Xbre 1723
Chacun s'étonne avec raison, Voltaire,
Par quel bonheur la mort vous a raté:
Tout jeune corps, d'esprit rare habité,
Ne vieillit point: du moins l'on n'en voit guère;
Hélas! témoin le gentil La Faluère
Qui jà n'est plus et n'a qu'à peine été.
Contre vous donc quand l'arrêt fut porté,
Onc jugement ne fut moins téméraire:
Aussi de tous étiez jà regretté
Fors de l'envie et de votre bon frère
Qui ne sentant en vous de sainteté
Priait à dieu qu'il vous mît vite en terre
Pour accourcir d'autant l'iniquité.
Que béni soit le zêle qui l'enflamme,
Et dieu m'en garde! le voilà bien camus
Le janséniste avec son oremus;
Vous pécherez encore: c'il qu'on réclame
Ne vous a mis ni dans son paradis
Ni dans l'enfer, ni partout où votre âme
Eût eu de nous maints beaux de profundis.
Je disais donc qu'ici de cette cure
Chacun s'étonne et s'étonne à propos:
Puis que je sais moi seul quelle avanture
A suspendu le ciseau d'Atropos.
N'en rendez point grâce à votre jeunesse;
Rien n'y faisait, ci dessus l'avons dit.
N'en rendez point grâce au dieu du Permesse:
Certes Apollon vous aime et vous caresse;
Mais d'aucun mal le bon saint ne guérit.
Des gens ont cru, mais ne le croyez mie,
Qu'amour avait pris soin de votre vie,
Pour le besoin qu'il a de votre esprit
Qui peut (trop mieux que toute autre partie
Qu'ayez en vous) la mettre en bon crédit
Par jolis vers d'excellent acabit;
Non, non, vous dis je, erreur, pure chimère!
Amour ne sait ni qui meurt ni qui vit;
Et votre mal ne l'embarrasait guère;
Trop sûr que tout veille à ses intérêts,
Il n'y va pas regarder de si près.
Pour réparer les pertes qu'il peut faire,
Le garnement a cent moyens tout prêts.
Cent fois ce mal, source de mil regrets,
A ravagé l'empire de Cythère,
Chassé l'enfant du giron de sa mère
Et de sa trousse ôté les plus beaux traits.
En a-t-il fait pour cela moindre chère,
Moins triomphé toujours sur nouveaux frais?
Par un soupçon encore moins légitime,
Croiriez devoir le jour au commun vœu
Des gens de bien dont vous avez l'estime,
Quasi tous gens mal avec le bon dieu.
Qui vous a donc conservé la lumière?
Qui? le dirai je? à peine le croirez;
Moi seul, moi même! Oui, j'ai fait de manière
Que pour longtemps encore vous respirez.
Comment cela? Vous saurez le mystère;
Mais avant tout, s'il vous plaît, entendrez
Quel homme suis et quel esprit m'anime,
Malgré Phébus j'habite au mont sacré.
Vous comprenez assez dans quel degré:
Un peu plus près du pied que de la cime.
Or tout reptile est vénimeux un peu.
Quand donc j'ouïs, beau sire, qu'un cheveu
Tenait le coup pendu sur votre tête,
De mon bourbier, contre l'aigle du lieu
Je croassai cette douce requête:
Que ses honneurs ne soient point impunis!
Du haut du mont qu'il dévale au Tartare,
Le malheureux qui nous a tous honnis,
Et dont le nom fait si grand tintamare!
Dieux! enfermez le au ténébreux enclos!
Le sacré Pinde à coup sera clos,
Triompherons enfin dans notre mare!
Lors faudra bien qu'à nous, faute de mieux,
Descende ici madame Melpomène;
Lors aux Pradons, malgré les envieux,
En proie encor sera la noble scène;
Vengé sera notre bon capitaine
Si méchamment jadis vilipendé.
De la critique outrageante et profane,
Verrons, en paix, l'arc enfin débandé.
Vivat Inès! et foin de Mariamne!
Ainsi parlait dans mon cœur ulcéré
La maigre dame, au teint livide et blême,
Aux deux yeux creux, au regard effaré,
Au cœur infect qui, bourreau de lui même,
Nourrit l'aspic dont il est déchiré;
Quand on m'a dit qu'étiez tiré d'affaire.
Sot que je suis! de ma vive prière
Je devais bien attendre cet effet!
Savais je pas que je n'ai rien qu'à faire
Au ciel un vœu, pour que, dès qu'il est fait,
Sans point de faute avienne le contraire?
Mon astre est tel: c'est ce même démon,
Quand je priai pour avoir la raison
Qui m'inspira le métier de la rime:
O ciel malin! Que ne t'ai je imploré
Pour la santé de ce corps cacochime?
Je t'attrapais: il serait enterré.
L'heureux garçon vit pourtant à bon compte,
Vit grâce à nous et vit malgré nos dents;
Qu'au moins ceci ne dure pas longtemps!
Que tôt il crève, ou vive dans la honte!
Que son esprit n'enchante plus les gens!
A cet effet qu'on le remette en fonte!
Qu'il soit moqué, berné, sifflé . . . Bon! bon!
Ce beau courroux me rend un bon office:
Le ciel de qui j'oubliais la malice,
Va m'exaucer encore à sa façon.
La Bruyère a dit quelque part que ceux qui écrivent avec trop d'ardeur sont sujets à retoucher à leurs ouvrages; il pouvait, je crois, ajouter, et à y retoucher inutilement. Je vous ai obéi, monsieur, autant et du mieux que j'ai pu. J'ai bien peur d'avoir encore plus mal fait la seconde fois que la première. Vous en jugerez. Je n'ai pu me résoudre à réduire la prière à son quart, comme vous le vouliez. L'Ainsi parlait qui la suit semble en exiger la longueur. Et puis, c'est l'endroit de la pièce qui fait le mieux votre éloge; ce n'est pas par là des endroits à raccourcir.
J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec tout le respect et l'estime imaginables, votre très humble et très obéissant serviteur
Piron