1758-02-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

A la réception de votre lettre du 28, j'ai lu vite les articles dont vous parlez, homme selon mon cœur.
Mon vrai, mon courageux philosophe, ces articles augmentent mes regrets. Non, il n'est pas possible que la saine partie du public ne vous redemande à grands cris; mais il faut absolument que tous ceux qui ont travaillé avec vous quittent avec vous. Seront ils assez indignes du nom de philosophes, assez lâches pour vous abandonner? J'écrivis d'abord à m. Diderot, et je lui dis ce que je pense; je lui ai écrit encore. J'ai redemandé mes articles, et je n'ai point eu de réponse: ce procédé est rare.

La profession de foi des sociniens honteux est sous presse et presque finie. Les prêtres qui la font, ont voulu parler au nom des magistrats comme au leur, et les magistrats ne l'ont pas souffert. Ils ont consumé un grand mois à ce bel ouvrage. Voilà qui est bien long, disait on; il faut un peu de temps, répondit Hubert, quand il s'agit de donner un état à Jésus-Christ. La seule politesse que je fasse, consiste à dire que vous avez fait beaucoup d'honneur à la ville, que votre article est l'éloge de la liberté, et que le gouvernement doit être très flatté; que d'ailleurs vous n'avez certainement voulu blesser personne.

Qui donc a eu la bassesse d'envoyer un libelle en province? Est ce quelque confesseur de quelque dame du palais?

Madame de Pompadour semblait faite pour protéger l'Encyclopédie. L'abbé de Bernis doit chérir cet ouvrage, s'il a le temps de le lire. Ne se feront ils pas tous deux honneur d'en être le soutien? Je n'en sais rien; je vois tout de trop loin. Mettez moi au fait, je vous en prie; point tant de cachets quand vous m'écrirez; quatre donnent du soupçon, un n'en donne pas.

Je ne me console point que les fanatiques vous rendent Paris désagréable, et vous empêchent de revoir les Délices. Mais pourquoi n'y pas revenir? Quand la profession de foi est faite, la paix l'est aussi.

Que Paris est encore bête! Cicéron et Lucrèce passèrent ils par les mains des censeurs de livres? Pourquoi cette rage contre la philosophie? Je ne m'accoutume point à voir les sages écrasés par les sots. J'ai le cœur navré.