1767-03-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Si vous êtes sage, mon cher confrère, vous attendrez la fin d'avril pour revenir dans vôtre couvent.
Nous espérons que la communication avec le Lyonais et la Bourgogne sera rouverte dans ce temps là, ou du moins au commencement de May. Je ne sçais si vous sçavez que nous sommes entourez de troupes et de misère. Nous aurons encor des neiges sur nos montagnes pendant plus d'un mois; les désastres nous environnent et les secours nous manquent. Je suis obligé en conscience de vous en avertir, afin que si vous nous faittes le plaisir de venir plutôt vous ne soiez pas étonné de souffrir comme nous. Je crois même qu'il vous faudra un passeport de Mr Le Duc De Choiseul.

Je n'aime point du tout cette guerre, toute ridicule qu'elle est. Je me serais retiré à Lyon si je n'avais pas eu trop de monde à transporter.

On joue actuellement les Scithes à Genêve et à Lyon; on va les jouer à Paris dès que les spectacles se rouvriront. Les méchants m'attribuent tant d'ouvrages hétérodoxes que j'ai voulu leur faire voir que je ne fesais que de mauvais Tragédies. J'ai prouvé par là mon alibi; j'ai fait comme Alcibiade qui fit couper la queue à son chien, afin qu'on ne l'accusât pas d'autres sottises. Les Scithes pouront être siflés par les Welches, mais j'aime mieux être siflé par le parterre, que d'être calomnié par les cagots.

Mes respects à Eudoxie ou Eudocie, et à Monsieur son père que j'aime de tout mon cœur.