Vous serez étonnée madame de recevoir lettre sur lettre d'un homme que vous avez traitté de négligent.
Vous me mandez que vous vous ennuiez; pour peu que je continue je sauray bien d'où vous vient cette maladie, mais si mes lettres et la pucelle entrent pour quelque chose dans cette létargie, je crois que les six tomes de Jean Jaques sont pour le moins aussi coupables que moy. Je pense que voylà le cas de souhaitter d'être sourde puisque la perte de vos yeux vous laisse encor des oreilles pour entendre touttes nos sottises.
Je sçais qu'il y a des personnes assez déterminées pour soutenir ce malheureux fatras intitulé roman. Mais quelque courage ou quelque bonté qu'elles aient, elles n'en auront jamais assez pour Le relire. Je voudrais que madame de la Fayette revînt au monde, et qu'on luy montrât un roman suisse. Franchement tout est de même parure depuis les remontrances et les réquisitoires jusqu'à nos romans et à nos comédies. Je trouve que le siècle de Louis 14 s'embellit tous les jours. Il me semble que du temps de Moliere et de Chappelle j'aurais été fâché d'être dans le pays de Gex, mais actuellemt c'est un fort bon party. Vous me demandez madame ce que c'est que madelle Corneille. Ce n'est ny Pierre ny Thomas. Elle joue encor avec sa poupée, mais elle est très heureusement née, douce et guaie, bonne, vraie, reconnaissante, caressante sans dessein et par goust; elle aura du bon sens; mais pour le bon ton, comme nous y avons renoncé, elle le prendra▶ où elle poura. Ce ne sera pas chez madame de Volmar. Nous n'avons aucune envie madame d'aller à Clarencehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070093b_1key001cor/nts/001 depuis que vous avez déclaré qu'on ne vous trouverait pas là. Nous sentons tous qu'il faudrait aller à st Josephhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070093b_1key001cor/nts/002, mais les transmigrations sont trop difficiles. J'ay l'honneur d'être à moitié suisse, indépendant, heureux. Les mots de Paris et de couvent m'effrayent autant que votre société charmante m'attire. Je n'avais point d'idée du bonheur réservé à la vieillesse dans la retraitte. Après avoir bien réfléchi à soixante ans de sottises que j'ay vües, et que j'ay faittes, j'ay cru m'appercevoir que le monde n'est que le téâtre d'une petite guerre continuelle ou cruelle ou ridicule, et un ramas de vanitezhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070093b_1key001cor/nts/003à faire mal au cœur, comme le dit très bien le bon déiste de Juif qui a ◀pris le nom de Salomon dans l'ecclesiaste que vous ne lizez pas.
Adieu madame consolez vous de votre existence et poussez la cependant le plus loin que vous pourez. J'ay trouvé dans le roman Jacques une lettre sur le suicidehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070093b_1key001cor/nts/004 que j'ay trouvée excellente quoy que ridiculement placée. Elle ne m'a pourtant donné aucune envie de me tuer, et je sens que je ne me serais jamais tiré un coup de pistolet par la tête pour un baiser âcre de made Volmar.
J'ay eu l'honneur de vous envoier un petit chant de pucelle par Versailles; je ne sçais plus comment faire.