Je ne vous dirai pas, Madame, que nous sommes plus heureux que sages, car nous sommes aussi sages qu'heureux.
Vous tremblez que quelque malintentioné n'ait prit le▶ petit mot qui regardait mon confrère Moncrif pour une mauvaise plaisanteriehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110300b_1key001cor/nts/001. J'ai reçu de lui une Lettre remplie des plus tendres remerciements. S'il n'est pas ◀le▶ plus dissimulé de tous ◀les▶ hommes, il est ◀le▶ plus satisfait. C'est un grand courtisan, je ◀l'▶avoue, mais ne serait-ce pas prodiguer ◀la▶ politique, que de me remercier si cordialement d'une chose dont il serait faché? Pour moi je m'en tiens comme lui au pied de ◀la▶ lettre, et je lui supose ◀la▶ même naïveté que j'ai eue quand je vous ai écrit cette malheureuse Lettre, que des corsaires ont publiée.
Sérieusement, je serais très faché qu'un de mes confrères, et surtout un homme qui parle à ◀la▶ Reine, fût mécontent de moi. Celà me ruinerait à ◀la▶ cour, et me ferait manquer ◀les▶ places importantes auxquelles je pourais parvenir avec ◀le▶ temps. Car enfin, je n'ai que dix ans de moins que Moncrif, et ◀l'▶éxemple du cardinal de Fleuri, qui commença sa fortune à soixante et quatorze ans me donne ◀les▶ plus grandes espérances.
Vous ferez fort bien, madame, de ne plus confier nos secrets à ceux qui ◀les▶ font imprimer, et qui violent ainsi ◀le▶ droit des gens. Je savais vôtre histoire du lion, elle est fort singulière, mais elle ne vaut pas ◀l'▶histoire du Lion d'Androclus. D'ailleurs, mon goût pour ◀les▶ contes est absolument tombé. C'était une fantaisie que ◀les▶ longues soirées de ◀l'▶hiver m'avaient inspirée. Je pense différemment à ◀l'▶équinoxe; ◀l'▶esprit soufle où il veuthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1110300b_1key001cor/nts/002 comme dit l'autre. Je me suis toujours aperçu qu'on n'est ◀le▶ maître de rien. Jamais on ne s'est donné un goût, celà ne dépend pas plus de nous que nôtre taille et nôtre visage. N'avez vous jamais bien fait réflexion que nous sommes de pures machines? J'ai senti cette vérité par une expérience continue. Sentiments, passions, goûts, talents, manière de penser, de parler, de marcher, tout nous vient je ne sçais comment, tout est comme ◀les▶ idées que nous avons dans un rêve, elles nous viennent sans que nous nous en mêlions. Méditez celà, car nous autres qui avons ◀la▶ vue basse, nous sommes plus faits pour ◀la▶ méditation que ◀les▶ autres hommes qui sont distraits par ◀les▶ objets. Vous devriez dicter ce que vous pensez quand vous êtes seule, et me ◀l'▶envoier. Je suis persuadé que j'y trouverais plus de vraie philosophie que dans tous ◀les▶ systèmes dont on nous berce. Ce serait ◀la▶ philosophie de ◀la▶ nature. Vous ne prendriez point vos idées ailleurs que chez vous, vous ne chercheriez point à vous tromper vous même. Quiconque a comme vous de ◀l'▶imagination et de ◀la▶ justesse dans ◀l'▶esprit, peut trouver dans lui seul sans autre secours ◀la▶ connaissance de ◀la▶ nature humaine, car tous ◀les▶ hommes se ressemblent pour ◀le▶ fond, et ◀la▶ différence des nuances ne change rien du tout à ◀la▶ couleur primitive. Je vous assure, Madame, que je voudrais bien voir une petite esquisse de ◀l'▶espèce humaine de vôtre façon. Dictez quelque chose, je vous en prie, quand vous n'aurez rien à faire; quel plus bel emploi de vôtre temps que de penser? Vous ne pouvez ni jouer, ni courir, ni avoir compagnie toute ◀la▶ journée. Ce ne sera pas une médiocre satisfaction pour moi de voir ◀la▶ supériorité d'une âme naïve et vraie sur tant de philosophes orgueilleux et obscurs. Je vous promets d'ailleurs ◀le▶ secrèt.
Vous sentez bien, Madame, que ◀la▶ belle place que vous me donnez dans nôtre siècle, n'est point faitte pour moi. Je donne sans difficulté la première à ◀la personne à qui vous accordez la seconde; mais permettez moi d'en demander une dans vôtre cœur, car je vous jure que vous êtes dans le mien. Je finis, Madame, parce que je suis bien malade, et que je crains de vous ennuier. Agréez mon tendre respect, et empèchez que mr le Président Hainaut ne m'oublie.