Je commence, Madame, par vous suplier de me mettre aux pieds de madame la Maréchale de Luxembourg.
Son protégé Jean Jaques aura toujours des droits sur moi puisqu'elle l'▶honore de ses bontés, et j'aimerai toujours ◀l'▶auteur du vicaire savoiard, quoi qu'il ait fait, et quoi qu'il puisse faire. Il est vrai qu'il n'y a point en Savoie de pareils vicaires, mais il faudrait qu'il y en eut dans toute ◀l'▶Europe.
Il me semble, Madame, qu'au milieu de toutes vos privations, vous pensez précisément comme made De Maintenon, lorsqu'à vôtre âge elle était Reine de France. Elle était dégoûtée de tout, c'est qu'elle voiait ◀les▶ choses comme elles sont, et qu'elle n'avait plus d'illusion. Vous souvient-il d'une de ses Lettres, dans laquelle elle peint si bien ◀l'▶ennui et ◀l'▶insipidité des courtisans? Si vous jouïssiez de vos deux yeux je vous tiendrais bien plus heureuse que ◀les▶ reines, et surtout que leurs suivantes. Maitresse de vous même, de vôtre temps, de vos occupations, avec du goût, de ◀l'▶imagination, de ◀l'▶esprit, de ◀la▶ philosophie, et des amis, je ne vois pas quel sort pouraît être audessus du vôtre; mais il faut deux yeux, ou du moins un pour jouïr de ◀la▶ vie. Je sais ce qui en est avec mes fluxions horribles qui me rendent quelquefois entièrement aveugle. Je n'ai pas vos ressources, vous êtes à ◀la▶ tête de ◀la▶ bonne compagnie, et je vis dans ◀la▶ retraitte, mais je ◀l'▶ai toujours aimée, et ◀la▶ vie de Paris m'est insuportable.
Dieu soit béni de ce que Mr le Président Hainaut aime ◀le▶ monde autant qu'il en est aimé, et qu'il vit dans une heureuse dissipation. J'aimerais peut être encor mieux qu'il se partageât uniquement entre vous et lui même; il ne trouvera jamais de société plus charmante que ces deux là. On m'a dit aujourd'hui du mal de ◀la▶ santé de Mr D'Argenson. C'est ◀le▶ seul mal qu'on puisse dire de lui. Il ne se soucie guères, je crois, que je m'intéresse à son bien être, mais celà ne me fait rien, et je lui serai toujours très attaché. Il n'y a plus de santé dans ◀le▶ monde. J'entends dire que mon frère d'Alembert, qui vous fait quelquefois sa cour, est assez mal. Celui là est bien philosophe, et méprise souverainement ◀les▶ pauvres préjugés qui empoisonnent ◀la▶ vie. ◀La▶ pluspart des hommes vivent comme des fous, et meurent comme des sots; celà fait pitié.
Ne lisez vous pas quelquefois ◀l'▶histoire? Ne voiez vous pas combien ◀la▶ nature humaine est avilie depuis ◀les▶ beaux temps des Romains? N'êtes vous pas éffraiée de ◀l'▶éxcez de ◀la▶ sottise de nôtre nation, et ne voiez vous pas que c'est une race de singes dans laquelle il y a eu quelques hommes?
Adieu, madame, je suis un peu malade, et je ne vois pas ◀le▶ monde en beau. Aiez soin de vôtre santé, suportez ◀la▶ vie, méprisez tout ce qui est méprisable, fortifiez vôtre âme tant que vous pourez, digérez, conversez, dormez. J'oubliais de vous parler de Cornélie, c'était, à ce que dit ◀l'▶histoire, une assez sotte petite femme, qui ne se mêla jamais de rien. Corneille a très bien fait de ◀l'▶annoblir, mais je ne puis souffrir qu'elle traitte César comme un marmouset.
Permettez moi de croire que ◀l'▶amour n'est pas ◀la▶ seule passion naturelle. ◀L'▶ambition et ◀la▶ vengeance sont également ◀l'▶apanage de nôtre espèce, pour nôtre malheur. Je souscris d'ailleurs à toutes vos idées, excepté à ce que vous dites sur ◀l'▶abbé Pelegrin et sa Pelopée. ◀Le grand défaut de nôtre théâtre à mon gré, c'est qu'il n'est guère qu'un recueil de conversations en rimes. Mille tendres respects.