Lille, 12 décembre 1854.
A M. DAUBRÉE, DOYEN DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE STRASBOURG 2
Lille, 12 décembre 1854.
Mon cher collègue, Je regrette bien que votre aimable lettre m'ait prévenu.
Car je me proposais de vous écrire dès que je connaîtrais ma
nomination, et malheureusement j'ai été pendant les premiers jours de décembre extrêmement occupé à Douai par j les examens de la Faculté des Lettres et par un petit discours à faire en deux jours au plus tard, on a pressé notre séance solennelle d'installation au chef-lieu de l'Académie.
Je vous remercie bien, mon cher collègue, des paroles sympathiques dont votre lettre est remplie à mon égard. Je serai en effet très bien à Lille. Je ne sache pas qu'une cité fasse plus grandement les choses et notre faculté, grâce à ces excellentes dispositions du conseil municipal, sera installée dans les meilleures conditions de prospérité. Tous les services seront largement pourvus et entièrement indépen* dants. Ajoutez à cela la gracieuseté d'un beau logement pour le doyen, au premier étage, au dessus de mon laboratoire.
Mais tout cela, mon cher collègue, adoucit fort peu les regrets que j'éprouve chaque fois que je songe au mal que je fais à l'enseignement de la chimie dans la Faculté de Strasbourg. M. Gerhardt1 devait me remplacer et l'affaire était fort avancée entre les mains de M. Dumas lorsque le ministre a fait opposition par la raison que M. Gerhardt avait quitté autrefois l'université avec peu de respect pour cette dernière. Les choses en sont encore à ce point.
M. Dumas vaincra-t-il la répugnance du ministre ou bien échouera-t-il? Je ne saurais vous dire combien j'ai hâte de voir cette affaire résolue. Je l'ai suivie pas à pas et c'est M. Gerhardt lui-même qui me tenait au courant. Je voudrais que M. Favre, de Besançon, demandât Strasbourg.
Mais il préfère Marseille, à cause du climat. Vous auriez en lui un bon professeur et un savant distingué.
Parmi ceux qui ont demandé à être placés dans les nouvelles facultés, il y a encore M. Lallemand, professeur de physique au lycée de Rennes, très appuyé par M. Dumas, éprouvé par l'enseignement des lycées et qui, avec les charges de cet enseignement pénible, a trouvé le temps de
faire une bonne thèse et récemment un très bon travail sur l'essence de thym, inséré dans le Recueil des savants étrangers 1. Il y a aussi M. Maumené, M. Berthelot préparateur au Collège de France 2. M. Figuier 3 quitterait peut-être la position qu'il a à Paris. Je crois qu'il y en a d'autres encore.
Quant à la somme de 1.000 fr. environ que je reçois à Strasbourg pour le compte de la Faculté, je vous adresserai très prochainement une demande de crédits extraordinaires que je vous prierai d'appuyer fortement auprès du ministre à qui elle sera faite 4. J'espère qu'il comprendra facilement qu'avec les faibles ressources dont je disposais je ne pouvais travailler autant que je l'ai fait sur des produits très dispendieux.
J'aurai ultérieurement et après que je serai installé ici un certain nombre de flacons et de produits divers à renvoyer a la Faculté, produits dont j'ai eu besoin à Paris et dont je vais me servir encore pour achever un travail en train.
Ayez la bonté, Monsieur, d'exprimer à mes anciens collègues tout le regret que j'éprouve à les quitter, eux avec qui j'ai eu toujours les plus agréables relations. Daignez Présenter mes respects à madame Daubrée, et vous, mon cher collègue, veuillez bien accepter l'expression de mon amitié et de la plus affectueuse estime.
Votre tout dévoué collègue, L. PASTEUR.