteries)
[706] obscènes et indécentes.
[707] En effet,
[708] ceux qui ont un cheval (les chevaliers),
[709] et ceux qui ont un père sénateur,
[710] et ceux qui ont de la fortune,
[711] sont offensés de cela ;
[712] et, si
[713] l’acheteur de pois frits et de noix
[714] approuve une chose,
[715] les chevaliers, les fils de sénateurs, etc.
[716] ne l’accueillent pas pour cela
[717] avec des esprits favorables,
[718] et nela récompensent pas d’une couronne.
[719] Une syllabe longue,
[720] mise-après une brève,
[721] est appelée iambe,
[722] pied rapide :
[723] d’où même et à cause de sa rapidité même)
[724] l’iambe a fait que le nom de trimètres
[725] s’ajoutât aux vers iambiques,
[726] dans ces vers trimètres,
[727] l’iambe rendìt (fìt entendre)
[728] six coups (fût répété six fois),
[729] étant semblable à lui-même
[730] (toujours composé d’iambes)
[731] depuis le premier pied jusqu’au dernier.
[732] Il n’y a pas très-longtemps,
[733] le vers iambique
[734] arrivât aux oreilles
[735] un peu plus lent et plus grave,
[736] il a reçu dans ses droits paternels
[737] les spondées lourds,
[738] complaisant et patient ;
[739] mais pas au point de se retirer,
[740] en-ami-trop-commode,
{p. 35}[741] de la seconde place, ni de la quatrième.
[742] Ce vers iambique
[743] se montre rare (rarement)
[744] dans les trimètres si vantés
[745] et d’Accius, et d’Ennius.
[746] Un vers jeté sur la scène
[747] avec une pesanteur trop grande,
[748] l’auteur
[749] de l’accusation honteuse
[750] soit d’un travail trop rapide
[751] et qui manque de soin,
[752] soit d’ignorance de l’art.
[753] N’importe-quel juge (le premier-venu)
[754] ne voit pas (ne sent pas)
[755] les poëmes mal-cadencés ;
[756] et une indulgence non-méritée
[757] a été accordée à des poëtes Romains.
[758] Est-ce que, pour-cette-raison,
[759] je m’écarterai des règles,
[760] et est-ce que j’écrirai
[761] avec trop-de-liberté ?
[762] ou penserai-je que tout-le-monde
[763] verra mes fautes,
[764] tranquille cependant et rassuré
[765] dans l’espoir que j’ai du pardon ?
[766] De cette manière, en-définitive,
[767] j’ai (j’aurai) évité les fautes,
[768] mais je n’aurai pas mérité de louange.
[769] Vous, feuilletez (étudiez)
[770] avec une main travaillant-la-nuit,
[771] les modèles grecs,
[772] versate feuilletez-les (étudiez-les)
[773] avec une main travaillant-le-jour.
[774] Mais nos ancêtres
[775] ont loué et les vers
[776] et les bons-mots de-Plaute,
[777] l’une et l’autre chose
[778] trop complaisamment,
[779] pour ne pas dire sottement :
[780] pour-peu que vous et moi
[781] nous sachions distinguer
[782] un mot grossier d’un mot plaisant,
[783] que nous sachions juger
[784] par les doigts et par l’oreille
[785] un son légitime (juste).
[786] Thespis est dit avoir inventé
[787] le genre auparavant inconnu
{p. 37}[788] de la Muse tragique (de la tragédie),
[789] et avoir porté sur des chariots
[790] des acteurs qui,
[791] barbouillés de lie quant à leurs visages,
[792] chantaient ses poëmes
[793] et les représentaient.
[794] Après lui, Eschyle,
[795] l’inventeur du masque
[796] et de la robe magnifique,
[797] non-seulement disposa la scène
[798] sur des tréteaux modestes,
[799] mais-encore enseigna
[800] et à parler noblement,
[801] et à marcher chaussé du cothurne.
[802] A ces deux poëtes
[803] succéda la Comédie Antique,
[804] non sans une grande gloire ;
[805] mais la liberté tomba
[806] dans le vice (dans l’abus),
[807] et dans une violence
[808] qui-mérita d’être modérée par une loi :
[809] la loi fut reçue,
[810] et le Chœur se tut honteusement,
[811] le droit de nuire lui étant enlevé.
[812] Nos poëtes n’ont laissé aucun-sujet
[813] sans-le-tenter (sans s’y essayer) ;
[814] et ils n’ont pas mérité
[815] leur moindre gloire (ou : peu de gloire),
[816] en-osant abandonner
[817] les vestiges des-Grecs,
[818] et en-osant célébrer
[819] des sujets nationaux,
[820] soit ceux qui donnèrent-les-premiers
[821] des-pièces-jouées-avec-la-prétexte,
[822] soit ceux qui donnèrent-les-premiers
[823] des-pièces-jouées-avec-la-toge.
[824] Et le Latium ne serait pas
[825] plus puissant par sa valeur
[826] ni par ses armes glorieuses
[827] que par sa littérature,
[828] si le travail de la lime
[829] et le temps qu’il faut mettre à corriger
[830] ne rebutaient pas
[831] un-chacun de nos poëtes.
[832] O vous,
[833] qui étes le sang de Numa-Pompilius,
[834] censurez des vers
{p. 39}[835] que beaucoup de jours
[836] et beaucoup de ratures
[837] n’ont pas corrigés
[838] et n’ont pas châtiés
[839] à l’ongle (parfaitement),
[840] après qu’ils ont été rognés dix fois.
[841] Parce que Démocrite
[842] croit (prétend) que le génie
[843] est plus heureux (plus fécond)
[844] que l’art misérable,
[845] et parce qu’ il exclut de l’Hélicon
[846] les poëtes sains-d’esprit,
[847] une bonne partie de nos poëtes a-bien-soin
[848] de ne pas quitter (couper) ses ongles,
[849] de ne pas quitter (couper) sa barbe ;
[850] ils recherchent les endroits écartés ;
[851] ils évitent les bains.
[852] Tel en effet trouvera
[853] la gloire et le nom de poëte,
[854] s’il ne confie jamais
[855] au barbier Licinus
[856] sa tête qui-ne-pourrait-être-guérie
[857] par l’ellébore de trois Anticyres.
[858] O que je suis maladroit,
[859] moi qui me purge de ma bile
[860] vers l’époque du temps printanier !
[861] Pas un autre ne ferait
[862] des poëmes (des vers) meilleurs.
[863] Mais le nom de poete
[864] n’est pas d’un si-grand-prix pour moi.
[865] Je m’acquitterai donc
[866] du rôle d’un queux (pierre à aiguiser),
[867] qui a le-pouvoir
[868] de rendre le fer coupant,
[869] quoique privé lui-même
[870] du pouvoir de couper :
[871] moi-aussi, quoique n’écrivant rien,
[872] j’enseignerai l’art d’écrire
[873] et le devoir d’un écrivain :
[874] j’enseignerai à quelles-sources
[875] les richesses poétiques se puisent ;
[876] ce qui nourrit
[877] et forme le poëte ;
[878] ce qui convient, et ce qui ne convient pas ;
[879] où l’art conduit, et où l’erreur conduit.
[880] Avoir-de-la-raison,
[881] est et le principe
{p. 41}[882] et la source du bien écrire.
[883] Les papiers (les livres) Socratiques
[884] pourront montrer à toi
[885] la chose (les idées) ;
[886] et les mots suivront (exprimeront)
[887] non malgré-eux (sans effort)
[888] la chose (l’idée) acquise-d’avance.
[889] Celui qui a appris (qui sait)
[890] ce qu’il doit à sa patrie,
[891] et ce qu’il doit à ses amis ;
[892] celui qui sait de quel amour
[893] un père doit être aimé,
[894] de quel amour un frère
[895] et un hôte doivent être aimés ;
[896] celui qui sait quel est le devoir
[897] d’un père-conscrit (d’un sénateur),
[898] quel est le devoir d’un juge ;
[899] quelles sont les fonctions
[900] d’un général envoyé à la guerre :
[901] celui-là, sans-aucun-doute,
[902] sait rendre (saura prêter)
[903] à chacun de ses personnages
[904] les choses (les idées) convenables.
[905] J’ordonnerai (je conseillerai)
[906] au peintre-de-caractères habile
[907] d’observer-avec-soin
[908] le tableau de la vie et des mœurs,
[909] et de tirer de-là
[910] des expressions (des images) vives.
[911] Quelquefois, une pièce,
[912] remarquable par les idées
[913] et bien rendue-quant-aux-mœurs,
[914] mais n’ayant aucune grâce,
[915] et écrite sans poids (sans dignité)
[916] et sans art,
[917] charme plus le peuple
[918] et l’attache mieux,
[919] ne feraient des vers
[920] pauvres de choses (sans idées),
[921] et des riens sonores.
[922] La Muse a donné aux Grecs
[923] le génie ;
[924] elle a donné le talent de parler
[925] d’une bouche arrondie (harmonieuse),
[926] aux Grecs avides d’aucune chose
[927] excepté de gloire.
[928] Mais les enfants Romains
{p. 43}[929] apprennent par de longs calculs
[930] à diviser une livre
[931] en cent parties.
[932] Que le fils d’Albinus me dise :
[933] est « Si une once a été retirée
[934] de cinq-onces,
[935] que reste-t-il ?
[936] pouvais-tu (pourrais-tu)
[937] avoir dit (dire) cela ? —
[938] Le tiers d’une livre (quatre onces). —
[939] Bien ! tu pourras
[940] conserver ta fortune.
[941] Et si une once est-ajoutée :
[942] qu’est-ce que cela devient ? —
[943] Une-demi-livre. » —
[944] Eh bien, quand une-fois
[945] une-telle rouille (avarice)
[946] et un tel souci de l’argent
[947] auront pénétré les esprits,
[948] espérons-nous que des vers,
[949] dignes-d’être-frottés
[950] avec-de-l’huile-de-cèdre
[951] et dignes-d’être-conservés
[952] dans le cyprès poli,
[953] pourront-être composés ?
[954] Les poëtes veulent
[955] ou être-utiles, ou charmer ;
[956] ou ils veulent dire tout-à-la-fois
[957] des choses et agréables
[958] et utiles à la vie.
[959] Quelque-chose-que tu recommandes,
[960] sois court (concis),
[961] afin que les esprit dociles
[962] perçoivent tout-de-suite tes paroles,
[963] et qu’ils les gardent fidèles (fidèlement) :
[964] toute chose superflue
[965] coule (déborde) du cœur trop rempli.
[966] Que les choses inventées pour le plaisir
[967] soient très-ressemblantes
[968] aux choses vraies ;
[969] et qu’une pièce ne prétende pas
[970] pour-elle-même
[971] que tout ce qu’elle voudra
[972] soit cru du spectateur ;
[973] et qu’elle ne tire pas,
[974] un enfant tout vivant
[975] du ventre d’une Lamie repue.
{p. 45}[976] Les centuries des Romains plus âgés
[977] poursuivent de leur improbation
[978] les poemes qui sont dépourvus
[979] d’utilité (de leçons sérieuses) ;
[980] les Rhamniens (les Chevaliers)
[981] altiers (dédaigneux)
[982] laissent-de-côté (méprisent)
[983] les poëmes austères (trop sérieux).
[984] Celui-là a remporté (mérité)
[985] tous les points (tous les suffrages),
[986] qui a mêlé l’utile à l’agréable,
[987] en charmant le lecteur
[988] et en l’instruisant tout-à-la-fois.
[989] Un tel livre
[990] vaut (rapporte) beaucoup d’argent
[991] aux Sosies (au libraire),
[992] un-tel livre aussi passe la mer,
[993] et proroge (assure)
[994] une vie longue (l’immortalité)
[995] à son auteur célèbre.
[996] Il y a cependant des fautes
[997] auxquelles nous voudrions
[998] avoir pardonné (pardonner) :
[999] car ni la corde de la lyre
[1000] ne rend toujours le son
[1001] et mens que la main et l’intention
[1002] veulent produire,
[1003] et elle renvoie bien-souvent
[1004] un son aigu
[1005] à celui-qui-désire un son grave ;
[1006] ni l’arc (ni la flèche) non plus
[1007] ne frappera pas toujours
[1008] tous les buts qu’il menacera (visera).
[1009] Mais, du-moment-que
[1010] le plus-grand-nombre des choses
[1011] brillent dans un poëme,
[1012] je ne serai pas choqué
[1013] de taches peu-nombreuses,
[1014] que ou la négligence a répandues
[1015] ou dont la nature (la faiblesse) humaine
[1016] s’est peu garantie.
[1017] Qu’y a-t-il donc (mais quoi) ?
[1018] De-même-qu’un écrivain copiste-de-livres,
[1019] s’il pèche toujours de la même manière,
[1020] quoiqu’il ait été averti,
[1021] n’obtient-pas de pardon ;
[1022] de-même qu’un joueur-de-luth,
{p. 47}[1023] qui se trompe toujours
[1024] sur la même corde,
[1025] excite-les-risées :
[1026] de même,
[1027] le poëte qui bronche beaucoup (souvent),
[1028] devient pour moi ce Chérile,
[1029] que je m’étonne en souriant
[1030] de trouver bon deux-fois ou trois-fois ;
[1031] et idem et moi, le même (et pourtant),
[1032] je m’indigne (je suis vexé)
[1033] chaque-fois-que
[1034] le divin Homère sommeille ;
[1035] cependant il est permis
[1036] que le sommeil se glisse
[1037] dans un poëme de-longue-haleine.
[1038] La poésie est comme la peinture :
[1039] il y aura tel morceau
[1040] qui charmera toi davantage,
[1041] si tu te tiens plus près de lui ;
[1042] et tel autre te charmera plus ;
[1043] si tu t’en éloignes davantage ;
[1044] celui-ci aime l’obscurité,
[1045] cet autre, qui ne redoute pas
[1046] la perspicacité sévère
[1047] du juge (de la critique),
[1048] voudra être vu
[1049] sous la lumière (au grand jour) ;
[1050] celui-ci a plus une-fois,
[1051] celui-là, redemandé (revu) dix-fois,
[1052] plaira toujours.
[1053] O toi, l’ainé des deux jeunes Pisons,
[1054] quoique non-seulement
[1055] tu sois formé au bien
[1056] par la voix de-ton-père,
[1057] mais encore que tu aies-du-goût
[1058] par toi-même (naturellement),
[1059] mets-dans-ta-mémoire
[1060] cette parole dite à toi, savoir :
[1061] que le médiocre et le passable
[1062] en certaines choses,
[1063] sont permis (tolérés) avec-justice.
[1064] Un jurisconsulte médiocre,
[1065] et un avocat médiocre,
[1066] est-loin du mérite
[1067] de l’éloquent Messala,
[1068] et il ne sait pas autant de droit
[1069] que Cascellius Aulus ;
{p. 49}[1070] sed tamen est in pretio. et pourtant il est en quelque estime.
[1071] Mais ni les hommes, ni les Dieux,
[1072] ni les colonnes des portiques
[1073] où s’exposaient les livres en vente,
[1074] n’ont permis aux poëtes
[1075] d’être médiocres.
[1076] De même-que,
[1077] au milieu d’un festin agréable,
[1078] une symphonie discordante,
[1079] et un parfum rance,
[1080] et le pavot
[1081] servi avec du miel de-Sardaigne,
[1082] blessent les convives,
[1083] parce que le repas pouvait être terminé
[1084] sans ces hors-d’œuvre :
[1085] ainsi, la poésie,
[1086] née et inventée
[1087] pour charmer les esprits,
[1088] si peu qu’elle ait dévié
[1089] du premier rang,
[1090] elle tombe au dernier.
[1091] Celui qui-ne-sait-pas jouer (s’escrimer),
[1092] s’abstient de manier
[1093] les armes du-Champ-de-Mars,
[1094] et celui-qui-n’entend-rien à la paume,
[1095] ou au disque, ou au cerceau,
[1096] se-tient-en-repos,
[1097] de peur que les cercles de spectateurs
[1098] épais
[1099] ne poussent un éclat-de-rire
[1100] impunément (à ses dépens) ;
[1101] et celui qui ne sait pas faire des vers,
[1102] ose cependant
[1103] faire (composer) des vers ! —
[1104] « Pourquoi donc pas ?
[1105] je suis libre (dira-t-il),
[1106] et né-de-parents-libres,
[1107] surtout je suis porté-au-livre-du-cens,
[1108] pour la somme de sesterces
[1109] exigée-des-chevaliers,
[1110] et je suis éloigné (exempt)
[1111] de tout vice (de toute infamie). » —
[1112] Mais toi, tu ne diras ou ne feras rien
[1113] en-dépit-de Minerve ;
[1114] un jugement tel, un esprit tel,
[1115] sont à toi.
[1116] Si cependant tu écrivais
{p. 51}[1117] quid olim, quelque-chose un-jour,
[1118] que ton ouvrage descende (pénètre)
[1119] dans les oreilles du juge Métius,
[1120] et dans celles de ton père,
[1121] et dans les nôtres (dans les miennes),
[1122] et qu’il soit mis-de-côté
[1123] jusqu’à la neuvième année.
[1124] Les parchemins étant placés
[1125] dans ton portefeuille,
[1126] il te sera permis d’effacer
[1127] ce que tu n’auras-pas-fait-paraître :
[1128] mais le mot publié
[1129] ne sait (ne peut) plus revenir.
[1130] poëte sacré
[1131] et interprète des Dieux,
[1132] détourna des meurtres
[1133] et d’une nourriture affreuse
[1134] les hommes qui-vivaient-dans-les-bois :
[1135] il est dit, à cause de cela,
[1136] avoir amolli les tigres
[1137] et les lions cruels ;
[1138] et Amphion,
[1139] le fondateur de la citadelle de-Thèbes,
[1140] est dit avoir fait-mouvoir les rochers,
[1141] par le son de sa lyre,
[1142] et les avoir conduits où il voulait
[1143] par ses prières mélodieuses.
[1144] La sagesse autrefois
[1145] fut telle (consista en ceci) :
[1146] distinguer les intérêts généraux
[1147] des intérêts particuliers,
[1148] les choses sacrées des choses profanes ;
[1149] détourner les hommes
[1150] de leurs unions vagabondes ;
[1151] tracer des droits-et-des-devoirs
[1152] aux gens-mariés ;
[1153] construire des villes ;
[1154] graver des lois sur le bois.
[1155] C’est ainsi que l’honneur et la gloire
[1156] vinrent aux poëtes inspirés-des-dieux
[1157] et à leurs vers.
[1158] Après ces premiers poëtes,
[1159] Homère s’est signalé,
[1160] et Tyrtée anima par ses vers
[1161] les mâles courages
[1162] aux combats de-Mars.
[1163] Les oracles furent rendus en vers,
{p. 53}[1164] et via vitæ et la route de la vie (la morale)
[1165] fut enseignée en vers ;
[1166] et la faveur des rois fut briguée
[1167] par les accords des-Piérides (des Muses) ;
[1168] et les jeux scéniques
[1169] par eux, sa fin (le délassement)
[1170] des longs travaux
[1171] furent inventés :
[1172] que la Muse
[1173] habile-à-toucher la lyre,
[1174] et que le chantre Apollon
[1175] ne soient donc pas à honte à toi.
[1176] On a discuté
[1177] si un poëme louable (un bon poëme)
[1178] était fait par la nature, ou par l’art.
[1179] Pour moi, je ne vois
[1180] ni ce que l’étude (l’art) peut produire
[1181] sans la veine riche (sans l’inspiration) ;
[1182] ce que peut produire
[1183] le génie grossier (sans l’art) :
[1184] tellement l’une de ces deux choses
[1185] exige le secours de l’autre,
[1186] et conspire (concourt) avec elle
[1187] d’une-manière-amie.
[1188] Celui qui désire atteindre
[1189] la borne désirée
[1190] au-combat-de-la-course,
[1191] a supporté et a fait beaucoup de choses
[1192] quand il était jeune ;
[1193] il a sué et il a-eu-froid ;
[1194] il s’est abstenu de l’amour et du vin.
[1195] Le joueur-de-flûte,
[1196] qui chante dans-les-jeux-Pythiens,
[1197] a pris-des-leçons auparavant,
[1198] et a redouté un maître.
[1199] Et il ne suffit pas, pour être poëte,
[1200] d’avoir dit (de dire) :
[1201] « Moi, je compose des vers admirables :
[1202] que la gale s’empare
[1203] du dernier (malheur au dernier) !
[1204] c’est chose honteuse pour moi
[1205] d’être laissé-en-arrière,
[1206] et d’avouer raisonnablement
[1207] que-je-ne-sais-pas
[1208] ce-que je n’ai pas appris. »
[1209] Semblable au crieur-public,
[1210] qui rassemble la foule
{p. 55}[1211] ad merces emendas : devant des marchandises à acheter :
[1212] un poëte riche en terres,
[1213] et riche en écus
[1214] placés à bel-intérêt,
[1215] ordonne presque aux flatteurs
[1216] d’aller (de courir) au gain.
[1217] Mais si ce poëte est homme à pouvoir
[1218] servir comme-il-faut
[1219] un festin somptueux,
[1220] et à donner-caution
[1221] pour le pauvre sans-crédit,
[1222] et à tirer-d’affaire
[1223] celui qui est engagé
[1224] dans des procès étroits (gênants) :
[1225] je serai-bien-surpris,
[1226] s’il est assez heureux pour savoir
[1227] trouver-la-différence-entre
[1228] un ami menteur,
[1229] et un ami véritable.
[1230] Toi, soit que tu aies donné,
[1231] soit que tu veuilles donner
[1232] quelque-chose à quelqu’un,
[1233] garde-toi de le conduire
[1234] plein de joie
[1235] devant des vers faits par toi :
[1236] il s’écriera, en-effet :
[1237] « superbe ! bien ! parfait ! »
[1238] il pâlira sur ces vers ;
[1239] même il distillera une rosée de larmes
[1240] de ses yeux complaisants ;
[1241] il bondira, il frappera la terre du pied.
[1242] De-même-que,
[1243] ceux qui pleurent à un convoi-funèbre,
[1244] étant payés pour cela,
[1245] en disent et en font plus,
[1246] prope, pour-ainsi-dire,
[1247] que-ceux-qui-sont-affligés
[1248] du fond de leur cœur :
[1249] de même, l’homme qui-se-moque
[1250] est plus démonstratif
[1251] qu’un approbateur sincère.
[1252] Les rois (les grands, les riches)
[1253] sont dits presser (éprouver)
[1254] par beaucoup de coupes-pleines,
[1255] et torturer par le vin
[1256] l’homme-qu’ils sont-en-peine
[1257] d’avoir examiné (de savoir)
{p. 57}[1258] an sit dignus amicitia. s’il est digne de leur amitié.
[1259] Si tu fais (quand tu feras) des vers,
[1260] les esprits (les flatteurs)
[1261] qui-se-cachent sous la peau du renard
[1262] ne trompent jamais toi.
[1263] Lorsque vous lisiez
[1264] quelque-chose à Quintilius,
[1265] il disait :
[1266] « Corrigez-moi ceci et cela,
[1267] « s’il-vous_plaît. »
[1268] Si vous disiez ne-pouvoir-pas faire mieux,
[1269] l’ayant essayé inutilement
[1270] deux-fois et trois-fois :
[1271] il ordonnait d’effacer,
[1272] et de rendre à l’enclume
[1273] les vers mal forgés.
[1274] Si vous aimiez-mieux
[1275] défendre une faute
[1276] que de la corriger,
[1277] il ne dépensait pas
[1278] une-seule parole en-plus,
[1279] et il ne prenait pas une peine inutile,
[1280] pour que vous n’aimassiez pas
[1281] teque et tua, et vous-même et vos vers,
[1282] seul et sans rival.
[1283] L’homme bon et instruit
[1284] reprendra les vers plats ;
[1285] il blâmera les vers durs ;
[1286] il tracera une marque noire
[1287] de son style (de sa plume) renversé
[1288] sur les vers sans-élégance ;
[1289] il retranchera
[1290] les ornements prétentieux ;
[1291] il forcera de donner de la clarté
[1292] aux vers peu clairs ;
[1293] il critiquera ce qui sera dit
[1294] d’une-manière-équivoque ;
[1295] il indiquera-par-une-marque
[1296] les passages à-changer :
[1297] il se fera Aristarque.
[1298] Et il ne dira point :
[1299] « Pourquoi, moi, offenserais-je
[1300] « un ami dans des bagatelles ? »
[1301] C’est que ces bagatelles
[1302] entraîneront dans des maux sérieux
[1303] l’homme raillé une-fois
[1304] et reçu d’une-manière-défavorable.
{p. 59}[1305] Qui sapiunt, Ceux qui ont-du-bon-sens,
[1306] craignent d’avoir touché (de toucher)
[1307] un poëte insensé (maniaque),
[1308] et ils le fuient
[1309] comme ils fuiraient
[1310] celui que la gale mauvaise,
[1311] ou la maladie royale (la jaunisse),
[1312] ou un délire frénétique,
[1313] et (ou) Diane en-courroux
[1314] poursuit (possède) ;
[1315] les enfants
[1316] harcèlent ce poete insensé,
[1317] et le poursuivent
[1318] étourdis (étourdiment).
[1319] Tandis que ce fou,
[1320] la-tête-haute,
[1321] hurle ses vers et marche-au-hasard,
[1322] s’il tombe dans un puits
[1323] ou dans un fossé,
[1324] comme un oiseleur
[1325] guettant des merles,
[1326] il aurait-beau crier longtemps :
[1327] « Holà ! citoyens ! au secours ! »
[1328] qu’il n’y ait personne
[1329] qui songe à le retirer.
[1330] Si quelqu’un songeait
[1331] à lui porter secours
[1332] et à lui descendre une corde,
[1333] je dirais à cet homme :
[1334] « Comment sais-tu
[1335] « s’il ne s’est pas jeté là-dedans
[1336] « avec-intention,
[1337] « et s’il ne-veut-pas ne pas être sauvé ? »
[1338] et puis je raconterai
[1339] la mort du poëte Sicilien.
[1340] Tandis qu’Empédocle désire
[1341] passer-pour un dieu immortel,
[1342] il s’élança (il s’élance)
[1343] froid (de sang-froid)
[1344] dans l’Etna embrasé.
[1345] Que le droit soit aux poëtes
[1346] et qu’il leur soit permis de mourir :
[1347] celui qui en sauve un malgré-lui,
[1348] fait la même chose
[1349] que celui qui le tue (qui le tuerait).
[1350] Et il n’a pas fait cela qu’une-fois ;
[1351] et, si, par hasard,
{p. 61}[1352] erit retractus, il est tiré de ce danger,
[1353] il ne deviendra pas pour-cela
[1354] un homme raisonnable,
[1355] et il n’abdiquera point
[1356] amorem mortis famosæ. l’amour qu’il a d’un trépas fameux.
[1357] Et l’on ne voit pas assez (clairement)
[1358] pourquoi il fait-toujours des vers
[1359] est-ce parce qu’ il a uriné
[1360] sur les cendres de-ses-pères,
[1361] ou parce que, sacrilége,
[1362] il a remué (profané)
[1363] un lieu-funeste frappé-par-la-foudre :
[1364] quoi-qu’il-en-soit, il-est-fou
[1365] et semblable à un ours,
[1366] quand il est-venu-à-bout
[1367] de briser les barreaux opposés
[1368] de sa cage,
[1369] lecteur impitoyable,
[1370] il met-en-fuite
[1371] ignorants et savants.
[1372] Mais celui qu’il a attrapé,
[1373] il le tient-ferme,
[1374] et il l’assassine en lui lisant ses vers :
[1375] véritable sangsue
[1376] qui ne lâchera point la peau,
[1377] si-ce-n’est gorgée de sang.
Notes. §
[n.p.]Page 2. — 1. Ars poetica. Ce sont les premiers éditeurs qui ont imaginé cette dénomination assez pompeuse d’Art poétique, et l’usage a prévalu. Horace n’avait donné à son œuvre que ce titre bien plus modeste et plus vrai : Epistola ad Pisones. En effet, le poëte s’exprime souvent avec une familiarité et un abandon que la gravité du poëme didactique lui aurait interdits.
L’Épitre aux Pisons fut composée vers l’an 745 de Rome : Horace avait alors cinquante-six ans ; mais il est à peu près certain qu’elle ne fut publiée qu’après la mort du poëte, survenue en 746.
— 2. Lucius Pison, vainqueur des Thraces, pacificateur de la Macédoine, puis préfet de Rome, diligentissimus atque idem lenissimus securitatis urbanœ custos, au dire de Velléius Paterculus, était l’ami intime d’Horace. Il avait deux fils qui partageaient son goût prononcé pour les belles-lettres, et qui, comme lui, faisaient des vers. On croit même que l’aîné avait composé une tragédie. — C’est à ces trois personnages qu’est adressée cette épître.
Il faut dire, au reste, que cette vigilance, si vantée par Velléius, s’accorde mal avec certain témoignage assez bizarre que Sénèque a rendu de ce même Lucius Pison, en disant « qu’il ne s’enivra qu’une fois dans sa vie, parce que sa vie ne fut qu’une longue ivresse, Ebrius, ex quo semel factus est, fuit. »
— 3. Mulier formosa superne. Superne ne veut pas dire exactement le buste, mais seulement la tête. En adoptant la première de ces deux expressions, nous avons voulu éviter l’interminable périphrase qu’il eût fallu employer pour nous rendre intelligible.
— 4. Species, — imagines, en grec εἴδη, idées.
Page 4. — 1. Qui pingitur. C’était un usage chez les anciens. Les malheureux qui avaient fait naufrage, sollicitaient la pitié des passants en portant, suspendu sur la poitrine, un tableau qui représentait leur infortune. On se rappelle ce vers de Perse :
Quum fracta te in trabe pictumEx humero portes….(Sat. I, v. 86 et 87.)
Page 6. — 1. Potenter, κατὰ δύναμιν.
— 2. Et prœsens in tempus omillat. Nous expliquons, dans la note suivante, les raisons qui nous ont fait adopter ce changement. Mais, pour ceux qui tiendraient absolument à la leçon vulgaire, nous rétablissons dans la même note le texte de l’édition de Quicherat. On {p. 63}lira comme lui, si l’on n’est pas convaincu que la leçon de Bentley est préférable.
— 3. Au lieu de la leçon ordinaire, qui dit :
Hoc amet, hoc spernat promissi carminis auctor.In verbis etiam tenuis cautusque serendis,Dixeris egregie, notuni si callida verbumReddiderti junctura novum….,
adoptant la transposition à la fois si ingénieuse et si naturelle de Bentley, nous disons avec lui :
In verbis etiam temus cautusque serendis,Hoc amet, hoc spernat promissi carminis auctor….,
et le reste comme ci-dessus.
Il nous semble en effet que, de cette manière, l’obscurité disparaît entièrement. « Délicat et châtié dans l’emploi de ses mots (in verbis serendis), l’auteur d’un poëme attendu du public devra aimer telle expression, et dédaigner telle autre. » Quant au sens de promissi carminis, que l’on a traduit quelquefois : un poëme d’une certaine étendue, un poeme de longue haleine, il semble évident que promissi signifie bien un poeme attendu du public. Car enfin,
S’il est un heureux choix de mots harmonieux,
comme dit Boileau : ce choix est de rigueur partout, et quelle que soit l’étandue du poëme. N’importe le genre où l’on s’exerce, le goût, ce goût sévère, qui sait en prendre et en laisser (hoc amet, hoc sernat), le goût est la première loi de l’écrivain :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
On peut encore remarquer, avec Bentley, que, dans ces deux vers, tels que la leçon ordinaire les voudrait, le rapprochement de verbiset de verbum, à si peu de distance l’un de l’autre, ne serait rien moins qu’élégant. Verbis et verbum, dit-il; tam propinqua repetitione meram scabiem et sordes prœ se ferunt.
Mais le vrai motif de notre préférence est celui que nous avons exposé en premier lieu.
Page 8. — 1. Catonis. C’est de Caton l’Ancien qu’il est question ici, celui-là même qui conduisit de Tarente à Rome le vieux poëte Ennius. On a remarqué déjà, et c’est en effet une observation assez curieuse, que les trois plus anciens poëtes latins, Livius Andronicus, Quintus Ennius, et Pacuvius, son neveu, sont tous les trois originaires de la grande Grèce : le premier était né à Tarente, le second à Rudies, près de Tarente, et le troisième à Brindes.
Page 10. — 1. Debemur morti, nos nostraque. Considérés en eux-mêmes, ces vers me paraissent fort beaux, mais il ne me semble pas retrouver ici cette délicatesse de flatterie, si habituelle chez Horace ; et je ne sais pas jusqu’à quel point Auguste aurait dû être charmé de {p. 64}voir condamnés d’avance à une mort certaine ces travaux gigantesques, si noblement célébrés par Virgile. Ce passage fournirait, s’il en était besoin, une nouvelle preuve du caractère intime et presque confidentiel de l’Épitre aux Pisons.
— 2. Sterilisve diu palus, aptaque remis, etc. Il y a ici une faute de quantité véritable : la dernière syllabe de palus étant invariablement longue, comme dans virtus, tellus, etc. On corrige quelquefois de cette manière :
Sterilisve palus dudum, etc.
Mais cette correction ne se trouve dans aucun manuscrit. Bentley fait une longue dissertation pour justifier la leçon qu’il propose :
Sterilisve palus prius, etc.
Malheureusement le vers d’Horace, tel qu’il est dans toutes les éditions jusqu’à Bentley, et dans tous les manuscrits, avait été cité par Servius, Béda et Priscien. Toute l’argumentation de Bentley doit tomber devant un tel témoignage. Et pourquoi se scandaliser, d’ailleurs, qu’il ait échappé à Horace une de ces fautes si bien excusées dans ces vers dont nous invoquerons pour lui le bénéfice ?
Non ego paucisOffendar maculis, quas aut incuria fudit,Aut humana parum cavit natura….
Page 12. — 1. Chremes, dans la pièce de Térence, intitulée l’Héautontimoruménos.
— 2. Au lieu de la leçon ordinaire :
Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri :Telephus et Peleus, etc.
on lit quelquefois :
Et tragicus plerumque dolet sermone pedestriTelephus aut Peleus, etc.
en supprimant les deux points après le mot pedestri, et en remplaçant la copulative et par la disjonctive aut. — Cette leçon nous avait souri d’abord ; mais un examen plus sérieux nous fait revenir à la première, en maintenant néanmoins le changement de et en aut. Le passage ainsi modifié nous paraît avoir le triple avantage de la symétrie, d’une clarté plus grande, et d’une relation toute naturelle avec les vers qui viennent plus bas :
Tua me infortunia lædent,Telephe, vel Peleu, etc.
Page 14. — 1. Si vis me flere, dolendum est, primum ipsi tibi. On connaît la traduction de Boileau :
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
{p. 65}Outre qu’elle n’est pas élégante, nous ne la croyons pas exacte non plus. Dolere ne signifie pleurer que par métonymie, et en prenant la cause pour l’effet ; réellement il signifie : avoir de la douleur. Ayez une douleur véritable, dit Horace. Pleurez ne serait pas juste ; car enfin il y a de fausses larmes, et celles-là doivent nous trouver insensibles ; il y a les larmes comiques, et celles-là nous font rire.
Page 16. — 1. Honoratum si forte reponis Achillem…. Par honoratum les uns entendent célèbre, fameux ou illustre ; mais nous ne croyons pas que l’on trouve dans toute la latinité du siècle d’Auguste un seul exemple du mot honoratum pris dans ce sens-là. Or, il ne signifie pas ici comblé d’honneurs, comme dans le vers 107 de l’épître Ire du livre Ier :
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum ;
car cette idée serait parfaitement ridicule, puisque là il s’agit des dignités, des honneurs accordés par le peuple. Nous croyons donc que, par ce mot honoratum, qui rappelle exactement le τετιμημένον d’Homère, le poëte latin fait à l’Iliade une allusion d’autant plus heureuse, peut être, qu’elle rappelle, à l’aide d’un seul mot formant hellénisme, le sujet réel et connu de ce poëme fameux.
— 2. Difficile est proprie communia dicere…. Pour bien comprendre le sens longtemps controversé de ces paroles, il faut les rapprocher de ce qui précède et de ce qui suit. Voici la paraphrase pleine de justesse que Du Marsais a faite de ce passage : « Si vous osez mettre sur la scène un sujet nouveau, un caractère qui n’ait pas encore été traité, si quid inexpertum, etc., et que, pour peindre ce caractère, vous inventiez un personnage jusqu’alors inconnu au théâtre, personam novam : que ce personnage conserve toujours son caractère ; qu’il ne se démente point, et que, jusqu’à la fin de la pièce, il soit tel qu’il aura paru au commencement. Mais prenez-y garde, mesurez vos forces : il est bien difficile d’imaginer et de soutenir ce personnage, de le créer, pour ainsi dire, tel qu’il doit être, proprie. Pour peindre quelqu’un de ces caractères dont on n’a encore qu’une idée générale, communia, et qui n’existent qu’à l’état d’abstraction, on n’a aucun modèle devant soi, point d’auteur qui ait traité le même sujet : on n’a pour guide que la nature. »
Exemple :
Molière, en prenant l’avare pour sujet d’une de ses comédies, nous a peint un caractère général, communia ; et, par la conduite de sa pièce, par tout ce qu’il fait dire et faire à son Harpagon, personnage nouveau, il a traité ce sujet proprie : il a appliqué à ce personnage nouveau le caractère général d’avare : Harpagon est l’avare personnifié. Concluons avec Du Marsais que, dicere communia proprie, c’est adapter si bien un caractère général à un personnage particulier, que toutes les actions, toutes les paroles qu’on prête à ce personnage, répondent exactement à l’idée abstraite et générale qu’on a du caractère.
Page 18. — 1. C’est le début de l’Odyssée dans Homère. — Horace dit seulement vidit : nous avons reproduit toute la pensée d’Homère, en ajoutant l’idée du verbe ἔγνω :
Πολλῷν δ’ἀνθρώπων ἴὸευ ἄστεα καὶ νόον ἔγνω.
Page 20. — 1. Aulœa. On appelait ainsi la toile qui servait à masquer la scène, avant la représentation et dans les entr’actes. Il ne faut pas oublier que chez les anciens la toile, au lieu descendre du plafond, comme chez nous, à la fin d’une pièce, s’élevait au contraire de bas en haut. La machine qui la faisait descendre au commencement et remonter à la fin des pièces, s’appelait exostra.
— 2. Reddere qui voces jam scit puer, etc. Ce passage a été imité par notre vieux poëte Régnier, voyez la satire V ; par Boileau, voyez l’Art poétique, liv. iii, vers 373 et suiv. ; et par Delille, poëme de l’Imagination, chant vi, vers 24 et suiv. Tout le monde connaît, dans le Panégyrique de saint Bernard, par Bossuet, ce magnifique portrait de la jeunesse : « Vous dirai-je ce que c’est qu’un jeune homme de vingt-deux ans ?… »
Horace lui-même a imité Aristote dans cette peinture si rapide, et pourtant si philosophique, des quatre âges de la vie.
Page 22. — 1. Dilator, spe lentus, iners, pavidusque futuri. Nous n’hésitons pas à lire ainsi, au lien de longus et avidusque futuri. Spe lentus est le δύσελπις d’Aristote. En effet, le vieillard est bien plus enclin au désespoir qu’aux longues espérances ; et puis, entre ces deux mots iners et avidus, il semble qu’il y aurait opposition ; enfin, le passage d’Aristote, que le poëte avait certainement en vue, repousse complétement l’idée de avidus : δειοὶ καὶ πάντα προφοϐητικοί, dit Aristote, meticulosi et de omnibus futuris paventes.
Page 24. — 1. Intus digna geri. La scène représentait toujours une place publique, ou un endroit frequenté ; par conséquent, ce qui se faisait intus, c’est-à-dire dans l’intérieur d’une maison, ne pouvait se voir sur le théâtre. En pareil cas, nous disons qu’un fait se passe dans la coulisse.
— 2. Facundia prœsens. L’expression serait assez vague, si les détails qui précèdent ne la rendaient parfaitement claire. Facundia prœsens signifie le récit épisodique ou final, dans lequel une péripétie quelconque, ou la catastrophe de la tragédie était, ou devait être racontée par un personnage qui en avait été le témoin, prœsens. La tragédie antique finit presque toujours ainsi ; voyez OEdipe, Hécube, etc.
— 3. Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi. Ce vers ne s’applique pas à Médée immolant ses enfants, mais seulement à la métamorphose de Procné et de Cadmus. « Un prodige opéré par le ciel même ne révoltera point, dit Voltaire ; mais un prodige opéré par un sorcier, malgré le ciel, ne plaira jamais qu’à la populace. »
Page 26. — 1. Sortilegis non discrepuit sententia Delphis. Ce {p. 67}passage, assez obscur pour qui voudrait ne l’expliquer que mot à mot, indique très-clairement, ce nous semble, cette tendance du Chœur à parler un langage mystérieux et quelquefois mystique. On peut même supposer qu’il y a une idée satirique dans ce vers : Horace ne se piquait pas d’être bien fervent en fait de croyances religieuses.
Page 34. — 1. Hic et in Acci nobilibus trimetris. Hic désigne le vers iambique, tel qu’il doit être. Horace veut dire, et il dit en effet, que rarement Accius et Ennius observent les règles qu’il vient de rappeler brièvement. Accius, ou Attius, est un poëte tragique postérieur à Ennius : il est mort trente et un ans après lui, l’an 139 avant J. C.
— 2. At nostri proavi. Quelques éditions portent At vestri proavi, sous prétexte que le fils d’un affranchi n’eût jamais osé dire nos ancétres. Nous sommes convaincu que personne, à Rome, n’aurait fait une pareille observation à l’ami de Mécène, au poëte qui était en si grande faveur auprès d’Auguste. Nostri proavi signifie donc, tout simplement, les gens d’autrefois, les anciens Romains, nos devanciers.
— 3. Ne dicam stulte… La postérité a cassé le jugement trop sévère porté par Horace sur un poëte comique, auquel nous devons l’idée de plusieurs comédies excellentes de Molière. Plaute a certainement un bon nombre de plaisanteries grossières et inconvenantes ; mais on remarquera qu’il les prête toujours à des esclaves. Comment les beaux esprits du temps d’Horace, et Horace lui-même, pouvaient-ils donc se montrer si sévères pour les saillies de Plaute, quand on les voit prendre tant de plaisir aux sottises grossières et fort peu spirituelles, ne dicam stulte (ce serait bien le cas de le dire), que s’adressent l’un à l’autre Sarmentus et Cicirrus ? Pourtant, cet assaut d’injures de mauvais goût entre un bouffon et un parasite, eut le singulier privilége de réjouir et de charmer, pendant tout un repas, Héliodore le rhéteur, Mécène, Plotius, Varius, Virgile et Horace enfin, qui, après nous avoir raconté cette querelle grotesque, ajoute, et il faut l’en croire :
Prorsus jucunde scenam produximus….
Voyez la satire V du liv. ier, où se trouve la description du voyage à Brindes.
Page 36. — 1. Successit Vetus his Comœdia. Les grammairiens d’Alexandrie ont reconnu, comme on le sait, trois sortes de comédies : l’ancienne, la moyenne et la nouvelle. La première avait des chœurs chantants, comme la tragédie, c’est la comédie d’Aristophane :
Eupolis, atque Cratinus, Aristophanesque poetæ.
Les deux autres n’en avaient pas ; mais ce qui les distingue surtout de la première, c’est la modération satirique à laquelle la loi les contraignit. Voyez Horace, Art poétique, vers 283 et 284, et épître I, livre II, vers 152 et suivants :
{p. 68}Quin etiam lexPænaque lata, malo quæ nollet carmine quemquamDescribi. Vertere modum, formidine fustisAd bene dicendum delectandumque redacti.
— 2. Vel qui Prœtextas, vel qui docuere Togatas. Prœtextas, la tragédie, parce que les acteurs portaient la robe prétexte, qui n’appartenait qu’aux nobles ; Togatas, la comédie, parce que les acteurs portaient la toge, vêtement ordinaire des gens du peuple.
— 3. Pompilius sanguis. Horace appelle les jeunes Pisons sang de Pompilius : Acron et Porphyrion disent que Numa Pompilius eut un fils nommé Calphus, ou Calpur, de qui les Calphurnii ou Calpurnii Pisones prétendaient tirer leur origine.
Page 38. — 1. Tribus Anticyris. Il y avait, en effet, trois endroits de ce nom : la ville d’Anticyre, en Phthiotide, était située au nord de l’embouchure du Sperchius, dans le golfe Maliaque, où se trouvait une île, également nommée Anticyre ; une troisième Anticyre se trouvait en Phocide, dans le pays des Locriens Ozoles, au sud-ouest de Delphes, près de la côte du golfe de Corinthe : et, par une coïncidence singulière, mais suffisamment constatée, le territoire de toutes les trois produisait l’ellébore, dont on se servait particulièrement pour la guérison de la folie. Strabon mentionne ces trois Anticyres. (Voir Essai de Géographie historique ancienne, par F. Ansart ; Grèce septentrionale, § 737, page 238, 3e édition.)
Malgré ce renseignement positif, j’ai préféré dans la traduction l’idée d’une seule Anticyre : elle a l’avantage de présenter un trait comique, dont l’exagération maligne va bien mieux aux habitudes satiriques du poëte.
— 2. Tonsori Licino. Licinus, barbier enrichi, que César avait fait sénateur, et qui fut, à ce que l’on pense, exclu du sénat par Auguste.
Page 42. — 1. Poteras dixisse ? — Triens… C’est le tiers d’une livre ou d’un as. La livre avait douze parties égales, appelées onces ; ses subdivisions étaient : 1° uncia, l’once ; 2° sextans, deux onces, ou le sixième de la livre ; 3° quadrans, trois onces, ou le quart de la livre ; 4° triens, quatre onces, ou le tiers de la livre ; 5° quincunx, cinq onces ; 6° semis (pour semissis), une demi-livre, ou six onces ; 7° septunx, sept onces ; 8° bes, huit onces, ou les deux tiers de la livre ; 9° dodrans, neuf onces, ou les trois quarts ; 10° dextans, dix onces ; 11° deunx, les onze douzièmes de la livre ; 12°, enfin, as, la livre, ou l’as, réunion des douze onces.
— 2. Pransœ Lamiœ. Les Lamies, espèce de Gargantuas ou de Croquemitaines femelles, étaient des monstres fabuleux, ayant une tête et une poitrine de femme, terminée par le corps d’un serpent.
Page 44. — 1. Celsi Rhamnes. Les Chevaliers dédaigneux, hautains. Rhamnes était le nom d’un des trois corps de chevaliers institués par Romulus.
Page 46. — 1. Qui mullum cessat, fit Chœrilus ille…. {p. 69}Chérile-mauvais poëte qu’Alexandre récompensa largement pour des vers médiocres, composés à sa louange. Voyez l’épître Ire du livre II, vers 232 et suiv. :
Gratus Alexandro regi Magno fuit illeChœrilus, incultis qui versibus et male natisRettulit acceptos, regale nomisma, Philippos.
J.-B. Rousseau a fait allusion à ce passage, dans les vers suivants :
C’est ainsi qu’au milieu des palmes les plus belles,Le vainqueur généreux du Granique et d’ArbellesCultivait les talents, honorait le savoir,Et, de Chérile même excusant la manie,Au défaut du génie,Récompensait en lui le désir d’en avoir.(Livre XVIII, ode ii, au prince Eugène.)
Page 48. — 1. Sardo cum melle papaver. On mêlait avec du miel la graine de pavot blanc rôtie : mais le miel de Sardaigne était extrêmement amer. La même plante qui lui donnait cette amertume désagréable, produisait sur les lèvres une contraction nerveuse qui se manifestait par un sourire convulsif. C’est de là qu’est venue l’expression proverbiale de rire sardonique.
— 2. Census equestrem summam nummorum. Pour être admissible dans l’ordre des Chevaliers, au temps d’Horace, il fallait posséder quatre cent mille sesterces (79,500 fr.). Voyer l’épître ier du liv. ier, vers 57 :
Si quadringentis sex, septem millia desunt.Plebs eris….
Page 50. — 1. In Metii descendat judicis aures…. Métius Tarpa, ami d’Horace, excellent juge en poésie, est le même dont il est question au vers 38 de la satire X du livre 1er :
Hæc ego ludo,Quæ nec in æde sonent certantia, judice Tarpa,Nec redeant iterum atque iterum spectanda theatris.
— 2. Nonumque prematur in annum… Ce conseil, dirons-nous avec M. Walckenaër, de garder pendant neuf ans toute composition littéraire, quelle qu’elle soit, n’a pas été compris par les commentateurs. — On l’a considéré comme un précepte général, tandis qu’au contraire ce n’est qu’un conseil donné au jeune Pison, alors âgé de dix-sept ou dix-huit ans, tout au plus. Nous croyons donc qu’Horace a voulu dire simplement qu’on ne devait pas se produire en public, comme auteur, avant vingt-quatre ou vingt-cinq ans, et qu’on devait garder ce qu’on avait composé avant cet âge, comme des fruits précoces dont on attend la maturité. Horace avait d’ailleurs suivi lui-même ce précepte, en ne laissant rien paraître, avant cet âge, des vers grecs qu’il dit avoir composés dans sa première jeunesse, concurremment, sans doute, avec quelques odes latines.
{p. 70}Page 52. — 1. Nunc satis est dixisse. Au lieu de nunc, quelques éditions disent nec. Des deux manières, l’intention satirique est parfaitement sensible. Nunc est dans les meilleurs manuscrits.
Page 54. — 1. Ut, qui conducti plorant in funere. Allusion à cet usage antique, bien connu, d’avoir aux funérailles des pleureurs à gages (conducti). Cet usage a disparu en France, mais il s’y était maintenu jusque dans les dernières années.
Page 56 — 1. Quintilio si quid recitares. Quintilius Varus, poëte distingué, en l’honneur de qui a été composée l’ode XX du livre 1er :
Quis desiderio sit pudor aut modusTam cari capitis ?
ode adressée à Virgile.
— 2. Et male formatos incudi reddere versus. Sidoine Apollinaire, au ve siècle, a lu formatos, et non pas tornatos : « Horatiana incude « formatos asclepiadeos, » dit-il, épit. IX, 13. Ainsi ont lu évidemment, Acron et Porphyrion, les plus anciens commentateurs d’Horace : « Ferramentum male ductum redditur incudi, et bene ibi formatur. » (Acron.) — « Ferramentum male formatum redditur « incudi, ut ibi formetur. » (Porphyrion.)
On le voit donc, le mot formare est l’expression technique et usuelle pour dire forger le fer sur l’enclume. Bien que la leçon formatos ne soit pas donnée par les manuscrits, nous l’avons préférée à tornatos, qui en diffère bien peu matériellement, et qui nous semble un peu barbare. Nous ajouterons que dix-sept éditeurs ou critiques ont adopté cette leçon nouvelle, entre autres, Guyet, Cuningham, Sanadon, Poinsinet de Sivry, Ménage et Daru.
— 3. Vir bonus et prudens, etc. On fera bien de comparer ce portrait d’un ami prudent et éclairé à celui du critique impartial tracé par le poëte dans l’Epître à Florus (la seconde du livre II), vers 109 à 125. Nous rapprocherons surtout les traits suivants :
Audebit, quæcumque parum splendoris habebunt,Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,Verba movere loco, quamvis invita recedant…Luxuriantia compescet ; nimis aspera sanoLævabit cultu ; virtute carentia tollet….
On sait que Boileau a réuni en un seul tableau ces deux portraits si habilement indiqués par Horace. C’est peut-être le cas d’exposer ici l’opinion, encore peu débattue, et partant assez neuve, que les deux premières Epîtres du second livre forment, avec l’Épître aux Pisons, un Art poétique assez complet dans l’ensemble, quoique composé de trois éléments bien distincts. L’analyse succincte de ces deux épîtres adressées, la première, à Auguste, et la seconde, à Jules Florus, prouvera ce que nous avançons. Dans l’Epître à Auguste, laquelle peut, relativement à la question qui nous occupe, se diviser en trois parties, le poëte établit d’abord une comparaison entre les auteurs anciens et les modernes ; — ensuite, il montre que la {p. 71}nouveauté est mère des beaux-arts, des belles-lettres, et surtout de la poésie ; — enfin, dans la troisième partie, il traite de la poésie dramatique et de la difficulté de réussir au théâtre. Il y a une quatrième partie, mais qui s’adresse particulièrement à Auguste : — il est de l’intérêt d’un prince d’exciter l’émulation des poëtes, car la poésie contribue, aussi sûrement que le bronze lui-même, à éterniser la gloire des grands hommes :
Nec magis expressi vultus per ahenea signa,Quam per vatis opus, mores animique virorumClarorum apparent.(Vers 248 et suivants.)
Dans l’Épître à Florus, beaucoup plus familière, et entremêlée d’historiettes racontées comme raconte Horace, le poëte nous déclare, en vers charmants, qu’il ne veut plus faire de vers, et qu’il est fatigué du métier de poëte, à cause de la vanité, des intrigues mesquines et de l’incapacité de ses confrères. A cette boutade satirique et mordante, qui rappelle assez les derniers vers de l’Art poétique, Horace ajoute, en passant, et sans avoir l’air d’y toucher, comme nous dirions, quelques préceptes d’une haute raison. Cette question qu’il a traitée plus d’une fois, la difficulte de bien écrire, lui a inspiré les vers que nous citons plus haut, et qui ont, avec le passage de l’Art poétique, objet de cette note, une analogie frappante, incontestable.
On sait, d’ailleurs, que l’Épître aux Pisons est postérieure aux deux précédentes. Ainsi, il est naturel, il est permis, au moins, de penser que le poëte, en composant cette fameuse épître, la plus longue de celles qu’il a laissées, songeait à réunir et à compléter ce qu’il avait déjà dit antérieurement sur l’Art d’écrire. On remarquera facilement que, dans aucune de ces trois pièces, Horace n’a voulu astreindre à un plan systématique sa muse vagabonde, son style familier, son allure pleine de liberté et de caprice. Mais, dans toutes les trois aussi, nous retrouvons, avec M. Walckenaër, la même idée élevée du vrai poëte, la même sentiment de la haute utilité et de la noble mission de la poésie : tout cela, exposé sans prétention par un homme de goût qui cause avec entraînement, avec verve, mais qui n’a garde de se donner l’attitude imposante d’un professeur qui enseigne, ou d’un législateur qui régente.
Concluons. — Si l’Épître aux Pisons, considérée des son apparition comme une œuvre à part, et citée deux fois déjà par Quintilien sous le nom d’Art poétique, est un morceau plus sérieux, plus spécial, plus didactique, en un mot, que l’Epître à Auguste, et, surtout, que l’Epître à Florus ; si, contre la manière habituelle d’Horace, elle renferme plus de principes de l’art considéré en lui-même que de maximes de moralité ; si, enfin, parmi tant d’allusions malignes dirigées contre les anciens, et tant de traits satiriques à l’adresse des poëtes ridicules de son temps, il n’a pas dit un seul mot sur sa personne, sur ses antécédents, sur sa jeunesse, comme il le fait avec {p. 72}tant de grâce dans l’Epître à Florus : il n’en demeure pas moins établi que ces trois épîtres sont intimement liées entre elles, d’abord par l’identité du sujet, par la ressemblance souvent frappante des détails ; et, ensuite, qu’elles concourent au même but, qu’elles se commentent, s’éclairent et se complètent l’une par l’autre.
Cette préméditation de la part d’Horace, si fortement préoccupé (dit M. Walckenaër) des mêmes pensées, qu’il éprouvait le vif besoin de les exprimer, cette préméditation nous semble donc suffisamment démontrée. Nous aurions pu exposer cette opinion dans les notes des deux épîtres à Auguste et à Florus ; mais nous avons préféré la traiter ici complétement, à propos de l’Épître aux Pisons, dont les deux précédentes ne sont en réalité que des parties accessoires, bien qu’elles soient, l’une et l’autre, d’une date antérieure.
L’Epître à Florus est de 743, l’Epître à Auguste de 744, enfin, l’Épître aux Pisons, de 745. Ainsi que nous l’avons dit, Horace avait cinquante-quatre ans, quand il écrivait la première ; cinquante-cinq ans, lors de la seconde, et cinquante-six ans à l’époque de la troisième. Peut-être même celle-ci ne fut-elle pas achevée par le poëte : du moins, on croit généralement qu’elle ne fut publiée qu’après sa mort.
Page 58. — 1. Morbus regius. Ce n’est pas l’épilepsie, mais la jaunisse. On l’appelait morbus regius, d’après Celse, parce qu’on ordonnait au malade de ne s’occuper que de choses agréables, de se livrer à toute sorte de distractions, de voyager ou de voir beaucoup de monde.
— 2. Hic dum, sublimis, versus ructatur. J’aime mieux lire sublimis se rapportant au poëte, que sublimes se rapportant à versus ; l’image est bien plus vive, et rappelle plus naturellement l’idée qui suit : si veluti merulis intentus decidit auceps.
— 3. Qui scis an prudens huc se projecerit ? Il est évident qu’il y a ici une négation sous-entendue : c’est la négation incluse dans le verbe nolit du vers suivant (atque servari nolit), qui réagit sur la première partie de la proposition.
Page 60. — 1. An triste bidental moverit incestus. Bindental est la place même où la foudre était tombée : on y élevait un petit autel expiatoire, sur lequel on immolait des brebis (bidentes), d’où le mot bidental.