1763-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Eh mon Dieu! a t'on toujours dans sa poche droite un vieux mercure, et dans sa poche gauche un programme de L'Edition de Pierre Corneille? n'oublie t’-on pas tout dans Paris au bout de quelques Semaines, et même de quelques jours? songe t'on à autre chose qu'à ses rentes, à ses maîtresses, et à L'opéra Comique?

Il est d'une nécessité indispensable, de faire mettre de nouveaux avis dans les affiches de Paris et dans les journeaux. Voicy encor deux personnes qui s'adressent à made Denis pour avoir des souscriptions. Il est très important d'instruire le public à plusieurs reprises, et il l'est encor d'avantage d'écrire des Lettres circulaires à tous ceux qui ont souscrit et qui n'ont point payé.

Monsieur Cramer doit les Connaitre en consultant ses régistres et le programe. On ne sçait, par éxemple, si Messieurs les princes, mr Le Duc de Villars, made De Pompadour, mr le Prince de Soubise, ont paié leur contingent. Il est sûr que mr Le Maréchal de Richelieu et plusieurs grands seigneurs n'ont rien donné.

Voicy des modèles d'avis au public, et de Lettres Circulaires, dont monsieur Cramer et prié de faire usage. Il est prié aussi de mander si mr le Controlleur général a donné quelque chose au nom du Roy, afin qu'on puisse écrire en conséquence.

On lui renvoye les feuilles Corrigées. On lui renverra incessamment le traitté sur la tolérance, sur lequel on a consulté des ministres du St Evangile, et qui par conséquent sera approuvé de Dieu et des hommes.

On répond bien que ce saint Libelle entrera dans Paris, où tout entre; mais on recommande sur toute chose à Monsieur Gabriel le secrêt sur cette œuvre de Dieu.

Je suis plus en peine caro de votre testicule que de votre tipografie, madame Denis vous en dit autant quoy que cela ne soit pas honnête et melle Corneille suivrait notre exemple si elle savait de quoy il s'agit. Ne m'oubliez pas auprès de votre famille et rétablissez au plus vite vos parties récréatives.

V.