(1765) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1765) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ai vu, Madame, vôtre Ecossaishttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130347_1key001cor/nts/001, qui auroit droit d'être fier comme un Ecossais, si on pouvait être fier en proportion de ses connaissances et de son mérite.
Il m'a dit que malgré la mélancolie dont vous me parlez, vous conservez une imagination charmante dans la Société. Il n'y a point de dédommagement pour les deux yeux, mais il y a de grandes consolations.

Voicy bientôt le temps où je vais perdre la vue, mes détestables fluxions me reprennent l'automne et l'hiver. Je suis précisément comme Pollux qui ne voiait le jour que six mois de l'année. Nous avons beaucoup parlé de vous et de Mr le Président Hainaut; vous savez bien que je m'intéresserai tendrement à l'un et à l'autre jusqu'au dernier moment de ma vie. Il me manda par sa dernière Lettre que tout doit finir, rien n'est plus vrai; tous les êtres animés ne sont nés qu'à cette condition; mais il faut bien se souvenir que Ciceron qui était premier président du parlement de Rome, dit souvent dans ses Lettres, et quelquefois même au sénat romain, que la mort n'est que la fin des douleurshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130347_1key001cor/nts/002. César qui a conquis et gouverné vôtre païs des Welches pensait de même, et ces deux messieurs valaient bien le père Eliséehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130347_1key001cor/nts/003. En attendant il faut s'amuser. Made De Florian ma nièce vous fera tenir avec cette Lettre quelques feuilles impriméeshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130347_1key001cor/nts/004 que j'ai trouvées chez un curieux. Il y a une Lettre sur mlle L'Enclos écrite à un ministre huguenot, qui poura vous égaïer quelques minutes. Il y a quelques chapitres de métaphisique qui pouront vous ennuier, et d'autres où l'on ne dit que des choses que vous savez, et que vous dites beaucoup mieux.

J'y joins un autre ouvrage qu'on appelle le dictionaire philosophique. Des méchans me l'ont imputé, c'est une calomnie atroce dont je vous demande justice. Je suis fâché qu'un livre si dangereux soit si commode pour le lecteur; on l'ouvre et on le ferme sans déranger les idées. Les chapitres sont variés comme ceux de Montagne, et ne sont pas si longs. On m'assure que cette édition cy est plus ample et plus insolente que toutes les autres. Je ne l'ai pas vue, vous en jugerez, et je la condamne s'il y a du mal. Je vous dirai cependant à ma honte, que j'aime assez en général, tous ces petits chapitres qui ne fatiguent pas l'esprit. Je vais faire chercher encor une pucelle pour vous amuser; mais je doute que j'aie le temps de la trouver avant le départ de made De Florian. On trouve rarement des pucelles chez ces marauds de huguenots de Genêve; je ne sors jamais de chez moi, et je m'en trouve bien. On a tous ses moments à soi, et la vie est si courte qu'il ne faut pas en perdre un quart d'heure.

Je suis fâché que vous preniez en aversion mes pauvres philosophes; si vous croiez qu'ils marchent un peu sur mes traces, je vous prie de ne pas battre ma livrée.

Je sais toute l'histoire de la petite vérole de made la Duchesse de Bouflershttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130347_1key001cor/nts/005 S'il était vrai qu'elle eût été en éffet bien inoculée, et qu'elle eût la petite vérole naturelle après l'artificielle, celà serait triste pour elle. Mais ce serait un éxemple unique entre vingt mille, et les éxceptions râres n'ôtent rien à la force des loix générales.

Je n'étais pas instruit de la maladie de made La Duchesse De Luxembourg. Elle n'a point répondu à une Lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1130347_1key001cor/nts/006 qui méritait assurément une réponse, mais je m'intéresserai toujours à elle comme si elle répondait. Adieu, Madame, je vous aimerai toujours sans la plus légère diminution. Je souhaitte que vous soiez le moins malheureuse qu'on puisse être sur ce ridicule petit globe.

V.