Je me vante, Madame, d’avoir les▶ oreilles aussi dures que vous, et ◀le▶ cœur encor d’avantage; car je vous assure que je n’ai pas entendu un seul mot de prèsque tous ◀les▶ ouvrages en vers et en prose qu’on m’envoie depuis dix ans.
◀La▶ pluspart m’ont mis dans une extrême colère. J’ai été indigné que ◀le▶ siècle fût tombé de si haut. Je ne reconnais plus ◀la▶ France en aucun genre, excepté dans celui des finances. J’ai voulu, dans ◀la▶ Tragédie des loix de Minos faire des vers comme on en fesait il y a environ cent ans. Je voudrais que vous en jugeassiez. Il faudrait que je vous procurasse dumoins ce petit amusement; vous diriez au lecteur de cesser quand ◀l’▶ennui vous prendrait. Avec cette précaution on ne risque rien. Mon idée serait que vous priassiez ◀Le▶ Kain de venir un jour souper chez vous en très petite et très bonne compagnie. J’entends par petite et bonne, quatre ou cinq personnes, tout au plus, qui aiment ◀les▶ vers qui disent quelque chose, et qui ne sont pas tout à fait allobroges.
J’exige encor que vos convives aiment ◀le▶ Roi de Suede, et même un peu ◀le▶ Roi de Pologne. Je veux qu’ils soient persuadés qu’on a immolé des hommes à Dieu depuis Iphigénie jusqu’au chevalier de ◀La▶ Barre.
Je veux qu’outre celà vos convives, hommes et femmes, soient un peu indulgents, puisque ◀la▶ sottise est faitte, et qu’il n’y a plus moien de rien réparer.
J’exige encor que ◀la▶ chose soit secrette, et que vos amis aient aumoins ◀le▶ plaisir d’y mettre du mistère, si ◀le▶ mistère est un plaisir.
Si vous acceptez toutes ces conditions voicy un petit billet pour ◀Le▶ Kain, que je mets dans ma Lettre. Lisez ce billet, ou plutôt faittes vous ◀le▶ lire, puis faittes ◀le▶ cacheter.
Je ne vous parlerai point cette fois cy de ◀l’▶épitre à Horace. Ce que je vous propose a l’air plus agréable. Cette épitre à Horace n’est pas finie, elle est d’ailleurs fort scabreuse, et elle demanderait un secret bien plus profond que ◀le▶ souper des loix de Minos.
Je vous avouerai, Madame, que j’aimerais mieux vous lire cette tragédie crétoise, que de ◀la faire lire par un autre; mais j’ai fait vœu de ne point aller à Paris tant qu’on me soupçonnera d’avoir manqué à vôtre grand-maman. Je suis toujours très ulcéré, et ma blessure ne se fermera jamais. Ne vous fâchez pas si je suis constant dans tous mes sentiments.