J'apprends, Madame, que vous avez perdu Mr D'Argenson.
Si cette nouvelle est vraie, je m'en afflige avec vous. Nous sommes tous comme des prisoniers condamnés à mort qui s'amusent un moment sur le▶ préau, jusqu'à ce qu'on vienne ◀les▶ chercher pour ◀les▶ expédierhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120085_1key001cor/nts/002. Cette idée est plus vraie que consolante. La première leçon que je crois qu'il faudrait donner aux hommes c'est de leur inspirer du courage dans ◀l'▶esprit, et puisque nous sommes nés pour souffrir et pour mourir, il faut se familiariser avec cette dure destinée. Je voudrais bien savoir si Mr D'Argenson est mort en philosophe ou en poule mouilléehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120085_1key001cor/nts/003. ◀Les▶ derniers moments sont accompagnés dans une partie de ◀l'▶Europe, de circonstances si dégoûtantes et si ridicules, qu'il est fort difficile de savoir ce que pensent ◀les▶ mourants; ils passent tous par ◀les▶ mêmes cérémonies. Il y a eu des jésuites assez impudents, pour dire que mr de Montesquieu était mort en imbécilehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1120085_1key001cor/nts/004, et ils s'en faisaient un droit pour engager ◀les▶ autres à mourir de même. Il faut avouer que ◀les▶ anciens, nos maîtres, avaient sur nous un grand avantage, ils ne troublaient point ◀la▶ vie et ◀la▶ mort par des assujetissements qui rendaient l'un et l'autre funestes. On vivait du temps des Scipions et des Césars, on pensait, et on mourait comme on voulait; mais pour nous autres on nous traitte comme des marionettes. Je vous crois assez philosophe, Madame, pour être de mon avis. Si vous ne ◀l'▶êtes pas, brûlez ma Lettre, mais conservez moi un peu d'amitié pour ◀le▶ peu de temps que j'ai encor à ramper sur ◀le▶ tas de boue où ◀la nature nous a mis.
(1764)
Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
à Ferney