Je n'ay ni votre Erudition ni vos lumières, mais mes opinions n'en sont pas moins conformes aux vôtres.
A ◀la▶ vérité il ne me paroit pas de la dernière importance que tout le monde pense de même; il seroit fort avantageux que tout ceux qui gouvernent, depuis ◀les▶ rois jusqu'au dernier bailly de village, n'eussent pour principe et pour sistème que ◀la▶ plus saine morale. Elle seule peut rendre ◀les▶ hommes heureux et tollérans, mais ◀le▶ peuple connoit il ◀la▶ morale? J'entend par ◀le▶ peuple ◀le▶ plus grand nombre des hommes. ◀La▶ cour en est pleine, ainsy que ◀la▶ ville et ◀les▶ champs. Si vous ôtez à ces sortes de gens leur préjugés, que leur restera t'il? C'est leur ressource dans leurs malheurs (et c'est en quoy je voudrois leurs ressembler), c'est leur bride et leur frein dans leur conduite, et c'est ce qui doit faire désirer qu'on ne ◀les▶ Eclaire pas; et puis pourroit on ◀les▶ Eclairer? Toute personne, qui parvenûe à ◀l'▶âge de raison, n'est pas choquée des absurdités et n'entrevois pas ◀la▶ vérité, ne se laissera Jamais instruire ni persuader. Qu'est ce que ◀la▶ foi? C'est de croire fermement ce que ◀l'▶on ne comprend pas. Il faut laisser ce don du ciel à qui il ◀l'▶a accordé. Voilà en gros ce que Je pense; si Je causois avec vous Je me flate que vous ne penseriez pas que je préférasse ◀les▶ charlatans aux bons médecins; Je seray toujours ravie de recevoir de vous des instructions et des recettes, donnez m'en contre ◀l'▶ennuy, voilà de quoy J'ay besoin. ◀La▶ recherche de ◀la▶ vérité est pour vous ◀la▶ médecine universelle, elle ◀l'▶est pour moi aussi, non dans ◀le▶ même sens qu'elle ◀l'▶est pour vous, vous croyez ◀l'▶avoir trouvée, et moi Je crois qu'elle est introuvable. Vous voulez faire entendre que vous êtes persuadé de certaines opinions que ◀l'▶on avoit avant Moïse, et que lui n'avoit point, ou du moins qu'il n'a pas transmis. De ce que ces peuples ont eu cette opinion ◀la▶ rend t'elle plus claire et plus vraisemblable? Qu'importe qu'elle soit vraye? si elle ◀l'▶étoit seroit ce une consolation? J'en doute fort. Ce n'en seroit pas une du moins pour ceux qui croyent qu'il n'i a qu'un malheur, celui d'être né. M. ◀L'▶abbé Bazin est un habile homme, je ◀l'▶honore, Je ◀le▶ révère, mais il se donne trop de peines et de soins; il ne sçait pas ◀le▶ conte de ◀la▶ Coutûre qui n'aimoit pas ◀les▶ sermons. Laissons tous ◀les▶ hommes suivre leur sens commun, il est pour chacun d'Eux leur loix et leur prophète.
A ◀L'▶égard de vos philosophes modernes, jamais il n'i a eû d'hommes moins philosophes et moins tolérans, ils Ecraseroient tout ceux qui ne se prosternent pas devant Eux. J'ay â mes dépens appris à ◀les▶ connoitre; que Je sois je vous prie à tout jamais à ◀l'▶abri de leur tracasserie auprès de vous.
Votre correspondance m'honore infiniment, mais je n'ay pas ◀la▶ vanité d'en faire trophée; ils n'ont nulle connoissance de ce que vous m'écrivez; ◀La▶ lettre sur Montcrif n'est devenüe publique que par Eux, d'ont ◀l'▶unhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140040_1key001cor/nts/001 d'eux ◀l'▶avoit retenüe pour ◀l'▶avoir entendû lire une seule fois. Cette conduite, qui prouve ◀la▶ sévérité de leur morale, m'a appris à ◀les▶ connaitre et à ne m'y Jamais confier.
◀Le▶ ◀président▶ a été fort content de votre lettre mais il voit par ses lunettes, il ne veut point en changer. Je suis bien sûre qu'il fait cas des vôtres, il s'en servoit autrefois. Sa vüe n'est pas baissée, mais enfin il veut s'en tenir aux lunettes qu'il a pris aujourd'huy; il vous estime, il vous honore, il vous aime, nous sommes parfaitement d'accord dans cette façon de penser et de sentir, nous voudrions bien souvent vous avoir en tier avec nous, un quart d'heure de conversation avec vous nous paroitroit d'une bien plus grande valeur que toute ◀l'Enciclopédie.
Adieu monsieur, soyez persuadé de ma tendre amitié, elle est plus tendre et plus sincère que celle de vos académiciens et de vos philosophes.