(1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1770) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous voulez être Taupe, Madame, savez vous bien qu'il y a un proverbe Latin qui dit que les Taupes servent d'exemple? exemplum ut Talpahttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200172_1key001cor/nts/001?
Il est vrai que nous avons vous et moi quelque ressemblance avec ces personnes, qui passent pour aveugles. Je suis toujours de la confrérie tant que les neiges couvrent nos montagnes. Je ne vois guères plus qu'une taupe; et d'ailleurs j'irai bientôt dans leur roiaume en regretant fort peu celui cy, mais en vous regretant beaucoup.

Vous avez deviné très juste, Madame, en devinant que Mr L'abbé Terray m'a pris six fois plus qu'à vous, mais c'est à ma famille qu'il a fait cette galanterie, car il m'a pris tout le bien libre dont je pouvais disposer; et je ferai probablement en mourant banqueroute comme un Evêque.

Vous voulez avoir cette prétendue enciclopédie qui n'en est point une. C'est un ouvrage malheureusement fort sage (à ce que je crois), mais fort ennuieux (à ce que j'affirme). Je serai mort avant qu'il soit imprimé, attendu que de mes deux libraires l'un est devenu magistrat et ambassadeur, l'autre monte la garde continuellement, en qualité de major, dans le tripot de Genêve qu'on appelle République. Cependant, Madame, afin que vous ne m'accusiez pas de négligence, voicy trois feuilles qui me tombent sous la main. Faittes vous lire seulement les articles Adam et adultère. Nôtre premier père est toujours intéressant, et adultère est toujours quelque chose de piquant. Vous pouriez aussi vous faire lire l'article adorer, parce qu'il y a réellement une chanson composée par Jésu Christ qui est fort curieuse. Ce n'est point une plaisanterie, la chose est très vraie; et vous verrez même que c'est une chanson à danser, et qu'on dansait alors dans toutes les cérémonies réligieuses.

Quand vous vous serez amusée ou ennuiée de ces trois rogatons, n'oubliez pas, je vous en prie, de gronder horriblement vôtre grandmaman. Elle m'a comblé de grâces, elle m'a fait Capucin, elle a fait capitaine d'artillerie un hommehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200172_1key001cor/nts/002 que j'ai pris la liberté de lui recommander sans le connaître; elle a donné une pension à un médecinhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1200172_1key001cor/nts/003 que je ne connais pas d'avantage et que je ne consulte jamais; et ce qui est le plus essentiel, elle m'a écrit des lettres charmantes; mais elle est devenue une cruelle, une perfide, qui m'abandonne dans ma plus grande détresse, dans une affaire très importante, dans une manufacture que j'ai établie et que j'ai mise sous sa protection. C'est la plus belle entreprise qu'on ait jamais faitte dans le mont Jura depuis qu'il éxiste; celà est bien audessus de ma manufacture de soie. Je sers l'état; je donne au Roi de nouveaux sujets; je fournis de l'argent même à Mr L'abbé Terray; et on ne me fait pas le moindre remerciement; on ne répond point à mes Lettres; on se moque de moi; et le mari de Madame Gargantua s'en moque tout le premier. Voilà comme sont faittes les puissances de ce monde. Je sais bien qu'elles ont d'autres affaires que celles du mont Jura; mais on peut faire écrire un mot, consoler, encourager un pauvre homme.

Enfin, Madame, grondez vôtre grand-maman si vous pouvez, mais on dit qu'il est impossible d'en avoir ce courage.

Portez vous bien, Madame, aiez du moins cette consolation. Qu'importent mon attachement inviolable et mon respect du mont Jura à st Joseph? L'éloignement entre les gens qui pensent est horrible.

frère François