1751-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Étienne Darget.

Mon chien de procès n'étant point encore fini, et l'ancien testament me persécutant toujours, je ne sais que vous mander, mon cher ami.
Ma maladie augmente, j'ai besoin d'un peu de courage. Car, en vérité, si vous songez qu'après avoir suscité contre moi un d'Arnaud, après avoir corrompu mon secrétaire, et après m'avoir exposé par là aux suites les plus funestes, après m'avoir attaqué auprès du roi jusqu'à entrer dans les détails les plus bas, on me poursuit encore; si vous songez à toutes les mauvaises nouvelles que j'ai reçues à la fois de chez moi; si vous ajoutez à tout cela une maladie affreuse et la privation de la vue de sa majesté, vous m'avouerez qu'il me faudrait quelque fermeté. Je n'ai plus le bonheur de lire de beaux vers, de voir et d'entendre le seul homme sur la terre pour qui j'ai pu quitter ma patrie. Je me console en travaillant à l'histoire du Siècle de Louis XIV, dans les heures où mes maux me laissent quelque relâche. Je suis continuellement dans la chambre que sa majesté a daigné m'accorder, pénétré de ses bontés, attendant la fin de ses rigueurs. Le roi ne sait pas tout ce que j'ai essuyé; peut il connaître tous les trous que font les taupes dans les jardins de Sans-Souci? Bonsoir, mon très cher ami. Ma nièce me mande que je dois trouver dans vous bien de la consolation, et elle a bien raison. On a créé pour Moncrif la place de secrétaire général des postes de France. Moncrif est plus vieux que moi. Il ne fait peut-être pas mieux des vers, mais il se porte bien. Ah, mon cher ami, la perte de la santé, à trois cents lieues de sa famille, est bien horrible! Conservez la vôtre et goûtez le bonheur d'être auprès de votre adorable maître.