Vous sçavez déjà tout nos malheurs, vous ne doutez pas de mon affliction.
J’ay tout perdû mon cher Voltaire, et il ne me reste plus à perdre que la vie. Il n’y à que vous pour qui la viellesse soit supportable, vous avez passé pour ainsi dire de cette vie cy sans mourir à l’Eternité; vous vous êtes séparé du présent, vous tenez à tout l’univers sans tenir à personne, vous voyez, vous Jugez les Evénements sans intérêt particulier, vous vous sufisez à vous même. Mais moi mon cher Voltaire, condamnée à un cachot perpétuel Je n’avois de resourçe que la société, que l’amitié de La plus charmante personne qui ait Jamais Existée. Je ne vous feray point de détail sur ce triste Evénement, il me faudroit plus de liberté d’esprit. Tout ce que Je puis vous dire c’est que Jamais séparation ne fut plus touchante et plus douloureuse. Au milieu des pleurs et des cris de ses amis cette grand maman a montrée un courage, une fermetée, une douceur une tranquilité inouïe. Ce fut le lundy 24 que mr de Choiseul reçut sa lettre de cachet, avec ordre de partir le mardy avant midy; ils sont arrivés le mercredy à Chanteloup. Mad. de Gramont est party ce Jour là pour les aller trouver. L’archev. de Cambrayhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210168_1key001cor/nts/002 part demain et mr de Stainvillehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210168_1key001cor/nts/003 partira dimanche. Mr de Praslin partira demain pour Praslin. On n’a point encore disposé de leurs places. On a proposé celle de la guerre à mr de Muyhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210168_1key001cor/nts/004 qui l’a refusée.
Parmi toutes les raisons que J’ay d’être affligée, vous y entrez pour beaucoup mon cher Voltaire, notre corespondance en souffrira, à moins que vous ne trouviez quelque Expédient.
Je ne suis point contente du mal que vous me dites de notre ancien amihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210168_1key001cor/nts/003. Je conviens qu’il étoit foible, mais il avoit Eû l’esprit bien agréable et le meilleur ton du monde; il avoit fait son testament dans un tems où il s’étoit fort Entêté d’une fillehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1210168_1key001cor/nts/005 que J’avois auprès de moi et qui étoit devenüe mon Ennemie.
Je vous remercie de votre complaisance; vos petits vers sont fort Jolis et J’en feray usage. Adieu mon cher Voltaire, conservez moi votre amitié.