1774-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Nicolas de Lisle.

Nonseulement, Monsieur, vous êtes un homme aimable, mais vous êtes un homme unique.
Vôtre pitié pour de pauvres reclus, vôtre éxactitude, vos bontés sont sans éxemple. Mais j’imagine que vous avez autant de discrétion que de bonté. On m’a écrit qu’une belle Dame que vous n’aimez guères a passé sa main blanche sur certaines petites excrescences de chair, qu’on appelle d’un nom dont je ne me souviens plus. Je ne sais pas non plus où cette Dame loge. Son amant est dit-on un militaire qui a fait quelques campagnes, et qui a la croix de st Louis. On assure que ce militaire s’est moqué de son curé, et que c’est un brave homme qui traitte comme il faut les choses de ce monde cy et de l’autre.

On dit qu’il s’était brouillé mal à propos avec un de ses amis. C’est aparemment quelque querelle de femme dans laquelle je n’entre point.

Je ne suis point du tout étonné que Madame Du Deffant ait eu les oreilles écorchées des vers et de la musique. Quelques personnes m’ont mandé que tout celà était du haut allemand, et que les Français ne savent plus ce qu’ils veulent. Mais je m’en raporte à vous sur les vers, sur la musique et sur la prose, et sur le chevalier de St Louis. Nous vous remercions, nous vous embrassons. Vos Lettres font la consolation de nôtre vie.