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2. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Rien de ce que vous donnez au public ne me manque, il n'y a que ce que vous confiez à vos plus confidents et plus intimes amis dont il faut bien que je me passe, soit dit en passant mon cher Voltaire. […] Si nous nous trompons, ce n'est pas nôtre faûte, nous n'avons pour guide que nos sens, s'ils nous Egarent Je n'y vois point de remèdes. Vrayment mon cher Voltaire, mon petit logement est bien à votre service, prenez moi au mot, hâtez vous de le venir occupper. Mais bon, si vous veniez ici vous me dédaigneriez bientôt, vous vous ennivreriez du faste de votre nombreuse livrée, et vous sçavez qu'elle ne m'aime pas. […] Adieu mon cher Voltaire, il y a plus de 50 ans que Je vous aime, J'en ay peut être encore 4 ou 5 à vous aimer; c'est ma sentence que je prononce et non pas la vôtre.

3. (1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Dites moi Je vous prie mon cher Voltaire, s'il est vray que vous prenez tous les Jours de la Casse, si c'est de La Cuite ou de la mondehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250402c_1key001cor/nts/001, quelle en est la dose, et l'heure à laquelle vous la prenez. […] Je ne vous crois point dans le même cas, votre esprit, votre mémoire, toutes les facultés de votre âme ne sont point affaiblis, vous êtes le Voltaire d'il y a 50 ans; votre goût ne s'est point perverti, et Je ne me trompe point à de certains Eloges que vous donnez, vous les accordez à la reconnoissance; d'ailleurs vos Exemples en sont le corectif; qu'on vous lise avec attention et que l'on Juge après si l'on vous imite assez bien pour mériter vos Eloges. Je n'ay lûe de tout les mémoires dont nous sommes inondés que ceux du procès de mr de Guignes; ceux de ses adversaires, sont l'ouvrage de diables déchainés. […] ne les trouvez vous pas nobles, modérés et du stile de la vérité? Pour le procès de mr de Richelieu, Je n'ay lû que l'interrogatoirehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250402c_1key001cor/nts/002 de mad. de st Vincent.

4. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Du 19 xbre Votre dernière lettre est Etonnante, Je serois fort tentée de m'en tenir à sa signature, et d'adresser ma réponse à L'abbé Pelegrin. Non jamais mon ancien, mon bon amy Voltaire ne pouvoit prendre un tel travers avec moy; ce fâcher de ce que je n'ay pas étée Contente, de recevoir de francs Noëls, aulieu de Couplets dont mr. et md. de Choiseul fussent l'unique objet, ce vanter qu'ils ont été approuvés par une compagnie nombreuse et du meilleur Ton; me prêcher L'indulgence dont vous n'avés eû n'y n'auray jamais besoin, et dont assurément vous n'avés jamais donné l'exemple. Je ne saurois vous reconnoitre à de semblables traits; cependant si c'est vous je croiray sans peine que vous voyé très bonne Compagnie; mais que vos Correspondances ne sont pas toutes du bon ton. […] Croié moy mon cher Voltaire, vous auriés Grand tort de vous broüiller avec moy, personne ne vous considère et ne vous aime d'avantage que la plus ancienne de vos amies qui n'a pas crû manquer à la Considération qu'on vous doit, en vous donnant une occasion de lui faire plaisir, et à vous celle de donner quelques marques d'attachement au Personnes qu'elle crois que vous aiméz.

5. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Réellement mon plus grand malheur (et ce malheur est si grand qu'il me rend malade) c'est de ne sçavoir absolument ce que Je peux lire, tout m'ennuy à la mort; L'histoire, la morale, les Romans, les pièces de théâtre. Vous me direz, lisez moi; c'est assurément ce que Je fais, mais àforce de vous lire et de vous avoir lû je vous sçay presque par cœur. […] Peutêtre est ce un Effet de la viellesse; Je le croirois si Je ne retrouvois pas encore infiniment de plaisirs à lire vos lettres et les petittes pièces que vous nous donnez quelquefois. Réellement, mon cher Voltaire, ayez pitié de moi et transmettez moi quelques Etincelles de tout le feu que Vous conservez encore. […] Nous sommes abimés d'odes, d'Eloges, de critiques, d'Epigrames.

6. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous n'avez point compris ma demande, il n'était pas question de poupon, de boeuf, d'âne, de ste famille, mais de la joye du retour, et puis Je ne me fixoit point à des couplets; une petitte épitre, ou quelque petitte pièce de vers m'auroit satisfait. […] Vous vous seriez divertit de ma grande Joye et de ma consternation subite; on m'apporte votre lettre; ouvrez vite, y a t'il des vers? […] Pourquoy me traitez vous ainsy, mon cher Voltaire? […] D'Enville pour qu'elle sollicite ceux qu'il faut solliciter, car il y à comme vous pouvez Juger bien des bricoles. […] Je croiois aussi vous faire plaisir en vous procurant une occasion de marquer vôtre attachement en confirmant Tout ce que depuis quatre ans vous m'en aviés fait Ecrire; vous avez pris de l'humeur mal àpropos.

7. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Mais est il possible, mon cher Voltaire, que j’aye eû besoin de lui pour me rappeller à votre souvenir? […] Il peut encore se trouver de l’esprit, mais plus de goût et par conséquent bien peu d’agrément; Je Vous ay déjà fait tant de plaintes sur ce sujet que ce seroit rabâchér que de le traiter encore. […] Pénétré de la leçon que je viens de me faire, Je voudrois changer de lieu, recommancer à vivre avec des gens qui n’auroient Jamais entendû parler de moi et avec qui Je n’aurois point de prévention à détruire, mais Je suis trop vielle, il faut que je reste dans mon tonneau et que je me borne à chercher les moyens de dissiper la haine. Lesquels faut il prendre mon cher Voltaire? […] Si J’en étoit témoins J’en mourrerois de honte et de douleur.

8. (1740) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

[c. 1740] http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0910208b_1key001cor/txt/002 Madame, Si J'étois homme du monde, ce seroit avec vous que Je voudrois avoir l'honneur de vivre, mais je suis homme de lettre, c'est votre approbation qu'il me faut. Je n'aurois Jamais Ecrit si Je n'ambitionnoit de plaire au peu de personnes qui pensent comme vous. Je suis avec bien du respect madame votre très humble et très obbeyssant serviteur Voltaire

9. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Est ce celle de ce jeune homme pour qui nous sollicitons? […] Tirez moy d'inquiétude tout au plus vite. […] Mandé moy aussi s'il est vray que vous reviendray icy au mois de mars? Ne me laissé point ignorer la chôse qui me ferois le plus de plaisir. […] Si elle n'est pas de vous, ou si vous ne voulé pas qu'on vous en Croye l'auteur, Je consentirois bien volontiers qu'on pût me soupçonner de l'être.

10. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'entend parler d'une réfutation d'un certain livre, Je voudrois l'avoir; Je m'en tiens à connoitre ce livre par vous. […] Mais, mon cher Voltaire, ne vous ennuyez vous pas de tout les raisonnement métaphisiques, sur les matières inintelligibles? […] Un sourd, un aveugle de naissance, peuvent regreter de ne pas voir, de ne pas entendre; mais cependant ils ne sçavent ce que c'est que voir et qu'entendre, ce que c'est que ces facultés qui leur manquent. […] Voilà où Je m'en tiens; faire autant de bien que Je peux, le moins de mal qui m'est possible, laisser à chacun sa façon de penser, ne troubler le bonheur ni la paix de personne. Eviter l'ennuy et les indigestions, les supporter patiemment quand on ne peut faire autrement, aimer, estimer mon très bon ami Voltaire, souhaiter qu'il me survive, parler sans cesse de lui avec la grand maman, recevoir souvent de ses lettres et de ses ouvrages; voilà ce que Je désire pour le peu de Jours qui me restent.

11. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

D’où vient s’il vous plait ne m’avez vous point Envoyé celle au Roy de Danemarck? […] Je fûs l’autre Jour à L’accadémie, à la réception de mr Le p. de Beauvau et de mr Gaillard. […] Il y en Eût un de Mr Duclos qui est inéfable; c’est dommage qu’il ne soit pas imprimé; il ne s’en est Jamais Je crois prononcée en publique de ce genre. […] Voilà les nouvelles que vous aurez de moy; pour les autres Je ne les apprends que dans les gazettes; on n’est pas assez pressée de les sçavoir pour qu’on ne puisse pas les attendre quatres ou cinq Jours. […] Adieu mon cher Voltaire, mettez moi au fait de ce que Je dois croire et de ce que Je doit nier ou affirmer en sûreté de conscience.

12. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous ay demandé des couplets sur l'air des noels parceque tout le monde peut les chanter; il ne faut ni sçavoir la musique ni avoir de la voix; mais Je ne voulois point qu'il fût question ni de l'ancien ni du nouveau testament; passe pour l'ancien et nouveau parlement, l'exil, le retour, la Joye générale, la mienne en particulier, enfin tout ce qui vous auroit passé par la tête, excepté L'événement dont il y a 1774 ans, mais vous n'en sçauriez perdre le souvenir, tout vous y ramène; Je ne veux pas plus des trois rois que de la crèche, du boeuf et de l'âne. […] Voltaire peut être le chantre du premier, il ne doit pas empiéter sur le domaine de l'abbé Pellegrin. […] Indépendament de la raison qui me fait choisir l'air des noels, J'en ay un autre. […] Jamais il n'est entré chés moi et Je ne l'ay recontré de ma vie; mais voilà les préventions que l'on vous donne. Eh bien mon cher Voltaire malgré l'envie et les Envieux vous m'aimerez toujours et quoique tout le monde vous admire vous me distinguerez de vos admirateurs, et vous direz, Ma contemporaine n'admire que moi, et quoique Je lui aye envoyé des couplets de L'abbé Pellegrin elle ne m'en révère et estime pas moins.

13. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Evité moy le tourment de l'incertitude. […] Gardez vous de me renvoyer à vos protégés, ils me détestent, et puis ils ne me faut point de philosophie; il me faut du Goût, de la grâce, de la gayeté; je redoute leurs phrases, leurs exagérations, leurs froideurs, leurs Tournures, leurs recherches &c. […] Enfin il me faut du Voltaire, ou rien du tout. Il n'est pas besoin de vous parler de ma reconnoissance, elle sera extrême. […] D'Enville?

14. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je croyois n’avoir plus rien à dire et il me paroissoit injuste de vous donner de L’ennuy pour obtenir en Echange du plaisir. […] Je n’ay encore causé qu’un moment de vous avec mr Craufurt, mais Je me propose bien de le beaucoup interroger. […] Mais d’où vient voulez vous sçavoir ce que Je pense? J’ay fait voeux de dire toujours la vérité. […] J’aurois une grande satisfaction de causer avec vous et de vous dire, mon cher Voltaire, que vous êtes la seule personne que J’admire, et dont l’estime et l’amitié me flateroient le plus.

15. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ce 28e Juillet 1771 Il vous est Comode mon cher Voltaire, de vous persuader que Je n’aime pas les Encyclopédies; cela vous dispense de m’envoyer la vôtre, que J’aurois indépendamment de vous si on la trouvoit icy; Je n’aime point la sçience, la morale, la méthaphisyque in folio; je ne sçaurois admirer n’y me soumettre à l’hotorité et à l’importance de certains auteurs; sy J’ay tort est ce à vous de m’en punir, quand c’est à vous à qui il faut s’en prendre du peu de respect que J’ay pour ses messieurs, c’est vous qui m’avez formé le goût; leurs opinions peuvent être semblables aux vôtres, et je les adoptent volontiers; mais dans la forme et la manière ils ne vous ressemblent assurément pas. Monsieur Walpole qui est un de vos grands admirateurs, veut que je vous dise qu’il est infiniment flatté de l’honneur que vous lui faite, qu’il ne ce seroit jamais attendu à être cité par vous, et que les louanges que vous lui donnés C’est vous qui les lui faites mériter; ce sont vos ouvrages qu’il lit sans cesse; c’est l’admiration qu’ila de votre stile, quiforme le sien; mais il n’a pas cependant la présomption de le croire Encore assez bons, pour oser vous faire lui même ses remerciements; il veut qu’ils passent par moy; J’y souscrit en enfant perdû, sans craindre la critique, parce que je suis fort audessous de la prétention; C’est votre amitié que je veut mon cher Voltaire, et pour nouvelle preuve vôtre encyclopédie; vous ne devez pas Ecrire un mot sans m’en faire part; envoyé moi donc, incessamment, cette Encyclopédie affin de pouvoir la porter à Chanteloup, où j’espère aller au commencement de septembre; vous n’aurez ni rimes ni raisons de moy, que vous ne m’ayés accordé ma demande. Il me semble que vous m’aviés donné l’espérance de venir faire un tour icy; il n’i a point de tems où je ne vous désire; mais dans ce moment cy, je vous désirerois plus que dans tout autres; vous feriés connoissance avec Mr. Walpole, et je suis persuadée que vous seriés fort contant l’un de l’autre; et moy je le serois infiniment de me trouver entre vous deux; mais Vanité des Vanités Tout n’est que Vanitéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220038_1key001cor/nts/001; J’en excepte l’amitié, que je crois quoi qu’on en dise, le plus grand bien de la vie.

16. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Horace rougira (si tant est que les ombres rougissent) de se voir surpasser; et Minos de se voir si bien Juger et d’être forcé d’avouer qu’il devroit subir les punitions auxquelles il condamne des gens moins coupables que lui. […] En vérité mon cher Voltaire, vous n’avez que 30 ans. […] J’ay été très contente de le Kain, il a lû à merveille, mais Je ne suis point contente de la distribution des rôles, Je voudrais qu’il fît le Roi, il dit que cela ne se peut pas; Je n’entends pas les dignités théâtrales, il y en a pourtant bien de cette sorte à la cour et à la ville. […] Cessez donc d’écrire si vous voulez nous persuader que c’est votre âge qui vous empêche de venir; vous avez 40 ans moins que moi et J’ay bien été cette année à Chanteloup. […] Je serois ravie de vous embrasser, de causer avec vous et de vous trouver d’accord avec ce que Je pense sur le mauvais goût, le mauvais ton qui règne dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on dit et dans tout ce qu’on écrit.

17. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je ne sçait pas mon cher Voltaire, de quel oeil vous envisagé la mort; je m’en détourne la vûe autant qu’il m’est possible; j’en feroit de même pour la vie si cela se pouvoit; je ne sçait en vérité pas laquelle des deux mérite la préférence; je crains l’une, je haïs l’autre. Ah si on avoit un véritable ami, on ne seroit pas dans cette indécision; mais c’est la pierre philosophale, on se ruine dans cette recherche; aulieu de remèdes universels, on ne trouve que des poisons; vous êtes mille et mille fois plus heureux que moy; mon Etat de quinze Vingt n’est pas mon plus grand malheur; je me Console de ne rien voir, mais je m’afflige de ce que j’entend, et de ce que je n’entend pas; le goût est perdu, ainsy que le bon sens; cecy paroitra propos de vieille, mais non en vérité; mon âme n’a point vieillie; je suis touchée du bon et de l’agréable, autant et plus que je l’étois dans ma jeunesse; cela est vray. […] M’ocqué vous de vos envieux, leur rage ne vous fait point de tort, et vous sçavez la leur faire tourner Contre eux même; vous en avez déjà tué trois ou quatre. Venez icy mon cher Voltaire; que j’aurois de plaisir à vous embrasser! Mais mon dieu pourquoy n’y à t’il pas de champs Elisées?

18. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

La Roûe de la fortune tourne t'elle assez rapidement? […] Vous serez souvent le sujet de nos conversations. […] Vous direz que Je vous dis toujours du mal d'Eux. Je ne les hait point Je vous le Jure, mais Je leur sçait bien mauvais gré d'avoir brouillé toutes les têtes et d'avoir détruit Le goût. […] Je ne suis pas de ce nombre.

19. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Nonseulement on devrait empêcher tout transport de bois à bâtir, mais encor celui de chaufage. […] Le bois de chaufage coûtera plus de deux Louïs la voiture, et le comestible sera au poids de l'or. […] Je n'ai plus de force que pour vous remercier de vos bontés. J'ai l'honneur de présenter mes respects à Madame De Caire, et d'être avec les mêmes sentiments, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur Voltaire Oserais-je vous suplier, Monsieur, de vouloir bien essaier d'un piqueur d'ouvriers qui s'appelle Barbera? […] Je vous réponds de sa conduite et de sa fidélité.

20. (1773) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Mais mon cher Voltaire, Je ne puis y consentir, il faut nous aimer, il faut nous le dire Jusqu’à la fin de notre vie. […] C’est mr de L’Islehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240154_1key001cor/nts/001 qui m’a écrit de Chanteloup tout les Enchantemens où il est de vous, de votre santé, de votre gaité, de votre bonne réception, de votre magnificence, de votre bienfaisance, enfin de tant et tant de choses, que je n’en puis faire l’Enumération. […] J’ay dans ce moment la crainte de perdre mad. […] Je suis bien triste mon cher Voltaire; Le ciel ne m’a point donné le courage, et les âmes foibles sont en proye à tous les malheurs. Consolez moi, ayez soin de moi.

21. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Voilà comme Je veux que vous me traitiez, mais Je ne veux pas que vous me disiez que c'est au hazard de m'ennuyer ou de me révolter. […] Il n'y a que vous mon cher Voltaire qui sachiez tirer party de tout, pour qui tous les lieux, tous les tems, tous les âges ne dérangent point votre bonheur. […] Vous lui sçavez trop de gré de l'admiration qu'elle a pour vous; qu'est ce qui n'en a pas? Il est bruit ici d'une révolte qui a pensé arriver et qui a fait exiler un grand nombre de gens en Siberie. […] Que Je m'estimerois heureuse de vous revoir mon cher Voltaire!

22. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Mon dieu mon cher Voltaire que J'aimerois à causer avec votre révérence! […] Vous ne vous attendez pas que Je vous raconte aucun détail, c'est au dessus de ma capacité. Vous êtes Extrêmement bien avec la grand maman, nous ne cessons de parler de vous; quand il arrive une de vos lettres soit à elle ou à moi, c'est une grande Joye pour le petit comité. Le Capucin Voltaire seroit admis dans ce comité et deviendroit notre directeur. […] Cependant Je serois bien aise d'avoir votre Enciclopédie, c'est le seul moyen de me faire rechercher et mériter le beau titre d'enciclopédiste.

23. (1778) Voltaire to Elisabeth Du Botignon Du Deffand, comtesse de Blot

L'un est de vous remercier du fond de mon cœur de tout ce que vous daignez dire de moi à made de Villette; l'autre est de vous dire que j'ai profité des instructions que mr le comte de Schomberg m'a donnéeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1290207a_1key001cor/nts/002 sur un grand homme dont la mémoire vous sera toujours chère. Son éloge historiquehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1290207a_1key001cor/nts/003 se trouve dans une nouvelle édition du Siècle de Louis XIV et de Louis XV qui sera imprimée par m. Panckoucke, homme d'un rare mérite, fort au dessus de sa profession de libraire; je lui rends la justice qui lui est due; et soit que je sois encore en vie quand l'ouvrage sera imprimé, soit que j'aie fini ma carrière, j'espère, madame, que vous ne serez pas mécontente de la manière dont j'aurai parlé d'un général et d'un ministre qui faisait tant d'honneur à la France. […] Voltaire

24. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous dois le peu de goût que J'ay, vous êtes pour moi la pierre de touche, tout ce qui s'éloigne de votre manière me paroit mauvais, jugez de ce qui me paroit bon aujourd'huy, où tout est cinique ou pédant; nulle grâçe, nulle facilité, point d'imagination, tout esthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110285_1key001cor/txt/001 à la glaçe, de la hardiesse sans force, de la licence sans gaité, point de talent, beaucoup de présomption; voilà le tableau du moment présent. […] Ne vous paroit il pas qu'on peut tirer beaucoup de Moral de ce fait (qui est de la plus grande vérité) sur l'ingratitude, sur le besoin que l'on a d'aimer ou du moins d'avoir de la société? Le regret qu'a le lion d'avoir punie son amie (quoi qu'ingrate) vous fournira sûrement beaucoup d'idées. […] La dépendance où met l'aveuglement n'est pas plus insupportable que de ne pouvoir pas se sufire à soy même, et d'avoir un besoin nécessaire d'une société où l'on ne trouve ni agrémens ni plaisir, enfin rien qui satisfasse; peut être bien la mauvaise humeur, inséparable de la viellesse, me rend t'elle les objets pires qu'ils ne sont; je me le dis souvent et Je répète sans cesse ce que vous m'avez dit dans une de vos lettres, qu'il faut mépriser les hommes et qu'il faut les tolérer; ce qui est de singulier et d'heureux, c'est qu'ils sont content de la tolérance, et ne s'apperçoive point du mépris, on auroit donc grand tort de n'en point user ainsy. […] Heureusement on a retranché le nom de la Reine, mais Moncrif y est tout de son long.

25. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Le sujet ne vous laisseroit pas manquer d'idées. Mr. de st Lambert, fut reçu hier à L'académie; il récita le second chant d'un poëme qu'il fait sur le génie; il faut en avoir beaucoup, pour rendre ce sujet piquant. […] Je voudrois bien qu'il y eût un terme où j'aurois l'assurance de vous revoir, mais J'ay bien peur mon cher Voltaire, que nous n'ayons d'autre rendez vous qu'au champs Elisées; nous n'aurons rien à changer à nos figures, elles se trouverons en les conservant tels qu'elles sont, à l'unisson des ombres; mais J'espère que la mienne verra la vôtre; ainsy loin de rien perdre, Je compte gagner beaucoup. Bon jour, a Dieu, donnez moy de vos nouvelles. Je vous envoye une lettre, Je ne sçait pas de qui; Je crois cependant que c'est un homme qui vous estime beaucoup, et qui désire que vous l'estimiés; il en sera ce qu'il vous plaira, mais il vous prie de m'adresser la réponse que vous lui ferez, il l'enverra chercher chés moi.

26. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J’eûs la visite de Mr. […] J’ay toujours rendu Compte à mes amis, de ce que vous me mandiés pour Eux; et de peur d’affoiblir vos expressions et de faire Tort à vôtre stile, je leurs ay presque toujours envoyé vos lettres; Je vous ay toujours dit fidellement ce que contenoit leurs réponses; Je n’ay point ajouté de réflexions, n’y de Commentaire sur le Texte; vous avez tort de vous croire mal avec eux, puisque vous n’avez point à vous reprocher d’avoir manqué à tous les sentimens que vous leurs devez; Je leurs enverray vôtre dernierre Lettre, et toutes celles où vous me parlerez d’eux; Car J’espère que vous m’écrirez souvent, et que vous vous ferez un devoir de me dédommager avec usure de vôtre Long silence; J’ay plus besoin que Jamais de vôtre secours; Je n’ay plus de ressources Contre l’ennuye; J’éprouve le malheur, d’une Education négligée; l’ignorance rend la Vieillesse bien plus pêsante, son poids me paroit insupportable; Je ne regrette point les agréments de la Jeunesse; et encore moins l’employe que mes semblables en font et que j’en ay fait moy même; Je regarde tout cela aujourd’huy, Comme un tems perdu; Je voudrois avoir acquis des goûts, des Connoissances, de la Curiosité. […] Mais mon cher Voltaire, je ne me soucie plus de rien; il n’y a de différence d’une otomate à moy, que la possibilité de parler, La nécessité de manger, et de d’ormir qui sont pour moy la Cause de mille incommodité; Je voudrois sçavoir pour quoy La nature n’est Composée que d’Etres malheureux; Car je suis persuadée, qu’il n’y en à pas un seul de véritablement heureux; et J’en suis si convaincûe, que je n’envie le sort n’y l’état de personnes; n’y d’aucunes espèces d’individus, tel qu’il puissent être, depuis l’huitre Jusqu’à l’ange. […] Gardé vous bien de répondre à Mr. Clement, vous lui feriés trop d’honneur; cet homme n’a pas l’idée du goût, ses critiques sur vous devroient lui valoir des oreilles d’âne.

27. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

‘Voici une lettre de mr de Voltaire; Je ne lui répond pas et Je vous prie de lui répondre. Dites lui que Je suis très sensible à l’intérêt qu’il prend à ma santé, que Je me porte fort bien, que Je suis fâchée de ne pouvoir pas lui répondre, mais que, pour de très bonnes raisons, J’ay pris le party de ne plus Ecrire du tout, que quand on est parvenüe à un certain âge, il faut se reposer sur ses enfans d’une foule de devoirs qu’on ne peut pas rendre, et que je vois avec plaisir que je ne peux pas choisir une main plus agréable à mr de Voltaire que celle de ma petite fille’. […] Je m’offre mon cher Voltaire à être l’entrepôt de votre correspondance. […] Le Rôle que J’ay à Jouer sur le théâtre de la chose publique me dispense d’avoir un sentiment, une opinion ou du moins d’en entretenir les autres. […] Ne me parler plus mon cher Voltaire sur le ton de votre dernière lettre, ayez toute confiance en mon attachement, il durera autant que ma vie, Je voudrois bien que ce fût par delà et que le paradis fût de retrouver ses amis et d’être uni à Eux pour toute l’Eternité.

28. (1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

22 may 1775 Votre lettre me met dans la plus grande impatience; est il possible quand Je vous demande avec instance vos filles de Minées, vous imaginiés de les envoyer à mr de Lisle, pour m'Epargner un Ecu? […] Je vous demande en grâce mon cher Voltaire de m'envoyer directement tout ce que vous sçavez qui peut me faire plaisir; partagez avec moi toutes vos successions. […] Vous et la casse m'êtes de première nécessité. […] Je suis ravie de voir que vous vous portez à merveille. […] Denis combien Je suis charmée qu'elle soit hors d'affaire.

29. (1773) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Mais, mon cher Voltaire, ne reconnoissez vous pas ces beaux diamants pour des cailloux de vos Jardins? Il n'y a point d'auteur qui ne s'en soit enrichi. […] Je ne suis point contente de votre laconisme sur l'Eloge de Colbert. […] D'où vient ces réserves? […] Je suis bien de votre avis.

30. (1773) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Votre tactique m'a Enchantée, elle a fait cet effet à tout le monde, il y en a mille copies, et la première parole que chacun se dit c'est, Avez vous lû la tactique de mr de Voltaire? […] J'ay seulement trouvé une personnehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240203b_1key001cor/nts/002, et cette personne est un très bel esprit, l'amie intime de mr Thomas, qui craint que vous n'ayés offensé le Roy de Prusse. […] Oui Je le proteste, mon cher Voltaire, Je n'admire que vous et Je ne puis en admirer d'autres. J'ay dit à mad. de la Valliere que vous me parliez d'elle, que vous l'aimiez toujours, elle en a été flattée au delà de toute expression, elle m'a chargée de vous le dire, et qu'elle avoit deux de vos bustes sur sa cheminée. […] Que dites vous de la mort de mr Chauvelinhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240203b_1key001cor/nts/003?

31. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

L'analise d'Esther est charmante. […] Vous auriez grand tort de vous plaindre de votre Existence; vous sentez, pensez, produisez sans cesse. Mais moi que voulez vous que Je fasse de mon Existence; indiquez moi quelque moyens d'en tirer party. […] Tout ceux qui raisonnent n'ont pour bût que de faire admirer la subtilité de leur Esprit, et comptent pour rien la Justesse, la clarté, la précision; Voltaire, Voltaire, tout le reste sont des faux prophètes. […] Que vous dirai-je de l'Epoux de la grand maman?

32. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Me soupçonnez vous, de lire tous les Ecrits dont nous sommes inondés? […] Je Bény le Ciel de mon incapacité; elle me dispense de m’occupper de tout ce qui ce passe; Je suis sourde et mûette, ce qui Joint à l’aveuglement, me rend comme vous pouvez juger d’une agréable société. Ah s’est bien moi mon cher Voltaire, qui regrette de ne vous point voir; mais si vous Etiés icy, Je n’y gagnerois rien; vous me préféreriez vos nouvelles connoissances; Vous avez beau dire, Dieu fait tout pour le mieux; La fable de Jupiter et du Métaÿerhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210400_1key001cor/nts/002, est une de mes favorites. Apropos de fables? […] Adieu, Je vous quitte, pour Ecrire à la grand maman; Je lui envoye vôtre lettre; Elle luy confirmera la continuation de vos sentiments pour elle, et pour son mary; Ils méritent l’un et l’autre l’estime et l’attachement du public; et surtout de vous et de moy; c’est là ce qui fonde le plus nôtre fraternité.

33. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je ne suis pas favorisée des beaux esprits mon cher Voltaire; mais il tient certainement à vous que je m’en apperçoive pas; Envoyé moi ce que vous leur Ecrivés, et je me passeray très facilement de ce qu’ils Ecrivent. Que dites vous de l’aventure des deux soldats de st Denishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240258b_1key001cor/nts/004? Cela vaut des infolios; il n’y a que la nature qui ait le pouvoir de leur répondre; elle sçaura bien arrêtter les progrès que pourroit faire leurs exemples. […] Tel qui n’a qu’une tête de linotte ce croit un Socrate; je ne met pas de ce nombre les deux soldats; mais tous les faiseurs de brochures, qui nous infectent de leurs fadasse et ennuyeux raisonnemens. […] N’avés vous pas été content de l’avis aux Princeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240258b_1key001cor/nts/005 de Mr. de L’Isle; je l’ay trouvé joli, mais la fin n’est pas trop écourtée?

34. (1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je suis très persuadée mon cher Voltaire, que nous serions souvent d'accord. Je n'ay point ajouté foy à vos nouvelles Dignités, J'ay fait semblant de les croires pour vous agacer, cela m'a réussi, j'en suis fort aise. […] N'êtes vous pas charmé que vôtre académie ce remplisse de personnages aussy édifiant, de nouveaux Bossuet et Fenelon? Il n'y aura pas de Combats entre eux pour de nouvelles hérésiés. […] c'est bien moi qui ay des regrets de ne pouvoir espérer de vous revoir; mais c'est peut être tant mieux, vous m'auriés trop attachée à la vie.

35. (1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous vous douté bien que je suis parfaitement contente de vôtre prose et de vos vers; vous êtes et vous seray toujours le même; vous dites que votre Corps s'affoiblit, vôtre âme s'en mocque, et elle Conserve la même force et la même chaleur qu'elle avoit à vingtcinq ans. Je voudrois envérité mettre sur vôtre tête les années qui me restent, vous en feriés bon usage, et celuy que J'en fais est déplorable; Je sent tout le malheur qu'il y a de n'avoir rien acquis dans sa Jeunesse; on ne vit dans sa viellesse que sur le bien d'autruy, et l'on en sent d'autant plus sa misère; mais que faire à cela mon cher Voltaire? […] Souvenez vous quelque fois de vôtre contemporaine; consolez là, aidez luy à trainer les tristes restes de sa vie. […] Il se trouve quelquefois chez moy des gens qui se piquent de grammaire. […] On demande s'il y a faute dans cette façon de parler; et en quoy elle consiste?

36. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je reçois des lettres de Chanteloup, voilà ma seule corespondance, et comme on sçait que Je conserve vos Lettres on m’envoye toutes celles qu’on reçoit de vous. […] On s’y porte fort bien, on n’a de chagrin que ceux qui viennent de l’attachement et de l’amitié; mais c’est beaucoup trop J’en conviens, Je l’Eprouve par moi même. […] Vous me donnez une lueur d’espérance de vous revoir, Je voudrois bien qu’elle se réalisât. Indépendament du plaisir que J’aurois de vous Embrasser et de vous entretenir, Je serois bien aise de sçavoir comment vous trouvez le bel Esprit d’aujourd’huy. Ce n’est pas le vôtre ni d’aucun de vos contemporains, c’est un genre tout neuf et qui me renvoye à ne lire que le siècle de Louis XIV, et à ce qu’on a Ecrit il y a 40 ou 50 ans.

37. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

L’état de leurs affaires y pourroit apporter quelque obstacles, mais ils n’ont point d’enfans, ils ne sont plus engagés à la même dépense, ils peuvent s’acquiter petit à petit sur leurs Epargnes. Enfin ils Jouissent de la paix de la bonne conscience; mon plus grand désir est de les aller trouver, mais il en faut obtenir la permission, et ce n’est pas encore le moment de la demander. […] Ils sont au fait de tout. […] Donnez moi toujours de vos nouvelles mon cher Voltaire. La disgrâce de mes parents ne vous refroidira pas pour Eux et pour moi à ce que J’espère.

38. (1763) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Tout cela est vray, dit mr Le prince de Beauvau, mais il n'aura Jamais la célébrité de son frère. Platon est revenû de la cour de Denis, il en dit des merveilles, il prétend que ce n'est point à ses pieds qu'on doit chercher ses oreilles, enfin il est comblé de gloire en attendant qu'il soit vêtû de moire. J'aimerois à la folie avoir une correspondance avec vous si vous étiez bien aise d'en avoir avec moi, mais vous n'avez Jamais rien à me dire, ce n'est que par le public que J'apprends ce que vous pensez, ce que vous dites, ce que vous faites, vous ne me Jugez digne d'aucune confidence. […] Je suis indignée de l'Eloquence régnante, J'aime mieux le stile des halles. […] Adieu monsieur, ne m'oubliez pas et envoyez moi quelque chose qui m'amuse, J'en ay besoin, Je péris de langueur et d'ennuy.

39. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ne me parlé plus de votre âge, vous auray beau vous donner quatrevingt ans on ne vous croira pas; on s'en rapportera bien plus à votre esprit qu'à votre baptistaire. […] Vous vouléz donc Jouir de toutes sortes de gloire, même de celle de surpasser Mr. de Condorset. Que dite vous de l'odehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1250025_1key001cor/nts/002 de Mr. […] Il compte ne revenir icy que dans le mois de décembre. […] Le Roy s'établit demain à Marly; Il a ordonné à son Capitaine des garde, et à son premier gentilhomme de La chambre de ne laisser approcher de Marly, aucune personne qui n'auroit point eu la petite Vérole.

40. (1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

D'Enville avant d'y répondre; (Je ne pouvois Jamais aussi bien plaider que vous). Elle en a été charmée et voicy sa réponse: On est très occuppé de son affaire, mais il faut bien se garder de parler et d'agir Jusqu'à ce qu'on ait tout les papiers nécessaires. […] Pour moi mon cher Voltaire, Je vous déclare que je prétend que vous me distinguerez de la foûle, et que vous reconnoitrez en moi une amie de 50 ans dont vous avez formé le goût et qui ne peut rien louer ni aprouver de ce qui ne suit pas vos traces. […] Après tout il n'en est pas de la musiquecomme des vers et de la prose, les organes en décident, nos oreilles peuvent être aussi diférentes de celles des autres que notre palais. […] En fait d'ouvrages d'esprit, cela n'est pas douteux, et vous en servirez de preuve.

41. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je voudrois que mon suffrage eût plus de poid, mais tel qu'il est, vous y pouvez Conpter; je dois cependant vous dire ce que je pense; jamais on ne permettra la représentation de cette pièce, avant que les changement qu'elle a pour bût ne soyent arrivés; ils arriveront un jour; mais vous êtes comme Moÿse, vous voyez la terre promise et vous n'y entrerés pashttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190112b_1key001cor/nts/002; elle sera pour nos neveux; contentez vous de la sortie d'Egipte. Toute réfléxions faites Je crois qu'il est plus avantageux que cette pièce soit lüe que représentée, elle auroit du succès sans doute mais elle éléveroit de Grandes Clameurs, et animeroit furieusement les adversaires; mais ce qui est de plus certain, c'est qu'aucuns Magistrats n'y aucuns ministres, n'auserois en authoriser la réprésentations; il faut se contenter de ce qu'on en tolère l'impression. http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190112b_1key001cor/txt/001J'écrivois l'autre jour, à un de mes amis, qu'on appellera ce siècle cy, le siécle de Voltaire; personne ne s'est assez distingué dans aucuns Genre, pour que son nom soit placé avec le vôtre: c'est bien sincèrement ma pensée. D'où vient, dit on icy, que vous avez été fort malade? Vous ne me parlez Jamais de votre santé; dite moy, si vous prenez toujours de la casse, c'est le seul remède dont je fasse usage; mais depuis quelques tems je m'apperçois qu'elle me laisse quelques petites douleurs d'entrailles, et qu'elle ne remédie point à mes insomnies; nous devenons bien vieux, mon cher amy; vôtre âme ne vous en averty pas; la mienne ne vieillit pas à proportion de mon corps; ma mémoire cependant s'affoiblit beaucoup; celle du Président est presque totalement perdüe, ainsy que ses jambes; du reste il à fort bon visage, et dit quelques fois d'assez bonne choses;http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190112b_1key001cor/txt/001 ce seroit pour moy un Grand plaisir de me retrouver avec vous; si j'avois exécuté le projet que j'eux il y a quinze ans de m'établir en Province, Je vous aurois rendu des visites; mais aujourd'huy je suis trop vieille pour songer à changer de place; je resteray dans ma cellule, lisant vos ouvrages, vous Ecrivant quelques fois, et vous aimant jusqu'à mon dernier moment.

42. (1763) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Les gens de nôtre espèce, Madame, devraient se parler au lieu de s'écrire, et nous devrions nous donner rendez-vous aux quinze vingt, d'autant plus qu'ils sont dans le voisinage de Mr le Président Hainaut. […] Pour moi, je ne suis pas tout à fait de son opinion, et j'estime qu'il vaut mieux n'être pas, que d'être si horriblement mal; mais quand on n'a que deux yeux et une oreille de moins, on peut encor soutenir son éxistance tout doucement. […] Nous sommes de jolis oiseaux à qui on a rogné les ailes. […] Je le supplie de vous en dire autant quand j'ai l'honneur de lui écrire. Adieu, Madame, je ne sçais si nous avons jamais bien joui de la vie, mais tâchons de la supporter.

43. (1768) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous ay l'obligation de me faire souvent prendre mon mal en patience; c'est à vous que J'ay recours quand Je ne sçay plus que devenir; Je rejette toute autre ressources, il n'y a point de lecture qui ne me fatigue au bout d'une demie heure, Je les rejette toutes et Je demande du Voltaire. […] L'on me parle d'un A B. […] Vous n'avez Jamais été soupçonné de ruses ni d'artifices, vous n'avez dût être Jaloux de la gloire de personne enfin il est absurde de vous soupçonner. […] Qu'on introduise de nouveaux mots à la bonne heure, mais qu'on introduise des termes d'arts ou de sciences qui n'ont ni goût ni Justesse. […] Adieu, Je vais tâcher de dormir; envoyez moi de quoy m'en passer.

44. (1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Dans le château il s’amuse de toutes sortes de Jeux, quelques lectures, d’excelentes conversations, enfin, il n’a pas un moment d’ennuy. […] J’en ay eû le courage mon cher Voltaire, parceque quand on est vielle il faut être chés soi et ne pas s’enivrer du plaisir présent au point de perdre toute prévoyance de l’avenir; si J’étois tombée malade, si J’y étois morte, quel embaras, Je puis même dire quel chagrin pour eux! Enfin J’ay eû le courage de quitter ce lieu charmant pour me retrouver dans le triste et ennuyeux désert de Paris. […] Que dois-je penser de vos protestations d’amitié quand vous vous en tenez aux simples assurances sans y Joindre aucuns Effets. […] En vous faisant ces reproches mon chagrin con’tre vous s’augmente, vous n’avez d’autre moyen de l’appaiser qu’en changeant de conduite et en m’assurant promptement de votre repentir en réparant vos torts, et en me donnant de vos nouvelles.

45. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

La grand maman a le plus sincère désir de vous obliger en tout ce que vous désirez, elle entreprend de servir Mr Deprés Crassier, et quoiqu'accablée de sollicitations aucune des vôtres ne la fatigue; elle est de retour de sa Salantehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200359_1key001cor/nts/001 depuis le 20 de ce mois, elle parte aujourd'huy pour Compiegne dont elle ne reviendra que le 27 d'aoust. […] Il faut de pareilles Evénément pour qu'on se trouve heureux, celui cy laisse l'abbé Terray bien en arrière. […] Ce n'est pas une chose gaye mon cher Voltaire que de viellir, surtout quand on n'a point fait les provisions dont vous me parlezhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200359_1key001cor/nts/005; si Je ne me chauffoit qu'au feu que J'ay préparé Je serois toute de glace, mais par ma correspondance avec vous Je me trouve au coin de votre feu et m'en trouve très bien. […] Vous avez beau me reprocher de ne point aimer les philosophes, Je n'en croirai pas moins qu'ils ne sont nullement de votre goût. Quoiqu'il en soit vous serez parfaitement du mien Jusqu'au dernier moment de ma vie.

46. (1774) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ce 3 aoust 1774 Ne louez point nos révolutions mon cher Voltaire, celles qui sont arrivés loin d'être admirables sont déplorables; La musique de mr Gluck confirme ce jugement; elle n'est ni françoise ni italienne; Je doûte que les sçavants La puissent louer de bonne foy, et pour les ignorants tels que moi, elle n'est qu'un charivari tantôt bruyant, tantôt plat et toujours ennuyeux. […] &c. fait verser des larmes de sang pour la perte du goût. […] Vous nous serviriez d'armes, mais vous les faites tomber des mains quand vous donnez des louanges à tout ce qui se fait, dont votre Exemple est la critique; Je suis désolée d'être si vieille non pas assurément que je regrette de ne pouvoir pas être long tems témoin de tout ce que je blâme, mais parceque Je n'ay plus la vivacité et la force qu'il me faudroit pour vous peindre avec Energie toute mon indignation. […] Ces Commencemens cy sont de bon augure. Je crois le choix de mr Turgot très bon, et quoique Je ne le vois plus J'ay conservée beaucoup d'estime pour lui; s'il ne se rend pas esclave de sistème et qu'il ait Egard aux circonstances Je ne doûte pas qu'il ne soit un très bon ministre.

47. (1775) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

La nouvelle de nos troubles, de nos émeütes apparemment vous est parvenue; qu'en pensé vous? […] Je dois rendre justice à la pénétration de feu mr. […] Quoi qu'il en soit, rien n'est si charmant, si jolis, de si excellent goût, ques ses filles de Minées. Vous êtes son légataire j'en suis sûre, faites moi part de cette partie de Vôtre legs, et incessamment je vous prie. […] Parlez moi de vôtre santé et de celle de Madame Denis.

48. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je vous ay Je crois déjà mandé que Je trouvois charmant les vers de mr Guillemet; la modestie, ou plutôt l'humilité de la grand'maman ne lui permet pas de les montrer à beaucoup de monde, mais le petit nombre de ceux qui les ont vûs en ont été charmé, et le grand papa qui n'aime point la louange n'a pû se deffendre de paroitre très satisfait de la grâce, de la délicatesse de celle que vous lui donnez. […] Je ne veux point abuser de votre complaisance en vous priant de m'écrire souvent, vous avez de bien meilleurs emplois à faire de votre tems, et moi par la raison contraire, n'ayant rien àfaire Je n'ay aussy rien à dire; mes lettres ne seroient remplies que des traités sur l'ennuy, sur le dégoût du monde, sur le malheur de viellir; cela ne seroit il pas bien amusant? […] Il doit m'amuser beaucoup; c'est donc quelque chose de gay et de frivole? […] Ce n'est pas la peine de s'affliger de rien quand on à si peu de tems à souffrir. […] Ne faites point usage de cecy contre moi, Je dois Etre Exceptée de la thèse générale, et par vous plus que par qui que ce soit.

49. (1771) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous êtes non seulement dans la classe de tout les honnêtes gens, mais de tout ceux qui veulent passer pour l’être. […] Vous sçavez sans doûte tout les changements auxquels on travaille, c’est le tems des prodiges, c’est un nouveau Cahos, nous attendons qu’on le débrouille; on est accablé de remontrances, d’arrêtés, de lettres, de discours. […] Je ne sçay pas si vous trouvez que ce soit un bon lot que de parvenir à la viellesse; pour moi Je le trouve détestable et Je suis toujours indignée de L’injustice qu’on a Eû de nous faire naitre sans notre consentement, et de nous faire viéllir malgré nous. Ne voilà t’il pas un beau présent que la vie quand on L’accompagne de chagrin et de souffrances. […] Je ne manque pas de moyens de lui faire tenir tout ce que je veux.

50. (1773) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ce matin, l’on m’a dit, Voilà une lettre de mr De Voltaire. […] Je commance par vous remercier de votre souvenir, de la continuation de votre amitié. […] On parle de la foy des Boheme, Je ne sçay pas quelle est celle des usuriers, et ce que c’est que des billets qu’on signe et qu’on n’est point obligé de payer. […] Vous avez reçû des talents de la nature qui vous rendent comptable à tout l’Univers, il faut que vous répandiez partout l’abondance de ses dons. […] Je finis par vous dire mon cher Voltaire, que si vous m’aimez encore, et si vous voulez que J’aye d’heureux momens, il faut m’écrire et m’envoyer tout ce que vous faites.

51. (1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Nos écrivains d'aujourd'huy ont des corps de fer, non pas en fait de santé mais en fait de stile. […] On meurt d'envie d'être parfait après cette lecture et l'on croit que rien n'est si aisé. Mais je m'apperçois que je suis bien impertinente de vous entretenir de tout ce que je pense, ce seroit le moyen de vous dégoûter bien viste d'une correspondançe que mon cœur désire et qui seroit un grand amusement pour moi auquel il faut vous prêter si vous avez de la bonté et de l'humanité. […] Oh que vous êtes heureux d'être Voltaire, vous avez tout les bonheurs, les talents qui font l'occupation et la réputation, les richesses qui font l'indépendance. […] Le duc de Broglie général de L'armée.

52. (1766) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

C'est pourtant ce qui arrive; L'on reçoit tout d'une voix de l'académie, et comme par acclamation un mr. […] Y a t'il un lieu sur terre où l'on puisse ne pas sentir le charme de vos Ecrits, et comment n'êtes vous pas la pierre de touche pour apprendre à juger ceux des autres? Oh pour cela Je ne peux pas m'empêcher de rire de l'espérance que vous avez que mad. de Luxembourg va être bien persuadée de vos bons procédés pour J. […] Je me suis bien gardée de lui parler de cette insensé tracasserie, Je n'ay point voulu m'y mesler et Je trouve que mr Hume auroit bien fait de ne pas laisser imprimer cette impertinente histoire. […] Je me contente de rétracter ce que J'ay dit sur la perte du goût.

53. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'en attendois une nouvelle de vous pour Eviter que nos lettres se croisassent; elle n'arrive point, Je m'ennuye de ce long silence J'ay du scrupule de n'avoir pas encore obéï à la grand maman qui m'avoit chargéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200211b_1key001cor/nts/002 de vous dire beaucoup de choses, peutêtre vous les aura t'elle écrit elle même, mais elle dit si bien qu'il n'y a pas d'inconvénient à la répéter. […] Comme votre comerce avec lui est plus régulier que le mien, Je vous prie la première fois que vous lui Ecrirez de lui accuser pour moi la réception de cette requette et de l'en remerçier. […] Je vous prie aussy d'envoyer la requette au grand papa dès que vous l'aurez lüe. […] Ma philosophie est terre à terre; voyez si vous voulez d'une d'une telle Ecolière? […] Je vous promet la vie Eternelle mon cher Voltaire; si vous n'en Jouissez pas dans le ciel vous en Jouirés dans tous les cœurs de ceux qui resteronts sur terre.

54. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Il faut se résigner à suivre notre destination dans l'ordre généralle, et songer, comme vous dites, que le rôle que nous y jouons ne dure que quelques minutes; si l'on n'avoit qu'à se défendre de la superstition pour se mettre audessus de tout, on seroit bien heureux, mais il faut vivre avec les hommes, on en veut être considéré, on désire de trouver en eux du bon sens, de la Justice, de la bienveillançe, de la franchise, et l'on ne trouve que tout les défault et les viçes contraires. Vous ne pouvez jamais connoitre le malheur, et comme je vous l'ay déjà dit, quand on a beaucoup d'esprit et de talent on doit trouver en soy de grandes ressourçes; il faut être Voltaire ou végéter. […] Si je vous voyois J'hazarderois peut être de vous obéïr, mais comment aurois-je la témérité de vous critiquer par écrit? […] Je n'en suis encor qu'à Héraclius; Je suis enchanté de la sublimité de son génie, et dans le plus grand étonnement qu'on puisse être en même temps si dépourvû de goût. […] Persuadez vous que vous êtes destiné à me donner de la considération, à me marquer de L'amitié et à adoucir mes peines.

55. (1769) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Vous seriez bien digne d'avoir ce bonheur, et vous seriez bien Etonné de trouver qu'elle surpasse encore l'idée que vous vous en faites. […] Ces petits comités sont les antipodes de feu l'hôtel de Rambouillet, et des assemblées de nos beaux esprits d'aujourd'huy; Je ne sçay plus qui l'autre Jour disoit d'Eux, qu'ils croyoient avoir inventés l'athéisme. […] Les fleurs du printems, les moissons de l'été, les vendanges de l'automne et les glaces de l'hiver sufiroients ils pour charmer vos Ennuys? […] On ne peut s'empêcher d'Eclater de rire en le finissant. […] Ma lettre est d'une longueur Enorme, il y faut ettre fin en vous assurant de mon tendre attachement et de ma parfaite reconnoissance.

56. (1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il ment avec des distinctions de Jesuïte, et avec l'impudence d'un Janséniste. […] Je le crois descendu en droite ligne d'un accouplement du chien de Diogène avec une des couleuvres de la discorde. […] Vôtre nation est partagée en deux espèces, l'une de singes oisifs qui se moquent de tout, et l'autre de Tigres qui déchirent. Plus la raison fait de progrès d'un côté, et plus de l'autre le fanatisme grince des dents. […] Pour vous, Madame, qui n'êtes ni de l'espèce des singes ni de l'espèce des Tigres et qui vous consolez au coin de vôtre feu avec des amis dignes de vous, de toutes les horreurs et de toutes les folies de ce monde, prolongez en paix votre carrière.

57. (1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je ne suis que le compagnon de vos misères, et compagnon d'ignorance de tous les autres médecins. […] On souffre un peu quelquefois, je l'avoue; mais en général c'est nôtre lot de souffrir de manière ou d'autre. […] Je ne sais pas ce qu'on lui permettra de faire; mais je sais que je fais plus de cas de son esprit que de celui de Jean Baptiste Colbert, et de Maximilien de Rosny. […] Je ne laisse pas d'avoir quelquefois de l'exactitude. […] A propos, Madame, ou hors de propos, auriez vous entendu parler d'une Lettre en vers d'un prétendu chevalier de Morton à Mr le comte de Tressan qu'il a eu la faiblesse de faire imprimer avec sa réponse, le tout orné de notes instructives?

58. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Les gens qui sont occupés de la musique de Gluk et de leurs soupers ne songent pas à toutes ces horreurs. […] Ils ont tout deux beaucoup d'esprit, et sont surtout fort éloignés de l'esprit superstitieux et fanatique. Mr De Maurepas à l'âge de près de soixante et quatorze ans ne doit, et ne peut guères avoir d'autre passion que celle de signaler le fin de sa carrière par des éxemples d'équité et de modération. […] Je demandais au conseil des finances des grâces et des règlements pour une colonie d'étrangers que j'ai faits sujets du Roi, et pour qui j'ai bâti de jolies maisons dans mon abominable trou de Ferney que j'ai changé en une espèce de ville assez agréable. […] On n'exile point un homme qui n'est pas encor guéri de l'opération de la taille.

59. (1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

16e 9bre 1773 Vous voulez absolument, Madame, que je vous dise si je suis bien content d’un ouvragehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1240181_1key001cor/nts/002 où il y a autant de mauvais que de bon, autant de phrases obscures que de claires, autant de mots impropres que d’expressions justes, autant d’éxagérations que de vérités. […] Il faut avoir ma persévérance, et la passion que j’ai de m’instruire sur la fin de ma vie pour chercher comme je fais des pierres précieuses dans des tas d’ordures. […] Du temps de Pascal, de Boileau et de Racine, les mauvais livres ne valaient rien du tout; au lieu que les plus détestables livres de nos jours brillent toujours par quelque endroit. […] L’admiration, dit-on, est la fille de l’ignorance, c’est ce qui fait que vous admirez peu de choses en fait d’esprit. […] Je vous prie de vouloir bien, Madame, me mander des nouvelles de la santé de Madame de la Valliere.

60. (1765) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ils passent leur vie à recevoir de bonne foi des contes de peau d'âne comme on reçoit tous les jours de la monnoie sans en éxaminer ni le poids ni le titre. […] que de faibles réponses à de fortes objections! […] Le but de l'abbé Bazin étoit de détromper les hommes, celui de l'abbé d'Houteville n'était donc que de les abuser. […] La consolation de la vie est de dire ce qu'on pense. […] Je ne regarde la vie que comme un songe; mais de toutes les idées flatteuses qui peuvent nous bercer dans ce rêve d'un moment, comptez que l'idée de vôtre mérite, de vôtre belle imagination et de la vérité de vôtre caractère, est ce qui fait sur moi le plus d'impression.

61. (1732) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

On dit qu'avec cette charge d'écuyer il en vaque une de lecteur. […] Je voudrois de tout mon cœur prendre pour moy cet employ, mais j'ay en main une personne qui avec plus d'esprit, de jeunesse et de poitrine s'en acquitera mieux que moy. Voicy une ocasion madame de montrer la bonté de votre cœur et votre crédit. […] Il a auprès de vous une recomandation bien puissante, il est amy de mr Formont qui vous répondra de son esprit et de ses mœurs. […] En vérité si vous placez ce jeune homme vous ferez une action charmante, vous encouragerez un talent bien décidé qu'il a pour les vers, vous vous attacherez pour le reste de votre vie quelqu'un d'aimable qui vous devra tout, vous aurez le plaisir d'avoir tiré le mérite de la misère et de l'avoir mis dans la meilleure école du monde.

62. (1773) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Nous sommes étonnés de l'absurdité de la religion paienne, celle de la religion papiste étonnera bien d'avantage la postérité. […] Nôtre faculté de penser s'en ira bientôt comme nôtre faculté de manger et de boire. Nous rendrons aux quatre éléments ce que nous tenons d'eux, après avoir souffert quelque temps par eux, et après avoir été agités de crainte et d'espérance pendant les deux minutes de nôtre vie. […] Mr De Lille se moque de moi de dire qu'il m'a trouvé de la santé. […] Vous n'avez point dites vous de courage; celà veut dire que vous êtes sensible, car le courage de voir périr autour de soi sans s'émouvoir, toutes les personnes avec lesquelles on a vécu, est la qualité d'un monstre ou d'un bloc de pierre de roche.

63. (1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il fuïait le vain nom d'auteur, Il dédaignait de vivre au Temple de mémoire, Mais il vivra dans vôtre coeur. […] Les lettres qui étaient autrefois la peinture du cœur, la consolation de l'absence, et le langage de la vérité, ne sont plus que de tristes et vains témoignages de la crainte qu'on a d'en trop dire, et de la contrainte de l'Esprit. […] Tout autre genre de vie me serait insuportable. […] J'ai de très vastes possessions que je cultive. Je fais plus de cas de votre apartement que de mes bléds et de mes pâturages; mais ma destinée était de finir entre un semoir, des vaches et des Genevois.

64. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je proposai il y a quelque tems à une personne de mes amies de le bannir de notre correspondançe. […] Je me chargerois volontier de vous mander ces sortes de nouvelles si je croyois qu'elles vous fissent plaisir et que vous n'eussiez pas de meilleures correspondançes que moi. Un autre article de ma lettre que vous avez encore mal entendû, c'est que je vous disois que le plus grand de tout les malheurs étoit d'être né. […] Ceux de qui la vie est heureuse ont un point de vû bien triste, ils ont la certitude qu'elle finira. […] Vous conclurez peutêtre de là que je n'ay pas une bonne tête, mais ne me dites point que c'est ma faute si vous ne voulez pas vous contredire vous même; vous m'avez écrit dans une de vos dernières lettres, que nous n'étions pas plus maitre de nos affections, de nos sentimens, de nos actions, de notre maintien, de notre marcher, que de nos rêveshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110377_1key001cor/nts/005; vous avez bien raison et rien n'est si vray; que conclure de tout cela?

65. (1754) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je me figure dès que je sents les aproches d'une indigéstion que deux ou trois princes hériteront de moi; alors je prends courage par malice pure, et je conspire contre eux avec de la rhubarbe et de la sobriété. Cependant, Madame, malgré l'envie extrème de leur jouer le tour de vivre, j'ai été trèsmalade: joignez à cela de maudites annales de l'Empire qui sont l'éteignoir de l'imagination, et qui ont emporté tout mon temps, voilà la raison de ma paresse. […] C'est ce même Oxford que Pope appelle une âme sereine audessus de la bonne et de la mauvaise fortune, de la rage des partis, de la fureur du pouvoir, et de la crainte de la morthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990096_1key001cor/nts/002. […] Je reproche à Mr. de Bollingbrok de nous en avoir trop peu donnés, et d'avoir encor étranglé le peu d'événements dont il parle. […] Soïez bien persuadée de mon tendre respect.

66. (1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je ne sçay lequel je préférerois, d'être le bramin ou d'être la vielle indienne? […] Je Liray ce que vous me marquez de la traduction de Lucreçe mais je ne vous feray point part de mes réflexions. […] C'est une expression de mad. de Luxembourg. […] Mais monsieur si vous aviez autant de bonté que je voudrois, vous auriez un cahier de papier sur votre bureau, où vous écririez dans vos moments de Loisir tout ce qui vous passeroit par la tête; ce seroit un receuil de pensées, d'idées, de réflexions que vous n'auriez pas encore mis en œuvre; c'est de toute vérité qu'il n'y a que votre esprit qui me satisfasse, parce qu'il n'i a que vous en qui une qualité ne soit pas au dépens d'une autre. […] Si vous avez encore cette fantaisie chargez moi de cette affaire; je suis intime amie de mad. la Male de Mirepoix et de M: Le p. de Beauvau: je voudrois que vous eussiez un établissement dans cette provinçe.

67. (1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Sûrement vous l'en avez trouvé digne, vous faisiez cas de son esprit, de son goût, de son Jugement, de son cœur et de son caractère; il n'étoit point de ces philosophes infolio qui enseignent à mépriser le public, à détester les grands, qui voudroient n'en reconnoitre dans aucun genre et qui se plaisent à bouleverser les têtes par des sophismes et par des paradoxes fatiguants et ennuyeux; il étoit bien Eloigné de ces Extravagances; c'étoit le plus sincère de vos admirateurs, et Je crois un des plus Eclairés. […] Si vous êtes mort comme vous le dites il ne doit plus rester de doutes sur l'immortalité de l'âme. […] Vous Jouissez encore d'un fort grand avantage, beaucoup d'oppulence qui vous rend indépendant de tout et vous donne la facilité de satisfaire vos goûts et vos fantaisies. […] Nous parlons de vous bien souvent. […] Jamais, c'est effectivement le discours d'un mort, mais dieu mercy vous êtes bien En vie et Je ne renonce point à l'espérance de vous revoir.

68. (1763) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

De St Joseph Ce mardy 22 mars [1763] ma datte servira de signature J'ay eu La visite de madame Denis, de monsieur et de madame Dupuits. […] Je les ay accablé de questions, de votre santé, de la vie que vous meniez, de la façon dont j'étois avec vous, si vous pensiez à me donner votre statue ou votre buste. […] Pourquoy vous êtes vous séparé de votre compagnie? […] Vous pouvez compter sur ma fidélité, je n'ay jamais donné copie de vos lettres ni de ce que vous m'avez envoyé. […] Envoyez moy tout cela je vous conjure, sous l'adresse de monsieur ou de madame de Choiseul.

69. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Enfin, d'illustres débiteurs de Paris et d'Allemagne voiant que ces magnificences ne me convenaient point, ont jugé à propos de me retrancher les vivres pour me rendre sage. […] Il lui fallait des fêtes continuelles pour lui faire suporter l'horreur de mes déserts, qui de l'aveu des Russes sont pires que la Sibérie pendant cinq mois de l'année. On voit de sa fenêtre trente lieues de païs, mais ce sont trente lieues de montagnes, de neiges et de précipices. […] Si elle vous amuse je ferai plus de cas de l'Euphrate que de la Seine. […] Je suis fâché contre Mr le Président Henaut; mais j'ai cent fois plus d'estime et d'amitié pour lui que je n'ai de colère.

70. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ils sont remplis de solescismes et de faussetés. Le barbouilleur qui a joint ce tableau grimaçant aux autres qui paraissent assez fidèles, dit autant de sottises que de mots. Il prend le président de Besigni pour le président de Nassigni. […] Il y a autant de friponeries parmi les gens de Lettres, ou soi-disant tels, qu'à la cour. […] Ce qui m'étonne c'est qu'on fasse de ces horreurs sans aucun intérêt que celui de nuire, et sans y pouvoir rien gagner.

71. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Lisez les vers, quand vous serez dans un de ces moments de loisir où L'on s'amuserait d'un conte de Bocace ou de la Fontaine, lisez la prose quand vous serez un peu de mauvaise humeur contre les misérables préjugez qui gouvernent le monde, et contre les fanatiques; et ensuitte jettez le paquet au feu. […] Je n'ay pas un moment de libre. […] Cette façon d'être donne envie de vivre, mais j'en ay plus d'envie que jamais depuis que vous daignez vous intéresser à moy avec tant de bonté. […] J'ay reçu ce matin une lettre de change d'un banquier d'Allemagne sur mr de Montmartel; ces lettres de change sont numérotées, et vous remarquerez que mon numéro est le mille quarantième à commencer du mois de janvier. […] Tâchez madame d'être payée de vos mérites et de prendre en pitié touttes les misères dont vous êtes témoin.

72. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

On pense de même dans le reste de L'Europe, et j'en suis très fâché, car le récitatif de Lully me paraît encor admirable. […] Il n'y a guères de nation qui ait plus de vivacité, et moins d'invention que la nôtre. […] Il y parle d'un très grand nombre de personnes que vous avez connues. […] Il y peint toutes les cours de l'Europe. […] J'ai peur que ce livre ne soit traduit par quelque garçon de la boutique de Fréron vôtre ami, ou par quelque autre valet de Librairie.

73. (1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Cependant, Madame, j'ai toujours le temps de vous écrire, et c'est le temps le plus agréablement emploié de ma vie, après celui de lire vos Lettres. Vous méprisez trop Ezéchiel, Madame; la manière légère dont vous parlez de ce grand homme, tient trop de la frivolité de vôtre païs. […] Je tiens de plus, nos philosophes très gens de bien; je crois les d'Alemberts, les Diderots, aussi vertueux qu'éclairés; cette idée fait un contrepoids dans mon esprit à toutes les horreurs de ce monde. […] Mais je vous avertis que je ne pourais jamais passer à Paris, que le mois de Janvier et de février. […] Quand vous voudrez, je vous enverrai un chant de la pucelle, qu'on a retrouvé dans la bibliothèque d'un sçavant.

74. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ne savez vous pas que je vous ai envoié par vôtre grand-maman les lettres d'Amabed, dont j'ai reçu quelques éxemplaires de Hollande? […] Avez vous lu l'histoire d'Angleterre de mr Hume? Il y a là de quoi vous occuper trois mois de suitte. […] Ils sont très contents de mes progrès dans la culture des terres, et je le suis d'avantage de leur esprit, de leur goût et de leurs agréments. […] Il n'y a rien de pareil en Europe; mais je tremble de vous faire sentir vôtre privation.

75. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je suis accablé à l’âge de 80 ans d’affaires qui dessèchent l’âme et de maux qui mettent le corps à la torture. […] Les dragons de mon temps n’avaient pas l’esprit de cette tournure là. […] Vous avez dû voir par vos conversations avec mr de Schowalow, l’oncle de l’auteur de l’épître, que la patrie d’Attila n’était pas le pays des sots. […] Ce n’est pas de nos gazettes de Paris qu’elle est l’héroïne, elles ne lui sont pas favorables. J’espère que celles de Pekin lui rendront plus de justice.

76. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'ay bien peur que vous n'ayez pas reçû ma lettre avant le départ de mad. de Jaucourt. […] Vous n'étiez pas autant de ses amis que vous l'êtes du président et puis vous lui auriez dût un compliment, n'eusse été que pour honorer la mémoire du président, lui donner des témoignages de regret, d'estime et d'amitié. […] Il n'i a point de marque de considération et d'estime que vous n'ayez reçû de lui, nous ne cessons l'un et l'autre de parler de vous et nous ne trouvons réciproquement personne qui sente aussi bien que nous le mérite et l'agrément de tout ce que vous avez fait. J'évite actuellement de lui parler de vous, je détourne la conversation qui pourroit y amener pour Eviter l'embarras où je serois de vous Excuser. […] Vous n'aurez que cela de moi aujourd'huy.

77. (1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Maitresse de vous même, de vôtre temps, de vos occupations, avec du goût, de l'imagination, de l'esprit, de la philosophie, et des amis, je ne vois pas quel sort pouraît être audessus du vôtre; mais il faut deux yeux, ou du moins un pour jouïr de la vie. […] On m'a dit aujourd'hui du mal de la santé de Mr D'Argenson. […] Il n'y a plus de santé dans le monde. […] N'êtes vous pas éffraiée de l'éxcez de la sottise de nôtre nation, et ne voiez vous pas que c'est une race de singes dans laquelle il y a eu quelques hommes? […] J'oubliais de vous parler de Cornélie, c'était, à ce que dit l'histoire, une assez sotte petite femme, qui ne se mêla jamais de rien.

78. (1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mon âge et mes maux me mettent très souvent hors d’état d’écrire. […] Les dévots feront semblant d’être en colère de la manière honnête dont je parle de la mort. […] Voiez que de tribulations pour avoir fait copier une méchante Lettre par un frère de made De Sauvigni! […] Je vous avertis que je fais beaucoup plus de cas des loix de Minos que de mon commerce secret avec Horace. […] A l’égard de l’épitre, il est impossible de la bien lire sans être aufait.

79. (1756) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous n'avez plus besoin de secrétaire avec ce secours. […] Je n'en ay pas été moins occupé de vous, moins touché de votre état, mais je m'étais interdit presque tout commerce, n'écrivant que de loin à loin des réponses indispensables. […] Cela vaut bien la peine d'être examiné. […] Je présume madame que vous tirez un bien meilleur parti encore de votre situation que moy de la mienne. […] La privation de la vüe vous rend le commerce de vos amis plus nécessaire et par conséquent plus agréable.

80. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Voilà une petite partie des choses qu'on m'attribue dans le public, avec autant de légèreté que d'injustice. […] Je sais qu'elle compte parmi ses vertus celle de ne point écouter l'imposture, et surtout de ne point persécuter ceux qui sont en bute à de telles imputations. Je fais autant de cas de son jugement et de son suffrage que j'ai de vénération pour sa personne; et le retour de sa santé dont on m'a assuré, m'a causé trop de joie, pour que cette joie sincère soit jamais empoisonée par la calomnie qui sans doute n'aproche pas de sa cour. Je sais que ces considérations ne doivent point entrer dans l'accomplissement de nos devoirs, mais aussi il n'est pas juste qu'on nous reproche de les avoir remplis, et plus on s'en acquite avec simplicité, plus il serait triste de n'en recueillir d'autre fruit que des accusations nouvelles. […] Je n'ai à vous présenter que les cendres de mon feu; et ce n'est pas là une offrande digne de vous.

81. (1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

D'oû vient ne m'avoir pas envoyé la vanité? […] Je ne say pas lequel J'aime le mieux de votre Russe ou de votre pauvre diable, celui cy est plus plaisant, l'autre est plus noble, Je suis fort contente de l'un et de l'autre. […] Apprenez donc que Je ne me suis point Jointe à mad. de Robec, qu'à peine Je la connoissois, et que Je n'ay jamais Eû le désir de la connoître davantage; J'ay fort blâmé sa vengeance et le choix de ses vengeurs; j'ay été bien aise du peu de succès de sa comédie et de la maladresse de son auteur; il n'a pas seû rendre ridicules les gens qu'il vouloit peindre, il a manqué son objet; en les attaquant sur l'honneur et la probité, il ne leur a pas Effleuré L'épiderme. […] pour Eprouver de nouveaux malheurs. Je me contente de rendre les moments présents supportables, Je vis avec plusieurs personnes aimables qui ont de l'humanité, de la compassion, il en résulte L'apparence de l'amitié, Je m'en contente; J'écarte la tristesse autant qu'il m'est possible, Je me livre à toutes les dissipations qui se présentent; enfin à tout prendre Je suis moins malheureuse que Je ne devrois l'être; vous ne seriez pas mécontent de moi si Je vous rendois compte de ma façon de penser, et ce seroit un grand plaisir que J'aurois.

82. (1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ai joint à mon petit hermitage des Délices, des terres sur la frontière de France, qui avaient autrefois le beau privilège de ne dépendre de personne. […] Il y a pourtant un ouvrage honête qui est actuellement sur le métier, c'est l'histoire de la création de deux mille lieües de païs, par le czar Pierre. […] Je vous félicite, Madame, vous et Mr le Président Hainaut, de vivre souvent ensemble, et de vous consoler tous deux des sottises de ce monde par les agréments délicieux de vôtre commerce: j'espère que vous jouïrés longtemps tous deux de cette consolation. […] Madame du Châtelet l'avait commenté d'un bout à l'autre. […] et qu'il est doux d'en être dehors!

83. (1768) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je suis vôtre confrère des quinze vingt dès que la neige est sur mon horison de quatre vingt lieues de tour. […] Je n'ai trouvé à celà d'autre exorcisme que celui de boire; je bois beaucoup, c'est à dire demi septier à chaque repas; et je vous conseille d'en faire autant; mais il faut que ce soit d'excellent vin. Personne de mon temps n'en avait de bon à Paris. […] Il n'y a point de ministre, point d'Evêque en deçà de la mer, à qui cet a b c puisse plaire. […] Il ne sait pas encor que l'Europe entière rit de Rome comme de st Cucufin.

84. (1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Ma nièce de Florian qui a l'honneur de vous connaitre, et dont les terres sont auprès d'Abbeville, est bien instruitte de toutes ces horreurs. […] J'ai apris avec bien de l'étonnement qu'il savait toute la Tragédie de Mahomet par cœur. […] Et que dirons nous de mon Impératrice de Russie? […] C'est de tous les opéra, sans éxception, le plus susceptible d'un grand fracas. […] Je croiais que Mr De La Borde faisait de la musique comme un premier valet de chambre doit en faire, de la petite musique de cour et de ruelle.

85. (1767) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Voilà les deux pivots de la vie, de l'insipidité ou du trouble. […] Je ne conçois pas comment on peut hazarder quelque chose d'aussy sot et d'aussi abominable. […] A propos de sottises, Je vous ferai présenter très humblement de ma part ma sottise des Scythes, dont on fait une nouvelle Edition, et Je vous prieray d'en Juger, pourvû que vous vous la fassiez lire par quelqu'un qui sache lire des vers, c'est un talent aussy rare que celui d'en faire de bons. […] Vous sçaurez d'ailleurs qu'elle va faire le tour de son vaste Empire; elle m'a promis de m'écrire des Extrémités de l'Asie, cela forme un beau spectacle. Il y a loin de L'impératrice de Russie à nos dames du marais qui font des visites de quartier.

86. (1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

de ne pas mettre son âme entre les mains d'un charlatan? de ne pas déshonorer son être par des terreurs et des superstitions indignes de tout être pensant? d'être dans une indépendance qui vous délivre de la nécessité d'être hipocrite? de n'avoir de cour à faire à personne et d'ouvrir librement vôtre âme à vos amis? […] Faittes bonne chère, aiez soin de vôtre santé, amusez vous quelquefois à dicter vos idées pour comparer ce que vous pensiez la veille à ce que vous pensez aujourd'hui; vous aurez deux très grands plaisirs, celui de vivre avec la meilleure compagnie de Paris, et celui de vivre avec vous même; je vous défie d'imaginer rien de mieux.

87. (1752) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il vous paraît étonnant peutêtre que je me vante d'être dans la retraitte quand je suis à la cour d'un grand Roy. […] Je jouis de la tranquilité et de la liberté que vous goutez où vous êtes. […] S'il s'était un peu plus souvenu de moy lorsqu'il eut le ministère de Paris, peutêtre n'aurais-je pas l'espèce de bonheur qu'on m'a enfin procurée. […] Je vous rends un compte exact de mon âme, et vous pourez me donner un billet de confession quand vous voudrez. […] Vous verrez deux morceaux singuliers de la main de Louis 14.

88. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il est vray que la rage du bel esprit va bien loin et qu'il y a autant de friponnerie en ce genre qu'en fait de finance et de politique. […] Je vous prie instamment, madame, de me mander des nouvelles de la santé du président; Je l'aimeray jusqu'au dernier moment de ma vie. […] Vous souciez vous madame d'un petit ouvrage nouveau dans lequel on se moque avec discretion de plusieurs sistèmes de philosophie? Cela est intitulé Les Singularités de la nature. […] Les autre ridicules sont d'un ton plus sérieux.

89. (1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il faut vous dire encor que je ne vai jamais à Genêve; ce n'est pas seulement parce que c'est une ville d'hérétiques, mais c'est parce qu'on y ferme les portes de très bonne heure, et que mon train de vie campagnard est l'antipode des villes; je reste donc chez moi, occupé de souffrances, de travaux et de charues avec made Denis, la nièce à Pierre, son mari, un exjesuite qui dit la messe et qui joue aux échecs. Quand je peux tenir quelque pédant comme moi qui se moque de toutes les fables qu'on nous donne pour des histoires, et de toutes les bétises qu'on nous donne pour des raisons, et de toutes les coutumes qu'on nous donne pour des loix admirables, je suis alors au comble de ma joie. Jugez de tout celà, Madame, si je suis un homme fait pour made De Jeaucour. Il m'est impossible de parler à une jeune femme plus d'un demi quart d'heure. […] Ils sont continuellement gênés, et garotés par trois sortes de chaines, celles de la cour, celles de l'Eglise, et celles des tribunaux appellés Parlements.

90. (1752) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il y a longtems que je compte votre nom, et celui d'un de vos amis, parmy ceux qui font le plus d'honneur à notre siècle. La liberté de penser est la vie de l'âme, et il paraît qu'il n'y a pas baucoup d'âmes plus vivantes que la vôtre. […] On a été obligé d'adopter leur physique, d'imiter leur systême de finance, de construire les vaissaux selon leur méthode; quand les imitera-t-on dans la noble liberté de donner à l'esprit tout l'essor dont il est capable; quand est ce que les sots cesseront de poursuivre les sages? […] Je serais trop heureux si la nature ne s'avisait pas de me persécuter autant que la fortune me favorise. Si l'état de ma santé, madame, me permet jamais de revoir la France, un de mes baux jours serait celuy où je pourrais vous assurer de mon respect, et dire à votre amy tout ce que la plus profonde estime m'inspirerait pour vous et pour luy.

91. (1770) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Mr Crauford étoit à Paris, c'étoit vers le 20 décembre, Je vous disois mille choses de sa part, et que mr Robertson vous demandois la permission de vous faire hommage de son histoire de Charles v. Je ne me flatois pas d'avoir votre réponse avant le départ de mr Crauford qui a été le 29 du même mois, mais Je lui avois promis de la lui envoyer dès que Je l'aurois reçû. […] Je serois inquiète de votre santé si Je n'avois pas lû votre lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190428b_1key001cor/nts/002 à la grand maman, elle est de quelqu'un qui se porte bien, et elle ne peut être que de mr de Voltaire ou de mr Guillemet en parfaite santé. Les vers sont d'un très bon FRANÇOIS et d'un très bon français. Je n'ay pas la prétention ni la présomption d'attendre de telles marques de santé, mais Je désire et J'espère quelques lignes de poste pour ma satisfaction et celle de mr Crauford à qui Je les enverroient pour qu'il les montrât à mr Robertson.

92. (1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Si elle est dans son palais de Chantelou occupée de sa florissante colonie je la déclare philosophe; j'entends surtout par ce mot philosophe pratique, car ce n'est pas assez de penser avec justesse, de s'exprimer avec agrément, de fouler aux pieds les préjugés de tant de pauvres femmes et même de tant de sots hommes, de connaitre bien le monde et parconséquent de le mépriser. […] Je vous plains touttes deux de ne pouvoir aller ensemble dans le paradis terrestre de Chantelou. […] Elle protège du haut de sa colonie de Cartage la colonie de mon hameau. Elle me fait goûter chaque jour le plaisir de la reconnaissance. […] Elle aurait été trop sensiblement frappée de ce désastre.

93. (1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Ne croyez point Je vous prie que J'ay tort si vous n'avez pas Eû de mes nouvelles; mon premier soin fut de lire votre préface et deux ou trois chapitres; Je vous Ecrivis sur le champ de ma propre main une lettre de 8 pages, et J'employay à cet ouvrage une de mes insomnies. Au Réveil de mon secrétaire Je le lui donnay à lire, il n'en pût presque rien déchifrer, Je ne me souvenois plus de ce que J'avois Ecrit; Je fus si dépité que je résolus d'attendre pour vous Ecrire que J'Eusse entierrement fini votre livre. […] D'abord Je vous déclare que vous n'avez ni Jugement ni goût si vous n'êtes pas content de votre histoire; La préface est charmante, vous traitez messrs les faiseurs de recherches comme ils le méritent; il y a tant de manières d'être ennuyeux qu'en vérité cela crie vengeance de se mettre à la torture pour en chercher de nouvelles. […] Ce qui regarde la guerre ne m'a pas fait autant de plaisir, mais c'est que vous aviez tout dit sur cet article dans la vie de Charles XII. […] Par Exemple l'Echaffaut de melle Clairon, sur le quel Je n'ay pas attendû vos ordres pour me transporter de colère.

94. (1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je n'ay pu m'y résoudre; il suffit de l'ennuy qu'on ne peut Eviter, il est foû d'en aller chercher. […] J'aurois une grande Joye de vous revoir, et J'aurois le courage de vous aller chercher si Je n'étois pas condamnée par le malheur de mon état à une vie sédentaire. […] Vous m'allez trouver bien impertinente, mais Je vous prie de corriger un vers de la Henriade, c'est dans le portrait de Catherine de Medicis: Possédant en un mot, pour n'en pas dire plus, Les deffauts de son sexe et peu de ses vertus. […] Je vous le demande à deux genoux; ayez soin de mon amusement; Je suis l'âme la plus délaissée du purgatoire de ce monde cy. […] Enfin monsieur Je voudrois vous persuader d'avoir beaucoup d'attention pour moi mais Je crains de n'y pas réussir, J'aurois tout l'avantage et vous n'y en trouveriez aucun, si l'estime la plus parfaitte et l'amitié la plus tendre que Je vous ay vouée pour ma vie, ne pouvoient pas servir de compensation.

95. (1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

C'est le sort de la plus part des ouvrages en plus d'un genre. […] C'est une affaire de goust. […] La protection de madame la duchesse de Choiseul leur a fait plus de bien que leurs compatriotes ne leur ont fait de mal. […] Le fonds du mémoire est de Mr Christin, avocat de Bezançon. […] Ces gens là seraient fort aises d'être les serfs du mari de votre grand maman, mais ils ne veulent point du tout l'être de moines de st Benoit devenus chanoines.

96. (1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je vous demande pardon d'avoir eu du plaisir, et d'en avoir eu par un Gluk. […] Ce sera peut être une chose aussi curieuse qu'affreuse de voir comment un petit juge de province, voulant perdre Made De Brou, abbesse de Villancour, suborna de faux témoins, et nomma pour juger avec lui un procureur devenu marchand de bois et de vin, condamné aux Consuls pour des friponeries. […] Cette étrange sentence fut confirmée au parlement de Paris à la pluralité de deux voix. […] On se dépêcha de dire que le marchand de bois avait bien jugé, et ces deux mots suffirent pour briser les os de ces deux enfans, pour leur arracher la langue avec des tenailles, pour leur couper la main droite, pour jetter leurs corps tout vivant dans un feu composé de deux voies de bois, et de deux charettes de fagots. […] Moi je vous estime et je vous aime de toutes les forces de ce qu'on appelle mon âme.

97. (1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

que je n'aie point répondu à une de vos lettres! que je n'aie pas obéi aux ordres de celle qui m'honore depuis si longtemps de son amitié! de celle pour qui je travaille jour et nuit, malgré tous mes maux? […] Si j'avais sçu qu'il fût à Paris, je vous aurais supliée très instament de me protégér un peu auprès de lui, et de faire valoir les sentimens d'estime et de reconnaissance que Je lui dois. […] Vous me dites que vôtre grand papa, le mari de vôtre grand maman se porte mieux que jamais; j'étais inquiet de sa santé; vous savez que je l'aime comme monsieur l'archevêque de Cambrai aimait dieu, pour lui même.

98. (1766) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je trouve d'ailleurs dans cette recherche, quelque vaine qu'elle puisse être, un assez grand avantage; l'étude des choses qui sont si fort au dessus de nous rendent les intérêts de ce monde bien petits à nos yeux, et quand on a le plaisir de se perdre dans l'immensité, on ne se soucie guères de ce qui se passe dans les rues de Paris. L'étude a celà de bon qu'elle nous fait vivre très doucement avec nous mêmes, qu'elle nous délivre du fardeau de nôtre oisiveté, et qu'elle nous empêche de courir hors de chez nous pour aller dire et écouter des riens d'un bout d'une ville à l'autre. […] L'auteur est un goguenard de Neufchatel, et les plaisants de Neufchatel pouront fort bien vous paraître insipides. […] Voilà pourquoi Mr De Mazarin disait qu'il ne se moquait jamais que de ses parents et de ses amis. […] Je vous prie de dire à Mr le Président Hainaut que je ne cesserai jamais de l'estimer de tout mon esprit et de l'aimer de tout mon cœur.

99. (1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Qu'il est heureux d'être né avec un grand esprit et de grands talents, et qu'on est à plaindre quand ce que l'on en a ne fait qu'empêcher de végéter. Voilà la classe où je me trouve et où je suis en grande compagnie; la seule diférence, qu'il y a de moi à mes confrères, c'est qu'ils sont content d'eux, et que je suis bien Eloigné de l'être d'Eux et encore moins de moi. […] Vous jouissez de tous vos cinq sens comme à 30 ans, et surtout de ce sixième dont vous me parlez qui fait votre bonheur mais qui fait le malheur de bien d'autres. […] L'Education d'une fille et Macare sont imprimés, ainsy je les ay. […] Nous sommes ici dans de grandes allarmes.

100. (1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous m’aviez promis de me mettre aux pieds de vôtre grand maman et de son mari. […] Elles font encor la consolation de ma vie. […] Vous vous êtes sovenue de moi dans ma retraitte; vôtre commerce de Lettres, la franchise de vôtre caractère, la beauté de vôtre esprit, et de vôtre imagination m’ont enchanté. […] Il m’est aussi impossible de les oublier que de ne vous pas aimer. […] J’y viendrais si je pouvais m’arracher à mes travaux de toute espèce, et à une partie de ma famille qui est avec moi.

101. (1774) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mais j'adore le coeur de Madame La Duchesse De La Rochefoucaut. […] Songez vous bien qu'il y a quatre grands mois d'icy à la fin d'avril? […] Si vous aviez des yeux vous ririez bien de ma figure de quatre vingt et un ans; elle n'est assurément ni transportable, ni montrable. Je vous aime de tout mon cœur, mais à quoi cela sert-il? Prenez, je vous en prie, le peu d'âme qui me reste, et quand vous l'aurez mise à vos piés, aiez la bonté de la mettre aux piés de l'âme de Madame la Duchesse de La Rochefoucaut.

102. (1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Nos mauvais livres sont moins mauvais que les mauvais qu'on fesait du tems de Boileau, de Racine et de Moliere, parce que dans ces plats ouvrages d'aujourd'hui, il y a toujours quelques morceaux tirés visiblement des auteurs du règne du bon goût. […] Vous savez que vôtre grand maman m'a envoié un soulier d'un pied de Roi de longueur. Je lui ai envoié une paire de bas de soie qui entrerait à peine dans le pied d'une Dame chinoise. Cette paire de bas c'est moi qui l'ai faitte; j'y ai travaillé avec un fils de Calas. J'ai trouvé le secret d'avoir des vers à soie dans un païs tout couvert de neiges sept mois de l'année; et ma soie dans mon climat barbare est meilleure que celle d'Italie.

103. (1765) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

J'ay obtenu de lui et de mad. votre nièce qu'ils souperont jeudy chés moy. […] Je ne sort point d'étonnement de tout ce que Je sçay de vous, vous renversez toutes mes opinions sur la philosophie. […] Il y a de la vanité à dire qu'on vous aime, il y en a à désirer d'être aimé de vous, cependant je crois que mes sentimens sont Exempt de tout alliage, et quand il n'i auroit que moi qui vous connoitroit tel que vous êtes, Je ne vous en aimeroit pas moins. […] Je n'ay plus d'âme, je ne sçay plus m'exprimer. […] Je serois bien fâché d'avoir rien à démêler avec elle, elle a tout les attribus de celle des grands seigneurs, elle me fait souvent souvenir d'une chanson que Mad.

104. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Henaut dans la charge de surintendant de la reine et être encor sous précepteur ou précepteur des enfans de France, ou mettre son frère l'évêque dans ce poste. […] Leur projet était d'armer le gouvernement contre tous ceux qu'ils accusent d'être philosophes, de me faire exclure de l'académie, de faire élire à ma place l'évêque du Puihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050465_1key001cor/nts/001 et de purifier ainsi le sanctuaire profané. […] Madame de Robec a eu le malheur de protéger cette pièce et de la faire jouer. […] Il faut être homme du monde avant d'être homme de lettres. […] Mais vous vous donnerez bien de garde madame de venir sur les bords de mon lac, vous n'êtes pas encor assez philosophe, assez détachée, assez détrompée.

105. (1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il vous fait quelque fois sa cour, et je vous en félicite tous deux; vous ne trouverez assurément personne, qui ait plus d'esprit, plus d'imagination, et plus de connaissance que lui. […] Je ne sçais pas si le Roy de Prusse aura longtemps la vanité de payer régulièrement la pension à Mr D'Alembert. […] Je n'ai nulle nouvelle de frère Menou, ni de frère Malagrida, ni de frère Berthier, ni d'Omer de Fleuri, ni de Fréron; j'aurai l'honneur de vous envoier quelque insolence le plustôt que je pourai; prenez toujours la vie en patience, Madame, et s'il y a quelques moments de bon, jouïssez-en guaiment. Je me plains à tout le monde de Mlle Clairon, qui a la fantaisie de vouloir qu'on lui mette un échaffaut tendu de noir sur le théâtre, parce qu'elle est soupçonée d'avoir fait une infidélité à son fiancé. […] Ne voilà-t'il pas une belle idée de vouloir changer la scène française en place de Grève!

106. (1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous serez étonnée madame de recevoir lettre sur lettre d'un homme que vous avez traitté de négligent. […] Je pense que voylà le cas de souhaitter d'être sourde puisque la perte de vos yeux vous laisse encor des oreilles pour entendre touttes nos sottises. […] Il me semble que du temps de Moliere et de Chappelle j'aurais été fâché d'être dans le pays de Gex, mais actuellemt c'est un fort bon party. […] Les mots de Paris et de couvent m'effrayent autant que votre société charmante m'attire. […] J'ay eu l'honneur de vous envoier un petit chant de pucelle par Versailles; je ne sçais plus comment faire.

107. (1762) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mon prêtre est le seul honnête homme de prêtre qu'on ait encor vu. […] Une jeune princesse se brûle comme Malagrida à la fin de la pièce. […] Un de nos huguenots de Geneve a été accusé d'avoir pendu un de ses enfants à Toulouse, de crainte que cet enfant ne se fît papiste. […] Il a cité ses juges sur la roue au jugement de dieu. Il y a le plus horrible fanatisme d'un ou d'autre côté.

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