(1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1775) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous êtes la plus heureuse femme de votre triste sorte madame, puisque les confitures du roi de Maroc vous font du bien.
Car sachez qu'on sert de la casse sur la table du roi de Maroc, comme chez nous de la gelée de Pomme ou de grozeille. Soyez sûre que les tempéraments chez qui la digestion est un peu lente, et l'esprit prompt, et à qui la casse fait un bon effet, durent d'ordinaire plus longtemps que les corps frais et dodus. Cela est si vrai que je vis encore, après avoir souffert quatrevingt et un ans presque sans relâche.

Donnez la préférence à la casse, puisque Moliere a décidé que de bonne casse est bonne http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1260035b_1key001cor/nts/002. Mais en la louant comme elle le mérite, permettez moi de vous dire qu'il ne faut pas mépriser absolument la rubarbe. Tous les médecins de la faculté mes confrères, s'ils sont un peu philosophes, conviendront que les mêmes principes agissent dans la casse et dans la rubarbe. Ce sont les parties les plus volatiles et les plus piquantes qui purgent. J'avoue, car il faut être juste, que la casse outre ses sels volatils a quelque chose d'onctueux dont la rubarbe est privée, et c'est en quoy cette casse mérite la préférence. Mais le sublime de la médecine domestique est à mon gré d'avoir un jour dans le mois consacré à la rubarbe.

Je quitte ma robe de médecin, pour vous parler des filles de Minée. Je vous jure que je n'ai envoié ces trois bavardes à personne. C'est une indiscrétion de Cramer dont je suis très fâché. J'en essuie bien d'autres. C'est ma destinée. J'envoie pour vous cette mauvaise plaisanterie de feu la Visclede, à M. de Lile. Elle ne lui coûtera rien. Elle vous coûterait un écu, et elle ne le vaut pas.

Je voudrais savoir si vous avez lu le livre de Nekrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1260035b_1key001cor/nts/003 sur les bleds. Bien des gens disent qu'il faut une grande application pour l'entendre, et de profondes connaissances pour lui répondre.

Il paraît un écrithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1260035b_1key001cor/nts/004 sur l'agriculture qui est beaucoup plus court, et quelquefois plus plaisant. Il y a même quelques vérités. Je pourais vous le procurer dans quelques jours. Je tâche de vous amuser de loin, ne pouvant m'aprocher de vous. Ma colonie demande continuellement ma présence réelle. C'est un fardeau qu'il faut porter. Il est pénible. Ne soiés jamais fondatrice, si vous voulez avoir du temps à vous.

Encor une fois madame avalons la lie de nos derniers jours aussi doucement que les premiers verres du tonnau. Il n'y a point pour nous d'autre philosophie.

La patience et la casse! voilà donc nos seules ressources! J'en suis bien fâché.

Madame Denis vous remercie de vos bontés, elle l'a échappé belle.