1762-01-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mes chers frères, je vous remercie au nom de l'humanité du manuel de l'inquisition.
C'est bien dommage que les philosophes ne soient encore ni assez nombreux, ni assez zélés, ni assez riches pour aller détruire par le fer et par la flamme ces ennemis du genre humain, et la secte abominable qui a produit tant d'horreurs.

M. Picardin me mande qu'il est assez content du droit du seigneur. On dit qu'on l'a gâté encore après la première représentation. Il faudrait avoir un peu plus de fermeté, et savoir résister à la première fougue des critiques, qui fait du bruit les premiers jours et qui se tait à la longue. On ne peut que corriger très mal quand on corrige sur le champ et sans consulter l'esprit de l'auteur. Cela même enhardit les censeurs; ils critiquent ces corrections faites à la hâte, et la pièce n'en va pas mieux.

Je vais écrire aux frères Cramer, et j'enverrai, par la poste suivante les deux exemplaires qu'on demande concernant le despotisme oriental. Ce livre très médiocre n'est point fait pour notre heureux gouvernement occidental. Il prend très mal son temps lorsque la nation bénit son roi, et applaudit au ministère. Nous n'avons de monstres à étouffer que les jésuites et les convulsionnaires.

M. Picardin demande absolument la préface du droit du seigneur. Cela est de la dernière conséquence; il y a quelque chose d'essentiel à y changer. Je supplie donc qu'on me l'envoie par la première poste; et m. Picardin la renverra incontinent.

On n'a point reçu de lettre de frère Thiriot. Cela n'a pas trop bon air; il devrait, ce me semble, montrer un peu plus de sensibilité.

J'embrasse tendrement tous les frères. S'ils ne dessillent pas les yeux de tous les honnêtes gens, ils en répondront devant dieu. Jamais le temps de cultiver la vigne du seigneur n'a été plus propice. Nos infâmes ennemis se déchirent les uns les autres. C'est à nous à tirer sur ces bêtes féroces pendant qu'elles se mordent et que nous pouvons les mirer à notre aise.

Soyez persévérants, mes chers frères, et priez dieu pour moi qui ne me porte pas trop bien.

Elevons nos cœurs à l'éternel. Amen.