J'ai connu, madame, des gens qui se plaignaient de vivre avec des sots, et vous vous plaignez des gens d'esprit.
Si vous avez imaginé que vous retrouveriez la politesse et les agréments des Lafare et des St Aulaire, l'imagination des Chaulieu, le brillant d'un Duc de la Feuillade, et tout le mérite du président Hainaut, dans nos littérateurs d'aujourd'hui, je vous conseille de décompter.
Vous ne sçauriez, dites-vous, vous intéresser à la chose publique; c'est assurément le meilleur party qu'on puisse prendre▶. Mais si vous étiéz exposée comme moi à donner à diner tous les jours, à des Russes, à des Anglais, à des Allemands, vous seriez un peu embarassée d'être française.
Je m'occupe du temps passé, pour me dépiquer du temps présent. Je crois qu'il vaut mieux commenter Corneille, que de lire ce qu'on fait aujourd'hui. Toutes les nouvelles affligent, et prèsque tous les nouveaux livres impatientent.
Mon commentaire impatientera aussi, car il sera fort long. C'est une entreprise terrible de discuter Cinna et Agesilas, Rodogune et Attila, Le Cid et Pertarite. Je ne crois pas que depuis Scaliger il y ait eu un plus grand pédant que moi. L'ouvrage contiendra sept ou huit gros volumes. Celà fait trembler.
Vous devez, madame, avoir actuellement Mr le Président Hainaut; il faut que vous me protégiez auprès de lui. J'ai envoyé à L'académie l'Epitre dédicatoire, que je crois curieuse, la préface sur le Cid, dans laquelle il y a aussi quelques anecdotes qui pouront vous amuser, les nottes sur le Cid, sur les Horaces, sur Cinna, Pompée, Héraclius, Rodogune, qui ne vous amuseront point parce qu'il faut avoir le texte sous les yeux.
Je voudrais que Mr le Président Hainaut ◀prit tout celà chez Mr le Secretaire, et qu'il en dit son avis avec Mr le Duc de Nivernois. Je crois qu'il conviendrait qu'ils allassent tous deux à L'académie, et qu'ils me jugeassent; car il me faut la sanction de la compagnie, et que l'ouvrage qui lui est dédié ne se fasse que de concert avec elle. Je ne suis point du tout jaloux de mes opinions, mais je le suis de pouvoir être utile; et je ne peux l'être qu'avec l'approbation de L'académie. C'est une négociation que je mets entre vos mains, Madame; celle de Mr De Bussi sera plus difficile.
Vous vous plaignez de n'avoir rien qui vous occupe. Occupez vous de Pierre Corneille, il en vaut la peine par son sublime et par l'excèz de ses misères.
Je vous sçais bien bon gré, madame, de Lire l'histoire d'Angleterre par Thoirashttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070384_1key001cor/nts/001. Vous la trouverez plus éxacte, plus profonde, et plus intéressante, que celle de nôtre insipide Daniel. Je ne pardonnerai jamais à ce jésuite, d'avoir plus parlé de frère Cotton, que de Henry 4, et de laisser à peine entrevoir que ce Henry 4 soit un grand homme.
Si vous aimez l'histoire, je vous en enverrai unehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070384_1key001cor/nts/002 dans quelques mois, qui est fort insolente, et que je crois vraie d'un bout à l'autre. Mais actuellement laissez moi avec le grand Corneille.
Je vous réïtère, Madame, les remerciements de ma petite élève, qui porte un si beau nom, et qui ne s'en doute pas. Je me mets aux pieds de made la Duchesse de Luxembourg. Adieu, Madame, vivez aussi heureuse qu'il est possible; tolérez la vie. Vous sçavez que peu de personnes en jouïssent; vous vous êtes accoutumée à vos privations; vous avez des amis; vous êtes sûre que quand on vient vous voir, c'est pour vous même; je regretterai toujours de n'avoir point cet honneur, et je vous serai attaché bien véritablement jusqu'au dernier moment de ma vie.