(1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1772) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Je fais depuis vingt ans, Madame, en petit dans ma chaumière ce que votre grand-maman fait avec tant d'éclat dans son palais délicieux.
Je vous imite aussi en parlant d'elle et de son respectable mari, et en leur étant tendrement attaché, quoi qu'ils en disent, et une preuve que je ne change point c'est que je suis chez moi. Made De st Julien qui a daigné faire cent trente lieues pour me venir voir dans mon hermitage, pourait vous en dire des nouvelles. Je finirai par m'en tenir à ma bonne conscience et à souffrir en paix qu'on ne me croie pas.

Savez vous qu'il parait deux petits volumeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220446_1key001cor/nts/002 de lettres de Made De Pompadour? Elles sont écrites d'un stile léger et naturel qui semble imiter celui de Made De Sévigné. Plusieurs faits sont vrais, quelques uns faux, peu d'expressions de mauvais ton. Tous ceux qui n'auront pas connu cette femme croiront que ces lettres sont d'elle. On les dévore dans les païs étrangers; on ne saura qu'avec le tems que ce recueil n'est que la friponerie d'un homme d'esprit qui s'est amusé à faire un de ces livres que nous appellons nous autres pédants pseudonime http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220446_1key001cor/nts/003. Il y a bien des gens de vôtre connaissance qui ne seront pas contens de ce recueil; ils y sont extrêmement maltraittés, à commencer par son frère, mais dans un mois on n'en parlera plushttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220446_1key001cor/nts/004; tout celà s'engloutit dans le torrent des sottises dont on est inondé.

Vous voulez que je vous envoie les miennes, vous en aurez. On a imprimé à Paris les cabales, la bégueule, Jean qui pleure et qui rit http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220446_1key001cor/nts/005, et on les a cruellement défigurés. Je vous en ferai tenir dans quelques semaines une petite édition avec des notes très instructives pour la jeunesse qui veut être philosophe.

Je crois vôtre Monsieur de Gleichen à Spa, où il y a grande compagnie. Sa santé est bien mauvaise, et les révolutions du Dannemark ne le rétabliront pas. Il fesait un peu le mistérieux à Ferney, mais son mistère était qu'il ne savait rien. Toute cette avanture est bien horrible et bien honteuse. Gardez vous, d'ailleurs d'aimer trop les étrangers; leurs amitiés sont comme eux, des oiseaux de passage. Fourmont valait mieux. Il n'y a que les gens peu répandus qui sachent aimer.

Adieu, Madame, je suis très peu répandu.

V.