[FRONTISPICE] §
THEOLOGIE
MORALE
a l'usage
DES CURES ET DES CONFESSEURS
par
S. E. LE CARDINAL GOUSSET
archeveque de reims, etc.
TOME PREMIER
comprenant le traite des actes humains, de la conscience, des lois
des peches, des vertus et du decalogue.
TREIZIEME EDITION
PARIS
jacques lecoffre et cie, libraires-editeurs
90, rue Bonaparte, 90
lyon, ancienne maison perisse freres, 47, rue Mercière et rue Centrale, 34
1865.
CHAPITRE I. Des Péchés de luxure non consommée, sections 644-651I. §
644. Les femmes se rendent coupables lorsqu’elles portent des parures qui blessent la modestie, plus coupables encore, si elles en introduisent la mode : « Sic sane graviter peccant mulieres quæ ubera immoderate denudata ostendunt ; aut alicubi introducunt morem ubera, etiam non ita immoderate, denudandi
1. »
Sont coupables de péché mortel, les artistes dont les tableaux, les gravures et les statues ne respectent point les lois de la pudeur ; « quibus nempe exhibentur personæ grandiores nudis partibus pudendis
». Il en est de même de ceux qui les commandent, ou qui les exposent en public, dans un musée, par exemple, ou dans un jardin. {p. 292}Nous avons dit personæ grandiores ; car on tolère et on peut tolérer, même dans les églises, les anges, les génies qui sont représentés sous la forme de petits enfants.
Sont également coupables, ceux qui font, impriment, vendent ou prêtent des livres impudiques, obscènes, qui ne sont propres qu’à exciter ou à nourrir les passions ; tels sont la plupart des romans, des livres de galanterie. Ces livres sont extrêmement dangereux, surtout pour les jeunes gens. On doit par conséquent éloigner, autant que possible, de la lecture de ces sortes d’ouvrages, qu’on ne peut lire sans danger pour l’innocence, la vertu, les mœurs. Les lire avec une délectation charnelle serait un péché mortel : mais ceux qui ne les lisent que par curiosité ou par manière de récréation, ne pèchent que véniellement, à moins qu’il n’y ait danger prochain d’une délectation criminelle2.
645. Ceux qui composent ou qui représentent des pièces de théâtre vraiment obscènes, comme certaines comédies ou tragédies où l’on ne respecte ni la vertu ni la sainteté du mariage, pèchent mortellement3.
On ne peut, sous peine de péché mortel, concourir à aucune représentation notablement indécente, valde turpis, ni par abonnement ou souscription, ni par applaudissement. Il y aurait aussi péché mortel pour les simples spectateurs qui assisteraient à une représentation notablement obscène, pour le plaisir honteux que cette représentation peut occasionner. Mais il n’en est pas de même de ceux qui n’y assistent que par curiosité ou par récréation ; ils ne pèchent que véniellement, pourvu qu’ils se proposent de résister à tout mouvement charnel qui peut survenir, ou qu’ils n’aient pas lieu de craindre de se laisser aller à quelques fautes graves4.
Cependant, il serait difficile d’excuser de péché mortel un jeune homme qui, sans nécessité, voudrait assister au spectacle, dans le cas dont il s’agit ; à moins qu’il ne fût d’une conscience très timorée, et qu’il ne pût s’autoriser sur sa propre expérience. Encore faudrait-il, dans ce dernier cas, que son exemple ne fût pas une occasion pour d’autres jeunes gens d’assister à des représentations indécentes5.
646. Si les choses représentées ne sont pas notablement obscènes, et si la manière de les représenter ne blesse point gravement les mœurs, il n’y a que péché véniel à assister au spectacle sans raison {p. 293}légitime. On excusera même de tout péché ceux qui ont quelque juste cause d’y assister : « Sic, verbi gratia, potest sine peccato spectaculis assistere mulier conjugata, ne marito imperanti displiceat, filius aut filia, ut patri obediat
6. » Mais ceux même qui sont obligés d’aller au spectacle, comme ceux qui croient pouvoir y aller, doivent se tenir en garde contre le danger.
647. Le spectacle par lui-même n’est point mauvais ; on ne peut donc le condamner d’une manière absolue ; mais il est plus ou moins dangereux suivant les circonstances, et l’objet des pièces qu’on y joue ; on ne peut donc approuver ceux qui ont l’habitude de le fréquenter : on doit même l’interdire à toutes les personnes pour lesquelles il devient une occasion prochaine de péché mortel.
Le spectacle n’étant point mauvais de sa nature, la profession des acteurs et des actrices, quoique généralement dangereuse pour le salut, ne doit pas être regardée comme une profession absolument mauvaise : « Ludus, dit le Docteur angélique, est necessarius ad conversationem vitæ humanæ. Ad omnia autem quæ sunt utilia conversationi humanæ deputari possunt aliqua officia licita. Et ideo etiam officium histrionum, quod ordinatur ad solatium hominibus exhibendum, non est secundum se illicitum : nec sunt in statu peccati, dummodo moderate ludo utantur, id est non utendo aliquibus illicitis (turpibus) verbis vel factis ad ludum, et non adhibendo ludum negotiis et temporibus indebitis… Unde illi qui moderate eis subveniunt, non peccant ; sed juste faciunt mercedem ministerii earum eis tribuendo
7. » Saint Antonin8, saint Alphonse de Liguori9 et saint François de Sales10 s’expriment comme saint Thomas.
648. On voit que ces saints Docteurs ne croyaient point que les acteurs, les comédiens fussent excommuniés. En effet, il n’existe aucune loi générale qui proscrive cette profession sous peine d’excommunication. Le canon du concile d’Arles, de l’an 314, « De theatricis, et ipsos placuit, quamdiu agunt, a communione separari », est un règlement particulier.
D’ailleurs, il n’est pas certain que ce décret, qui était dirigé contre ceux qui prenaient part aux spectacles des païens, soit applicable ni aux acteurs du moyen âge, ni aux acteurs des temps {p. 294}modernes ; et il n’est guère plus certain qu’il s’agisse ici d’une excommunication à encourir par le fait, ipso facto. Cependant, il est vrai qu’en France les comédiens étaient autrefois regardés comme excommuniés. Mais Pontas s’est trompé en disant : « Tout le monde sait que les pasteurs denoncent publiquement les comédiens pour des gens excommuniés, tous les dimanches, au prône des messes de paroisse
11 » ; car la formule du prône, dans la plupart des rituels de France, ne fait point mention de cette excommunication12. Quoi qu’il en soit, comme il s’agit d’un point de discipline particulière à la France, qui dépend de l’Ordinaire pour ce qui regarde son diocese, et que la plupart de nosseigneurs les évêques ne paraissent pas y tenir, à en juger du moins par la réserve ou le silence qu’ils gardent a cet égard, nous pensons qu’il est tombé en désuétude. Aussi, n’est-il plus en vigueur dans le diocèse de Reims, ni dans les autres diocèses de notre province.
649. Lorsqu’un acteur est en danger de mort, le curé doit lui offrir son ministère. Si le malade ne paraît pas disposé à renoncer à sa profession, il est prudent, à notre avis, de n’exiger que la simple déclaration que, s’il recouvre la santé, il s’en rapportera à la décision de l’évêque. Cette déclaration étant faite, on lui accordera les secours de la religion. Dans le cas où il s’obstinerait à refuser la déclaration qu’on lui demande, il serait évidemment indigne des sacrements et des bénédictions de l’Église.
Si, après avoir recouvré la santé, l’acteur a recours à la décision de l’évêque, celui-ci verra dans sa sagesse, eu égard aux circonstances et aux dispositions du sujet, s’il doit exiger absolument qu’il abandonne le théâtre, aussitôt que possible ; ou s’il est prudent de tolérer qu’il le suive encore plus ou moins de temps, tout en lui indiquant les moyens à prendre pour se prémunir fortement contre les dangers inséparables de sa profession. Toutes choses {p. 295}égales, on sera plus indulgent envers une actrice qui est sous l’empire de la puissance maritale, qu’envers un acteur qui est maître de ses actions.
650. Il en est, proportion gardée, de la danse comme du spectacle ; elle n’est point illicite de sa nature ; on ne peut donc la condamner d’une manière absolue, comme si elle était essentiellement mauvaise : « Choreæ, dit saint Alphonse de Liguori d’après saint Antonin, per se licitæ sunt, modo fiant a secularibus, cum personis honestis, et honesto modo, scilicet, non gesticulationibus inhonestis
13. » « Quando vero Sancti Patres eas interdum valde reprehendunt, loquuntur de choreis turpibus, aut earum abusu
14. » Saint François de Sales pensait comme saint Alphonse et comme saint Antonin.
651. Rarement la danse, même décente, est sans quelque danger : le plus souvent elle est dangereuse, plus ou moins, suivant les circonstances et les dispositions de ceux qui la fréquentent ; il serait donc imprudent de la conseiller ou de l’approuver. Mais autre chose est d’approuver la danse ; autre chose, de la tolérer. Un pasteur fera tout ce qu’un zèle éclairé lui permettra de faire, pour empêcher les danses et les bals de s’introduire dans sa paroisse. Il évitera toutefois d’aller trop loin, de crainte d’être plus tard dans la nécessité de reculer ; ce qui compromettrait son autorité. Si, malgré sa vigilance et ses exhortations, la danse s’introduit et s’établit dans sa paroisse, il doit la tolérer, sauf les cas suivants :
1° Un confesseur ne peut absoudre ceux qui persistent à vouloir fréquenter les danses regardées comme étant notablement indécentes, soit à raison des costumes immodestes qu’on y porte, « mulieribus nempe ubera immoderate nudata ostendentibus
», soit à raison des paroles obscènes qu’on s’y permet ; soit enfin à raison de la manière dont la danse s’exécute, contrairement aux règles de la modestie. On excuserait cependant une femme qui, ne se permettant rien de contraire à la décence, prendrait part à la danse uniquement pour faire la volonté de son mari, auquel elle ne pourrait déplaire sans inconvénient.
2° Il ne peut absoudre ceux qui fréquentent les bals masqués, à raison des désordres qui en sont inséparables.
{p. 296}3° Il ne doit point absoudre ceux qui ne veulent pas renoncer à l’habitude de danser pendant les offices divins.
4° Que la danse se fasse d’une manière convenable ou non, on ne peut absoudre les pénitents pour lesquels elle est une occasion prochaine de péché mortel, à moins qu’ils ne soient sincèrement disposés à s’en éloigner. Mais, pour que la danse soit une occasion prochaine de péché mortel, il ne suffit pas qu’elle occasionne de mauvaises pensées ou autres tentations, même toutes les fois qu’on y va ; car on en éprouve partout, dans la solitude comme au milieu du monde.