(1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1764) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je ne me flate pas monsieur que vous vous soyez appercû du tems qu'il y a que Je n'ay Eû l'honneur de vous Ecrire, mais si par hazard vous l'avez remarqué il faut que vous en sachiez la cause.
Premièrement le président a été malade et m'a donné beaucoup d'inquiétude. Ensuitte la maladie et la mort de mad. de Pompadour, qui m'ont occuppés et intéressés autant que tant d'autres à qui cela ne fasoit rien, et puis des peines et des Embaras domestiques qui ont troublés mon foible génie. Je voulois attendre d'être un peu plus calme pour pouvoir causer avec vous.

Votre dernière lettre (dont vous ne vous souvenez sûrement pas) est charmante; vous me dites que vous voulez que Je vous fasse part de mes réflexions. Ah! monsieur que me demandez vous? Elles se bornent à une seule, elle est bien triste, c'est qu'il n'y a à le bien prendre qu'un seul malheur dans la vie, qui est celui d'être né. Il n'i a aucun état tel qu'il puisse être qui me paroisse préférable au néant, et vous même qui êtes monsieur de Voltaire, nom qui renferme tout les genres de bonheur: réputation, considération, célébrité, tous les préservatifs contre l'ennuy, trouvant en vous toutes sortes de ressources, une philosophie bien entendûe, qui vous a fait prévoir que le bien étoit nécessaire dans la viellesse; eh bien, monsieur, malgré tous ces avantages, il vaudroit mieux n'être pas né, par la raison qu'il faut mourir, qu'on en â la certitude, et que la nature y répugne si fort que tous les hommes sont comme le bûcheronhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110352_1key001cor/nts/001.

Vous voyez combien j'ay l'âme triste et que Je prends bien mal mon tems pour vous Ecrire, mais monsieur consolez moi, Ecartez les vapeurs noires qui m'environnent.

Je viens de lire une histoire d'Ecosse qui n'est pour ainsi dire que la vie de Marie Stuart, elle a mis le comble à ma tristesse; J'espère que votre Corneille me tirera de cet Etat. Je n'ay encore lû que l'Epître à l'accadémie et la préface; on est tout Etonné en lisant ce que vous Ecrivez que tout le monde n'Ecrive pas bien; il semble qu'il n'y a rien de si facile que d'Ecrire comme vous, et cependant personne au monde n'en approche. Il n'y a que Ciceron qui après vous est tout ce que J'aime le mieux.

Adieu monsieur, Je me sens indigne de vous occupper plus long tems. http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110352_1key001cor/txt/001Je voudrois être à Geneve, c'est à dire avec vous. Je vous aime de tout mon coeur et vous me consoleriez d'être née au moins quelque moments.

Tout est ici tout de même, il n'y a point de dariolettehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110352_1key001cor/nts/002 qui annoncent de quel côté vient le vent, il n'y a que les spéculatifs qui prévoyent et qui Jugent, et vraisemblablement tout de travers.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110352_1key001cor/txt/001