(1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1764) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Il faut, Madame, que je vous parle nethttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110435b_1key001cor/nts/002.
Je ne crois pas qu'il y ait un homme au monde moins capable que moi, de donner du plaisir à une femme de vingt-cinq ans en quelque genre que ce puisse être. Je ne sors jamais, je commence ma journée par souffrir trois ou quatre heures, sans en rien dire à Mr Tronchin. Quand j'ai bien souffert je travaille, et quand j'ai bien travaillé je n'en peux plus; on vient diner chez moi, et la pluspart du temps je ne me mets point à table; made Denis est chargée de toutes les cérémonies, et de faire les honneurs de ma cabane à des personnes qu'elle ne reverra plus. Elle est allée voir made De Jeaucourhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110435b_1key001cor/nts/003, et c'est pour elle un très grand éffort, car elle est malade et paresseuse. Pour moi je n'ai pu en faire autant qu'elle, parce que j'ai été quinze jours au lit avec un mal de gorge horrible.

Il faut vous dire encor que je ne vai jamais à Genêve; ce n'est pas seulement parce que c'est une ville d'hérétiques, mais c'est parce qu'on y ferme les portes de très bonne heure, et que mon train de vie campagnard est l'antipode des villes; je reste donc chez moi, occupé de souffrances, de travaux et de charues avec made Denis, la nièce à Pierre, son mari, un exjesuite qui dit la messe et qui joue aux échecs. Quand je peux tenir quelque pédant comme moi qui se moque de toutes les fables qu'on nous donne pour des histoires, et de toutes les bétises qu'on nous donne pour des raisons, et de toutes les coutumes qu'on nous donne pour des loix admirables, je suis alors au comble de ma joie. Jugez de tout celà, Madame, si je suis un homme fait pour made De Jeaucour. Il m'est impossible de parler à une jeune femme plus d'un demi quart d'heure. Si elle était philosophe, et qu'elle méprisât, ou voulût mépriser également St Augustin et Calvin, j'aurais alors de belles conférences avec elles.

Pour mr Humeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110435b_1key001cor/nts/004, c'est tout autre chose, vous n'avez qu'à me l'envoier, je lui parlerai, et surtout, je l'écouterai. Nos malheureux Welches n'écriront jamais l'histoire comme lui. Ils sont continuellement gênés, et garotés par trois sortes de chaines, celles de la cour, celles de l'Eglise, et celles des tribunaux appellés Parlements. On écrit l'histoire en France comme on fait un compliment à l'académie française, on cherche à aranger ses mots de façon qu'ils ne puissent choquer personne. Et puis je ne sais, si nôtre histoire mérite d'être écrite.

J'aime bien autant encor la philosophie de Mr Humes, que ses ouvrages historiques. Le bon de l'affaire, c'est qu'Helvétius, qui dans son livre de l'esprit, n'a pas dit la vingtième partie des choses sages, utiles et hardies dont on sait gré à mr Humes et à vingt auteurs anglais, a été brûlé et persécuté chez les Welches. Tout celà prouve que les Anglais sont des hommes, et les Français des enfans.

Je suis un vieil enfant plein d'un tendre et respectueux attachement pour vous madame.