Potsdam 22 aoust [1752]
Je ne vous écrirai aujourdui ni de ma main ni en anglais mon cher et respectable ami: je suis trop malade pour avoir cette consolation.
J'ai appris qu'un libraire de Londres nommé Dodsley avait imprimé par souscription le siècle de Louis XIV en deux beaux volumes. Si cela est, il a fait une très grande sottise de ne m'en pas informer. Il était à présumer qu'une première édition n'est jamais qu'un essai, qu'il s'y glisse beaucoup de fautes, et que cette première édition attire à l'auteur beaucoup de critiques, de remarques et d'instructions utiles dont il profite. C'est ce qui m'est arrivé. Des ministres d'état qui m'avaient impitoiablement refusé leurs lumières lorsque je travaillais autrefois à cet ouvrage se sont empressés de m'éclairer dès qu'il a paru. Le livre, tout informe qu'il était, a eu tant de vogue, et l'objet en est si intéressant que chacun a voulu avoir part à sa perfection. Muni de tant de secours je fais faire une édition nouvelle dont j'espère vous envoier un exemplaire avant deux mois. Je vous supplie de communiquer au libraire Dodsley le mémoire que je vous envoie. Il serait triste qu'il eût déjà commencé son édition. Je vous demande en grâce de m'informer de ce qui en est le plutôt que vous pourez. Je ne me console d'avoir donné l'édition de Berlin que parce qu'elle en procurera une meilleure. Ce n'est pas que je me reproche de m'être trompé sur des vérités importantes, mais je n'en avais pas dit assez et je vous assure que la seconde fournée sera bien plus curieuse que la première. Permettez moi de présenter mes respects à madame votre femme. Je souhaite mille prospérités à toute votre chère famille et à votre nation que j'aimerai toujours.
Adieu my dear friend.
Voltaire