Je suis enchanté, madame, de me rencontrer avec vous; ce n'est pas seulement par vanité, c'est parce qu'à mon avis lorsque deux personnes qui ont le▶ sens commun et qui sont de bonne foi, pensent de même sans s'être rien communiqué, il y a à parier qu'elles ont raison.
Je m'occupais de votre idée lorsque j'ai reçu votre lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1140134_1key001cor/nts/001; je me prouvais à moi même que ◀les▶ notions sur lesquelles ◀les▶ hommes different si prodigieusement ne sont point nécessaires aux hommes, et qu'il est même impossible qu'elles nous soient nécessaires par cette seule raison qu'elles nous sont cachées. Il a été indispensable que tous ◀les▶ pères et mères aimassent leurs enfants, aussi ◀les▶ aiment ils. Il était nécessaire qu'il y eût quelques principes généraux de morale pour que ◀la▶ société pût subsister, aussi ces principes sont ils ◀les▶ mêmes chez toutes ◀les▶ nations policées. Tout ce qui est un éternel sujet de dispute, est d'une inutilité éternelle. Ai je bien pris votre idée, madame? Il me semble qu'elle est consolante; elle détruit toute superstition, elle rend ◀l'▶âme tranquille; ce n'est pas ◀la▶ tranquillité stupide d'un esprit qui n'a jamais pensé, c'est ◀le▶ repos philosophique d'une âme éclairée. Je ne suis point du tout étonné que vous aimiez ◀la▶ vie, toute malheureuse qu'elle est, et que vous n'aimiez point ◀la▶ mort. Presque tout le monde en est réduit là, c'est un instinct qui était nécessaire au genre humain. Je suis persuadé que ◀les▶ animaux ◀l'▶ont comme nous.
J'avoue donc avec vous, madame, que ◀les▶ connaissances auxquelles nous ne pouvons atteindre nous sont inutiles, mais avouez aussi qu'il y a des recherches qui sont agréables, elles exercent ◀l'▶esprit. ◀Les▶ philosophes n'ont pas tant de tort d'examiner si par leur seule raison ils peuvent concevoir ◀la▶ création, si ◀l'▶univers est éternel, si ◀la▶ pensée peut être jointe à ◀la▶ matière, comment il y a du mal dans ◀le▶ monde, et vingt autres petites bagatelles de cette espèce. Nous sommes tous curieux, il n'y a personne qui ne voulût sonder un peu ces profondeurs, si on ne craignait pas ◀la▶ fatigue de ◀l'▶application, et si on n'était pas distrait par ◀les▶ amusements et ◀les▶ affaires. Vous êtes précisément dans ◀l'▶état où ◀l'▶on fait des réflexions; ◀la▶ perte des yeux sert au moins au recueillement de ◀l'▶âme. Il me vient très souvent entre mes rideaux, des idées qui s'enfuient au grand jour. Je mets à profit ◀les▶ temps où mes fluxions sur ◀les▶ yeux m'empêchent de lire. Je voudrais surtout passer ces temps avec vous.
J'ai lu ◀la▶ réponse du roi au parlement. Je m'imagine que je pense encore comme vous sur cette pièce; elle m'a paru noblement pensée et noblement écrite, et s'il ne s'agissait que du style, je dirais qu'il est fort au dessus de celui des représentations, et surtout de celui de la plupart de nos auteurs.
Adieu, madame, conservez au moins votre santé, c'est là une chose nécessaire à tout âge et à tout état. La mienne n'est pas trop bonne, mais il est nécessaire d'avoir patience. De toutes ◀les▶ vérités que je cherche celle qui me paraît ◀la▶ plus sûre, c'est que vous avez une âme selon mon cœur, à laquelle je serai très tendrement attaché pour ◀le peu de temps qui me reste.