Sermons sur l’Avent §
{p. 103}SERMON 2. Dim. de l’Avent, à S. Paul en 1694.
DES
SPECTACLES PROFANES,
Pour le II. Dimanche de l’Avent.
Joannes, cum audisset in vinculis opera Christi, mittens duos de Discipulis suis, ait illi : Tu es qui venturus es, an alium expectamus ? Matth. 11. 2.
Jean ayant appris dans la prison les œuvres merveilleuses deJesus-Christ, il luy fit dire par deux de ses Disciples, qu’il luy envoya ; Estes-vous celuy qui doit venir, ou si nous devons en attendre un autre ?
O les grands spectacles, que nostre Evangile nous présente ! On y voit saint Jean, condamner par l’austérité de sa vie la mollesse de ceux, qui vivent à la Cour {p. 104}des Rois : égaler par sa constance la fermeté des rochers où il habite ; s’élever par un mérite sublime au dessus de tous les hommes ; se rendre digne par ses vertus d’estre loué de celuy dont les Anges & les Saints chanteront éternellement les louanges ; sanctifier par sa présence la prison que son zele luy a attirée de la part d’un Prince contredit ; continuer malgré les persecutions & les chaînes de faire son office de Précurseur ; moins occupé du péril où il est, que des interêts de son maître, & du salut de ceux qu’il luy a confiez, luy envoyer des Disciples prévenus afin qu’il se fasse connoître à eux par luy même. Enfin passer les derniers jours de sa vie dans la disgrace avec un courage intrepide & une humilité profonde, & sans que personne ose parler pour luy, devenir dans une assemblée mondaine la victime d’une impudique irritée, & la récompense d’une danseuse, {p. 105}qui a perdu toute pudeur. Quel spectacle !
On y voit le Fils de Dieu renverser les loix de la nature, en éclairant les aveugles, en redressant les boiteux, en rendant l’ouye aux sourds, en guérissant les lépreux, en ressuscitant les morts, en prêchant l’Evangile aux pauvres ; & par tous ces miracles de sa bonté rendre un témoignage authentique au grand miracle de son Incarnation. Quel spectacle !
On y voit encore des hommes incredules & mondains, prendre un sujet de scandale & de chûte de la vie austere de Jean-Baptiste, & de la vie simple & commune de Jesus-Christ ; de la pénitence & de la solitude de l’un, de la Doctrine & de la croix de l’autre. Quel spectacle !
Il n’y en a point, dit saint Cyprien, qui soient plus dignes de l’attention & de la curiosité des Chrétiens, Hæc sunt fidelibus Christianis {p. 106}parata spectacula. Cyp. de spect.
J’avoüe, Messieurs, que mon Evangile ne m’y conduit pas directement. Mais il y a plus de rapport que tout autre ; & en tout cas vous me permettrez d’user de la liberté que se sont donnée les Peres, maîtres, & modeles des Prédicateurs. En prêchant ils avoient uniquement en vûë le salut des ames, & dans l’explication des divines Ecritures, sujet ordinaire de leurs prédications, ils tendoient {p. 107}toujours à ce but. Mais quand ils voyoient leurs Auditeurs dans quelque besoin pressant, ils quittoient les matiéres qu’ils avoient commencées, & couroient à ce besoin : préferant ainsi la loy de la charité, que Dieu a prescrite, aux regles du discours, que les hommes ont établies.
C’est l’exemple que je me propose de suivre en vous parlant des spectacles de nostre siecle : persuadé, que plusieurs Chrétiens ont besoin, les uns d’estre instruits, les autres d’estre fortifiez, les autres d’estre détrompez, les autres d’estre confondus sur cette matiére. Tout ancienne qu’elle est, elle a esté renouvellée de nos jours, & elle a vérifié cette parole de Jesus-Christ, Qu’il est nécessaire qu’il arrive des scandales, Matth. 18. 7.
Je dois même convenir, que cette erreur a esté suffisamment détruite par les sçavants Ecrits qui ont parû ; & je n’aurois pas entrepris d’y rien ajoûter, si je n’avois crû que toutes les fois que l’Eglise se trouve attaquée, elle engage dans sa défense ses Prédicateurs comme ses Ecrivains : y ayant une difference notable entre la parole écrite & la parole animée ; entre une Dissertation, & un Sermon ; & si d’ailleurs mon zele n’estoit honoré de l’approbation du Prélat illustre M. de Harlay, Arch. de Paris. Tit. 1. 90.
C’est donc en vertu de sa mission & par le pur amour de la vérité, que je vais approfondir un sujet, qui jusques icy n’a esté traité qu’incidemment dans la Chaire. Mais comme je parlerois sans fruit, si le saint Esprit ne me soûtenoit par sa grace, aidez-moy à l’obtenir par l’intercession de Marie. Ave Maria.
Pour avoir une juste idée des spectacles, il les faut considérer, Messieurs, sous deux faces differentes. L’une par rapport à la Religion, l’autre par rapport au monde.
{p. 110}En les considérant par rapport à la Religion, on pourroit dire, qu’ils sont un renoncement au Baptême, un retour scandaleux vers l’idolâtrie ; & qu’au grand mépris de Dieu, la véritable pieté est comme foulée aux pieds dans ces vains divertissements. En parlant ainsi, on auroit pour garants les saints Peres, & l’on ne feroit qu’employer la force de leurs expressions. Mais comme je me suis imposé la loy de ne rien dire qui convienne uniquement aux spectacles des Payens, & qui ne soit à la portée de nostre siecle ; je me contenteray de dire, que si les spectacles de nos jours sont exempts de crime, comme quelques-uns le prétendent, on ne peut au moins disconvenir, que ce ne soit une occupation peu convenable à des Chrétiens, & une grande indecence pour la Religion. Etiamsi non haberent crimen, habent tamen maximam & parùm congruentem fidelibus vanitatem. Cypr. de spect.
{p. 111}En les considérant par rapport au monde, on pourroit dire, qu’ils sont comme le cloaque affreux, où va s’écouler tout ce que le siecle a de plus impur, & l’on ne parleroit encore que le langage des Peres. Mais par la même raison de condescendance & d’exactitude, je dis seulement, que c’est une des pompes du monde, ausquelles nous avons renoncé par le Baptême. Spectacula pompæ sunt. Salv. de Gub. Dri. Libr. 6.
J’ajoûte, que la Religion & le monde se trouvant sur ce sujet dans des sentiments contraires, se sont livré l’un à l’autre des combats continuels. La Religion se croyant deshonorée par les spectacles, les a rigoureusement condamnez ; & il n’y a point eu de siecle, où elle n’ait renouvellé cette condamnation. Mais comme le monde y trouve de grands avantages pour s’attirer des sectateurs, il en a toujours pris la défense ; & sans doute ces sortes de {p. 112}divertissements n’ont pas manqué d’apologistes redoutables, puisque les saints Docteurs n’ont pas dédaigné de prendre la plume pour les combattre fortement.
Voilà, Messieurs, l’estat où les spectacles ont esté, & sont encore aujourd’huy, à l’égard de la Religion & du monde.
Une grande indecence pour la Religion, que la Religion a toujours condamnée.
Une des plus dangereuses pompes du monde, que le monde justifie toujours.
Ces deux propositions incontestables, ou pour mieux dire ces deux faits constants & simplement exposez, vous prouvent d’abord que je n’ay nul dessein de vous surprendre par les tours artificieux d’une éloquence indigne de la gravité de la Chaire. Je veux seulement, sans en dire, ny trop, ny trop peu, justifier la Religion qui les condamne, condamner le monde {p. 113}qui les justifie, & vous faire sentir la force de ces deux véritez importantes dans les deux Parties de mon Discours.
Ecoutez-les sans prévention, & vous qui blâmez les spectacles, & vous qui en estes les partisans. Vous, pour qui le Soleil de l’intelligence s’est toujours levé, Sap. 5. 6.
Il I. Partie Cypr. contr. Histr. ad Eucrat.
Car, si l’on n’y fait pas profession ouverte de l’idolâtrie, ennemie capitale de la Religion, du moins on y en conserve des restes malheureux. J. Ch. auteur & consommateur de cette même Religion, y est contredit. Le saint Esprit, qui en est le cœur, y est contristé. Les Sacrements, qui sont les canaux de ses graces, y sont profanez. Ses maximes, qui font {p. 115}sa regle & sa discipline, y sont renversée. Les vertus, qui font toute son occupation, y sont affoiblies. La pureté, qui fait toute sa gloire, y est dangereusement attaquée. Je ne sçay, Messieurs, si après avoir entendu les preuves de ce que je viens d’avancer, vous ne trouverez pas que le mot d’indecence est trop foible, pour exprimer le mal que je combats.
L’idolâtrie, Art. 1. Indecence pour la Religion. 1.
Cette seule considération devroit en éloigner les Chrétiens. L’Eglise ne veut pas célebrer la Pâque le {p. 116}quatorziéme de la Lune, pour ne pas convenir avec les Juifs, quoyque ce fût en ce jour-là même que J. Ch. célébra la sienne ; & l’on sçait quelles agitations a causé dans le monde Chrétien ce seul point de Discipline. Que si l’Eglise a tant d’aversion pour une pratique Juive, quoyque d’ailleurs consacrée par l’exemple du Sauveur, quel éloignement ne devons-nous pas avoir pour une invention Payenne, qui ne se trouve appuyée de l’autorité ny de l’exemple d’aucun Saint ? Si ce n’est donc pas, absolument parlant, estre idolâtre, que de fréquenter les spectacles ; c’est du moins flatter, c’est pallier l’idolâtrie, que de conserver tant de passion pour un reste profane de la plus mortelle ennemie de la Religion.
Saint 2. Hebr. 12. 2. Luc. 2. 34. Matth. 5. 5. Eccle. 2. 2.
J. Ch. a souffert, pour nous {p. 118}laisser un exemple illustre de patience, 1. Petr. 2. 21.
Le 3. Joan. 14. 26. 1. Th. 5. 19. Eph. 4. 30.
Les 4.
Mais si tous n’y portent pas l’Eucharistie, tous y portent le Baptême, qui subsiste en eux par le caractere sacré, qui fut imprimé dans la substance de leur ame. Ce qui les rend encore plus coupables que ne l’estoient les Payens, car si ceux-ci estoient prévaricateurs de la loy de Dieu, ils n’estoient pas comme les Chrétiens, profanateurs {p. 121}de ce Sacrement auguste.
La maniére dont on y traite encore le mariage Chrétien, est-elle bien convenable à la sainteté d’un Sacrement, que J. Ch. a élevé dans la loy nouvelle, jusqu’à représenter son union ineffable avec l’Eglise : & n’est-il pas de la derniére indignité, que ce qui sert à poser pour ainsi dire les fondements de la sanctification des Elûs, serve de prétexte & de couverture à des intrigues & à des passions ? Hé mon Sauveur, comment on reçoit vos bienfaits ! A quel usage on met vos graces ! On veut que vostre chair sacrée & que vostre sang précieux justifient des œuvres de chair & de sang !
D’ailleurs, 5. 1. Cor. 5. 9. Ps. 36. 27.
Ajoûtons 6. Isai. 61. 3. 1. Cor. 3. 9.
La Religion nous enseigne deux grands moyens de conserver & d’augmenter les vertus. Le premier est nostre application à Dieu. {p. 124}Le second est le regard de Dieu sur nous. L’un s’appelle priére, & l’autre grace.
J’ai bien appris de l’Evangile, que l’Eglise est nommée une maison de priére ; Matth. 21. 13. Cypr. Libr. de Aleat.
D’ailleurs, dit un Pere, Salv. Hab. 1. 13.
Mais 7.
Si vous estes sages, suivez donc le conseil du saint Esprit, quand {p. 127}il vous avertit dans ses Ecritures de ne point arrêter vos yeux sur les personnes du sexe, de peur que leur beauté ne vous devienne un sujet de chûte : Eccli. 9. 5.
Le grand Pompée, dit Tertullien, fit bâtir à Rome un Theatre d’une étenduë prodigieuse, & de peur que les Censeurs ne le fissent abattre, il y joignit un Temple de Venus, afin que le respect que l’on auroit pour la Déesse, fît épargner ce monument superbe de sa vanité. {p. 128}Depuis ce temps-là le Théatre est dans la possession du Démon de l’impureté, & y sera même toujours, quelque exorcisme que l’on fasse pour l’en chasser. Souvent les Temples des Idoles ont esté changez en Eglises Chrétiennes, le Démon cédant la place à Jesus-Christ. Mais le Théatre a toujours esté & sera toujours profane. En vain introduit-on des saints & des saintes sur la scene, Asmodée n’en sortira jamais.
Aussi Art. 2. La Religion les condamne.
Ecoutons 1. Chrys. in Matth. Hom. 6.
Les Barbares, ajoûtoit-il, sont bien plus sages que nous. Ils ne sçavent ce que c’est que spectacles, & s’ils en voyent parmy nous, ils les tournent en dérision. Quelqu’un d’entre eux estant allé à Rome, & voyant avec quelle passion les Romains y accouroient, demanda gravement, si ces gens-la estoient mariez, & s’ils avoient des enfants ? voulant marquer par-là, qu’un homme sage devoit estre uniquement occupé à regler ses affaires, & à gouverner sa famille ; & qu’il ne pouvoit goûter de plaisir plus innocent, que celuy que donnent une Epouse fidele & des enfants bien élevez.
Ce que ce saint Docteur a dit contre les spectacles est infini, & son zele a esté si agréable à Dieu, qu’il a esté récompensé de la Couronne du martyre. On sçait, qu’un Discours prononcé contre les jeux {p. 131}qu’on célebroit à la dédicace de la statuë de l’Imperatrice Eudoxie, renouvella la persecution contre ce grand homme ; & comme elle ne finit qu’avec sa vie, il doit estre reconnu pour le martyr de la doctrine de l’Eglise contre les spectacles. Ce discours, selon les apparences, fut le dernier qu’il fit en public. Après quoy cette bouche d’or se ferma, n’ayant rien de meilleur ny de plus nécessaire à dire ; laissant aux Prédicateurs Evangéliques l’exemple de s’élever contre des excès si pernicieux, & de ne cesser jamais de se plaindre, si l’on ne cesse jamais de leur en donner occasion.
Tertullien, & saint Cyprien nous vont expliquer les sentiments de l’Eglise Latine. Ils ont écrit tous deux sur cette matiére, & dans leurs ouvrages paroît avec éclat tout ce que l’éloquence Chrétienne a de plus fort, de plus ingénieux, & de plus persuasis.
{p. 132}Je sçay, qu’un Critique célebre prétend, que Tertullien fit son Traité des spectacles, lors qu’il penchoit du côté du Montanisme. Ce qui sans doute diminuëroit l’autorité de cet excellent ouvrage, & ôteroit tout le poids aux grandes véritez qu’il y enseigne, en faisant croire qu’il y auroit débité une morale outrée, aussi éloignée de la douceur de l’Evangile de Jesus-Christ, qu’approchante de la rigueur des superstitions de Montan. Mais il faut considérer, que l’estime que saint Cyprien a faite du Traité de Tertullien, le met à couvert de tout blâme, & particuliérement de tout soupçon de Montanisme : estime si grande, que ce saint Prélat ne l’a pas seulement lû avec attention, mais comme adopté, sa Lettre n’en estant qu’un abregé, ou du moins une imitation parfaite.
Je ne vous feray point icy l’analyse de ces deux ouvrages. On l’a {p. 133}faite dans les écrits que vous avez lûs, & je la fais moy-même en quelque sorte dans toute la suite de mon Discours, qui est semé des pensées excellentes que j’ay puisées dans ces merveilleuses sources. Je vous diray seulement, mes Freres, une réflexion que je fis, lorsque me préparant à cette action je jettay les yeux sur l’inscription de la Lettre de saint Cyprien. Cyprianus pleli in Evangelio stanti. Cyprien au peuple inébranlable dans l’Evangile.
Cette belle inscription me frappa, & je me dis alors à moy-même : je n’ay pas l’honneur d’estre un Cyprien. Je suis mille fois plus éloigné de son mérite, que le Ciel ne l’est de la terre. Je ne prononceray pas mon Discours, comme il a écrit sa Lettre, dans le feu de la persecution, & presque sous l’épée du bourreau qui l’a fait martyr. Mais si je n’ay pas ces illustres avantages, j’auray du moins la consolation {p. 134}de parler à un peuple à peu près semblable à celuy de Carthage, qui estoit tellement affermi dans l’Evangile, qu’une persecution aussi cruelle que celle de Valerien n’eut jamais la force de l’ébranler. Je parleray au peuple d’une des plus grandes & des plus nobles Paroisses de l’Eglise de Paris. Peuple fidele, qu’aucune erreur ne séduit, qu’aucune hérésie n’infecte, qu’aucune nouveauté ne surprend, parce qu’un Pasteur vigilant, & des Ministres sages & éclairez, le nourrissent de la saine Doctrine. Il est vray, qu’il n’a pas confessé sa foy dans les supplices, comme le peuple de Carthage ; mais il la confesse tous les jours par l’exercice des bonnes œuvres, fréquentes, diverses, reglées, confession qui a aussi son mérite.
Cette disposition où je vous ay crûs, mes Freres, m’a beaucoup encouragé, & m’a fait espérer, que je ne traiterois pas sans fruit {p. 135}une matiére, sur laquelle les esprits sont quelquefois partagez. Mais j’ay fait une autre réflexion. C’est que si saint Cyprien n’eût plaidé la cause de l’Eglise contre les partisans des spectacles, devant un peuple affermi dans l’Evangile, il couroit risque de la perdre. Si vous chanceliez aussi tant soit peu dans cet Evangile divin, bien soin de me donner vostre suffrage, vous vous rangeriez plustôt du côté de mes adversaires. Soyez donc pour l’Evangile, & vous serez pour moy. Affermissez-vous dans ses maximes saintes, & vous confirmerez la vérité que je vous prêche. Faites de cet Evangile du salut vos plus cheres délices, & vous combattrez avec moy ceux qui nourrissent dans leur cœur l’amour du monde, & qui ne goûtent que ses fragiles plaisirs.
Ecoutons enfin l’Eglise de France, la plus saine & la plus illustre portion de l’Eglise Latine. Elle va s’expliquer par la bouche d’un de {p. 136}ses Prêtres, mais si distingué de tous les autres par sa pieté, par son zele, & par sa doctrine, qu’il a mérité d’estre appellé le maître des Evêques. Genn. in Cat. vir. ill. cap. 67.
Il y montre l’opposition qu’ont ces divertissements profanes avec la sainteté de nostre Religion, & avec les engagements de nostre Baptême. Sal. Mass. de Gub. Dei. Libr. 6.
Tout est en feu dans l’Europe, s’écrie-t-il. La Dacie, l’Illyrie, la Pannonie, sont occupées par les Barbares. Le Danube, & le Rhin rougissent du sang Chrétien. Les Pyrenées & les Alpes ne sont pas d’assez fortes barriéres, pour empêcher que les peuples qu’elles séparent, ne fassent des incursions {p. 138}les uns sur les autres. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, sont sous les armes. Les Gaules ont presque changé tous leurs habitants en soldats, & semblent ne plus connoître d’autre profession que celle de la guerre. Treves, ma chere patrie, a esté prise & reprise plusieurs fois. Marseille, où je sers le Seigneur, est dans de continuelles alarmes. Le Ciel irrité par nos crimes, a livré toutes les nations à la fureur des combats, & elles exécutent les unes sur les autres l’arrêt de mort que la justice divine a prononcé contre elles.
Mais, poursuivoit-il, comme si le sein de la terre n’estoit pas assez vaste pour contenir le sang versé en tant de batailles, on se bat encore sur mer ; & la guerre, lassée de marcher, vogue à rames & à voiles. Elle n’est pas même le seul fléau, dont nous sommes affligez. Tantôt la famine, tantôt la mortalité, luy tiennent une triste & {p. 139}fidele compagnie ; & la jeunesse la plus riante est la plus exposée aux traits de la mort. Nous voyons périr de jour en jour l’univers à nos yeux, & comme si c’estoit trop peu qu’une partie des hommes perît, nous contraignons le Ciel par nos offenses de nous faire périr tous tant que nous sommes, cum maxima pars nostri jam perierit, hoc agimus, ut pereamus omnes.
Et parmy toutes ces disgraces nous avons encore la folie du théatre. Qui le croiroit ! Dieu nous frappe, & nous ne sentons pas ses coups ! De si justes sujets de douleur ne sçauroient modérer les transports insensez d’une joye vaine & frivole ! Nous sommes misérables, & nous ne cessons pas d’estre ridicules & badins ! Miseri jam sumus, necdum nugaces esse cessamus.
C’est ainsi, mes Freres, que parloit cet homme zelé aux Chrétiens de son siecle, & vous voyez {p. 140}que son langage ne convient que trop à ceux de nos jours, qui pour peu qu’ils ayent de bon sens, doivent avouer avec le Sage, que la musique est importune dans le deuil, & que la joye est extravagante dans le temps de l’affliction. Eccli. 22. 6.
Tous les Peres parlent à peu près sur ce sujet, comme les Salviens, les Cypriens, & les Chrysostomes, & si je n’estois resserré dans les bornes étroites d’un discours, j’y ajoûterois les Decrets des Conciles, les Constitutions des Papes, les Ordonnances des Evêques, les Loix des Princes Chrétiens, les Ecrits des hommes doctes, la pratique des personnes de pieté. Tout cela vient au secours de la Religion, pour condamner les spectacles qui la deshonorent, puisqu’ils ne conviennent nullement à la majesté du Dieu qu’elle adore, & à la sainteté dont elle fait profession. Ista non competunt {p. 141}veræ Religioni, & vero obsequio erga Deum. Tert.
N’est-il donc pas bien déplorable, qu’une indecence si grande soit si commune, & qu’estant si universellement condamnée par la Religion, le monde témeraire ose entreprendre de la justifier ? Il l’ose pourtant, & il l’osera toujours, car sa haine pour Jesus-Christ & pour l’Eglise ne se terminera, que quand les siecles se termineront. S’il n’est pas mieux de dire, qu’elle subsistera éternellement pour faire son plus cruel supplice, après que le Sauveur triomphant aura détruit tout empire, toute domination, & toute puissance, 1. Cor. 15. 16.
Mais écoutons ce qu’il dit, & tâchons de luy répondre. Vous avez vû, que les spectacles sont une grande indecence pour la Religion, {p. 142}que la Religion a toujours légitimement condamnée. Vous allez voir, qu’ils sont une des plus dangereuses pompes du monde, que le monde justifiera toujours vainement : & c’est icy la derniére Partie de mon Discours.
L’Eglise II. Partie Tert. libr de spect. cap. 10.
Pompes Art. 1. Les spectacles pompe du monde. 1. Joan. 2. 16. Cypr. de spect.
C’est là, que les vices, qui appartiennent tous au monde, sont comme sur l’Autel. Autrefois, pour les rendre honorables & les consacrer en quelque sorte, on introduisoit sur le théatre des Dieux adulteres & des Déesses vindicatives. Aujourd’huy, nos Poëtes y représentent des Saints ambitieux & des Martyres galantes : & quand ils ne vont point jusqu’à cet excès de mauvais sens, ils achetent par une piéce sainte le privilege d’en faire plusieurs profanes. Fiunt religiosa delicta. Cypr.
C’est là, que, selon la parole de saint Jean, le monde est tout plein de malignité. 1. Jean. 5. 19.
C’est là, que la haine du monde contre Jesus-Christ est entiérement satisfaite, par la maligne joye qu’il a de voir toutes les marques du Christianisme effacées dans les Chrétiens. Où est cet amour de la croix, ce mépris des biens terrestres, cette attente continuelle du jour du Seigneur, qui fait le caractere des véritables Chrétiens ? On n’y en voit aucune trace, & l’on pourroit demander à chacun de ceux qui assistent aux spectacles, ubi est Christianitas tua ? Salv.
C’est là, que le vin empoisonné de la prostitution de Babylone est {p. 145}servi dans une coupe d’or. Beaux vers, acteurs bien choisis, voix mélodieuses, musique rare, chansons équivoques, d’un tour fin, couvertes d’une enveloppe délicate, mais qui sortent toujours d’un cœur corrompu, ou qui servent à le corrompre. Dans les anciennes comedies, l’ordure estoit pour ainsi dire présentée dans des vases de bois & d’argile ; & comme elle estoit sans deguisement, elle faisoit horreur. Icy le venin est préparé : une douceur enchanteresse fait qu’il trompe plus aisément, mais il n’en donne pas moins le coup mortel. Nemo venenum temperat felle. Tert. libr. de spect. cap. 10.
C’est là, que le démon, Prince du monde & Dieu du siecle, est comme dans son palais & dans son temple ; & Tertullien appelle effectivement le théatre, l’Eglise du démon, où se rendent ses adorateurs, par opposition à l’Eglise sainte, où s’assemblent les membres de Jesus-Christ, {p. 146}Ecclesia diaboli. Il raconte même ce que vous avez sans doute ouy dire, que cet esprit seducteur s’estant saisi d’une femme qui assistoit aux spectacles, répondit aux Exorcistes, qu’injustement on vouloit luy ravir une conquête, qui luy appartenoit dès là qu’il l’avoit trouvée dans le lieu de sa domination, in meo inveni. Tert. de spect. cap. 10.
S’il est donc vray, que toutes les concupiscences y soient comme sur le thrône, & tous les vices comme sur l’autel ; que la malignité y soit répanduë dans toute sa plénitude ; que la haine du monde pour Jesus-Christ y soit assouvie ; que le vin empoisonné de Babylone y soit rendu délicieux ; & que le démon {p. 147}son Prince & son Dieu y trouve une infinité de sujets & d’adorateurs ; qui doute, que ce ne soit là une des plus dangereuses pompes du monde ? Spectacula pompæ sunt.
C’est Art. 2. Le monde les justifie.
Tertullien, 1.
Il faut encore remarquer, que l’Ecriture, dont le stile est concis & énergique, ne fait pas toujours un long détail de nos devoirs, mais qu’elle ramasse souvent plusieurs défenses en une. Ainsi la loy particuliére contre les spectacles est renfermée dans ces paroles générales, « où il nous est défendu de suivre les desirs déreglez de nostre cœur & de satisfaire nos passions ; où il nous est ordonné de conserver avec un soin extrême la pureté du corps & de l’ame, Prov. 4. 83. Eccli. 3. 17. Eccli. 9. 8. Matth. 18. 7. Eph. 5. 3.
Or qui peut nier, après tout ce que nous avons établi dans ce Discours, que dans les spectacles on ne contrevienne à toutes ces loix ? Et qu’est-il besoin que les noms bizarres d’Opera & de Comedie soient exprimez dans l’Ecriture, si en effet on y trouve la condamnation de tout ce qui s’y pratique ? C’est se moquer de Dieu, dont l’Apôtre dit, qu’on ne se moque point en vain, que de prendre le silence du saint Esprit pour une approbation tacite de ce desordre ; & c’est encore une erreur de croire, que la suppression du nom supprime la chose & en autorise l’usage.
Il 2. Cypr. Tert. Salv. Chrysost.
Ils s’élevent contre ces représentations libres de nos défauts & de nos miseres, & du feu infernal dont nous sommes embrasez : malheur {p. 152}qu’Augustin converti déploroit autrefois en luy-même : Aug. Conf. libr. 3.
Ils ont combattu avec une force incroyable les spectacles du Cirque & de l’Amphithéatre, qui certainement estoient moins repréhensibles que les nôtres. Dans le Cirque, on voyoit plusieurs especes de courses. Dans l’Amphithéatre, on voyoit differentes sortes de combats. Mais on ne voyoit dans l’un ny dans l’autre, ny ces intrigues amoureuses, {p. 153}ny ces artifices diaboliques, que l’Enfer a inventez de nos jours pour tendre des pieges plus assûrez à la pudeur, puisque même par pudeur & par une loy d’Auguste, les femmes Payennes n’assistoient point aux combats des Athletes. Il n’y avoit là rien d’efféminé. Tout y estoit mâle, & très propre à entretenir les sentiments guerriers du peuple le plus belliqueux de la terre : jusques là qu’on prétendoit par cette même raison, que les Chrétiens y pouvoient assister, sous prétexte qu’estant d’une profession à estre toujours prêts à mourir, expeditum morti genus, Tert.
Cependant, les Peres n’ont pas laissé d’interdire ces sortes de spectacles ; ou parce qu’on y faisoit des cris extravagants & immoderez ; ou parce qu’on s’y échauffoit trop facilement pour les partis ; ou parce qu’on y apprenoit à devenir cruel, & qu’on l’estoit en effet en devorant des yeux les hommes que les bêtes devoroient par leur bouche : ou par la raison générale, que ces objets excitoient les passions, au lieu que toute l’étude de la Religion est de les combattre, de les affoiblir, & du moins de les regler, puisqu’elle ne sçauroit les détruire.
Les spectacles, contre lesquels les Peres ont fait de si fortes invectives, sont de deux sortes. Ceux que l’on représentoit à Rome & dans l’Empire avant la conversion de Constantin ; & ceux que l’on a vûs dans la suite.
{p. 155}Les premiers estoient plus grossierement criminels, puisque l’idolâtrie & les desordres y paroissoient à découvert ; aussi ont-ils esté condamnez par les Tertulliens & les Cypriens. Les suivants, pour ce qui est du Théatre, estoient à peu près comme les nôtres : & ils n’ont pas laissé d’estre censurez par les Chrysostomes, les Augustins, & les Peres qui leur ont succedé.
Mais en tout cela les Payens estoient alors moins coupables que ne le sont aujourd’huy les Chrétiens. Les uns faisoient ces sortes de représentations, parce qu’ils les croyoient agréables à leurs Dieux ; & les autres les font, quoyqu’ils sçachent que leur Dieu en est offensé. La faute des Payens venoit bien plus de l’erreur de l’esprit, que de la corruption du cœur. Au lieu que celle des Chrétiens vient toute de la corruption du cœur, leur esprit estant trop éclairé pour {p. 156}y avoir la moindre part.
Partisans 3.
Quoy ? saint Thomas, dont la principale gloire consiste à s’estre rendu le fidele disciple des Peres, l’héritier de leur esprit, l’interprete de leurs sentiments, approuveroit-il ce qu’ils ont si solemnellement condamné ? Ce grand saint, encore plus angelique par sa pureté que par sa doctrine, qui reçut un excellent don de continence après une victoire signalée qu’il avoit remportée dans sa jeunesse ; luy, dont les sentiments sont si rigides touchant les pensées, voudroit-il justifier des divertissements, qui pour le moins sont une occasion prochaine d’une infinité de pensées dangereuses ? c’est ce qui ne s’accordera jamais avec le bon sens.
{p. 157}Mais enfin, dit-on, il soûtient que la profession de Comedien de soy n’est pas illicite. S. Th. 2. 2. q. 168. a. 3.
Quand il le soûtiendroit dans un sens abusif, on ruineroit son opinion par la maxime qu’il a luy-même établie, qu’un Docteur particulier ne fait pas la loy ; & que l’autorité de l’Eglise doit estre préferée à celle d’un saint Jerôme, d’un saint Augustin, & de tout autre Docteur, & par consequent à celle de saint Thomas luy-même, magis standum est autoritati Ecclesiæ, quàm autoritati, vel Augustini, vel Hieronymi, vel cujuscumque Doctoris. 2. 2. q. 10. art. 12. in corp.
Mais il ne le soûtient que suivant l’idée métaphysique qu’il s’en est formée. Comme il est presque toujours dans les abstractions, & que par la subtilité de son grand génie il penetre jusques dans les derniers replis de l’essence des choses, il considere la comedie comme une simple représentation d’actions {p. 158}& de paroles : en quoy consiste le caractere du Poëme dramatique, & ce qui en effet n’a rien de mauvais en soy. Mais où trouver ces comedies métaphysiques, dénuées de toutes circonstances vicieuses ? Ce ne sera pas du moins à Paris, & c’est pourtant de celles qui s’y représentent qu’il est aujourd’huy question. Que si l’on en trouve ailleurs, qui soient renfermées dans les bornes que saint Thomas a prescrites, je consens que l’on y assiste, & l’on le pourra sans danger.
Je consens aussi, ma chere Philothée, avec saint François de Sales, que vous alliez à la Comedie, pourvû que vous soyez telle, que ce grand saint vous y souhaite. Il veut dire, parfaitement affermie dans la crainte de Dieu & dans l’horreur du péché, entierement vuide de l’esprit du monde, préparée par la priére & par le jeûne, revêtuë de la haire & du cilice, {p. 159}toujours appliquée à la présence de Dieu. Je vous le permets, dis-je, à ces conditions, persuadé, que vous trouverez ma permission impraticable, & que vous n’en userez point du tout.
Mais 4. 2. Thess. 3. 10.
Mais, 5.
Un plaisir qui n’est pas innocent, comme sans doute celuy-cy ne l’est pas, ne peut estre jamais permis : & je soûtiens que dans les siecles passez le Théatre n’estoit pas si gâté {p. 161}qu’il l’est dans le nôtre. Je mets en preuve tout ce que j’en ay déja dit ; & si l’on veut s’en éclaircir davantage, on n’a qu’à lire les anciennes Tragedies Grecques & Latines. On trouvera, que Seneque, Euripide, ny Sophocle, ne parlent point d’amour, poison le plus subtil & le plus dangereux de nostre Théatre. Et il ne sert de rien de nous dire, que tout tend au mariage, & que cette fin estant louable elle justifie tout le reste. Un mariage contracté justifie bien certaines actions, qui sans cela seroient criminelles. Mais un mariage à faire n’éteint pas le feu qu’allument les conversations libres, & n’arrête pas les desordres, où tombent ceux qui ne font pas avec leurs yeux le même pacte que Job avoit fait avec les siens.
Si le Théatre est donc purifié, c’est seulement de ce qui rebute le cœur, mais non pas de ce qui le trompe. On n’y voit plus des prostitutions, {p. 162}mais on y voit des intrigues d’amour qui y conduisent. On n’y voit pas des meurtres sanglants, mais on y voit des projets de haine & de vengeance. Et quand il s’agit de tentation, craignez toujours la plus délicate. Craignez l’artifice du Dragon, plus que la violence du Lion.
Le monde ne se rend pourtant pas, & il soûtient au contraire, que le Théatre que l’on blâme si fort, est une école de vertu. Mais quel étourdissement & quel blasphéme !
L’Eglise, Messieurs, reprouve les vertus de Théatre : vertus ambitieuses, flatteuses ; amoureuses, vindicatives, & qui ne sont tout au plus que des vertus de Philosophe & de Romain. Ce que l’on y peut faire de mieux, c’est de guérir une passion par une autre. Mais à le bien prendre, on n’y en guérit aucune, seulement on y apprend à cacher toutes les deux par la seule crainte {p. 163}du ridicule. Quand même on feroit monter les vertus Chrétiennes sur le Théatre, bien loin que la Religion en fût servie, elle en seroit outragée. Dieu ne veut pas, que le pécheur raconte ses justices, ny qu’il parle de son Testament sacré avec une bouche profane : Psal. 49. 16. Matth. 7. 6. Marc. 1. 34.
Hélas, mes Freres, si les Prédicateurs Evangéliques, dont la mission est toute céleste, dont la bouche est sanctifiée par la consecration du corps du Fils de Dieu, dont la langue est l’organe du saint Esprit, dont les pensées sont le {p. 164}fruit de la priére, dont la parole est la parole même de Dieu : encore une fois si les Prédicateurs, qui parlent dans la maison du Seigneur, dans la Chaire de vérité, en présence des saints Mysteres, &, comme dit l’Apôtre, en Dieu, devant Dieu, & en Jesus-Christ : 2. Cor. 2. 17. Joan. 1. 14.
Me 6.
Les spectacles sont une occasion prochaine de péché, & un péché pour une infinité de personnes.
Les Comediens péchent, parce qu’ils exercent une profession reprouvée par l’Eglise, qui les prive par ses Décrets de la participation des Sacrements, même à la mort, s’ils ne font une promesse solemnelle de quitter cette profession. Aug. de Civ. Dei. libr. 2. cap. 14. Syn. Trull. can. 51. Conc. Arel. 1. cap. 15. Conc. Illib. can. 62.
Les spectateurs péchent, en participant {p. 166}au crime des Comediens, & en leur fournissant dequoy le commettre ; & c’est icy qu’a lieu cette maxime de saint Paul, que ceux qui consentent au mal, sont aussi coupables que ceux qui le font. Rom. 1. 32.
Les Poëtes péchent par cette même raison, & parce qu’ils font un mauvais usage de l’esprit que Dieu leur a donné ; talent, dont le souverain Pere de famille demandera un compte terrible à ceux qui l’auront mal employé. Matth. 25.
Les Dames péchent, en faisant croire par leurs maniéres libres & par leur immodestie, qu’elles disputent avec les Comediennes, à qui aura moins de pudeur.
Ce Magistrat, cet homme âgé, ce pere, cette mere, toutes les personnes graves, péchent, en donnant mauvais exemple aux jeunes gens, ausquels ils n’en doivent que de bons. Ce riche péche, en donnant aux Comediens l’argent {p. 167}dû à ses créanciers & aux pauvres ; & c’est ce que saint Augustin appelle un crime énorme, donare res suas histrionibus vitium immane. Aug. in Joan. Tract. 100.
Mais ceux qui péchent en cela plus griévement, ce sont les Ecclesiastiques, dont la profession sainte les engage à la vie la plus reglée & la plus exemplaire, parce qu’ils entraînent ordinairement dans leurs desordres les peuples, dont le salut leur est commis. Le Concile de Trente a renouvellé les anciens Canons touchant la vie des Clercs. Conc. Cab. ann. 813. can. 9. Conc. Tur. can. 8. Cap. Bal. t. 2. add. 3 cap. 71. Jer. 2. 12. Matth. 5. 13.
Qui peut penser sans horreur à ce mêlange monstrueux d’actions saintes & profanes ! Passer de l’Autel {p. 169}au Théatre ! Le matin sacrifier à Dieu, & le soir au démon ! Nul rapport, dit saint Paul, entre Jesus-Christ, & Bélial : & les ministres mêmes de Jesus-Christ osent les confondre !
Pasteurs fideles, dignes Chefs des Eglises, faites des recherches exactes d’une telle prévarication, & corrigez la par les peines canoniques. Et vous peres & meres, qui souffrez dans vos familles des enfants qui profanent l’habit de l’Eglise, & qui en dissipent les biens à des usages honteux, craignez, si vous ne vous y opposez de toutes vos forces, que la malediction de Dieu ne tombe sur vous comme sur eux.
Mais Conclusion.
Ne soyez donc plus avides de ces funestes plaisirs. Et ne nous faites pas toujours cette mauvaise réponse, que vous en sortez sans y avoir reçû la moindre impression de mal. Les plus grands Saints n’y seroient pas sans péril : que ne devez-vous donc pas craindre, vous qui n’y allez qu’avec un cœur rempli des folles joyes de ce monde, & qui n’avez d’ailleurs que ténebres dans l’entendement, que foiblesse dans la volonté, que revolte dans les sens ?
{p. 171}Regardez les spectacles comme une indecence injurieuse à la majesté de Dieu & contraire à la sagesse de l’Evangile, & comme l’Eglise de tous les siecles les a condamnez, vous ne balancerez plus de les condamner avec elle. Regardez les comme une des plus dangereuses pompes du monde, ausquelles vous avez renoncé par le baptême ; & quand le monde entreprendra de les justifier, vous luy opposerez ce que l’esprit de Dieu vient de vous inspirer par ma bouche.
Contemplez desormais des spectacles plus dignes de vous. Considérez le monde luy-même dans sa corruption comme un spectacle qui vous épouvante. Considérez la Religion dans sa sainteté comme un spectacle qui vous console. Regardez-vous vous-mêmes, comme devant estre dans le temps un spectacle de vertu au monde, aux Anges, {p. 172}& aux hommes, 1. Cor. 4. 9.
Une Lettre, en faveur de la Comedie, imprimée à la tête des Oeuvres de Boursault, obligea feu M. de Harlay Archevêque de Paris d’en interdire l’Auteur, qui en fit une retractation solemnelle. Il parut plusieurs refutations de cette Lettre, sur tout un excellent Traité de l’illustre M. Bossuet Evêque de Meaux ; à quoy se joignit le zele des Prédicateurs.