(1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
/ 268
(1771) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Croiez moi, Madame, si quelque chose dépend de nous tâchons tout deux de ne point prendre d’humeur; c’est ce que nous pouvons faire de mieux à nôtre âge et dans le triste état où nous sommes.
Vous me laissez deviner tout ce que vous pensez; mais pardonnez moi aussi mes idées. Trouvez bon que je condamne des gens que j’ai toujours condamnés, et qui se sont souillés en cannibales du sang de l’innocent et du faible. Tout mon étonnement est que la nation ait oublié les atrocités de ces barbares. Comme j’ai été un peu persécuté par eux je suis en droit de les détester; mais il me suffit de leur rendre justice. Rendez la moi, Madame, après cinquante années de connaissance ou d’amitié.

J’avais infiniment à cœur que vôtre grand maman et son mari fussent persuadés de mes sentiments. Je ne vois pas pourquoi vous ne leur avez pas envoié cette septième page. Il est très triste pour moi qu’elle leur vienne par d’autres.

Votre dernière Lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210458_1key001cor/nts/001 me laisse dans la persuasion que vous êtes fâchée, et dans la crainte que vôtre grand maman ne le soit, mais je vous avertis toutes deux que je m’envelope dans mon innocencehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210458_1key001cor/nts/002. Je n’ai écouté que les mouvements de mon cœur. N’aiant rien à me reprocher je ne me justifierai plus. Il y a d’ailleurs tant de sujets de s’affliger qu’il ne faut pas s’en faire de nouveaux.

Je n’aurai pas la cruauté d’être en colère contre vous. Je vous plains, je vous pardonne, et je vous souhaitte tout ce que la nature et la destinée vous refusent aussi bien qu’à moi.

Pardonnez moi de même l’affliction que je vous témoigne en faveur de l’attachement qui ne finira qu’avec ma vie laquelle finira bientôt.