Satire à Mgr Bossuet §
{p. 46}SATIRE A MONSEIGNEUR JAQUES BENIGNE BOSSUET
EVEQUE DE MEAUX.
Docte & sage Prelat dont le Ciel a fait chois,Pour instruire & former la jeunesse des Rois,Et qui par des discours vifs & pleins d’éloquenceSçais confondre l’erreur, & bannir l’ignorance.Je conviens avec toi que des hommes pécheursDevroient avoir toujours les yeux baignez de pleursJe sçai que l’Evangile en ses leçons divinesN’offre pour le salut qu’un chemin plein d’épinesEt que loin d’approuver les jeux & les plaisirsIl nous en interdit jusqu’aux moindres desirs,{p. 47} Ainsi la Comedie, étalant sur la SceneLes apas seducteurs d’une pompe mondaine,Sans doute est peu conforme à ces vœux solemnelsQu’en naissant un Chretien fait au pieds des Autels.Ces Caracteres fiers des Héros du TheatrePouvoient être applaudis par un peuple idolatre,Mais disciples d’un Dieu pour nous crucifié !Nous devons n’estimer qu’un cœur mortifié,Un cœur humble, sans fiel, & dont la vertu pureSe fasse un point d’honneur d’oublier une injure,Et prefere de voir ses passions aux fers,A la fausse grandeur de domper l’Univers.Cependant, Grand Prelat, d’invincibles obstaclesS’opposent au dessein d’abolir les spectacles ;Auprés des Souverains l’oisiveté des CoursMalgré tous les sermens les maintiendra toujours,Et les peuples privez d’un plaisir excusablePeut-être en chercheroient quelqu’autre plus coupable.D’ailleurs tant qu’on verra des Prelats fastueuxElever à grand frais des palais somptueux,En fait de mets exquis ne rien ceder au PrincesEt de leur train pompeux eblouir les Provinces.{p. 48}Contre la Comedie en vain l’on écriraDe ces moralitez le public se rira.Jesus-Christ dira-t’il, aux riches de la terrePendant toute sa vie à déclaré la guerre.Cependant un Prelat se croit en seuretéAvec-vingt-mille écus dont il se voit renté ;Et l’on ne pourra pas à l’Hôtel de Bourgogne,Voir le Role plaisant d’un sot & d’un ivrogne,Ou charmé de Corneille au Theatre FrançoisAller plaindre le sort des Princes & des Rois.De quel front ces Pasteurs vivant dans l’opulenceViennent-ils nous prêcher l’esprit de Penitence ;Et comment dans ce siecle osent-ils se flatter,Qu’on subira le joug qu’il sçavent éviter ?Tels dans l’ancienne Loi des Tartufes severesDamnoient le peuple Juif pour des fautes legeres ;Eux qui loin des temoins en des reduits cachez.S’abandonnoient sans crainte aux plus honteux pechez.C’est ainsi, Grand Prelat, que le peuple raisonneEt fait une leçon aux Docteurs de Sorbonne :Pour imposer silence il faudroit reformer ;Nombre d’autres abus que je n’ose rimer.