Préface pour une édition des deux lettres à l'auteur des Imaginaires
Source : , Préface pour une édition des deux lettres... in Oeuvres de Jean Racine, Paris, H. Agasse, 1807, p. 77-82.
[EN-TETE] §
{p. 77}PREFACE
Pour une édition des deux Lettres à
l’auteur des Imaginaires, etc.I §
Je ne crois pas faire un grand présent au public en lui donnant ces deux Lettres. Il en a vu une, il y a un an, et je lui aurais abandonné l’autre bientôt après, si quelques considérations ne m’avaient obligé de la retenir. Je n’avais point prétendu m’engager dans une longue querelle, en prenant l’intérêt de la comédie : mon dessein était seulement d’avertir l’auteur des Imaginaires d’être un peu plus réservé à prononcer contre plusieurs personnes innocentes. Je crus qu’un homme qui se mêlait de railler tant de monde, était obligé d’entendre raillerie, et j’eus regret de la liberté que j’avais prise dès qu’on m’eut dit qu’il prenait l’affaire sérieusement.
Ce n’est pas que je crusse que son ressentiment dût aller loin. J’avais vu ma Lettre entre les mains de quelques gens de sa connaissance, qui en avaient ri comme les autres, mais qui l’avaient regardée comme une bagatelle qui ne pouvait nuire à personne ; et Dieu sait si j’en avais eu la moindre pensée. Je savais que le Port-Royal n’avait pas accoutumé de répondre à tout le monde. Ils se vantaient assez souvent de n’avoir jamais daigné accorder cet honneur {p. 78}à des personnes qui le briguaient depuis dix ans, et je fus fort étonné quand je vis deux Lettres qu’ils prirent la peine de publier contre la mienne.
J’avoue qu’elles m’encouragèrent à en faire une seconde ; mais lorsque j’étais prêt à la laisser imprimer, quelques-uns de mes amis me firent comprendre qu’il n’y avait point de plaisir à rire avec des gens délicats qui se plaignent qu’on les déchire dès qu’on les nomme ; qu’il ne fallait pas trouver étrange que l’auteur des Imaginaires eût écrit contre la comédie, et qu’il n’y avait presque point de régent dans les collèges, qui n’exhortât ses écoliers à n’y point aller ; et d’autres des leurs me dirent que les Lettres qu’on avait faites contre moi étaient désavouées de tout le Port-Royal, qu’elles étaient même assez inconnues dans le monde, et qu’il n’y avait rien de plus incommode que de se défendre devant mille gens qui ne savent pas seulement que l’on nous ait attaqués. Enfin, ils m’assurèrent que ces Messieurs n’en garderaient pas la moindre animosité contre moi, et me promirent de leur part un silence que je n’avais pas songé à leur demander.
Je me rendis facilement à ces raisons ; je crus qu’il ne serait plus parlé ni de la Lettre ni des Réponses ; et sans m’intéresser davantage dans le parti des comédies ni des tragédies, je me résolus de leur laisser jouer à leur aise celles qu’ils {p. 79}nous donnent tous les jours avec Desmarets et les Jésuites. Mais je vois bien que ces bons solitaires sont aussi sensibles que les gens du monde ; qu’ils ne souffrent volontiers que les mortifications qu’ils se sont imposées à eux-mêmes, et qu’ils ne sont pas si fort occupés au bien commun de l’Église, qu’ils ne songent de temps en temps aux petits déplaisirs qui les regardent en particulier.
Ils ont publié depuis huit jours un Recueil de toutes leurs Visionnaires, imprimé en HollandeII. Ce n’est pas qu’on leur demandât cette seconde édition avec beaucoup d’empressement ; la première, quoique défendue, n’a pas encore été débitée à Paris. Mais l’auteur s’est imaginé peut-être qu’on lirait plus volontiers en deux volumes des Lettres qu’on n’avait pas voulu lire en deux feuilles. Il a eu soin de les faire imprimer en même caractère que les dix-huit Lettres provinciales, comme il avait eu soin de les pousser jusqu’à la dix-huitième ; sans nécessité, et il avait impatience de servir de seconde partie à M. Pascal.
Il dit déjà dans l’une de ses Préfaces que « quelques personnes ont voulu égaler ses Lettres aux Provinciales
». Il leur répond modestement, à la vérité ; mais on trouve qu’il y avait plus de modestie à lui, et même plus de bon sens, de ne point du tout parler de cette objection, qui apparemment ne lui avait été faite que par {p. 80}lui-même. On voit peu de fondement à cette ressemblance affectée ; et l’on commence à dire que la seconde partie de M. Pascal sera aussi peu lue que la suite du Cid et le supplément de VirgileIII. Quoi qu’il en soit, les réponses qu’on m’avait faites, n’avaient pas assez persuadé le monde que je n’avais pas de bon sens. On n’avait point encore honte d’avoir ri en lisant ma Lettre. Mais aussi ne fallait-il pas qu’un homme d’autorité, comme l’auteur des Imaginaires, se donnât la peine de prononcer ce qui en était. C’est bien assez pour lui de prononcer ; il n’importe que ce soit dans sa propre cause ; l’intérêt n’est pas capable de séduire de si grands hommes ; ils sont les seuls infaillibles. Il dit donc que « je suis un jeune poète
» ; il déclare que « tout est faux dans ma Lettre, et contre le bon sens, depuis le commencement jusqu’à la fin
». Cela est décisif. Cependant elle fut lue de plusieurs personnes qui n’y remarquèrent rien contre le sens commun. Mais ces personnes étaient sans doute « de ces petits esprits dont le monde est plein
» ; ils n’ont que le sens commun en partage ; ils ne savent pas qu’il y a un véritable bon sens qui n’est pas donné à tout le monde, et qui est réservé à ceux {p. 81}qui connaissent le véritable sens de Jansénius.
A l’égard des faussetés qu’il m’impute, je demanderais volontiers à ce vénérable théologien en quoi j’ai erré ; si c’est dans le droit, ou dans le faitIV. J’ai avancé que la comédie était innocente ; le Port-Royal dit qu’elle est criminelle ; mais je ne crois pas qu’on puisse taxer ma proposition d’hérésie ; c’est bien assez de la taxer de témérité. Pour le fait, ils n’ont nié que celui des Capucins, encore ne l’ont-ils pas nié tout entier. Mais ils en croiront tout ce qu’ils voudront ; je sais bien que quand ils se sont mis en tête de nier un fait, toute la terre ne les obligerait pas de l’avouer.
Toute la grâce que je lui demande, c’est qu’il ne m’oblige pas non plus à croire un fait qu’il avance, lorsqu’il dit que le monde fut partagé entre les Réponses qu’on fit à ma Lettre, et qu’on disputa longtemps laquelle des deux était la plus belle. Il n’y eut pas la moindre dispute là-dessus, et d’une commune voix elles furent jugées aussi froides l’une que l’autre. Il ne fallait pas qu’il les redonnât au public, s’il avait envie de les faire passer pour bonnes ; il eût parlé de loin, et on l’aurait pu croire sur sa parole.
Mais tout ce qu’on fait pour ces Messieurs a {p. 82}toujours un caractère de bonté que tout le monde ne connaît pas. Il n’importe que l’on compare dans un écrit les fêtes retranchées avec les auvents retranchésV ; il suffit que cet écrit soit contre M. l’Archevêque, ils le placeront tôt ou tard dans leurs recueils : ces impiétés ont toujours quelque chose d’utile à l’Eglise.
Enfin, il est aisé de connaître, par le soin qu’ils ont pris d’immortaliser ces Réponses, qu’ils y avaient plus de part qu’ils ne disaient. A la vérité, ce n’est pas leur coutume de laisser rien imprimer pour eux qu’ils n’y mettent quelque chose du leur. On les a vus plus d’une fois porter aux docteurs les approbations toutes dressées. La louange de leurs livres leur est une chose trop précieuse ; ils ne s’en fient pas à la louange de la Sorbonne. Les avis de l’imprimeur sont d’ordinaire des éloges qu’ils se donnent à eux-mêmes, et l’on scellerait à la chancellerie des privilèges fort éloquents, si leurs livres s’imprimaient avec privilège.