Présentation §

C’est à l’automne de 1894 que le jeune Valéry de vingt-trois ans entreprend la série de Cahiers qu’on va lire, et qui marque un nouveau départ dans les premières années de sa carrière d’écrivain. Après avoir écrit une trentaine de poèmes et quelques textes en prose, il vient en effet de connaître de longs mois de marasme qu’il voudra tardivement resserrer en une sorte de coup d’État intérieur — ce qu’on appelle la Crise de Gênes — qu’il aurait vécu durant la nuit d’orage qui, du 4 au 5 octobre 1892, à Gênes précisément, lui donna le sentiment, au matin, de soudainement se sentir autre1. Deux crises, en fait, se sont superposées : la première est sentimentale, puisque la dévorante passion pour la baronne de Rovira, une jeune femme croisée dans les rues de Montpellier et à laquelle jamais il n’osa adresser la parole, l’a conduit, afin de dominer ses affects et de se protéger, à décréter que l’amour est chose mentale, comme la peinture avait pu l’être jadis pour Léonard de Vinci ; la seconde est une crise intellectuelle, qui l’a amené à ne plus écrire, par désespoir d’atteindre à la perfection qu’il découvre chez Mallarmé et chez Rimbaud. Pourquoi composer des poèmes, si l’on se sent condamné à ne jamais pouvoir s’élever à l’exigeante hauteur que l’on s’est assignée ? C’est ce que, le 20 mars 1892, il confie très clairement à son ami Pierre Louÿs : « Je crois aussi que le monde n’a pas besoin d’un ... Dierx, d’un Leconte de Lisle même, de plus2. » Ainsi, de décembre 1892 à août 1895, date à laquelle est publiée son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, il ne fait rien paraître. Or précisément cette étude célèbre, qui est le résultat d’une commande que lui a faite quelques mois plus tôt, en décembre, la directrice de La Nouvelle Revue, Juliette Adam, est un autre signe de ce renouveau qui se fait jour à l’automne.

Valéry maintenant dépouille l’homme ancien pour entrer dans une ère nouvelle : il ouvre un cahier d’écolier de couverture orange sur lequel il écrit, usant de l’encre violette qui lui est alors habituelle, « Journal de bord », et où il ajoutera tout en bas « Pré-Teste », lorsqu’aura paru en décembre 1896, La Soirée avec Monsieur Teste. De mai à juillet, déjà, il avait couvert de notes comparables à celles qui vont suivre un ensemble de feuillets qui constituent une sorte de « pré-cahier »3. Mais le cahier orange inaugure pleinement la longue série des Cahiers que, jusqu’à sa mort, il va tenir chaque matin, à l’aube, « entre la lampe et le soleil4 ». Matériellement, le terme de Cahiers n’est pas totalement pertinent puisque les notes, avant de figurer à nouveau de manière systématique sur de véritables cahiers d’écolier, seront pendant quelques années parfois prises sur des feuillets du ministère de la Guerre — où Valéry est rédacteur de 1897 à 1900 — regroupés en dossiers, ou dans des registres cartonnés de plus grand format, mais le fait est sans grande importance. Par ailleurs, au commencement encore, certains Cahiers sont thématiques — l’un d’entre eux, par exemple, est centré sur le langage  — et il semble qu’en ces années de la fin du siècle il ait parfois simultanément travaillé sur plusieurs, ce qui rend la datation parfois incertaine car ces premiers Cahiers, souvent, ne proposent guère de repères chronologiques : le classement ne va donc pas sans quelque incertitude, et celui que nous proposons pour ces premières années est assez différent de celui de l’édition Gallimard.

Pour le reste, on aurait tort, sans doute, de considérer que la pratique de la note relève d’une écriture totalement neuve : d’abord parce que, depuis ses plus jeunes années, son goût l’a déjà incliné, en marge de son œuvre littéraire naissante, à prendre des notes, tantôt intimes, tantôt intellectuelles, conservées à la BnF sous le titre de « Notes anciennes » ; ensuite, parce que Valéry, avant l’entre-deux-guerres où il sera conduit, souvent, à une spontanéité d’écriture qui lui permette un achèvement plus rapide, compose ses poèmes et ses proses à partir de fragments ensuite patiemment jointoyés ; enfin, parce que l’entreprise qui trouve maintenant un début de réalisation répond à un projet ancien, presque une injonction à soi-même, que mentionnait déjà un petit carnet de 1892 : « Il faudra entreprendre une série de cahiers5. » Mais alors incertain, on l’a vu, de lui-même et de son avenir, il avait différé la décision : elle est maintenant acquise, et surtout les notes désormais tirent leur pleine cohérence d’une ambition intellectuelle nouvelle.

L’essentiel en effet est que, pour un demi-siècle, un espace d’écriture privée vient de s’ouvrir, où la pensée ne se développe que selon des catégories personnelles et ne s’exprime souvent que dans une langue faite pour soi, une manière d’idiolecte parfois, avec ses abréviations, ses sigles6 ou encore ses cryptages. Lorsqu’il écrit dans ses Cahiers, Valéry passe visiblement du dehors du monde au dedans de son univers personnel, et il n’est pas indifférent que ces Cahiers s’écrivent à l’aube, dans le sommeil du monde. C’est le laboratoire de sa pensée en même temps que son atelier d’écritures : ici tout s’inscrit librement, se compose et se reprend dans la diversité de la réflexion et la spontanéité de l’en-avant. Chez cet écrivain qui s’intéresse de très près aux sciences — les mathématiques, surtout, mais aussi la physique — auxquelles il s’est initié avec enthousiasme grâce à un ami de Montpellier, Pierre Féline, qui préparait l’École Polytechnique, et pour lesquelles il continuera de manifester une réelle curiosité élargie à la médecine ou la biologie, mais qui en même temps dessine et peint non sans talent, la page peut s’ouvrir au chiffre d’un calcul où la main s’est contrainte — d’assez nombreuses feuilles des premiers Cahiers sont consacrées à des calculs — aussi bien qu’au tracé d’un dessin, à la couleur d’une aquarelle, où cette fois la main s’est visiblement la main libérée. Dès le début s’y écrivent aussi de loin en loin quelques poèmes en prose, et durant les années où le travail du vers est suspendu — en particulier au cours des vingt années qui précèdent La Jeune Parque de 1917 —, ces petits textes spontanés sont la vraie poésie de l’écrivain, dictée par le présent d’une émotion : un chant d’oiseau, une tempête, l’exaltation de l’esprit qui s’éveille, grisé de tous les possibles, mais aussi plus tard la détresse affective7.

Les Cahiers ne répondent ainsi à aucun genre. Durant les vingt-cinq premières années à peu près, ils échappent au Journal par l’extrême rareté des notations intimes, que conforte le peu de goût, chez Valéry, pour la mémoire de son passé ; pendant longtemps, d’ailleurs, aucune datation régulière ne vient scander le déroulement de l’écriture, et au commencement Valéry, bien souvent, se contente de porter la date sur la couverture ou la page de garde du nouveau Cahier. Mais l’écriture va évoluer, et à compter de la fin de la Première Guerre mondiale, les Cahiers accueilleront beaucoup plus volontiers bien des notations personnelles — en particulier aux moments de détresse affective — et Valéry y consignera des notes de voyage, il y rapportera des conversations ou encore mentionnera des déjeuners, des dîners ou des conférences. Par ailleurs, accueillantes à la recherche la plus abstraite comme aux diverses formes d’une littérature traversière, ces pages ne ressortissent pas davantage à l’essai : l’écriture ne s’exerce, dans la fragmentation de son mouvement quotidien, que par la sollicitation présente, secrètement aimantée par l’avenir qui la fait progresser en spirale, dans le retour des mêmes questions, mais cependant reprises à nouveaux frais, enrichies durant tant d’années de leurs déplacements successifs : « Je suis comme une vache au piquet, écrira Valéry en 1936, et les mêmes questions depuis 43 ans broutent le pré de mon cerveau8. » Les Cahiers, enfin, ne sont pas non plus un espace préparatoire qui leur donnerait le statut de brouillon des œuvres à paraître. Il leur arrivera certainement d’accueillir quelques bribes de textes à venir — on retrouve ainsi, dans La Soirée avec Monsieur Teste, plusieurs phrases à peine modifiées — ou des réflexions où se fixe la première ambition d’une œuvre, et c’est ainsi que le tout premier Cahier de 1894 évoque « le portrait de Monsieur un tel » qui, quelques mois plus tard, deviendra justement le portrait de Monsieur Teste. Et, à l’inverse, Valéry, qui toute sa vie usa de petits carnets où il prenait rapidement quelques notes, les a parfois transcrites ou développées dans les Cahiers, et il est arrivé, rarement, que certaines pages très écrites aient trouvé leur toute première formulation sur une feuille volante ou dans un carnet.

On ne saurait naturellement dresser une liste exhaustive des questions abordées9, car elles touchent aussi bien à son expérience d’écrivain et à la théorie qu’elle lui inspire, qu’à l’analyse souvent très précise du langage, à la critique de la philosophie, de l’Histoire et du roman, aux phénomènes du rêve et à la variation des processus mentaux, ainsi qu’à l’étude des mécanismes de l’Esprit et du Corps : émotions, sensations, mémoire, conscience, réflexe, etc. Valéry l’a lui-même noté : « La spécialité m’est impossible. Je fais sourire. Vous n’êtes ni poète, ni philosophe, ni géomètre — ni autre. Vous n’approfondissez rien. De quel droit parlez-vous de ceci à quoi vous n’êtes pas exclusivement consacré ? […] Ma spécialité, c’est mon esprit10. » D’une certaine manière, cette diversité est le reflet de la jeunesse de l’écrivain dont les intérêts très éclectiques se portent aussi bien vers les sciences, on l’a vu, que vers la philosophie, l’architecture ou bien encore la botanique. Il ne dédaigne pas non plus les pensées atypiques : c’est ainsi, par exemple, qu’il a lu Wronski, aussi théosophe que philosophe, ou assisté à Montpellier à quelques-uns des cours que donnait librement, à l’université de Montpellier, Georges Vacher de Lapouge, le fondateur d’une sulfureuse anthroposociologie que Valéry naturellement, tout en y prêtant intérêt, était bien loin de faire sienne. Et sans doute faudrait-il, pour mieux définir cette intelligence si ouverte, redonner quelques couleurs neuves au mot trop désuet de penseur.

Au moment où il inaugure cette longue série de deux cent soixante et un Cahiers qui finira par compter plusieurs dizaines de milliers de pages, c’est le fonctionnement de l’Esprit qui surtout le requiert. Valéry a restreint le champ de la littérature — ni Léonard de Vinci ni Monsieur Teste ne sont tournés vers elle — pour se déporter vers tout autre chose : des analyses dont l’exemple de la science doit fonder la rigueur. Il lui semble que, sans aucun recours à la métaphysique, la mécanique de l’Esprit doit pouvoir s’exprimer — moins par l’explication que par la représentation — en termes de fonctionnement, et il fait donc appel à des modèles empruntés aux mathématiques et à la physique. Cette recherche, il l’appelle son Système : elle l’occupera pleinement jusqu’au tournant du siècle, et il y reviendra plus tard de loin en loin. À coup sûr irréalisable, le projet n’aboutira pas, mais sans doute était-il nécessaire qu’il fût mis en chantier car, après l’ébranlement affectif auquel Valéry tenta de mettre un terme à partir de 1892, tout porte à croire que le Système fut une sorte d’autothérapie où s’affirme la volonté de renforcer les défenses de l’intellect contre les menaces sentimentales que la baronne de Rovira a si douloureusement fait peser sur lui. Son analyse du fonctionnement de l’esprit se superpose alors visiblement à l’étude du sien propre — et il dira plus tard avec raison : « Je ne fais pas de “Système”. Mon système — c’est moi11. » C’est pourquoi, là encore, l’écriture des Cahiers évolue : si les premiers, durant plus de vingt ans, sont d’une abstraction très sévère, la pensée aussi bien que l’écriture s’assouplissent ensuite et, peu à peu, vers la fin de la Première Guerre, ouvrent à des réflexions toujours aussi diverses, mais qui ont émoussé la pointe sèche de l’abstraction, et surtout sont devenues parfois beaucoup plus personnelles, voire intimes.

Ce qui demeure en tout cas au travers des années, c’est que le désir d’une maîtrise de soi par soi s’accompagne d’une volonté de dominer les connaissances reçues et, rétrospectivement, ce désir donne aux Cahiers une allure d’encyclopédie personnelle — où les réponses sont parfois des questions. Constamment s’affirme le désir de forger ses propres instruments de pensée, de rompre avec toutes les idées reçues dans un mouvement de réappropriation que donne parfaitement à comprendre la figure de celui que Valéry, en 1926, appellera le « puissant esprit » : « Le puissant esprit pareil à la puissance politique, bat sa propre monnaie, et ne tolère dans son secret empire que des pièces qui portent son signe. Il ne lui suffit pas d’avoir de l’or ; il le lui faut marqué de soi. Sa richesse est à son image. Son capital d’idées fondamentales est monnayé à son effigie ; il les a faites ou refondues ; et il leur a donné une forme si nette, il les a frappées dans un or si dur qu’elles circuleront à travers le monde sans altération de leurs caractères et de son coin12. » La singularité et le sentiment essentiel d’être différent, qui sont tôt apparus chez le jeune écrivain, prennent à partir de 1894 une dimension intellectuelle majeure, mais également toujours existentielle, car il n’est pas indifférent sans doute qu’en cette année où s’inaugure la série des Cahiers, Valéry adresse à Gide une lettre — sur laquelle celui-ci écrit de sa main : admirable — où il définit avec une entière lucidité le rapport qu’il entretient avec les autres : « Ce que je sais, c’est que je me sens réellement trop différent — non peut-être que je le sois plus, mais que je le sente et tende à le sentir plus que n’importe qui — des gens. Te rappelles-tu : je te disais abandonner les idées que j’avais dès que d’autres me semblaient les avoir. C’est toujours vrai. Je veux être maître chez moi13. »

Être maître chez soi, comprendre et réinventer : tel est, selon le mot qu’il affectionne, le robinsonisme de Valéry qui écrira dans L’Idée fixe : « Je me considère comme un Robinson intellectuel14. » D’une certaine manière, les Cahiers sont ainsi à ses yeux cette île où il justifie très tôt son travail par cette phrase : « J’existe pour trouver quelque chose15. » Innommé et pour nous mal définissable, ce quelque chose excède à coup sûr le Système, mais il définit l’en-avant de l’entreprise, et ce mouvement même interdit d’y déceler la trace d’un désir d’autobiographie. Reste pourtant que dans toutes ces notes — pour qui s’accorde le loisir de les lire de bout en bout — se compose malgré tout une manière d’autoportrait, essentiellement intellectuel, mais où paraissent des touches plus personnelles — ainsi, « angoisse, mon véritable métier16 » — autoportrait dont l’authenticité vient tout entière de ce que l’auteur n’écrit que pour soi et que, dans le refus de se montrer, il échappe au péril de la pose. Et parce qu’il s’agit là d’une œuvre privée, les questions que l’œuvre publique a reprises et rendues familières semblent souvent, dans les Cahiers, faire l’objet d’un traitement plus personnel encore, plus profond et souvent plus caustique, voire brutal, où s’affirme la souveraineté d’un Je qui ne ménage les idées de personne. Ce qui se découvre ainsi, c’est la tension — qui marquera toute l’existence de Valéry — entre la volonté de se préserver, d’écrire pour soi, et la nécessité qui se fera jour par la suite, afin de gagner sa vie, d’écrire pour autrui — et de publier.

Il n’est donc pas indifférent qu’il note un jour : « Je n’aime pas les idées des autres, et c’est pour ne pas faire des miennes les idées des autres que je ne les ai pas publiées17. » Or l’année même où il écrit cette phrase, en 1924, il fait paraître le Cahier B 1910, c’est-à-dire un ensemble de notes presque toutes écrites cette année-là. Mais on aurait tort d’en conclure hâtivement à une simple contradiction, car pour la lever, il suffit de se rappeler que Valéry, en 1922, a perdu son emploi de secrétaire auprès d’Édouard Lebey : atteint de la maladie de Parkinson, l’ancien patron de l’agence Havas, dont la santé lentement déclinait depuis plusieurs années, s’est éteint le 14 février. Mais Valéry se fait de la littérature une si haute idée que, décidé à chercher un nouvel emploi — qu’il ne trouvera pas — il confie à son amie la baronne de Brimont qu’il « répugne en principe à tout ce qui, pour vivre, demande que l’on touche aux parties supérieures de l’esprit18 », et se montre ainsi réticent à l’idée de monnayer sa plume. Et cependant, prévoyant la disparition prochaine de Lebey, il a commencé d’honorer des commandes — en 1919, « La crise de l’esprit » est la première et en même temps l’une des plus célèbres — et le voilà désormais contraint de faire le pas au-delà. Il va tirer de ses Cahiers d’innombrables notes plus ou moins remaniées, et le Cahier B 1910, bien plus tard intégré à Tel Quel I, qui paraîtra durant la Seconde Guerre mondiale, en 1941, n’est que le premier d’une longue série de recueils, Tel Quel II, Mélange, Mauvaises pensées et autres, ou bien encore Propos me concernant. Mais, en même temps, si Valéry, malgré tout, se décidera à livrer des textes qu’il n’avait écrits que pour soi, c’est qu’ils lui sembleront également témoigner, dans le monde littéraire, de cette différence qui, dans les Cahiers, définit sa recherche personnelle et dont il souhaite qu’elle vienne à infléchir la figure publique qui est la sienne et où il peine à vraiment se reconnaître. Cette stratégie de publication fragmentaire, néanmoins, il ne s’y résoudra que faute de mieux : il établira un classement thématique des innombrables notes de ses Cahiers qui seront dactylographiées à partir de 1920, et il lui arrivera de songer à en faire un vrai livre : une manière de Dictionnaire philosophique. Mais, pour un tel ouvrage, il eût fallu se résoudre à traduire en un langage vraiment public ce qu’il n’avait d’abord écrit et pensé que pour soi ; et surtout se résoudre également à préférer ce retour en arrière à la poursuite de l’en-avant. Or le pli était pris depuis si longtemps qu’il lui plaisait bien davantage de couvrir de notes chaque matin quelque nouvelle page : « Ces cahiers sont mon vice19. »

 

Il existe trois éditions des Cahiers :

La première est celle qui, de 1957 à 1961, a été publiée par les Éditions du CNRS en vingt-neuf tomes de grand format qui reproduisent le manuscrit en fac-similé. Elle demeure l’édition de référence en dépit de certains défauts. Le premier était mal évitable, et on a souvent regroupé sur une même page, pour gagner de la place, des fragments qui figuraient sur des pages manuscrites différentes ; certains Cahiers, d’autre part, se sont trouvés décalés et ne sont pas reproduits à la bonne date, et ici ou là, des passages ont été omis par mégarde ; enfin, à la demande de la famille, les notations trop intimes ont été masquées au moment de la reproduction.

La deuxième est l’anthologie en deux volumes que Judith Robinson-Valéry a procurée en 1973 et 1974 dans la « Bibliothèque de la Pléiade » et qui représente environ de cinq à dix pour cent de l’ensemble. L’édition reprend les grandes rubriques choisies par Valéry et que je viens d’évoquer à la fin de ma Présentation : Ego, Éros, Histoire-politique, Langage, Littérature, Philosophie, Science, etc.

La troisième est l’édition en treize volumes, parue chez Gallimard de 1987 à 2016, et qui correspond aux vingt premières années des Cahiers : 1894-1914. Sous la direction de Nicole Celeyrette-Pietri, en collaboration avec Judith Robinson-Valéry, puis avec Robert Pickering, enfin avec William Marx, elle a été réalisée par une équipe de chercheurs français et étrangers dans le cadre de l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (ITEM) du CNRS, et propose une transcription du manuscrit fidèle à la mise en page ; le texte est annoté et divers documents inédits sont offerts en annexe. Ces treize volumes correspondent aux cinq premiers tomes, seulement, de l’édition du CNRS. Or comme Valéry, par la suite, a, chaque année, dans ses Cahiers, consigné des notes plus nombreuses que pendant cette première période, si la transcription sous forme de livre avait été poursuivie sur le même modèle, il aurait fallu ajouter soixante-cinq volumes environ pour offrir l’intégralité des Cahiers : c’est l’impossibilité de mener à bien un pareil projet qui a donc conduit à la décision de réaliser, dans le cadre du Labex OBVIL de l’Université Paris-Sorbonne, l’édition numérique de l’intégralité des Cahiers.

 

N.-B. Étant donné l’immensité du corpus, nous avons décidé de proposer un Thésaurus qui constitue une sorte de vaste anthologie dont les entrées correspondent aux principaux sujets que Valéry aborde dans les Cahiers. Pour chaque entrée, le lecteur pourra ainsi accéder aux passages les plus intéressants.