Théologie du cœur et de l’esprit §
{p. 252} Vingtiéme remede au péché d’Impureté.
Le vingtiéme remede au péché de Luxure, c’est de ne jamais se trouver aux Comedies, ni à de pareils spectacles. Ce n’a été que dans nos derniers siécles, qu’on a entrepris de justifier de si pernicieux divertissemens. Ceux qui dans les temps anterieurs faisoient profession de piété, n’en ont parlé qu’avec horreur ; & tous ont reconnu que le Théâtre ne s’accordoit point avec le Christianisme. On veut aujourd’hui que la conscience s’accorde avec le crime, afin qu’elle ne soit point troublée par ses remords. N’y ayant donc point de divertissement plus agreable aux gens du monde que la Comedie, ils s’efforcent de s’en assurer une jouissance paisible, pour que rien ne manque à leurs plaisirs. Peut-on envisager la matiére, le but, & les effets des Comedies, & ne pas les condamner ? Quelles impressions ne laissent-elles point à ceux qui les voyent representer ? & peuvent-ils accorder ces impressions avec la sainteté de notre Religion ? Que voit-on dans ces Spectacles ? Des hommes & des femmes qui representent des passions de haine, de colere, d’ambition, de vengeance, & d’amour. {p. 253}Ils les expriment vivement : peuvent-ils le faire qu’aprés les avoir excitées en eux ? & nous les representer, sans nous faire ressentir les mêmes impressions qu’ils ressentent ? Toute leur vie ne se passe-t-elle pas dans ce damnable exercice ? & n’est-ce pas autoriser le vice, & exposer son salut, que d’assister à de pareils spectacles ?
L’amour étant la plus forte impression que le premier péché a fait sur nous, rien n’est plus dangereux que de l’exciter, que de le nourrir, & de s’exposer à tout ce qui en favorise le cours. Y a-t-il rien qui flatte plus cette passion, que tout ce qui se voit & tout ce qui se dit dans les Comedies ? Ce qui sert le plus à la tenir en bride, est une certaine horreur que la bonne éducation & le Christianisme en inspirent. Or rien n’affoiblit plus cette horreur, que la Comedie, où l’amour paroît d’une maniére, qui au lieu de rendre cette passion horrible, est capable de la faire aimer. L’esprit s’y apprivoise peu à peu ; on apprend à la souffrir, à en parler, & l’ame s’y laisse aller. On la déguise sur le Théâtre ; on l’embellit par l’art ; on la justifie par le tour que lui donne le Poëte ; on n’y trouve plus rien de honteux, & on la voit avec plaisir : mais peut-on sans danger, voir avec plaisir une passion qu’on ne doit point avoir ? & n’approuve-t-on pas secretement tout ce qu’on goûte ?
C’est un autre effet du premier péché, de ne point goûter les biens spirituels : le Théâtre rend ce dégoût encore plus grand. On y apprend à juger de toutes choses par les sens, & {p. 254}l’on s’accoutume à ne regarder comme bien que ce qui les frappe. Au lieu de délivrer l’ame de la dépendance où elle est à leur égard, on multiplie ses liens par les Comedies & les Romans ; & on la contraint d’être toute dans les yeux & dans les oreilles. Nous devrions sans doute la renfermer au dedans de nous-mêmes, en l’occupant de sa dignité ; & nous la tirons, par les spectacles, du dedans au dehors, où depuis le péché elle a tant de panchant à se répandre. Nous l’amusons par des choses frivoles ; & bien loin de satisfaire sa faim par une nourriture solide, nous la trompons, en ne lui donnant que des viandes peintes, & en l’empoisonnant par l’erreur & le mensonge.
Dans les Spectacles nous apprenons deux choses, qui nous sont également funestes : l’une, de nous ennuyer de tout ce qui est serieux : l’autre, de nous plaire dans la dissipation. Le premier de ces desordres est un obstacle à toutes les vertus : le second est une entrée à tous les vices. Ceux qui sont les plus passionnez pour les Comedies, n’en ignorent pas toujours le vuide & le faux : mais par la corruption de leur cœur, ils ne laissent pas d’aimer ce qu’ils sentent n’être pas aimable. Notre pente aux plaisirs des sens, est une de nos plus dangereuses maladies. Nous ne pouvons nous en guérir, qu’en nous privant de tout ce qui peut satisfaire notre mauvais panchant. Que penseroit-on d’une personne à qui on auroit confié le soin d’un malade ; & qui au lieu de lui faire prendre {p. 255}des remedes propres à le soulager, lui accorderoit tout ce qui peut augmenter son mal ? Nous exerçons cette cruauté envers nous-mêmes, en prenant les plaisirs de la Comedie. C’est en nous refusant tout ce qui peut favoriser nos passions, & les flatter, & non pas en nous dissipant, que nous entretenons la vie de nos ames. C’est en lisant, & en nous occupant de bonnes choses, que nous nous procurons une paix solide en cette vie, & une éternité de gloire en l’autre.
Pratiquons-nous les plus rigoureuses austeritez ? nous observons un régime que Jesus-Christ nous a prescrit, & que les plus grands Saints ont observé. C’est en l’observant que nous procurons à nos corps en même temps qu’à nos ames leur souveraine felicité. Ne sommes-nous pas obligez de rendre heureux l’un & l’autre ? Or le bonheur que nous devons procurer à nos corps, ce n’est pas de les abandonner à leurs plaisirs, c’est de les rendre brillans de gloire dans le Ciel ; & le bonheur que nous devons procurer à nos ames, c’est de les rendre dignes de posseder Dieu pendant l’éternité. Ce n’est point par la lecture des Romans, non plus que par le plaisir de la Comedie, que nous arriverons à ces deux fins : est-il rien de plus dangereux à notre innocence ?
Ce qui rend la Comedie plus dangereuse, c’est qu’elle éloigne tous les remedes qui peuvent empêcher les mauvaises impressions qu’elle fait sur nous : car aprés avoir amolli notre {p. 256}cœur, elle enyvre si fort notre esprit de toutes les folies qu’elle lui represente, qu’elle nous met hors d’état d’avoir la vigilance nécessaire pour résister aux mauvaises idées qui nous restent de ce que nous avons vu & entendu. Ceux qui vivent dans la retraite, ne laissent pas de trouver de grandes difficultez dans la vie chrétienne, & de recevoir de dangereuses atteintes du commerce du monde, lors que la nécessité, & la charité même les y engage. Quelque attention qu’ils ayent à se tenir sur leurs gardes, à peine peuvent-ils se préserver de l’infection du mauvais air qu’ils y respirent : quelles peuvent être les plaies & les chutes de ceux qui menant une vie toute sensuelle, s’exposent à des dangers dont les plus forts n’entreprendroient pas de se tirer ?
La Comedie est une tentation recherchée, qui éloigne les secours du Ciel. Ceux qui s’y exposent de gayeté de cœur, peuvent-ils croire sans témerité, que Dieu les en délivrera ? Ne nous appercevant peut-être pas d’abord des mauvaises impressions que les Comedies font sur nous, nous nous flattons aisément qu’elles ne nous sont point dangereuses : mais nous nous trompons ; car les tentations ont divers degrez. Les premiers ne sont point sensibles ; ils ne laissent pas cependant de nous conduire à une corruption de cœur & d’esprit. C’est beaucoup nuire à son ame, que de l’accoutumer à regarder sans horreur le plaisir que les mondains trouvent à aimer, & à se faire aimer ; {p. 257}& c’est-là un des premiers effets de la Comedie. L’aversion qu’on avoit d’aimer avec passion, servoit comme de remparts, qui fermoient l’entrée de notre cœur au Démon ; & quand ils sont ruinez par la Comedie, il y entre aisément. On ne succombe guéres aux grandes tentations, que parce qu’on s’est affoibli dans les occasions qui paroissoient peu considerables.
Vous appercevez-vous que les Comedies n’excitent pas en vous des passions violentes ? vous ne devez pas pour cela vous croire en sûreté. La parole de Dieu, qui est la semence de la vie ; & la parole du Démon, qui est la semence de la mort, ont cela de commun, qu’elles demeurent quelquefois long-temps cachées dans le cœur, sans produire aucun effet sensible. Dieu attache, quand il lui plaît, le salut de certaines personnes à des paroles de verité qu’il a semées dans leurs ames vingt ans auparavant, & qu’il réveille, aprés ce nombre d’années, pour leur faire produire des fruits de vie. Le Démon se contente de même, de remplir notre mémoire des idées qu’on reçoit à la Comedie, sans passer plus avant ; & long-temps aprés il les excite, pour nous faire porter des fruits dignes de mort. Cet Esprit de ténebres ne causant point en nous sur le champ les mauvais effets de la Comedie, il les produit dans la suite.
Sommes-nous d’un rang distingué, ou d’une pieté apparente ? nous contribuons à bien des crimes, en autorisant par notre presence les {p. 258}spectacles. Plus nous sommes reglez dans nos autres actions, plus les gens déreglez sont hardis à nous imiter en celle-ci. Pourquoi feroient-ils scrupule d’aller à la Comedie, puisque nous qui faisons profession de pieté, nous nous y trouvons ? Les personnes sur qui on ne prend point d’exemples, ne sont guéres coupables que de leurs propres péchez : mais ceux qui passent pour vertueux, sont souvent responsables de bien des fautes qui se commettent par des Ames foibles, qui n’ont pas la force de résister aux mauvais exemples.
Quelque soin que l’on prenne de separer de la Comedie & des Romans, les images des déreglemens grossiers, on n’en ôtera jamais levenin. On y voit toujours une vive representation de l’attache passionnée d’un sexe pour l’autre, & le plaisir qu’ont les femmes d’être aimées & adorées des hommes. Peut-on recevoir de pareilles impressions, de pareilles idées, de pareilles images, & y être insensible ? Les Comedies n’excitent pas seulement le feu de l’amour, elles enseignent aussi la maniére de l’exprimer. Bien des gens étouffent de mauvais desseins, parce qu’ils manquent d’expressions ; ils n’ont point cette maniére ingenieuse, cette delicatesse, pour marquer les mouvemens de leur cœur, & ils en demeurent là. Frequentent-ils les Comedies ? ils ont bien-tôt appris un langage que tous les Chrétiens devroient ignorer. D’autres, sans être touchez, representent un Comedien, ou une Comedienne, & affectent de {p. 259}faire paroître leur esprit à exprimer ce qu’ils ne sentent point : par là ils s’engagent insensiblement dans des passions qu’ils ne vouloient que contrefaire. C’est là un autre effet de la curiosité qu’on a d’assister aux Comedies. A-t-on horreur pour une chose ? on ne doit point la representer, ni se plaire à la voir representer : car on ne manque gueres d’aimer bien-tôt un vice dont l’image commence à plaire. Si nous avions l’idée de l’amour dans sa naturelle difformité, nous ne pourrions en souffrir la laideur. Mais les portraits flatteurs qu’on nous en fait, aidez de la corruption de notre nature, excitent aisément en nous je ne sçais quel penchant pour ce malheureux vice ; & ce penchant, quelque foible qu’il soit dans son commencement, s’étend bien-tôt plus loin qu’on ne pouvoit croire. Il n’allume pas seulement en nous un amour déreglé des plaisirs des sens, il jette aussi dans nos cœurs la semence de tous les autres vices.
Ceux qui dans leurs Comedies ont le plus affecté une certaine honnêteté apparente, n’ont évité de donner des pensées contre la pureté, que pour exciter en nous d’autres idées qui ne sont pas moins dangereuses. Leurs Piéces ne sont que de vives representations de l’orgueil, de l’ambition, de la jalousie, & de la vengeance. Plus ils colorent ces vices d’une image de grandeur d’ame & de generosité, plus ils les insinuent dans nos ames. C’est parce que le fond de notre nature est corrompu, {p. 260}que nous entrons dans ces sortes de passions qui nous sont representées. Elles excitent en nous des mouvemens semblables à ceux qui tombent sous nos yeux ; & c’est-là le but des Acteurs : car la fin qu’ils se proposent, c’est de plaire à ceux qui les écoutent ; & pour leur plaire ils exposent des sentimens qui s’accordent avec la corruption de ceux à qui ils parlent : & comme ils parlent à des gens dont la plupart ont l’esprit perverti, & le cœur gâté, ils leur representent des emportemens violens, ou de vengeance, ou de jalousie, ou d’ambition : ils joignent à cela de pernicieuses maximes, capables de corrompre les ames les plus innocentes.
Voit-on rien de plus dangereux que la morale des Comedies & des Romans ? Elle est un amas de fausses opinions, qui naissent de la concupiscence, & qui ne sont agréables qu’en ce qu’elles flattent la corruption de notre nature. On ne doit pas croire que les mauvaises maximes dont les Comedies & les Romans sont remplis, ne nous nuisent point, parce que nous n’avons pas intention de former nos sentimens sur ceux qu’on nous represente, mais seulement de nous divertir. Manquent-ils jamais de faire de mauvaises impressions en nous ? Ne ressentons-nous pas plus vivement un affront, aprés avoir été à de certaines Comedies, que nous n’eussions fait auparavant ? & ne nous portons-nous pas plus facilement à nous venger ? Si dans les Comedies & les Romans on ne parloit de la vengeance que comme d’une {p. 261}action basse, & si l’on n’y traitoit que de gens insensez, ceux qui se battent en duel, les mouvemens de ceux qui font de pareilles lectures, ou qui assistent à de pareils spectacles, quand ils se trouvent offensez, seroient beaucoup moins vifs qu’ils ne le sont : car ce qui les rend violens, & ce qui les porte à la vengeance, c’est la fausse opinion que donnent les Comedies & les Romans, qu’il y a de la lâcheté à souffrir une injure. Bien loin de détester cette impression, on met son plaisir à la sentir, & son honneur à suivre les mouvemens qu’elle inspire : & pourquoi s’y abandonne-t-on ? C’est que l’image qu’on nous donne de la vengeance, est si flattée, & tellement embellie, que bien loin d’attirer notre haine, elle attire notre amour ; & c’est ainsi qu’une passion, qui ne causeroit que de l’horreur si elle étoit representée telle qu’elle est, devient aimable par les couleurs qu’on lui donne, & par la maniere artificieuse dont on nous la represente.
Que trouve-t-on dans les Romans, & que nous remet-on devant les yeux dans les Comedies, que d’autres passions embellies de même, & dont les images nous plaisent ? S’il n’est point permis d’aimer les vices, peut-on se plaire à ce qui a pour but de nous les rendre aimables ? & n’est-ce pas là que tendent les Comedies & les Romans ? Ne sent-on point d’éloignement pour le portrait des déreglemens qu’on nous y represente ? dés là nous aimons les vices qui nous sont representez.
{p. 262}Les vertus chrétiennes ne peuvent guéres être des matieres de théâtre. On n’y veut que les images des vices les plus violens, & des passions les plus animées. La pauvreté, la patience, l’humilité n’ont rien dont la représentation puisse divertir ceux qui aiment les Comedies : aussi n’en parle-t-on jamais dans ces spectacles prophanes : il y faut quelque chose de plus vif, qui se sente d’une fausse grandeur, d’un amour aveugle, ou de quelque pareil sujet ; & c’est ce qui ne s’accorde point avec la sagesse chrétienne. Les portraits des amitiez communes n’y réjouïroient point non plus ; & rien ne paroîtroit plus froid sur le théâtre, que l’image d’un mariage Chrétien, dégagé de passions de part & d’autre. On veut que dans tout ce qu’on y represente, il y ait du transport ; on veut que la jalousie y entre, que la volonté des parens se trouve contraire, & qu’on employe des intrigues pour le faire réussir. N’apprend-on point par là aux personnes qui auront la passion de se marier, de se servir des mêmes adresses pour arriver à leur fin ? Ce sont de pareilles leçons qu’on donne dans les Comedies, où l’on ne remplit que de mauvaises choses l’imagination des spectateurs.
Chacun condamneroit un Religieux, qui se trouveroit à ces sortes d’assemblées, parce que personne n’ignore la disproportion de ce divertissement avec la sainteté de la vie dont une ame voüée à Dieu doit faire profession. Ne devroit-on pas être choqué de même, d’y voir un {p. 263}Chrétien, qui n’est pas moins obligé par les vœux de son Baptême, à mener une sainte vie, qu’un Religieux l’est par les vœux de son état ? Dans ce Sacrement, nous nous engageons par une promesse solemnelle, de ne plus vivre à nous, ni au monde, mais de faire vivre Jesus-Christ en nous, & nous en lui ; de maniere que notre vie soit une imitation de la sienne. Si l’on envisageoit ainsi les devoirs d’un Chrétien, on connoîtroit aussi-tôt combien la Comedie est opposée à ses obligations. Il ne faudroit pas de grands raisonnemens pour l’en convaincre ; comme il n’en faut point pour persuader à un Religieux que ces spectacles scandaleux lui sont interdits. Un Chrétien ne se rendroit-il pas la même justice, s’il faisoit attention que toutes ses pensées, toutes ses paroles, & toutes ses œuvres sont duës à J.C. & doivent être rapportées à sa gloire ? Pourroit-il dire au Seigneur, que c’est pour le glorifier, & pour lui plaire, qu’il va s’exposer à mille dangers de l’offenser ? & souffriroit-on sans horreur l’impieté de ce langage ? Oseroit-il lui offrir cette action, & lui dire que c’est pour l’honorer, se sanctifier, & édifier le prochain, qu’il va à la Comedie ? Toute action qu’on n’oseroit offrir à Dieu, & dont le Christianisme n’est point le principe, est illicite. Toute action dont on n’oseroit rendre graces à Dieu, comme en étant la premiére cause & la derniére fin, est encore moins permise à un Chrétien.
En quelle qualité peut-il prendre part aux {p. 264}divertissemens prophanes ? S’il se considere comme pécheur, il doit reconnoître que rien n’est plus contraire à la pénitence qu’il est obligé de faire, que la recherche des divertissemens qui acheveront de le perdre. Se considere-t-il comme enfant de Dieu, comme membre de Jesus-Christ, comme éclairé de ses lumiéres, enrichi de ses graces, nourri de son Corps, héritier de son Royaume ? il doit se persuader que rien n’est plus indigne de toutes ces qualitez, que de prendre part aux folles joies des Enfans du siécle, & de nourrir son esprit des chiméres dont les Comedies le remplissent.
Un des premiers effets de la lumiére de la grace, est de découvrir à l’ame le vuide, le néant, & l’instabilité des choses de ce monde, qui s’écoulent, & qui s’évanouissent comme des phantômes. Si toutes les choses de cette vie ne sont que des figures & des phantômes, en quel rang doit-on mettre les Comedies, qui n’en sont que les ombres, puisqu’elles ne sont que de vaines images de ce qui se passe dans le monde ? Un autre effet de cette même lumiére de la grace, est de nous ouvrir les yeux sur la grandeur & la solidité des biens du Ciel. Demandons au Seigneur, avec le Prophete, qu’il détourne notre vuë des vanitez qui nous tentent & qui nous amusent ; & prions-le qu’il nous imprime de la haine & de l’horreur pour tous les divertissemens dangereux à notre innocence.
{p. 265}La nécessité où l’on est de prendre quelque sorte de divertissement & de relâche, ne peut pas excuser la Comedie, qui ne fut jamais un divertissement permis. Car que nomme-t-on divertissemens permis ? Sont-ils autre chose que des délassemens de l’esprit, qui le mettent en état de reprendre ses saints exercices, & de les continuer avec plus de perfection ? Tant s’en faut que les Comedies puissent nous aider à reprendre & à continuer nos saintes occupations avec plus de perfection, qu’elles y sont de grands obstacles. Ne remuent-elles pas nos passions, & ne nous déreglent-elles point ? Rien sans doute ne rend une ame plus mal disposée au recueillement & à l’oraison, que de pareils spectacles ; & rien ne prouve mieux leurs dangers, que l’opposition qu’ils ont avec la priére continuelle dont l’Apôtre nous fait un précepte. Ils nous troublent l’imagination, & nous dérangent, par les mauvaises idées qu’ils nous impriment.
Comme le besoin que nous avons de manger, ne nous permet pas d’user de viandes qui nous nuisent ; le besoin que nous avons de délasser notre esprit, ne nous permet pas non plus de prendre des divertissemens dommageables à notre ame, & qui nous rendent moins propres que nous n’étions, à continuer nos saints exercices. Or les Comedies & les Romans ne rendent pas seulement nos esprits mal disposez pour de saintes occupations, mais elles nous donnent du dégoût pour les {p. 266}actions serieuses. Un mari en revient la têté remplie de Héros & d’Héroïnes ; il imprime si fort dans son esprit toutes ces chimeres, que ses affaires domestiques lui deviennent importunes. Une femme occupée des adorations qu’elle a vu rendre sur le théâtre à des personnes de son sexe, se rebutte de son mari, qui n’a point pour elle des maniéres comédiennes.
Un Chrétien qui a renoncé au monde, & à ses plaisirs, ne doit point rechercher le divertissement pour le divertissement, & ne peut en prendre que par nécessité ; c’est à dire, qu’il ne peut en prendre que pour délasser son esprit, & reprendre ses forces. Le besoin qu’on a de divertissement, est moins grand qu’on ne croit ; & souvent il consiste plus en une nécessité imaginaire, qu’en une nécessité réelle. Ceux qui se sont occupez à des ouvrages exterieurs, n’ont pas besoin de divertissemens pour réparer leurs forces, ils ont besoin seulement de cesser leur travail pendant un temps. Ceux qui se sont employez à des occupations d’esprit pénibles, n’ont besoin non plus que de se desappliquer, & de se recueillir, & non pas de s’engager dans des divertissemens qui fatiguent plus qu’ils ne délassent. Un homme qui s’est fortement appliqué à une affaire, ou à une étude serieuse, n’est-il pas satisfait, quand il a cessé sa grande application ? & ne se divertit-il pas dans tout ce qui le désoccupe ?
Nous finissons cette matiere des divertissemens peu convenables aux ames chastes, par {p. 267}les paroles de S. Basile. La Comedie, dit ce grand Saint, est une Ecole publique, où l’on apprend tout ce qu’on nomme impudicité. Elle est une assemblée, dont le Démon fait le centre, & dont la circonference est environnée de plusieurs autres Démons, tous occupez à suggerer aux spectateurs mille pensées sales, mille desirs criminels. On ne condamneroit pas des assemblées de plaisirs, si elles se faisoient avec retenuë & modestie : mais de la maniere qu’elles se font aujourd’hui, on ne peut que les condamner. Ces jours de réjouïssance, sont des jours favorables au péché. C’est un malheur d’être engagé de se trouver à de pareils divertissemens, & une grande imprudence, de ne pas se précautionner contre l’air empesté qu’on y respire. Car peut-on se flatter de sortir innocent de ces assemblées, où tous les sens sont assiégez, & enyvrez de plaisirs, & où il est presque toujours d’une complaisance indispensable de manquer de modestie ?