Ma sœur, vous êtes dénaturée, vous abandonnez vôtre frère le quinze vingt comme vôtre grand maman abandonne son confrère le Campagnard.
Si je n’étais qu’aveugle et sourd je prendrais la chose en patience. Si à ces disgrâces de▶ la nature la fortune se contentait ◀d’▶ajouter la ruine ◀de▶ ma colonie je me consolerais encore. Mais on m’a calomnié et je ne me console point. Je serai fidèle à vôtre grand maman et à Monsieur son mari tant que j’aurai un soufle ◀de▶ vie, celà est bien certain.
Je ne crois point du tout leur manquer en détestant des pédants absurdes et sanguinaires. J’ai abhorré avec l’Europe entière les assassins du chevalier ◀de▶ La Barre, les assassins ◀de▶ Calas, les assassins ◀de▶ Sirven, les assassins du comte de Lally. Je les trouve dans la grande affaire dont il s’agit aujourd’hui tout aussi ridicules que du tems ◀de▶ la fronde. Ils n’ont fait que du mal, et ils n’ont produit que du mal.
Vous savez probablement que d’ailleurs je n’étais point leur ami. Je suis fidèle à toutes mes passions. Vous haïssez les philosophes, et moi je hais des tirans bourgeois. Je vous ai pardonné toujours vôtre fureur contre la philosophie, pardonnez moi la mienne contre la cohue des enquêtes. J’ai d’ailleurs pour moi le grand Condé qui disait que la guerre ◀de▶ la fronde n’était bonne qu’à être chantée en vers burlesques.
Je ne sais rien dans mes déserts ◀de▶ ce qui s’est passé derrière les coulisses ◀de▶ ce théâtre ◀de▶ Polichinelle. Je me borne à dire hautement que je regarde le mari ◀de▶ votre grand maman comme un des hommes les plus respectables ◀de▶ l’Europe, comme mon bienfaiteur, mon protecteur, et que je partage mon encens entre votre grand-maman et lui. J’ai soixante et dix sept ans, quoi qu’on die; je mets entre vos mains mes dernières volontés pour la décharge ◀de▶ ma conscience; je vous prie même avec insistance ◀de▶ communiquer ce testament à vôtre grand maman, après quoi je me fais enterrer.
Soyez très sûre, Madame, que je mourrai en regretant ◀de▶ n’avoir pu passer auprès de vous quelques dernières heures ◀de▶ ma vie. Vous savez que vous étiez selon mon cœur, et que je suis le doien ◀de▶ tous ceux qui vous ont été attachés; je suis même le seul qui vous reste ◀de▶ vos anciens serviteurs. Je dois hériter ◀d’eux, je réclame mes droits pour le moment qui me reste.