(1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1772) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Jamais lettre n’est arrivée si àpropos que vôtre dernierre; j’étois dans la plus grande inquiétudehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1230103c_1key001cor/nts/001, le bruit Courroit icy que vous étiés extrêmement malade; cette inquiétude avoit succédé à une autre; n’ayant plus de vos nouvelles, je craignois que ma dernière lettre ne vous eûs fâchée; mais tout va bien Dieu mercy, vôtre santé, vôtre amitié, deux chôses très nécessaires à ma tranquilité et à mon bonheur.

Je ne sçait pas mon cher Voltaire, de quel oeil vous envisagé la mort; je m’en détourne la vûe autant qu’il m’est possible; j’en feroit de même pour la vie si cela se pouvoit; je ne sçait en vérité pas laquelle des deux mérite la préférence; je crains l’une, je haïs l’autre. Ah si on avoit un véritable ami, on ne seroit pas dans cette indécision; mais c’est la pierre philosophale, on se ruine dans cette recherche; aulieu de remèdes universels, on ne trouve que des poisons; vous êtes mille et mille fois plus heureux que moy; mon Etat de quinze Vingt n’est pas mon plus grand malheur; je me Console de ne rien voir, mais je m’afflige de ce que j’entend, et de ce que je n’entend pas; le goût est perdu, ainsy que le bon sens; cecy paroitra propos de vieille, mais non en vérité; mon âme n’a point vieillie; je suis touchée du bon et de l’agréable, autant et plus que je l’étois dans ma jeunesse; cela est vray. Ne me répété donc plus que vous ne sçavez pas si telles et telles de vos ouvrages me feront plaisir; je vous ay dit mille et mille fois, et je vous le dis aujourd’huy pour la dernière, qu’il n’y a que vous que je peut lire. Envoyé moy donc généralement tout ce que vous faites. Je ne sçait pas si j’aime Horace; mais je sçait que je vous aime, sous quelque forme que vous puissiés prendre, sur quelques sujets que vous puissiés traiter; pourquoy n’aije pas les loix de Minos? Il en Coure des Extraits qui m’ont fait grand plaisir.

M’ocqué vous de vos envieux, leur rage ne vous fait point de tort, et vous sçavez la leur faire tourner Contre eux même; vous en avez déjà tué trois ou quatre.

Venez icy mon cher Voltaire; que j’aurois de plaisir à vous embrasser! Mais mon dieu pourquoy n’y à t’il pas de champs Elisées? pourquoy avons nous perdus cette chimère?

Adieu.