J'ay été malade madame, j'ay été moine, j'ay passé un mois avec st Augustin, Tertullien, Origène, Alcuin et Rabanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/001.
Le▶ commerce des pères de ◀l'▶église et des savants du temps de Charlemagne ne vaut pas le vôtre. Mais que vous mander des montagnes des Vauges! et comment vous écrire quand je n'étois occupé que de priscilianites et de nestorienshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/002! Au milieu de ces beaux travaux dont j'ay gourmandé mon imagination, il a fallu encor obéir à des ordres que mr Dalembert votre ami m'a donnez de luy faire quelques articles pour son enciclopédie, et je ◀les▶ ay très mal faits. ◀Les▶ recherches historiques m'ont appesanti. Plus j'enfonce dans ◀la▶ connaissance du septième et du huitième siècle, moins je suis fait pour le nôtre et surtout pour vous. Mr Dalembert m'a demandé un article sur ◀l'▶esprithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/003. C'est comme s'il ◀l'▶avait demandé au père Mabillon ou au père Monfaucon. Il se repentira d'avoir demandé des gavotes à un homme qui a cassé son violon. Et vous aussi madame vous vous repentirez d'avoir voulu que je vous écrive. Je ne suis plus de ce monde et je me trouve assez bien de n'en plus être. Je ne m'en intéresse pas moins tendrement à vous. Mais dans ◀l'▶état où nous sommes tout deux que pouvons nous faire l'un pour l'autre? Nous nous avouerons que tout ce que nous avons vu et tout ce que nous avons fait a passé comme un songe, que ◀les▶ plaisirs se sont enfuis de nous, qu'il ne faut pas trop compter sur ◀les▶ hommes. Nous consolerons nous ainsi en nous disant combien peu ◀le▶ monde est consolant? On ne peut y vivre qu'avec des illusions et dès qu'on a un peu vécu, touttes ◀les▶ illusions s'envolent. J'ay conçu qu'il n'y avait de bon pour ◀la▶ vieillesse qu'une occupation dont on fût toujours sûr, et qui nous menât jusqu'au bout en nous empéchant de nous ronger nous mêmes. J'ay passé un mois avec un bénédictin de quatrevingt quatre ans qui travaille encor à ◀l'▶histoire. On peut s'y amuser quand ◀l'▶imagination baisse. Il ne faut point d'esprit pour s'occuper des vieux événements. C'est ◀le▶ party que j'ay pris. J'ay attendu que j'eusse repris un peu de santé pour m'aller guérir à Plombières. Je prendray ◀les▶ eaux en n'y croyant pas, comme j'ay lu ◀les▶ pères. J'exécuteray vos ordres madame auprès de mr Dargentalhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/004. Je vois ◀les▶ fortes raisons du prétendu éloignement dont vous parlez. Mais vous en avez oublié une, c'est que vous êtes éloignée de son quartierhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/005. Voylà donc ◀les▶ grands motifs sur lesquels roule ◀le▶ commerce de ◀la▶ vie! Savez vous bien vous autres, ce qu'il y a de plus difficile à Paris, c'est d'attraper ◀le▶ bout de ◀la▶ journée. Puissent vos journées, madame, être tolérables. C'est encor un beau lot, car de journées toujours agréables, il n'y en a que dans ◀les▶ mille et une nuits et dans ◀la▶ Jerusalem céleste. Résignons nous à ◀la▶ destinée qui se moque de nous et qui nous emporte. Vivons tant que nous pourons et comme nous pourons. Nous ne serons jamais aussi heureux que ◀les▶ sots. Mais tâchons de ◀l'▶être à notre manière. Tâchons — quel mot! Rien ne dépend de nous. Nous sommes des horloges, des machines. Adieu, madame, mon horloge voudrait sonner ◀l'heure d'être auprès de vous.
(1754)
Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
entre deux montagnes