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2. (1763) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

L'aveugle Voltaire, à l'aveugle Madame la Marquise Du Déffant. […] J'ai eu une grande dispute avec mr le président Hainaut, au sujet de François second, et je vous en fais juge. […] Les Français n'ont encor jamais osé dire la vérité toute entière. […] Je le supplie de vous en dire autant quand j'ai l'honneur de lui écrire. Adieu, Madame, je ne sçais si nous avons jamais bien joui de la vie, mais tâchons de la supporter.

3. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

27e 8bre 1760 aux Délices Cecy n'est point une Lettre, Madame, c'est seulement pour Vous demander si vous avez reçu deux volumes de l'ennuieuse histoire de Russie, l'un pour vous, l'autre pour le président Hainaut. […] J'ignore pareillement si Mr d'Alembert a reçu le sien; voulez vous, madame, avoir la bonté de le lui demander? […] Je ne sçais pas si le Roy de Prusse aura longtemps la vanité de payer régulièrement la pension à Mr D'Alembert. Ce serait aux Russes à la payer sur les huit milions qu'ils viennent de prendre à Berlin. […] Cette imagination abominable, n'est bonne que pour le théâtre anglais; si l'échaffaut était pour Fréron, encor passe, mais pour Clairon, je ne le peux souffrir.

4. (1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

22 juillet [1761] Mr Le président Hainaut, Madame, m'instruit de vôtre beau zèle pour Pierre Corneille. […] Qu'on me montre un homme qui soutienne la gloire de la nation, Qu'on me le montre, et je promets d'aimer. […] La butte St Roc, et mes montagnes qui fendent les nües, les riens de Paris, et les riens de la retraitte, tout celà est si égal, que je ne conseillerais ni à une parisienne d'aller dans les Alpes, ni à une citoyenne de nos rochers d'aller à Paris. […] si la matière est éternelle? […] si l'âme est immortelle?

5. (1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Si vous avez imaginé que vous retrouveriez la politesse et les agréments des Lafare et des St Aulaire, l'imagination des Chaulieu, le brillant d'un Duc de la Feuillade, et tout le mérite du président Hainaut, dans nos littérateurs d'aujourd'hui, je vous conseille de décompter. […] Toutes les nouvelles affligent, et prèsque tous les nouveaux livres impatientent. […] J'ai envoyé à L'académie l'Epitre dédicatoire, que je crois curieuse, la préface sur le Cid, dans laquelle il y a aussi quelques anecdotes qui pouront vous amuser, les nottes sur le Cid, sur les Horaces, sur Cinna, Pompée, Héraclius, Rodogune, qui ne vous amuseront point parce qu'il faut avoir le texte sous les yeux. […] Je crois qu'il conviendrait qu'ils allassent tous deux à L'académie, et qu'ils me jugeassent; car il me faut la sanction de la compagnie, et que l'ouvrage qui lui est dédié ne se fasse que de concert avec elle. Je ne suis point du tout jaloux de mes opinions, mais je le suis de pouvoir être utile; et je ne peux l'être qu'avec l'approbation de L'académie.

6. (1754) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je conviens avec vous que la vie n'est pas bonne à grand chose; nous ne la supportons que par la force d'un instinct presque invincible que la nature nous a donné: elle a ajouté à cet instinct le fonds de la boëte de Pandore, l'espérance. […] Mais le plus vrai et le plus cher de mes désirs serait de passer avec vous le soir de cette journée orageuse qu'on appelle la vie. […] Le Président Hainaut donne-t-il toujours la préférence à la Reine sur vous? Il est vrai que la Reine a bien de l'esprit. […] passez vous l'été à la campagne?

7. (1765) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je n'en ai trouvé que deux éxemplaires à Genêve, l'un relié, l'autre qui ne l'est pas; ils seront pour vous et pour Mr le président Hainaut, et l'abbé Bazin n'en aura point. […] Le plaisir d'en sécouer le joug console de l'avoir porté, et il est agréable d'avoir devant les yeux les raisons qui vous désabusent des erreurs où la pluspart des hommes sont plongés depuis leur enfance jusqu'à leur mort. […] Le but de l'abbé Bazin étoit de détromper les hommes, celui de l'abbé d'Houteville n'était donc que de les abuser. […] La consolation de la vie est de dire ce qu'on pense. […] J'ai eu le bonheur de le voir assez longtemps, et je l'aimerai toute ma vie; j'ai encor une bonne raison de l'aimer, c'est qu'il a àpeuprès la même maladie qui m'a toujours tourmenté.

8. (1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mais je vous nommerai, quand vous voudrez, vingt belles âmes, qui ne sont ni sottes, ni coquines, à commencer par vous, madame, et par mr le président Hainaut. […] Ce chant n'est pas fait, je l'avoüe, pour être lû à la Cour par l'abbé Grisel, mais il pourait édifier des personnes tolérantes. […] Tous les poëmes m'ennuient, hors le sien; je ne l'aimais pas assez dans ma jeunesse; je ne sçavais pas assez l'italien. Le pentateuque et L'Arioste, font aujourd'hui le charme de ma vie. […] Adieu, madame, il faut joûer avec la vie jusqu'au dernier moment, et jusqu'au dernier moment je vous serai sérieusement attaché avec le respect le plus tendre.

9. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je ne suis heureuse en rien et vous êtes accoutumé à me tout refuser, mais de tout vos refus, celui qui me surprend le plus, c'est le compliment au président sur la mort de Mr Dargenson. […] Vous n'étiez pas autant de ses amis que vous l'êtes du président et puis vous lui auriez dût un compliment, n'eusse été que pour honorer la mémoire du président, lui donner des témoignages de regret, d'estime et d'amitié. […] J'évite actuellement de lui parler de vous, je détourne la conversation qui pourroit y amener pour Eviter l'embarras où je serois de vous Excuser. […] Je lui en ay vû l'intention, mais apparament vous ne l'avez pas encore reçüe. Je le détournerai de vous L'envoyer je vous assure si vous ne réparez pas vos torts.

10. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ah, monsieur, si vous la connoissiez, vous ne pourriez lui résister; l'esprit, la raison, la bonté, les grâces, tout en elle est au même degré, elle est à la tête de ceux de qui le goût n'est point perverti, et qui sentant tout votre mérite se rendent dificiles sur celui des autres. Certainement vous vous trompez monsieur, Labletrie n'a point Eû en vüe le président dans la phrase que vous me citez; personne ne lui en à fait l'application. La Bletrie parle des historiens, et le président n'a prétendû faire qu'une chronologie. Mais en supposant que Labletrie ou d'autres voulussent attaquer le président, ils n'y réussiroient pas, son livre a Eû trop de succès pour que la critique de quelques particuliers puisse lui paroitre fondée, il en attriburoit la cause à une basse Jalousie, il la mépriseroit et il auroit raison. […] Je Consentirai volontier à dire, à publier, que vous n'êtes ni l'auteur ni le traducteur de L'A.

11. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120097_1key001cor/txt/001 Mr Dargenson arriva ici le 12 de Juillet à demi mort, une fièvre lente, la poitrine affectée, son état empiroit tout les jours — mais insensiblement; Le 22 du mois dernier on s'apperçut qu'il étoit à L'extrémité. On envoya chercher le curé, qui resta avec lui jusqu'à 5 heures du soir, qu'il mourut. De toutes les pratiques accoutumés il ne fut question que de l'extrême onction. […] Ainsy on en peut porter tel jugement que l'on voudra. Le président de Montesquieu fit tout ce qu'on a coutume de faire et dit tout ce qu'on voulut lui faire dire.

12. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Jugez si j'ai été fidèle à l'amitié; si j'ai été offensé du mal qu'on disait de mr le président Hénaut, et si je n'ai pas pris son parti beaucoup plus que je n'ai jamais pris le mien. Voilà la vérité enfin reconnue, et il faut que le président en soit instruit. […] Ouï, Madame, je suis vif, et je le serai jusqu'au dernier moment de ma vie, quand je croirai servir l'amitié et la raison. La Blétrie est encor plus coupable que le marquis De Belesta puisqu'il veut être de l'académie. […] Le roiaume du bon goût et de l'esprit est tombé en quenouille.

13. (1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je reprends toutes les louanges que je lui ai données. […] Je suis dans la plus grande colère, je suis si indigné que je pardonne prèsque au misérable La Beaumelle d'avoir si maltraittéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210139_1key001cor/nts/003 les étrennes mignones du président. […] Je suis très persuadé que l'âme noble de vôtre grand-maman trouvera celà bien infâme. […] Le belle Maguelone avec Robert le diable, Valaient peut être aumoins les romans de nos jours; Ils parlaient de combats, de plaisirs et d'amours. […] Mais quelque chose que vous aiez la bonté de m'écrire, faittes contresigner par vôtre grand maman, ou envoiez vôtre Lettre chez Mr Marin, secrétaire général de la Librairie, rue des filles st Thomas, qui me la fera tenir très sûrement, le tout pour cause.

14. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

C'est La Beaumelle? Monsieur de Bellestat, et luy, sont en communauté de bien; La Beaumelle fait passer sous son nom tout ce qu'il veut; il se tient visiblement cachéz derrière luy; et le Bellestat ce flatte de passer pour l'autheur et ce persuade peutêtre à la fin qu'il l'est en effet; si vous ne le connoissez que par ses lettres, et si vous ne l'avez jamais vû, vous êtes excusable de vous y tromper; mais ceux qui le connaisse s'accordent tous à dire, que c'est un bœuf, et en même tems un petit maitre, plein de toutes sortes de prétentions; on avoit déjà Ecrit icy du Languedoc, qu'il se donnoit pour l'auteur de cette Brochure; mais il a beau faire et beau dire, on ne le croira pas. Ne vous figurez pas Monsieur, que le Président vous ayt soupçonné, ni lui ni moyhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180258b_1key001cor/nts/001 n'avons eûs cette pensée; et si quelqu'un a dit l'avoir, il en faisoit semblant, mais je suis bien aise d'avoir cette lettre; il n'est plus permis actuellement d'insinuer le moindre soupçon sur vous; Le Pauvre Président n'est plus en Etat de s'intéresser à rien; sa santé n'est pas mauvaise, mais sa tête ne va pas bien; ne luy écrivez plus sur ce sujet, je vous le demande en Grâce. […] Les oraisons funèbres, les discours de l'académie, Comment tout cela vous paroit il? Vous ne les lisez point et vous faite bien; pour moy je ne sçaye plus ce que je pourrois lire, hors vous et les auteurs du siècle passé tout m'ennuye à la mort.

15. (1751) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mais madame quand on a le malheur à Paris d'être un homme public dans le sens où je l'étais, savez vous ce qu'il faut faire? […] La gêne de l'âme m'a toujours paru un supplice. […] Si je ne peux voir mr le président Henaut, je le lis, et je croi que je sçai son livre àprésent mieux que luy. […] J'y ay travaillé avec tout le soin, toutte l'ardeur et toutte la patience dont je suis capable. […] La destinée se joue de tout le reste.

16. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Eh pardieu, madame, comment pouvais-je faire avec le président? […] C'est une espèce de comte de Boulainvilliers, très poli dans la conversation, mais hardi et tranchant la plume à la main. Il est bien injuste envers Monsieur le président Hénaut, et bien téméraire envers le petit fils de Sha-abashttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1180168_1key001cor/nts/003. […] Ils se mirent tous à genoux autour du tombeau, et attendris les uns par les autres ils l'arrosèrent de larmes. […] Mais il faut chercher la paix de l'âme dans la vérité et fouler aux pieds des erreurs monstrueuses qui bouleverseraient cette âme, et qui la rendraient le jouet des fripons.

17. (1768) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous me donné un conseil que vous ne prenés pas pour vous: vous ne méprisez ni le monde ni la vie, et vous avez raison; vous tirez bon party de l'une et de l'autre; vous mettez de la valeur à tout; tout vous affecte, tout vous anime; vous annéantissez les Pompignans, les Ribaniers, les Fréron, &c. […] Vous voulés rajeunir le Président; vous exiter sa colère; vous lui offrez de prendre sa deffense, c'est un bon procédé. […] Si elle l'occupe, si elle le console, n'est il pas trop heureux? […] celles qui donne la paix et la tranquilité ne sont elles pas préférables aux autres? […] La paix, enfin La paix, que l'on cherche et qu'on aime Est encore préférable à la vérité même.

18. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous sçavez que Je suis aveugle comme vous dès qu'il y a de la neige sur la terre et J'ay par dessus vous les souffrances. […] Le procès verbal de la canonisation est rapporté fidèlement dans ce manuscrit. […] Je vous prie instamment, madame, de me mander des nouvelles de la santé du président; Je l'aimeray jusqu'au dernier moment de ma vie. […] Cela est intitulé Les Singularités de la nature. […] Je vous prie de dire à mr le président Henault combien je m'intéresse à sa santé.

19. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous vous apercevrez aisément que les deux derniers chapitres ne peuvent être de la même main qui a fait les autres. […] Il prend le président de Besigni pour le président de Nassigni. […] Je ne veux pas les dévoiler pour l'honneur du corps. Je suis comme les prêtres qui sauvent toujours autant qu'ils le peuvent l'honneur de leurs confrères. […] Je pense comme l'auteur.

20. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Les gros paquets ne passent plus. […] comment le président Henaut s'accomode t'il d'être septuagénaire? […] Je vous souhaitte les bonnes fêtes, madame, comme disent les italiens mes voisins. […] Mon dieu que le monde est devenu méchant! C'est la faute de ces maudits philosophes.

21. (1749) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'avois prié Monsieur le président Henaut de vous instruire d'un acouchement qui avoit paru si singulier et si heureux. […] Elle m'avoit recommandé de vous écrire, et j'avois cru remplir mon devoir en écrivant à M. le présidt Henaut. […] Si quelque chose pouvoit augmenter l'état horrible où je suis, ce seroit d'avoir pris avec guaieté une avanture dont la suitte empoisonne le reste de ma vie misérable. […] C'est à la sensibilité de votre cœur que j'ay recours dans le désespoir où je suis. […] De là je reviens à Paris sans savoir ce que je deviendray, et espérant bientôt la rejoindre.

22. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Son Esprit n'étoit pas convaincû, ni son coeur n'étoit pas touché, mais il remplaçoit les plaisirs et les amusements auxquels son âge le forçoit de renoncer, par dehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210121_1key001cor/txt/002 certaines pratiques, la messe, le bréviaire &c. […] L'état où il étoit depuis long tems ne m'a pas donné le désir de viéllir. […] Pour la mienne elle n'est pas de même, Je me figure que si Je vis encore quelques années Je deviendray comme le président, et certainement il vaut mieux finir que d'Exister de cette sorte. […] C'est bien à vous de parler ainsy, vous qui êtes (comme vous me l'Ecrivez) le plus ancien de mes amis! […] La grand maman et la petite fille n'ont elles pas sujet de se plaindre de n'en pas entendre parler?

23. (1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je regrete jusqu'au fond de mon cœur le président Hénaut. Je le rejoindrai bientôt, mais où et comment? On chantait à Rome sur le théâtre public devant quarante mille auditeurs, où va t-on après la mort? […] Il y a des gens d'un très grand mérite chez les Welches, mais le gros de la nation est ridicule et détestable. […] Je serais bien fâché qu'il y eût quelque trait qui sentit encor le père de l'oratoire.

24. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous me dites que le président est à plaindre d'avoir quatre vingts ans. […] Vous me parlez du janseniste, ou de l'exjanséniste La Blétrie. […] Mais je suis curieux; je voudrais connaitre les droits du sénat, les forces de l'Empire, le nombre des citoiens, la forme du gouvernement, les mœurs, les usages. […] Le président m'a accoutumé à aimer ces deux choses essentielles. […] On fait la guerre honnêtement contre des capitaines qui ont de l'honneur, mais pour les pirates on les pend au mât de son vaissau.

25. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Oh le président vous en donneroit le démenty. […] Je comprend le plaisir que vous donne l'agriculture; si je n'étois pas aveugle je voudrois avoir une campagne, où il y eût un potager, une basse cour; J'ay toujours eû du goût pour tout cela; j'aimois aussy l'ouvrage, je n'hayssoit pas le Jeu; tout cela me manque, il ne me reste que la conversation; avec qui la faire? […] Je conviens qu'il y a des deffault considérables qui choquent à la lecture et qui Echapent à la représentation; cela n'excuse pas les faûtes, il faut les faire sentir, et la critique est très nécessaire pour maintenir Le goût. […] ; de nouveaux arrangemens pour les actions de la compagnie des Indes. […] Le Roy remet à la compagnie toutes ses actions et il se charge de je ne sçay pas quoy, je ne l'ay pas Retenüe.

26. (1762) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il faut que je vous dise une chose très consolante pour les femmes. […] La partie par où l'on pense ne s'est point affaiblie en elle. […] Je souhaitte à mr le président Henaut la centaine au moins de M. de Fontenelle, mais je crois que Montcriffehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1080282b_1key001cor/nts/003 nous enterrera tous. […] Apropos de Montcriffe, j'ay fait une perte considérable dans l'impératrice russe, mais sur le champ j'ay pris l'impératrice Reinehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1080282b_1key001cor/nts/004; et elle a souscrit pour melle Corneille tout comme le Roy de France. […] Vivez madame, digérez, pensez, et même riez de touttes les sottises de ce monde, depuis l'inquisition de Lisbonne jusqu'aux pauvretez de Paris, et agréés mon tendre respect.

27. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Elle prétend qu'elle est disgraciée à ma cour, parce que je ne lui ai envoié que le marseillois et le Lyon de St Didier, et qu'elle n'a point eu les trois Empereurs de L'abbé Caille. […] Il y a pourtant un vers dans les trois Empereurs qui est le meilleur que L'abbé Caille fera de sa vie. […] Elle daigne proposer la paix entre la Blétrie et moi. […] Saviez vous qu'il a outragé le président Hénaut autant que moi? […] Par quelle rage ce traducteur pincé du nerveux Tacite outrage t-il le président Hénaut, Marmontel, un avocat Linguet et moi, dans des notes sur Tibère?

28. (1758) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je ne le plains pas. […] Les autres ne les remplaçent qu'à moitié. […] Mille murmures viennent jusqu'à moy, et me confirment dans l'idée que Le repos est le vrai bien, et que la campagne est le vrai séjour de l'homme. […] Vous voyez sans doute souvent M. le président Henaut. […] Ayez la bonté de m'en dire des nouvelles.

29. (1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Est ce la simple curiosité? et comment ce seul sentiment peut il vous garantir de tous les objets qui vous environnent? Quelque puériles qu'ils soyent par eux mêmes, il est naturel que nous en soyons plus affectés que d'idées vagues qui sont pour nous le cahos ou même le néant. Pour moi monsieur Je l'advoüe, je n'ay qu'une pensée fixe, qu'un sentiment, qu'un chagrin, qu'un malheur, c'est la douleur d'être née; il n'i a point de rôle qu'on puisse joüer sur le théâtre du monde, auxquels Je ne préférasse le néant; et ce qui vous paroitra bien inconséquend, c'est que quand J'aurois la dernière Evidence d'y devoir rentrer je n'en aurois pas moins d'horreur pour la mort; expliquez moi à moi même, Eclairez moi, faites moi part des vérités que vous découvrirez, enseignez moi le moyen de supporter la vie, ou d'en voir la fin sans répugnancehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140117_1key001cor/nts/001; vous avez toujours des idées claires et Justes, il n'i a que vous avec qui Je voudrois raisonner, mais malgré l'opinion que J'ay de vos lumières je seray fort trompé si vous pouvez satisfaire aux choses que je vous demande. […] Le président vous fait mille tendres complimens et moi monsieur je vous dis avec la plus grande vérité que je vous aime tendrement.

30. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je voudrois que mon suffrage eût plus de poid, mais tel qu'il est, vous y pouvez Conpter; je dois cependant vous dire ce que je pense; jamais on ne permettra la représentation de cette pièce, avant que les changement qu'elle a pour bût ne soyent arrivés; ils arriveront un jour; mais vous êtes comme Moÿse, vous voyez la terre promise et vous n'y entrerés pashttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190112b_1key001cor/nts/002; elle sera pour nos neveux; contentez vous de la sortie d'Egipte. Toute réfléxions faites Je crois qu'il est plus avantageux que cette pièce soit lüe que représentée, elle auroit du succès sans doute mais elle éléveroit de Grandes Clameurs, et animeroit furieusement les adversaires; mais ce qui est de plus certain, c'est qu'aucuns Magistrats n'y aucuns ministres, n'auserois en authoriser la réprésentations; il faut se contenter de ce qu'on en tolère l'impression. http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190112b_1key001cor/txt/001J'écrivois l'autre jour, à un de mes amis, qu'on appellera ce siècle cy, le siécle de Voltaire; personne ne s'est assez distingué dans aucuns Genre, pour que son nom soit placé avec le vôtre: c'est bien sincèrement ma pensée. […] Vous ne me parlez Jamais de votre santé; dite moy, si vous prenez toujours de la casse, c'est le seul remède dont je fasse usage; mais depuis quelques tems je m'apperçois qu'elle me laisse quelques petites douleurs d'entrailles, et qu'elle ne remédie point à mes insomnies; nous devenons bien vieux, mon cher amy; vôtre âme ne vous en averty pas; la mienne ne vieillit pas à proportion de mon corps; ma mémoire cependant s'affoiblit beaucoup; celle du Président est presque totalement perdüe, ainsy que ses jambes; du reste il à fort bon visage, et dit quelques fois d'assez bonne choses;http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190112b_1key001cor/txt/001 ce seroit pour moy un Grand plaisir de me retrouver avec vous; si j'avois exécuté le projet que j'eux il y a quinze ans de m'établir en Province, Je vous aurois rendu des visites; mais aujourd'huy je suis trop vieille pour songer à changer de place; je resteray dans ma cellule, lisant vos ouvrages, vous Ecrivant quelques fois, et vous aimant jusqu'à mon dernier moment.

31. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Celà lui a été adressé par la poste de Lyon, sous l'envelope de son mari. […] Les barbares welches ont avili cette expression divine, et de charitas ils ont fait le terme infâme qui signifie parmi nous l'aumône. Vous n'avez point pour les philosophes cette charité qui veut dire le tendre amour, mais envérité il y en a qui méritent qu'on les aime. […] Vous voulez donc avoir le privilège exclusif de la haine; Eh bien, Madame, je vous avertis que je ne hais plus la Blétrie, que je lui pardonne, et que vous aurez le plaisir de haïr toute seule. […] Je lui sçais très grand gré de m'avoir justifié; sans celà, prèsque tous ceux qui lisent ces petits ouvrages m'auraient imputé le compliment fait au président Hénaut.

32. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il y en avait un pour vous dans le paquet. […] Il a bien l'air de sortir des mêmes mains qui souillèrent le papier de quelques invectives contre le président Hénaut il y a environ deux années; c'est le même stile; mais je suis accoutumé à porter les iniquités d'autrui. […] Ils aiment ma campagne et moi je les aime. […] Vous mettez à la place tout ce qui peut consoler l'âme. Vous êtes recherchée comme vous le fûtes en entrant dans le monde; on ambitione de vous plaire; vous faittes les Délices de quiconque vous aproche.

33. (1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mais ne brûlez pas la page 7 qui contient les justes éloges du mari de votre grand maman. […] Je vous répète que je ne serai jamais ingrat mais que je n’oublierai jamais le chevalier de la Bare et mon ami le fils du président de Tallonde qui fut condamné au supplice des parricides pour une très légère faute de jeunesse. […] La légèreté française danse sur le tombeau des malheureux. […] Vous aimez les Anglais, n’aiez donc pas de l’indifférence pour un homme qui est tout aussi anglais qu’eux. […] Songez qu’aiant fondé une Colonie dans ma Sibérie je dois aprouver infiniment la grâce que fait le Roi à tous les seigneurs des terres de paier les frais de leurs justices.

34. (1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous proteste que Je n'ay donnée de copie de vos lettres à personne, et que depuis celle qui vous a fait une tracasserie avec Montcrif Je n'en ay lüe aucune qu'à quatre ou cinq personnes, le président, Pontdeveyle, et mes Anglois. […] Je viens de me faire relire vos trois dernières lettres; La plus ancienne est du vois d'octobre. Il n'y a pas un mot dans toutes les trois qui Eussent pu vous faire des tracasseries avec qui que ce soit quand Je les aurois rendües publiques, mais Je vous proteste avec la plus grande vérité qu'elle n'a pas vû le Jour. […] J'espère qu'ils n'y réussirons pas, qu'ils se contentent de la gloire qu'ils s'imaginent qui les environnent. Je n'ay point l'honneur de leur ressembler; Je leur laisse toute leur célébrité et je serois bien fâchée d'y participer.

35. (1768) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Soyez saint ou prophane Je ne cesseray point d'entretenir une corespondance qui me fait tant de plaisirs; je ne sçavois dependant comment m'y prendre pour la renouer, mais voilà le président qui m'en fournit une occasion admirable; mr Walpole qui a une très belle presse à sa campagne vient de lui faire le galanterie d'imprimer son premier ouvragehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170433_1key001cor/nts/002, il veut que ce soit moi qui vous l'envoy, il n'oseroit pas, dit il, vous faire lui même un tel présent. Cette pièce et votre Oedipe sont des productions du même âge, mais qui ne sont pas faites, dit il, pour être comparée; je ne décide point entre Geneve et Romehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1170433_1key001cor/nts/003; L'amitié que j'ay pour les deux auteurs me garantit de toute partialité. […] Ne m'allez pas dire, Je vous le demande en grâce, qu'elles ne sont pas de vous, je ne suis pas assez dépourvû de goût et de Jugement pour ne pas démesler celles qu'on vous attribue d'avec ce que vous faites. […] La D. de Choiseul J'aurois la honte et encore plus l'ennuy de ne rien lire de vous. […] Ils préféroient Les modernes aux anciens, mais ces anciens étoient morts, et les modernes étoient Eux mêmes; moi Je suis vivante, et ceux que vous me préférez ne vous ressemblent point, mais point du tout monsieur, soyez en persuadé, protégez les comme votre livrée et rien par delà; L'humeur que J'ay contre vous me rend caustique, faisons la paix et reprenons notre comerce.

36. (1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Les gens qui l'annoncent en cérémonie, sont les ennemis du genre humain. […] L'idée seule en est triste; n'y songeons donc jamais, et vivons au jour la journée. […] J'aime passionément à commenter Corneille, car il a fait l'honneur de la France dans le seul art peutêtre qui mette la France au dessus des autres nations. […] Je vous supplie madame de dire à monsieur le président Hénaut combien je suis sensible à tout ce qui l'intéresse. […] Si vous ne la connaissez pas, je vous cèderai l'exemplaire qu'on m'a envoyé.

37. (1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Le talent s'en va, l'âge détruit tout; que pouriez vous attendre d'un campagnard qui ne sçait plus que planter et semer dans la saison? J'ai conservé de la sensibilité, c'est tout ce qui me reste, et ce reste est pour vous, mais je n'écris guères que dans les occasions. […] Les lettres qui étaient autrefois la peinture du cœur, la consolation de l'absence, et le langage de la vérité, ne sont plus que de tristes et vains témoignages de la crainte qu'on a d'en trop dire, et de la contrainte de l'Esprit. […] Le goût de la propriété et du travail est d'ailleurs absolument nécessaire dans des terres. […] On ne peut, à moins d'être La Poplinière, vivre plus commodément; voilà ma vie, Madame, telle que vous l'avez dévinée, tranquile et occupée, opulente et philosophique, et surtout entièrement Libre; elle vous est absolumenthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030338_1key001cor/txt/002 consacrée dans le fond de mon coeur, avec le respect le plus tendre, et l'attachement le plus inviolable.

38. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Premièrement le président a été malade et m'a donné beaucoup d'inquiétude. […] Elles se bornent à une seule, elle est bien triste, c'est qu'il n'y a à le bien prendre qu'un seul malheur dans la vie, qui est celui d'être né. Il n'i a aucun état tel qu'il puisse être qui me paroisse préférable au néant, et vous même qui êtes monsieur de Voltaire, nom qui renferme tout les genres de bonheur: réputation, considération, célébrité, tous les préservatifs contre l'ennuy, trouvant en vous toutes sortes de ressources, une philosophie bien entendûe, qui vous a fait prévoir que le bien étoit nécessaire dans la viellesse; eh bien, monsieur, malgré tous ces avantages, il vaudroit mieux n'être pas né, par la raison qu'il faut mourir, qu'on en â la certitude, et que la nature y répugne si fort que tous les hommes sont comme le bûcheronhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110352_1key001cor/nts/001. […] Je n'ay encore lû que l'Epître à l'accadémie et la préface; on est tout Etonné en lisant ce que vous Ecrivez que tout le monde n'Ecrive pas bien; il semble qu'il n'y a rien de si facile que d'Ecrire comme vous, et cependant personne au monde n'en approche. Il n'y a que Ciceron qui après vous est tout ce que J'aime le mieux.

39. (1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mr Durey a eu la faiblesse de donner cet ouvrage informe au jeune Monsieur de Brionne qui l’a envoié à Madame sa mère. […] Les dévots feront semblant d’être en colère de la manière honnête dont je parle de la mort. […] Voilà ce que c’est que d’avoir des fluxions sur les yeux. […] A l’égard de l’épitre, il est impossible de la bien lire sans être aufait. […] Vivez, Madame, le moins malheureusement que vous pourez.

40. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ay mandé à votre ami que vous êtes assez comme les personnes de votre sexe qui font des agaceries et qui plantent là les gens après les avoir subjuguez. […] Ce Moyse et cet Aaron pour se rendre plus dignes des faveurs de la cour, ont fait ce beau discours à l'académie qui leur a valu les siflets de tout Paris. […] Madame de Robec a eu le malheur de protéger cette pièce et de la faire jouer. […] Si vous êtes coupable avouez le moy et je vous donnerai l'absolution. […] Voylà le mérite du président Henaut.

41. (1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Depuis ma correspondance avec l'Empereur de la Chine, je me suis beaucoup familiarisé avec les rois; mais je crains un certain public de Paris qu'il est beaucoup plus difficile d'aprivoiser. […] Il peut compter que je ne lui ferai pas plus de leg que le président Henaut ne vous en a fait. […] Je ne le suis point du tout qu'on m'impute des ouvrages où l'on dit que les parlements sont maltraittés. […] Il y a bien de la générosité et de la finesse dans ce tour qui n'est pas assurément commun. […] Je trouvais très bon que le Roi paiât les frais de justice dans mon village.

42. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

&c. pour la santé du corps, ce qu'est aussi l'eau bénite contre les tentations du diable. […] Le président se porte à merveille, son goût pour le monde ne s'affoiblit point, il est toujours fort recherché parcequ'il est toujours fort aimable, mais il devient fort sourd. […] On me propose de lire les remontrances, les mandements, les instructions, je répond, qu'est çe que tout cela me fait? […] Vous ne connoitriez plus, monsieur, ce qui est aujourd'huy le bon goût, le bon ton, la bonne compagnie. […] prendre patiençe, et comme vous le dites, mépriser les hommes et les tolérer.

43. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous voulez que je vous mande des nouvelles; Le grand Papa, se porte toujours fort bien; il est aussi charmant que jamais; il n'y a plus que luy en qui l'on trouve de la grâce, de l'agrément et de la gayeté; hors lui tout est sot, extravaguant, ou pédant. […] Le Président se porte bien, mais il ne me fait pas désirer de parvenir à son âge; mille Complimens à Madame Denis, et a Mr. et à Madame Dupuis. ce jeudy 21 Le contrôleur n'est point nommé; Je voudrois que vous le fussiez, mais ce seroit à condition que vous interdiriez les Ecrits sur l'agriculture, les projets Economiques &c. […] J'attends avec grande impatience ce que vous me promettez à la fin de l'hiver; cela sera t'il gaye? Nous n'avons besoin à nos âges que de nous amuser; vous avez assez instruit le genre humain, ne songez plus qu'à vous divertir et à divertir vos amis.

44. (1734) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

N'admirez vous pas madame tous les baux discours qu'on tient à l'égard de ces scandaleuses lettres? madame la duchesse du Maine est elle bien fâchée que j'aye mis Newton au dessus de Descartes? […] Si je ne reviens point madame, soyez sûre que vous serez à la tête des personnes que je regreteray. Si vous voyez mr le président Henaut, dites luy bien je vous prie qu'il parle fort et souvent à mr Rouillé. […] Les lettres me seront rendues.

45. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Le fait est clair. […] Son fils l'aime, son peuple l'aime, sa cour l'idolâtre. […] Vous m'avez donné une grande satisfaction en m'aprenant que le président a repris son âme. […] La Sorbonne dit le contraire. […] La mienne prend la liberté d'embrasser la vôtre.

46. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

A l'égard du président, qui a huit ans plus que moi, et qui a été bien plus gourmand, je voudrais bien savoir s'il est fâché de son état, s'il se dépite contre sa faiblesse, si la nature lui donne l'apathie conforme à sa situation, car c'est ainsi qu'elle en use pour l'ordinaire; elle proportione nos idées à nos sensations. […] Je crois qu'il faut un peu varier ces grands plaisirs là; mais il faut toujours tenir le ventre libre, pour que la tête le soit. […] Il faut aucontraire dire et redire qu'il n'y a pas un mot dont ces messieurs puissent se plaindre; que la pièce est l'éloge des bons prêtres, que l'Empereur Romain est le modèle des bons rois, qu'enfin cet ouvrage ne peut inspirer que la raison et la vertu. […] Criez bien fort, ameutez les honnêtes gens contre les fripons. […] Son mari le capitaine de Dragons est l'homme du roiaume dont je fais le plus de cas.

47. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

sera ce devant les tribunaux de la Justice humaine, ou de la Justice divine? […] ou à la Vallée de Josaphat? […] La Grand Maman ne veut laisser à personne le soin de vous Lire, elle s'en acquitte supérieurement, avec un sons de voix qui va au Coeur, une intelligence qui fait tout sentir, tout remarquer; elle veut à la vérité marmoter les articles qui la regarde, mais je ne le souffre pas, et je la force à les articuler plus distinctement que tout le reste. Ce sont ceux qui sont le plus applaudis, parcequ'ils sont les plus vrays et les plus justes. […] L'absurdité n'est pas digne du raisonnement, ce sont des armes trop fortes, il sufit de la plaisanterie, et puis, monsieur, Je vous l'avoueray, J'Eprouve que la Vie est un cercle, Je me rapproche chaque jour de l'enfance.

48. (1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je les disois sans cesse avec délice, Je le diray présentement avec amertume et douleur! […] Si vous êtes mort comme vous le dites il ne doit plus rester de doutes sur l'immortalité de l'âme. […] Le paÿs où vous êtes semble avoir été fait pour vous, les gens qui L'habitent sont les vrais descendans d'Ismael, ne servant ni Baal ni le dieu d'Israelhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030330_1key001cor/nts/003, on y Estime et admire vos talents sans vous haïr ni vous persécuter. […] Enfin monsieur, si votre santé est bonne, si vous Jouissez des douceurs de l'amitié, le roy de Prusse a raison, vous êtes mille fois plus heureux que lui malgré la gloire qui l'environne et la honte de ses Ennemis. Le président fait toute la consolation de ma vie, mais il en fait aussi tout le tourment par la crainte que J'ay de le perdre.

49. (1768) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

C'est l'effet Général qu'il a produit excepté sur quelques mauvais coeurs comme moy, qui pour justifier leur insensibilité, prétendent qu'il n'y a pas un sentiment naturel; Le monde est devenu bien sot depuis que vous l'avez quitté; Il semble que chacun cherche à tâton le vray et le beau, et que personne ne l'atrappe; mais il n'y a personne qui puisse juger des méprises; je ne prétend pas à cet avantage; je ne suis pas plus éclairée qu'un autre; mais j'ai des modelles du beau, du bon, et du vray, et tout qui ne le leur ressemblent pas ne sçauroit me séduire. […] C'est le journal encyclopédique; j'en ay fait l'acquisition depuis peu; c'est le seul journal que j'ay jamais lû avec plaisir; aije Tort ou raison? […] et appartient il à une vieille sybille, renfermée dans sa cellule, assise dans un Tonneau, d'interroger, et de fatiguer L'Appollon, Le philosophe, enfin le seule homme de ce siècle? Je crains que nous ne perdions bientôt, celuy qui étoit peut Etre le plus aimable Le pauvre Président; il s'affoiblit tous les jours. Je luy ay lüe votre lettre; Il ne m'a point fait voir la Vôtre; Il m'a seulement dit que vous n'aviés pas lû le suplément à son article Tolérance.

50. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ce Dimanche 24e Juin 1770 Si je ne vous ay pas Ecrit plûtôt, c'est que J'attendois toujours que la grand maman, me dicta quelques choses pour vous; Je l'en ay pressée, mais elle est dans une paresse d'esprit, dont on ne peut la tirer; elle s'en rapporte à moy pour vous dire, tout ce qu'elle pense pour vous; Je seray donc son indigne interprette mais J'auray le mérite de vous dire la vérité, en vous assurant que ses sentimens ne se bornent point à l'admiration et à l'estime, qu'elle y joint une très véritable amitié; elle voudroit vous satisfaire sur toutes les choses que vous désiré, et nommément sur votre affaire de st Claude; elle trouve la cause que vous deffandé très juste; mais elle ne peut vous secondez que par ses représentations et ses sollicitations; elle est aussy reconnoissante et aussy contante que moy, des Cahiers que vous nous envoyé, et nous vous prions de continuer; Je seray encore du tems sans revoir cette grand maman; elle ne reviendra que le dixsept ou le dixhuit de Juillet; et peu de jours après, elle partira pour Compiegne; La vie se passe en abscence, on est toujours, entre le souvenir et l'espérance; on ne jouïs Jamais; si du moins on pouvois dormir, ce ne seroit que demy mal; dormez vous, mon cher Voltaire? Ce seroit pour vous, un tems bien mal employé; il n'y faut donner que le pur nécessaire pour vôtre santé; employez tout le reste à instruire, à éclairer, et surtout à amûser la grand maman et sa petitefille; pour moy qui ne dort point, Je m'occupe souvent les nuits à repasser tous les vers que J'ay retenüe; vos Epitres au Roy de Prusse, au Maréchalhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200281_1key001cor/nts/001 de Villars, au Président, &c. ont souvent la préférence; pourquoy ne feriez vous pas une jolie Epitrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200281_1key001cor/nts/002 pour la grand maman? Le sujet ne vous laisseroit pas manquer d'idées. […] Vous sçavez que le grand Papa a achetez Toutes vos montres; vous êtes très bien avec lui; Il ira le neuf du mois prochain chercher la grand Maman, pour la rammener le dixsept ou le dixhuit. […] Je vous envoye une lettre, Je ne sçait pas de qui; Je crois cependant que c'est un homme qui vous estime beaucoup, et qui désire que vous l'estimiés; il en sera ce qu'il vous plaira, mais il vous prie de m'adresser la réponse que vous lui ferez, il l'enverra chercher chés moi.

51. (1756) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Cela vaut bien la peine d'être examiné. […] La privation de la vüe vous rend le commerce de vos amis plus nécessaire et par conséquent plus agréable. […] Vous auriez péri de chagrin à la campagne, et moy je ne peux plus vivre que dans la retraitte où je suis. […] Tout doit être bien pour mr le président Henaut. […] Adieu madame, soyez sûr que le bord du lac Léman n'est pas l'endroit de la terre où vous êtes le moins chérie et respectée.

52. (1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'ay pris le party de nier qu'aucun de ces ouvrages fussent de vous; ce n'est pas qu'il n'y en ait quelques uns où Je n'ay crû vous reconnoitre, mais Je désaprouve si fort que vous soyez pour quelque chose dans la guerre des rats et des grenouilles (comme vous la nommez fort bien) que Je ne puis consentir à flatter la vanité d'un des deux partis, et même de tous les deux en vous croyant l'ami des uns et l'ennemi des autres. […] Je ne puis pas parvenir à l'avoir. […] Je suis au désespoir de n'avoir pas pû prévoir les malheurs qui me sont arrivés, et n'avoir pas connû ce que c'étoit que l'état de la viellesse avec une fortune des plus médiocres. […] Je Jugeray par votre réponse si vous souhaitez véritablement maintenir notre correspondance; il faut qu'elle soit fondée sur L'amitié et la confiance, sans cela ce n'est pas la peine. […] Lisez la fable du Rat, de la grenouille et de l'aiglehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050438b_1key001cor/nts/003.

53. (1752) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il vous paraît étonnant peutêtre que je me vante d'être dans la retraitte quand je suis à la cour d'un grand Roy. […] Je n'ay pas la moindre cour à faire, pas même au maître de la maison, et ce n'est pas à des cantiques que je travaille. Je suis logé commodément dans un beau palais, j'ay auprès de moy deux ou trois impies avec les quels je dine régulièrement, et plus sobrement qu'un dévot; quand je me porte bien je soupe avec le roy, et la conversation ne roule ny sur les tracasseries particulières ny sur les inutilitez générales, mais sur le bon goust, sur tous les arts, sur la vraye philosofie, sur le moyen d'être heureux, sur celuy de discerner le vray d'avec le faux, sur la liberté de penser, sur les véritez que Loke enseigne, et que la Sorbonne ignore, sur le secret de mettre la paix dans un royaume par des billets de confession. […] Je jouis de la tranquilité et de la liberté que vous goutez où vous êtes. […] M. le président Henaut m'écrit quelquefois mais monsieur le comte Dargenson, comme de raison, m'a totalement oublié.

54. (1765) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Voicy bientôt le temps où je vais perdre la vue, mes détestables fluxions me reprennent l'automne et l'hiver. Je suis précisément comme Pollux qui ne voiait le jour que six mois de l'année. […] Je suis fâché qu'un livre si dangereux soit si commode pour le lecteur; on l'ouvre et on le ferme sans déranger les idées. […] Je ne l'ai pas vue, vous en jugerez, et je la condamne s'il y a du mal. […] Je vais faire chercher encor une pucelle pour vous amuser; mais je doute que j'aie le temps de la trouver avant le départ de made De Florian.

55. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

6e aoust 1760 Si la guerre contre les Anglais nous désespère, madame, celle des rats et des grenouilles est fort amusante; j'aime à voir les impertinents bernés, et les méchans confondus; il est assez plaisant d'envoïer du pied des Alpes à Paris des fusées volantes qui crèvent sur la tête des sots; il est vrai qu'on n'a pas visé précisément aux plus absurdes, et aux plus révoltans, mais patience, chacun aura son tour; il se trouvera quelque bonne âme qui vangera l'univershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060026_1key001cor/nts/001; et le président Lefranc de Pompignan http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060026_1key001cor/txt/001n'est pas le seul qui mérite que l'univers lui donne des nazardes. […] Alcibiade coupait la queüe à son chien pour détourner l'attention des Athéniens des sottises qu'il fesait à la guerre; sans Palissot, Pompignanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060026_1key001cor/txt/001 et Fréron on ne parlerait que de remontrances; je vous avoüe que je ne les aime pas dans ce temps cy, et que je trouve très impertinent, très lâche et très absurde, qu'on veuille empècher le gouvernement de se déffendre contre les Anglais, qui se ruinent à nous assommer; la nation a été souvent plus malheureuse qu'elle ne l'est; mais elle n'a jamais été si plate. […] Je sens vivement la perte de ce bonheur. Je vous aime, malgré votre goust pour les feuilles de Fréron. On dit que L'Ecossaise en automne amène la chute des feuilles.

56. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

et quand elle ne les auroit pas, croyez vous qu'elle plaignit les frais? Je ne les plaindrois pas moi s'il y avoit sûreté que les paquets me parvinsent. […] Malgré son inutilité Je l'adore; mais Je ne veux pas qu'on la déguise en vaine métaphisique, en paradoxe, en sophisme, Je veux qu'on nous la présente à votre manière, suivant la nature pied à pied, détruisant les sistèmes, nous confirmant dans le doûte et nous rendant inacçessible à l'Erreur quoique sans nous donner la fausse Espérance d'atteindre à la vérité; toute la consolation qu'on en tire (et ç'en est une) c'est de ne pas s'Egarer et d'avoir la sûreté de retrouver la place d'où l'on est party. […] Si vous l'avez lû dites m'en votre avis, et si vous ne l'avez pas lû lisez le Je vous suplie. […] Il n'est que trop vray monsieur que le pauvre président a la tête fort affoiblie; il est d'une douçeur qui rend son état encore plus intéressant; c'est un triste spectacle pour ses amis, et le retour qu'on fait sur soy même Jette dans une grande mélancolie; il n'appartient qu'à vous de vieillir.

57. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous m'avez donné la charge de vôtre pourvoieur en fait d'amusements; c'est un emploi dont le titulaire s'acquite souvent fort mal. […] C'est le malheur de l'absence. […] Malgré le penchant qu'ont les gens de mon âge à préférer toujours le passé au présent, j'avoue que de mon tems il n'y avait point de grand maman de cette trempe. […] On me mande que le président Hénaut baisse beaucoup; j'en suis très fâché, mais il faut subir sa destinée. […] Vivez, madame, avec des amis qui adoucissent le fardeau de la vie, qui occupent l'âme, et qui l'empêchent de tomber en langueur.

58. (1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Elle seule peut rendre les hommes heureux et tollérans, mais le peuple connoit il la morale? J'entend par le peuple le plus grand nombre des hommes. La cour en est pleine, ainsy que la ville et les champs. […] La recherche de la vérité est pour vous la médecine universelle, elle l'est pour moi aussi, non dans le même sens qu'elle l'est pour vous, vous croyez l'avoir trouvée, et moi Je crois qu'elle est introuvable. […] L'abbé Bazin est un habile homme, je l'honore, Je le révère, mais il se donne trop de peines et de soins; il ne sçait pas le conte de la Coutûre qui n'aimoit pas les sermons.

59. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mais il y a dans le reste de l'histoire des morceaux assez curieux, et vous y verrez assez souvent les noms des hommes avec qui vous avez vécu depuis la régence Je voudrais pouvoir fournir tous les jours quelque diversion à vos idées tristes. […] La privation de la lumière et l'acquisition d'un certain âge, ne sont pas des choses agréables. […] L'amusement est un remêde plus sûr, que toute la fermeté d'esprit. […] La montre du président Hénaut est donc détraquée. […] A l'égard du ridicule de ce B….

60. (1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous ne pouviez le condamner plus cruellement. […] Puis-je me flatter que vous aurez la bonté de lui mander que dans le nombre très grand de ses serviteurs je suis le plus inutile et le plus triste, et que si je pouvais quitter mon lit, je viendrais lui demander la permission de me mettre au chevet du sien pour lui faire la Lecture? […] Je doute pourtant que vous le lisiez. […] Je m’intéresse plus à la guerre des Russes contre les Ottomans qu’à la guerre de plume du parlement. […] J’ai beaucoup de relation avec l’Espagne pour la vente des montres de ma colonie, ainsi je m’intéresse fort à Mr le mis d’Ossun qui la protège, mais pour les affaires de l’église vous savez que je ne m’en mêle pas.

61. (1751) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'aurais pu même prendre L'occasion du voiage que fait le roy mon nouvau maitre dans le pays qu'habitait autrefois la princesse de Cleves. […] Voylà le secret d'éviter l'ennuy dont vous me parlez, mais pour cela il faut avoir la rage de L'étude comme luy, et comme moy son serviteur chétif. […] On les relit pour se préserver de la contagion. […] J'aurais l'honneur de vous la présenter si j'étais à Paris. […] M. le président Henaut, pour qui je crois vous avoir dit des choses assez tendres, parce que je les pense, m'aurait il tout à fait oublié!

62. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

La voicy. […] Quand on en vint aux opinions L'usage étant que le dernier venû donne son avis le premier, le premier président lui dit: Qu'opinez vous monsieur? […] Réellement mon plus grand malheur (et ce malheur est si grand qu'il me rend malade) c'est de ne sçavoir absolument ce que Je peux lire, tout m'ennuy à la mort; L'histoire, la morale, les Romans, les pièces de théâtre. […] Peutêtre est ce un Effet de la viellesse; Je le croirois si Je ne retrouvois pas encore infiniment de plaisirs à lire vos lettres et les petittes pièces que vous nous donnez quelquefois. […] Je le voyois pour la première fois, Le lendemain il m'envoya ces vers.

63. (1767) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Oh, c'est la véritable Eloquence! Qu'en dira la Sorbonne? […] J'approuve fort le grand Bossuet de l'importance qu'il a mis au Rêve de la palatine, et de l'avoir célébré en chaire. […] J'ay la plus Extrême impatience de l'avoir. […] Le président vous aime toujours et me charge de vous le dire.

64. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Quand la marâtre nature nous prive de la vue elle peint les objets avec plus de force dans le cerveau. […] Le diable alors me berce beaucoup plus que dans les autres saisons. […] L'avanture du président Hénaut est assurément bien singulière. […] L'abbé Boudot a eu la bonté de fureter dans la bibliothèque du Roi. […] Je déteste les poules mouillées et les âmes faibles.

65. (1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Jacques; elles sont mille fois plus agréables que ne l'ont été les provinciales, pour le plus passionnés Jansenistes; comment est il possible que le bon ton, que le bon Goût, se perdent dans un siècle où on à Voltaire? C'est pourtant ce qui arrive; L'on reçoit tout d'une voix de l'académie, et comme par acclamation un mr. […] Ceux qui ont du bon sens n'ont pas été difficiles à persuader; et ce n'est que le charme de vôtre stile qui leurs fait trouver aujourd'huy du plaisir dans ce que vous Ecrivés sur cette matière; car le fond de cette matière ne les intéresse pas plus que la mythologie des anciens. […] Y a t'il un lieu sur terre où l'on puisse ne pas sentir le charme de vos Ecrits, et comment n'êtes vous pas la pierre de touche pour apprendre à juger ceux des autres? […] Du moins il auroit dû en faire supprimer le commancement et la fin; oh pour la fin vous conviendrez que le ton en est important pour ne pas dire insolent.

66. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

vous avez déjà perdu l'âme de vôtre ami le président Hénaut, et bientôt son corps sera réduit en poussière. […] La mort vous les a enlevés. […] Je vous vois réduite à la dissipation de la société; et dans le fond du cœur vous en sentez tout le frivole. […] La dissipation ne m'est pas si nécessaire, à la vérité, qu'à vous; mais pour le tumulte des idées, pour la vérité dans les sentiments, pour l'éloignement de tout artifice, pour le mépris qu'en général nôtre siècle mérite, pour le tact de certains ridicules, je serais assez vôtre homme, et mon cœur est assez fait pour vôtre cœur. […] Le seul homme presque, de l'âme de qui je fasse cas, est monsieur grand-maman; mais je me garde bien de le lui dire.

67. (1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je ne pense pas absolument comme vous sur les portraits et anecdotes, mais à l'explication il se trouveroit peutêtre que nous pensons de même; les portraits imaginés et les anecdottes fausses ou falsifiées font de l'histoire d'indignes romans. Vos descriptions de l'empire de Russie, les Etablissemens, les réformes, Les voyages du czar, tout cela m'a paru admirable. […] Je l'ay reçu en même tems que le czar; Je ne souffre pas qu'on dise qu'il y ait la moindre contradiction. […] Je ne sçauroit admettre pour Législateurs des gens qui n'ont que de l'esprit, peu de talent et point de goût, qui quoique très honnêtes gens Ecrivent les choses les plus malsonnantes sur la morale, dont tous les raisonnemens sont des sophismes, des paradoxes; on voit clairement qu'ils n'ont d'autre but que de courir après une célébrité où ils ne parviendront Jamais; ils ne Jouiront pas même de la gloriole des Fontenelle et la Motte qui sont oubliés depuis leur mort, mais Eux ils le seront de leur vivant. […] Je l'en estime et l'en aime tant que Je serois presque tenté de lui faire faire des compliments.

68. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vos dernières conquêtes vous paroissent toujours les plus précieuses, vous êtes aussi sujet à l’engoument et peut être plus que vous ne l’étiez dans votre Jeunesse. […] Je vous assure mon cher Voltaire, que ce n’est pas tout ce qui m’environne, tout ce que je rencontre qui me déplaît le plus, ce que Je hais le plus, ce que je voudrois pouvoir fuir, c’est moi même; Je me dis très sérieusement que J’ay tort, Je m’interoge sur les Jugements que je porte, et je me dis, ‘C’est vous qui avez tout les deffauts et tous les ridicules qui vous blessent; pouvez vous croire avoir seule tout l’esprit et le goût en partage? […] J’ay passé une nuit blanche, rien n’aigrit autant le sang et l’humeur. […] Faites m’en une Je vous conjure, Je vous garderay le secret si vous l’Exigez. […] Il seroit impossible que plusieurs comédiens pussent Jouer les scènes avec la même Chaleur qu’il les Joue tout seul; il se coupe la parole, enfin je n’ay jamais rien entendûe d’aussi singulier; cet homme est de Lyon, quand il y retournera, invitez le à vous venir voir, Je seroit trompée si vous n’en étiez pas surpris et content.

69. (1765) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous êtes placé au milieu de L'univers, vous en êtes le centre et L'idole, tout accourre auprès de vous, on diroit aussi que vous êtes entre le tems et l'éternité, vous Jouissés de la réputation présente et de celle de la postérité. […] Mais ne parlons plus de moi, je suis ce que Je hais le plus dans le monde. […] Il a une santé déplorable qui m'inquiète, je l'aime beaucoup, et c'est un de vos plus grands admirateurs; J'ay été fort aise de ce que vous m'avez écrit sur le président, il y a été extrêmement sensible; sa santé est très bonne; il voit pour moi, J'entend pour lui, et nous trainons notre misérable Viéllesse, tandis que la vôtre paroit vous soutenir. Adieu monsieur, réparez la faute que votre secrétaire a faite et envoyez moi le plutôt qu'il sera possible ce qui manque à la lettre sur melle Lenclos, depuis la page 12 jusqu'à la page 61. […] Je n'ay point pûe parvenir à avoir La philosophie de L'histoire; sy vous pouvés me la faire trouver vous me ferez plaisir, ainsy que toute les petites brochures qui viendront à votre connoissance.

70. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Les fleurs du printems, les moissons de l'été, les vendanges de l'automne et les glaces de l'hiver sufiroients ils pour charmer vos Ennuys? […] Dans le printems l'ingénuité de l'enfance et le développement de ses goûts; dans l'été la Jeunesse, la naissance des passions, leur progrès, leur violence; dans l'automne, leur suitte, leurs Effets, les biens, et les maux qu'elles produisent; mais dans l'hiver vous ne pourriez pas Je crois faire un tableau plus fidel de la viellesse que celui qu'a fait st Lambert. […] Rien n'est si sensé que le commancement et le milieu et rien n'est si plaisant que la fin. […] C'est dans ce sens que la crainte devient le commancement de la sagesse. […] Notre pauvre ami le président est un peu mieux, il a moins de disparates.

71. (1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Votre parabole du bramin monsieur est charmante, c'est le résultat de toute la philosophie. Je ne sçay lequel je préférerois, d'être le bramin ou d'être la vielle indienne? Est ce que vous croyez que les capucins et les religieuses n'ayent pas de grands chagrins? Ils ne s'embarassent pas si vous voulez de ce que c'est que leur âme, mais leur âme les tourmente; toutes les conditions, toutes les espèces, me paroissent égallement malheureuses depuis l'ange jusqu'à l'huitre; le fâcheux c'est d'être né, et l'on peut pourtant dire de ce malheur là, que le remède est pire que le mal. […] Le président vous fait mil tendres compliments.

72. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

La Roûe de la fortune tourne t'elle assez rapidement? Il faut espérer que ces changemens répondrons à l'attente et à la Joie du public. […] Toute la besogne n'est pas finie, celle des parlemens n'est pas la plus petitte ni la moins embarassante; enfin c'est un règne nouveau. […] Je vois tout ce qui se passe du même œil que le verra La postérité; J'y vois Voltaire le seul bel esprit de ce siècle, qui auroit dût y servir de modèle, dicter les règles du bon goût, et qui par facilité à protégé ceux qui le détruisent; J'y vois un tas de philosophes, qui parcequ'ils ne croyent pas des fables se persuadent être fort Eclairés et devoir être législateurs, mais dont La vanité, L'orgueil et la sufisance décréditent leur morale. […] Je ne les hait point Je vous le Jure, mais Je leur sçait bien mauvais gré d'avoir brouillé toutes les têtes et d'avoir détruit Le goût.

73. (1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Malgré le profit immense que l'on accorde à ceux qui avancerons les sommes, on craint d'être dans l'impossibilité de les trouver. […] Sans la facilité tout ouvrage m'ennuy à la mort. […] Les têtes sont vuides et l'on veut que les bourses le deviennent aussy. Oh que vous êtes heureux d'être Voltaire, vous avez tout les bonheurs, les talents qui font l'occupation et la réputation, les richesses qui font l'indépendance. […] Le duc de Broglie général de L'armée.

74. (1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Soyez sûre que les tempéraments chez qui la digestion est un peu lente, et l'esprit prompt, et à qui la casse fait un bon effet, durent d'ordinaire plus longtemps que les corps frais et dodus. […] Tous les médecins de la faculté mes confrères, s'ils sont un peu philosophes, conviendront que les mêmes principes agissent dans la casse et dans la rubarbe. Ce sont les parties les plus volatiles et les plus piquantes qui purgent. […] Mais le sublime de la médecine domestique est à mon gré d'avoir un jour dans le mois consacré à la rubarbe. […] La patience et la casse!

75. (1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ne vous en mocquez point; ce livre fait cent fois mieux connaitre qu'Homère les moeurs de l'ancienne Asie; c'est de tous les monuments antiques le plus prétieux. […] le lire et le laisser là? […] Si vous étiez assez heureuse pour savoir L'Italien, vous seriez sûre d'un bon mois de plaisir avec L'Arioste; vous vous pâmeriez de joie, vous verriez la poësie la plus élégante et la plus facile, qui orne sans éffort la plus féconde imagination dont la nature ait jamais fait présent à aucun homme. […] Les Espagnols ont conquis un nouveau monde; les Portugais ont trouvé le chemin des Indes par les mers d'Affrique. Les arabes et les Turcs ont fondé les plus puissants Empires.

76. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ils n'influencent en rien sur le goût de la nation. […] Il n'y a ni vérité dans les faits, ni pureté dans le stile. […] Ce n'est pas assez de haïr le mauvais goût, il faut détester les hipocrites et les persécuteurs; il faut les rendre odieux et en purger la terre. […] Aiez, je vous en prie, le plaisir de les abhorrer. […] pourquoi donner l'être sans donner le bien être?

77. (1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Les plaisanteries ne m'ont pas paru de saison; il faut que les Lettres et les vers arrivent du moins à propos. […] Je croïais qu'on donnerait les finances à L'abbé du Renel, car puis qu'il a traduit le tout est bien, de Pope en vers, il doit en savoir plus que le Silhouette qui ne l'a traduit qu'en prose. […] Je croïais sa tête formée sur les principes de L'Angleterre, mais il a fait tout le contraire de ce qu'on fait à Londres. L'Angleterre se soutient par le crédit; et ce crédit est si grand que le gouvernement n'emprunte qu'à quatre pour cent tout au plus. […] Les charrües qui fendent la terre, les troupeaux qui l'engraissent, les greniers, & les pressoirs, les prairies qui bordent les forêts, ne valent pas un moment de vôtre conversation.

78. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous souvenez vous que les cris des fanatiques et des parlementaires enflammèrent le cerveau du misérable Damiens, et assassinèrent le roi bien aimé par les mains de ce gueux aussi insensé que coupable? […] C'est le même qui fit la guerre de la fronde et la st Barthelémi, et qui sifla longtemps Britannicus, Armide et Athalie. […] Peut être est-il étonnant qu'on veuille sacrifier le nouveau parlement, qui n'a sçu qu'obéir au roi, à l'ancien qui n'a sçu que le braver. […] Si le conseil veut favoriser cette colonie, j'aime mieux en avoir l'obligation à Mr Turgot qu'à Mr L'abbé Terray. […] On n'exile point un homme qui n'est pas encor guéri de l'opération de la taille.

79. (1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Les individus ne sont rien, et les espèces sont éternelles. […] C’est la farce après la Tragédie. […] Le voilà pourtant. Vous pouvez le jetter dans le feu si bon vous semble. […] Il faut que vous le soulagiez du fardeau qui l’accable.

80. (1754) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Cependant, Madame, malgré l'envie extrème de leur jouer le tour de vivre, j'ai été trèsmalade: joignez à cela de maudites annales de l'Empire qui sont l'éteignoir de l'imagination, et qui ont emporté tout mon temps, voilà la raison de ma paresse. […] L'hiver horrible que nous avons eu, donne de l'humeur, et les nouvelles qu'on aprend n'en donnent guères moins. […] C'est ce même Oxford que Pope appelle une âme sereine audessus de la bonne et de la mauvaise fortune, de la rage des partis, de la fureur du pouvoir, et de la crainte de la morthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990096_1key001cor/nts/002. Bollingbrok aurait bien dû emploïer son loisir à faire de bons mémoires sur la guerre de la succession, sur la Paix d'Utrecht, sur le caractère de la Reine Anne, sur le Duc et la Duchesse de Marbouroug, sur Louis XIV, sur le Duc d'Orléans, sur les ministères de France et d'Angleterre; il aurait mêlé adroitement son apologie à tous ces grands objets, et il l'eût immortalisée, au lieu qu'elle est anéantie dans le petit livret tronqué et confus qu'il nous a laissé. […] Le courage est bon à quelque chose; il flatte l'amour propre, il diminue les maux, mais il ne rend pas la vuë.

81. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

21e Mars au soir 1769 à Ferney On ne peut être plus sensible que je le suis, Monsieur, à la bonté prévenante que vous avez, de me faire rendre les bois que j'ai achetés, et qui sont pour moi de la nécessité la plus pressante, comme vous le verrez par la déclaration que j'ai l'honneur de vous envoier. […] On verra que si la ville de Versoi est bâtie, il sera impossible de la faire subsister une seule année. Le bois de chaufage coûtera plus de deux Louïs la voiture, et le comestible sera au poids de l'or. […] Il est le mari d'une femme qui est à moi. […] C'est le porteur de cette Lettre.

82. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Le grand papa est sans le sçavoir et même sans s’en doûter, le plus parfait philosophe, il a trouvé en lui tout les goûts et tout les talents qui peuvent rendre sa situation supportables, et même for tagréables. Tout les soins de la campagne, l’intéressent, l’occupent et lui plaisent. La chasse, l’agriculture, les trouppeaux, La pêche, tout se succède alternativement. […] Pour la grand maman, on ne peut en faire l’Eloge, tout ce qu’on en diroit seroit fort audessous de la vérité et fort audelà de la vraisemblance; ajoutez à toutes les vertûs possibles un cœur sensible et tendre. […] Les miennes sont fort bonnes, le voyage ne m’a point fatigué et le séjour m’avoit rajeuni.

83. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous ay demandé des couplets sur l'air des noels parceque tout le monde peut les chanter; il ne faut ni sçavoir la musique ni avoir de la voix; mais Je ne voulois point qu'il fût question ni de l'ancien ni du nouveau testament; passe pour l'ancien et nouveau parlement, l'exil, le retour, la Joye générale, la mienne en particulier, enfin tout ce qui vous auroit passé par la tête, excepté L'événement dont il y a 1774 ans, mais vous n'en sçauriez perdre le souvenir, tout vous y ramène; Je ne veux pas plus des trois rois que de la crèche, du boeuf et de l'âne. Je devois donner à souper au grand papa, à la grand'maman le propre Jour qu'ils reçurent leur lettre de cachet; c'est c'et anniversaire dont il doit être question. […] Voltaire peut être le chantre du premier, il ne doit pas empiéter sur le domaine de l'abbé Pellegrin. […] Indépendament de la raison qui me fait choisir l'air des noels, J'en ay un autre. […] Jamais il n'est entré chés moi et Je ne l'ay recontré de ma vie; mais voilà les préventions que l'on vous donne.

84. (1754) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

à l'embrazement de Troye, à la descente aux enfers? […] Vous le connaissez par les traductions, mais les poètes ne se traduisent point. […] Celuy là est plus long que la Henriade; et le sujet en est un peu plus guai. […] La vérité historique et l'austérité de la relligion m'avaient rogné les ailes dans la Henriade; elles me sont revenues avec la pucelle. […] La maladie ne laisse pas d'avoir de grands avantages; elle délivre de la société.

85. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Si l’ennuy ne survient pas Je les tient infiniment heureux. […] Enfin ils Jouissent de la paix de la bonne conscience; mon plus grand désir est de les aller trouver, mais il en faut obtenir la permission, et ce n’est pas encore le moment de la demander. […] Le prince Royal est d’une très bonne conversation, poli, gay, facile; ils resteront ici Jusqu’après pasques; le roy les traite fort bien. […] Ce ministre suplée à tout, il fait les fonctions de tout les emplois vacant; on dit qu’ils le seront encore long tems. […] Les remontrances, les arrêtés, les lettres pleuvent à verse, il n’y a Jamais Eû de tems semblable à celui cy; quelques chansons, des Epigrames, des bons mots Egayent la scène.

86. (1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ce Le signifie toujours la chose dont on vient de parler. […] Elles doivent répondre, Nous le sommes, ou Nous ne le sommes pas. […] Je le suis; êtes vous la juive qui fut menée hier à l'inquisition? Je La suis. […] Il faut se cacher au monde quand on a perdu la moitié de son corps et de son âme, et laisser la place à la jeunesse.

87. (1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

On a besoin absolument dans cet état de la consolation de la société. Vous jouïssez de cet avantage, la meilleure compagnie se rend chez vous, et vous avez le plaisir de dire vôtre avis sur toutes les sottises qu'on fait et qu'on imprime. […] On a toujours espéré assez vainement de jouïr de la vie, et à la fin, tout ce qu'on peut faire c'est de la supporter. Soutenez ce fardeau, Madame, tant que vous pourez, il n'y a que les grandes souffrances qui le rendent intolérable. On a encor en vieillissant un grand plaisir, qui n'est pas à négliger, c'est de compter les impertinents et les impertinentes qu'on a vu mourir, les ministres qu'on a vu renvoier et la foule de ridicules qui ont passé devant les yeux.

88. (1736) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Celuy que vous donnez à mes Americains et surtout à la vertu tendre et simple d'Alzire me console bien de touttes Les critiques de la petite ville qui est à quatre lieues de Paris, à cinq cent lieues du bon goust et qu'on apelle la cour. […] Premièrement ce n'est point, ce qu'il nomme très mal à propos amour social qui est chez luy le fondement et la preuve de L'ordre de l'univers. […] Ensuite, il apelle amour social dans l'épitre dernière, cette providence bienfaisante par la quelle Les animaux servent de subsistence les uns aux autres. […] Je vous suplie madame de me ménager les bontez de mr le p. […] C'est l'esprit le plus droit et le plus aimable que j'aye jamais connu.

89. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Lisez les vers, quand vous serez dans un de ces moments de loisir où L'on s'amuserait d'un conte de Bocace ou de la Fontaine, lisez la prose quand vous serez un peu de mauvaise humeur contre les misérables préjugez qui gouvernent le monde, et contre les fanatiques; et ensuitte jettez le paquet au feu. […] Les beufs, les vaches, les moutons, les prairies, les bâtiments, les jardins m'occupent le matin; toutte l'aprèsdînée est pour l'étude; et après souper on répète les pièces de téâtre qu'on joue dans ma petite salle de comédie. […] Je sais que la reine dit toujours que je suis un impie; la reine a tort. […] Mais le plus grand tort est dans ceux qui ont trouvé le secret de ruiner la France en deux ans dans une guerre auxiliaire. […] On porte le fardeau de sa nation, on l'entend continuellement maltraitter.

90. (1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ai été assez heureux pour que le Roy m'ait rendu tous ces privilèges malgré le journal de Trevoux et les gazettes écclésiastiques. J'ai eu l'insolence de faire bâtir un châtau dans le goût Italien. […] Je vois que tous les poëtes ont eu raison de faire l'éloge de la vie pastorale, que le bonheur attaché aux soins champètres n'est point une chimère; et je trouve même plus de plaisir à la labourer, à semer, à planter, à recueillir, qu'à faire des tragédies, et à les joüer. […] Il y a pourtant un ouvrage honête qui est actuellement sur le métier, c'est l'histoire de la création de deux mille lieües de païs, par le czar Pierre. […] Le roy de Prusse me faisait l'honneur de m'écrire assez régulièrement avant que les Russes lui eussent donné sur les oreilles.

91. (1767) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Voilà les deux pivots de la vie, de l'insipidité ou du trouble. […] Les troubles de Geneve ont dérangé tous mes plans, J'ay été Exposé pendant quelque tems à la famine, il ne m'a manqué que la peste; mais les fluxions sur les yeux m'en ont tenû lieu. […] Vous vous êtes fait lire sans doûte le 15ème Chapitre de Belisaire, c'est le meilleur de tout l'ouvrage ou Je m'y connâis bien mal, mais n'avez vous pas été Etonnée de la décision de la Sorbonne qui condamne cette proposition, la vérité luit de sa propre lumière, et on n'Eclaire point les hommes par les flammes des bûchers? Si la Sorbonne a raison, les bourreaux seront donc les seuls apostres. […] Je ne sçay comment il arrive que les compagnies disent et font de plus Enormes sottises que les particuliers.

92. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous le dirois mais je ne l'Ecriray pas. […] Il les étrangloit tous; une seule petitte chienne qui se trouva pleine eut grâçe devant ses yeux, il la lécha, la caressa, lui fit part de sa nouriture, elle accoucha, il ne fit aucun mal à toute sa petitte famille et Je ne sçay ce qu'elle devint, mais il arriva un jour que des mâtins vinrent aboyer le lion à la grille de sa loge; La petite chienne se Joignit à Eux, aboya le lyon et lui tira les oreilles; la punition fut prompte, il l'étrangla, mais le repentir suivit de près, il ne la mangea point, il se coucha auprès d'elle et parût pénétré de la plus grande tristesse; on Espéra qu'une inclination nouvelle pourroit le consoler, on se trompa, il étrangla sans miséricorde tous les chiens qu'on lui donnat. Ne vous paroit il pas qu'on peut tirer beaucoup de Moral de ce fait (qui est de la plus grande vérité) sur l'ingratitude, sur le besoin que l'on a d'aimer ou du moins d'avoir de la société? Le regret qu'a le lion d'avoir punie son amie (quoi qu'ingrate) vous fournira sûrement beaucoup d'idées. […] Heureusement on a retranché le nom de la Reine, mais Moncrif y est tout de son long.

93. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Le traducteur est un La Bastide de Chiniac avocat de son métier. […] Vous ne me dites point si elle paie des ports de Lettres, et s'il faut adresser le paquet sous l'envelope de son mari, qui ne sera point du tout content de l'ouvrage. L'a b c est trop l'éloge du gouvernement anglais. […] Je l'aimerai, je le respecterai, je le vanterai, fut-il traitté comme La Bourdonnais. […] S'il lui arrive le moindre malheur je le mettrai aux nues.

94. (1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ce qui m’a charmé c’est que ce docteur en l’art d’assassiner les gens m’a paru dans la société le plus poli et le plus doux des hommes. […] Les Saxe, Les Turenne n’auraient pas fait assurément de Tragédies. Je devais naturellement donner la préférence à une tragédie sur l’art de tuer les hommes. […] Je déteste cordialement l’art de la guerre, et j’admire pourtant sa Tactique. L’admiration, dit-on, est la fille de l’ignorance, c’est ce qui fait que vous admirez peu de choses en fait d’esprit.

95. (1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

On a les yeux bouchés à la ville, à la cour. […] Nous avons vu mourir les Papes et les Rois. […] Cependant les perdrix et les gelinotes ont tout autant de fumet qu'elles en avaient dans votre jeunesse, les fleurs ont les mêmes couleurs. […] Le fond en est toujours le même, mais les talents ne sont pas de tous les temps, et le talent d'être aimable, qui a toujours été assez râre, dégénère comme un autre. […] J'achêve doucement ma vie dans la retraitte, et dans la famille que je me suis faitte.

96. (1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ai été bien aise de finir par La Harpe, parce que le mari de la grand maman lui fait du bien, et lui en poura faire encor. […] La satire est très juste, et tombe sur le plus détestable fou que j'aie jamais Lu. […] Aureste, croiez que la chose vaut bien la peine d'être éxaminée. […] Ceux qui disent que les pairs du Roiaume ne peuvent être jugés par les pairs et par le roi, sans le parlement de Paris, me paraissent ignorer l'histoire de France. […] C'est une affaire très sérieuse; je casserais à la statue les bras et les jambes si son nom ne se trouvait pas sur la liste.

97. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'évite autant que je peux les uns et les autres, et cependant les dents et les griffes de la persécution se sont allongées jusques dans ma retraite, ou a voulu empoisonner mes derniers jours. […] Telle est la logique de l'envie et de la calomnie. […] C'est le comble de l'insolence janséniste que ce prêtre m'attaque et trouve mauvais que je le sente. […] La société à Paris a-t-elle d'autres alimens que la médisance, la plaisanterie et la malignité? […] Je sais qu'elle a outre les grâces, justesse dans l'esprit et justice dans le cœur.

98. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vais la transcrire. […] Je vous prie aussy d'envoyer la requette au grand papa dès que vous l'aurez lüe. Je la lui annonce'. […] Je vous promet la vie Eternelle mon cher Voltaire; si vous n'en Jouissez pas dans le ciel vous en Jouirés dans tous les cœurs de ceux qui resteronts sur terre. […] Si on me donnoit un souhait à faire, avec la certitude qu'il seroit Exaucé, J'aurois bientôt dit, ce n'est ni la fortune, ni les honneurs, ni même une parfaite santé que Je désire, c'est le don de ne me Jamais ennuyer.

99. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

L'on me lût hier l'Ecrit qui a remporté le prix à L'académiehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190186_1key001cor/nts/001; on l'approuve, on le loüe fort injustement à mon avis. Je n'entend rien à la critique raisonnée, ainsy Je n'entreray point en détail sur ce qui m'a choqué et déplû; Je vous diray seulement que le stile accadémique m'est en horreur, que Je trouve absurde toutes les dissertations, tous les préceptes, que nous donnent nos beaux Esprits d'aujourd'huy sur le goût et sur les talents, comme si l'on pouvoit supléer au génie. Je prêcheray votre tolérance, Je vous le promet, Je m'y engage si vous m'accordez d'être intollerant sur le faux goût et sur le faux bel esprit qui établit aujourd'huy sa tirannie; donnez un moment de relâche à votre zèle sur l'objet où vous avez eû tant de succés, et arrêtez le progrès de l'erreur dans l'objet qui m'intéresse bien davantage. J'ay enfin lû l'histoire des parlemens; il se peut bien que le second volume ne soit pas de la même main que le premier, mais mon cher ami, Je vois avec plaisir que vous pouvez avoir un successeur; ce jeune auteur ne vous fera point oublier, tout au contraire, vous avez fait en lui un disciple qui fera souvenir de vous. Votre corespondance avec la grand maman me charme; avouez qu'elle a de l'esprit comme un ange.

100. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Si vous m’aimez vous avez raison, car en vérité Je crois être la personne qui vous aime le plus. […] Pour moi mon cher Voltaire Je fais consister le bonheur dans L’exemption de deux maux, les douleurs du corps et l’ennuy de l’âme. […] L’amitié est la seule passion que l’âge n’amortit point. […] Mais souffrez que Je donne la préférence à votre Semiramis dont les remords me forcent à l’aimer, à la plaindre et à oublier ses forfaits. […] J’aurois une grande satisfaction de causer avec vous et de vous dire, mon cher Voltaire, que vous êtes la seule personne que J’admire, et dont l’estime et l’amitié me flateroient le plus.

101. (1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ne confondez pas, je vous prie, l’or faux avec le véritable. Je vous abandonne tout l’alliage qu’on a mêlé à la bonne philosophie. […] Avouez du moins qu’on lit l’enciclopédie à Moscou, et que les flottes d’Arcangel sont dans les mers de la Grèce. Avouez que Catherine a humilié l’empire le plus formidable sans mettre aucun impôt sur ses sujets, tandis qu’après neuf ans de paix on nous prend nos rescriptions sans nous rembourser, et qu’on accable d’un dixième le revenu de la veuve et de l’orphelin. […] Je lui ai répondu que maître Pâquier, l’oracle du parlement, les avait fait brûler par le boureau de son parlement.

102. (1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

S'il n'est pas le plus dissimulé de tous les hommes, il est le plus satisfait. […] Celà me ruinerait à la cour, et me ferait manquer les places importantes auxquelles je pourais parvenir avec le temps. […] Méditez celà, car nous autres qui avons la vue basse, nous sommes plus faits pour la méditation que les autres hommes qui sont distraits par les objets. […] Ce serait la philosophie de la nature. […] Quiconque a comme vous de l'imagination et de la justesse dans l'esprit, peut trouver dans lui seul sans autre secours la connaissance de la nature humaine, car tous les hommes se ressemblent pour le fond, et la différence des nuances ne change rien du tout à la couleur primitive.

103. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je le sçay même par expérience; quand on a eû une grande maladie, qu'on a soufert de grandes douleurs, l'état où l'on se trouve dans la convalescence est un état très heureux. […] Tous les raisonnemens que vous me faites sont excelents, il n'i a pas un mot qui ne soit de la plus grande vérité. Il faut se résigner à suivre notre destination dans l'ordre généralle, et songer, comme vous dites, que le rôle que nous y jouons ne dure que quelques minutes; si l'on n'avoit qu'à se défendre de la superstition pour se mettre audessus de tout, on seroit bien heureux, mais il faut vivre avec les hommes, on en veut être considéré, on désire de trouver en eux du bon sens, de la Justice, de la bienveillançe, de la franchise, et l'on ne trouve que tout les défault et les viçes contraires. […] Je sçay que c'est presque toujours notre caractère qui contribue le plus à notre bonheur et à notre malheurs, mais comme vous sçavez nous l'avons reçû de la nature; que conclure de tout cela? […] Ce ne sont point les choses basses et familières qui me surprennent et qui me choquent, je les attribuent au peu de connoissance qu'il avoit du monde et de ses usages, mais c'est la manière dont il tourne et retourne la même pensée, qui est bien contraire au génie et qui est presque toujours la marque d'un petit esprit.

104. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je suis fâché que M: Turgot n'ait que le département de nos vaisseaux et de nos colonies; je ne le crois pas plus marin que moi; mais il m'a paru un excellent homme sur terre, plein d'une raison très éclairée, aimant la justice comme les autres aiment leurs intérêts, et aimant la vérité prèsque autant que la justice. […] Je veux l'en croire sur sa parole, car je me souviens que le Roi de Prusse ne regardait la musique de Lully que comme du plein-chant. On pense de même dans le reste de L'Europe, et j'en suis très fâché, car le récitatif de Lully me paraît encor admirable. […] Il y peint toutes les cours de l'Europe. […] Je le plaindrais fort s'il était obligé de les lire.

105. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ce thême n'est ni le parlement, ni le grand conseil, ni la conduite noble et sage du ministère dans cette affaire épineuse. […] Ce n'est point Henri 4 qui va paraître, dit-on, à la Comédie française et à l'italienne, comme sur le pont Neuf au milieu de son peuple. […] C'est l'âme la plus généreuse et la plus noble qui soit au monde. […] L'affaire intéresse, ce me semble, toutes les familles. […] Ces folies passagères, qu'on doit [ignorer,] arrivent tous les ans dans les régiments, [dans] toutes les garnisons.

106. (1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je suis persuadé que les animaux l'ont comme nous. […] Les philosophes n'ont pas tant de tort d'examiner si par leur seule raison ils peuvent concevoir la création, si l'univers est éternel, si la pensée peut être jointe à la matière, comment il y a du mal dans le monde, et vingt autres petites bagatelles de cette espèce. Nous sommes tous curieux, il n'y a personne qui ne voulût sonder un peu ces profondeurs, si on ne craignait pas la fatigue de l'application, et si on n'était pas distrait par les amusements et les affaires. Vous êtes précisément dans l'état où l'on fait des réflexions; la perte des yeux sert au moins au recueillement de l'âme. […] Je mets à profit les temps où mes fluxions sur les yeux m'empêchent de lire.

107. (1752) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

La liberté de penser est la vie de l'âme, et il paraît qu'il n'y a pas baucoup d'âmes plus vivantes que la vôtre. […] On a été obligé d'adopter leur physique, d'imiter leur systême de finance, de construire les vaissaux selon leur méthode; quand les imitera-t-on dans la noble liberté de donner à l'esprit tout l'essor dont il est capable; quand est ce que les sots cesseront de poursuivre les sages? […] Je suis sous la protection d'un aigle; mais une mauvaise santé, pire que tous les chagrins attachez en France à la littérature, m'ôte tout mon bonheur. […] Je serais trop heureux si la nature ne s'avisait pas de me persécuter autant que la fortune me favorise. Si l'état de ma santé, madame, me permet jamais de revoir la France, un de mes baux jours serait celuy où je pourrais vous assurer de mon respect, et dire à votre amy tout ce que la plus profonde estime m'inspirerait pour vous et pour luy.

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