1775-12-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Grand merci, mon cher ami, de vôtre Lettre du 23.
Vous me faittes des compliments très agréables sur la signature de la paix entre les fermiers généraux et ma petite province. Mais plus d'un mariage a été manqué après les signatures. Nous ne tenons rien si nous n'avons des Lettres patentes du roi, enrégistrées à nôtre parlement.

Je crois qu'il dépend un peu de Mr de Bacquencourt, nôtre intendant, de presser cette besogne. Vous le voiez quelquefois, et nous vous prions de donner quelques coups d'aiguillon à sa bonne volonté.

Made De St Julien qui s'était chargée de nôtre affaire avec la plus grande vivacité, ne m'a point écrit depuis plus d'un mois. Je l'ai tant éxcédée de mes Lettres que je n'ai point eu de réponse. Je conçois bien qu'il faut du tems pour faire chauffer la cire de Monsieur le garde des sceaux, et pour faire signer nôtre traitté de paix au parlement de Dijon. Mais vôtre gouvernement a tant d'affaires; il est si occupé à faire maison nette, que je crains toujours qu'on ne nous oublie.

Je vous avoue que je suis bien curieux de voir le compte de vôtre fermier général, qui prétend que nôtre malheureux païs raportait à la ferme soixante et dix mille francs par an. Je vous assure que toutes nos seigneuries, à commencer par celle du roi, sont bien loin d'en raporter autant.

J'ai commandé sur le champ une montre de sept Louis d'or pour Monsieur le chevalier de Chatelux. Je vous réponds que vous en aurez une qui vaudrait douze Louis à Paris. Les maisons sont à Ferney un peu plus chères que les montres. Je me trouve ruiné pour avoir resté dans mon lit pendant qu'on me bâtissait des rues entières. Je ne dirai point avec Enée,

felices queis moenia surgent.

Cependant, il n'en faut pas avoir le démenti; il me parait très plaisant d'avoir fondé une ville libre, et de dire en mourant, mea moenia vidi.

Vôtre tante est toujours dans le régime, et il faudra que ce régime dure autant que l'hiver, qui est aussi intolérable chez nous, que l'été y est charmant.

J'ai une prière à vous faire, ce n'est pas d'aller voir Made de St Julien, mais de vous informer si elle est malade, ou si elle passe son tems à tirer des perdrix.

Je prie Madame d'Hornoy de me permettre de l'embrasser. Je m'intéresse beaucoup à la santé de Madame sa mère, et je me flatte que vous êtes content de celle de vos enfans.

J wish you a good christmas. J hope you are now a perfect briton.

On dit que vôtre caisse est partie. C'est une terrible caisse.

V.