Je ne vous ai envoyé, Madame, aucune de ces bagatelles dont vous daignez vous amuser un moment.
J'ai rompu avec le▶ genre humain pendant plus de six semaines; je me suis enterré dans mon imagination; ensuitte sont venus ◀les▶ ouvrages de campagne, et puis ◀la▶ fièvre. Moyennant tout ce beau régime vous n'avez rien eu; et probablement n'aurez rien de quelque temps. Il faudra seulement me faire écrire, madame veut s'amuser, elle se porte bien, elle est en train, elle est de bonne humeur, elle ordonne qu'on lui envoye quelque rogaton; et alors on fera partir quelque paquet scientifique, ou comique, ou philosophique, ou historique, ou poëtique, selon ◀l'▶espèce d'amusement que voudra madame, à condition qu'elle ◀le▶ jettera au feu dès qu'elle se ◀le▶ sera fait lire.
Madame était si entousiasmée de Claricehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050232_1key001cor/nts/001, que je ◀l'▶ai lüe pour me délasser de mes travaux pendant ma fièvre; cette Lecture m'allumait ◀le▶ sang; il est cruel pour un homme aussi vif que je suis, de lire neuf volumes entiers, dans lesquels on ne trouve rien du tout, et qui servent seulement à faire entrevoir, que mlle Clarice aime un débauché nommé mr de l'Ovelace. Je disais, quand tous ces gens là seraient mes parens et mes amis, je ne pourais m'intéresser à eux; je ne vois dans ◀l'▶auteur qu'un homme adroit, qui connait ◀la▶ curiosité du genre humain, et qui promet toujours quelque chose de volume en volume pour ◀les▶ vendre; enfin, j'ai rencontré Clarice dans un mauvais lieu, au dixième volume, et celà m'a fort touché. ◀La▶ Theodore de Pierre Corneille, qui veut absolument entrer chez ◀la▶ Fillonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050232_1key001cor/nts/002 par un principe de christianisme, n'aproche pas de Clarice, de sa situation, et de ses sentiments; mais excepté ◀le▶ mauvais lieu où se trouve cette belle Anglaise, j'avoüe que ◀le▶ reste ne m'a fait aucun plaisir, et que je ne voudrais pas être condamné à relire ce roman anglais. Il n'y a de bon, ce me semble, que ce qu'on peut relire sans dégoût; ◀les▶ seuls livres de cette espèce, sont ceux qui peignent continuellement quelque chose à ◀l'▶imagination, et qui flattent ◀l'▶oreille par ◀l'▶harmonie; il faut aux hommes musique et peinture, avec quelques petits préceptes philosophiques, entremèlés de temps en temps avec une honnête discrétion; c'est pourquoi Horace, Virgile, Ovide, plairont toujours, éxcepté dans ◀les▶ traductions qui ◀les▶ gâtent.
J'ai relû après Clarice quelques chapîtres de Rabelais, comme ◀le▶ Combat de frère Jean des Antaumurshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050232_1key001cor/nts/003, et ◀la▶ tenüe du Conseil de Picrocolehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050232_1key001cor/nts/004. Je ◀les▶ sçais pourtant prèsque par coeur, mais je ◀les▶ ai relus avec un très grand plaisir, parce que c'est ◀la▶ peinture du monde ◀la▶ plus vive. Ce n'est pas que je mette Rabelais à côté d'Horace, mais si Horace est le premier des feseurs de bonnes épitres, Rabelais, quand il est bon, est le premier des bons boufons. Il ne faut pas qu'il y ait deux hommes de ce mêtier dans une nation, mais il faut qu'il y en ait un; je me repends d'avoir dit autrefois trop de mal de luihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050232_1key001cor/nts/005; il y a un plaisir bien préférable à tout celà, c'est celui de voir verdir de vastes prairies, et croître de belles moissons; c'est ◀la▶ véritable vie de ◀l'▶homme, tout ◀le▶ reste est illusion. Je vous demande pardon, Madame, de vous parler d'un plaisir qu'on goûte avec ses deux yeux. Vous ne connaissez plus que ceux de ◀l'▶âme. Je vous trouve admirable de soutenir si bien vôtre état. Vous jouïssez, au moins, de toutes ◀les▶ douceurs de ◀la▶ société. Il est vrai que celà se réduit prèsque à dire son avis sur ◀les▶ nouvelles du jour. Il me semble qu'à la longue celà est bien insipide; il n'y a que ◀les▶ goûts et que ◀les▶ passions qui nous soutiennent dans ce monde; vous mettez à la place de ces passions ◀la▶ philosophie qui ne ◀les▶ vaut pas, et moi, Madame, j'y mets ◀le▶ tendre et respectueux attachement que j'aurai toujours pour vous. Je souhaitte à vôtre amihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050232_1key001cor/nts/006 de ◀la santé, et je voudrais qu'il se souvint un peu de moi.