Les auteurs grecs expliqués… Aristote, Poétique
Avertissement de la deuxième édition. §
La Poétique d’Aristote ayant été récemment mise au programme des études pour la classe de rhétorique, il a paru opportun de réimprimer l’édition, avec traduction française et commentaire, que j’avais publiée, en 1849, dans l’Essai sur l’histoire de la Critique chez les Grecs, ouvrage depuis longtemps épuisé1. J’aurais voulu pouvoir remanier à loisir ce travail déjà ancien, le tenir au {p. II}courant des derniers travaux de la philologie française et de la philologie étrangère sur l’opuscule si mutilé, si difficile, et pourtant si précieux, d’Aristote1. Le temps me manquait pour suffire à cette tâche. Dans la présente édition le texte grec n’est amélioré que sur quelques points mais j’ai revu avec soin la traduction, avec le concours d’un jeune professeur de philosophie, dont l’attention scrupuleuse m’a suggéré plus d’une correction utile. Quant au commentaire, je l’ai approprié à sa nouvelle destination, en le dégageant de quelques renvois, désormais superflus, à l’Essai sur l’histoire de la critique, et en le complétant par quelques additions que le progrès des études sur Aristote avait rendues nécessaires. Comme on le verra plus bas, page 58, c’est à titre d’éclaircissement que j’ai cru devoir ajouter ici, avant les {p. III}extraits des Problèmes, le passage de la Politique, qui complète et commente si heureusement la célèbre définition de la tragédie, par laquelle débute le chapitre vi de la Poétique.
La Poétique d’Aristote, dans son état actuel, est pleine d’obscurités, qui ne seront peut-être jamais éclaircies, à moins qu’on ne retrouve de cet ouvrage quelque copie moins imparfaite que tous les manuscrits retrouvés jusqu’à ce jour. Mais la connaissance générale des doctrines et de la langue philosophique d’Aristote s’est fort perfectionnée, depuis l’édition de Bekker, par des travaux comme les grands Index de Bonitz et de Heitz, par l’édition qui fait partie de la Bibliothèque grecque-latine de Firmin Didot, par beaucoup d’éditions et traductions spéciales des ouvrages du Stagirite. J’ai donc lieu d’espérer que les professeurs studieux ne manqueront pas de secours pour interpréter mieux qu’on ne le pouvait autrefois ce précieux opuscule, qui, ayant exercé une si grande influence sur la littérature dramatique de l’Occident, et en particulier sur la nôtre, méritait bien d’être replacé, dans le cadre de notre enseignement classique, auprès des deux poëmes didactiques d’Horace et de Boileau. {p. IV}Il y a dans la Poétique des pages qui ne peuvent être utilement discutées qu’entre les savants de profession mais, ces pages mises à part, combien il en reste d’excellentes par la netteté du style et par la force lumineuse, par l’autorité durable de la doctrine ! C’est à celles-là que pourront, que devront s’attacher les maîtres jaloux de faire apprécier à nos rhétoriciens l’un des plus grands penseurs, l’un des meilleurs écrivains de l’antiquité.
Dans la première édition du Commentaire, les renvois au texte de la Poétique étaient indiqués en français. Bien que le Commentaire soit aujourd’hui rattaché au texte grec, et non à la traduction, nous avons maintenu cette disposition. Mais, pour éviter les inconvénients qui pourraient en résulter, nous avons indiqué par des astérisques tous les passages du texte grec qui sont visés dans le commentaire.
Avant-propos de la première édition. §
La Poétique d’Aristote, m’ayant fourni l’occasion des recherches que j’ai résumées dans l’Essai sur l’histoire de la Critique, formait le complément naturel de ce travail, et je ne pouvais songer à l’en séparer.
Elle est reproduite ici d’après le texte qui fait partie de la grande édition des Œuvres d’Aristote, publiée à Berlin, en 1831, par M. Imm. Bekker, et qui a été réimprimé deux fois à part avec la Rhétorique. Je n’ai fait au texte même qu’un petit nombre de changements, dont le Commentaire {p. VI}rendra compte les changements plus nombreux que je me suis permis dans la ponctuation, se justifieront, je pense, sans commentaire aux yeux du lecteur.
Dans la traduction française, j’ai voulu surtout donner un calque fidèle de l’original et rendre sensibles les défauts comme les mérites du style d’Aristote. Ce caractère de scrupuleuse exactitude manquait souvent aux anciennes traductions de la Poétique : je l’ai recherché, même au détriment d’une élégance qui eût pu rendre plus agréable la lecture de ce petit ouvrage. Toutes les fois que l’excessive concision du texte rendait quelques additions nécessaires, elles sont distinguées avec soin du reste de la phrase, de façon que le lecteur en puisse juger au premier coup d’œil.
Le Commentaire a pour objet : 1° de justifier sur quelques points importants la leçon adoptée dans le texte 2° d’expliquer certaines locutions difficiles, et de signaler des ressemblances notables entre le style de la Poétique et celui des autres ouvrages d’Aristote 3° de faire quelques rapprochements entre Aristote et les plus célèbres auteurs, soit anciens, soit modernes, sur des questions d’histoire ou de critique littéraire.
{p. VII}Le lecteur qui désirerait de plus amples renseignements sur les difficultés de pure philologie, pourra recourir aux éditions savantes de M. Hermann, de M. Græfenhan, de M. Ritter, et aux travaux indiqués dans le chap. iii, § 4, de l’Essai sur l’histoire de la Critique.
Quant aux extraits des Problèmes, on verra, dans le même livre, comment j’ai été conduit à rapprocher de la Poétique ces fragments précieux, mais obscurs, de l’érudition d’Aristote. J’aurais peut-être renoncé à les traduire et à les commenter, si je n’avais été secouru dans cette tâche délicate par mon collègue et ami M. Vincent, dont on connaît les importants travaux sur la musique grecque. Je suis heureux de lui en exprimer ici toute ma gratitude.
Avertissement de la cinquième édition. §
Dans cette réimpression de la Poétique, il n’a été fait au texte qu’un très-petit nombre de corrections, surtout typographiques. Pour une édition destinée aux maîtres et aux élèves de nos établissements secondaires, il eût été inopportun, même si nous en avions eu le loisir, de nous engager dans des discussions approfondies de critique verbale. L’état de mutilation où nous est parvenu cet opuscule d’Aristote a provoqué, particulièrement depuis quelques années, entre de savants éditeurs, tels que MM. Spengel, Susemihl et Vahlen, mainte controverse où nous ne pourrions prendre parti sans sortir des bornes d’un livre classique. Toutefois, et sur une doctrine capitale de l’auteur, la purgation des passions par le drame, nous avons voulu apporter, à l’appui de l’opinion exposée dans notre Essai sur l’histoire de la critique, un argument considérable, le texte de Proclus, signalé pour la première fois par M. Bernays dans sa dissertation sur ce sujet (voy. plus bas, page 88). On le trouvera reproduit à la suite des Extraits des Problèmes, et nous espérons que le lecteur nous saura gré de cette utile addition.
E. E.
Argument analytique de la Poétique d’Artistote. §
I. § 1. La poésie consiste dans l’imitation trois différences entre les imitations.
§ 2. Différentes sortes de poésie selon les moyens d’imitation.
II. Différentes sortes de poésie selon les objets imités.
III. Différentes sortes de poésie selon la manière d’imiter.
IV. § 1. Origine de la poésie.
§ 2. Divisions primitives de la poésie : genre héroïque, genre ïambique (ou satirique) origine de la tragédie et de la comédie.
§ 3. Premiers progrès de la tragédie.
V. Définition de la comédie ses premiers progrès. Comparaison de la tragédie et de l’épopée.
VI. § 1. Définition de la tragédie. Détermination des parties dont elle se compose.
§ 2. Importance relative des parties de la tragédie.
VII. De l’étendue de l’action.
VIII. De l’unité de l’action.
IX. § 1. Digression : comparaison de l’histoire et de la poésie. De l’élément historique dans le drame.
§ 2. Abus des épisodes dans le drame. De la surprise considérée comme moyen dramatique.
{p. XII}[n. p]X. De l’action simple et de l’action implexe.
XI. Éléments de l’action implexe : péripétie, reconnaissance, événement tragique.
XII. Divisions de la tragédie par rapport à l’étendue.
XIII. Des qualités de la fable par rapport aux personnes. Du dénoûment.
XIV. Continuation du même sujet : de l’événement tragique dans la fable. Pourquoi la plupart des sujets tragiques sont fournis par l’histoire.
XV. § 1. Des mœurs dans la tragédie.
§ 2. De ce qu’il convient de mettre sur la scène de l’art d’embellir les caractères.
XVI. Des quatre espèces de reconnaissance.
XVII. Conseils aux poëtes tragiques : se mettre à la place des spectateurs et des personnages de la tragédie. De l’art de développer un sujet.
XVIII. Observations sur le nœud et le dénoûment de la tragédie, sur les tragédies de dimensions épiques, sur le chœur.
XIX. Des pensées et de l’élocution.
XX. Des éléments grammaticaux du langage.
XXI. Des formes du nom et de quelques figures de grammaire.
XXII. Application des précédentes observations au style poétique.
XXIII. Retour à l’épopée et à l’histoire de la durée des événements épiques.
XXIV. Comparaison de l’épopée avec la tragédie nombreux mérites d’Homère.
XXV. Divers problèmes de critique au sujet des défauts de la poésie. Solution de ces problèmes.
XXVI. Retour au sujet du chapitre vingt-quatrième : comparaison de l’épopée avec la tragédie conclusion sur l’épopée et la tragédie.
Commentaire sur la Poétique d’Artistote. §
Chapitre I. §
Remarquez combien ces premières lignes rattachent naturellement la Poétique à la Rhétorique elles ont d’ailleurs beaucoup d’analogie avec les préambules d’autres ouvrages d’Aristote, par exemple avec ceux des Météorologiques et des petits traités qui suivent le Traité de l’âme.
Presque tous les genres de musique qui emploient la flûte.] Tῆς αὐlhτɩᵡῆς ἡ πlɛίστh s’explique très-bien par un passage d’Athénée, XIV, p. 618, où sont énumérées quatorze αὐλήσɛɩ; qui toutes accompagnent une danse mimique.
Trois différences.] Le Tasse part de ces trois différences marquées par Aristote, lorsque, dans son deuxième Discours sur l’Art poétique, il s’efforce de montrer, contre l’opinion de quelques critiques ses contemporains, que le roman en vers appartient au même genre de poésie que l’épopée, et que par conséquent il doit se conformer aux mêmes lois, entre autres à la loi de l’unité.
Avec la voix.] Δɩὰ τῆς φωνῆς, leçon des manuscrits, que j’ai cru devoir conserver elle offre un sens raisonnable dès qu’on traduit σχήματα par les gestes. Cf. Morale Nicom. III, 13 : Οἱ χαίροντɛς τοῐς δɩα τῆς ὄψɛως , οἴον χρώμασɩ χαì σχήματɩ ϰαì γραφῆ; Rhétorique, II, 8 : σχήμασɩ ϰαì φωναῖς ϰαì ὲσθῆτɩ. — En lisant δɩ’ ὰμφοῖν au lieu de δɩα τῆς φωνῆς,, comme ont fait la plupart des éditeurs, et en traduisant σχήματα par le {p. 73}trait, on obtient une symétrie plus satisfaisante entre les deux termes de la comparaison marquée par les mots ᾥσπβρ — οὒτω. Peut-être aussi les mots ἔτɛροɩ δὲ δɩὲ τῆς φωνῆς sont-ils une annotation marginale qui aura passé dans le texte.
L’épopée n’emploie que la prose ou les vers.] Sur λόγοις ψɩλοῖς, voy. plus
bas, p. 71. « Aristote, dont les jugements sont des lois, dit
positivement que l’épopée peut être écrite en prose ou en
vers : et ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’il donne au
vers homérique ou vers simple un nom qui le rapproche de la prose,
ψɩλομɛτρία, comme il dit de la prose poétique, ψɩλοί λόγοɩ. »
(Chateaubriand, Préface des Martyrs.)
Le rapprochement n’est
qu’ingénieux le grand écrivain n’a pas vu que ψɩλός, dans ψɩλομɛτρία,
au chap. II, indique seulement l’absence de tout accompagnement
musical. Chateaubriand cite ensuite un témoignage de Denys d’Halicarnasse,
qui ne prouve rien pour sa thèse il eût pu tirer de la Poétique
(chap. IX, etc.) d’autres observations plus décisives contre l’opinion
de ceux qui veulent que la poésie ne parle qu’en vers. — Ce qui
est remarquable ici, c’est qu’Aristote semble ne pas savoir que les poëmes
d’Homère aient jamais été chantés. Homère, cependant, ne connaît pas
d’autres poëtes que les aèdes ou chanteurs les rhapsodes étaient aussi des chanteurs or il y avait
encore des rhapsodes, et du temps d’Aristote, et longtemps après lui.
Xénarque.] Il y a eu un poëte de la moyenne comédie qui portait ce nom et
qu’il ne faut sans doute pas confondre avec Xénarque, fils de Sophron
ce dernier semble indiqué par Suidas, à l’article Σωτάδη:, comme ayant écrit
des ’Іωνɩϰοì λόγοɩ. Si ce rapprochement est juste, dès le fils de Sophron la
comédie syracusaine aurait admis l’usage du dialecte attique. Ce qui est
certain, c’est que Sopatros, poëte comique syracusain, que l’on place après
Rhinton, nous est connu par un assez long fragment en dialecte attique.
— Le Lexique de Photius, au mot ’Рηγίνους dit, en propres termes,
que Xénarque, « fils de Sophron le mimographe, »
avait joué les
Rhéginiens pour leur lâcheté.
Les dialogues Socratiques.] Athénée, XI, p. 505, cite un {p. 74}passage du traité d’Aristote Sur les Poëtes, où l’auteur faisait à peu près la même observation.
Homère et Empédocle.] Plutarque, De la Manière d’entendre les poëtes,
chap. II : « Nous ne connaissons pas une fable sans poésie et
sans fiction. Les vers d’Empédocle et de Parménide, les Thériaques de
Nicandre et les Sentences de Théognis sont des discours qui empruntent
seulement à la poésie le ton sublime et le mètre, et, en quelque sorte, son
char pour ne pas marcher à pied. »
En composant une imitation.] Je suis la leçon des manuscrits. IIροἵοɩτο est une conjecture ingénieuse, mais inutile, de Hermann. Pour Aristote, l’essence de la poésie n’est pas seulement dans l’imitation, mais dans l’imitation du général on peut donc composer une imitation en vers qui ne soit pas de la poésie.
On ne l’appellera pas pour cela un poëte.] Οὒϰ ἤδη manque dans plusieurs
manuscrits. La leçon οὐχ ἤττον est encore moins autorisée : Batteux,
qui l’admet, traduit : « Mériterait-il moins le nom de
poëte ? »
Cela me semble bien contraire à la pensée d’Aristote.
Si, selon notre philosophe, on n’est pas poëte parce qu’on emploie le vers
héroïque ou le distique élégiaque, comment peut-il dire qu’on sera poëte
pour avoir amalgamé plusieurs espèces de mètres ?
Chapitre II. §
Il faut bien les représenter.] Les deux mots ἀνάγϰη μɩμɛϊσθαɩ, que je suppose dans ma traduction, manquent dans les manuscrits. Aristote offre souvent de pareilles ellipses.
Polygnote, Pauson, Denys.] Ce sont trois artistes du siècle de Périclès sur lesquels on peut consulter Sillig, Catalogus artificum.
Soit en vers sans musique.] Le grec dit : ψɩλομɛτρίαν, mot qui montre bien que l’adjectif ψɩλός marque, d’une manière très-générale, la privation d’une qualité accessoire. Joint à λόγος, il est naturel qu’il désigne la prose, comme dans la Rhétorique, III, 2, ou λόγος tout seul est aussi {p. 75}opposé, dans le sens de prose, à μέτρον. Cf. les nombreux exemples recueillis par Vincent, p. 112 et suiv. de sa Notice sur diverses manuscrits grecs relatifs à la musique (Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi, t. XVI, 1847)
Homère peint les hommes meilleurs.] Ici, comme plus haut, l’adjectif βελτίων manque d’équivalent exact en français. On sent bien qu’il ne s’agit pas de la vertu morale, de l’honnêteté. Les exemples cités plus haut par Aristote expliquent assez bien sa pensée.
Cléophon.] Voyez sur ce poëte : Wagner, recueil des Fragments des poëtes Tragiques, dans la Bibliothèque Firmin Didot, p. 99.
Hégémon de Thasos.] Voyez sur ce poëte et sur le genre de poésie dont Aristote veut qu’il ait été l’inventeur, la dissertation de Weland, De præcipuis Parodiarum homericarum scriptoribus, chap. V l’auteur montre qu’avant Hégémon, Hipponax, Xénophane et l’auteur de la Batrachomyomachie, sans parler des poëtes comiques, avaient écrit des parodies. Peut-être Aristote veut-il dire que le poëte de Thasos fit, le premier, représenter des parodies homériques en forme de drame.
La Déliade.] Ce poëme de Nicocharès n’est connu par aucun autre témoignage peut-être même faut-il lire dans le texte Δɛɩλɩάδα au lieu de Δηλɩάδα ce serait alors quelque poëme plaisant sur la Lâcheté. Cf. Meineke, Historia critica comicorum græcorum, p. 253-256.
Le nome.] Sur ce genre de poésie, voyez p. 66, parmi les extraits des Problèmes, et notre Commentaire, p. 139.
Il en est de même, etc.] Aristote semble vouloir dire que Thimothée dans ses Perses et Philoxène dans ses Cyclopes ont représenté des personnages moins beaux que nature on peut supposer aussi que le premier faisait ses personnages plus beaux que nature, et le second moins beaux. Ce qui est certain, c’est qu’il existait un drame de l’Ancienne Comédie intitulé ІІέρσαɩ, et que l’on attribuait vulgairement à Phérécrate (voyez Meineke, livre cité, p. 70) d’où l’on peut conclure que ce sujet avait été traité dans le genre {p. 76}comique. On a des fragments du Cyclope de Philoxène, du Cyclope et des Perses de Timothée. Au reste, le mot ІІέρσας, dans le texte grec, est douteux. Tyrwhitt a tiré des variantes des manuscrits la conjecture ὤσπɛρ ‘Αργᾶς, adoptée par Hermann. (Argas, poëte obscur, dont le souvenir est conservé dans Athénée et dans une ancienne vie de Démosthène.)
Chapitre III. §
Le poëte peut, etc.] Ces divisions de la poésie, qui remontent jusqu’à Platon, se retrouvent, après Aristote, dans les extraits de la Chrestomathie de Proclus (Photius, Cod. 239) et dans un grammairien publié par Cramer, Anecdota Oxon., t. IV, p. 312, 313. Comparez notre Histoire de la Critique chez les Grecs, p. 93.
Les Mégariens, etc.] On sait qu’il y avait aussi une ville de Mégare en Sicile. Voyez M. Brunet de Presle, Recherches sur les établissements des Grecs en Sicile (Paris, 1845), p. 79, 80.
Chionidès.] Les manuscrits portent Xονύδου, ou Xωνύδου, ou Xωνίδου. Je n’ai pu me résigner à admettre cette altération barbare d’un nom qui est bien connu par d’autres témoignages. Voyez Meineke, Hist. crit. com. græc., p. 27 et suiv.
Commenter en détail les assertions contenues dans ce chapitre ne serait rien moins qu’écrire une histoire des origines du drame en Grèce. Sur ce point, nous ne pouvons que renvoyer aux traités spéciaux : Schneider, De Originibus tragœdiæ græcæ (Breslau, 1817) Grysar, De Doriensium Comœdia (Cologne, 1828) Meineke, livre cité Bœttiger, De quatuor Ætatibus rei scenicæ (p. 326 de ses Opuscules latins) Magnin, Origines du théâtre moderne Bode, Histoire de la poésie grecque, tome III (Leipzig, 1839-1840) Patin, Études sur les Tragiques grecs, tome I.
Par πράττɛɩν] Il est probable qu’ici le texte est mutilé. Il y manque sans doute ce qui devait concerner la {p. 77}tragédie. On peut, jusqu’à un certain point, combler cette lacune par un article du Grand Étymologique, où le mot tragédie est expliqué, soit par le mot τράγος, bouc, un bouc étant le prix que recevaient les vainqueurs dans les anciens concours Dionysiaques, soit par le mot τρύξ, lie de vin, ces fêtes étant d’ordinaire célébrées au temps et à l’occasion des vendanges. Comparez avec ce passage une addition à la Vie d’Euripide, publiée par Welcker dans le Rheinisches Museum, I, p. 299 Athénée, II, p. 40 Eustathe, sur l’Odyssée, XIV, 563 le scholiaste de Denys le Thrace, p. 747 des Anecdota græca de Bekker. Schœll (Hist. de la Litt. gr., t. II, p. 4), et, d’après lui, plusieurs autres ont cru voir dans l’article du Grand Étymologique un témoignage d’Aristote : rien n’est moins démontré.
Chapitre IV. §
L’homme imite par instinct.] Aristote a consigné la même observation dans les Problèmes, XXX, 6. Cf Problèmes, XVIII, 3 XIX, 5, page 65 de cette édition, et la note, p. 138 Rhétorique, I, 11 III, 10, Métaph., I, 1 Anal., post., I, 1.
Des objets que, etc.] Observations analogues dans Aristote, Des Parties des Animaux, I, 5, où cette pensée se rattache aux plus belles considérations sur l’étude de la nature. Cf. Plutarque, De la Manière d’entendre les poëtes, ch. III, et Questions symposiaques, V, 1.
Qu’à un faible degré.] Έπì βραχὺ ϰοɩνωνοῦσɩν. Expression tout aristotélique. Cf. Politique, VIII, 5 De l’Ame, II, 4 Morale Nicom., III, 13 VI, 2 Problèmes, XXX, 10 Hist. des Animaux, VIII, 1.
Qu’on n’ait point vu.] Comparez la Rhétorique, II, 23 fin.
Quant au mètre.] Même observation dans la Rhétorique, III, 8. Comparez, sur la différence du mètre et du rhythme, Vincent, Notice, etc., p. 197-216.
Le Margitès.] Des auteurs anciens ont déjà douté si ce poëme était réellement d’Homère. Suidas, au mot ІІίγρης, Atteste qu’on l’attribuait, ainsi que la Batrachomyomachie, à {p. 78}Pigrès d’Halicarnasse. Comparez Harpocration au mot Mαρ-γίτης, et le scholiaste d’Aristophane, sur les Oiseaux, v. 914. Cependant Aristote le cite encore, sans exprimer le moindre doute, dans la Morale Nicom., VI, 7.
Genre… ïambique.] Voyez sur ce sujet les auteurs cités à propos du chap. III, et, en outre, Liebel, Archilochi iambographorum principis reliquiæ (Vienne, 1818), et les commentateurs d’Horace, sur l’Épître Ire du livre II, v. 145 et suiv.
Et, dans ce genre, il est le seul.] Je n’ose pas croire ici que ma traduction donne le seul sens convenable. Oὐχ δτς répond ordinairement à ἀλλὰ ϰαί, non à ἀλλ’ ὅτι ϰαί. Voir la Grammaire grecque de Kühner, § 730 (2e éd. § 525), et les Idiotismes de Viger, p. 788, 4e éd. De Hermann.
Maintenant la tragédie, etc.] Ce passage a beaucoup tourmenté les
interprètes. M. Forchhammer, dans un Programme de l’Univ. De Kiel,
juillet 1854, propose de revenir pour cette phrase à l’autorité des
mss., et de lire : Τὸ μὲν οὖν ἐπɩσϰοπɛĩν παρέχɛɩ ἢδη ἡ τραγῳδία, τοĩς
ɛìδόσɩ ίϰανῶῶς ἢ οὐ αὐτὸ τɛ ϰαθ’ αὐτὸ ϰρĩναɩ ϰαì προς τὰ θέατρα, ἄλλος
λόγος, ce qu’il traduit par : « Spectandi quidem facultatem jam
præbet tragœdia, utrum iis qui satis sciant nec ne ipsum perse respectuque
theatri judicare, nihil attinet. »
Nous traduisons simplement le texte
des mss. peu modifié, sans affirmer qu’il ait précisément le sens profond
que lui prête De Raumer dans son Mémoire sur la Poétique d’Aristote (Berlin,
1829). Voyez l’Essai sur la Critique,
p. 177. — « Aristote ne juge point à propos d’entrer
dans cette question, que peut-être il traitait dans ce que nous avons perdu.
Au reste, cette réserve à prononcer marque un esprit très-sage, qui ne veut
poser ni les bornes de l’art ni celles du génie. » (La Harpe, Analyse
de la Poétique d’Aristote.)
Eût-il toutefois adopté ce jugement de
Saint-Évremond ? « Il faut convenir que la Poétique d’Aristote est
un excellent ouvrage cependant il n’y a rien d’assez parfait pour
régler toutes les nations et tous les siècles. Descartes et Gassendi ont
découvert des vérités qu’Aristote ne connaissait pas. Corneille a trouvé des
beautés pour le théâtre qui ne lui {p. 79}étaient pas connues. Nos
philosophes ont remarqué des erreurs dans sa Physique. Nos poëtes ont vu des
défauts dans sa Poétique, pour le moins à notre égard, toutes choses étant
aussi changées qu’elles le sont. » (Saint-Évremond, De la Tragédie
ancienne et moderne.)
Les chanteurs de dithyrambes.] Sur l’origine et la valeur primitive de ce mot, on peut consulter un savant mémoire de Welcker, dans les Annales de l’Institut archéologique, 1829, p. 398, 401 et suiv. Le mot έζάρχɛɩν se trouve en ce sens dans un fragment dithyrambique d’Archiloque, n° 39, éd. Liebel (Athénée, XIV, p. 628). — Sur les chants phalliques, voyez, entre autres, Athénée, XIV, p. 622 le schol. d’Aristophane, sur les Acharniens, v. 261 et 263 sq.
Aidant à ses progrès naturels.] Dacier : « chacun ajoutant quelque
chose à leur beauté, à mesure qu’on découvrait ce qui convenait à leur
caractère. »
Batteux donne à peu près le même sens. J’ai cru me
rapprocher davantage de la pensée d’Aristote en serrant son texte de plus
près. Les mots ηὐζήθη et προαγόντων rappellent cette phrase, analogue pour
le sens, du dernier chapitre des Réfutations sophistiques, où Aristote
revendique si noblement l’honneur d’avoir presque fondé la Logique :
μέν γαρ τὰς ἀρχάς ɛύρόντɛς παντελῶς έπì μιϰρόν τɩ προήγαγον • οί δὲ νῦν
ɛύδοϰιμοῦντɛς, παραλαɛόντɛς ϰαρά πολλών οίον έϰ διαδοχής τών ϰατά μέρος
προαγαγόντων, οὕτως ηύζήϰασɩ.
Ce fut Eschyle qui, le premier, etc.] Diogène Laërce, III, 56, rapporte en effet que le chœur figura d’abord seul dans les Dionysiaques, que Thespis y ajouta un acteur puis Eschyle un second (ce qui permit d’appeler protagoniste le premier ou le principal des deux) puis Sophocle un troisième. Cf. Suidas, au mot Σοφοϰλής. On peut voir encore la dissertation de Hermann sur les Euménides (volume II de ses Opuscules), et celle de Sommerbrodt, De Æschyli re scenica (Lignitz, 1848).
Décora la scène de peintures.] Vitruve, De Architectura, VII, Præf. Cf. Letronne, XVIIIe Lettre d’un Antiquaire à un Artiste (Paris, 1835).
Au genre satyrique.] Voyez sur ce sujet le mémoire que {p. 80}j’ai publié, à propos de l’Alceste d’Euripide, dans l’Annuaire de l’Association des études grecques (1873).
A la grandeur et à la noblesse.] Dacier : « Enfin elle ne reçut que
fort tard la grandeur et la gravité qui luy sont convenables, car elle ne se
deffit qu’avec peine de ses petits sujets et de son style burlesque, qu’elle
avoit retenu de ces pièces satyriques, d’où elle sortoit. »
Batteux : « On donna aux fables plus de grandeur, et au style plus
d’élévation. Ce qui toutefois se fit assez tard car l’un et l’autre
se ressentirent assez longtemps des farces satyriques dont la tragédie
tirait une partie de son origine. » M. Tycho Mommsen (Journal
Philologique publié par MM. Bergk et Cæsar, Cassel, 1845, n. 16 du
Supplément)
, s’appuyant sur le sens du mot μέγεθος aux chap. VII et
XVIII de la Poétique, propose de mettre ici un point après μύθων et il
traduit, en conséquence : « Très histriones et scenæ picturam
invennit Sophocles : ad hoc justum ambitum ex parvis fabularum
argumentis oriendum fecit. Etiam a dictione ridicula sero liberata
(tragœdia) magnificentior evasit. »
Même après avoir lu les
raisonnements dont il appuie cette conjecture, il faut beaucoup de
complaisance pour reconnaître avec lui dans le texte d’Aristote une allusion
aux trilogies tragiques d’Eschyle, et une confirmation du témoignage de
Suidas au mot Σοφοϰλῆς. Si on traduit μέγεθος par longueur, ce texte peut néanmoins se passer de correction
mais de toute façon ne faut-il pas renoncer à lui donner un sens historique
trop précis ? Quant au fait même des trilogies et des tétralogies sur
un seul mythe, qu’on s’étonne de voir négligé par Aristote dans sa Poétique,
il est confirmé par une didascalie des Sept devant Thèbes d’Eschyle, publiée
par J. Franz, dans un programme de l’Universite de Berlin (1848) :
Ἐδιδάχθη ἐπὶ Θεαγενίδου, ὀλυμπιάδι οη’. Ἐνίϰα (s.-ent. Eschyle) Λαἱῳ,
Οἰδίποδι, Ἑπτὰ ἐπὶ Θήϐαις, Σφιγγὶ σατυριϰῇ. Δεύτερος Ἀριστίας Περσεῖ,
Ταντάλῳ, Παλαισταῖς σατυριϰοῖς τοῖς Πρατίνου πατρός. Τρίτος Πολυφράδμων
Λυϰουργίᾳ τετραλογίᾳ. La trilogie tragique d’Eschyle était donc composée
précisément comme le conjecturait, en 1819, G. Hermann (Opuscules,
t. II, p. 314). Sur le mot τετραλογία, voyez le schol. {p. 81}d’Aristophane, sur les Oiseaux, v. 282, où il se réfère aux
Didascalies d’Aristote sur les Fêtes de Cérès, v. 135 sur
les Grenouilles, v. 1124.
On en fait beaucoup, etc.] Cf. Rhétorique, III, 1 et 8. J’ai réuni quelques exemples de ces vers mêlés, sans le savoir, à la prose, dans les notes de mon édition de Longin (1837), p. 143. On pourra consulter, en outre, la première note de Stiévenart sur Démosthène, Contre Néæra, et surtout J. Foster, An Essay on the different nature of Accent and Quantity, 3° édit. (Londres, 1820), p. 86, 87, qui a recueilli des hexamètres même dans le Nouveau Testament.
Du ton familier.] Ἀρμονίας dit le grec. On lirait plus volontiers ἑρμηνείας. Voyez Démétrius, sur le Style, § 1. Épisodes.] Voyez plus loin, p. 100, sur le chap. XII.
Chapitre V. §
Il est évident que ce chapitre ne contient plus aujourd’hui les développements qu’Aristote avait écrits sur le ridicule. Voyez la Rhétorique I, 11, fin III, 18.
Ni douloureuse, ni destructive.] Ἀνώδυνον ϰαὶ οὐ φθαρτιϰόν, expressions tout aristotéliques, qu’on retrouve avec de légères variantes : Rhétorique, III, 5, 8, 11 Morale Nicom., VI, 5 Morale Eudém., II, I Analytiques post., II, 9 Topiques, VIII, 8. — Aristote, à proprement dire, ne définit pas ici la comédie. Un grammairien publié par Cramer (Anecdota Paris., I, p. 403) nous en donne la définition suivante, évidemment calquée sur celle de la tragédie qu’on lira plus bas au chap. VI :Κωμῳδία ἐστὶ μίμησις πράξεως γελοίου ϰαὶ ἀμοίρου (lisez γελοίας ϰαὶ ἀνωδύνου ?), μεγέθους τελείου, χωρὶς ἑϰάστου τῶν μορίων ἐν τοῖς εῖδεσι, δρῶντος (lisezδρώντων)χαὶ [οὐ] δι’ ἀπαγγελίας, δι’ ήδονῆς ϰαὶ γέλωτος περαίνουσα τὴν τῶν τοιούτων παθημάτων ϰάθαρσιν ἔχει δὲ μητέρα τὸν γέλωτα γίνεται δ’ ὁ γέλως ἀπὸ, etc. Suit une énumération des sources du ridicule qui pourrait bien provenir également, plus ou moins directement, de quelque livre {p. 82}d’Aristote. L’auteur avait aussi sous les yeux le VI e chapitre de la Poétique quand il écrivait ces lignes sur la tragédie : τραγψδία ύφαιρεΐ τά φοbερά παθήματα της ψυχής δι’ οίxτου xαì ’óτι ( ?) συμμετρίαν θέλει Éχειν τοū φόbου έχει δέ μητέρα την λύπην.
Cicéron, De l’Orateur II, 58 : « Quid sit ipse risus, etc., viderit
Democritus…. Locus autem et regio quasi ridiculi turpitudine et deformitate
quadam continetur. Hæc enim ridentur vel sola vel maxime, quæ notant et
designant turpitudinem aliquam non turpiter. »
— Sur le
ridicule dans l’art, voir d’ingénieuses considérations dans le Laocoon, de
Lessing, § 23. — M. V. Hugo, dans un manifeste célèbre
(Préface de Cromwell), a dit en parlant du grotesque : « Voilà un principe étranger à l’antiquité,
un type nouveau introduit dans la poésie et, comme une condition de
plus dans l’être modifie l’être tout entier, voilà une forme nouvelle qui se
développe dans l’art. Ce type, c’est le grotesque cette forme, c’est
la comédie. »
Et plus bas : « La comédie passe presque inaperçue dans le grand ensemble épique de l’antiquité. A
côté des chars olympiques, qu’est-ce que la charrette de Thespis ? Près
des colosses homériques, Eschyle, Sophocle, Euripide, que sont Aristophane
et Plaute ? Homère les emporte avec lui, comme Hercule emportait les
pygmées cachés dans sa peau de lion. »
Plus de cent poëtes comiques,
parmi lesquels Aristophane, Antiphane, Alexis, Ménandre, Philémon
plusieurs milliers de comédies, parmi lesquelles tant de
chefs-d’œuvre enfin, la définition si nette et si précise d’Aristote
suffisent bien pour faire apercevoir dans l’antiquité cet
élément du comique dont M. V. Hugo fait honneur au moyen âge et aux temps
modernes !
« Aristote définit simplement la comédie une imitation de personnes
basses et fourbes. Je ne puis m’empêcher de dire que cette définition ne me
satisfait pas. » (Corneille, Premier
discours.)
— « Corneille a bien raison de ne pas approuver la
définition d’Aristote et probablement l’auteur du Misanthrope ne l’approuva
pas davantage. Apparemment Aristote était séduit par la réputation qu’avait
usurpée ce {p. 83}bouffon d’Aristophane, bas et fourbe lui-même, et qui
avait toujours peint ses semblables. Aristote prend ici la partie pour le
tout, et l’accessoire pour le principal. Les principaux personnages de
Ménandre, et de Térence son imitateur, sont honnêtes. Il est permis de
mettre des coquins sur la scène, mais il est beau d’y mettre des gens de
bien. » (Voltaire.)
Ni Corneille ni Voltaire n’ont mis une bonne
définition à la place de celle qui les satisfait si
peu. — « La comédie est l’imitation des mœurs, mise en
action : imitation des mœurs, en quoi elle diffère de la tragédie et du
poëme héroïque imitation en action, en quoi elle diffère du poëme
didactique moral et du simple dialogue. » (Marmontel, Éléments de
littérature, au mot Comédie.)
Voilà qui s’éloigne bien
d’Aristote l’auteur s’en rapproche lorsqu’il veut justifier sa
définition en la développant : « La malice naturelle aux hommes
est le principe de la comédie. Nous voyons les défauts de nos semblables
avec une complaisance mélée de mépris, lorsque ces défauts ne sont ni assez
affligeants pour, exciter la compassion, ni assez révoltants pour donner de
la haine, ni assez dangereux pour inspirer de l’effroi. Ces images nous font
sourire si elles sont peintes avec finesse elles nous font rire, si
les traits de cette maligne joie, aussi frappants qu’inattendus, sont
aiguisés par la surprise. De cette disposition à saisir le ridicule la
comédie tire sa force et ses moyens. »
C’est vraiment commenter notre
philosophe.
Ne dépendaient que d’eux-mêmes.] Eustathe, sur l’Iliade, X, 230, d’après l’autorité du second Denys d’Halicarnasse, dit que ce mot έθελοντής s’appliquait aux poëtes qui, n’ayant pas reçu un chœur de l’archonte, pourvoyaient d’eux-mêmes à la représentation de leurs pièces.
Le prologue.] Il est, je l’avoue, difficile d’imaginer ce que peut être cette invention des prologues, ce mot n’ayant pas d’autre sens dans Aristote que le sens défini au chapitre XII de la Poétique mais est-ce une raison suffisante pour changer dans le texte προλόγους en λόγους contre l’autorité des manuscrits ? D’ailleurs, Hermann, auteur de cette conjecteure, et Ritter, qui l’adopte, ne remarquent pas que de {p. 84}la leçon λόγους il résulte une sorte de contradiction avec ce qui sera dit plus loin sur Cratès. Comparez, plus bas, le commentaire sur le chapitre XII.
Épicharme.] « Le premier, dit un grammairien anonyme qui semble puiser à
une bonne source, Épicharme s’appropria, par de nombreuses innovations dans
la pratique de l’art, la comédie auparavant dispersée » (c’est-à-dire
dont on ne trouvait que des éléments épars sur divers points de la
Grèce) : « sa poésie était surtout riche en inventions,
sentencieuse et travaillée. » Voyez Meineke, Hist. crit.,
p. 535.
— Quant à Phormis, on ne lui attribue guère que des innovations relatives à la mise en scène. Voyez Grysar, De Do riensium Comœdia, p. 74.
Une révolution du soleil.] « De l’aveu des Grecs l’action théâtrale
pouvait comprendre une demi- révolution du soleil,
c’est-à-dire un jour. Nous avons accordé les vingt-quatre heures,
etc. » (Marmontel, au mot Unité.)
Dans quel auteur
grec notre critique a-t-il lu cette règle sur la durée de l’action
théâtrale ? Le précepte d’Aristote est loin d’avoir cette précision.
Mais comme il a servi de texte à une foule de discussions qui n’ont pas été
sans influence sur l’art dramatique, particulièrement en France, on lira
peut-être avec intérêt quelques extraits des controverses qui s’y
rapportent :
« Il suffit, dit Lopez de Véga, de s’attacher à l’unité d’action et
d’éviter l’épisode, en sorte qu’il n’y ait rien d’étranger et qui nous tire
du sujet principal c’est-à-dire qu’on n’en puisse détacher aucune
partie, sans que la pièce tombe en ruine. Il ne faut pas s’embarrasser de la
règle des vingt-quatre heures, ni déférer sur cela au sentiment d’Aristote.
Nous lui avons déjà perdu le respect en mêlant les grands sentiments du
tragique aux bas sentiments de la comédie. Il n’y a qu’à faire passer
l’action dans le moins de temps qu’on pourra à moins que le poëte
n’eût voulu traiter une histoire qui durât quelques années. En ce cas, il
n’aura qu’à les faires couler dans l’intervalle des actes. Il pourra aussi,
s’il y est forcé, faire faire tel chemin qu’il lui plaira à ses personnages.
Cela est assez choquant, je l’avoue mais ceux qui le trouvent
mauvais, n’ont qu’à n’y pas aller voir. {p. 85}O combien de gens
tombent des nues, quand ils voient employer des années à ce qui doit avoir
pour bornes l’espace d’un jour artificiel car on ne veut pas même se
relâcher sur cela à un jour mathématique. Et à considérer qu’un Espagnol,
assis fort à son aise, se met à tempester dès que la comédie dure plus de
deux heures, quand il s’agirait même de représenter ce qui s’est passé
depuis la Genèse jusqu’au jugement final, je trouve que si c’est un moyen de
lui plaire, il est juste de s’y tenir. » (Lopez de Véga, Arte nuova de
hacer comedias en este tiempo, publié à Madrid en 1621, et traduit un peu
librement en français dans le recueil intitulé : Pièces fugitives
d’histoire et de littérature, Paris, 1704, p. 256.)
— Nos
critiques français sont bien autrement scrupuleux sur la question des
unités, et il est curieux de voir comment la rigueur des préceptes
d’Aristote va peu à peu s’exagérant dans l’esprit de ses imitateurs.
Vauquelin de la Fresnaye écrit, à la fin du XVI e siècle
(Poétique, livre II, p. 50, éd. 1612) :
Or comme eux l’héroïc, suivant le droit sentier,Doit son œuvre comprendre au cours d’un an entierLe tragic, le comic, dedans une journéeComprend ce que fait l’autre au cours de son année.Le théâtre jamais ne doit être rempliD’un argument plus long que d’un jour accompli,Et doit une Iliade, en sa haute entreprise,Être au cercle d’un jour ou guère plus comprise.
Cependant Pierre Delaudun, dans sa Poétique, publiée en 1597, argumente
formellement contre la règle des vingt-quatre heures (livre V,
chap. 9). La Mesnardière, Poétique (1640), chap. v, p. 48, permet
d’outrepasser, pour la tragédie, les vingt-quatre heures, à condition
toutefois que ce soit « pour attraper quelque incident qui mérite
d’être acheté par une infraction si légère ». L’abbé d’Aubignac
propose de traduire ή μιχρòν έξαλλάττειν par « ou de changer un peu ce
temps » (du jour à la nuit ou de la nuit au jour), et il tient fort à
sa nouvelle explication (Pratique du Théâtre, 1669, p. 111) un
peu plus haut, il discute sérieusement s’il ne serait pas question dans
Aristote d’un jour polaire. La traduction {p. 86}de
ce passage par de Norville (1671) montre combien alors les esprits étaient
prévenus sur ce sujet et disposés à interpréter Aristote dans le sens de
leurs théories : « La tragédie commence et termine son action en
un jour ou en une nuit autant que faire se peut : et si le
fort de l’action se passe dans l’un de ces temps elle anticipera bien
peu sur l’autre. »
Après avoir observé que les trois grands
tragiques de la Grèce se conforment à l’unité de temps, d’Aubignac
ajoute : « …. Leur exemple fut négligé par la plupart des poëtes
qui les suivirent de près, comme nous l’apprenons d’Aristote qui blâme
plusieurs de son temps de ce qu’ils donnaient à leurs poëmes une trop longue
durée, ce qui semble l’avoir obligé d’en écrire la règle ou plutôt de la
renouveler sur le modèle de ces anciens. » (Pratique du Théâtre, II,
7.)
C’est précisément le contraire qu’atteste notre philosophe. Je relève
cette erreur de d’Aubignac, parce qu’elle fournit l’occasion de remarquer
que la règle de l’unité de temps paraît avoir été le produit de réflexions
tardives faites sur ce sujet par les poëtes et les critiques. En Grèce comme
dans l’Occident moderne, la licence a précédé les règles.
Quant à l’unité de lieu, que nos vieux auteurs de Poétiques sont souvent
déterminée d’une manière assez ridicule (la Mesnardière, p. 419
cf. Sainte-Beuve, Poésie française au XVI e siècle,
p. 328), d’Aubignac affirme que si les demi-savants
doutent sur ce point, les savants n’hésitent pas que si Aristote n’en
a rien dit, c’est que la chose allait d’elle-même. Il fait pourtant, à cet
égard, quelque pages plus haut, un aveu curieux à recueillir. « Mais
une chose bien plus étrange et pourtant très-véritable, j’ai vu des gens qui
travaillaient depuis longtemps au théâtre lire ou voir un poëme par
plusieurs fois, sans reconnaître ni la durée du temps ni le
lieu de la scène, ni la plupart des circonstances des actions les
plus importantes, pour en découvrir la vraisemblance. » (Pratique du
Théâtre, II, 2 cf. II, 6.)
C’est apparemment que l’espèce de
vraisemblance qu’on recherche par l’unité de lieu et par celle de temps est,
en réalité, la plus indifférente pour l’esprit du spectateur. Corneille, qui
s’est tant préoccupé de ces questions, est, au témoignage {p. 87}de
d’Aubignac, le premier poëte français chez qui l’unité de lieu soit
rigoureusement gardée. On ne peut voir sans quelque peine la torture qu’un
si grand esprit s’impose pour satisfaire à cette règle chimérique (Troisième
Discours sur le poëme dramatique). Mais les libres penseurs du XVIII e siècle n’osent pas davantage secouer ces scrupules.
Marmontel écrit : « La même continuité d’action qui, chez les
Grecs, liait les actes l’un à l’autre et qui forçait l’unité de temps,
n’aurait pas dû permettre le changement de lieu les Grecs ne
laissaient pourtant pas de se donner quelquefois cette licence, comme on le
voit dans les Euménides. »
Et plus bas : « On n’a pas
toujours ni partout reconnu comme indispensable la règle des unités :
on sait que sur le théâtre anglais et sur le théâtre espagnol elle est
violée en tout point et contre toute vraisemblance. Il en était de même sur
notre théâtre avant Corneille et non-seulement l’unité de lieu n’y
était pas observée, mais elle y était interdite. Le public se plaisait aux
changements de scène il voulait qu’on le divertît par la variété des
décorations, comme par la diversité des incidents et des aventures et
lorsque Mairet donna la Sophonisbe, il eut bien de la peine à obtenir des
comédiens qu’il lui fût permis d’observer l’unité de lieu. » (Éléments
de Littérature, au mot Unité.)
Et Voltaire lui-même, que
les nouveautés cependant n’effrayaient guère : « La scène du Cid
est tantôt au palais du roi, tantôt dans la maison du comte de Gormas,
tantôt dans la ville. L’unité de lieu serait observée aux yeux des
spectateurs, si on avait eu des théâtres dignes de Corneille, semblables à
celui de Vicence, qui représente une ville, un palais, des rues, une place,
etc. Car cette unité ne consiste pas à représenter toute l’action dans un
cabinet, dans une chambre, mais dans plusieurs endroits contigus que l’œil
puisse apercevoir sans peine. » (Commentaire sur le Cid. Comparez sur
Cinna, acte II, scène I.)
Enfin l’élève de Voltaire, Frédéric le Grand, dans
son ouvrage intitulé De la Littérature allemande (vol. III, p. 92
de ses Œuvres, Berlin, 1781) : « Vous entrez dans un de ces
spectacles d’Allemagne, et vous assistez à la représentation d’une pièce {p. 88}de Shakespeare. Vous voyez là un public se pâmer d’aise en
entendant une de ces farces ridicules et dignes des sauvages du Canada. Je
les appelle ainsi, parce qu’elles pèchent contre toutes les règles du
théâtre. Car ces règles ne sont pas arbitraires vous les trouvez dans
la Poétique d’Aristote, où l’unité de lieu, l’unité de temps et l’unité
d’intérêt sont prescrites comme le seul moyen de rendre la tragédie
intéressante : au lieu de ce que, dans ces pièces anglaises, la scène
dure un espace de quelques années. »
M. Barthélemy Saint-Hilaire, préface de sa trad. de la Poétique (1858), p. XVIII, rappelle avec raison une bonne dissertation d’Andrieux (Revue encyclopédique, t. XXI et XXII, réimprimée dans les Œuvres de cet auteur), où il démontre que d’Aubignac surtout est responsable de l’opinion erronée qui appuie sur l’autorité d’Aristote la théorie des trois unités.
Métastase, dans ses Extraits de la Poétique d’Aristote (Œuvres, 1782, t. XII, ch. 5) attaque les deux unités de temps et de lieu en s’appuyant sur des exemples du théâtre grec et du théâtre latin. Le célèbre Manzoni les combat non moins victorieusement par une savante analyse des conditions de l’action dramatique et de l’intérêt théâtral, dans son Dialogue et dans sa Lettre sur les unités de temps, de lieu, etc., que l’on trouve dans l’édition de ses tragédies (Paris, 1830, in-12), et dans la traduction qu’en a donnée Fauriel (Paris, 1834).
Chapitre VI. §
La tragédie est, etc.] On a écrit des volumes à propos de cette définition.
Voyez, entre autres, la Poétique de Scaliger, livre V, chap. 6
les auteurs analysés par Goujet, Bibliothèque française, tome III,
p. 180-240 Batteux, Principes de la Littérature, Ve traité et l’article Tragédie dans les
Éléments de Marmontel. — Τραγωδία [[έστì] βίων xαì λόγων ήρωϊχών
μίμησις έχουσα σεμνότητα μEτ’ έπιπλοχής τινός, dit {p. 89}plus
simplement le grammairien publié par Cramer, Anecdota Oxon., tome IV,
p. 315. — Voici comment la définition d’Aristote est traduite
en latin d’après l’arabe d’Averroès (voir Essai sur la Critique, p. 297
et suiv.) par Hermann l’Allemand (fol. 42, recto, éd. de Venise,
1481) : « Terminus substantialis sive intelligere faciens
substantiam artis laudandi est quoniam ipsa est assimilatio et repræsentatio
operationis voluntariæ virtuosæ completæ quæ habet potentiam universalem in
rebus virtuosis non potentiam particularem in una quaque rerum virtuosarum.
Repræsentatio, inquam, quæ generat in animabus passiones quasdam
temperativas ipsarum ad miserandum aut timendum aut ad cæteras consimiles
passiones quas inducit et promovet per hoc quod imaginari facit in virtuosis
de honestate et munditia. »
Plus bas, voici comment sont résumées les
six parties constitutives de la tragédie : « Oportet ut tragœdiæ
id est artis laudandi partes sex sint. Seu sermones fabulares repræsentativi
et consuetudines et metrum seu pondus et credulitas et consideratio et
tonus. »
Dans ce latin, Aristote est absolument méconnaissable, et de
tels textes ne méritent aujourd’hui d’être exhumés que comme un témoignage
historique de l’altération de certaines doctrines grecques dans leur
transmission en Occident par la science arabe. Au reste, on pardonnera au
pauvre Hermann la barbarie inintelligible de son langage, si on en rapproche
la traduction française des mêmes passages faite en 1671 par de Norville
(p. 24, 25 et 28).
La Mesnardière, Poétique, chap. III : « Disons avec Aristote
accommodé à nostre usage : La tragédie est la représentation sérieuse
et magnifique de quelque action funeste, complète, de grande importance et
de raisonnable grandeur non pas par le simple discours, mais par
l’imitation réelle des malheurs et des souffrances, qui produit par
elle-même la terreur et la pitié, et qui sert à modérer ces deux mouvements
de l’âme. »
Racine est plus exact dans cette traduction, écrite à la
marge d’un exemplaire de la Poétique : « La tragédie est donc
l’imitation d’une action grave et complète, et qui a sa juste grandeur.
Cette imitation se fait par {p. 90}un discours, un style composé pour
le plaisir, de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste
et agisse séparément et distinctement. Elle ne se fait point par récit, mais
par une représentation vive, qui, excitant la pitié et la terreur, purge et
tempère ces sortes de passions, c’est-à-dire qu’en émouvant ces passions,
elle leur ôte ce qu’elles sont d’excessif et de vicieux, et les ramène à un
état modéré et conforme à la raison. »
Racine lisait δρώντος, et non
δρώντων.
La Fontaine a inséré à la fin du premier livre de sa Psyché une comparaison
de la comédie et de la tragédie, qui mérite encore aujourd’hui d’être lue
pour quelques observations délicates et quelques traits ingénieux. Nous n’en
citerons que les lignes suivantes : « Il s’en faut bien que la
tragédie nous renvoie chagrins et mal satisfaits, la comédie tout à fait
contents et de belle humeur car si nous apportons à la tragédie
quelque sujet de tristesse qui nous soit propre, la compassion en détourne
l’effet ailleurs, et nous sommes heureux de répandre pour les maux d’autrui
les larmes que nous gardions pour les nôtres. La comédie, au contraire, nous
faisant laisser notre mélancolie à la porte, nous la rend lorsque nous
sortons. Il ne s’agit donc que du temps que nous employons au spectale et
que nous ne saurions mieux employer qu’à la pitié…. La pitié est un
mouvement charitable et généreux, une tendresse de cœur, dont tout le monde
se sait bon gré…. Voilà donc déjà un plaisir qui se rencontre en la tragédie
et qui ne se rencontre pas en la comédie. »
Sur la terreur et la pitié, comparez : Rhétorique, II, 5 et 8 Morale Nicom., II, 4. — En ce qui touche la célèbre purgation des passions par le drame, nous devons renvoyer d’abord à l’Essai sur l’Histoire de la Critique, p. 180 et suivantes, où nous avons exposé sur ce sujet une opinion que nous croyons devoir maintenir, malgré le dissentiment de plusieurs savants interprètes de la pensée d’Aristote, tels que M. Ch. Lévêque, dans La Science du Beau (2e édition Paris, 1872), IVe partie, chap. II et M. Barthélemy Saint-Hilaire, dans sa nouvelle traduction de la Poétique (Paris, 1858). Cette opinion a pour principal appui le témoignage {p. 91}d’Aristote lui-même, dans une page de sa Politique qu’on trouve ici réimprimée à la suite de la Poétique. Elle se trouve confirmée par des rapprochements qui avaient échappé jusqu’ici à tous les critiques, dans un important mémoire de M. J. Bernays, Grundzuege der verlorenen Abhandlung des Aristoteles ueber Wirkung der Tragœdie (Breslau, 1857, in-4°). Plusieurs autres dissertations sur la même théorie d’Aristote ont été publiées en Allemagne dans ces dernières années, par M. Kock (Elbing, 1853) par M. Spengel (Munich, 1859) par M. Geger (Leipzig, 1860) par M. Yorck von Wartenburg (Berlin, 1866). Plus récemment encore, nous croyons avoir présenté quelques réflexions utiles sur la moralité du drame selon le sens d’Aristote, dans la vingt-cinquième leçon de L’Hellénisme en France (1869). Parmi les travaux de nos compatriotes, voyez un important article de M. Léon Dumont, où la théorie de la purgation est rattachée aux principes de la psychologie d’Aristote, dans la Revue Scientifique du 8 novembre 1873 et une leçon d’ouverture de M. Jules Girard sur la tragédie grecque, dans la Revue Politique et Littéraire du 9 mai 1874.
Tandis que d’autres ont la musique.] C’est-à-dire la musique unie aux vers.
Par les mœurs et les pensées.] Mêmes distinctions dans la Morale Nicom., fin du livre Ier.
Et il n’y a rien au delà.] De même, Rhétorique, I, 2 : Καì παρά ταūτα οůδέν πως Physique III, 1 : Oστε oůδέ χίνιησις οůδέ μεταbολή ούδενός έσται παρά τά είρημένα, μηδενός γε δντος παρά τά είρημένα. .
Non une manière d’être.] Je traduis ποιότης selon le sens qu’Aristote lui-même donne à ce mot dans les Catégories, chap. viii, où il dit que la ποιότης comprend comme espèces l’έξις et la διάθεσις. Cf. Métaphysique, IV, 14.
C’est par l’action qu’on est heureux ou malheureux.] Observation que l’on retrouve souvent dans Aristote, surtout dans ses traités de morale. Voyez aussi dans la Physique, II, 6, un chapitre tout classique sur ce sujet.
La fin est ce qu’il y a de plus important.] Τέλος. Voyez {p. 92}l’analyse qu’Aristote lui-même donne des divers sens de ce mot, dans la Métaphysique, IV, 16 et 17.
Des auteurs modernes.] Voilà une de ces observations qu’il nous est impossible de vérifier aujourd’hui que toutes les tragédies des poëtes contemporains d’Aristote sont perdues.
Les anciens poëtes.] Batteux : « On en peut juger par les premières tragédies. » Dacier dit plus clairement : « C’est une expérience que presque tous les anciens poëtes ont faite. »
En étalant les plus belles couleurs.] Aristote, sur la Génération des animaux, II, 6 : Ἅπαντα δὲ ταῖς περιγραφαῖς διορίζεται πρότερον, ϋστερον δὲ λαµϐάνει τὰ χρώµατα, ϰαὶ τὰς µαλαϰότητας, ϰαί τὰς σϰληρότητας, άτεχνὥς ὥσπερ ὑπὸ ζωγράφου τñς φύσεως δηµιουργούµενα ϰαὶ γὰρ οἱ γραφεῖς ὑπογράψαντες ταῖς γραµµαῖς οὕτως ὲναλείφουσι τοῖς χρώµασι τὸ ζῷον. Cf. De l’Ame, II, 7.
Le simple trait d’une figure.] Pline, Hist. nat., XXXV, 10, § 36 :
« Parrhasius… primus symmetriam picturæ dedit, primus argutias vultus,
elegantiam capilli, venustatem oris, confessione artificum in lineis
extremis palmam adeptus. Hæc est in pictura summa sublimitas. Corpora enim
pingere et media rerum, est quidem magni operis, sed in quo multi gloriam
tulerint. Extrema corporum facere et desinentis picturæ modum includere,
rarum in successu artis invenitur. Ambire enim se extremitas ipsa debet et
sic desinere, ut promittat alia post se ostendatque etiam quæ
occultat. »
Plutarque n’est pas tout à fait d’accord sur ce point avec
Aristote et Pline l’Ancien : « Les poëtes font bien des mensonges
souvent avec intention, souvent aussi sans le vouloir. Avec intention, parce
que pour le plaisir et le charme de l’oreille, qu’ils recherchent presque
tous, la fiction leur paraît moins sévère que la vérité. En effet, ni le
mètre, ni les figures, ni la pompe du style, ni la justesse des métaphores,
ni l’harmonie, ni le nombre ne sauraient avoir autant de douceur et de grâce
qu’une fable bien conduite. Aussi, comme, dans la peinture, le coloris fait
plus que le dessin, par sa ressemblance avec la figure humaine {p. 93}et par l’illusion qu’il produit, de même, en poésie, une fiction probable
nous frappe et nous plaît beaucoup plus qu’un arrangement pompeux de vers et
de mots sans action et sans fable. Voilà pourquoi Socrate, voulant se faire
poëte après avoir été toute sa vie l’athlète de la vérité, et par cela même
pauvre inventeur de fictions, mit en vers les fables d’Ésope, ne pensant pas
qu’il pût y avoir de poésie sans fiction. » (De la Manière d’entendre
les poëtes, chap. vi.)
C’est l’affaire de la politique.] Ce passage est fort obscur. On serait tenté de croire qu’Aristote parle des orateurs plutôt que des poëtes. Ritter n’hésite pas à considérer comme une interpolation tout le morceau qui s’étend depuis παραπλήσιον jusqu’à la fin du chapitre on retrouve pourtant quelques idées analogues dans la Rhétorique, III, 16. Dacier et Batteux opposent les mots πολιτιϰός et ῥητοριϰός comme familier et oratoire de même Mme Dacier, dans la Préface de sa traduction de l’Odyssée, page 28, éd. de 1716. Mais Aristote fait précisément honneur à Euripide d’avoir le premier introduit dans la tragédie des mots du langage familier (Rhétorique III, 2) ce langage ne pouvait donc être un caractère des anciens poëtes. Il est plus probable qu’Aristote oppose le caractère sérieux et sincère de l’ancienne éloquence, soit en vers, soit en prose, à l’éloquence plus savante, mais moins naturelle, dont les rhéteurs donnaient les préceptes et l’exemple. Quant à ἀρχαῖοι, c’est une expression fréquente dans Aristote, et qui se détermine d’ordinaire par le sujet dont traite le philosophe. Voyez des exemples : Métaphysique, XIV, fin : οἱ ἀρχαῖοι οµηριϰοί, et cf. XII, 1 Réfut. sophistiques, ch. :xiv : οἱ άρχαῖοι πἀντες Politique, VIII, 3 : οἱ ὲξ ἀρχñς βΙ οἱ ἀρχαῖοι etc.
La cinquième partie.] Les mss. donnent πέντε où on attend τὸ πέµπτον. Cela vient peut-être de quelque abréviation, comme έ, que l’inadvertance d’un copiste aura interprétée par le nom cardinal au lieu du nom ordinal : en effet, après ce qui précède, il ne restait pas cinq parties, mais deux seulement à énumérer.
Il est étranger à l’art.] Aristote trouve ici un commentateur inattendu :
« La vérité du théâtre et le rigorisme {p. 94}du vêtement sont-ils aussi nécessaires à l’art qu’on le suppose ? Les personnages de Racine n’empruntent rien de la coupe de l’habit dans les tableaux des premiers peintres, les fonds sont négligés et les costumes inexacts. Les Fureurs d’Oreste ou la Prophétie de Joad, lues dans un salon par Talma en frac, faisaient autant d’effet que déclamées sur la scène par Talma en manteau grec ou en robe juive. Iphigénie était accoutrée comme Mme de Sévigné, lorsque Boileau adressait ces beaux vers à son ami :
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,N’a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,Que dans l’heureux spectacle à nos yeux étaléN’en a fait sous son nom verser la Champmeslé.Cette correction dans la représentation de l’objet inanimé, est l’esprit des arts de notre temps : elle annonce la décadence de la haute poésie et du vrai drame, etc. » (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, IVe vol., 1802.)
Chapitre VII. §
Nous avons établi.] Κεῖται ñµῖν. Le même verbe se retrouve dans le même sens : Métaphysique, VIII, 4 Topiques, VIII, 14. Cf. ὑπόϰειται : Économique, I, 3.
Commencement, milieu, fin.] Cf. des subtilités analogues et souvent inutiles. Problèmes : XVIII, 3 Analyt. pr. I, 4 Métaphysique, IV, 1 Du Langage, chap. vii.
N’est beau que, etc.] Comparez Politique, VII, 4.
Un animal très-petit, etc.] Comparez le traité De la Sensation, chap iii et iv. « Ce sont des idées du
beau puisées dans l’observation, et uniquement relatives à la constitution
de nos organes physiques ou à notre capacité morale. L’application
qu’Aristote en fait à la poésie dramatique est cependant
très-remarquable. » (A. W. Schlegel, Cours de Littérature dramatique,
xe leçon.)
Comme on fait ailleurs.] Пοτέ et ἄλλοτε, marquant le lieu,
{p. 95}non le temps, font la principale difficulté de
ce passage. On trouve cependant un exemple d’ἄλλοτε pris en ce sens (H.
Estienne). — Sur l’usage de la clepsydre dans les tribunaux, voyez
Adam, Antiquités grecques, t. I, p. 180 (traduction fr., 2e édit.) et comparez, sur la durée des
représentations théâtrales à Athènes, les auteurs cités dans la note C, à la
fin de l’Histoire de la Critique. — Dacier : « comme on
dit que cela se pratiquait autrefois. »
Batteux : « la
clepsydre, dont on dit qu’on s’est servi beaucoup autrefois, je
ne sais en quel temps. »
C’est outrer le sens du mot φασί et
supposer chez Aristote l’aveu d’une ignorance qui serait bien étrange. Φασί
peut s’appliquer, comme aiunt et dicunt
en latin, à des faits dont la certitude n’inspire aucun doute.
Pourvu qu’on en puisse saisir l’ensemble.] « Ces expressions sont
certainement très-favorables à Shakespeare et aux auteurs qui ont composé
des pièces de théâtre romantiques car on ne peut leur reprocher
d’avoir rassemblé en un seul tableau une plus grande quantité d’objets et
d’événements que n’ont fait les poëtes grecs, s’ils ont su conserver à leurs
compositions l’unité et la clarté nécessaires et c’est là, comme nous
le verrons, ce qu’ils ont réellement fait. » (Schlegel, Cours de litt.
dram., xe leçon.)
Chapitre VIII. §
A un seul homme.] Nous suivons la leçon de Vahlen (1874). L’ancien texte est τῷ γένει, d’où Vettori avait déjà tiré la conjecture τῷγ’ ένί. De même, Physique, II, 5 : Ἄπειρα γὰρ ἄν τῷ ἑνὶ συµϐαίη. — Hermann transporte ici après συµϐαίνει les mots ὤσπερ ποτὲ ϰαὶ àλλοτε φασίν, qui nous embarrassaient tant au chap. vii : c’est un moyen trop commode, pour un homme d’esprit, de corriger Aristote.
L’Héracléide.] Il y avait une Héracléide de Cinéthon qui est citée par le scholiaste d’Apollonius de Rhodes, I, 1357 et une de Pisandre, dont on a quelques fragments, sans parler d’autres poëmes sur le même sujet, mais qui sont {p. 96}peut-être postérieurs en date à la Poétique d’Aristote. Voyez Düntzer, Fragments de la Poésie épique grecque (Cologne, 1840), p. 59.
La Théséide.] Le plus ancien des poëmes ainsi intitulés paraît être celui que citent Plutarque (Vie de Thésée, chap. xxviii) et Aristote. On n’en connaît pas l’auteur. Ceux de Diphilus et de Nicostrate ou Pythostrate sont d’une date incertaine. Voyez Düntzer, livre cité, et W. Müller, de Cyclo Græcorum epico (Leipzig, 1829), p. 64.
Au moment de la réunion des Grecs.] Cet épisode était traité dans les Chants Cypriaques, dont l’analyse par le grammairien Proclus nous a été conservée par Photius (Cod. 239), et dans un poëme intitulé Palamedea, que cite un scholiaste d’Homère (sur l’Iliade, II, 761) publié par Cramer, Anecdota Oxon., I, p. 278.
Sur la question que soulève cette assertion d’Aristote, voy. la note D, § 1, à la fin de l’Histoire de la Critique.
Je transcris ici, comme termes de comparaison, les traductions de Dacier, de
Batteux et de Chénier. Dacier : « En composant son Odyssée, il
n’y a pas fait entrer toutes les aventures d’Ulysse par exemple, il
n’a pas mêlé la blessure qu’il reçut sur le Parnasse avec la folie qu’il
feignit lorsque les Grecs assembloient leurs armées car de ce que
l’une est arrivée, il ne s’ensuit ny nécessairement ny vraisemblablement que
l’autre doive arriver aussi mais il a employé tout ce qui pouvoit
avoir rapport à une seule et même action, comme est celle de
l’Odyssée. »
Batteux : « Il s’est bien gardé d’employer dans
son Odyssée toutes les aventures d’Ulysse, comme sa folie simulée, sa
blessure au mont Parnasse, dont l’une n’est liée à l’autre ni nécessairement
ni vraisemblablement. Mais il a rapproché tout ce qui tenait à une seule et
même action, et il en a composé son poëme. »
Chénier : « En
composant l’Odyssée, il n’a point chanté toute la vie d’Ulysse, ni la
blessure qu’il reçut d’un sanglier sur le mont Parnasse, ni la folie qu’il
affecta lorsqu’on rassembla l’armée. Ces choses n’étant point des parties
nécessaires ou vraisemblables, Homère s’est borné au détail d’une seule
action telle que la présente l’Odyssée »
{p. 97}Quant au précepte général qui fait le sujet de ce chapitre, on peut voir dans le Tasse (Discours IIe sur l’Art poétique, et Lettres poétiques, 2 juin, 15 juillet et 15 octobre 1575) combien ce grand génie se préoccupe de l’unité épique et de l’autorité d’Aristote sur cette question. C’est quelque chose de fort semblable aux scrupuleuses discussions de notre Corneille dans ses Discours sur la Tragédie et dans les Examens de ses pièces.
Chapitre IX. §
Plus profond.] Φιλοσοφώτερον. Morale Eudém., I, 6 : Оὐ χρǹ νοµίζειν περίεργον εὶναι τǹν τοιαύτην θεωρίαν, δι’ ής οὐ µόνον τò τί φανερόν, ἀλλὰ ϰαὶ τò δια τί. Φιλόσοφον γὰρ τò τοιοũτο περὶ ἑϰάστην µέθοδον.
Plus sérieux.] Ʃπουδαιότερον. Morale Nicom., VI, 7 : Ἄτoπον γὰρ εἰ τις τὴν πολιτιϰὴν ἣ τὴν φρόνησιν σπουδαιοτάτην οῖεται εῖναι, εἰ µὴ τò ἄριστον τῶν ἐν ϰόσµψ ὁ ἄνθρωπóς ἐστι. Strabon fait peut-être allusion à la Poétique, lorsque, dans son Ier livre, il écrit, à propos d’Ératosthène : Оὐδὲ γὰρ ἀληθές ἐστιν, ὅ φησιν Ἐρατοσθένης, ὅτι ποιητὴς πãς στοχάζεται ψυχαγωγίας, οὐ διδασϰαλίας τἀναντία γὰρ οἱ φρονιµώτατοι τῶν περὶ ποιητιϰñς τι φθεγξαµένων πρώτην τινὰ λέγουσι φιλοσοφίαν τὴν ποιητιϰήν Polybe (Histoire, II, 56) compare, d’une façon peu instructive d’ailleurs, l’histoire à la tragédie, pour en marquer les différences.
Mme Dacier, Préface de sa trad. de l’Odyssée, p. vi
(édition 1716) : « Je tâcherai de prouver la vérité de ce
sentiment d’Aristote que la poésie d’Homère est plus grave et plus morale
que l’histoire. »
La poésie met ensuite des noms propres.] Cf. plus bas le chap. xvii, et le fragment d’Antiphane, traduit dans l’Histoire
de la Critique, p. 43. On trouve aussi quelques idées analogues dans la
Rhétorique attribuée à Denys d’Halicarnasse, chap. xi, § 2. — « Bref, c’est (le poëte) un homme le
quel comme une mouche à miel délibe et suce {p. 98}toutes fleurs, puis
en fait du miel et son profit selon qu’il vient à propos. Il a pour maxime
très-nécessaire en son art, de ne suivre jamais pas à pas la vérité, mais la
vraysemblance et le possible : et sur le possible et sur ce qui peut se
faire, il bastit son ouvrage, laissant la véritable narration aux
Historiographes qui poursuivent de fil en esguille, comme on dit en
proverbe, leur subject entrepris du premier commencement jusques à la
fin. »
(Ronsard, Préface de la Franciade.) Il se souvient évidemment
d’Aristote, quoiqu’il ne le nomme pas mais l’avait-il bien compris
lorsqu’il ajoute, plus bas (p. 16, éd. 1604) : « Or
imitant ces deux lumières de poésie (Homère et Virgile), fondé et appuyé sur
nos vieilles Annales, j’ay basti ma Franciade sans me soucier si cela est
vrai ou non, ou si nos roys sont Troyens ou Germains, Scythes ou
Arabes : si Francus est venu en France ou non : car il y pouvoit
venir : me servant du possible et non de la vérité. C’est le fait d’un
historiographe d’esplucher toutes ces considérations et non aux poëtes qui
ne cherchent que le possible, etc. »
?
Noms historiques.] En grec : γƐνομένων δνομάτων. Ma traduction dissimule un peu malgré moi cet abus du verbe γίνƐσθαι, que les anciens reprochaient déjà aux philosophes du Lycée. Voyez un fragment du Cléophane d’Antiphane dans Athénée, III, p. 98, 99 et comparez dans Aristote le commencement du livre sur Xénophane, où, du reste, la sécheresse du style est plus facile à excuser que dans une Poétique.
La Fleur d’Agathon.] Malheureusement le témoignage d’Aristote est la seule
trace qui reste aujourd’hui de cette pièce dans les écrits des
anciens. — Lessing, dans sa Dramaturgie, va plus loin qu’Aristote
et soutient que la tragédie a le même droit que la comédie sur les sujets
d’invention mais l’histoire du théâtre moderne, ainsi que celle du
théâtre grec, confirme la judicieuse réserve de notre philosophe. Déjà
Balzac, dans sa célèbre Lettre à Scudéri au sujet du Cid, disait
prudemment : « Aristote blâme la Fleur d’Agathon, quoiqu’il dise
qu’elle fût agréable et l’Œdipe peut-être n’agréoit pas,
quoiqu’Aristote l’approuve. Or, s’il est {p. 99}vrai que la
satisfaction des spectateurs soit la fin que se proposent les spectacles, et
que les maîtres mêmes du métier aient quelquefois appelé de César au peuple,
le Cid du poëte français ayant plu aussi bien que la Fleur du poëte grec, ne
seroit-il point vrai qu’il a obtenu la fin de la représentation, et qu’il
est arrivé à son but, encore que ce ne soit pas par le chemin, ni par les
adresses de la Poétique ? »
« Les modernes ont, encore plus fréquemment que les Grecs, imaginé des
sujets de pure invention. Nous eûmes beaucoup de ces ouvrages du temps du
cardinal de Richelieu c’était son goût, ainsi que celui des
Espagnols il aimait qu’on cherchât d’abord à peindre les mœurs et à
arranger une intrigue, et qu’ensuite on donnât des noms aux personnages,
comme on en use dans la comédie : c’est ainsi qu’il travaillait
lui-même, quand il voulait se délasser du poids du ministère. Le Venceslas
de Rotrou est entièrement dans ce goût, et toute cette histoire est
fabuleuse… Un sujet de pure invention, et un sujet vrai, mais ignoré, sont
absolument la même chose pour les spectateurs et comme notre scène
embrasse des sujets de tous les temps et de tous les pays, il faudrait qu’un
spectateur allât consulter tous les livres avant qu’il sût si ce qu’on lui
représente est fabuleux ou historique. Il ne prend pas assurément cette
peine il se laisse attendrir quand la pièce est touchante, et il ne
s’avise pas de dire en voyant Polyeucte : « Je n’ai jamais entendu parler
de Sévère et de Pauline ces gens-là ne doivent pas me
toucher. » (Voltaire, Dissertation sur la tragédie, en tête de sa
Sémiramis.)
Même observation dans Marmontel, au mot Vraisemblance.
Ne sont connus que du petit nombre.] Diderot emprunte cette réflexion ainsi que beaucoup d’autres à la Poétique (De la Poésie dramatique, § 10).
Les fables et les actions simples.] Απλοì offre ici une difficulté, car il
semble anticiper sur la définition qui ne sera donnée qu’au chapitre x. Hermann transporte, en conséquence, tout le paragraphe
dans le chapitre x. Castelvetro a proposé assez
heureusement de lire άπλώς, mot souvent employé dans Aristote pour xαθόλου.
Le sens deviendrait : {p. 100}« Parmi les fables, en général
(qu’elles soient historiques ou inventées par le poëte), les moins bonnes,
etc. »
Épisodiques.] ’ΕπƐισοδιώδη. Le même mot se retrouve dans la Métaph., XII, 10 XIV, 3. Aristote emploie beaucoup les adjectifs de ce genre par exemple : γƐώδης, Problèmes, X, 43 νƐυρώδης, δστώδης, σαρχώδης, ibid., X, 41 φλƐγματώδης, Hist. des Animaux, VI, 20 φυσώδης, ibid., VIII, 26 χƐρατώδης, ibid., VIII, 28 πυρώδης, Sur le Mouv. des Animaux, X σοφισματώδης, Topiques, VIII, 6 αίνιγμα-τώδης, Rhétorique, II, 21 παραδƐιγματώδης, ibid., I, 2 II, 25. Les formes en Ɛιδής ne lui sont pas moins familières, par exemple : νƐφροβιδής, Hist. des Animaux, VI, 22 δμοƐιδής, Métaphysique, VII, 7 θυμοƐιδής, Analytiques post. II, 7 etc.
Pour plaire aux acteurs.] « On voit que ce n’est pas d’aujourd’hui que
l’on s’est plaint de l’inévitable tyrannie qu’exercent sur un artiste ceux
qui sont les instruments uniques et nécessaires de son art. » (La
Harpe, Analyse de la Poétique d’Aristote.)
Aristote dit encore, Rhétorique,
III, 1 : ΜƐίζον δύνανται νūν των ποιητών οί ύποχριταί. Il ne faut donc
pas lire ici χριταί pour ύποχριταί, quelque séduisante que cette leçon
puisse paraître. Un ancien biographe de Sophocle dit que ce poëte composa
souvent des caractères tragiques pour la convenance de ses acteurs, et
Aristophane nous est représenté comme vivant en grande intimité avec les
deux acteurs Callistrate et Philonide. Cf. Cicéron, Des Devoirs, I, 31.
Pour le succès du jour.] Αγωνίσματα. Thucydide, I, 22 : Κτημά τƐ ές άƐì
μάλλον ή άγώνισμα ές τδ παράχρημα ξúγχƐιται. Quintilien, X, 1, § 31 :
« Historia scribitur ad narrandum non ad probandum, totumque opus non
ad actum rei pugnamve præsentem, sed ad memoriam posteritatis et ingenii
famam componitur. » Cf. Suétone, Caligula, ch. lii.
. — Le plus ancien des traducteurs français, de
Norville, est ici celui qui se rapproche le plus du sens d’Aristote :
« Comme ils font des pièces qui doivent être représentées et disputer
le prix, etc. »
Et celles-ci, etc.] Nous avons pensé avec Vahlen qu’une lacune est ici plus probable qu’une transposition. Hermann : {p. 101}Τοūτα δέ γίγνƐται μάλιστα τοιαūτα, όταν γένηται παρά τήν δόξαν, χαì μάλλον δταν δι’ άλληλα, et il marque une lacune après le dernier mot. Batteux proposait déjà un changement analogue. Le plus simple serait peut-être de mettre μάλλον à la place de μάλιστα, et vice versa. De même, Hist. des Animaux, IX, 1 : μάλλον.…. χαι μάλιστα. Cf. De l’Ame, I, 2 : xαί μάλιστα χαι πρώτωι;..
La statue de Mitys.] L’anecdote est copiée presque mot à mot dans la
compilation de Récits merveilleux qui figure parmi les ouvrages d’Aristote,
§ 156 (ou 167) le compilateur met seulement οûν au lieu de γάρ dans
la remarque qui suit. Plutarque, Des Délais de la vengeance divine,
chap. viii, dit que l’accident eut lieu θέας
ούσης, pendant une fête, ce qui induit Dacier à traduire θƐωροūντι par
« au milieu d’une grande fête. »
Il est certain que θƐωρƐīν a
souvent le sens d’assister à une fête. Voy. les Récits merveilleux, § 31, et
Aristote, De la Mémoire, ch. i cf.
Rhétorique, I, 3. Sur le hasard considéré comme cause des événements, voyez
la Physique, II, 4 et suiv.
Chapitre X. §
Péripétie.] Ce mot, que notre langue a emprunté au grec, ne se rencontre pas chez les auteurs avant Aristote.
Chapitre XI. §
Le Lyncée.] C’est une pièce de Théodecte, comme on le voit plus bas, au chap. xviii. Lyncée, le seul des cinquante époux des Danaïdes qui eût été épargné par sa femme, en avait eu un fils nommé Abas. Cet enfant tomba aux mains de Danaïs, qui en prit occasion de poursuivre Lyncée devant les Argiens : il paraît que les Argiens finissaient par condamner à mort Danaüs au lieu de Lyncée. Voyez Hygin, Fables, 170, 244, 273, et le scholiaste sur l’Oreste d’Euripide, v. 872.
{p. 102}Destinés au bonheur ou au malheur.] Ὡρισμένων. Euripide, fragment de l’Antiope cité par Stobée, LXII, 41 :
Φεῦ φεῦ ! τὸ δοῦλον ὡς ἁπανταχῆ γένοςΠρὸς τὴν ἐλάσσω μοῖραν ὥρισεν θεός.
Qu’elle envoie.] Elle ne l’envoie pas, elle la remet à son frère. Quant à la première espèce de reconnaissance, dont Aristote ne donne pas d’exemple, on peut citer les Choéphores d’Eschyle, où Électre était déjà connue d’Oreste avant de le reconnaître.
L’événement terrible.] Πάθος (voy. le schol. sur l’Oreste d’Euripide,
v. 1) est pris ici dans un sens pour lequel la langue française ne
fournit pas d’équivalent. En italien, le Tasse a cru pouvoir traduire par
perturbazione (Discorso II, p. 54), ce qu’il
définit ainsi : « Perturbazione è una azione dolorosa e piena
d’affanno, come sono le morti, i tormenti, le ferite e l’altre cose di simil
maniera, le quali commovano i gridi e i lamenti delle personne
introdotte. »
Le dernier paragraphe de ce chapitre est rejeté par Ritter comme une interpolation.
Chapitre XII. §
Tout ce chapitre est condamné par Ritter : 1° parce qu’il interrompt les belles analyses d’Aristote sur l’action tragique 2° parce qu’il ne contient que des définitions sèches et superficielles 3° parce que les premières lignes et les dernières trahissent la main d’un interpolateur, qui veut faire l’important et rattacher de son mieux sa maigre science au texte du philosophe. — Voy. Waldæstel, Commentatio de tragœdiarum græcarum membris ex verbis Aristotelis recte constituendis (Neu-Brandenburg, 1837). — Comparez le grammairien anonyme, publié par Cramer, Anecdota Oxon., tome IV, p. 311 et suiv les vers de Tzetzès, publiés par le même, ibid., t. III, p. 334 et suiv., et réimprimés en partie par Meineke, à la suite des Fragments de la Comédie Ancienne. — Ne pouvant entrer, à propos de ce texte, dans une longue {p. 103}discussion sur les parties d’étendue de la tragédie grecque, je me borne à quelques rapprochements, et je renvoie, pour chacune des six parties, à des exemples pris dans l’Œdipe roi, celle de toutes les tragédies grecques qu’Aristote a citée avec le plus de prédilection. M. Waldæstel étend cette analyse aux autres tragédies de Sophocle et aux sept tragédies d’Eschyle.
Le prologue.] Il est évident qu’il ne s’agit pas ici du prologue explicatif, dont Euripide introduisit l’usage sur la scène grecque. Voy. le schol. d’Aristophane sur les Grenouilles, v. 1119 Thémistius, disc. xxvi Cramer, Anecd. Oxon., t. IV, p. 314. — Exemple : Sophocle, Œdipe roi, v. 1-150.
L’épisode.] Exemples : ibid., v. 216-462 513-862 911-1085 1110-1185. Est-il besoin de faire observer que ce mot n’a pas ici le même sens qu’au chapitre xxiv ? Au chap. iv, on peut, à la rigueur, entendre έπεισόδιον dans le sens de la présente définition d’Aristote. Sur les contradictions apparentes du style d’Aristote, l’Index de la grécité Aristotélique de Bonitz (Berlin, 1870) est fort utile à consulter.
L’exode.] Exemple : ibid., v. 1223 jusqu’à la fin.
L’entrée du chœur.] Exemple : ibid., v. 151-215.
La station.] Exemples : ibid., v. 463-512 863-910 1080-1109 1186-1222. La station ne renferme ni anapestes ni trochées, parce que ces vers sont surtout propres aux mouvements vifs et à la danse. Voyez la Rhétorique, III, 8.
Le commos.] Exemple : ibid., v. 649-697. Ce morceau est donc contenu dans le deuxième épisode, d’où il résulte que les parties en question ne sont pas précisément juxtaposées dans une tragédie, mais quelquefois interposées l’une dans l’autre. — Sur les chants du chœur, voy. aussi Problèmes, XIX, 15 et 48, p. 65, 66 de cette édition.
Chapitre XIII. §
Sur ces diverses formes de catastrophe tragique, où Aristote, par une omission que nous avons expliquée dans {p. 104}Essai sur l’Histoire de la Critique, p. 203 et suiv., ne mentionne même pas le rôle de la Fatalité, voyez Marmontel, au mot Catastrophe.
Les honnêtes gens.] Ἐπιειϰεῖς, moi défini dans la Morale Nicom., V, 14. Il est employé ici dans un sens général.
Mais odieux.] La Poétique de la Mesnardière, qu’on a rarement à louer, contient (p. 22 et suiv.) de bonnes observations sur la différence de l’horrible et du terrible dans la tragédie. Voyez aussi la Harpe (Analyse de la Poétique), qui relève avec raison l’excessive rigueur des règles données ici par Aristote.
Sentiment [d’humanité.] Φιλάνθρωπον. Voyez Morale Nicom., VIII, 1.
Qu’un homme très-méchant tombe du bonheur dans le malheur.] « Si
Corneille en avait cru Aristote, il se serait interdit le dénoûment de
Rodogune et, si nous en croyons Dacier, ce dénoûment est un des plus
mauvais, car il est d’une espèce inconnue aux anciens et rejetée par
Aristote. D’après la même théorie, toutes les pièces où le personnage
intéressant fait son malheur lui-même avec connaissance de cause seraient
bannies du théâtre et l’on n’aurait jamais pensé à y faire voir
l’homme victime de ses passions. Voilà comme une théorie exclusivement
attachée à la pratique des anciens veut réduire le génie à l’éternelle
servitude d’une étroite imitation. » (Marmontel, au mot Règles.)
Un homme qui nous ressemble.] Corneille et Dacier s’inquiètent beaucoup de ce
qu’Aristote paraît assimiler la condition des héros de tragédie à celle des
auditeurs. Toutefois Corneille observe que « les rois sont hommes comme
les auditeurs et tombent dans ces malheurs par l’emportement des passions
dont les auditeurs sont capables »
; et Dacier, que « le
poëte n’a pas en vue d’imiter les actions des rois, mais les actions des
hommes, et que c’est nous qu’il représente. Mutato nomine, de
te fabula narratur. »
Thyeste.] On compte jusqu’à six tragédies portant ce titre, qui sont aujourd’hui perdues Aristote cite, au chap. xvi, celle de Carcinus. Voyez Wagner, Fragments des Tragiques, dans la Bibliothèque Firmin Didot.
{p. 105}Simple.] Non pas tout à fait dans le même sens que plus haut,
chap. x. « Aristote appelle ici fable simple celle qui n’explique que les malheurs d’un
seul personnage et il appelle double celle qui a une double
catastrophe, qui est heureuse pour les bons et funeste pour les méchants,
comme dans l’Électre de Sophocle, où Oreste et Électre sont enfin heureux,
et où Égisthe et Clytemnestre périssent. » (Dacier.)
Comme veulent quelques-uns.] Remarquez ici une de ces allusions, très-rares dans la Poétique, aux auteurs qui avaient traité les mêmes questions avant Aristote.
Alcméon.] Sujet traité par Sophocle, Euripide, Astydamas, Théodecte, Nicomaque, Agathon et, sous forme de drame satyrique, par Achæus.
Oreste.] Sujet traité par Euripide, par Théodecte (Aristote, Rhétorique, II, 24), par Carcinus, et par un tragique de date inconnue, Timésithée.
Méléagre.] Sujet traité par Euripide, par Antiphon, et par Sosiphane, poëte de la pléiade tragique, contemporain d’Aristote.
Télèphe.] Sujet traité par Eschyle, Euripide, Agathon, Iophon, Cléophon et Moschion.
Euripide… le plus tragique des poëtes.] Quintilien, X, 1, § 67 :
« Euripides… in affectibus cum omnibus mirus, tum m iis qui in
miseratione constant facile præcipuus. »
La faiblesse des spectateurs.] Rhétorique, III, 1 : διὰ τὴν τῶν ἀϰροατῶν μοχθηρίαν. Cf. plus bas, chap. xvi. L’emploi de τὸ θέατρον pour οἱ θεαταί est fréquent et d’ailleurs bien naturel. Voyez Aristophane, Acharniens, v. 629 Chevaliers, v. 233, 508, 1318 Paix, v. 735, etc.
Il appartient plutôt à la comédie.] Surtout à la nouvelle comédie, car les
anciennes comédies finissaient quelquefois d’une manière assez tragique,
comme l’observe avec raison Ritter, rappelant les Babyloniens, les Détaliens
et les Nuées d’Aristophane. L’auteur d’un argument sur l’Oreste d’Euripide
remarque que cette pièce, ainsi que l’Alceste, a un dénoûment comique
il cite encore un exemple de Sophocle, et il ajoute : « En un mot,
il y a beaucoup d’exemples de ce genre dans la tragédie. »
Comparez
Villemain, Tableau du xviiie siècle,
IIIe partie, ve leçon.
Chapitre XIV. §
Dépend.] Politique, VII, 13 : Δεῖται χορηγίας τινὸς τὸ ζῆν ϰαλῶς. — Δεόμενόν ἐστι est ici pour δεῖται cf. Hérodote, III, 108 VI, 33 Pausanias, I, 14, § 5. Aristote, Métaphysique, IV, 7 : Οὐδὲν διαφέρει τὸ·Ἄνθρωπος ὑγιαίνων ἐστίν, ἢ τὸ Ἄνθρωπος ὑγιαίνει. C’est la figure appelée σχῆμα χαλϰιδιαϰόν par le grammairien Lesbonax (p. 179, à la suite d’Ammonius, éd. Valckenaër), et dont il cite pour exemples : Σωϰράιης ἀπολογούμενός ἐστι, et Homère, Iliade, V, v. 873 :
Αἰεὶ γὰρ ῥίγιστα θεοὶ τετληότες εἰμέν.
Cf. Eschyle, Euménides, v. 541 éd. Boissonade : Αἰδόμενός ιις ἔστω pour αἰδείσθω.
L’effrayant.] Τερατῶδες. Voyez plus haut, la troisième note sur le chapitre xiii.
Ne sont plus dans la tragédie.] Remarquer τραγῳδίᾳ, au lieu de τραγῳδίας, contre l’usage d’Aristote, qui est de construire ϰοινωνεῖν avec le génitif. Ici, c’est comme s’il eût dit : οὐδὲν ϰοινὸν. ou ὅμοιον τῇ τραγῳδίᾳ ἔχουσι. Cf. Platon, Politique, p. 304 A : ὅόη βασιλιϰῇ ϰοινωνοῦσα ῥητορεία et Lucien, De la Danse, chap. xxxiv : Μηδὲν ταῦτα τῇ νῦν ὂρχήσει ϰοινωνεῖ.
Voyons donc.] « Λάϐωμεν sanum esse vix credo. » (Ritter.)
On
trouvera pourtant des exemples de la même locution : Rhétorique, I, 2
fin, 4, 10 Politique, III, 9 IV, 12, 16 V, 2. (Düntzer,
Défense de la Poétique, note 96.)
Les anciens poëtes.] Оἱ παλαιοί. Le rhéteur Démétrius, Sur le Style, § 175, prétend que ce terme est plus noble que οἱ ἀρχαῖοι (voy. plus haut, p. 90). Probablement Aristote les emploie l’un et l’autre comme de simples synonymes.
L’Ulysse blessé.] Blessé, ou plutôt tué, dans un combat sur le rivage d’Ithaque, par Télégonus, le fils qu’il avait eu jadis de Circé. Voy. Hygin, Fable 127, et comparez le livre de {p. 107}Welcker, sur les Tragédies grecques considérées dans leur rapport avec le Cycle épique, t. I, p. 240. — Il reste deux fragments de cette pièce de Chérémon.
L’Antigone.] Aristote se tromperait en citant ici comme exemple la tragédie de Sophocle, où Hémon paraît tirer, en effet, l’épée contre son père, mais sans préméditation et sans que cet incident ait la moindre importance dans l’économie de la pièce. Peut-être Aristote pensait-il à l’Antigone d’Euripide, dont il ne nous reste que des fragments. Ce qui est certain, c’est qu’il a formellement cité ailleurs la pièce de Sophocle : Rhétorique, I, 13 et 15 III, 16 et 17.
Le Cresphonte.] Même sujet que la Mérope des modernes. Voy. Plutarque, De
l’Usage des viandes, II, 5 Hygin, Fables 137,
184. — Voltaire, Lettre à Maffei, en tête de sa Mérope :
« Aristote, cet esprit si étendu, si juste et si éclairé dans les
choses qui étaient alors à la portée de l’esprit humain, Aristote, dans sa
Poétique immortelle, ne balance pas à dire que la reconnaissance de Mérope
et de son fils était le moment le plus intéressant de toute la scène
grecque. Il donnait à ce coup de théâtre la préférence sur tous les autres.
Plutarque dit que les Grecs, ce peuple si sensible, frémissaient de crainte
que le vieillard qui devait arrêter le bras de Mérope n’arrivât pas assez
tôt. Cette pièce, qu’on jouait de son temps, et dont il nous reste très-peu
de fragments, lui paraissait la plus touchante de toutes les tragédies
d’Euripide. »
Comparez Lessing, Dramaturgie, p. 184, trad. fr. de
1785.
L’Hellé.] Comme on n’a aucun autre renseignement sur cette pièce, Valckenaër conjecture qu’il faut lire ici « l’Antiope », pièce d’Euripide dont il reste environ cinquante fragments. Mais, d’après le récit d’Hygin, Fable 8, ce n’est pas un fils d’Antiope qui va la livrer à la mort, mais ses deux fils, qui, la reconnaissant sur les indices d’un berger, viennent à son secours et la sauvent. Résignons-nous à ignorer l’auteur de cette pièce d’Hellé, dont le sujet, du reste, tenait à ceux du Phrixus, traité par Euripide, et de l’Athamas, traité par Sophocle et par Xénoclès.
Voilà pourquoi, etc.] « C’est pour cela que l’on a souvent {p. 108}dit que les tragédies ne mettent sur la scène qu’un petit nombre de
familles : car les poëtes qui cherchoient des actions de cette nature
en sont redevables à la fortune, et non pas à leur invention. Ainsi ils sont
contraints de revenir à ces mêmes familles où ces sortes d’événements se
sont passés. » (Trad. de Racine.)
Chapitre XV. §
Une femme peut être bonne, etc.] « Les poëtes, dans la peinture des
mœurs de la vieillesse, font reconnoître la foiblesse de l’âge, et celle du
sexe dans la peinture des mœurs des femmes : elles sont moins propres
que les hommes, soit à cause de la délicatesse des fibres, soit à cause de
la frivole éducation qu’on leur donne, à soutenir des inclinations fortes et
égales. C’est apparemment ce qu’a entendu Aristote quand il a dit dans sa
Poétique que
L. Racine
paraît avoir deviné ce qu’Aristote lui-même écrit dans un passage de ses
Problèmes (XXIX, 11) où il appelle la femme un être inférieur (πολὺ ἦττον)
et plus faible (ἀσθενέστερον) que l’homme. Cf. Morale Nicom., VIII, 13, où
il fonde sur des considérations analogues la supériorité de l’homme dans le
mariage. Voy. encore : Hist. des Animaux, IX, 1 Politique, 1, 2
et 6 Économique, 1, 3 Rhétorique, II, 23. Du reste, la pensée
d’Aristote sur ce sujet n’est guère que celle de presque toute l’antiquité
païenne voyez Strabon, Géographie, III, 4, § 18 Philon le
Juif, Sur l’Immutabilité de Dieu, ch. xxv. On sait
de quelle manière Périclès s’adresse aux femmes d’Athènes dans l’oraison
funèbre que lui prête Thucydide (II, 45), et, huit siècles plus tard, le
rhéteur Ménandre, donnant des règles sur la manière de consoler dans une
oraison funèbre, dit qu’il faut parler différemment aux hommes, aux enfants
et aux fem {p. 109}mes, et que, pour ces dernières, il faut avoir soin
d’abord « les femmes sont communément plus mauvaises que les
hommes »
. Il n’y a pas d’apparence qu’un aussi grand philosophe ait voulu
dire qu’elles sont communément plus vicieuses que vertueuses. » (L.
Racine, Réflexions sur la poésie, p. 203, éd. 1747.)« de relever un peu leur personnage par des éloges »
, ἵνα
μὴ πρὸς φαῦλον ϰαὶ εὐτελὲς διαλέγεσθαι δοϰῇς πρόσωπον
(Περὶ Ἐπιδειϰτιϰῶν, chap. ii, t. IX, p. 294 des Rhetores græci de Walz).
Il faut bien distinguer ces jugements sérieux des plaisanteries comiques
dont la tradition s’est perpétuée depuis le vieux poëte Simonide d’Amorgos
(poëme Sur les Femmes, dans les Lyrici varii de la collection de Boissonade,
et dans les Lyrici græci de Bergk) et l’école d’Aristophane jusqu’à Molière,
en passant par Érasme (Éloge de la Folie, chap. vii,
p. 33, éd. 1777, dont Molière semblait se souvenir en écrivant les
vers, passés en proverbe, du Dépit amoureux, acte IV, scène ii). Surtout il ne faut pas croire que les philosophes anciens
aient toujours, et en tout point, méconnu la dignité morale de la femme.
Aristote, à lui seul, nous offre beaucoup de belles observations sur ce
sujet par exemple, dans sa Morale à Nicomaque, VIII, 9, une admirable
analyse de l’amour maternel. Xénophon, dans le dialogue socratique intitulé
l’Économique, nous représente avec une délicatesse charmante le rôle de la
femme dans le ménage d’un riche campagnard Athénien.
La convenance.] Même précepte dans Horace, Art Poétique, v. 114 et suiv. On a souvent induit de ces ressemblances, qu’Horace lisait et imitait l’ouvrage d’Aristote rien n’est moins démontré. La plupart des imitations d’Horace portent sur des préceptes qui devaient se trouver à peu près dans toutes les Poétiques. D’ailleurs, un scholiaste du poëte latin, Porphyrion, nous apprend qu’il avait surtout puisé dans la Poétique de Néoptolème de Parium.
L’Oreste d’Euripide.] L’auteur de l’Argument grec sur cette pièce, la déclare δρᾶμα τῶν ἐπὶ σϰηνῆς εὐδοϰιμούντων, χείριστον δὲ τοῖς ἤθεσιν πλὴν γὰρ Πυλάδου πάντες φαῦλοι ἦσαν.
Scylla.] Voyez Welcker, livre cité, p. 527.
Ménalippe.] Voyez ibid., p. 846.
Iphigénie à Aulis.] Voy. v. 1200 et suiv., puis v. 1398 et suiv.,
1530 et suiv. — Ici, comme dans son immortelle tragédie, Racine
traduit ἐν Α ὐλίδι par « en Aulide ». De {p. 110}Norville
avait déjà traduit, avec plus d’exactitude, « à Aulis ». Il s’agit
en effet d’une ville, non d’un pays. — « Aristote, et
d’autres après lui (L. Racine, A. W. Schlegel, etc.), ont blâmé comme une
inconséquence de caractère ce passage de la faiblesse à l’héroïsme. Malgré
l’autorité d’un tel critique et de ceux qui l’ont suivi, je crois que ces
mouvements d’une âme qui cède d’abord à la douleur et se roidit ensuite
contre elle, sont conformes à la nature, conformes à l’esprit du théâtre
grec, qui en avait fait le sujet et la leçon de la tragédie. »
(M.
Patin, Études sur les Tragiques grecs, t. II, p. 301, Examen de
l’Iphigénie à Aulis.) Comparez la Harpe, Analyse de la Poétique.
Dans la Médée.] L’auteur d’un argument grec de cette pièce, qui contient des observations intéressantes, cite Aristote ἐν ϓπομνήμασι. C’est la troisième fois que nous remarquons ces rapports entre les Arguments des pièces grecques et des textes d’Aristote ils indiquent évidemment des emprunts, mais des emprunts dont on ne peut aujourd’hui apprécier l’étendue et l’importance.
Le départ proposé par Agamemnon.] Voyez la note d’Alexandre d’Aphrodise sur les Réfutations sophistiques, ch. iv, où Aristote fait allusion au même texte d’Homère.
Comme des modèles, etc.] « Ainsi, le poëte, en représentant un homme
colère ou un homme patient, ou de quelque autre caractère que ce puisse
être, doit non-seulement les représenter tels qu’ils étaient, mais il les
doit représenter dans un tel degré d’excellence, qu’ils puissent servir de
modèle ou de colère, ou de douceur ou d’autre chose. »
(Trad. de
Racine.) — « « Ce qui est rare et parfait en son espèce, ne
peut manquer d’attirer l’attention. Ainsi, il faut toujours peindre les
caractères dans un degré élevé, rien de médiocre, ni vertus, ni vices…. Les
vices ont aussi leur perfection. Un demi-tyran serait indigne d’être
regardé mais l’ambition, la cruauté, la perfidie, poussées à leur
plus haut point, deviennent de grands objets. La tragédie demande encore
qu’on les rende, autant qu’il est possible, de beaux objets. Il y a un art
d’embellir les vices et de leur donner un air de {p. 111}noblesse et
d’élévation. »
(Fontenelle, Réflexions sur la Poétique, §xvi, xvii.) Le texte est ici très-douteux.
De rudesse.] Σϰληρότητος. Twining propose ingénieusement, mais sans nécessité, de lire ici ἁπλότητος, et il compare avec ce passage la Rhétorique, I, 9, et le vers 926 (917, éd. Boissonade) de l’Iphigénie à Aulis. Cf. Iliade, IX, 308.
Voilà ce qu’il faut, etc.] « Le poëte doit observer toutes ces choses et
prendre garde surtout de ne rien faire qui choque les sens qui jugent de la
poésie, c’est-à-dire les oreilles et les yeux : car il y a plusieurs
manières de les choquer, j’en ai parlé dans d’autres discours où je traite
de cette matière. »
(Trad. de Racine.) C’est aussi le sens adopté par
Dacier, qui rapproche de ce passage Horace, Art poétique, v. 179 et
suiv.
Résultant.] Παρά marque quelquefois la cause. Voy. Matthiæ, Gramm. gr., § 588. Hermann lit περί, et il pense qu’il s’agit de la danse et de la musique.
Ouvrages déjà publiés.] Ἐϰδεδομένοις. Expression consacrée en ce sens : Isocrate, A Philippe, § 35, et Sur l’Antidose, § 5 Philodème, Rhétorique, iv, col. 33, éd. Gros. Cf. Stahr, Aristotelia, ii, p. 238 et 263. Mais on ne sait pas à quel ouvrage se rapporte cette allusion.
Chapitre XVI §
La lance, etc.] Fait rapporté aussi par Dion Chrysostome, Discours iv, t. I, p. 149, éd. Reiske, et par d’autres auteurs anciens.
Les étoiles.] Ἀστέρας est peut-être une faute de copiste car Julien (Discours ii, p. 81 C) et d’autres auteurs attestent que le signe naturel qui distinguait les. Pélopides était une épaule d’ivoire. Voyez Pindare, Olympique, I, v. 27.
La petite barque.] C’est la barque ou le petit berceau dans lequel les deux enfants de Tyro avaient été exposés par leur mère. Voy. Odyssée, XI, 235 Apollodore, Bibliothèque, I, 9, § 8. Cf. Welcker, livre cité, I, p. 313 et les Fragments de {p. 112}Sophocle, réunis et commentés par M. Ahrens dans la Bibliothèque Firmin Didot, p. 315.
Peu d’art.] Un manuscrit donne ἕντεχνοι. Mais ἄτβχνοι, qui est mieux autorisé, ne peut-il pas se défendre, si on établit la suite des idées comme nous avons fait dans la traduction ? Dacier s’y résigne Batteux, d’après d’anciennes éditions, lit οὺϰ ἄτεχνοι, en s’appuyant sur un passage de la Rhétorique, 1, 2, qui ne me paraît rien prouver en faveur de cette leçon.
Le Térée.] Térée est le mari de Procné et le beau-frère de Philomèle la navette qui parle est celle dont Philomèle, privée de la langue par un crime de Térée, se sert pour broder les caractères qui révéleront le crime à sa sœur Procné. Voyez Ovide, Métamorphoses, VI, 575 Welcker, livre cité, I, p. 379 Ahrens, livre cité, p. 341.
Les Cypriens.] Même sujet, selon Welcker, que l’Eurysacès de Sophocle : retour de Teucer à Salamine après la mort de son père Télamon, qui l’en avait exilé on suppose que rentrant, sous un costume étranger, dans le palais de ses pères, il se trahit par ses larmes devant un tableau qui représentait Télamon. (Virgile a imité ce trait dans le ier livre de l’Énéide.) Le chœur se composait sans doute de Cypriens, compagnons de Teucer. Voy. Ahrens, livre cité, p. 285.
Le Tydée et les fils de Phinée.] On ne sait rien de plus sur ces deux pièces que ce que nous en apprend Aristote. Il existait une pièce, probablement toute lyrique, de Timothée, sous le titre de Φινεῖδαι (Suidas).
C’est là que leur destin les attend.] C’est à peu près de même que l’Œdipe de Sophocle reconnaît, en arrivant dans le bourg de
Colone, ce qu’il appelle « le mot d’ordre de sa destinée »
,
ξυμφορᾶς ξύνθηιμ’ ἐμῆς (v. 47).
L’Ulysse Faux-Messager.] On ne sait rien de plus sur cette pièce, dont l’auteur même est inconnu. Græfenhan suppose que ce pourrait bien être le Philoctète de Sophocle, cité sous un second titre, et il renvoie surtout aux vers 52, 68, 77, 104, 250, 261, 568.
Qu’Iphigénie veuille adresser une lettre.] Ἐπιθεῖναι. Exemple unique peut-être en ce sens je ne trouve {p. 113}ailleurs que la forme moyenne de ce verbe : Hérodote, I, 111 III, 63 Athénée, IX, p. 465 D, cités par H. Estienne.
De toutes les obscurités qu’offre ce chapitre, des jugements que l’auteur y porte, et de la place qu’il occupe dans les développements relatifs à la tragédie, Ritter conclut qu’il n’est pas d’Aristote. Je ne relève pas toutes les décisions de ce genre que porte si facilement le même éditeur.
Chapitre XVII. §
Se mettre à la place du spectateur.] Comparez la Rhétorique, III, 10, 11. — Dans le même ouvrage, II, 8, on retrouve le verbe συναπεργάζεσθαι, construit avec σχήμασι ϰαὶ φωναῖς ϰαὶ ἐσθῆτι.
Ce qui aurait le défaut contraire.] « Jusqu’aux moindres contrariétés,
qui pourroient nous être échappées. »
(Dacier.) Cette traduction offre
un excellent sens mais ne suppose-t-elle pas ἀλλἡλοις après
ὑπεναντία ? J’avoue cependant que ce dernier mot est employé seul et
dans ce sens absolu au chap. xxv.
Se placer dans la situation des personnages.] Dacier : « Que le
poëte en composant imite les gestes et l’action de ceux qu’il fait
parler. »
Batteux : « Que le poëte soit acteur en
composant. »
La sympathie, etc.] Même observation dans la Rhétorique, III, 7 cf. Physiognomonica, chap. iv Horace, Art poétique, v. 101-113 etc.
Nature facile.] Sur l’εὐφυἰα. Voy. Morale Nicom., III, 7 Topiques, VIII, 14.
Nature ardente.] Ἐϰστατιϰοί, leçon qui répond bien à μανιϰοῦ et que confirme un texte des Problèmes, livre XXX, chap. i. Bekker a conservé ὲξεταστιϰοί, qui paraît être dans tous les manuscrits sauf un, où Vettori avait lu ἐϰστατιϰοί.
« « L’heureux don d’être affecté fortement par les objets, et de pouvoir
reproduire leur image absente ou évanouie, {p. 114}est le fond même de
l’imagination. La puissance de modifier ces images pour en former de
nouvelles, est encore indispensable sans quoi l’imagination serait
captive dans le cercle de la mémoire elle ne serait qu’une mémoire
imaginative, comme on l’a dit, tandis qu’elle doit disposer à son gré du
passé, du réel et du possible. Tout cela est beaucoup sans doute, et
pourtant ce n’est point assez si le cœur ne s’y ajoute, l’œuvre
demeure imparfaite : le feu sacré n’y est pas. Suffisait-il à Corneille
d’avoir lu Tite-Live, de s’en représenter vivement plusieurs scènes, d’en
saisir les traits principaux et de les combiner heureusement pour faire la
tragédie des Horaces ? Il lui fallait en outre le sentiment, l’amour du
beau il lui fallait ce grand cœur d’où est sorti le mot du vieil
Horace. »
(V. Cousin, Cours d’Hist. de la Philos. mod., 1re série, t. II, leçon xiie.)
Polyidus.] C’est le sophiste poëte dont il a été question au chap. précédent. Diodore de Sicile, XIV, 46, le fait fleurir dans la XCVe olympiade, et nous apprend qu’il était en outre peintre et musicien.
Les épisodes.] D’Aubignac, Pratique du théâtre, III, 2, commente et discute les préceptes d’Aristote sur ce sujet. La Poétique de la Mesnardière, chap. v, mérite aussi d’être comparée avec ce chapitre.
Chapitre XVIII. §
Le Lyncée.] Voyez plus haut, chap. x.
Il y a quatre caractères, etc.] « Dacier, dit Batteux, regarde cet
endroit comme le plus difficile peut-être de toute la
Poétique. Ce qui le lui a rendu si difficile est le parti qu’il a
pris d’entendre ici par μέρη les parties de quantité d’une tragédie, et par
εἴδη les parties de qualité, ce qui effectivement n’est guère intelligible….
Μἐρος signifie quelquefois les parties du genre ou l’espèce :
Métaphysique, IV, 25 : τὰ εἴδη τοῦ γένους φασὶν ἐἶναι μόρια. »
Batteux, dans cette note, suit Vettori. p. 176, qui rappelle aussi le
sens {p. 115}qu’a le mot μέρος un peu plus bas dans ce même
chapitre.
Les Ajax.] Sujet traité par Eschyle, par Sophocle, par Astydamas, par Théodecte. Voyez dans les Opuscules de Hermann, vol. VII, la dissertation De Æschyli tragœdiis fata Ajacis et Teucri complexis.
Les Ixion.] Sujet traité par Eschyle, par Sophocle, par Euripide et par Timésithée.
Les Phthiotides et le Pélée]. Deux tragédies de Sophocle.
Simple et une.] Le texte peut être complété de deux façons : 1° nous avons traduit d’après la leçon de Hermann et de Græfenhan : ὁμαλὁν Batteux avait lu ce mot dans un manuscrit de Paris — 2° Vahlen (1874) lit τερατῶδες au lieu de τέταρτον. Scaliger (Poétique, VII, 1, § 4) conjecturait déjà, d’après les titres de tragédies cités ensuite par Aristote, qu’il rangeait dans son quatrième genre les pièces dont les personnages et l’action ont quelque chose de surhumain.
Les Phorcides.] Tragédies dont l’auteur est inconnu. Voy. Eschyle, Prométhée, v. 793-797, et Sophocle, fragment 254 éd. Ahrens Welcker, Trilogie d’Eschyle, p. 381.
De l’enfer.] Protagoras, au témoignage de Diogène Laërce, IX, 55, avait composé un livre περὶ τῶν ἐν ᾍδου. Photius, Cod. 161, parlant des sujets compris dans la compilation du sophiste Sopater : περὶ θεῶν…. ϰαὶ περὶ τῶν ἡρώων ϰαὶ περὶ ιῶν ἐν ᾍδου (περιείληφε). Cf. Polybe, VI, 56, à propos de la religion des Romains.
La prise de Troie.] Ἰλίου πέρỡις, tel est le titre de quatre tragédies perdues, d’Agathon, d’Iophon, de Cléophon et de Nicomaque. — Ce qui suit dans le texte est fort obscur. Ἢ Mήδειαν, qui ne se trouve dans aucun manuscrit, a été inséré par les premiers éditeurs après Νιόϐην. Hermann propose de lire ici le nom de Sophocle au lieu de celui d’Euripide, parce qu’on ne trouve aucune autre trace d’une Niobé d’Euripide, tandis qu’il y a des fragments de celle de Sophocle et de celle d’Eschyle (Opuscules, vol. III, p. 38). — Quant à l’observation qui concerne ce dernier poëte, je l’ai tradulte dans le sens d’une allusion critique à la trilogie. Aristote a pu blâmer ces sortes de compositions, dont il y a {p. 116}plusieurs exemples dans le théâtre d’Eschyle, où un seul sujet était traité en trois tragédies destinées au même concours (voy. plus haut, sur le chap. iv). C’étaient en effet comme de longues tragédies en trois actes. — Voy. sur la trilogie de Niobé les Fragments d’Eschyle, p. 218, éd. Ahrens. Tyrwhitt, suivi par Hermann, avait changé Νιόϐην en Ἑϰάϐην..
Agathon.] Les deux vers de ce poëte sont cités textuellement dans la Rhétorique, II, 24.
Le chœur.] Cf. Horace, Art poétique, v. 193 et suiv., et nos extraits des Problèmes, xlviii.
Chez les autres, les chœurs, etc.] Τὰ διδόμενα, leçon des manuscrits, peut à la rigueur s’expliquer. Mais la correction déjà ancienne que nous adoptons, va beaucoup mieux au sens elle est d’ailleurs très-facile à justifier par la ressemblance de AI et de ΔI dans l’écriture onciale. Voyez Bast, Commentatio palæographica, p. 719.
Chapitre XIX. §
A amplifier ou à diminuer.] Voy. la Rhétorique, II, 26.
La représentation.] Διδασχαλίας. Voy. parmi les Opuscules latins de Boettiger, p. 284 : Quid sit docere fabulam.
Les figures.] Voy. la Rhétorique, II, 24 III, 8 et 10, et remarquez que l’auteur n’entend pas ici σχήματα τῆς λέξεως précisément dans le sens que les rhéteurs ont consacré plus tard pour les figures de pensée, mais dans un sens plus général, à peu près comme Denys d’Halicarnasse (Sur Thucydide, chap. xxiii) dit : σχηματίζειν τὰς λέξεις.
L’ordonnateur de cette partie du spectacle.] Voy. dans la Politique, III, 11, et VII, 3, des exemples du mot ἀρχιτεϰτονιϰός employé dans de sens général, ainsi que ἀρχιτέϰτων. Cf. Grande Morale, II, 7 : ἔχειν γραμματιϰήν, et Métaphysique, IV, 23.
Protagoras.] Critique relevée aussi par le scholiaste de Venise et par Eustathe, sur le 1er vers de l’Iliade.
Chapitre XX. §
Ammonius, dans son commentaire sur le Traité d’Aristote περὶ Ἑρμηνείας, renvoie à ce chapitre de la Poétique, pour en tirer d’ailleurs des conclusions subtiles et fausses.
L’objet de notre travail sur la Poétique étant plus spécialement littéraire que grammatical, nous bornerons nos remarques sur ce chapitre et sur le suivant aux éclaircissements les plus indispensables pour la lecture du texte, et à quelques indications qui pourront guider le lecteur curieux de plus amples notions. C’est dans une histoire de la Grammaire qu’il convient de relever et de discuter en détail tant d’assertions, souvent obscures, et qui témoignent de l’état d’enfance où était encore, au temps d’Aristote, la théorie du langage. On pourra consulter sur ce sujet notre Apollonius Dyscole, Essai sur l’Histoire des Théories grammaticales dans l’antiquité, et les ouvrages cités dans les notes sur le chap. vii, § 1, des Notions élémentaires de Grammaire comparée (7e édit., 1874).
L’élément.] Στοιχεῖον est ordinairement opposé à γρᾶμμα chez les grammairiens, comme l’élément vocal à son signe écrit. Voy. Aristote : Métaphysique, III, 3, V, 3, VII, 10 De l’Ame, II, 5 Topiques, IV, 5 VI, 5 cf. Sextus Empiricus, Contre les grammairiens, chap. v.
Sans articulation.] « Sans le secours d’aucune autre lettre. »
(Dacier.)
Mais il est facile de voir que ce sens ne s’accommode pas avec ce
qui suit. Toutefois je m’étonne de ne trouver dans les grammairiens aucun
autre exemple de προσϐολη avec le sens d’articulation.
Les formes que prend la bouche.] Voy. un commentaire de cette expression dans Denys d’Halicarnasse, De l’Arrangement des mots, chap. xiv.
Entre les deux.] Cf. Rhétorique, III, 1 Réfut. sophistiques, chap. xxi Topiques, I, 15. On pense généralement qu’Aristote a voulu parler ici de l’accent circonflexe. Voy. le traité d’Accentuation grecque que j’ai publié avec {p. 118}M. Ch. Galusky, p. 4. Alexandre d’Aphrodise, dans son commentaire sur les Réfutations sophistiques, chap. iv, à propos de la leçon τὸ μὲν οὐ ϰαταπύθεται ὄμϐρῳ, dans un vers d’Homère discuté ci-dessous, chap. xxv de la Poétique, prétend que par βαρβῖα Aristote entend la périspomène. Cela est peu probable. Voy. notre ouvrage sur Apollonius Dyscole, ch. viii, § 1. Alexandre est réfuté au moins par le passage des Topiques, I, 15, où Aristote oppose comme ἐναντία l’ὀξύ au βαρύ.
Gr sans a n’est pas une syllabe.] Dans plusieurs mss. et éditions οὐϰ ἔστι manque et ἀλλά est remplacé par ϰαί, leçon qui peut à la rigueur s’entendre, et qui semble même répondre au texte suivant de la Métaphysique, XIV, 6. Ἐϰεὶ ϰαὶ το Ξ Ψ Ζ συμφωνίας φασίν εἶναι ϰαὶ ὅτι ἐϰεῖναι τμρῖς ϰαὶ ταῦτα τρία • ὅτι δὲ μύρια ἂν εἴη τοιαῦτα οὐδὲν μέλει • τὸ γἀρ Γ ϰαί P (c’est-à-dire gr) είη ἂν ἕν σημεῖον. En effet Aristote admet lui-même plus haut que les semi-voyelles comme s et r ont par elles-mêmes un son articulé et sensible.
La conjonction.] Voy. surtout Aristote, Rhétorique, III, 5 et 12 Problèmes, XIX, 20, p. 64 de cette édition Denys le Thrace, ch. xxv, avec ses commentateurs, et le traité spécial d’Apollonius, dans les Anecdota græca de Bekker, t. II.
Aux extrémités.] Τὸ ἄϰρα. De même : Analytiques prem., I, 4 Métaphysique, X, 12.
Le nom.] Voy. Aristote, Du Langage, chap. ii et iii, et le ch. xxi de la Poétique.
Dans Théodore, dore n’a pas de sens.] Singulière observation, qui prouve combien s’était affaibli, sinon effacé, le sens des terminaisons dans les mots composés. On trouve chez Aristote des observations semblables dans le traité Du Langage, chap. ii et iv. Voyez sur la finale δωρος dans les mots doubles de ce genre, les ingénieuses observations de Letronne sur les Noms propres grecs (Paris, 1846), IIe partie.
Il marche.] Exemple familier à Aristote. Voy. : Rhétorique, III, 2 Réfut. sophistiques, chap. xxii Métaph. IV, 7 etc. Il en est de même du nom propre Cléon, cité plus bas. Voyez : Rhétorique, II, 2 III, 5 Réfut. sophistiques, {p. 119}chap. xxxii Métaph. VI, 15 IX, 5 etc. (exemples réunis par Düntzer).
Le temps présent, le passé.] Voyez : Rhétorique, I, 3 Topiques, II, 4.
Le cas.] Πτῶσις. Lettre anonyme dans les Anecdota Oxon. de Cramer, tome III, p. 194 : Τοὺς τοιούτους ὀνομάτων μετασχηματισμοὺς πτώσεις εἴωθε ϰαλεῖν ὁ Ἀριστοτέλης, ἀλλὰ ϰαὶ ὁ (τὸ ?) ἀνεψιὸς ϰαὶ ὁ αὑτανεψιός χαὶ ὁ υίδοὺς ϰαὶ ὁ ἀδελφιδούς. Cf. Denys le Thrace, chap. xiv et xv, et le commentaire.
L’oraison est une.] Rhétorique, III, 9 : λέξις εἰρομένη ϰαὶ συνδέσμω μία cf. III, 12. C’est exactement la doctrine qu’on retrouve dans le traité Du Langage, et que commente Ammonius dans un passage d’où Ritter conclut à tort contre l’authenticité de ce chapitre. — La comparaison de l’Iliade avec la définition de l’homme est aussi un exemple familier à Aristote voir Analytiques post. II, 7, 10 cf. Métaphysique, VI, 12 Topiques, I, 4.
L. Lersch, dans son livre intitulé Sprachphilosophie der Alten (1840), t. II, p. 256-280, a défendu contre les critiques de Ritter l’authenticité de ce chapitre.
Chapitre XXI. §
Emphatiques.] Nous adoptons la correction de Vahlen, bien que μεγαλεῖον n’ait nulle part le sens qu’il lui attribue ici. Ce sens pourrait d’ailleurs être tiré de la leçon des mss., μεγαλειωτῶν, en supposant un verbe μεγαλειόω, dérivé de μεγαλεῖος comme τελειόω dérive de τελεῐος, et dont μεγαλειωτός serait un adjectif verbal. — L’exemple renferme les noms des trois fleuves, Hermos, Caïcos et Xanthos. Cf. Ad. Regnier, De la formation et de la composition des mots dans la langue grecque (Paris, 1840), § 290-295.
D’ornement.] On s’étonne de ne rien trouver sur cette figure dans le reste du chapitre. Néanmoins, ϰόσμος, que Ritter suppose être une glose marginale, est assez justifié par deux passages du chap. xxii et par deux autres de la Rhétorique, III, 2 et 7.
Propre.] Cf. Longin, Du Sublime, chap. xxxiii, sur la {p. 120}ϰυριολογία, et l’opuscule d’Hérodien περὶ Ἀϰυρολογίας publié par Boissonade, Anecdota græca, vol. III, p. 262-270.
Sigynon.] Voy. sur ce mot : Hérodote, V, 9 Hésychius, et le Grand Étymologique.
La métaphore.] Comparez la Rhétorique, III, 2, 3, 10. On voit que ce mot avait, au temps d’Aristote, un sens plus général que celui que les rhéteurs lui ont donné dans la suite. Cf. Cicéron, De l’Orateur, III, 38.
Par proportion.] Voy. la Rhétorique, III, 4 et 11, où se retrouve le même exemple.
La coupe de Mars.] Expression qu’on trouvait dans le poëte Timothée. Voyez Athénée, X, p. 433 C.
Le coucher de la vie.] Expressions semblables dans : Platon, Lois, VI, p. 767 C Eschyle, Agamemnon, 1132 (1123) Alexis, cité par Stobée, CXVI, 19.
N’a pas d’analogue corrélatif.] Κείμενον. De même, Topiques, VI, 2 : ϰείμενα ὀνόματα. Dans ses morales, Aristote remarque souvent que tel ou tel caractère n’est désigné par aucun mot en usage, et qu’il est, par conséquent, ἀνώνυμος.
Semant la lumière.] Cf. Lucrèce, II, 211 : Sol lumine conserit arva.
La coupe sans vin.] Ἀλλ’ ἄοινον, conjecture de Vettori, adoptée par Batteux, par Hermann et Ritter, et par l’éditeur des œuvres d’Aristote dans la bibliothèque Firmin Didot. Bekker a maintenu la leçon des manuscrits, ἀλλ’ οἴνου, qu’il est bien difficile de justifier.
Le mot forgé.] Sur l’ὀνοματοποιἱα, voy. les Topiques, VI, 2 VIII, 2. Aristote a lui-même créé quelques mots, comme les adjectifs ἐϰείνινος (Métaph., VI, 7 VII, 7) et φιλοτοιοῦτος (Morale Niccm., 1, 8), et le célèbre substantif ἐντελέχεια.
Mots raccourcis.] Voyez Strabon, VIII, p. 364, qui donne plusieurs autres exemples de ce genre.
Neutres.] Τὰ μεταξύ. Le mot οὐδέτερος, dans ce sens, est d’un usage plus récent. Voy. Denys le Thrace, chap. xiv. Protagoras désignait les noms neutres par σϰεύη.
Qui finissent par ν, ρ, σ.] Καί Σ manquent dans plusieurs manuscrits. Mais cette addition est nécessaire au sens de la remarque suivante sur ψ et ξ. Les manuscrits et les éditions {p. 121}qui omettent ϰαί portent en outre ἐϰ τούτων ou ἐϰ τούτου ἀφώνων, ce qui augmente la difficulté de ce passage. Cf., sur les lettres doubles, le dernier chapitre de la Métaphysique, cité plus haut, p. 115.
Qui peuvent s’allonger comme a.] Le grec est ici d’une concision difficile à justifier, mais, heureusement, assez facile à comprendre. La phrase complète serait : ϰαὶ ὅσα εἰς τῶν ἐπεϰτεινομένων τι, οἶον εἰς A.
Trois en ι.] Athénée, II, p. 66 F, en reconnaît un quatrième, ϰῦφι ou ϰοῖφι, mais qu’il déclare être d’origine étrangère, comme πέπερι et ϰόμμι. Σίνηлι ou Σίναлι est dans le même cas.
Cinq en υ.] Ajouter σίναπυ, variante de σίναπι, blâmée par les puristes de l’antiquité (Athénée, IX, p. 366 D). Νάлυ (non νᾶπυ) est l’accentuation prescrite par Arcadius, p. 118, 25.
Chapitre XXII. §
D’être claire.] Même précepte dans la Rhétorique, III, 2. Cf. la Rhétorique à Alexandre, chap. xxv Aristide, Rhétorique I, 10, t. IX, p. 393, des Rhéteurs grecs de Walz.
Cléophon.] Déjà cité plus haut, chap. ii.
Sthénélus.] Mauvais poëte tragique qui était joué dans le Gérytadès d’Aristophane. Voy. le scholiaste sur les Guêpes, au v. 1312 Athénée, IX, p. 367 B X, p. 428 A.
De termes étrangers.] Voyez Quintilien, VIII, 3, § 59.
Une énigme.] Longin, dans les Fragments de sa Rhétorique, § 2, fait la même remarque, en s’appuyant de l’autorité d’Aristote. Avait-il en vue ce passage de la Poétique, ou bien la Rhétorique, III, 2 ? (cf. II, 21). Voyez ma note sur le passage cité de Longin.
Par la composition des mots.] Ὀνομάτων σύνθεσις a-t-il ici le même sens que dans le traité de Denys d’Halicarnasse Ὀνομάτων συνθέσεως, ou celui de formation des mots composes ? Ce second sens est plus probable, parce qu’il ressemble moins que l’autre à une naïveté mais alors Aristote ne {p. 122}s’accorde pas avec d’autres auteurs anciens, qui reconnaissent que le griphe, espèce d’énigme, peut consister en un seul mot composé. Voy. Athénée, X, p. 448, et comparez Démétrius, Sur le Style, § xcii.
J’ai vu, etc.] Exemple rappelé dans la Rhétorique, III, 2, et cité avec un vers de plus dans Athénée, X, p. 452 C. Comparez Celse, De Medicina, II, 11.
Le barbarisme.] Voy. les opuscules περὶ Σχημάτων publiés par Valckenaër à la suite de son édition des Synonymes grecs d’Ammonius, p. 184-204 les deux petits traités sur le Barbarisme et le Solécisme, publiés par Boissonade, Anecdota græca, vol. III, p. 229-240 et les Anecdota de Bekker, p. 1270.
Comme un mélange.] Κɛϰρᾶσθαɩ. Cf. Denys d’Halic, Sur Démosthène, chap. iii : Κέϰραταɩ γὰρ ɛὖ πως (ἡ λέξɩς) ϰαὶ αὐτò τò χρήσɩμον ɛἰληφɛν ἑϰατέρας δυνάμɛως. — Des manuscrits portent ϰɛϰρίσθαɩ. Le choix ne peut être douteux entre ces deux variantes. Toutefois, il ne faut pas confondre le style que caractérise ici Aristote avec ce que les rhéteurs ont appelé plus tard ϰɛϰραμένη διάλɛϰτο, qui n’est autre que le genre tempéré. Voy. Denys d’Halic., livre cité, et Jugement sur les philosophes : Οὐδὲ παραλɛίπουσι τὴν σαφὴνɛɩαν, ἀλλὰ ϰɛϰραμένῃ τῇ δɩαλέϰτῳ χρώμɛνοɩ.
Les ornements.] Voyez plus haut, p. 115 et comparez Quintilien, VIII, 3, § 61.
Euclide l’ancien.] C’est peut-être le célèbre Euclide, chef de l’École de Mégare, qui paraît avoir eu peu de goût pour la poésie, et dont Diogène Laërce (II, 109) atteste les dissentiments avec Aristote. Cependant ἰαμϐυποιήσας, pour ϰωμωδήσας, indiquerait plutôt un poëte comique qu’un philosophe. En effet, un Euclide, poëte comique, paraît être cité deux fois dans Pollux. Voyez Meineke, Hist. crit., p. 269.
Quand j’ai vu, etc.] Je suis une conjecture de Duntzer, note 175 de sa Défense de la Poétique. Le même savant (note 176) propose de lire au vers suivant : ϰεράμενος, en faisant la première syllabe longue en faisant de ἐλλέϐορον quatre longues, on aura ainsi un mauvais hexamètre, plein des ὲϰτάσεις dont se moquait Euclide. Sur les licences {p. 123}analogues dans la versification française, voyez le traité de M. L. Quicherat, livre I, chap. viii.
Dans un vers.] Sur ce sens général du mot ἔπος, voir le scholiaste de Denys le Thrace, p. 751, et le scholiaste d’Aristophane, sur les Fêtes de Cérès, v. 412.
Eschyle et Euripide.] Dans leurs Philoctète. Voy. Dion Chrysostome, Disc. LII, LIII, sur les trois Philoctète d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide et la dissertation spéciale de Hermann, t. III de ses Opuscules. — Dans le vers d’Eschyle, on ne peut guère hésiter à lire avec Hermann φαγέδαιναν à l’accusatif, au lieu de φαγέδαινα que donnent les manuscrits, cette correction complétant si facilement un vers iambique.
Ariphradès.] Personnage inconnu d’ailleurs.
Les mots doubles conviennent, etc.] Observations analogues dans la Rhétorique, III, 3. Cf. Problèmes, XIX, 15 et 28, p. 66 de cette édition Démétrius, Sur le Style, § xci Proclus, Chrestomathie (dans Photius, cod. 239), chap. xiv.
C’est probablement à ce chapitre xxiie que le Tasse fait allusion, lorsqu’il dit (Lettres poétiques, 15 juin 1575) qu’Aristote ne mentionne pas plus l’allégorie, dans sa Poétique et dans ses autres ouvrages, que si elle n’avait jamais existé. Ce silence du grand philosophe tourmente fort l’auteur de la Jérusalem délivrée il craint d’y voir une condamnation tacite de ce genre d’ornement poétique. Puis il se console par l’idée que, l’ouvrage d’Aristote étant incomplet, peut-être celui-ci avait parlé ou du moins avait voulu parler ailleurs de l’allégorie. (Cf. la Lettre du 4 octobre 1575.) Mais l’allégorie, et en général le merveilleux, ne devaient pas, aux yeux d’Aristote, faire partie de l’art : ils formaient le fond même de la mythologie païenne. La foi populaire les fournissait au poëte, qui n’avait ici rien à inventer, mais seulement à choisir.
Chapitre XXIII. §
Un ensemble dramatique.] Comparez, plus haut, le chapitre viii, et, pour plus de détails, les auteurs analysés par Goujet, Bibliothèque française, t. III, p. 153-180. Les controverses modernes ont entièrement renouvelé ce sujet. Voyez : Villemain, Littérature du moyen âge, xie leçon, et Littérature du xviiie siècle, Ire partie, viiie leçon Sainte-Beuve, Portraits contemporains et divers, t. III : Homère, Apollonius de Rhodes Fauriel, Histoire de la Poésie provençale (Paris, 1846) etc.
Le combat naval de Salamine, etc.] Voy. des exemples analogues de synchronisme dans : Hérodote, VII, 166 Plutarque, Questions symposiaques, VIII, 1 Diodore, XI, 24, et le fragment 137e de l’historien Timée.
Ramener à une juste mesure, etc.] Après μετριάζοντα on attendait ποιεῖν, ἂτε. Mais telle est la concision habituelle du style d’Aristote qu’il n’est peut-être pas nécessaire de supposer ici une altération du texte par la faute des copistes.
Il a employé beaucoup d’épisodes.] Ἐπεισοδίοις ϰέχρηται αὐτῶν πολλοῖς.
« Pronomen αὐτῶν adhuc explicare nemo ita potuit, ut linguæ græcæ
legibus satisfaceret. Victorius et Hermannus belli Trojani partes ab Homero
omissas designari putant, sed id quo modo fieri possit neuter explicuit.
Hermannus auctoris negligentiam agnoscit alii conjecturis sanare
locum tentaverunt. Mihi hæc vox plane supervacua casu illata videtur
esse : nimirum adversus απολαϐών in margine aliquis posuit αὐτῶν, isque
intellexit μερῶν τοῦ πολέμου, ex præcedente ἓν μέρος, ut ne lectorem fugeret
quo ἀπολαϐών referendum esset. » (Ritter.)
Le catalogue des vaisseaux, etc.] Voici sur ce sujet une curieuse observation
du Tasse, à propos de quelques stances de son quatrième chant, qu’on lui
avait reprochées comme suspendant d’une manière désagréable l’action du {p. 125}poëme « Che cinque o sei stanze si spendino fuor
dell’ azione principale e senza parlar punto di lei, non veggio come possa
parere strano a coloro, i quali mettono la favola dell’ Iliade non nella
guerra Trojana, ma nell’ ira d’Achille, e che credono esser vero quello che
dice Aristotile, che i due cataloghi, l’un de’ quali segue all’ altro, siano
episodi nell’ Iliade ch’episodi essi non sarebbono, se la guerra
Trojana fosse la favola, oltre molte altre ragioni, che ciò provano, delle
quali ne’ miei Discorsi : perchè se così è, sta talora per molti libri
intieri sospesa nell’ Iliade la favola principale. » (Lettere poetiche,
14 mai 1575.)
Les chants Cypriaques, etc.] Voyez sur ces poëmes, qui faisaient partie du Cycle épique, outre les ouvrages déjà cités, celui de Welcker, Der epische Cyclus.
Un ou deux sujets de tragédies.] Aristote veut dire que chacun de ces deux
poëmes pourrait être resserré en une tragédie ou tout au plus divisé de
manière à former deux tragédies (ce que Dacier montre bien dans ses
Remarques) autrement il serait contredit par l’histoire même du
théâtre grec, où l’on peut signaler encore aujourd’hui, après tant de
pertes, plusieurs tragédies tirées de l’Iliade, plusieurs tirées de
l’Odyssée. De l’Iliade : Les Myrmidons, les Néréides, les Phrygiens ou
la Rançon d’Hector, la Psychostasie, d’Eschyle les Phrygiens et le
Chrysès, de Sophocle le Rhésus d’Euripide peut-être aussi le
Bellérophon du même poëte, puisque cette histoire se trouve racontée dans
l’Iliade. De l’Odyssée : les Convives, la Pénélope, la Circé,
d’Eschyle la Nausicaa et les Phéaciens, drames satyriques de
Sophocle, lequel, même, selon la remarque de son biographe anonyme,
« transcrit l’Odyssée dans beaucoup de ses drames »
; enfin
le Cyclope d’Euripide, drame satyrique. Tout cela sans parler des tragiques
du second ordre. Mais la différence, qu’il y avait à cet égard entre les
deux poëmes d’Homère et les autres poëmes du Cycle épique, c’est que les
deux premiers ne fournissaient que d’une façon très-sommaire les sujets de
tragédie développés par Eschyle, Sophocle et Euripide tandis que les
autres épopées, ayant moins d’unité, se décomposaient naturellement et sans
peine en {p. 126}plusieurs tragédies. Cela ressort très-bien de
l’exemple donné plus bas par Aristote : les sujets traités dans les
huit ou dix tragédies qu’il cite, se succédaient, sans se tenir par le lien
d’une véritable action dramatique, et avec des développements à peu près
égaux, dans les poëmes où les auteurs tragiques les avaient pris pour les
mettre sur la scène. Ces réflexions montrent, je pense, comment la fin de ce
chapitre se rattache au commencement. Ritter essaye vainement de mettre en
doute l’authenticité des dernières lignes depuis Τοιγαροῦν jusqu’à
Τρῳάδες.
Plus de huit.] Il ne faut donc pas s’étonner, comme fait Ritter, si l’on trouve ci-dessous neuf ou dix titres de tragédies.
Le Jugement des armes.] Sujet traité par Eschyle, et d’après lui, en latin, par Accius et par Pacuvius. Voy. Hermann, Opuscules, VII, p. 362.
Néoptolème.] Sujet traité par Sophocle, sous le titre des Scyriens ou des Scyriennes, et par Nicomaque.
Eurypyle.] Eurypyle, fils de Télèphe, allié des Troyens, fut tué par Néoptolème devant Troie (Petite Iliade, livre ii, selon l’analyse de Proclus). On ignore quel poëte avait tiré de ce sujet la matière d’une tragédie.
Le Mendiant.] En grec, la Mendicité. Ulysse s’introduisant dans Troie sous le costume d’un mendiant, reconnu par Hélène, réussissant, par son secours, à s’échapper pour revenir avec Diomède enlever le Palladium : tel est le sujet de cette pièce, dont l’Odyssée (IV, 252-264 cf. Euripide, Hécube, v. 239) pouvait aussi fournir le plan. On ne sait pas par quel auteur elle avait été traitée, ni même si le mot Πτωχεια en est le titre ou en indique seulement le sujet.
Les Lacédémoniennes.] Ce n’était peut-être que la dernière partie de l’épisode précédent, où les servantes de la suite d’Hélène aidaient Ulysse et Diomède dans l’enlèvement du Palladium. Sophocle avait composé sous ce titre une pièce dont il ne reste que trois courts fragments.
La prise de Troie et le départ.] Peut-être faut-il voir là deux titres distincts. Sur le premier, voyez plus haut, {p. 127}p. 112. L’Hécube et les Troyennes d’Euripide peuvent donner une idée du sujet de ces tragédies.
Sinon.] Sujet traité par Sophocle. L’Épéus d’Euripide devait offrir à peu près la même fable, Épéus étant l’artiste qui fabriqua le fameux cheval de bois par conséquent cet épisode, comme aussi sans doute celui des Troyennes, qui termine l’énumération d’Aristote, devrait être placé avant la Prise de Troie. Les trois dernières tragédies peuvent d’ailleurs se rapporter aussi bien à l’Ἰλίου πέρσις d’Arctinus, qui faisait également partie du Cycle. Il n’est pas inutile de remarquer que l’auteur n’épuise pas ici l’énumération des pièces qui se rattachaient à la Petite Iliade par exemple, il omet la folie et la mort d’Ajax, dont Sophocle a tiré un de ses chefs-d’œuvre. Voy., pour plus de détails, le livre de Welcker, Tragédies grecques dans leur rapport avec le Cycle épique.
Chapitre XXIV. §
Homère…. le premier.] Aristote a restreint lui-même, plus haut, chap. iv, ce que cette assertion aurait de trop rigoureux.
Les anciens poëtes.] Les poëtes dramatiques apparemment, puisque Aristote ne connaît pas d’épopée antérieure à l’Iliade et à l’Odyssée, et que celles-ci lui paraissent des modèles du genre. A moins toutefois qu’il ne lui vienne ici un scrupule à l’esprit sur l’étendue des deux épopées homériques, qui, en effet, ne pourraient guère être lues d’une seule haleine, quoi qu’en dise le savant Dacier. La mesure qu’il détermine ensuite nous laisse dans le doute à cet égard. Si dans les anciens concours trois concurrents présentaient chacun trois tragédies (sans parler des drames satyriques), le total de ces tragédies devait égaler à peu près l’Iliade en longueur d’un autre côté, en admettant que l’usage des trilogies dramatiques fût aboli au temps d’Aristote, mais qu’il y eût cinq concurrents, cela ferait environ 8000 vers {p. 128}pour un seul concours. Encore reste-t-il à savoir si, dans les Dionysiaques, les représentations tragiques n’étaient pas réparties entre plusieurs journées. Aristote parle évidemment pour des gens qui savaient toutes ces choses. Ce n’est peut-être pas sa faute si nous le comprenons si difficilement aujourd’hui. Voyez, sur les questions que soulève ce texte, les auteurs cités plus haut sur le chap. vii. Dacier et Batteux n’en ont pas vu toute la difficulté. Cf. les Prolégomènes de Wolf sur l’Iliade, p. cx - cxii.
De grands effets.] Sur la μεγαλοπρέπεια, voy. Démétrius, Sur le Style, § xxxviii - xlix Longin, Du Sublime, viii, § 3 et comparez Aristote, Rhétorique, III, 6 et 12.
Changer les émotions et varier les épisodes.] Observation semblable dans la Rhétorique, i, 11.
Le vers héroïque.] Voyez la Rhétorique, III, 3 et 8 Horace, Art Poétique, v. 74 et suiv.
Le plus plein.] Ὀγϰωδέοταττον. Voyez Démétrius, Sur le Style, § clxxvii : Τό ὀγϰηρὀν ἐν τρισίν, πλάτει , μήϰει,πλάσματι, etc.
Celui-ci convient à la danse.] C’est le tétramètre trochaïque. Voyez plus haut, chap. iv, et la Rhétorique, III, 1 et 8 : Ἔστι γὰρ τροχβρòς βυθμòς τὰ τετράμεετρα.
Après quelques mots d’entrée.] Φροιμιασάμενος pour μιασάμενος (cf. Rhétorique, III, 14), par une contraction et un effet d’aspiration analogue à τερθβύρομαι pour τερατεύομαι, Topiques, VIII, 1.
L’incroyable.] Mot à mot : le déraisonnable, τò ᾄλογον, comme plus haut, chap. xv. Cf. Rhétorique, III, 17 : Εἴ τιψεύδεται έϰτòς τοῦ πράγματος.
La poursuite d’Hector.] Un critique ancien, Magaclide, cité par le scholiaste
de Venise sur ce passage de l’Iliade, en blâme aussi
l’invraisemblance. — Le Tasse relève ici une lacune importante
dans les observations d’Aristote, et il essaye de la justifier. Dans ses
Discorsi dell’arte poetica, I, p. 19, éd. 1804, après avoir marqué
la différence qui, selon lui, doit exister entre les héros épiques et les
héros tragiques : « Dalle cose dette può esser manifesto, che la
differenza ch’è fra la tragedia e l’epopeia non nasce solamente della {p. 129}diversità degl’instrumenti e del modo dell’imitare, ma molto
più e molto prima della diversità delle cose imitate, la qual differenza è
molto più propria, è più intrinseca, e più essenziale dell’altre e se
Aristotile non ne fà menzione, è perchè basta a lui in quel luogo di
mostrare che la tragedia e l’epopeia siano differenti, e cio abbastanza si
mostra per quelle altre due differenze, le quali a prima vista sono assai
più note, che questa non è. »
Mentir comme il convient.] Aristote donne de même, dans la Rhétorique, i, 1 et 15, des règles pour soutenir le pour et le contre sur la même thèse ce qui ne l’empêche pas dans la Morale à Nicomaque, IV, 13, de condamner formellement le mensonge. Cf. la Métaphysique, IV, 29 les Pensées de Platon de V. Le Clerc, p. 537, 538 Pindare, Néméenne VII, v. 22.
Par un faux raisonnement.] Παραλογισμόϛ. Rhétorique, II, 22 : Παραλογίζεται ὁ ἀϰροατὴς ὄτι ἐποίησεν ἢ οὐϰ ἐποίησεν οϋ δεδειγμένου. Comparez plus haut, chap. xvi.
Si le premier fait est faux, etc.] Passage très-obscur le texte des mss. est évidemment corrompu aux mots : διò δή, άλλου δέ (on lit aussi ἄλλ̕ οῦδέ et ἄλλλο δέ), ἢ προσθεῑναι. Nous avons adopté les conjectures de Vahlen, qui permettent au moins de voir un sens raisonnable dans la phrase d’Aristote pour la construire grammaticalement, il faudrait, en outre, lire, avec Bonitz, δεῖ, pour δή mais il resterait encore à expliquer προσθεῖναι. Nous n’avons pas tenu compte dans la traduction des trois mots : διὸ δε (ou δή) προσθεῖναι, qui restent obscurs, même dans le texte de Vahlen. — Dacier et Batteux ne s’inquiètent que du raisonnement même d’Aristote, sans songer aux difficultés que présente le texte même. Quant à l’exemple que cite Aristote, Dacier le croit interpolé il l’interprète de travers, après avoir lui-même choisi d’autres exemples dans Homère. Batteux, dans ses Remarques, ne parle pas même de cet exemple, et il en donne un autre, qui est de l’invention d’Heinsius. Ils n’ont pas observé que les Νίπτρα, déjà cités au chap. xvi, ne comprennent pas seulement le court incident du bain d’Ulysse, mais tout ce qui s’y rattache dans le XIXe chant de l’ {p. 130}Odyssée. Or, dans sa première entrevue avec Pénélope, Ulysse, sous le faux nom d’Æthon et sous les habits d’un mendiant, se donne pour un guerrier qui a vu Ulysse à la guerre de Troie, et il décrit l’extérieur de ce héros : là-dessus Pénélope fait le faux raisonnement dont notre philosophe a loué Homère. Hermann explique très-bien cette allusion, et par là même il justifie l’authenticité des mots παράδειγμα, etc., qui manquent dans plusieurs manuscrits. Vettori, qui les connaissait, sans les avoir insérés dans son texte, n’y devinant aucun rapport avec la scène de la reconnaissance d’Ulysse par Euryclée, supposait qu’il pouvait bien être question d’une pièce de Sophocle, intitulée aussi Νίπτρα. — Sur ἐϰ τῶν Νίπτρων, au lieu de ἐν, comparez dans la Rhétorique, II, 23, et III, 16, des locutions analogues.
Le muet qui vient de Tégée.] C’est Télèphe lui-même, le principal héros de cette tragédie, qui était parodié, à ce propos sans doute, par Alexis, dans son Parasite. Voyez Athénée, X, p. 421 D. Télèphe expiait par un silence volontaire le meurtre de ses deux oncles. Voyez Hygin, Fables 100 et 244. Cf. Eschyle, Euménides, v. 421 (ou 446).
Si la fable a été faite ainsi.] Ἂν δὲ θῆ, expression aristotélique : voyez les Topiques, VIII, 1.
Homère adoucit et efface.] Ἀφανίζει ήδύνων. Rhétorique, III, 17 : έϰϰρούουσι γὰρ αἱ ϰινήσεις άλλήλας αί ᾰμα ϰαί ή άφανίζουσιν ῆ άφανεῖς ποιοῦσι.
Chapitre XXV. §
Voici encore un chapitre évidemment incomplet, et cependant si plein de minutieux détails, qu’il faudrait bien des pages pour le commenter, si je ne me bornais aux explications les plus nécessaires. Quant au caractère général des problèmes qui y sont discutés, voy. l’Essai sur l’Histoire de {p. 131}la Critique, p. 123, où je crois avoir montré combien de subtilités puériles se mêlaient à l’érudition d’Aristote et à sa philosophie.
Les problèmes et les solutions.] Προϐλήματα ou ὰπορίαι, et λύσεις, expressions consacrées dans les écoles grecques depuis Aristote, et qu’on retrouve à chaque page des commentaires Alexandrins extraits par le scholiaste de Venise. Voyez Wolf, Prolegomena, p. xcv Lehrs, de Aristarchi studiis Homericis, p. 200-229 Schœll, Hist. de la Litt. gr., tome IV, p. 35 Bojesen, Préface de son édition du XIXelivre des Problèmes.
Cette imitation se fait par l’élocution.] Rhétorique, III, 1 : Τὰ γὰρ ὀνόματα μιμήματά ἰστιν, ὑπῆρξε δὲ ϰαὶ ἡ φωνὴ πάντων μιμήτιχώτατον τῶν μορίων ἡμῖν.
Si l’intention est bonne.] Μὴ ὀρθῶς, leçon des manuscrits. La correction μὲν suffit pour donner un sens raisonnable. Ἔχει est sous-entendu après ὀρθῶς.
Lever les deux pieds droits en même temps.] Προϐεϐληϰότα offre un sens raisonnable mais προϐαίνειν paraît être le mot propre en pareil cas. Aristote, Sur la Marche des Animaux, chap. xiv : προϐεϐτηϰότα (ζῷα) ϰατά διάμετρον ϰαὶ οὐ τοῖς δβξιοίς ή τοις ἀριστεροις ἀμφοτέροις ἄμα.
Le but de cet art.] Après avoir cité cette remarquable observation, M. V.
Hugo en a judicieusement rapproché (Préface de Cromwell, à la fin) une
pensée de Boileau : « Ils prennent pour galimatias tout ce que la
faiblesse de leurs lumières ne leur permet pas de comprendre. Ils traitent
surtout de ridicules ces endroits merveilleux où le poëte, afin de mieux
entrer dans la raison, sort, s’il faut parler ainsi, de la raison même. Ce
précepte effectivement, qui donne pour règle de ne point garder quelquefois
de règles, est un mystère de l’art qu’il n’est pas aisé de faire entendre à
des hommes sans aucun goût…, et qu’une espèce de bizarrerie d’esprit rend
insensibles à ce qui frappe ordinairement les hommes. » (Discours sur
l’Ode.)
Boileau, il est vrai, ne parle pas tout à fait aussi nettement que
le laisserait croire cette habile citation.
{p. 132}Une biche n’a point de cornes.] Erreur signalée dans Homère,
Iliade, XV, 271 Pindare, Olympique, III, 52 Callimaque, Hymne
à Diane, v. 102. Scaliger, Poétique, III, 4, prétend les justifier par
l’exemple d’une biche à cornes, récemment observée en France. Comparez
Élien, Hist. des Animaux, VII, 39. On trouve une faute analogue dans
Aristophane, Nuées, v. 150, où le scholiaste la relève. « On
prétend aussi qu’il se trouve des biches qui ont un bois comme le cerf, et
cela n’est pas absolument contre toute vraisemblance. » (Buffon.)
De l’avoir mal peinte.] Ἀμιμήτως. Les anciennes éditions portent ϰαϰομιμήτως, qui n’est guère qu’un synonyme. Aristote emploie volontiers ces sortes d’adverbes : ύπερϐεϐ)ημένως, Morale Nicom., III, 13 συνεστραμμένως, συμπερασματιϰῶς, ἀντιϰειμένως, Rhét., III, 2 πεπλασμένως et πεφυϰότως, Rhét., II, 24 ἀφωριομένως, Catégories, ch. x etc.
Euripide.] Εὐριπίδην pour Εὐριπίδης, est une conjecture de Heinsius.
Comme pensait Xénophane.] Ma traduction suppose une virgule après ἔτυχεν, et dispense de toute conjecture. Ritter lit ὡς παρὰ Ξενοφάνει, quelques manuscrits portant en effet ὥσπερ Ξενοφάνει. On ne sait pas à quelle doctrine de Xénophane il faut rapporter ces allusions. Ce qui est certain, c’est que Xénophane traitait avec mépris les opinions populaires sur la divinité.
Leurs lances, etc.] Sur cet exemple et sur les autres exemples tirés d’Homère, les problèmes que soulève Aristote se retrouvent presque tous dans les anciens commentateurs, et particulièrement dans le scholiaste de Venise, qui contient de si nombreux extraits des études d’Aristote sur Homère.
— Voy. aussi notre Essai sur l’Histoire de la Critique, p. 123 et suiv.
Les Illyriens.] M. Albert Dumont, dans son ouvrage sur Le Balkan et l’Adriatique (1873), chap. v, a fait de nombreux rapprochements entre les mœurs homériques et celles des Illyriens modernes ou Albanais.
Les mulets.] Cf. Iliade, X, 84 et le scholiaste.
Verse du vin.] Cf. Plutarque, Questions symposiaques, V, 4.
{p. 133}Tous est ici par métaphore.] Au vers cité par Aristote, le texte d’Homère qui nous est parvenu porte ἄλλοι, au lieu de πάντες on sait que ce texte est le résultat d’un long travail de récension commencé à Alexandrie, postérieurement à Aristote. Le mot πάντεςavait peut-être été substitué à ἄλλοι par quelques-uns de ces grammairiens qui faisaient métier de procurer à leurs confrères des problèmes à résoudre. Voy. les scholies de Venise sur l’Iliade, XX, 269-272 XXIV, 418 et cf. X, 372.
La plus connue des constellations qui ne se couchent jamais.] Une scholie de
Venise donne une interprétation plus simple que celle d’Aristote :
« la seule des constellations nommées dans ce passage
d’Homère. »
Δίδομεν δέ οί.] Même discussion dans les Réfutations sophistiques, chap. iv.
Tὸ μὲν οὐ ϰαταπύθεται ὄμϐρῳ.] Il s’agit, dans le texte de l’Iliade, d’un tronc d’arbre desséché « qui pourrit là », si on lit οὐ, génitif marquant le lieu, ou bien « qui ne pourrit pas », si on lit οὐ, négation.
Empédocle.] Voy. Athénée, x, p. 424 A Plutarque, Questions symposiaques, V, 4 Simplicius, sur Aristote, Du Ciel, I, p. 507 de l’éd. des Scholies par Brandis. — Aristote a remarqué dans la Rhétorique, III, 5, que les écrits d’Héraclite étaient « difficiles à ponctuer ». Il y avait donc une ponctuation dans les manuscrits dès cette époque, où cependant on n’en voit pas la moindre trace sur les inscriptions et Aristophane de Byzance n’est pas l’inventeur de la ponctuation : il n’a fait qu’en mieux déterminer les signes et les règles.
Ouvrier en airain, etc.] Même observation, sans nom d’auteur, dans le scholiaste de l’Iliade, XIX, 283.
Le javelot d’airain, etc.] On lit dans le texte d’Homère μείλινον au lieu de χάλϰεον. Au reste, cet hémistiche fait partie de quatre vers (269-272) que le scholiaste signale comme interpolés ὑπό τινος τῶν βουλομένων πρόϐλημα ποιεῖν.
Glaucon.] Voyez Aristote, Rhétorique, III, 1, et Platon, Ion, p. 530.
Icarius.] Strabon, X, p. 708, et le scholiaste de l’Odyssée, I, 285, donnent une autre explication de la conduite de {p. 134}Télémaque : c’est que Pénélope était en mésintelligence avec son père et sa mère. Cf. Odyssée XIX, 158. Toutes ces excuses sont peu satisfaisantes.
Zeuxis.] Sur son procédé d’imitation, voyez le passage classique de Cicéron, De l’Invention, II, 1, commenté par Victorinus, p. 119 des scholiastes de Cicéron, éd. Orelli. Cf. O. Müller, Manuel d’Archéologie, § 137.
Égée.] Peut-être Aristote désigne-t-il ici le rôle d’Égée dans la Médée d’Euripide, v. 663-755, ce qui est l’opinion de Ritter peut-être veut-il parler de la manière dont Médée traitait Égée dans la pièce d’Euripide qui portait ce dernier nom. Voy. Welcker, livre cité, p. 729. Le sujet de cette pièce est exposé dans : Apollodore, Bibliothèque, I, 9, 28 Pausanias, II, 3, 7 le scholiaste de l’Iliade, XI, 741 cf. Plutarque, Vie de Thésée, chap. xii, et les Fragments des Tragiques, p. 621-624 de l’éd. Wagner.
Douze.] Ce compte est bien difficile à retrouver dans le texte tel qu’il nous est parvenu. Les six premiers lieux communs de solutions se distinguent assez nettement, comme on verra par la traduction française. Quant aux six autres, Ritter les rapporte : 1° aux mots étrangers, 2° à la métaphore, 3° à l’accent, 4° à la ponctuation, 5° à l’ambiguïté des termes, 6° à l’usage, et il compare fort à propos cette fin du chapitre xxv avec le chapitre iv des Réfutations sophistiques ce qui ne l’empêche pas de regarder tout ce chapitre xxv comme une interpolation.
Chapitre XXVI. §
La moins chargée.] Ἠττον φορτιϰή. « Celle qui se fait avec le moins
d’embarras. » (Racine.)
— Cf. Politique, VIII, 5 : Ol
μὲν φορτιϰωτέρας ἔχουσι τάς ϰινήσεις, οἱ δὲ ἐλευθεριωτέρας ibid., 6,
fin : ἀρετή est opposé à φορτιϰὴ ἡδονἠ ibid., 7 : Θεατὴς
διττός• ὁ μὲν ἐλεύθεοος ϰαὶ πεπαιδευμένος,... ὁ δὲ φορτιϰὸς ἐϰ βαναύσων ϰαὶ
θητῶν ϰαὶ ἄλλων τοιούτων συγϰείμενος. Ce sens du mot φορτιϰός se trouve déjà
dans Platon.
Des gens meilleurs.] La déclamation et l’action théâtrale {p. 135}semblent donc à Aristote des moyens grossiers de produire l’intérêt. Voyez
plus haut la fin du chap. vi et le commencement du
chap. xiv. Il se plaint ailleurs (chap. xiii du mauvais goût des auditeurs. Cette plainte a été
souvent renouvelée depuis. « J’avouerai, dit Lopez de Véga, que j’ai
travaillé quelquefois (cinq ou six fois, dit-il plus bas,
sur 483 comédies) selon les règles de l’art. Mais quand j’ai vu des monstres
spécieux triompher sur notre théâtre, et que ce triste travail remportait
les applaudissements des dames et du vulgaire, je me suis remis à cette
manière barbare de composer, renfermant les préceptes sous clef toutes les
fois que j’ai entrepris d’écrire, et bannissant de mon cabinet Térence et
Plaute, pour n’être pas importuné de leurs raisons. » (Livre cité,
p. 249.)
On peut voir dans la Poétique de La Mesnardière (préface) avec
quel mépris un pédant du xviie siècle
traitait le public des théâtres. D’Aubignac, plus poli que La Mesnardière,
avoue qu’il écrit « pour faire connaître au peuple l’excellence de
l’art des poëtes et pour lui donner sujet de les admirer, en lui montrant
combien il faut d’adresse, de suffisance et de précautions pour achever des
ouvrages qui ne donnent à nos comédiens que la peine de les réciter et qui
ravissent de joie ceux qui les écoutent. » (Pratique du théâtre, I, 2.)
On peut comparer encore Gravina, Della Ragione poetica, I, 14 : del
Giudizio popolari.
Pirouettent.] Κυλίεσθαι pour ϰυλίνδεσθαι. Voyez d’autres exemples : Politique VI, 4 Histoire des Animaux, V, 19 Questions de mécanique, chap. viii.
La Scylla.] Voyez plus haut, chap. xv.
Myniscus.] Ou Mynniscus, de Chalcis, acteur célèbre, sur lequel on trouve un témoignage de Platon le comique dans Athénée, VIII, p. 344 E. L’auteur anonyme de la Vie d’Eschyle, le cite, en altérant son nom, comme un des acteurs employés par ce poëte.
Callippide.] Voyez Xénophon, Banquet, III, 11 Athénée, XII, p. 531 D etc.
Pindarus.] Acteur sur lequel il n’existe aucun autre témoignage. Harles, d’après Sylburg et Batteux, propose de lire Τινδάρου. Ritter : Θεοδώρου, nom d’un acteur cité par {p. 136}Aristote (Rhét., iii, 2), et par Plutarque (Si un vieillard doit s’occuper du gouvernement de l’État).
En récitant des chants épiques.] Ῥαψωδοῦντα. Comparez la Rhétorique, III, 1. Aristote ne semble pas ici bien d’accord avec lui-même car, plus bas, il distingue l’épopée de la tragédie, en ce que la première n’a point de mise en scène ni de musique. Cf. plus haut, p. 70. Sur la rhapsodie, voyez Denys le Thrace, chap. vi, et ses commentateurs.
Sosistrate et Mnasithée.] Personnages inconnus d’ailleurs.
En chantant.] Διᾴδοντα désigne plus spécialement un dialogue chanté, ou une lutte entre deux chanteurs. Voyez Théocrite, V, 22 et cf., dans un Lexique publié dans les Anecdota de Bekker, tome I, p. 37 : διᾴσασθαι, τὸ διαμιλλήσασθα ἐν ᾠδῆ τινι.
Du mètre épique.] Exemple dans Euripide, Troyennes, v. 590-595.
L’étendue de son imitation est plus restreinte.] Comparez le mot malicieux de Xanthias dans les Grenouilles d’Aristophane, v. 798 : Τί δέ; μειαγωγήσουσι τὴν τραγφδίαν
La leçon ἀναγνώυσει pour ἀναγνωρίσει est fort séduisante. On traduirait
alors : « à la lecture comme à la représentation »
;
mais l’idée de lecture est déjà exprimée, six lignes plus
haut, par les mots διὰ τοῦ ἀναγιγνώσϰειν, en opposition avec la
représentation sur un théâtre. Il est donc prudent de ne rien changer.
Nous n’en dirons pas davantage, etc.] Cette conclusion justifie assez bien l’opinion des éditeurs qui, comme Vettori, ont cru que nous avions là le premier livre d’un grand ouvrage d’Aristote sur la Poétique. Voyez l’Essai sur l’Histoire de la Critique, p. 137 et suiv.
[n.p.]NOTE SUR L’EXTRAIT DE LA POLITIQUE.
De chants qui jettent l’âme dans un religieux délire.] Les lexiques ne citent pas
un second exemple de ce verbe ἐξοργιάζω, et beaucoup d’interprètes l’entendent
dans le sens de calmer le délire. Mais le verbe ἐξοργίζω,
qu’on trouve plus souvent, et, entre autres auteurs, dans Xénophon, a toujours
le sens d’exciter, jeter dans le délire. G. Budé, qu’a suivi
H. Estienne, avait donc tort de traduire ἐξοργιάζω par : « Ad sacra
suscipienda præparo, ad sacrorum cultum expio, et idoneum
reddo. »
Le sens que j’adopte et que M. Weil a fort bien défendu, dans son
mémoire Sur l’effet de la Tragédie selon Aristote (Bâle, 1848), s’accorde
d’ailleurs et avec l’analogie grammaticale dans les verbes tels que ἐξαλλάττω,
ἐξαϰολουθέω, ἐϰπίνω, έϰπίμπλημι, etc., et avec l’ensemble de la théorie
aristotélique, telle que nous l’avons exposée dans notre Essai sur l’Histoire de
la Critique, p. 180 et suiv. Batteux, qui a traduit deux fois ce passage
d’Aristote, s’est d’abord conformé pour le mot en question au latin de Budé (Les
quatre Poétiques, t. I, p. 234) la seconde fois (De la Poésie
dramatique, II, 4, t. III des Principes de la Littérature), il s’est
dispensé de le traduire.
Commentaire sur les extraits des problèmes §
Chap. i. — Se font-ils jouer ?] Αὐλοῦνται. Je n’ai pas encore trouvé un second exemple de ce verbe ainsi employé à la voix moyenne.
Chap. xliii. — De deux éléments agréables.] Nous lisons avec M. Bojesen, qui a publié une édition spéciale de ce XIXe livre des Problèmes (Copenhague, 1836) : ἡδίονι ἣδιον, au lieu de ἣδιον ἡδίονι.
A celui de la lyre.] Λύρᾳ, pour λύρα, correction de M. Bojesen.
De plus.] J’adopte la conjecture très-vraisemblable de M. Bojesen, ἕτι pour ἐπεί.
Les grenades dites vineuses.] Αἱ οἰνώδεις ῥοαί. L’explication de ce passage se trouve dans Théophraste, περὶ φυτῶν ἱστορίας, II, 2, et περὶ φυτιϰῶν αἰτιῶν, I, 9 : il affirme que la grenade acide, semée ou plantée en Égypte, prend une saveur douce et οἰνώδη.
Est moins sensible.] ᾜ pour ἢ m’a paru nécessaire pour donner un sens à ce passage.
Produisent une impression distincte.] Θεωρεῖν et le substantif correspondant
θεωρός s’appliquent très-bien à toutes les sensations que peut donner le
spectacle, aux ἀϰροάσεις comme aux θεάματα Θεωρός, dans la Rhétorique (I, 2),
désigne l’auditeur oisif, l’amateur, par opposition à ϰριτής
et à ἐϰϰλησιαστής. Dans la Politique, VII, 17, on lit : Еὔλογον οὖν
ἀπελαύνειν ἀπὸ τῶν ἀϰουομάτων ϰαὶ τῶν δραμάτων ἀνε-λευθερίας ϰαὶ τηλιϰούτους
ὄντας, et plus bas : ἐπεὶ δὲ τὸ λέγειν τι τῶν τοιούτων ἐξορίζομεν, φανερὸν
ὅτι ϰαὶ τὸ θεωρεῖν γρα- {p. 139}φὰς ἢ λόγους ἀσχήμονας. Dans ce passage, le
mot λϐγους a paru suspect à Schneider, à Coray, et, après eux, à Letronne
(Appendice des Lettres d’un Antiquaire à un Artiste, p. 28, note), qui
demande si « on a jamais dit dans aucune langue : voir
des discours ? »
C’est pourtant là un idiotisme bien
constaté, sinon de la langue grecque, au moins du style d’Aristote voy.
encore la Politique, VIII, 6, § 5, et plus bas, chap. v.
Ce sens du mot θεωρεῖν paraît avoir échappé aux derniers éditeurs du Thesaurus
d’H. Estienne.
Rendent plus sensibles.] Αὐτοῖς : apparemment, τοῖς ἀϰού-ουσι ou θεωροῦσι, construction πρὸς τὸ σημαινόμενον. Plus bas, αὐτῶν est probablement une syllepse analogue, le singulier τὴν ἁμαρτίαν équivalant à τὰς ἁμαρτίας, ou, si l’on veut, τῇ ᾠδῇ équivalant à τοὺς φθόγγους. Il est donc inutile de lire αὐτῆς avec M. Bojesen.
Chap. ix. — Une flûte.] Peut-être lisait-on primitivement dans le texte αὐλὸν ἕνα, et la finale ον, à cause de sa ressemblance avec εν, aura fait disparaître cette syllabe. Mais il faut être sobre de conjectures sur de pareils textes, où les variantes des manuscrits offrent si peu de secours à la critique.
Les mêmes notes, etc.] Cf. Platon, Lois, VII, p.812, D.
Chap. x. — Lorsque l’on fredonne.] Pollux (IV, 10), Suidas et Hésychius semblent attribuer au τερέτισμα une valeur toute technique, qui ne convient pas à ce texte d’Aristote. — Cf. Platon, Lois, II, p. 669.
Un son plus fort.] Κρουστιϰά. Ce mot ne devrait s’appliquer qu’aux instruments à cordes mais Plutarque atteste qu’on appliquait aussi le nom de ϰρούματα aux αὐλήματα. (Questions symposiaques, II, 4 cf. Pollux, IV, 84.)
Voilà pourquoi, etc.] Le texte est d’une concision difficile à justifier. La
traduction de Gaza : « suavius cantatur quam teretatur »
, suppose
ᾅδειν au lieu d’ἀϰούειν. Je proposerais plus volontiers ϰρούειν qui se rapproche
davantage de la leçon des manuscrits et qui s’accorde mieux avec le sens général
de la remarque d’Aristote. La simple addition de τό avant τερετίζειν suffit
d’ailleurs à justifier notre traduction.
Chap. xxix. — C’est la même observation qui est développée dans le chap. xxvii. Il y a dans les Problèmes beaucoup {p. 140}d’exemples de ces répétitions on en trouvera plus bas deux autres, chap. v et xl, xxviii et xv. Quant à la comparaison même que fait ici Aristote entre les plaisirs de l’oreille et ceux des autres sens, on la retrouve dans la Politique, VII, 5.
Chap. xxvii. — J’ai placé ce problème après le précédent, parce qu’il m’a semblé que la rédaction en devait être postérieure une première note, jetée d’abord sur des tablettes, est ici développée avec plus de soin. Pourtant, il y a encore dans ce développement bien des traits obscurs qui ne paraissent pas tenir à la corruption du texte, mais à la négligence de la rédaction d’Aristote.
Le bruit seul opère, etc.] Ἔχει μόνον οὐχί, ἥν, etc. M. Bojesen lit οὐχὶ ἥν, sans virgule. Mais cette leçon n’est pas beaucoup plus claire. Peut-être οὐχί fait-il double emploi avec ἔχει, par l’erreur d’un copiste la phrase corrigée et complétée serait : Ἤ ὅτι τὸ ἀϰουστὸν ϰίνησιν ἔχει μόνον, ἣν ὁ ψόφος ἡμᾶς ϰινεῖ
Les couleurs ébranlent l’organe de la vue.] Voyez le traité De l’Ame, II, 7 et 8.
Sont comme des actes.] Aristide Quintilien, II, p. 64 : Ἡ μουσιϰὴ πρᾶξιν ῥυθμοῖς ϰαὶ ϰιγήσεσι μιμεῖται.
Chap. xxxviii. — La nature elle-même, etc.] Même observation dans la Poétique, chap. iv, et dans la Politique, VIII, 5.
La variété du chant.] Sur le sens technique de ce mot, voyez Vincent, Notice déjà citée, p. 73 et suiv.
Le rhythme nous plaît, etc.] Rhétorique, III, 8 : Ἀηδὲς ϰαὶ ἄγνωστσν τὸ ἄπειρον περαίνεται δὲ πάντα ἀριθμῷ ὁ δὲ τοῦ σχήματος τῆς λέξεως ἀριθμὸς ῥυθμός ἐστιν. Comparez Longin, Fragments ii et iii de notre édition.
Le tempérament.] Τὴν φύσιν ϰαὶ τὴν δύναμιν, pour Τὴν φυσιϰὴν δύναμιν. Cf.
Cicéron, De l’Orateur, I, 44 : « Patria, cujus tanta est et tanta
natura, »
etc.
Contraires à l’ordre naturel.] La négation οὐ embarrasse ici mais on peut traduire comme s’il y avait οὐ ϰατὰ φύσιν ϰινήσεις.
La musique.] Συμφωνία a quelquefois ce sens général voyez les Topiques, VI, 2.
L’ordre nous est naturellement agréable.] Ἤν pour ἐστί {p. 141}Voyez Stallbaum, note sur le Criton de Platon, p. 120 (Bojesen).
Dans leurs rapports.] Sur le sens que nous donnons au mot λόγος, voy. le traité de Pachymère dans la Notice de Vincent, p. 401 et suiv. Au reste le sens de tout ce passage est fort incertain.
Chap. xx. — Si l’on change.] Κινήση. Aristide Quintilien, I, p. 8 : Κίνησις.... μεταϐολὴ τῶν ποιοτήτων εἰς τὰ ὁμογενῆ.
L’indicatrice.] Voyez Vincent, Notice, p. 119.
L’expression n’est plus grecque.] Οὐϰ ἔστιν ὁ λόγος ἑλλη-νιϰός. Rhétorique, III, 5 : Ἔστι δ’ ἀρχὴ τῆς λέξεως τὸ ἐλληνί-ζειν et Zénon, dans Diogène Laërce, VII, 59 : Ἑλληνισμὸς μὲν οὖν ἐστὶ φράσις ἀδιάπτωτος ἐν τῇ τεχνιϰῇ ϰαὶ μὴ εἰϰαίᾳ συνηθείᾳ. Ce n’est que chez les grammairiens de la décadence que les mots ἑλληνιϰός, ἑλληνίζειν, ἑλληνισμός s’appliquent aux mots et aux tournures de la langue commune, par opposition au pur atticisme.
Et comme une conjonction importante.] Καὶ μάλιστα τῶν ϰαλῶν. Tournure analogue dans la Rhétorique, I, 1.
Chap. v. — C’est un plaisir pour l’auditeur.] Voy. sur θεωρεῖν la note ci-dessus, p. 135. M. Bojesen entend ici ce mot dans le sens de contemplation philosophique, qu’il a quelquefois chez Aristote. Voyez De l’Ame, II, 1 Physique, VIII, 3.
De comprendre.] Μανθάνειν, plaisir souvent analysé par Aristote : Problèmes, XIV, 3 Poétique, chap. iv (voyez plus haut, p. 74) etc. En traduisant μανθάνειν par discere, M. Bojesen se voit forcé de corriger ainsi le texte : ἤ ὅτι ἡδὺ [μᾶλλον] τὸ θεωρεῖν ἤ τὸ μανθάνειν], et il renvoie au traité De la Sensation, chap. iv : Οὐ γὰρ ϰατὰ τὸ μανθάνειν, ἀλλὰ ϰατὰ τὸ θεωρεῖν ἐστι τὸ αἰσθάνεσθαι.
Par l’habitude.] Même observation dans la Rhétorique, I, 11.
Chap. xl. — Il accompagne.] Συνᾴδει est ordinairement employé au sens figuré dans Aristote par opposition à διαφωνεῖν. Voyez la Morale Nicom., I, 8.
Quand on n’est pas forcé de chanter.] C’est ainsi que, dans les idées des anciens, et particulièrement d’Aristote, toute obligation et toute rétribution attachée à la pratique {p. 142}d’un art le rend par cela même βάναυσον, c’est-à-dire indigne d’un homme libre. Voy., en ce qui concerne la musique, Aristote, Politique, VIII, 5.
Chap vi. — La paracataloge.] Comparez, pour plus de détails, Plutarque, De la Musique, chap. xxviii, et Athénée, XIV, p. 635-636.
Chap. xxviii. — Plutarque explique le sens de νόμος par la sévérité même des lois qui présidaient à ce genre de composition (De la Musique, chap vii). Suidas avait-il sous les yeux quelque autre témoignage d’Aristote sur le même sujet, quand il écrivait la notice suivante ? Νόμοι ϰιθαρῳδιϰοί. Ἀπόλλων, φασί, μετὰ λύρας ϰατέδειξε τοῖς ἀνθρώποις νόμους, ϰαθʼ οὔς ζήσονται, πραὔνων τε ἅμα τῷ μέλει τὸ ϰατʼ ἀρχάς ἐν αὐτοῖς θηριῶδες ϰαὶ εὐπρόσιτον τῇ τοῦ ῥυθμοῦ ἡδύτητι ποιῶν τὸ παραγγελλόμενον. Καὶ ἐϰλήθησαν νόμοι ϰιθαρῳδιϰοί. Ἐϰεῖθεν δὲ αεμνολογιϰῶς, ὡς ϰαὶ Ἀριστοτέλει δοϰεῖ, νόμο, ϰαλοῦνται οἱ μουσιϰοὶ τρόποι ϰαθʼ οὕς τινας ᾄδομεν. Voyez encore, dans Photius, les extraits de la Chrestomathie de Proclus.
Chez les Agathyrses.] Même usage chez les Crétois, selon Élien, Histoires diverses, II, 39, et Strabon, livre X, p. 482 à Mazaca, ville de Cappadoce, selon Strabon, liv. XII, p. 559. Cicéron, dans son enfance, apprenait aussi par cœur les lois des xii Tables, ut necessarium carmen, ce qui ne veut pas dire qu’elles étaient en vers (Des Lois, II, 23).
Chap. xv. — Des acteurs, etc.] On sait que les chanteurs dans les fêtes de Bacchus, les tragédiens et les comédiens, furent d’abord έθελονταί. Voyez Rhétorique, III, 7, et Poétique, chap. v.
A ceux qui restent dans leur propre caractère.] Τοῖς τὸ ἦθος φυλάττουσιν. M.
Bojesen veut que ce soient les choristes par opposition aux acteurs proprement
dits il, ne songe pas qu’Aristote oppose ici les acteurs proprement dits,
les acteurs payés, aux acteurs libres de l’ancien temps. Je conviens toutefois
qu’on s’attendrait à lire ἱδιον avant ἦθος Peut-être aussi ἦθος φυλάσσειν
signifie-t-il « s’abstenir des actions et des mouvements passionnés »
qui sont le propre signe des héros du drame. La dernière ligne du chapitre
semble appuyer cette conjecture.
{p. 143}C’est un nombre.] Voyez Denys d’Halicarnasse, De l’Arrangement des mots, chap. xix.
Une mesure identique.] Ἑνὶ μετρεῖται. Même expression dans la Morale Nicom., V, 8.
Chap. xxx. — Ne comportent pas l’antistrophe.] C’est-à-dire : sont moins lyriques. Voyez le chap. xlviii.
Chap. xlviii. — Sur ces divers modes, consulter la Notice de Vincent, qui renvoie avec soin aux travaux de ses prédécesseurs.
Un caractère tout dramatique.] Ἠθος πρακτιϰόν. Dans la Politique, VIII, 7, Aristote distingue entre les μέλη ἠθιϰά et les μέλη πῥαϰτιϰά, ce qui confirme encore la conjecture exposée ci-dessus, à propos du chap. xv.
Le Géryon.] Voyez les Fragments des Tragiques grecs, éd. Wagner, p. 101.
Majestueux et calme.] Mêmes éloges dans la Politique, VIII, 7 cf. Héraclide de Pont, cité par Athénée, XIV, p. 624.
Les traits de l’humanité.] Ἀνθρωπιϰά. De même, Rhétorique, I, 2 : Τὰ μὲν διʼ ἀπαιδευσίαν, τἀ δὲ διʼ ἀλαζονείαν, τὰ δὲ ϰαὶ διʼ ἄλλας αἰτία ; ἀνθρωπιϰάς.
Le mixolydien, etc.] L’insertion que j’ai faite ici dans le texte m’a été suggérée par M. Vincent, comme tout à fait nécessaire pour que ce passage ne contredise pas l’opinion expresse d’Aristote dans la Politique, VIII, 7, et des autres auteurs anciens. Voy. sa Notice, p. 99. M. Bojesen avait déjà remarqué que les mots ϰατὰ μὲν οὐν ταύτην, etc. conviennent mieux au mixolydien qu’à l’hypophrygien. Ces conjectures et ces remarques sont confirmées par un temoignage de Plutarque, De la Musique, chap. xvi, d’après lequel ce fut Sappho qui apprit aux tragiques l’usage de l’harmonie mixolydienne, comme plus propre aux effets de pathétique, tandis que l’harmonie dorienne ne convenait qu’au genre grave et sublime.
Sa bienveillance.] Remarquez la justesse élégante de cette observation d’Aristote, qui se rencontre avec Horace, Art poétique, v. 193 et suiv. :
…..Ille bonis faveatque et consilietur amice.
{p. 144}Chap. xxxi. — Phrynichus.] C’est en effet un des auteurs qui ont développé le dialogue et l’action tragique sur le fond lyrique du dithyrambe. Voy. Plutarque, Questions symposiaques, I, 5 le scholiaste d’Aristophane sur les Grenouilles, v. 1334 Suidas, au mot Φρύνιχος.
Mètres, chants lyriques.] Voyez la Notice de Vincent, p. 194-216. Ce texte est une des plus graves autorités en ce qui concerne la différence des μέτρα et des μέλη dans la poésie grecque, question pleine d’intérêt, mais aussi de difficultés, sur laquelle nous renverrons, pour plus de détails, aux ouvrages suivants : 1° Ed. du Méril, Essai sur le principe et les formes de la versification (Paris, 1841) 2° Vincent : De la Musique dans la tragédie grecque, à propos de la représentation d’Antigone (Paris, 1844) Dissertation sur le rhythme chez les Anciens (1845) Deux lettres à M. Rossignol sur le rhythme, sur la poésie lyrique et le vers dochmiaque (1846) Analyse du Traité de métrique et de rhythmique de saint Augustin, intitulé De Musica (1849) 3° M. Rossignol, Deux lettres à M. Vincent, sur le rhythme, sur le vers dochmiaque et la poésie lyrique en général (Paris, 1846).
FIN
Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.