Il est très certain, Madame, ou que vous m’avez trompé, ou que vous vous êtes trompée.
On dit que les▶ dames y sont sujettes, et nous aussi, mais ◀le▶ fait est que vous m’écrivites que vous alliez à ◀la▶ campagne, et que j’ignore encor si vous y avez été ou non. Mr Dupuits prétend que vous n’avez jamais fait ce voiage. Si vous ne ◀l’▶avez pas fait vous deviez donc avoir ◀la▶ bonté de m’en instruire. Vous me dites, Je pars, et vous êtes un an sans m’écrire. Qui de vous ou de moi a tort en amitié?
Tout ce que je puis vous dire, c’est que je n’ai pas changé un seul de mes sentiments. Je vous répète, que j’ai détesté, et que je détesterai toujours ◀les▶ assassins en robe, et ◀les▶ pédants insolents.
Je n’ai rien sçu de ce qui se passe depuis un an dans aucun des tripots de Paris. J’ai conservé, j’ai affiché hautement ◀la▶ reconnaissance que je dois à vos amis, et je ◀l’▶ai surtout signifiée à Mr le Mal De Richelieu que vous voiez peut être quelquefois.
Durest, je sais beaucoup plus de nouvelles du nord que de Paris.
Je suis fort aise que vous vous soiez remise à relire Homère. Vous y trouverez dumoins un monde entièrement différent du nôtre. C’est un plaisir de voir que nos guerres sur ◀le▶ Rhin et sur ◀le▶ Danube, nôtre religion, nôtre galanterie, nos usages, nos préjugés, n’ont rien de ces tems qu’on appelle héroïques. Vous verrez que ◀l’▶immortalité de ◀l’▶âme, ou dumoins d’une petite figure aérienne qu’on appellait âme, était reçue dans ce tems là chez toutes ◀les▶ grandes nations. Cette opinion était ignorée des Juifs, et n’y a été en vogue que très tard du tems d’Hérode. Vous êtes bien persuadée que ni ◀les▶ pharisiens, ni Homère ne nous apprendront ce que nous devons être un jour. J’ai connu un homme qui était fermement persuadé qu’après ◀la▶ mort d’une abeille son bourdonnement ne subsistait plus. Il croiait avec Epicure et Lucrece que rien n’était plus ridicule que de suposer un être inétenduhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/002 gouvernant un être étendu, et ◀le▶ gouvernant très mal; il ajoutait qu’il était très impertinent de joindre ◀le▶ mortel avec ◀l’▶immortel. Il disait que nos sensations sont aussi difficiles à concevoir que nos pensées; qu’il n’est pas plus difficile à ◀la▶ nature, ou à ◀l’▶auteur de ◀la▶ nature, de donner des idées à un animal à deux pieds appellé homme, que du sentiment à un ver de terre. Il disait que ◀la▶ nature a tellement arrangé ◀les▶ choses que nous pensons par ◀la▶ tête comme nous marchons par ◀les▶ pieds. Il nous comparait à un instrument de musique qui ne rend plus de sons quand il est brisé. Il prétendait qu’il est de la dernière évidence, que ◀l’▶homme est comme tous ◀les▶ autres animaux, et tous ◀les▶ végétaux, et peutêtre comme toutes ◀les▶ autres choses de ◀l’▶univers, fait pour être et pour n’être plus.
Son opinion était que cette idée console de tous ◀les▶ chagrins de ◀la▶ vie, parce que tous ces prétendus chagrins ont été inévitables. Aussi cet homme parvenu à ◀l’▶âge de Démocrite riait de tout comme lui.
Voiez, Madame, si vous êtes pour Démocrite ou pour Héraclite.
Si vous aviez voulu vous faire lire des questions sur ◀l’▶enciclopédie, vous y auriez pu voir quelque chose de cette philosophie quoiqu’un peu enveloppée. Vous auriez passé ◀les▶ articles qui ne vous auraient pas plu, et vous en auriez peutêtre trouvé quelques uns qui vous auraient amusée. A peine cet ouvrage a t-il été imprimé qu’il s’en est fait quatre éditions, quoi qu’il soit peu connu en France. Vous y trouveriez aisément sous ◀la▶ main toutes ◀les▶ choses dont vous regrettez quelquefois de n’avoir pas eu de connaissance. Vous passeriez sans peine et sans regret ◀le▶ peu d’articles qui ont éxigé des figures de géométriehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/003. Vous y trouveriez un précis de ◀la▶ philosophies de Descarteshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/004, et du poëme de ◀l’▶Ariostehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/005. Vous y verriez quelques morceaux d’Homèrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/006 et de Virgilehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/007 traduits en vers français. Tout celà est par ordre alphabétique. Cette lecture pourait vous amuser autant que celle des feuilles de Fréron.
Il y a une Dame avec qui vous soupiez ce me semble quelquefois, et qui est ◀la mère d’un contreseinghttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1220332_1key001cor/nts/008. Mais je ne sais plus ni ce que vous faittes, ni ce que vous pensez. Pour moi je pense à vous, Madame, plus que vous ne croiez, et je vous aime sans doute plus que vous ne m’aimez.