(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1769) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous me dites, madame, que vous perdez un peu la mémoire, mais assurément vous ne perdez pas l'imagination.
A l'égard du président, qui a huit ans plus que moi, et qui a été bien plus gourmand, je voudrais bien savoir s'il est fâché de son état, s'il se dépite contre sa faiblesse, si la nature lui donne l'apathie conforme à sa situation, car c'est ainsi qu'elle en use pour l'ordinaire; elle proportione nos idées à nos sensations.

Vous vous souvenez donc que je vous avais conseillé la casse. Je crois qu'il faut un peu varier ces grands plaisirs là; mais il faut toujours tenir le ventre libre, pour que la tête le soit. Notre âme immortelle a besoin de la garderobe pour bien penser. C'est dommage que Lamétrie ait fait un assez mauvais livre sur l'homme machine: le titre était admirable.

Nous sommes des victimes condamnées toutes à la mort. Nous ressemblons aux mountons qui bêlent, qui jouent, qui bondissent en attendant qu'on les égorge. Leur grand avantage sur nous est qu'ils ne se doutent pas qu'ils seront égorgés, et que nous le savons.

Il est vrai, madame, que j'ai quelquefois de petits avertissements; mais comme je suis fort dévot je suis très tranquile.

Je suis très fâché que vous pensiez que les Guebres pouraient éxciter des clameurs. Je vous demande instamment de ne point penser ainsi. Efforcez vous, je vous en prie, d'être de mon avis. Pourquoi avertir nos ennemis du mal qu'ils peuvent faire? Vraiment si vous dites qu'ils peuvent crier, ils crieront de toute leur force. Il faut aucontraire dire et redire qu'il n'y a pas un mot dont ces messieurs puissent se plaindre; que la pièce est l'éloge des bons prêtres, que l'Empereur Romain est le modèle des bons rois, qu'enfin cet ouvrage ne peut inspirer que la raison et la vertu. C'est le sentiment de plusieurs gens de bien qui sont aussi gens d'esprit. Mettez vous à leur tête, c'est vôtre place. Criez bien fort, ameutez les honnêtes gens contre les fripons. C'est un grand plaisir d'avoir un parti, et de diriger un peu les opinions des hommes. Si on n'avait pas eu de courage jamais Mahomet n'aurait été représenté.

Je regarde les Guêbres comme une pièce sainte puisqu'elle finit par la modération et par la clémence. Athalie, au contraire, me parait d'un très mauvais exemple. C'est un chef d'œuvre de versification, mais de barbarie sacerdotale. Je voudrais bien savoir de quel droit le prêtre Joad fait assassiner Athalie, âgrée de quatre vingt dix ans, qui ne voulait, et qui ne pouvait élever le petit Joas que comme son héritier? Le rôle de ce prêtre est abominable.

Avez vous jamais lu, madame, la Tragédie de Saül et de David? On l'a jouée devant un grand Roihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1190141_1key001cor/nts/001. On y frémissait et on y pâmait de rire, car tout y est pris mot pour mot de la sainte écriture.

Votre grand-maman est donc toujours à la campagne? Je suis bien fâché de tous ces petits tracas; mais avec sa mine et son âme douce je la crois capable de prendre un parti ferme si elle y était réduite. Son mari le capitaine de Dragons est l'homme du roiaume dont je fais le plus de cas. Je ne crois pas qu'on puisse ni qu'on ose faire de la peine à un si brave officier qui est aussi aimable qu'utile.

Adieu, Madame; vivez, digérez, pensez; je vous aime de tout mon cœur. Dites à vôtre ami que je l'aimerai tant que je vivrai.