(1732) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1732) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous m'avez proposé madame d'acheter une charge d'écuyer chez madame la duchesse du Maine, et ne me sentant pas assez dispos pour cet employ j'ay été obligé d'attendre d'autres ocasions de vous faire ma cour.
On dit qu'avec cette charge d'écuyer il en vaque une de lecteur. Je suis bien sûr que ce n'est pas un bénéfice simple chez me du Maine comme chez le roy. Je voudrois de tout mon cœur prendre pour moy cet employ, mais j'ay en main une personne qui avec plus d'esprit, de jeunesse et de poitrine s'en acquitera mieux que moy. Voicy une ocasion madame de montrer la bonté de votre cœur et votre crédit. La personne dont je vous parle est un jeune homme nommé mr l'abbé de Linant à qui il ne manque rien du tout que de la fortune. Il a auprès de vous une recomandation bien puissante, il est amy de mr Formont qui vous répondra de son esprit et de ses mœurs. Je ne suis icy que le précurseur de mr Formont qui va bientôt obtenir cette grâce de vous, et je vous en remercieray comme si c'étoit à moy seul que vous l'eussiez faitte. En vérité si vous placez ce jeune homme vous ferez une action charmante, vous encouragerez un talent bien décidé qu'il a pour les vers, vous vous attacherez pour le reste de votre vie quelqu'un d'aimable qui vous devra tout, vous aurez le plaisir d'avoir tiré le mérite de la misère et de l'avoir mis dans la meilleure école du monde. Au nom de dieu réussissez dans cette affaire pour votre plaisir, pour votre honneur, pour celui de me du Maine et pour l'amour de Formont qui vous en prie par moy. Adieu madame, je vous suis attaché comme l'abbé Linant vous le sera, avec le plus respectueux et le plus tendre dévouement.

V.